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La rivoluzione napoletana del 1820-1821 tra "nazione napoletana" e "global liberalism" di Zenone di Elea

MÉMOIRES HISTORIQUES, POLITIQUES ET MILITAIRES

SUR LA RÉVOLUTION DU ROYAUME de NAPLES

EN 1820 ET 1821

ET SUR LES CAUSES QUI L’ONT AMENÉE

ACCOMPAGNÉS DE PIÈCES JUSTIFICATIVES LA PLUPART INÉDITES

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PAR LE GÉNÉRAL CARRASCOSA

Haec est veritatis vis ut denique omnia vincat.

Tacite.

LONDRES

CHEZ TREUTTEL, WURTZ, TREUTTEL fil s , et RICHTER SOHO SQUARE.

1823

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PRÉFACE

Vingt-trois mois se sont écoulés depuis le renversement du système constitutionnel de Naples. Depuis cette époque, j’ai été l’objet de noires calomnies et de graves imputations; on pourra donc être surpris que j’aie tant tarde à publier ces Mémoires, qui, j’ai m e à croire, contiennent une entière justification de ma cond u ite, en même temps qu’ils offrent des documents qui ne seront pas sans intérêt pour l’histoire. Deux considérations principales m’ont engagé à ce retard: j’ai voulu d’abord que les passions eussent le temps de se calmer, et que l’esprit de parti se fùt affaibli, pour qu’on pût lire cet écrit avec plus d’impartialité. En second lieu, j’ai cru devoir retarder cette publication, dans la crainte de f o u rn ir des indices tant qu’une procédure était encore pendante, et lorsque plusieurs individus étaient encore emprisonnés pour les affaires du mois de Juillet, 1820. Maintenant que deux jugemens ont été rendus, l’un, du dix Septembre, 1822, pour les présens; et le second, du vingt-quatre Janvier dernier, pour les absens; et lorsqu’un temps assez considérable s’est écoulé depuis les événemens que je dois raconter , il n’existe plus d’obstacle à l’impression de,ces Mémoires, qui sont terminés depuis à-peu-près un an.

Àn mois de Juillet, 1820, je fus d’abord envoyé pour réprimer l’insurrection de Mo n tef o rte. La révolution étant terminée, l’on me confia le portefeuille de la guerre; enfin, l ors de l’invasion Autrichienne, je fus; investi d’un commandement en chef po u r la repousser. Ces différentes missionsont dû nécessairement me mettre à portée, d’abord, de bien démêler les causes primitives qui ont amené cette révolution ; ensuite, de bien apprécier les événemens qui en découlèrent ainsi que leurs triste s conséquences. J’ose donc croire que, dans ce trava il , on trouvera l’explication de plusieurs faits, a uss i incompréhensibles qu’inattendus, et que l’Europe vit arri ver avec étonnement.

La position d’un auteur historique est extrêmement délicate , lorsqu’il a figuré lui-même dans les événemens qu’il décrit. S’il a été accuse, et qu’il se disculpe, o n lé soupçonne de dissimuler les faits, dans la seule vue de se justifier; s’il eût à se plaindre d’individus qui jouèrent aussi un isole dans ces événemens, et s’il se trouve obligé de parler de leurs torts ou de leurs faiblesses, on est dispose à le taxer d’aigreur ou d’envie; ou, ce qui est pis encore, on peut l’accuser de noircir les autre s , uniquement pour se justifier lui-même.

En prenant la p l ume, j’avais été frappe de toutes ces considérations, et je puis assurer que je n’ai rien négligé pour rester dans les limites de la plus stricte impartialité. I l se peut même que, d’après une te l le tendance, ces Mémoires ne plaisent à aucun parti, mais ce résultat Serait peut-être un indice qu’ils ne sont pas loin de l’ exacte vérité.

U n e autre tâche , pénible et difficile, était celle de concilier exactitude des faits avec les égards d û s aux contemporain s dont j’avais à parler, J’ai dono dit la vérité tonte entière, quand je l’ ai pu faire sans trop manquer à ces égards; et, dans le cas contraire, je l'ai dite autant que cela m’ était possible. Les hommes accoutumés à de tels sujets sauront assez m’entendre; quant aux autres, il eût été sans fruit d’en dire davantage.

Quelques personnes m’accuseront peut-être d’avoir, par la publication de certaines circonstances, présenté la nation Napolitaine sous un jour défavorable. D’abord, à supposer que cet écrit dût vraiment produire cet effet, je pense que quand l’on retrace des événemens historiques, tout doit être sacrifié à l’intérêt de la vérité. Mais, heureusement, je crois n’être pas dans ce cas: je pense, au contraire, avoir rendu service à la nation Napolitaine, en rétablissant la vérité des faits, et en faisant connaître les événemens dans toutes leurs circonstances. En effet, on la blâmera moins de n’avoir pas eu suffisamment à cœur la défense de la cause constitutionnelle, lorsqu’on saura qu’elle ne s’y intéressait pas beaucoup, parce quelle n’en avait point encore senti les bienfaits, on la blâmera moins, dis-je, que si l’on continuait à croire, qu’étant enthousiaste de cette cause, elle l’eût lâchement abandonnée.

Mais il est une autre objection plus grave encore , que je crois devoir prévenir. En Jui ll et, 18&0, je fus, comme je l'ai déjà dit, chargé de réprimer la rébellion de Monteforte; et en Février, 1821, je fus nommé commandant en chef pour m’opposer à l’invasion étrangère. Chaque fois l’ événement; a été malheureux; or, qu’en définitive , l’ on en attribue la cause au défaut de mes propres moyens, ou à l’insuffisance de ceux qu’on a mis à ma disposition, du moins est-il vrai que le résultat doit toujours être distingué de l’intention. Les miennes ont été pures dans l’ une et l’ autre circonstance, et je n’hésite point à déclarer que j’ai fait également tout ce qui dépendait de moi, tant pour réprimer la rébellion de Monteforte, que pour m’opposer ensuite à l’invasion de l’ennemi extérieur. Je me flatte que cette doublé vérité ressortira, jusqu’à l'évidence, de toute la lecture de cet ouvrage.

Quant à l’apparence de contradiction que peut, au premier abord, présenter Cette assertion, et dont les deux partis extrêmes voudraient peut-être également se prévaloir contre moi, quelques réflexions suffiront à la faire disparaître. Ennemi des révolutions populaires , parce que je suis persuadé qu’elles conduisent à l'anarchie, je vis cel l e de Monteforte avec d’autant plus de peine, qu'elle avait été, en outre, epérée par des militaires. Si l'on consacrait mie fois le principe que la force ar m ée pe ut délibérer, ce principe serait une source de subversion sociale; et pour quelque exemple rare, où la force année a servi la liberté, en pourrait en citer mille où elle n’a été q u ’un instrument pour la détruire. Ce principe ne peut dono convenir à aucun système raisonnable. Outre c es considérations générales, je pensais en c ore: que notre nation; trop faible pour résister à u ne agression extérieure, et pour soutenir par la force des armes un système q u ’on t lui eût disputé , finirait par perdre son i n dépendance, et pa r tomber sous le j o ug sévère et honteux d ’une domination étrangère.

Mais lorsque l’événement, que j'avais sincèrement voulu prévenir , fùt consommé sans retour, l es choses changèrent d’aspect à m es yeux, et je-vis naître pour moi de nouveaux devoirs. Des citoyens peuvent se divi s er entr’eux dans leurs vues politique , mais ils doivent toujours se réunir con t re l’agression extérieure.

Après avoir présente les explications qui m’ont para nécessaires pour l’exacte appréciation de ces Mémoires, je dois dire un mot de la distribution de mon sujet. J’ai cru devoir d’abord les faire précéder d’une courte Introduction, dans la q u elle j’ai taché de présenter rapidement le tableau des principaux événemens, tant militaires que politiques, du royaume de Naples, depuis 1793 jusqu’à 1815. Quant a u x Mémoires eux-mêmes , ils sont divisés en trois Parties: la première renferme assez sommairement la période de cinq ans, qui s’est écoulée depuis le mois de Mai, 1815, époque de la restauration, jusqu’au six Juillet, 1820, jour où l'on changea la constitution du royaume. La seconde Partie est consacrée à l’exposition plus détaillée d’une seconde période, qui commence au six Juillet 1820, jour où l’on eût à Naples la certitude de l’agression extérieure. Enfin , dans la troisième Partie, je développe, dans tous ses détails, une troisième période, qui commence au sept F évrier, et qui finit au mois de Mai, 1821, époque du retour du Roi à Naples; dont le récit sera toutefois suivi de quelques traits d’une époque postérieure, mais qui. sont liés à l’objet de ces Mémoires. Le pian de l’ ouvrage était entièrement tracé, et le classement des matériaux presque terminé, lorsqu’il m’est tombe entre les mains un manuscrit sur les événemens postérieurs au mois de Février 1821. J’ai trouvé dans cet écrit une foule d’excellentes idées, et j’ai fait usage de trois ou quatre d’entre elles; mais pour ne point m’en attribuer le mérite, j’ai eu soin d’indiquer par des notes qu’elles appartenaient à l’auteur du dit manuscrit.

INTRODUCTION

Dans le court espace d’environ vingt ans, et sous le gouvernement seul du roi actuel, le royaume de Naples, en de- l à du Phare, a subi trois changemens politiques funestes, en 1799, en 1806, et en 1820. Au lieu d’attribuer exclusivement au souverain les causes de ces catastrophes, l’on devrait en accuser les hommes ambitieux, qui, successivement et sous plusieurs formes, se sont emparés de l ’administration de l’état; et qui, trop souvent, l’ont dirigée, n on selon l’intérêt de la nation et du trône, mais au gré de leurs propres passions.

Il faut remonter à une époque éloignée pour découvrir les premières erreurs du gouvernement, qui, jointes à d’autres erreurs successives, ont produit tant de maux. D’abord, en 1793 et 1794, les grands du royaume, par des motifs purement personnels, donnèrent le caractère d’une vaste et formidable conspiration aux folies de quelques jeunes gens, qui ne pouvaient rien entreprendre, soit par défaut de nombre, de moyens, ou de réputation personnelle, soit parce que le peuple, à-peu-près satisfait du gouvernement d’alors, ne les aurait pas secondés.

Il eût été sage, sans doute, de surveiller de tel s écarts; mais il fallait se garder de leur donner de l’importance, tant qu’ils n’auraient pas mé ri t é une répression sérieuse; et si la répression fut devenue indispensable, il eût suffi de bannir en France quelques- u ns de ces imprudens qui, voyant sur le théâtre même , les écarts des révolutions, se seraient guéris de leurs erreurs.

Mais on suivit un autre système; on voulut faire croire que le trône était en p é ri l . On répandit dans le royaume des essaims d’espions, qui ne se contentaient pas d’explorer, mais qui, pour avoir des sujets de dénonciation, outrepassaient leur mandat et excitaient la jeunesse au trouble. L’infâme rôle de délateur fut une source de richesses , et un titre pour les emplois; la trahison ne respecta pas les relations les plus intimes; on trouva du danger dans l’amitié, dans les relations de famille, et jusques dans les épanchements de l’amour. Ainsi, le nombre des personnes compromises s’augmenta considérablement; et l'on instruisit une procédure rigoureuse sur cette conspiration, prétendue si terrible, dans laquelle on supposait que presque tout le royaume avait trempé. Cependant on ne parvint à frapper qu’environ cinquante victimes, dont plusieurs furent reléguées dans des îles , et dont un petit nombre fut conduit à l’échafaud. Ainsi, l’union fut altérée entre le peuple et le trône; les esprits commencèrent à s’exaspérer; et c’est dans l’enchaînement de ces première s erreurs avec les erreurs subséquentes, qu’on doit reconnaître la source des funeste s dispositions populaires, qui, plus tard, enfantèrent tant de désastres.

En 1798, on prit d’autres mesures également fausses. Le royaume de Naples, à l’abri de dangers immédiats de la part de la France, puisqu’il est situé au fond de l’Italie ; le royaume de Naples, puissance du second ordre, sans la coopération simultanée d’autres puissances, sans aucun pian adapté à ses moyens, sans opportunité de temps, après cinquante-quatre ans d’une paix profonde, avec des troupes neuves, osa descendre dans l’arène contre les premiers guerriers de l’Europe. Une conduite aussi inconsidérée n’offre rien de semblable que la conduite même de Naples en 1815. Doit-on donc s’étonner si, dans ces deux circonstances, ce peuple, affrontant seul des puissances colossales, se vit punir d’une semblable témérité? Il serait injuste de vouloir juger le soldat napolitain par ces campagnes malheureuses; les erreurs du gouvernement devaient seules produire ces résultats; et l’on pourrait affirmer que, dans les mèmes circonstances, toute autre armée eût éprouvé le même sort.

Si le gouvernement de Naples, en 1798, n’avait pas fait une démarche aussi impolitique, on peut croire, avec fondement, que le royaume serait demeuré tranquille, parce que l’armée française , ayant continuellement en tète les Autrichiens, ayant trop d’embarras dans ses nouvelles possessions, et toujours occupée de nouveaux soins, n’aurait pu étendre sa ligne pour pénétrer dans la basse Italie. En effet , dans la correspondance secrète de Napoléon avec le directoire, publiée il y a près de trois ans, nous voyons qu’il conseillait

plutôt la paix que la guerre avec le roi de Naples. On ne pourrait opposer que les Français pouvaient bien alors désirer la paix avec le royaume de Naples, mais qu'ils l’auraient attaqué aussitôt que les obstacles auraient cessé. Si ce point de vue est juste à certains égards, il est toujours vrai qu’il eût fallu attendre un temps propice, et non se presser de couìrir à une ruine inévitable. Le succès aurait couronné la sagesse, puisqu’en 1799 et 1800, l’on aurait trouvé le vrai moment pour déclarer la guerre. A cette époque, si la malheureuse campagne de 1798 n’eût point eu lieu, les soldats napolitains eussent trouvé peu d’obstacles, et ils eussent été reçus co m me des libérateurs dans toute l’Italie. peut-être qu’après quelques efforts, le nom de Ferdinand, du consentement même des grandes puissances, eût régné du Phare au Pò. Mais les passions des grands. demandaient la guerre, quand l’intérêt de l’état commandait la paix. Aussi, la destruction de l’armée, l’ennemi soutenu par les citoyens même qui étaient irrités des mesures injustes de 1794, enfin l’invasion du royaume et la chute du trône, tels furent les effets d’une aussi étrange aggression.

Ferdinand, de retour à Naples en 1799, fut conduit par un ministre d é cepteur à regarder le royaume comme un pays conquis, et à traiter les citoyens comme des rebelles. On enleva au royaume tous ses privilèges, et plusieurs individue furent punis comme traîtres.

Au lieu d’une felle conduite, qui ensanglantait le royaume, et qui le privait des hommes les plus distingués par les talens et la vertu, si. l’on eût conseillé au gouvernement de déclarer qu’i l voulait jet ter un voile sur le passe, attribuant la conduite de plusieurs citoyens à l’empire de circonstances majeures, une clémence aussi sage eût réconcilié la nation entière, en pénétrant de reconnaissance le parti vaincu, et en donnant au parti vainqueur l’exemple généreux du pardon royal. Mais, par des mesures contraires, on excita de nouvelles haines; et, depuis cette époque, deux partis furent toujours en présence, se nommant tour-à-tour: ou Jacobins et Santafedi, ou Murattistes et Bourboniens, ou Charbonniers et Chaudroniers, ou Libéraux et Royalistes. L’influence de la médiocrité l’emporta; on fit croire au gouvernement que le mérite était incompatible avec le royalisme , et les hommes à talent furent presque tous repoussés des emplois publics. Mais, rarement le talent reste neutre: s’il n’est ami, il devient ennemi; s’il ne protège, il attaque; ainsi, la classe la plus éclairée des citoyens se rangea parmi les ennemis du gouvernement. Les a ff aires publiques tombèrent dans les mains d’hommes incapables et aveuglés par la passion; et, de telles erreurs, qui produisaient déjà tant de maux par elles-mêmes , en préparaient de plus funestes encore.

Toutes ces mesures influèrent, sans aucun doute, sur la conquête de 1806. Les hommes incapables, à qui l’on avait confié l’administration publique, pleins d’une haine impuissante contre la France, persuadèrent au roi de taire partie d’une coalition contre cette nation, tandis qu’on avait, peu de jours auparavant, conclu avec elle une convention de neutralité.

Napoléon dut profiter avec plaisir d’un te l prétexte pour conquérir ce beau pays; et parmi les élémens de sa faiblesse, il n’oublia point, sans doute, la division des partis, ainsi que le dégoût des hommes à talent, qui, se voyant négligés, désiraient un changement politique. Tel fut le résultat d’un système, qui tendait à rabaisser le mérite, à exalter l’ignorance, à sévir d’une manière cruelle contre des hommes égarés. En vain dirait-on quel e système d’indulgence, adopté après la restauration de 1815, amena la révolte de J820; telles ne furent point les véritables causes de cet événement, comme on le verra par la suite de cet écrit.

Dans les dix années de la domination française , l’esprit public des Napolitains s’était amélioré d’une manière sensible. Des institutions uniformes furent données au royaume; l’administration de la justice fut plus impartiale , et elle reposa sur des bases certaines; l’administration de la fortune publique fut plus régulière et fondée sur un système d’égalité; la féodalité, jusqu’alors attaquée faiblement, fut totalement abolie; un code de lois certaines fut promulgué; les substitutions et les majorats furent détruits, les successions furent mieux réglées; la circulation des biens des moines, la division des terres domaniales s’opposèrent à l’accumulation des richesses dans un petit nombre de mains, et les répandirent parmi la masse de la nation. Les inscriptions hypothécaires firent disparaître les trois-quarts des procès ordinaires; la jeunesse des deux sexes fut accueillie dans des établissements d’instruction publique. Et pendant que ces institutions libérales bannissaient partout l’ignorance et l’oisiveté, la société brillante et instructive des F rancis communiquait au peuple napolitain l’aménité des manières, ainsi que le désir d’apprendre et le génie de l’invention. En outre, plusieurs citoyens s’étaient instruits en voyageant durant l’exil des sept années qui précédèrent 1806; beaucoup d’autres, enfi n, attachés à la profession des armes durant la domination française , avaient visité les contrées les plus civilisées de l’Europe; et tous, rentrant dans leur patrie avec une masse de lumières, contribuèrent ainsi à l’avancement de l’esprit public.

Tel était l’état du royaume de Naples, lorsque le roi actuel revint pour la seconde Ibis de Sicile dans ses domaines de la péninsule, après la chute de Napoléon, qui avait entraîné celle du roi Joachim comme de tous les rois secondaires dont l’existence dépendait entièrement de lui.

MÉMOIRES HISTORIQUES SUR LE ROYAUME DE NAPLES

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PREMIÈRE PARTIE

Si l’on doit juger des vues du roi Ferdinand par une partie de sa cond u ite, postérieurement à son dernier retour de Sicile, en 1815, on est fonde à croire qu’il remonta sur son trône de la péninsule avec l’intention sincère d’exécuter ce qu’il avait spontanément juré à Messine. D’abord, les ho m mes qui avaient servi sous le roi Joachim, furent traités avec égard et conservés dans leurs emplois; les ventes des biens de l’état furent déclarées valides, la nouvelle noblesse fut reconnue; le système judiciaire et l’administration furent à peine modifiées.

Mais, au milieu de ces dispositions, qu’avouait la sagesse, deux erreurs principales furent commises.

La première fut d’accorder une faveur excessive à une foule d’individus, qui, sans aucunes qualités recommandables, ou qui, doués du plus mauvais caractère , n’avaient d’autre mérite que d’être allés en Sicile, ou d’être restés dans le royaume en continuelle opposition avec le gouvernement décennal. Plusieurs d’entr’eux furent placés dans l’armée; mais, s’il était raisonnable de récompenser avec discernement ceux qui avaient suivi le destin du roi, il était injuste et impolitique de leur accorder un rang d’ancienneté sur les militaires de l’époque décennale, préférant ainsi, dans les uns, l’oisiveté des garnisons aux travaux belliqueux des autres. Les faits postérieurs prouvèrent combien cette partialité du gouvernement était contraire à ses propres intérêts.

Voici la seconde erreur: le gouvernement, qui avait à peine touché à l’organisation judiciaire, ainsi qu’à l’administration civile, introduites par les Francis, voulut abolir totalement un excellent système militaire, également imité de cette grande et belliqueuse nation; et il y substitua des réglements impropres et des théories incertaines. En quatre ans, l’armée napolitaine subit cinq organisations différentes, et elle essuya toute espèce de privations, pour y introdu i re des économies impraticables, ce qui anéantit tout esprit militaire. Le gouvernement avait l’air de considérer l’armée uniquement comme une charge, pendant qu’il aurait dû s’en faire un soutien.

Outre ces fautes positives dans l’administration de l’état, d’autres causes indirectes contribuèrent encore à indisposer les esprits. On observa avec peine, dans les manières du roi, qu’il n’avait point oublié entièrement les chagrins de l’exil. Il accordait exclusivement ses bonnes grâces à ceux qui l’avaient accompagné en Sicile, ou bien à ceux qui, restés à Naples, s’étaient déclarés contraires à l’occupation française. Il n’adressait jamais la parole aux hommes du dernier gouvernement; et souvent, pour ne pas les regarder, il détournait le visage. Cependant, l’on ne pouvait douter qu’il ne sùt les apprécier, puisqu’il leur confiait des emplois et des commandements importans. Cette conduite ne serait pas à remarquer si elle n’eût réveillé les partis, en faisant naitre de l’inquiétude dans l’âme de ceux qui étaient dédaignés, et l’esprit de' jactance dans ceux qui étaient protégés.

Dès que le roi faisait une telle distinction, l’on ne doit pas s’étonner que les partis se soient perpétués parmi les citoyens. Ceux revenus de Sicile avaient intérêt d’alimenter cette disposition du roi, qui était un effet de l’habitude et de la prévention plutôt que d’un sentiment haineux. D’un autre côté, les hommes de l’époque décennale n’étaient point rassurés, en observant ces manières du roi, et surtout en entendant les discours imprudens des favoris, qui, se prévalant de cette distinction du roi, se permettaient de répandre: que le souverain souffrait avec peine les Muratistes, envers lesquels il avait été contraint d'user de quelque douceur; mais que le moment approcha il où on les verrait éloignés de tous les emplois, qui seraient accordés exclusivement aux véritables fidèles. Un pareil système porta le plus grave préjudice aux affaires publiques. Un grand nombre d’employés exercèrent dans leurs fonctions des actes arbitraires ou des prévarications, parce qu’ils se fiaient à la protection royale. D’autres cessèrent de remplir avec zèle leur emploi, parce que, craignant de le perdre, ils ne voulaient pas se faire des ennemis. D’autres enfin, pleins d’inquiétude pour l’avenir, se rendirent aussi coupables de vénalité, parce qu’ils se crurent obligés de prévenir leurs besoins futurs en accumulant les produits du crime.

Tant de relâchement et tant de fautes remplirent bientôt le royaume de confusion. Un homme intègre signalait-il la conduite coupable de quelque employé, l’autorité supérieure attribuait ses rapporta à l’esprit de parti, et elle ne les écoutait point. Disait-on à un ministre: “Tel employé fait un tort considérable dans l’exercice de ses fonctions.”—“Il a été en Sicile,” répondait le ministre, “le roi l'aime et il veut même l’avancer” Si d’autres employés, pour des délits trop notoires et trop scandaleux, étaient enfin traduits en justice, cette mesure devenait illusoire, parce que l’esprit de parti obscurcissait la vérité. Les délinquants étaient absous; et, sortant en triomphe d’un tel jugement, ils retournaient à leur poste avec une nouvelle sécurité sur leur conduite future. Or, de tels exemples d’impunité répandaient parmi les citoyens le mépris des lois et l’encouragement aux délits.

L’armée se ressentit également de ces désordres. Le supérieur militaire n’osait plus punir, ni même réprimander son subordonné, si ce dernier avait été en Sicile, et si lui-même avait servi l’autre gouvernement. Dans ce cas, le subordonné se croyait dispense de tout devoir d’obéissance, et de toute discipline militaire envers son supérieur; je citerai les faits suivans à l’appui de ce que je viens d’avancer.

A Capoue, un capitaine du régiment du roi tua publiquement, d’un coup de bâton, un vieillard de soixante-dix ans, gardien des édifices militaires. Il fut traduit devant un conseil de guerre séant à Capoue même et il fut déclaré innocent!…

Un officier de la commission d’habillement commit un vol considérable dans l’exercice de ses fonctions. Le délit fut découvert et il ne pût le nier. Cependant, il osa demander qu’on ne le mit pas en jugement, et il offrit de rembourser de suite au trésor le produit de sa prévarication. Le capitaine général accepta l’offre; mais le général qui présidait la commission s’y opposa vivement. U fit observer que la peine d’un vol ne pouvait «e borner à la simple restitution de la somme volée; que transiger avec le délit serait d’un funeste exemple. Le capitaine général se rendit à ces motifs; l’officier fut traduit devant un conseil de guerre; mais ce conseil le déclara innocent; il fut mis en liberté, et le gouvernement ne fut pas mème remboursé.

Un capitaine, en garnison à Gaëte, coupable d’une haute négligence dans ses devoirs, fut légèrement puni par le gouverneur-général de cette place. Il osa écrire au général une lettre pleine d’arrogance, qui finissait par ces mots: “Le roi me connaît bien, ainsi que ma famille et notre fidélité; et il vous connaît pareillement.” Il ne fut point permis de traduire en jugement ce capitaine; et peu, de jours après, une lettre officielle, pleine d’un ton de protection, demanda s’il avait même été délivré des arrêts simples.

Un plus grand désordre encore s’était introduit dans les autres branches d’administration. Le voleur, le meurtrier, le bandit, venant à tomber entre les mains de la justice, n’était souvent condamné que parce qu’il manquait d’argent; mais, dans les cas contraire, il était presque toujours absous. de retour chez lui, le premier usage qu’il faisait de sa liberté était de commettre des massacres ou des incendies contre ceux qui avaient osé déposer à charge contre lui. Ainsi, l’on se vit privé souvent des moyens d’acquérir des preuves légales contre les crimes les plus flagrants et les plus atroces; alors, les citoyens paisibles, les propriétaires aisés, voyant tant de faiblesse dans l’exécution des lois et tant de moyens d’impunité chez les malfaiteurs, transigeaient avec eux, les cachaient lorsqu’ils étaient poursuivis, les protégeaient lorsqu’ils étaient en jugement. Ainsi, le métier de bandit devint le métier le plus agréable pour tout homme qui n’était pas retenu par le frein de la religion ou de la morale. de tels hommes étaient protégés; ils étaient pourvus abondamment de tout; ils se livraient presque impunément à tous les excès de la débauché et de la vengeance; et du reste, ils couraient peu de risques, parce qu’ils répandaient la terreur par leurs cruautés. D’ailleurs, tenant toujours en réserve une partie de l’argent volé, ils achetaient les voix de quelque juge, ou les certificats de quelque fonctionnaire, s’il leur arrivait, par hasard, d’être arrêtés.

Les circonstances que nous venons d’exposer anéantirent presque toute morale publique chez un peuple enclin par le climat à l’indolence et aux jouissances, et qui, dans l’espace de quinze ans, avait subi deux invasions étrangères et deux restaurations, causes qui contribuent tant à la démoralisation des peuples.

Tous ces maux avaient leur source principale dans l’aveugle propension du roi pour ses compagnons d’exil, et dans son aversion pour les hommes nouveaux. Deux partis s’étaient élevés; la trop grande sécurité des uns, la perplexité des autres engendrèrent confusion et vénalité. La loi fut éludée, on ne respecta plus que les formes. L’épée de la justice, une fois brisée, le délit ne connut plus aucun frein; les juges ne punirent plus les coupables, et les coupables eux-mêmes devinrent le fléau des honnêtes gens.

Puisque le gouvernement, oubliant les principes de justice et d’utilité publique, ne voulait point apprécier; le mérite et punir les fautes sans distinction des partis, il devait du moins dissimuler des sentiments funestes à la paix des citoyens et à la sûreté du trône. Enfin, s’il ne pouvait s’y résoudre, il devait éloigner des emplois tous les hommes qui en avaient occupé durant son absence. Pourquoi leur laisser le pouvoir, tandis qu’il s’en faisait des ennemis? Mais les causes que nous avons exposées jusqu’ici ne furent pas les seules qui produisirent le vertige politique de 1820; nous arrivons au développement des autres.

En premier lieu, vers le commencement de la restauration, songeant sans doute à la possibilité de quelque crise politique, on avait cru utile, dans l’intérêt de la monarchie, de ranimer la Chaudronerie, sorte de société secrète opposée à celle si connue sous le nom de Charbonnerie. Cette secte des Chaudroniers avait, dit-on, pris naissance en Sicile, où elle fut d’abord presque entièrement composée de transfuges napolitains, pour la plupart gens sans foi, et éloignés de leur patrie pour des faits ignominieux.(1) On présume qu’elle fut ensuite propagée par de tels hommes dans la partie continentale du royaume. On y avait admis des individus des familles les plus obscures, de la moralité la plus corrompue, et tous ceux qui, dans les troubles de 1799, et dans les moments difficiles du règne de Joachim, s’étaient signalés par leur férocité, par la trahison, par le vol et par l’assassinat.

Or, la connaissance des réunions secrètes de cette masse impure, les qualités détestables de ceux qui la composaient, le souvenir de leurs excès, la protection qu’on semblait leur accorder, et surtout leurs discours menaçans, firent craindre qu’on nourrit le dessein d’une réaction politique. Les hommes de bien, et surtout les propriétaires, en furent alarmés. On songea alors à se préserver par un moyen de même nature; le désir de la conservation fut donc le premier mobile qui porta à taire revivre la secte des Charbonniers, qu’on pouvait alors regarder comme éteinte. Le premier objet des réunions de la Charbonnerie, à cette époque, ne fut qu’un moyen d’opposition des gens de bien et des propriétaires de chaque commune, aux projets de pillage, de meurtre et d’incendie, presque publiquement annoncés par les Chaudronniers.

Quant à l’origine de la Charbonnerie elle-même, elle n’est point ancienne dans le royaume de Naples. Les avis ne sont pas d’accord sur l’époque et le mode de son introduction. L’opinion la plus commune est, qu’en 1807,quelques officiers d’un bataillon Suisse, au service de France, l’établirent à Capoue, d’où elle s’étendit ensuite dans tout le royaume.

On dit que les deux sectes opposées dont il s’agit ont l’une et l’autre des symboles religieux, exprimés par des gestes et des paroles, et que les haute secrets ne sont connus que de ceux qui. occupent les grades élevés.

Il parait aussi que l’espérance d’une constitution tempérée attira de nombreux prosélytes à la secte de la Charbonnerie. On prétend encore que, sous le règne même de Joachim, un homme. Puissante et étranger en connut les principes, qu’il la protégea, et qu’il espérait en faire l’instrument de sa propre élévation. On assuré également que les ennemis de Joachim, connaissant l’influence de la Charbonnerie, s’en servirent contre lui en 1814 et 1815. Je ne puis garantir ces assertions; mais ce qui est très-certain, c’est que les Charbonniers détestaient le gouvernement décennal. Ils se révoltèrent contre ce gouvernement dans la Calabre en 1812, et dans les Abruzzes en 1814. L’événement fut malheureux; les uns perdirent la vie, d’autres souffrirent des peines cruelles. Ils s’en vengèrent en 1815, en occasionnant la dissolution presque entière de l’armée, qui, malgré la déroute de Tolentino, et d’autres revers, avait encore vingt mille hommes en traversant les Abruzzes, et qui en comptait à peine trois mille cinq cents en quittances provinces.

Mais à la restauration de 1815, les Charbonniers avaient suspendu presqu’entiérement leurs travaux et leurs venta; c’est-à-dire que leurs réunions mystiques avaient cessé presque généralement. Ce fait fut vraisemblablement le résultat des causes suivantes: de la terreur qu’inspirait la présence d’une armée étrangère, du serment.de n’appartenir à aucune secte, exigé pour obtenir les honneurs, les emplois et les pensions, enfin, de l’espérance prochaine d’une constitution, espérance fondée sur une proclamation du roi. L’esprit de secte était donc assoupi dans le royaume; il fut donc réveillé par ceux qui propagèrent de nouveau lés Chaudronniers; or, j’ai déjà exposé comment la crainte que donnaient ces derniers sectaires fit renaître la Charbonnerie, et comment elle opéra la collision des deux sectes.

On est fondé à croire qu’à cette époque la Charbonnerie comptait peu d’individus; die n’avait point encore accueilli dans son sein tant de prolétaires et d’hommes sans aveu, dont nous l’avons vu remplie dans un temps, où, loin d’agir dans le mystère, on se faisait gloire d’appartenir à cette secte, alors triomphante, mais infectée de corruption.(2) On sait que le caractère essentiel de toutes les sectes est de vouloir se propager; un motif particulier y portait encore les Charbonniers; ils aspiraient à devenir plus nombreux que leurs adversaires, les Chaudronniers; et ce désir fit naître la fureur des réceptions.

Malheureusement, il existait alors un grand mécontentement parmi la jeunesse militaire, parce qu’elle se trouvait arrêtée dans son avancement. En effet, ceux qui avaient été officiers sous Murat, ceux qui l’étaient en Sicile, ceux qui l’étaient devenus parce qu’ils avaient pris momentanément les armes pour le Roi en 1799, ou pendant la dynastie française, furent presque tous également compris dans le cadre étroit de la nouvelle armée. Il eût été convenable peut-être de récompenser par le fait le dévouement des deux dernières classes, mais il était impolitique de consacrer en leur faveur le principe d’antériorité pour les promotions. Dans lé premier cas, les jeunes gens n’auraient vu qu’un tort passager; dans le second, ils virent d’abord le tort présent, et s’inquiétèrent encore pour l’avenir. Ils virent qu’une quantité si énorme d’officiers était un obstacle à leur carrière, et se voyant fixés pour toujours dans leurs grades, ils perdirent l’élan de l’espérance. Ce système erroné fut donc une source de dégoûts pour la jeunesse militaire.

Quant au teste des jeunes gens, ils se virent également arrêtés dans leur carrière; car, aussitôt qu’une place était vacante dans les autres branches de l’administration, elle était presque toujours le partage exclusif d’un petit nombre de familles protégées.

Si, du moins, le gouvernement eût facilité l’aliénation des biens du domaine, en accordant un délai aux acquéreurs, la jeunesse eût pu se tourner vers leur acquisition et s’adonner à la culture des terres. Mais il voulut obstinément, l’on ne sait trop pourquoi, les vendue comptant. Cette tante porta en outre préjudice au trésor, puisque, >ces biens étant à la saule portée des >possesseurs> de numéraire, ils durent se vendre à plus bas prix.

De telles causes contribuèrent beaucoup à augmenter le nombre des réceptions charbon, niques. La jeunesse fut avide d’être initiée dans cette secte, soit qu’elle fut entraînée par les idées libérales, soit qu’elle fut séduite par l’espérance des places, soit uniquement parce qu’elle était mécontente, soit enfin, parce qu’elle y était poussée par l’ennui et l’oisiveté. La secte l’accueillit avec joie.

L’occasion détermine au mal, et conduit l’homme à des actions condamnables. Ces réceptions Charbonniques devinrent l’objet de spéculations vénales; quelques-uns des sectaires, élevés en grade, initièrent dans les mystères de la Charbonnerie quiconque donnait une somme proportionnée à ses facultés. L’aveugle cupidité admit sans distinction les bons et les méchants, extorquant moins du pauvre et plus du riche. L’or devint le titre de réception dans une secte qui se disait fondée pour le bonheur de l’humanité, et sur les dogmes du Christ. de nombreux émissaires étaient continuellement en tournée pour fa ire de nouveaux prosélytes, sans y mettre aucun choix.

Mais il y a bien plus encore: plusieurs des membres les plus corrompus de la secte de Chaudronniers, jugeant que les espérances de la Charbonnerie étaient mieux fondées que celles de leur propre secte, ils désertèrent leur parti pour entrer dans la secte opposée, où on le reput sans examen moyennant une rétribution.(3) Ce fut ainsi que la Charbonnerie accueillit en foule et des hommes vains ou dépourvus d’intelligence, et des intrigants ou des hommes dissolus; enfin, les hommes les plus méchants et remplis des intentions les plus criminelles. Ainsi, l’on voit que la secte Charbonnique présentait un mélange incohérent de quelques hommes vertueux, avec beaucoup d’hommes faibles et de pervers.

D’après quelques renseignements, obtenus dans les cinq mois de mon ministère, je suis porte à croire qu’avant le deux Juillet 1820, la vingt-cinquième partie du peuple, tout au plus, entre le Phare et le Tronto, appartenait à la Charbonnerie. Dans l’armée, aucun général ni colonel n’y appartenait encore. Quelqu’autre officier supérieur, peu de capitaines, divers officiers subalternes, et un grand nombre de sous-officiers y étaient initiés. Cependant, quoique beaucoup d’autres hommes, instruits par l’étude, l’expérience ou les disgrâces, eussent en horreur les associations secrètes, comme tendant à la révolte et au renversement des liens sociaux; quoiqu’ils fussent également opposés et aux Charbonniers et aux Chaudronniers; cependant, au milieu des réunions de chacune de ces sectes, on se persuadait et l’on ne craignait pas d’affirmer que telle ou felle personne qui n’était point initiée, n’y serait point contraire dans l’occasion. Ainsi, la nation entière, aux yeux des sectaires, semblait divisée en deux grandes factions, dont l’une appartenait à une secte et l’autre à la secte opposée.

L’esprit de parti, dérivant des précédentes discordes civiles, ou de l’état actuel des sectes, fut porte à un tel point, que toute mesuré d’ordre public fut paralysée. Si l’on décernait un ordre, ou même un mandat d’arrêt pour quelque délit contre un sectaire, il en recevait de suite avis par d’autres sectaires qui occupaient des emplois subalternes dans l’administration. Si quelqu’un d’eux se trouvait poursuivi parla force publique, et s’il était prêt à tomber dans ses mains, il faisait le signe symbolique, et il obtenait les moyens de se sauver. Enfin, s’il parvenait jusques devant un tribunal, il y trouvait de la même manière secours et faveur.

Le gouvernement fut donc le premier auteur du mal, soit par son indolence, soit par un mauvais système, en détruisant l’effet salutaire que le peuple avait droit d’attendre de lois excellentes et d’institutions libérales, dont l’exécution resta, en général, confiée à des agents infidèles ou incapables.

Ces lois et ces institutions, précieux héritage du régime français, nous avaient procuré plusieurs des avantages d’une constitution; elles nous furent conservées de droit, mais trop souvent elles devenaient nulles ou inefficaces dans l’application. La féodalité restait abolie, l’égalité légale était proclamée, l’autorité respectait directement les personnes et les propriétés; mais une inquiétude générale était produite par les prévarications impunies de ses agents secondaires, et par le relâchement général dans l’administration publique. Chacun sentait qu’il manquait une garantie aux droits dont on jouissait encore. Il était donc indispensable, avant tout, de faire une réforme' parmi les employés du gouvernement; et ensuite, il n’est pas douteux qu’un changement politique, accordé volontairement, n’eût été extrêmement convenable. On en sentait à un tel point la nécessité, que, malgré les prétextes qu’on trouvait dans la prétendue contrariété du roi et dans un article secret avec l’Autriche, on fut sur le point de nous accorder une sorte de représentation nationale, dont on eût pris les éléments dans la grande-chancellerie, alors existante. Le nombre de ses membres eût été porté à soixante; elle aurait en voix consultative dans ks matières législatives; les discussions auraient été publiques et l'on aurait pu les imprimer. C’eût été peu de chose, il est vrai, mais cela eût servi, du moins, à prouver combien les peuples ont raison de vouloir des constitutions, et combien cela est dans le seps de la justice, puisque les hommes mèmes, qui, par intérêt particulier, s’y opposent, ne peuvent pas se dispenser de créer des fantômes de représentation nationale pour en imposer du moins aux peuples.

Mais, d’un autre côté, était-il sage de vouloir obtenir la liberté par des moyens extrêmes; et ne devait-on pas songer qu’on abusa presque toujours de la liberté qui naît du sein des orages populaires? Cette triste vérité, qui ressort de toute l’histoire, ne sors que trop prouvée de nouveau par la seconde partie de ces mémoires. N’était-il pas téméraire qu’une petite nation, divisée en partis, manquant de presque tous les moyens de défense, formât seule une entreprise à la quelle devaient nécessairement s’opposer les plus grandes monarchies de l'Europe?

Ce désir d’un régime constitutionnel était surtout extrêmement vif parmi les propriétaires fonciers. Entr’autres motifs généraux, en voici un d’une nature particulière à cette classe: l’arrivée des grains de Crimée dans le royaume, dont la principale richesse consiste en céréales, mit une grande disproportion entre le produit des terres et leurs charges. Les propriétaires et leurs clients en ressentirent les tristes effets; et ils espéraient trouver un remède à ce mal dans une constitution qui fournirait les moyens de contrôler les dépenses du gouvernement, de le forcer à l’économie, et de diminuir ainsi le poids qui pesait sur les fortunes particulières.(4) Dans le fait, les impositions étaient trop fortes, et il paraissait extraordinaire qu’ayant été établies en temps de guerre, sous le gouvernement transitoire, elles fussent conservées sur le même pied, en temps de paix, et sous le gouvernement légitime.

Mais la cause principale, peut-être, qui faisait désirer un changement politiqué, était l’espoir d’une plus grande indépendance, que les provinces voulaient obtenir à l’égard de la capitale et les communes à Edgard de l’administration provinciale. Un bon système municipal aurait achevé ce qui n'avait pu être terminé sous la domination française, pour relever les provinces et les communes de l’état de barbarie où elles avaient été retenues par l’influence démesurée de Naples et par les institutions féodales. Toutefois, l’on verra plus tard que, durant le régime constitutionnel, cet esprit de localité se montra exagéré par mi les oligarques provinciaux, qui tendaient à une émancipation totale, ou à un fédéralisme absolu.

Tel était, à peu-près, l’état dés hommes et des choses dans le royaume de Naples au commencement de 1820. La masse des citoyens désirait une constitution, mais elle était loin de vouloir l’obtenir par la révolte. Cependant, les sectaires devenaient chaque jour plus audacieux et plus nombreux. Les citoyens paisibles étaient alarmés; vainement des fonctionnaires réitéraient leurs avis et leurs rapports sur les dangers que courait l’organisation sociale: le gouvernement restait plongé dans une apathie profonde. On pourrait dire, à son éloge, qu’il manifestai de la modération, et même du libéralisme; mais ces qualités ne doivent pas dégénérer en inertie: elles doivent s’allier à la fermeté nécessaire pour prévenir ou arrêter les abus. Le gouvernement voulait, à certains égards, le bonheur du peuple; mais il n’amena que sa perte, car rien n’est plus vrai que cette pensée d’un homme d’esprit de notre temps:

L’ambition des sujets ne se nourrit que de la faiblesse des rois. Par une felle conduite, il conspira vraiment contre lui-même; un amas immense de matières combustibles était préparé, il ne fallait plus qu’une légère étincelle pour l’enflammer, et pour produire un vaste incendie.

Jusqu’à présent, je devais insister sur les causes générales qui ont amené les événemens particulière que j’ai à décrire, et j’ai pu donner une marche plus rapide à mon récit. Maintenant, à mesure que j’aborderai les particularités de mon sujet, je serai obligé d’entrer dans plus de détails, et de présenter, quelquefois, des faits qui sembleraient de peu d’importance; mais on s’apercevra par la suite que la connaissance de ces faits était indispensable à l’intelligence complète d’événemens plus importans. J’ose aussi espérer qu’on voudra bien me pardonnerai, trop souvent, je suis forcé de parler de ma coopération à des événemens si déplorables, et à l’égard desquels mon caractère a été si cruellement dénaturé ou méconnu.

En 1819, on aperçût quelques faibles traces de Charbonnerie dans un régiment de cavalerie qui était en garnison à A versa, ville comprise dans mon commandement militaire. J’arrêtai avec vigueur la première tentative de réunion. Le plus ardent sectaire fut éloigné, les autres furent menacés et surveillés; le capitaine-général Nugent, le. colonel Russo, qui commandait ce régiment,.et Monsieur Patrizi, alors directeur de la police, eurent connaissance de ces faits.

Dans le commencement de 1820, les idées de Charbonnerie commençaient à transpirer dans les conversations. Le colonel Casella, commandant le régiment du roi, infanterie, corps appartenant à mon. inspection, me demanda comment il devait s’y prendre pour maintenir ses subalternes dans l’observation de leurs devoirs, et pour leur éviter des erreurs où de nombreux sectaires cherchaient à les entraîner par toutes sortes d’illusions. Je lui dis qu’il devait sans cesse leur répéter: que la force armée ne doit pas se mêler de semblables objets; qu’autrement, l’ordre social serait gravement compromis. J’ajoutai qu’il pouvait ci ter, dans toute l’histoire, mille exemples funestes de l’intervention militaire dans les révolutions politiques. Je donnai même au colonel, affin qu’il s’en servit à l’occasion, l’ouvrage d’un publiciste célébré de nos jours, dans lequel il est dit positivement, que la force armée ne doit, sous aucun prétexte, se faire l'instrument d’une révolution. Enfin, je lui déclarai que, dans le cas où la persuasion n’aurait pas son effet, j’étais décidé à employer les voies de rigueur.

En Mai de la mème année 1820, l’on me rapporta que, dans le conseil du roi, l’os avait dit que divers agitateurs parlaient de changemens politiques, et qu’on me nommait comme étant favorable à leurs projets. Dans le même conseil, il est vrai, l’on avait aussi observé que les factieux abusent souvent de certains noms pour donner du crédit à leurs machinations, pour faire des prosélytes, pour augmenter le courage dans les uns et dissiper les craintes des autres; qu’ainsi, malgré de telles insinuations, l'on ne devait élever aucun doute contre moi.

Lorsqu’on me rapporta ne fait, dont je ne garantis point, toutefois, la certitude, je me rendis auprès du capitaine-général Nugent, auquel j’exposai que, pour éloigner du gouvernement tout soupçon à mon égard, je le priais de m’accorder un congé de six mois, ou d’une année, pour tel lieu que le roi jugerait convenable hors du royaume. Le capitaine-général me répondit que je pouvais rester tranquille, attendu que le roi avait pleine confiance dans la loyauté de mes sentimens.

Peu de jours après cette conférence avec le capitaine-général, je reçus la visite de Monsieur Deconcilii, alors lieutenant-colonel, et chef d’état-major de la 3ème division militaire. En me parlant des nouvelles du jour, il me dit avoir lu, dans un journal français, que les grands monarques d’Europe, et notamment l’Empereur de Russie, avaient déclaré qu’on ne devait pas s’ingérer dans les affaires intérieures d’un autre peuple. Il en conclut toujours sur le ton d’une conversation générale, que si un peuple tentait une révolution pour changer son système politique, il n’aurait à combattre que l’opposition de son propre gouvernement. Il ajouta que l’assertion du journal français ne pouvait être mise en doute, puisqu’elle eût été démentie par les autres journaux, si elle eût été fausse. Je lui répondis que, dans un pays où existait la liberté de Iti presse, il n’était pas difficile de se livrer à des suppositions, et que le journal français était, d’ailleurs, pleinement réfuté par celui des deux Siciles, dans lequel il était dit que, Sous peu de temps, il se réunirait à Paris un congrès des ministres des premières puissances de l’Europe, afin de décider comment Con devait considérer les derniers événemens de la péninsule Espagnole.(5)

Deconcili me demanda, avec empressement, un exemplaire de ce journal, et je satisfis à sa demande. J’ignorais alors la cause de tant d’empressement, ainsi que le but de ses discours. Mais, durant le régime constitutionnel, j’ai su de lui-même, qu’après avoir eu cette conférence avec moi, il était allé à Avellino pour en rendre compte aux chefs de la conspiration et leur montrer le journal. Il ajouta qu’ils avaient été si atterrés, que, de suite, ils avaient fait rappeler beaucoup d’émissaires, déjà mis en mouvement pour faire opérer une révolution le vingt-neuf de Mai, et que, pour faire suspendre les opérations commencées, dont la ligne était très étendue, ils avaient dépensé quinze cents ducats. Il me dit aussi, qu’ayant été invité une seconde fois à entrer dans les desseins des conspirateurs, il avait répondu au général Pepe qu’il voulait prendre mon conseil; mais que ce général l’avait menacé de ne plus rien lui confier s’il persistait dans l’intention de m’en faire part; et que, depuis ce temps là, il s’était abstenu de me voir. Tout ceci prouve, que, même en l’ignorant, je déconcertai alors le pian de la révolte; et cela prouve encore que les conspirateurs, bien qu’ils se vantassent de me compter dans leurs rangs, étaient bien loin de me croire favorable à leurs vues, ni de vouloir que j’en eusse connaissance.

Après l’exposé de ces premiers faits particuliers, destinés à faire voir quelle fut ma manière d’agir avant que le mouvement révolutionnaire éclatât, et pour mieux faire juger les circonstances qui le précédèrent immédiatement, il est nécessaire de revenir un instant sur les données générales que j’ai déjà présentées, quant au nombre et à l’audace des Charbonniers, à l’apathie du gouvernement, et à l’agrégation d’une grande partie des militaires à la Charbonnerie. On concevra, qu’avec de tels éléments, une révolution ne pouvait tarder à éclater. Dans les entreprises populaires, quand les choses sont parvenues à un certain point, ceux qui les ont préparées ne sont plus les maîtres d’en fixer l’époque, ni de diriger le mouvement et d’en arrêter l’impétuosité; aussi, dans cette grande machination politique, préparée par tant de moyens divers, ce ne furent pas les chefs qui déterminèrent le jour n de l’exécution. On a su depuis, qu’ils en avaient fixé l’époque seulement pour le mois de Janvier 1821, et qu’ils partagèrent la surprise générale de Voir commencer l’opération le deux Juillet 1820. Voyons comment ce mouvement révolutionnaire fut accélérée.

A Nola, se trouvait alors, languissant dans le dégoût et la nullité, une réunion d’hommes, à qui l’on voulait bien donner le nom de régiment Bourbon cavalerie, quoi qu’ils fussent presque sans-chefs, sans discipline, sans instruction, sans uniformes; et, quoi qu’ils n’eussent qu’un très petit nombre de chevaux dépourvus de harnachements. Ce prétendu régiment avait été commandé, jusques vers la fin de 1820, par un colonel, qu’on voulut obstinément conserver, uniquement parce qu’il avait été en Sicile, et quoique l’inspecteur-général de cette arme, ainsi que le capitaine-général, l’eussent toujours regardé comme incapable du commandement qu’on lui avait confié. Une prédilection aussi aveugle, quoique paraissant alors de peu d’importance, contribua cependant beaucoup à accélérer la révolution.

Ce colonel, dans des vues d’ambition personnelle, résidait toujours A Naples, où il rendait des services presque serviles à une personne puissante, dont il espérait de l’avancement. Gomme il était fortement protégé, tous les ordres du capitaine-général, pour le faire rester à son poste, demeurèrent sans exécution. Son absence occasionnait l’éloignement des autres officiers, tant supérieurs que subalternes, du même corps; et les sous-officiers et soldats se trouvaient ainsi livrés à eux-mêmes, sans frein et sans guide.

Un tel abandon permit à beaucoup de sous-officières de s’affilier aux ventes charbonniques qui existaient à Nola. Les réunions se tenaient le plus souvent dans la nuit, après l’heure de la retraite. Les sous-officiers, en sortant de ces réunions, avaient coutume de courir la ville jusqu’à une heure avancée de la nuit, ou de se rendre dans des lieux de débauché.

Vers le vingt de Juin, le commandement du régiment de Bourbon cavalerie fut donné à un autre colonel, qui, voyant le mauvais état de ce corps, voulut y rétablir la discipline, et commença par défendre aux sous-officiers de sortir après la retraite. Ceux-ci, accoutumés à une licence effrénée, éprouvèrent un grand mécontentent de cette prohibition, et ils le témoignèrent à des sectaires bourgeois de la ville de Nola, parmi lesquels se trouvait le prêtre Minichini, homme de peu de fortune, mais plein d’audace et d’ambition. Cet homme crut pouvoir profiter du dégoût de ces sous-officiers; il leur proposa d’opérer une nombreuse désertion, comme un moyen de parvenir au renversement de l’ordre actuel. Environ quinze d’entr’eux résolurent d’exécuter ce projet; mais voulant avoir à leur tète un homme d’un grade plus avancé, ils en firent part à un sous-lieutenant de leur corps, nommé Morelli, homme sans instruction, sans usage du monde, et privé mime de la qualité indispensable du soldat. On assure que le désordre des affaires privées de cet officier fut un des motifs puissants qui le conduisirent à accepter cette proposition. Il communiqua son dessein à Silvati, autre sous-lieutenant du mime corps: et ce furent de tels hommes, en si petit nombre, qui décidèrent du sort du royaume, et qui auraient pu influer sur celui de l’Europe! Tant il est vrai qu’aux plus petites causes se rattachent quelquefois les plus grands événemens.

Le matin du deux Juillet, les sous-officiers conjurés éveillèrent à la hâte les soldats qui dépendaient d’eux, et ils leur ordonnèrent de se rendre aux écuries pour s’apprêter au départ. bientôt, ils montèrent à cheval avec cette soldatesque et les deux officiers sus-indiqués, et ils s’acheminèrent vers Monteforte. Les soldats croyaient exécuter un ordre régulier du commandant du corps. Le détachement,' y compris les deux officiers, ne s’élevait qu’à cent vingt-sept hommes; mais il composait la force ré elle du régiment Bourbon, puisque la masse, restée à Nola, était incapable de tout service. A peu de distance de cette ville, le prêtre Minichini se joignit au détachement. Il était accompagné de dix bourgeois seulement de Nola, quoique, pour engager les militaires à ce pas inconsidéré, il leur en eût promis cinq cents. Pendant la marche, on arbora une bannière à trois couleurs, lesquelles étaient le symbole de la secte charbonnique. En passant par les villages, quelques sous-officiers et quelques bourgeois élevèrent le cri de Vive la constitution, et un petit nombre de spectateurs y répondirent.

Ce fut alors que les soldats virent de quoi il s’agissait; plusieurs tentèrent de s’éloigner, mais ils furent retenus par les menaces et. les coups des sous-officiers. Un seul réussit à s’échapper. Je l’examinai le soir du deux Juillet, au moment de son arrivée à Naples. Il me rapporta qu’il avait quitté le détachement à Mercogliano, commune située à deux milles du chemin consulaire, dans laquelle les autorités avaient été forcées de donner les vivres et le fourrage; et il ajouta que le détachement s’était augmenté d’environ cent hommes, d’infanterie de ligne; il se trompait sur la qualité de ces hommes, qui, dans le fait, étaient des miliciens des communes environnantes.

Les déserteurs s’arrentèrent près de Mercogliano; et Morelli dépêcha un messager à Deconcili, qui était dans Avellino. Celui-ci se trouva d’abord fort embarrassé. Il se rendit cependant dans un lieu très-solitaire, pour s’aboucher avec Morelli. A peine le vit-il qu’il s’écria: «Qu’avcz-vous donc fait?» Morelli p&lit à cette exclamation, et Deconcili lui dit de retourner auprès de sa troupe, d’attendre quelque temps, et qu’il lui promettait sa coopération.

Ce jour-là plusieurs messages furent envoyés de part et d’antre; et, dans tous, se manifestai la même incertitude de résolution. Une incertitude pareille régnait à Naples dans le gouvernement, qui, ayant eu connaissance de la désertion à dix heures du matin, perdit à délibérer un temps précieux qu’il fallait employer à agir.

Les déserteurs furent encouragés par la lenteur du gouvernement, et décidés même par l’état désespéré où ils se trouvaient. Le soir même du deux Juillet, ils réunirent leurs forces, montant déjà à environ trois cents cinquante hommes. Ils les disposèrent sur les positions de Monteforte, au milieu desquelles on s’avance, pendant près d’un mille, en montant le grand chemin qui se trouve, durant tout cet espace, domine par des hauteurs inattaquables, couvertes de bois épais, et dont il est séparé par des ravins profonds et difficiles. Ils coupèrent le grand chemin sur plusieurs points, et ils établirent des abbatis d’arbres à de petites distances.

Voyons, maintenant, quelles furent les mesures du gouvernement: le matin du deux Juillet, à dix heures, la nouvelle de la désertion était parvenue à Naples, comme nous l’avons dit précédemment; maison avait d’abord perdu plusieurs heures à des communications et à des réunions ministérielles. En attendant, l'on ne décidait rien de positif sur une affaire aussi grave et qui exigeait un remède aussi prompt. L’indécision était encore augmentée par l’absence du Roi, qui s’était embarqué dans la matinée même, pour aller à la rencontre du prince royal, son fils, qui revenait de Palerme.

Sur les midi, le capitaine-général assembla cinq lieutenants-généraux, inspecteurs d’armes, les généraux Fardella, d’Ambrosio, Filangieri, le Due d’Ascoli, et moi. Il nous apprit la désertion,,et requit nos conseils.

D’après notre connaissance de l’esprit public et du nombre des sectaires, nous prévîmes de suite quelles pouvaient être les funestes conséquences d’une pareille secousse. Il est même tel d’entre nous qui prédit positivement: Qu’après beaucoup de désastres, nous finirions par une mine totale, c est-à-dire, par l'occupation étrangère. On fut d’opinion que le général Pepe, alors à Naples, partirait de suite pour Avellino, où il avait long-temps commandé, afin de contenir la population ainsi que les troupes, et de faire tout son possible pour l’arrestation des déserteurs.

Pour investir le général Pepe d’une telle mission, l’autorisation du gouvernement était nécessaire; mais le capitaine-général crut que l’on adhérerait, sans hésiter, à sa proposition.

Il flt donc appéter le général Pepe; il lai di t de se tenir prêt à partir, et d’attendre seulement la sanction d u gouvernement. Il le chargea, en même temps, d’écrire à Avellino au général Colonna, commandant la principauté intérieure, pour lui ordonner de réunir les troupes, de maintenir le boa ordre avec les autres autorités, et de tout faire pour arrêter les déserteurs. Le général Pepe écrivit une lettre, qui fut envoyée de suite, et qui respirait tant de zèle pour le gouvernement, que, plus tard, dans fa période constitutionnelle, quelques démagogues, voulant s’attribuer le mérite d’être les première auteure de l’insurrection, s’appuyaient sur cette lettre pour prouver que le général Pepe n ’en avait pa s été le promoteur, et qu’on devait, au contraire, lui reprocher d’avoir voulu l’arrêter à sa nais s ance.

Quoi qu’il en soit, le capita i ne-général, qui était allé à la cour, revint bientôt no u s annoncer que le gouvernement avait désapprouvé n otre avis. Il fit, en conséquence, rappeler Pepe; et, avec tous les ménagements possibles, il lui flt part de son désappointement. Pepe ne s’abusa pas sur la cause de ce refus, car il sentit bien qu’on se défiait de lui. Il en fut piqué à l’ extrême; et, depuis ce moment, comme on l’a su par la suite, il ouvrit une correspondance avec ceux de Monteforte; il le s encourage s et les avertit de tout ce qui se passait.

L’opinion des cinq lieutenants -généraux, pour l’envoi du général Pepe contre les déserteurs, était-elle sage ou fa u tive? Alors, aucune raiso n à nous c onnue, ne militait contre ce général; le capitaine-général lui-même n’y vit aucune espèce d’objection. Cha c un de nous pensait que le général Pepe pouvait mieux qu’un autre appaiser un mouvement dans la division qu’il avait long temps commandée, et dans laquelle il connaissait les hommes et les choses. Sis donc, cette opinion fui rejetée par des motifs qui n’étaient connus que du gouvernement, on ne peut en faire un crime à ceux qui l’avaient é mise.

D’un autre côté, peut-on assurer que le rejet de la proposition du capitaine-général ne f û t pas une f aute? Il est certain que le général Pepe désirait une constitution, mais on ne peut en déduire qu’il aurait abusé de la confiance que le souverain lui eût accordée. Dans tous les eas, on ne peut douter que le refus du gouvernement ne fût, an moine, une des c auses qui poussa Pepe dans les rangs des insurgés, puisqu’elle ajouta le dépit à son penchant antérieur.

Mais le gouvernement pouvait-il adopter quelque autre mesure? Pouvait-il, par exemple, envoyer concurremment avec le général Pepe, une autre personne chargée de la direction principale des opérations, et qui l’eût en même temps surveillé? peut-être cette demie-mesure eût-elle également blessé son amour-propre. Mais, dans tous les cas, ce qu’il y a de certain, c’est, qu’ayant été conduit à lui faire un affront si sensible, et dès qu’on avait tant de défiance, il fallait s’assurer de sa personne, pour ne point le laisser libre d’agir dans des momens aussi critiques. Enfin, quoiqu’on puisse penser à cet égard, le gouvernement devait au moins prendre, à l’instant même, une résolution quelconque; mais il n’en prit aucune, et il rejeta tous les avis.

Il est vrai qu’on me désigna, six heures après, pour la mission qu’on n’avait pas cru devoir confier au général Pepe. Ce retard était déjà fata l ; mais, chose incroyable 1 ce ne fut que le lendemain matin qu’on me délivra l’ordre effectif du départ. Le soir du deux Juillet, il y avait cercle à la cour, j’y rencontrai le capitaine-général, et ce fut là qu’il m’annonça que le roi m’avait destiné à aller à Avellino, Il ajouta que je recevrais, dans la nuit même, l’ordre par écrit, et qu’ensuite je partirais. Pourquoi ne pas me dire de partir à l’instant et qu’on m’expédierait l’ordre ensuite?.... Sans doute, le gouvernement avait eu l’idée de m’envoyer, mais peut-être il h ésitait encore, car il avait aussi de la défiance contre moi; on verr a, par la suite, que ce sentiment a influé sur toutes les opérations du gouvernement à mon égard pendant ma courte mission.

J’employai une partie de la nuit à écrire des ordres pour, le général Colonna, pour l intendant de la principauté ultérieure, et pour le général Campana. Ce dernier commandait par intérim la quatrième division militai re, en expectative du général Nunziante, et fut chargé par le gouvernement de concourir à la répression des insurgés, en opérant par la vallée de Solofra. Dans le fait, le Lundi matin, trois Juillet, il y eût de ce côté là une escarmouche, dont l’avantage positif ne resta à aucun des partis, mais dont le résultat fut très important pour les déserteurs, en ce qu’il leur donnait la réputation de ne pas avoir été battus, ce qui détermina les habitans de ces environs à se déclarer pour eux. Le général Campana, s’apercevant d’un tel résultat, et voyant d’ailleurs quel était l’esprit de sa troupe, crut convenable de se retirer, ce qui enorgueillit le parti contraire, et contribua à ses progrès ultérieurs.

Dès la nuit précédente, j’avais ordonné au major Lombardo de me précéder, et j’avais écrit une lettre au capitaine-général pour l’informer de mes dispositions (voyez Pièce première). Les observations de cette lettre sur le retard si préjudiciable de recevoir mes ordres, et sur la crainte de ne pouvoir me rendre à Avellino, m’avaient été suggérées par l’interrogatoire que j’avais fait subir la veille au soldat du régiment de Bourbon qui s’était échappé du camp des insurgés. J’attendis vainement ma commission pendant plusieurs heures ; peut-être l’indécision durait-elle encore à mon égard; ou peut-être était-ce encore une suite de cette même indolence qui avait laissé pousser les choses à cette ex trémité. Enfi n, songeant combien les moments étaient précieux, je me rendis moi-même au ministère pour solliciter mon ordre de départ. Je crus m’apercevoir qu’il n’était pas encore expédié, et je dus l’attendre encore une demi-heure. 

Il avait la date du deux Juillet, quoique je ne Je repusse que le trois au matin, et il était marqué: très~pressé. On m’y enjoignait de prendre, pour un mois, le commandement de la troisième division militaire avec des pouvoirs illimités (voyez Pièce deux). Cette mesure de m’envoyer à Avellino, sans aucunes troupes, eût pu être efficace le jour précédent; mais, pendant le retard qui avait eu lieu, plusieurs circonstances défavorables s’étaient prononcées. Avellino, qui, le deux Juillet, n’avait pas voulu ouvrir ses partes aux déserteurs, les accueillit le lendemain. Le trois Juillet, Deconcili était parvenu à faire déclarer pour la révolution toutes les troupes stationnées dans la province et dans la ville même d’Avellino. Or, le jour précédent, ces troupes auraient été pour le gouvernement; et elles seules auraient suffi pour empêcher l’augmentation du mal. En outre, le même jour, trois Juillet, Deconcili, secondé par quelques autres, avait forcé les employés du télégraphe d’Avellino d’annoncer la nouvelle du mouvement à F oggia, où l’on se d é cida aussitôt pour la révolution, la croyant ainsi approuvée et sa n ctionnée par le roi à Naples. 

Le deux Juillet, aucune partie de la population ne s’était déclarée; mais le trois, deux provinces entières se trouvaient compromises, avec leurs administrations et leurs magistrate, qui, tous, avaient applaudi au mouvement. Le deux Juillet, cent vingt sept h ommes seulement, déjà découragés, et encore sans aucune importance politique avaient levé l’étendard de la rébel lion mais le trois, il y avait déjà de com promis deux régiments, l’un à' Avellino et l’autre à Foggia, tonte la gendarmerie, ainsi que les milices de deux provinces, auxquels s’étaient réunis plusieurs Charbonniers armés. La route d’Avellino, qui, le jour précédent, était libre et pratiquable, était coupée le trois; et, pendant que les insurgés comptaient déjà douze cents hommes, do n t la moitié environ était de troupes de l igne, leurs nombreux émi s saires parcouraient les communes, appelant surtout les miliciens qui, dans la troisième division militaire, étaient pres que to u s Charbonniers. Toute-fois, ignorant toutes ces circonstances, co m me les ignorait le gouvernement luimême, je partis seul de Naples.

Après av o ir passé Pomigliano d’Arco, village à sept milles de la capitale, j’observai un silence funeste le long de la mute. Il n’y avait aucune voiture ni piétons; j’aperçus seulement quelques habitans des campagnes, qui, des fenêtres de leurs m aisons barricadées, et avec un air d’effroi, voyaient mon passage sur le grand chemin e n tièrement désert. Arrivé à Marigliano, village situ é à dix milles de Naples, je sus que les insurg é s interceptaient le chemin qui va de Cardina l e à Avellino; que l’heure de l’arrivée du courrier de la Pouille était passée depuis p lu sieurs heures, et qu’on devait ainsi présumer que le passage lui avait été fermé. D’après des rap porta locaux, je pensai que les hommes armés n’allaient pas au-delà de mille, quoiqu’on ait su par la suite qu’ils en avaient déjà douze cents. Néanmoins, il ne m’était plus possible d’arriver seul à Avellino. Sur ces entrefaites, je reçus un rapport du major Lombardo, à la date de Mugnano, d’où résultaient à-peu-près les mèmes renseignements que ceux recueillis à Marigliano. J’écrivis ces nouvelles au capitaine-général, (voyez Pièce trois) et je me rendis à Mugnano, pour conférer avec Lombardo, et voir, de plus près l’état des choses.

Près de Cimitile, je rencontrai Lombardo qui revenait de Mugnano. Il me rapporta qu’il était tombé entre les mains des insurgés,et que, d’après leur empressement à s’informer de moi, il avait jugé qu’ils avaient le désir de m’arrêter ; il ajouta qu’après les avoir assurés que je n’étais pas destiné au commandement de la troisième division militaire, ils l’avaient relâché. Il me conseilla de rebrousser chemin, mais je ne crus pas devoir adhérer à ce conseil; ma retraite eût été imprudente, car les habitans des arrondissements par lesquels j’étais passe, et que j’avais trouvés remplis d’alarmes, me voyant retirer après quelques heures, auraient prête au gouvernement le caractère de crainte et de faiblesse. Excités par les émissaires qui s’étaient répandus de toute part, ils auraient pu s’insurger; et comme ils étaient voisins de la capitale, l’incendie aurait pu y pénétrer aussitôt. Je me tournai donc du côté de Nola, qui est située dans la traverse, pour ne pas m’avancer vers les insurgés, ni retourner à Naples.

A Nola, je trouvai le peuple alarmé et agité par de nombreux émissaires. Les autorités étaient dans la consternation et réunies en assemblée permanente. Je calmai les esprits; je renvoyai les autorités à leurs postes respectifs; je fis reprendre au peuple ses occupations habituelles, qu’il avait abandonnées dès le jour précédent. J’envoyai plusieurs agens dans les diverses communes, pour faire sentir aux paréns des miliciens désertés toute l’étendue de leur faute; et je leur donnai l’ assurance d’une amnistie entière, s’ils rentraient sans délai.

J’ordonnai aux autorités locales, qu’au retour des -miliciens, elles feignissent de ne s’être pas aperçues de leur départ. Je chargeai le juge royal de Bajano et un sergent de miliciens de pénétrer, s’ils pouvaient, jusqu’à Avellino, et de retourner avec les détails les plus précis sur la force des insurgés, sur leurs positions, leurs projets, la disposition du peuple d’Avellino, ainsi que sur l’attitude de l’intendant, du général commandant, et des autres autorités de la province. Je leur dis, en outre, d’engager les autorités à rester fermes à leur poste, en leur annonçant la prompte arrivée de forces considérables; enfin, je les c h argeai d’annoncer aux insurgés qu’i l s pouvaient réparer leur faute en se soumettant sans réserve à la clémence royale; qu’une preuve de cette clémence était de m’avoir envoyé sans troupes, mais que le moindre retard leur serait fata l, attendu qu’ils seraient écrasés par des forces nombreuses, et que la première condition, pour montrer leur désir de se soumettre, serait de ne pas outrepasser la ligne où ils étaient parvenus.

Déjà, ver s le soir du trois Juillet, je commençai à remarquer les effets des dispositions que j’avais prises.

On me rapporta que plusieurs des miliciens déserteurs étaient rentrés, un à un et secrètement, dans leurs villages; que, parmi les insurgés, la crainte avait succédé à l’audace; que le désir de marcher sur Naples, dont ils se vantaient le matin, avait été remplacé par la résolution de se tenir sur la défensive, puisqu’ils mettaient en réquisition des ouvrière avec des instrumens, pour démolir le pont de pierre qui existe près de Mugnano.

 J’écrivis de Nola cinq rapport> s> au capitaine-général. Je lui fis part des mesures que j’avais prises, et de leurs heureux e ff ets. En lisant les Pièces quatre, cinq, six, sept et huit, o n trouvera la preuve de tout ce que j’ai avancé; o n y verr a, de plus, que j’essayai tous l es moyens de connaître les dispositions du peuple au-delà d’Avellino; que je référai de ces moyens au gouvernement, et que je suggérai ce qu’il fallait faire à Naples pour avoir des renseignements sur cet objet. J’exposai qu’une compagnie suffirait pour dissiper les insurgés, dans le cas où ils n’excéderaient pas le no m bre de mille. Je demandai comment il fa u drait me régler si la contagion s’étendait à plusieurs milliers d’individus. Je conseillai de n’employer la force que comme un talisman, en la faisant craindre sans cesse, et en ne la développant jamais; car il eût été dangereux de tenter une action avec des troupes dans lesquelles la plus grande partie des grades subalternes était occupée par des charbonniers, et puisque, d’ailleurs, tout se trouverait perdu dans un instant, si, par une raison quelconque, les insurgés venaient à obtenir le moindre avantage.

J’insinuai au capitaine-général de mettre un air de calme dans les dispositions qu’o n prendrait à Naples, parce que les insurgés répandaient que le gouvernement était dans la plus grande terreur, et que la preuve en était dans les nombreuses patrouilles qui parcouraient la capitale, dans le doublement des divers postes, et dans la mesure qu’on avait prise de consigner la ga rni son dans ses casernes.

Je fis observer que, pour attaquer les insurgés, la direction la plus favorable était celle de Solofra, o ù la vallée était ouverte, et qui ne présentait pas les difficultés des gorges de Monteforte; qu’en pareil cas, il convenait de rester sur la défensive dans cette dernière direction, en y conservant peu de forces, et en dirigeant vers l’autre point t outes celles disponibles, J’ajoutai que si le général Campana attaquait les insurgés sans la plus grande précaution, et s’il était re poussé, toute la principauté citérieure, avide de nouveautés, s’insurgerait sur ses derrières; de même que si l’un ordonnait une attaque de mon côté, et que mes troupes fussent battues, une charge de cavalerie des insurgés pourrait pénétrer jusqu’à Naples.

Je fis encore observer, qu’avant de tenter aucune action, il fallait chercher à connaître l’esprit des troupes, en les employant par fractions; que si une partie d’entr’elles seulement était favorable aux insurgés, co m me il y avait lieu de le croire, l’essai par fractions, et non en totalité, donnerait le moyen de connaître leurs dispositions, sans compromettre la cause du gouvernement.

J’exposai au capitaine-général quelle était ma position à Nola; qu’en la quittant j’encouragerais les insurgés, et qu’en y restant, je courrais risque de tomber entre leurs mains, ce qui pourrait avoir de fâcheux résultats, en donnant lieu de supposer un concert entre les insurgés et moi.

Dans les mêmes rapport s, j’exprimai encore l’idée que si les insurgés n’outrepassaient pas leur ligne, comme on le leur avait intimé de ma part, ils demeureraient dans un espace étroit, car la nouvelle du jour était que, le jour précédent on leur avait refusé rentrée d’Avellino; qu’ainsi, pesant sur un petit nombre de communes pour les vivres et les fourrages, ces communes, bientôt dégo û tées des vexations, se prononceraient contr’eux. J’ajoutai que, dans le cas où la réponse des insurgés ne serait pas pour une parfaite soumission, je ne voulais pas même en être l’ organe auprès du gouvernement; mais que la prudence exigeant de ne pas repousser entièrement leurs propositions, il faudrait, pour conférer avec eux, charger une autre personne de l’ ordre administratif ou judiciaire (voyez Pièce quatre.) en cet état de choses, quoique j’eusse reçu le matin mon ordre de départ, l’on n’y avait point encore joint les pleins-pouvoirs qui m’étaient annoncés, ni la faculté particulière de disposer des fonds publics sans une autorisation spéciale du ministre des finances. Je réclamai plusieurs fois, mais ce ne fùt que le

l endemain, quatre Juillet, qu’on satisfit à ma demande sur ces points fondamentaux (voyez Pièces quatorze et quinze). On m’avait seulement envoyé quelques troupes dans la matinée du même jour quatre. Or, comment expliquer tant de lenteur? Si le gouvernemen t se défiait de moi, s’il h ésitait à mettre à ma disposition les grands moyens, pourquoi me charger d’une telle entreprise? Et s’il n’avait, au contraire, aucune défiance, son indolence était inconcevable, puisqu’elle compromettait sa cause par toutes ces difficultés, qui allaient directement contre le but même de ma commission.

Pour moi, doutant toujours de mes propres lumières, et sac h ant quel tort pouvait résulter d’une fausse mesure, j’écrivis au capitaine-général dans les termes suivans: (voyez Pièce sept) “Je compte que votre excellence mettra toujours toutes mes lettres sous les yeux de sa majesté. La position délicate dans laquelle je me trouve me fait désirer qu’on me désapprouve sans retard, si je prends une direction fautive; le peu de distance o ù je suis de la capitale rend praticable l’objet de ma demande.” La défiance de mes lumières, jointe à la gravite des circonstances, excita tellement ma délicatesse, que j’écrivis au capitaine-général de prier Je roi d’envoyer auprès de moi une autre personne qui aurait tonte sa confiance ; j’indiquai entr’autres le due d’Ascoli (voyez Pièce onze). J’écrivis même directement au due pour cet objet, (voyez Pièce treize). Par la suite, je réclamai souvent la présence du capita l ne-général; une fois. j’adressai la même prière au ministre Medici, (voyez Pièces, dix, dix-huit, et dix-neuf). Et, dans un autre rapport, (Pièce quatre), se trouvaient ces propres paroles: “Au nom du ciel, que votre excellence supplie le roi de ne pas n ous abandonner; ce malheureux pays serait en proie à l’anarchie.… Sa majesté est près du c h ateau-neuf et de la mer... Que pouvais-je faire de plus? Si je pris de fausses mesures, pourquoi le gouvernement, au lieu de les combler d’éloges, ne les désapprouva-t-il pas, ce qui pouvait se faire avec beaucoup de célérité, puisque je n’étais qu’à quatorze milles de la capitale, où j’expédiais six où huit rapports par jour, et d’où je recevais continuellement des ordres et des. Messages?

Malgré des faits aussi positifs, on voudra peut-être alléguer comme un indice de trahison mon désir Constant et bien connu d’un système constitutionnel. En effet, dès 1807, lorsque je n’étais encore que chef de bataillon du premier régiment de ligne, ayant rencontré Napoléon au pied des Alpes, près de Suze, j’osai, dans une conférence qu’il voulut avoir avec moi, lui demander une constitution pour mon pays, demande qui me va l ut quatre mois de disgrâce de la part de son frère Joseph, qui régnait alors A Naples. Il est encore vrai qu’en 18 1 4, à Reggio de Modène, je fis, par écrit, un e semblable demande au roi Joachim lui-même, de concert, avec un prince Napolitain mon collègue, ce qui pouvait m’exposer, non seulement à une disgrâce, mais encore à des dangers plus graves. Eh bien! tels sont les moyens qui s’accordent avec mes principes. J’ai toujours cru qu’on pouvait, et qu’on devait même solliciter de l’autorité le perfectionnement des institutions; mais, je ne croi s point qu’on doive conspirer ni s’armer contre elle, surtout lorsqu’on est investi de tonte sa confiance. Tel le est ma profession de foi; ma conduite toute entière y fut toujours conforme, et je croi s désormais inutile de revenir sur ce point.

Reprenons le fil des événemens: dans la nuit du troi s au quatre Juillet, on m’envoya à Po migliano d’Arco, sous le commandement du lieutenant-général Roccaromana, une petite colonne de six cents quarante-neuf hommes, (voyez pièce neuf) dont quatre cents quarante-neuf d’infanterie, mais dont le reste, étant de cavalerie, ne pouvait pas agir dans les gorges de Monteforte.

Avant de me rendre moi-même de Nola à Pomigliano d’Arco, je fus informe que les troupes cantonnées dans la principauté ultérieure s’étaient réunies aux insurgés, que le peuple d’Avellino s’était déclaré pour eux, que diverses compagnies de miliciens et même quelques-uns de leurs bataillons entiers étaient accourus de plusieurs points pour en augmenter le nombre, qui, selon ces émissaires, s’élevait à quinze mille. Je fi s dresser devant l’autorité civile, un procès verbal de ces assertions, et il fui signé par les déposans. Néanmoins, d’après d’autres renseignemens obtenus de quelques voituriers, d’après ceux qui furent adressés à l’ Évêque du diocèse et à d’autres autorités, je jugeai que le nombre des insurgés était exagéré au moins du doublé. Je fis du tout parvenir des rapporta réguliers; j’envoyai le sus-dit procès-verbal accompagné de mon opinion, notamment sur l'exagération du nombre des insurgés, (voyez Pièces dix et onze).

Je me rendis alors à Pomigliano d’Arco, où j’app ri s que le capitaine-général s’y était aussi rendu, mais qu’il en était déjà reparti, (voyez Pièce neuf). aussitôt je fis rassembler les troupes, et j’en passai la revue. Je réunis séparément les corps des officier s ; je les haranguai, et leur fis sentir l’importance de leur mission; je leur rappelai les devoirs d’un militaire dans le service; j’ajoutai que si, contre mon attente, quelqu’un d’eux nourrissait des sentimens contraires au gouvernement, à qui il avait juré fi délité, il devait les faire taire devant ceux de l’ h onneur, qui ne leur permettait jamais d’abandonner leurs drapeaux. A ce mot, je fus saisi d ’un mouvement d’enthousiasme, et je me sai9is vivement du drapeau qui se trouvait déployé. Ce mouvement se communiqua rapidement à tous les officiers, qui, tirant tous simultanément leurs épées, s’ écrièrent : Non! nous n’abandonnerons point notre drapeau! en e ff et, ils tinrent parole par la suite. extrêmement satisfait d’un tel élan, qui avait tous les caractères de la véracité, j’ordonnai aux officiers de se rendre au près de leurs compagnies respectives, et de s’efforcer d’inspirer les mêmes sentiments aux soldats, mais surtout aux sous officiers, ce qui fut exécuté, mais avec un succès fort médiocre. Ensuite j’ordonnai que la colonne se dirige â t sur Marigliano.

D’après les rapport s que j’adressai moi-même au capitaine-général, d’après ceux des personnes envoyées de Naples pour voir l’état des choses, parmi lesquelles je citerai le lieutenant Pesapane, d’après les rapporta qui parvinrent au ministre de grâce et de justice, marquis To m masi, d’après ceux sur les événemens de Puglia, enfi n, d’après ce que le capitaine-général pût lui même apprendre à Pomigliano d’Arco, il fut persuadé, sans doute, que les moyens mis à ma disposition n’étaient pas suffisans, puisque, dès qu’il fut arrivé à Naples, il m’écrivit en me promettant l’envoi de nouvelles troupes, (voyez post-scriptum de la Pièce douze). Dans ma réponse, je parlai de cet envoi, qui m’était annoncé, et j’indiquai l’endroit où l’un devait diriger les troupes, (voyez Pièce quatorze). Mais ces troupes promise, ces troupes jugées nécessaire, ces troupes attendues avec tant d’anxiété, ne me parvinrent, pour une partie, que dans l'après midi du cinq Juillet, et le reste qu’après le coucher du soleil de la même journée.

Que peuvent encore alléguer mes accusateurs? Devais-je marcher le quatre, ou le cinq avant midi, avec une aussi faible colonne, contre des forces aussi supérieures, lorsque le capitaine-général n’avait l aissé aucun ordre à Pomigliano d’Arco, lorsqu’il avait cru nécessaire d’envoyer de nouvelles troupes, et lorsqu’il m’en avait fait la promesse? Devais-je tenter une entreprise aussi étrange, à quatre heures de marche de Naples, lorsque les insurgés, en obtenant un avantage, eussent pu porter la confusion et le désordre jusque dans le sein de la capitale? Si, faisant une telle attaque, j’eusse éprouvé un revers, comme tout le faisait présumer, et comme cela arriva deux fois vers Solofra, ceux-là même qui me blâment de n ’avoir point attaqué, m’auraient alors accuse et traduit en jugement. Ils m’eussent alors imputé, avec trop de raison,l’arrivée du. capitaine-général à Pomigliano sans avoir laissé aucun ordre, l’insuffisance de mes troupes, si disproportionnées avec celles de l’ennemi, battente de nouvelles forces, enfin la position délicate où je me trouvais par la proximité de la capitale; et me voyant tenter un opération si dangereuse dans ses conséquences, si dénuée d’espoir de succès, ils en auraient conclu que je n’avais attaqué les insurgés que pour m’attirer un échec, et pour favoriser ainsi leur cause.

Mais en attendant de nouvelles troupes, que devais-je véritablement faire? Je devais continuer les négociations; et déjà elles touchaient à leur fin d’une manière très-favorable, comme on le dira sous peu; je devais, avec le peu de forces que j’avais, empêcher du moins les progrès du mal; et, à cet effet, je fis marcher de suite ma troupe vers Cimitile, d’où je dirigeai jusqu’à Mugnano un petit bataillon de troi s cents hommes du cinquième de chasseurs, (voyez Pièce seize.) Ce bataillon, qui faisait alors monter mon infanterie à un peu plus de sept cents hommes, était arriv é le quatre à midi.(6)

C’était le même qui m’avait été annoncé par le lieutenant-général Roccaromana dans la lettre écrite de Pomigliano d’Arco, la nuit du trois au quatre, (voyez Pièce neuf).

Combien d’autres motifs ne pourrais-je pas présenter pour justifier ma résolution de suivre de préférence le moyen des négociations! d’abord, outre la modicité des troupes que je commandais, j’avais les plus grandes doutes sur leur esprit, puisque j’avais conseillé de ne les essayer que par fractions; or, mes doutes n’étaient que trop fondées, car j’ai appris depuis qu’un de mes deux canons avait été encloué, et que, dans l’un des deux corps qui étaient sous mes ordres, un complot avait été formé par plusieurs individus, de concert avec Morelli, pour se rendre à Monteforte. Enfi n, il est notoire que,. le six Juillet, l’autre bataillon passa tout entier aux insurgés.

Reprenons le fil de la narration: après les dispositions préparatoires dont j’ai parlé tout-à-l’heure, je dus me rendre encore à Nola, pour y attendre le retour des espions, cel ui des courriers, ainsi que du juge qui était alle s’aboucher de nouveau avec les insurgés au sujet de la soumission que je leur avais fait proposer. J’interrogeai les espions, et ils me rapportèrent, que les séditieux étaient extrêmement irrités dece que j’osais me déclarer contre leur entreprise; que Deconcili et un de ses secrétaires, mais surtout ce dernier, parlaient avec fureur contre moi. On verr a, par la suite, que cette aversion, qui naquit alors, se propagea dans toute la charbonnerie à l’époque constitutionnelle.

Le juge négociateur retourna à Nola, le quatre, vers les deux heures de l’ après-midi. Il me rapporta que huit des principaux chefs des insurgés, qui se croyaient trop compromis pour obtenir le pardon absolu qu’on leur avait fait espérer, avaient résolu d’abandonner l’entreprise si on leur donnait quelque argent, ainsi que les autres moyens de sortir du royaume. Il me rapporta qu’il s étaient fort inquiets, et qu’ils désespéraient presque de voir le gouvernement accéder à leur demande. Je chargeai le juge de retourner auprès des dits chefs. et de leur annoncer que je fournirais les moyens de s’échapper; qu’à cet effet, je ferais te n ir à chacun d’eux une certaine somme, et que je ferais venir un bâtiment dans. la rade de Vietri, afin qu’ils pussent s’embarquer.

Aussitôt après cette conférence, je me rendis à Cimitile ver s les deux heures après-midi. Dans le même jour, le juge fit des tentatives pour aller présenter mes nouve l les propositions; mais le passage lui fut interdit. Il me f i t part de cet empêchement dans la même soirée, par un rapport qu’il m’adressa à Cimitile (voyez Pièce dix-sept).

Peu d’heures après, ayant obtenu le passage, il remplit sa mission, et vint en toute hâte à Cimitile m’annoncer que les chefs insurgés craignaient quelque piège,soit lorsqu’ils iraient s’embarquer, soit après; qu’ils désiraient, en conséquence, avoir des passeports en blanc, et une somme en or, afin que chacun d’eux pût s’échapper isolément. Le juge ajouta, qu’ils ne se contentaient plus de huit passeports, mais qu’ils en voulaient dix. J’adhérai à ces nouvelle3 propositions, sous la condition qu’ils s’éloigneraient de suite après qu’ils auraient re?u les passeports et l’argent. J’envoyai le juge pour la troisième fois, et nous convînmes que, lorsque les dix chefs auraient disparu, tous les miliciens et les militaires déclareraient qu’ils avaient d’abord suivi les ordres de leurs chefs pour se porter dans ces positions, mais, que voyant disparaître ceux qui les avaient conduits, ils demandaient mes ordres pour ce qui leur restait à faire. Il était entendu que je feindrais d’ajouter foi à ces assertions. et que j’ordonnerais aux miliciens de retourner dans leurs communes, et aux soldats dans leurs précédents quartiers. 

Avant que le juge s’en retournât de nouveau, je lui promis que, s’il réussissait dans les négociations, il serait nommé juge d’une magistrature supérieure. aussitôt après le renvoi du dit juge, et quoique la nuit fùt déjà avancée, je crus indispensable de solliciter de suite l’autorisation spéciale du gouvernement sur des matières aussi délicates, en même temps que je désirais en obtenir les moyens qui me manquaient à l’instant même. J’envoyai le major Lombardo à Naples, avec une lettre pour le ministre Medici, dans laquelle je le priais de fa ire éveiller le roi, à quelle heure que ce fùt, pour lui rendre compte de mes opérations, et pour le prévenir que la sédition touchait à sa fin. Je demandai au même ministre un entretien à Pomigliano d’Arco, pour le cinq au matin, afin de savoir si le roi adhérait à mes mesures, et pour prendre les déterminations ultérieures. Je réclamais avec la dernière instance, pour la même matinée du cinq, les passeports et l’argent destinés aux chefs des insurgés. Je demandai la promotion du juge dont la coopération avait été si utile, et à qui j’avais fait une telle promesse en cas de succès; enfi n, je demandais un brevet d’officier pour la promotion à ce grade d’un sergent que je voulais employer à une commission que je jugeais très-importante. Nous verrons plus tard quelle lì&t cette commission, ainsi que le résultat de la mission du major Lombardo.

Maintenant, pour bien faire voir la liaison de tant d’événements compliqués, il est nécessaire de revenir un instant sur quelques faits antérieurs.

En quittant Nola pour me rendre à Cimitile, j’avais écrit au capitaine général un rapport, dans lequel je répétais qu’il fallait renforcer les troupes du général Nunziante, parce que j’avais appris verbalement, du major La Rocca, qu’on s’était décidé à attaquer par la vallée de Solofra, qui, en effet, était le point le plus convenable. Un autre motif, que j’exprimais dans le même rapport, était que les insurgés semblaient décidés à entreprendre eux-mêmes quelque opération vers cette direction, dans l’espoir de faire soulever la principauté citérieure. Pour faciliter à cet égard l’envoi de renforts au général Nunziante, j’avais déclaré au dit major, et je l’écrivis a u capitaine général, qu’il pouvait se dispenser de m’envoyer des troupes à moi-même, puisque, dans le cas où l’on attaquerait les insurgés vers Solofra, on devrait rester sur la défensive du côté de Monteforte (voyez Pièce quinze).

On ne pouvait opposer à cela que, peut-être, le gouvernement préférait me confier le commandement des troupes qui devraient engager une action, puisque même dans cette hypothèse, il ne convenait pas d’aba n donner les avantages de la localité, et puisque j’aurais pu d’ai l leurs m’y rendre du côté de Nocera.

Arriv é de Nola à Cimitile, dans l’après-midi du quatre Juillet, comme je l’ai dit ci-dessus, je poussai vers Mugnano Je cinquième bataillon de chasseurs, afin d’arrêter les progrès de la révolution. Mon peu de force ne me permettait pas davantage pour le moment. Le même jour, sur les quatre heures de l’après-midi, le capitaine général arriva à Cimitile; il s’informa de l’état des choses, il interrogea quelques paysans; ensuite il partit en m e pro m ettant de nouveau, pour le jour suivant j’arrivée des renforts qu’il m’avait déjà annoncés par écrit; ce qui prouve que, dans cette circonstance, comme précédemment à Pomigliano d’Arco, il ne donna aucun ordre pour attaquer, et qu’il avait jugé que de nouvelles troupes étaient nécessaires.

C’est ici lieu de parler avec quelque détail de la commission que j’ai annoncé avoir voulu donner à un sergent, que je ferais ensuite passer au grade d’officier. L’expédient que je vais raconter, avait pour principal but de décourager les tentatives de séduction qu’on pourrait faire sur les troupes. Dans ce but, le quatre Juillet au soir, je m e rendis aux avant-postes, et je fis appeler le général Roccaromana, ainsi que le lieutenant-colonel Guavini, commandant du bataillon de chasseurs. Je dis à ce dernier qu’ayant été investi des pouvoirs les plus étendus, je désirais en faire usage; en nommant officier quelque sergent de son bataillon qui rendrait un servi c e importa n t. Le commandant m’indiqua un sous-officier, dont je ne me rappelle plus le nom. Je lui demandai s’il était Charbonnier, il médit que non Ce n’est-pas l’homme qu’il me faut, répliquai-je; indiquez-moi un sous-officier, bon militaire, mais qui soit Charbonnier. Le commandant m’assura qu’il ne pensait pas qu’il y eût de sectaires dans sa troupe; mais, cependant, que s’il en croyait quelques légers indices, il soupçonnait que le sergent T****. pourrait l’être. Je lui ordonnai de placer le sergent T****. dans un avant-poste écarté, avec un petit nombre de soldats, et de l’engager à s’éloigner un peu de ses hommes durant la nuit; qu’alors, il déchargerait en l’air son fusil, en appelant aux armes les soldats de son poste; qu’ensuite, il raconterait que deux paysans, à l’aide des ténèbres, s’étaient approchés de lui en faisant des signes charbonniques, et en se déclarant émissaires des insurgés pour reconnaître les Charbonniers de cette partie des troupes, et les emmener avec eux; mais qu’il avait répondu, que de telles manœuvres ne réussiraient pas auprès de braves militaires; puisqu’un soldat, bien que Charbonnier, ne doit pas trahir son devoir et abandonner ses supérieurs ; qu’alors les paysans avaient essayé de lui faire violence, et qu’il avait tiré son fusil, en criant: aux armes!

Toute cette scène fut parfaitement exécutée; et le lendemain matin, le général Roccaromana, comme nous en étions convenus, me fit un rapport sur ce fait. Alors le sergent fut reconnu officier devant toute la troupe (voyez Pièce vingt).

Outre mo n principal but d’arrêter ainsi les tentatives de séduction envers les troupes, je voulais encore, par cette prompte récompense, encourager les militaires à rester fermes dans leurs devoirs, ce qui était de la plus grande urgence, à cause de la proximité des insurgés; car il pouvait suffire d’une seule nuit pour que la troupe cédât à leurs séductions et passât de leur côté. L’impression que fit cette mesure, dans les deux camps opposés, fut telle que je l’avais espéré. Les insurgés perdirent de plus en plus courage, parce qu’ils craignirent dès lors que même les militaires Charbonniers se battissent contr’eux; et, au contraire, les soldats que je commandais restèrent fermes à leur poste, si bien qu’il ne me déserta pas un seul homm e, pendant qu’ailleurs, des régiments entiers passaient aux insurgés (voyez Pièce dix-neuf).

C’est la première fois que je parie de ce fait, qui caractérise tout-à-fait la nature de mes intentions; et je ne le cite que parce que je ne doi s rien négliger de ce qui me présente sous mon véritable jour; mais il fut connu dans le temps non seulement par le général Roccaromana et le commandant Guarini, mais encore par le capitaine-général lui-même. Ce dernier vint pour la troisième fois dans nos rangs, le cinq au m atin, à l’instant où le sergent était reconnu officier. On lui raconta d’abord le fait comme s’il n’eût pas été simulé, et il le crut parfaitement; je lui dévoilai ensuite le secret, et il m’en loua beaucoup comme d’une chose bien imaginée et très efficace.

Le cinq au matin, le général Nunziante, qui commandait vers la direction.de Solofra, attaqua et poussa jusqu’à St. Secondo, à six milles d’Avellino; mais, mesurant alors ses moyens, et apercevant des dispositions contraires dans les habitans et dans ses propres troupes, circonstances qu’il eût été sage de considérer avant de se décider à' une attaque, il se replia sur Nocera d’où-il écrivit au roi, pour lui déclarer que le v eu de la constitution était général parmi le peuple; après quoi, une partie de ses troupes se débanda, une autre majeure partie passa aux insurgés, et très-peu restèrent avec lui. La province de la Principauté citérieure s’insurgea de suite.

Quel était donc le pian adopté par le gouvernement? je ne pus le comprendre, et j’avoue ne l’avoir point encore compris. Suivant toute apparence, on ne s’était arrêté à aucun pian raisonné d’opérations; je faisais des négociations et je recevais des éloges ; (voyez Pièce douze et dix huit,) le général Nunziante attaquait les séditieux sans prévoyance, sans pian et sans mesures, sans s’entendre nullement avec moi qui ignorais absolument ce qu’il faisait, et peut-être obtenait il aussi des éloges, quoique je ne balance point à croire que cette attaque inopportune contribua beaucoup à notre perte. Il est vrai que, moi-mème, j’avais aussi conseillé que si i’on voulait tenter une opération de vigueur, c’était. dans la direction de Solofra qu’elle devait s’exécuter; mais, dans ce cas, ne devait-on pas mettre de l’unité dans les opérations? Permettre les négociations dans une direction, tandis qu’on faisait attaquer dans l’autre, n’était-ce pas rendre les attaques plus faibles, tandis qu’on faisait regarder les négociations comme un piège? en vérité, ne semblerait-il pas qu’on eût pris à tâche de ne réussir ni d’une manière ni de l’autre?

Dans la matinée du cinq, pendant que, du côté de Nunziante, les choses s e passaient ainsi, le major Lombardo était revenu de Naples, avec la réponse du ministre (voyez Pièce dix-huit.). Dans cette réponse, on me disait, qu’on n avait pas cru devoir éveiller le roi, dans la crainte de semer l’alarme dans la capitale. On ajoutait, à la vérité, que je pouvais tout faire en vert s de mes pouvoirs étendus... . mais la nomination du juge?... mais les passeports?... mais l’argent?... Mais surtout ces deux derniers objets, que je n’avais point en ma possession, et qui étaient la condition essentielle des arrangemens avec les insurgés, pourquoi ne me les envoya-t-on pas?.. Combien ce retard devait être fata l ! Je communiquai la lettre au capitaine-général, qui sentit, co m me moi, qu’il n’y avait pas un instant à perdre; il se rendit de suite à Naples, en me promettant l’envoi instantané de dix passeports en blanc, et de huit mille ducats en or, ainsi que la sanction du roi pour l’avancement du juge que j’avais chargé de négociations avec les insurgés.

Le juge revint le même jour à Cimitile, après le départ du capitaine-général, et, après s’être abouché pour la troisième fois avec les insurgés Toutes les conditions avaient été acceptées, avec la seule différence que les chefs demandaient quarante-huit heures de délai pour partir, au lieu de vingt-quatre que je leur avais offertes. Craignant toujours les mauvais effets de tout retard, je répondis que je ferais la demande d’un tel délai, mais que je croyais difficile que le gouvernement accordât plus de vingt-quatre heures, lesquelles devaient expirer le six Juillet, à huit heures du matin. On prétendra peut être que les révoltés se jouaient de moi, et qu’en continuant ces négociations, ils ne se proposaient que de gagner du temps. Je ne crois pas que tel fut leur but; mais cela eût-il été vrai, en accordant seulement ce délai, je ne cédais qu’un temps dont je ne pouvais nullement profiter, puisque les renforts ne devant arriver que le cinq au soir, je ne pouvais opérer avant l’aurore du six.

J’écrivis au capitaine-général de m’expédier une lettre, dans laquelle il exprimerait: Que le roi n’avait pas voulu accorder plus de vingt-quatre heures, et qu’ il avait ordonné que le si x, dès l'aurore, je marchasse sur Avellino (voyez Pièce vingt-un). Le capitaine-général m’écrivit dans ce sen s avec la plus grande célérité (voyez Pièce vingt-trois).

Plein d’anxiété, j’attendais au moin s les dix passeports et les huit mille ducats en or; mais je n’o b tins qu’une nouvelle lettre du capitaine-général, qui m’annonçait que je recevrais le tout dans deux heures(7) (voyez Pièce vingt-deux).

Je craignais déjà que, dans cet intervalle, quelqu’événement v i nt rendre nuls tous mes efforts. En effet, dans ce moment même, éclata le mouvement de Salerne, occasionné par l’attaque inconsidérée de Nunziante. On est v r aiment pénétré de pitié, quand on pense qu’une cause aussi misérable occasionnait ce retard funeste, qui compromettait le salut de la nation et de la monarchie. Mais pendant que le gouvernement hésitait à livrer une si modique somme, les insurgés s’emparaient des caisses publiques de deux provinces.

Après les deux heures annoncées, j’expédiai une lettre au capitaine-général, le priant de venir en personne, et de me remettre tout ce qui m’était nécessaire. Il me répondit (voyez Pièce dix-neuf ) qu’il viendrait le plutôt possible; mais je ne reçus encore ni les passeports, ni l’arge n t!.. Pendant ce temps, plusieurs heures s’écoulèrent de nouveau.

Enfin, dans la nuit du cinq au six, à minuit, les passeports arrivèrent, ainsi que les huit mille ducats et les actes d’approbation de mes m esures, (voyez Pièces vingt-quatre et vingt-cinq ).

On avait beaucoup retardé jusqu’alors; mais, enfin, l’espérance n’était pas évanouie. J’appelle le juge, il voit l’argent et les passeports en blanc; il lit avec avidité la lettre annonçant que sa fortune est faite, puisque le roi avait approuvé sa nomination à une magistrature supérieure; il voit, par ses propres yeux, que toutes les conditions que j’avais accordées aux insurgés ont obtenu la sanction royale. Je l’avertis, en outre, qu’au point du jour, j’aurais deux mille hommes de bonnes troupes, prêtes à-attaquer si les dix chefs venaient à tergiverser; et pour lui’ en donner la certitude, j’envoyai, en sa présence, au général Statella, qui était arrivé le cinq à Marigliano avec dès renforts, l’ordre de se porter à Cimitile, Je six, dès l’aube du jour, avec la troupe qui était sous ses ordres. Tout devait donc se terminer dans la matinée du six Juillet; et si, par un motif quelconque, les dix chefs n’eussent pas satisfait aux clauses de la négociation, j’eusse été en mesure d’attaquer, avec un espoir fondé de succès, d’après les renforts qui étaient arrivés à Marigliano.

Pendant que tout se disposait ainsi, le capitaine-général se rendit à Cimitile, ainsi qu’il me l’avait annoncé par sa lettre du même jour, (voyez Pièce dix-neuf); c’était pour la quatrième fois qu’il visitait les positions; je lui rendis comp t e de ce que j’avais fait; et, plein d’espérance, je lui dis qu’au lever du soleil, nous arriverions au but, ou par la voie des négociations, ou par la force des armes.

Il resta environ une heure avec moi; et pendant ce temps là, tandis que je continuais à faire mes dispositions, j’eus avec lui l’entretien suivant:.

“ A Naples,” dit le capitaine général, “on a agité la question de savoir si, dans un cas extrême, il convenait d’accorder une constitution; quel est votre avis?”

“ Je crois,” répondis-je, “que ce serait le dernier degré de faiblesse de se faire arrac h er par force un changement politique. Le parti qui obtiendrait un tel triomphe ne s’arr ê terait plus dans ses prétentions. Voyant qu’on peut obtenir par force quelque chose des gouver n emens établis, qui l’empercherait de revenir à l a c h arge pour obtenir davantage? alors, que deviendrait l’ordre social? I l faut d’ailleurs réfléchir que la nation n’éprouverait aucune reconnaissance envers le roi pour une concession non volontaire. Si le roi a cette intention, il doit attendre que le calme soit rétabli; et ensuite, ce qui serait en effet très-convenable, il pourra, de sa propre impulsio n, changer le système politique. Une telle résolution serait sage, parce-q u e, sous peu de temps, l’Europe presqu’entière devant adopter le système constitutionnel, le royaume de Naples y sera entraîné d’une manière passive; et je pense d’ailleurs que cet état, dans sa position actuelle, n’est propre à obtenir un tel système que de l’une ou l'autre de ces manières, c’est-à-dire, des mains de sou souverain, ou par une conséquence du système général de l’Europe.”

“ Mais,” ajouta le capitaine-général, “vous sortez de la question. Je vous demande si le roi doit ou ne doit pas donne r une constitution dans les circonstances actuelles. Et afin que vous les connaissiez toutes, je vous annonce que la province de Salerne est aussi révolt é e”

“ Cet événement,” répondis-je, “quoique grave, ne peut changer mon opinion. Sur vingt-deux provinces, deux seulement se révoltent,(8) et les destins de la grande majorité d’une nation rie doivent point être changés parla volonté du petit nombre. Si le roi avait aujourd’hui la faiblesse de céder à la révolte de deux provinces, de m ain deux autres provinces pourraient s’insurger aussi pour obtenir de nouveaux changements. ”

“ Ce que vous dites,” reprit le capita i ne général, “est convainquant; mais comment résister au torrent qui, de deux côtés, menace de se précipiter sur la capitale, laquelle renferme également beaucoup de germes de révolte? Les colonnes des séditieux, soit de ce côté-ci, soit du côté de la tour de l’Annunziata, peuvent arriver à Naples et compromettre l’ordre.public,”

“ La crainte du gouvernement, quant à Naples, est trop juste,” répliquai-je, ‘‘mais, on peut prendre des mesures opportunes sans donner prématurément une constitution. de ce côté, j’empercherai le passage des révoltés; du côté de Salerne, interceptez la grande route qui, le long de la mer, conduit de Salerne à Naples; et pour y réussir, substituez, sur ce point, dans le commandement des troupes, le général Ambrosio au général Nunziante. Je pense que ce dernier, à là tète des forces qui existent de ce côté, saura bien défendre les positions de Nocera, della torre dell’Annunziata, della torre del Greco, et celles des Camaldoli de cette dernière ville. La capitale étant ainsi garantie de toute irruption, le roi doit montrer de la fermeté. Il doit se défier de deux classes de personnes: toutes deux manifestent de l’intérêt à sa cause,, et l’amour du bien public; mais, les uns le trahissent, et, d’accord avec les révoltés, il lui donnent de funestes avis pour arriver plus vite à leur but; les autres sont pusillanimes, et ils lui donnent de lâches conseils, pour sortir de l’état de terreur où ils se trouvent.”

“Mais,” reprit le capitaine-générals “combien de temps restera-t-on encore dans cet état d’incertitude et d’anxiété?”

 Je répondis: “Si les moyens que je dois tenter demain, dès l’aurore, ne réussissent point, on pourra voir si le changement politique est désiré par ces deux provinces seules, ou par toute la nation. Dans le premier cas, les deux provinces révoltées devraient rentrer dans l’ordre; au second cas, il serait sage que le roi convoquât le corps diplomatique étranger, pour lui faire observer que la très-grande majorité de la nation désire la réforme politique, et que, par conséquent, il est indispensable.de l’accorder. après un tel résultat, l’Europe reconnaîtrait certainement à Naples un nouvel ordre de choses dérivant de la nécessité, tandis qu’elle s’y opposerait certainement s’il n’était arraché qu’à la faiblesse.”

Ces idées me parurent faire une grande impression sur l’esprit du capitaine-général. Il me dit qu’il allait retourner à Naples; que, dans le moment même, les généraux Ambrosio et Statella devaient être en route pour se rendre à Cimitile avec leurs troupes respectives; que, s’il rencontrait le premier, il le prendrait dans sa voiture et l’emmenerait à Naples; qu’il ex(9) poserait fidèlement mes idées au roi, et que, si elles étaient approuvées, il ferait de suite partir Ambrosio polir sa nouvelle destination. Il ajouta qu’il me ferait appeler dans le cas où le roi désirerait un plus ample dévelopement de mes idées.

 Avant de partir, il me demanda, pour le cas où l’on devrait accorder une constitution, si je croyais que l'on dût adopter l'une de celles existantes chez d’autres nations, ou si l'on devrait en rédiger une pour Naples. Je répondis que le royaume serait exposé à de nouveaux dangers par le retard qu’occasionnerait la rédaction d’une nouvelle constitution; qu’ainsi, il me paraîtrait avantageux de déclarer d’abord quel statut l'on voudrait accorder, afin d’ôter tout prétexte à Tl de nouvelles demandes, et tout aliment aux intrigues; j'ajoutai enfin, que je croyais la constitution anglaise la plus convenable au royaume de Naples, en admettant seulement des notables à vie, au lieu de pairs héréditaires.

Cet entretien prouve la fermeté et la loyauté de mes sentiments. Quanta sa réalité et à l’exactitude de mon récit, on ne peut les révoquer en doute. D’abord, le général Nugent luimême a confirmé ce fait dans le rapport qu’il fit, à son arrivée en Allemagne, sur les événemens de Naples; rapport dont on trouve un extrait dans mes Pièces justificatives (voyez Pièce trente). En outre, ce fait se trouve consigné dans l’histoire de la révolution de Naples, qui fut publiée par Gamboa vers le mois d’Août 1820 (voyez Pièce trente-un). Ce fait, ainsi établi sur des points si éloignés, acquiert déjà, par cette seule circonstance, le plus grand caractère d’exactitude et de vérité. Mais, outre cette preuve, il en existe une autre plus victorieuse, c’est l’époque où parut le dernier de ces écrits. Ceci demande une explication: la conférence, dont ils agit, n’était connue que de Nugent et de moi. A la fin d’Août 1820, Monsieur Gamboa, désirant écrire sur les derniers événemens, me demanda quelques faits particuliers, qui ne fussent pas connus, et je lui fis part de cette conférence. Or, si elle eût été supposée, j’aurais commis un acte insensé en me l’attribuant à une époque où elle ne pouvait m’attirer que la haine du public, dont les idées étaient alors si exaltées. 

On peut bien mépriser un péril par amour de la vérité, mais on n’invente jamais un mensonge pour s’attirer un préjudice. Gamboa, dans son histoire, ajouta au récit du fait que je lui avais communiqué, des sarcasmes et des réflexions contre le général Nugent, que je n’ai pas cru devoir conserver dans. l’extrait que j’ai joint aux Pièces justificatives, sous le numéro trente-un déjà indiqué. L’auteur, dans une autre partie de son ouvrage, crut également devoir avancer que j’étais resté indécis entre mes devoirs de militaire et ceux de citoyen. J’ai déjà exposé ma manière de penser à cet égard, mais je crois devoir la répéter: Je pense que, tout en respectant les devoirs de citoyen, les militaires ne doivent point, et qu’ils ne peuvent, sans le plus grand danger, intervenir dans les délibérations politiques.

Maintenant, rentrons en matière: le capitaine-général partit pour Naples, plein des idées que je lui avais suggérées; et il commença de suite, autant que cela dépendait de lui, l’exécution de ce dont nous étions convenus; il rencontra le général Ambrosio et l’emmena avec lui, et il ordonna au général Statella de pousuivre sa marche vers Cimitile.

Sur ces entrefaites, le six Juillet, dès l’aube du jour, je m’étais rendu aux avant-postes de Mugnano, au moment où la troupe de Statella s’approchait de Cimitile. Sur les cinq heures une voiture de poste, se dirigeant sur Mugnano où je me trouvais, traversa au galop la colonne de marche de cette troupe. Je vis alors descendre le général Florestan Pepe,(10) qui me présenta un paquet du lieutenant-général due d’Ascoli, alors gouverneur de Naples. Dans ce paquet, se trouvait une circulaire du due, par laquelle il notifiait un décret du roi, qui avait proclamé la constitution la nuit précédente. A cette lecture, voyant perdre le fruit de. tant de soins, à l’instant même de le recueillir, je m’attachai au prétexte que pouvait me présenter l’incompétence du duc d’Ascoli, qui n’avait d’autorité que dans le gouvernement de Naples; et je répondis au général Florestan Pepe: Quêtant hors de ce gouvernement et investi moi-même de pouvoirs très-étendus, je n’étais point obligé de reconnaître un tel acte, et qu ainsi je ne proclamerai pas la constitution. En même temps, j’ordonnai que les troupes du général Statella, qui étaient déjà près de Cimitile, accélérassent leur marche.

Mais, un quart d’heure après l’arrivée du général Pepe, arriva une seconde voiture de poste, avec le lieutenant Castagnola; Celui-ci me remit une dépêche du roi lui-même, qui m’était directement adressée (voyez Pièce vingt-six). Elle contenait l’ordre positif de proclamer la constitution et de faire rentrer toutes les troupes dans leurs garnisons respectives (voyez Pièce vingt-sept).

Cette fois, je-dus céder. Résister plus longtemps eût été une obstination insensée et un véritable délit. J’avais assez manifeste ma résolution d’agir; indépendamment de tout ce que j’avais fait jusqu’alors, je me trouvais dans ce moment aux avant-postes, où je m’étais porté aussitôt l’arrivée des renforts; une partie des troupes était prête, et le reste était en pleine marche; enfin, j’avais refusé de faire publier la constitution sur la simple dépêche du gouverneur de Naples. Oh doit juger, d’après toutes ces circonstances, si mes intentions furent un seul instant douteuses.

Qu’il me soit permis d’ajouter ici quelques réflexions: la répression de la révolte n’avait pas été confiée à moi seul, mais concurremment avec le général Nunziante. Ce général avait plus de douze cents hommes, qui se composaient de deux bataillons du régiment royal Palerme, d’un bataillon du troisième de chasseurs à pied, et de trois escadrons du régiment du prince, cavalerie, force triple de celle qui me fut confiée, à moi, depuis la matinée du quatre jusqu’au soir du cinq Juillet. Devant lui se trouvait le seul point vers lequel on pût tenter une entreprise; il attaqua les insurgés, mais sans s’entendre avec moi, et sans aucune mesure dans ses dispositions.

L’événement fut malheureux; mais ce qui fut plus funeste encore, c’est que sa retruite sur Naples, au lieu de l’avoir dirigée sur Salerne, entraîna la révolte de cette dernière province, et la perte de toute communication avec cinq autres. Nul doute que ces événemens n’aient contribué à augmenter l’audace des sectaires, dans la nuit du cinq au six, ainsi qu’à faire naître la résolution précipitée du roi, laquelle fut encore déterminée par une lettre du même général, qui lui conseillait d’accorder la constitution. 

Quant à moi, je fus d’abord envoyé seul; ensuite on me fit parvenir les forces les plus modiques, quoique je me trouvasse sur le point vraiment difficile, et devant une position inattaquable. Malgré tout cela, je contins l’insurrection; je conseillai constamment de ne point montrer de faiblesse en accordant un changement politique en face de séditieux armés. Ma manière de voir et ma vigilance étaient si connues, qu’aucune des troupes, qui, en désertant, se rendaient de divers autres points à Monteforte, n’osa passer près de ma position, quoique c’eut été le chemin le plus court pour quelques-unes d’entr’elles. Les déserteurs se détournèrent, et effectuèrent leur passage dans la proximité du général Nunziante. Enfin, sans avoir, par mes dispositions, augmenté les chances défavorables, soit dans les troupes, soit dans là population, j’avais amené les choses à tel point qu’il ne s’agissait plus que d’obtenir un résultat; et, lorsque j’avais réuni dans mes mains tout ce qui pouvait assurer les chances de succès, une démarche précipitée vint rendre nul tous mes efforts.

Cependant, malgré tant d’évidence, on veut absolument que je sois le coupable. Je né prétends point que le général Nunziante ait eu de mauvaises intentions; ses intentions furent pures comme les miennes, et ses erreurs provinrent de faux calculs. Mais, pour moi, quelles furent donc mes erreurs? Et, s’il était vrai qué j’en eusse commis, ne furent-elles pas constamment partagées par le capitaine-général et par le gouvernement, qui, jusqu’au dernier moment, comblèrent d’éloges toutes mes opérations, après s’être constamment entourés de tous les moyens imaginables pour pouvoir les bien apprécier? (voyez Pièces, douze, dix-huit, vingt deux, vingt-trois, vingt-quatre et vingt-cinq).

Mais que pourrait encore inventer la calomnie ou la prévention? Prétendra-t-on qu’en me montrant contraire aux insurgés, j’aie usé d’une dissimulation profonde? Quoique tous les antécédents répugnent à cette supposition, si l’on voulait absolument la regarder comme possible, les faits subséquents formeraient en ma faveur une preuve irrécusable, puisque, dans la période constitutionnelle, je fus haï, menacé, persécuté, par les moteurs et les partisans de l’insurrection, qui se rappelaient tout ce que j’avais fait pour la réprimer. Si j’eusse favorisé leurs desseins, le fruit de l’insurrection n’eût pas été recueilli par le général Pepe, mais par moi, qui était plus ancien que lui, par moi qui avais eu bien plus d’occasions de rendre des services à ma patrie, et qui, deux foia, avais réclamé avec tant de danger une constitution pour le royaume de Naples. Si j’eusse d’abord favorisé la révolution, les Charbonniers ne m’en eussent-ils pas fait plus tard un reproche sanglant, lorsque, dans le mois de Mare, 1821, ils m’accusèrent, avec tant d’injustice, d’avoir trahi la cause nationale?

Nous devons maintenant faire quelques pas en arrière pour exposer les événemens qui s’étaient succèdes à Naples, tandis que j’étais à Mugnano, événemens qui avaient déterminé la ré-s solution inattendue de Sa Majesté.

Le cinq, vers les midi, mes opérations et mes desseins avaient déjà transpiré par le moyen des sectaires qui se trouvaient employés dans les bureaux de la capitale. Les chefs de la secte virent qu’il n’y avait pas un moment à perdre, et que, s’ils ne faisaient pas un coup décisif dans la nuit suivante, tout serait terminé peut-être le six au' matin, ou par les négociations, ou par la force. Ils s’agitèrent en tout sens. Ils n’oublièrent pas de me rendre également suspect aux yeux du gouvernement et du public, mais dans un sens o2 tout.à-fait différent. On disait aux constitutionnels qui se trouvaient à Naples: “Le général Carascosa est sur le point d’anéantir l’effet d’un. effort magnanime. Il a propose au gouvernement les moyens les plus efficaces de réprimer l’insurrection. On assure, entr’autres, qu’un de ses projets tend à faire taire une promotion générale dans l’ordre judiciaire.”(11) Les mêmes individua, qui tenaient ce langage dans les cercles libéraux, s’exprimaient d’une manière bien opposée dans les salons des hommes de cour: “Comment,” s’écriaient-ils, “le roi peut-il se flatter que le général Carascosa, partisan du système constitutionnel, puisse de benne foi chercher à réprimer la révolution? Il feindra de tout faire, mais il ne fera rien.” D’autres, parmi les fauteurs de la révolution, hasardèrent des démarches plus audacieuses et plus décisives. Ils réussirent.... 

Ces dernières opérations ne me sont que trop connues; mais un voile épais doit.les couvrir tant que leur révélation pourrait compromettre les personnes qu’elles concernent. Je ne dois pas oublier que j’écris ces mémoires sur des événemens contemporains, et que je dois supprimer tout ce qui serait nuisible à quelqu’individu. Il suffit de savoir que dans la nuit du. cinq au six, on parvint à faire partir pour Monteforte plusieurs corps de cavalerie et quelques bataillons d’infanterie. Ces troupes, ainsi que le général Guillame Pepe lui-même, ne furent déterminés à passer alors du côté des révoltés, qu’à l’aide d’illusions et de machinations de tonte espèce.

Le roi fut atterré en apprenant toutes ces défections, tandis que, d’un autre côté, les courtisans le pénétraient de soupçons contre moi. Le capitaine-général malheureusement n’était pas encore de retour de Mugnano. Dans ces moments d’anxiété, l’on convoqua un conseil, qui fut composé tout entier d’hommes dépourvus de sang-froid et de sagacité; et ce furent ces, hommes qui, plus tard, n’ont pu pardonner les actions les plus nobles lorsqu’elles étaient dans le gens constitutionnel, qui décidèrent alors le roi à changer si précipitamment le système politique du royaume!....

Ce fut alors qu’on m’envoya le lieutenant-général Florestan Pepe, suivi, bientôt après, par le lieutenant Castagnola. J’ai déjà dit que ce dernier m’apporta l’ordre régulier de publier la constitution. En exécution de cet ordre, je chargeai de suite le major Lombardo et le capitaine Minon de se rendre à Monteforte pour signifier, à qui de droit, la publication de la constitution, et pour donner communication des actes royaux qui s’y rapportaient.

Cette commission fut exécutée; à leur retour, ces deux officiers, conformément à ce que m’avaient précédemment dit mes espions à Nola, me rapportèrent que Deconcili, et surtout son secrétaire ainsi que beaucoup d’autres, jetaient feu et flammes contre moi. Or si, jusqu’alors, j’eusse été secrètement d’accord avec eux, le moment n’était-il pas arrivé de cesser toute dissimulation, et de courir m’embrasser, au lieu de me couvrir de malédictions? J’avais reçu l’ordre de faire rentrer les troupes dans leurs anciennes garnisons. Lorsque je me préparais à l’exécuter, je fus appelé à Naples (voyez Pièces vingt-huit et vingt-neuf). Je laissai, comme cela m’était enjoint, le commandement de ces troupes au général Roccaromana, et je me dirigeai sur Naples. 

A un demi mille de Cimitile, je rencontrai la colonne composée presqu’en entier de troupes royales, qui, sous le commandement du général Stratella, marchait vers ce village, d’après mon ordre de la nuit précédente. J’arrêtai cette troupe, et j’ordonnai au général de la reconduire, ou de la renvoyer dans ses garnisons. En disposant ainsi, j’exécutais un ordre exprès du roi (voyez Pièce vingt-sept). Or, qui pourrait croire qu’en Mai 1821,lorsque d’atroces persécutions s’élevèrent, la malveillance eût pu tourner contre moi une telle circonstance? Certaines personnes de haut rang, et après elles beaucoup d’autres personnes, n'ont pas rougi de dire: “Dans la matinée du six Juillet, nous étions en présence des rebelles; nous étions sur le point de les détruire, de les pulvériser!...mais le général Carascosa arriva, il donna l’ordre de ne pas attaquer, et de retourner, au contraire, dans lés garnisons..Un tel langage fait voir à découvert jusqu’où certaines. personnes peuvent porter l’impudence et la malignité pour satisfaire des intérêts de parti.

J’arrivai à Naples. Je me rendis de suite au palaia du commandement supérieur de la guerre. Je m’entretins avec le capitaine-général, qui convint avec moi que le gouvernement avait pris une résolution intempestive. Il me dit, qu’ayant fait tous ses efforts pour s’opposer au mal, il ne se faisait aucun reproche sur la mesure funeste prise en son absence par le gouvernement(12). Il ajouta que le roi voulait me parler, et je sortis du palais du commandement supérieur, pour me rendre auprès du roi, que je trouvai avec le chevalier Medici, ministre des finances.

Après avoir rendu au souverain les hommages ordinaires, je ne pus m’empêcher de lui dire, “qu’il me semblait s’être trop pressé de proclamer la constitution, puisqu’il aurait dû attendre le développement de mes opérations, qui étaient le résultat de tant de soins et de tant de travaux.” Le roi répondit, “qu’il avait été entraîné à une telle résolution par les faits extraordinaires qui s’étaient passés à Naples, après le départ pour Cimitile du major Rodino, porteur des huit mille ducats et des passeports pour les chefs insurgés, et après le départ du capitaine-général pour Mugnano; que la défection de plusieurs corps et de quelques généraux lui avaient causé la plus grande inquiétude; qu’il avait craint qu’on n’ouvrit les prisons et les bagnes, ce qui aurait porté un coup funeste à la capitale et peut être à tout le royaume; que ces événemens l’avaient porté à convoquer un conseil, et qu’après avoir entendu les avis, il avait cru devoir accorder ce changement politique.”

Il ajouta qu’il m’avait destiné à remplacer Nugent. Je le suppliai de me dispenser de cette charge; mais, il me répondit, que le décret en était rendu. J’osai repiquer, “que, dans un gouvernement représentatif il fallait que les ministres jouissent de la faveur publique, et que je m’en croyais absolument privé dans ce moment, parce que je étais opposé avec trop de zèle à la répression de la révolte!” Le roi répartit que toute réflexion était maintenant tardive; et, s’étant tourné du côté du ministre, qui avait toujours été présent, comme pour lui faire confirmer ce qu’il m’avait dit lui-même, le ministre dit ces mots: “Le décret est déjà expédié et ne peut se changer.” Après cela, le roi me congédia.

Avant de terminer cette première partie, je ne dois point omettre quelques réflexions sur le conseil fatal donné au roi dans la nuit du cinq au six Juillet. Du moins, avant de rendre une décision finale, ne fallait-il pas chercher à savoir ce qu’on pouvait encore espérer du côté de Mugnano? en retardant seulement douze heures, Nugent eût été de retour, et aurait rendu compte de l’état des choses. Et si, dans la matinée du(; )six, l'on n’eût rien obtenu de favorable, c’était alors qu’on pouvait adopter le parti décisif, qui fut pris avec tant de faiblesse et de précipitation dans la nuit précédente.(13) On ne peut objecter qu’en attendant, le roi et la famille royale fussent restés exposés à des périls ou des insultes. Vains prétextes! ses lâches conseillers ne songèrent qu’à leurs propres périls. 

Le roi et la. famille royale avaient pleine sûreté, en se renfermant dans le Château neuf, ou en se retirant par la mer. Quant aux autres dangers, ils étaient incertains, ou de peu d’importance, pour une circonstance aussi grave. Mais le comte Nugent et moi nous étions absens, et les fidèles exclusifs étaient seuls au conseil; chacun d’eux était uniquement inspiré par ses appréhensions particulières, et par le sentiment de sa nullité. Un vieillard caduc, qui, dans ce moment est un des plus ardens persécuteurs des constitutionnels, conseillait alors le changement politique dans les termes suivants: “Sire, je vous aime comme un fils, écoutez mon conseil; accordez promptement une constitution”.

Un autre fidèle, qui, par ses opérations inconsidérées, doit plus qu’un autre s’attribuer une partie de la catastrophe, écrivait au roi: “Sire, le vœu d’une constitution est général; n’écoutez pas ceux qui vous représentent les choses sous un autre aspect. Si quelqu’un peut nourrir le projet de tromper Votre Majesté, ce n’est pas moi, et je suis d’avis qu’on accorde promptement un changement politique, &c.” (14) Maintenant comment se fait-il qu’on n’ait jamais rien imputé à de tels hommes, tandis qu’on accuse et qu’on persécute ceux dont les conseils et les actions ont été constamment dirigés vers les seuls intérêts du trône et de la nation?

RÉSUMÉ DE LA PREMIÈRE PARTIE

Pour mieux fixer le lecteur sur les points principaux de cette première époque, il est utile de lui en présenter le tableau rapide, qui aura pour but de rapprocher des résultats, que la nécessité d’entrer dans des détails et de me livrer à quelques réflexions à fait trop séparer les uns des autres.

En remontant à la première période, je n’ai fait qu’esquisser les traits les plus remarquables. Nous avons vu qu’en 1793 et 1794, les rigueurs inopportunes du gouvernement Napolitain,contre une prétendue conspiration, amenèrent les premières divisions de partis, qui n’ont fait que s’augmenter depuis cette époque, et qui affligent encore aujourd’hui le royaume. Ces divisions, la protection accordée à la nullité, la défaveur qui frappait le mérite, l’impolitique guerre de 1798, l’imprudente rupture de la neutralité en 1805, furent autant de circonstances qui préparèrent on amenèrent les invasions étrangères. Le génie qui avait présidé à la révolution française vint établir son empire jusqu’aux pieds du Vésuve; et l’antique dynastie perdit, avec le trône, l’appui d’une longue habitude, ainsi que les prestiges de l’opinion.

Après la restauration de 1815, un gouvernement, modéré et libéral à certains égards, se laissa entraîner par faiblesse à quelques erreurs funestes, qui précipitèrent le royalisme dans un abîme de maux. L’excessive faveur, qui fut encore accordée à des individua sans mérite, l’armée accablée de dégoûts, l’anxiété des hommes qui avaient rempli des fonctions sous la domination française, la hauteur et les menaces de ceux qui revenaient de Sicile, toutes ces causes contribuèrent à fomenter de nouveau les divisions intérieures.

L’esprit de secte politique, présqu'étaint dans le royaume, fut réveillée par l’imprudence de ceux qui, croyant faire de l'une d’elles un soutien du trône, et jetant ainsi l’alarme dans tonte la secte contraire, conduisit graduellement cette dernière à un développement immense de moyens, auquel contribuèrent surtout le mécontentement de la jeunesse, un relâchement général dans l’exercice de tous les devoirs, et la mollesse du gouvernement au milieu de tous les genres d’abus. Tout était donc préparé pour un renversement de l’ordre établi; une circonstance particulière accéléra l’événement, et la révolution éclata.

Certes, un tel mouvement était blâmable, et il n’était point conforme aux règles de la prudence, chez un peuple qui ne pouvait le soutenir les armes à la main. Mais, d’un autre côté, le gouvernement eût dû le prévenir, soit en donnant une constitution, soit en empêchant que les choses parvinssent à une tel le extrémité. Et lorsqu’il avait laissé croître les symptômes du mal jusqu’au moment critique, il devait au moins y apporter un remède prompt et efficace. Mais il ne sut mesurer le danger que d’après. son habitude d’inertie et sa terreur; il ne sut prendre aucune mesure convenable, et l’esprit de sédition s’étendit avec une rapidité qui devait tout entraîner.

L’inconséquence se joignit à la faiblesse du gouvernement, ou plutôt, elle en fut une conséquence inévitable. Imprudent avec Pepe, il le jeta dans les rangs de ses ennemis; défiant envers moi, il hésita à chaque pas; il paralysa ainsi tous les moyens que j’aurais pu employer en sa faveur; mais, se jetant au contraire avec confiance dans les bras de conseillers timides et intéressés, il fit un pas irréparable; il couronne les desseins des rebelles, et sa châte fut accomplie. Tant de maux sont ensuite attribués à celui qui, véritablement fidèle à ses devoirs, fit tout pour le gouvernement Le poison de la calomnie poursuivit en tous lieux l’homme pouf qui déposent une masse de faits incontestables; un homme, chérissant, il est vrai, les idées libérales, mais qui, ennemi de la révolte, veilla sans cesse, dans l’exercice de ses fonctions, à en étouffer le germe. Enfin, l’on ne craint pas d’accuser du succès de l’insurrection celui que l’accomplissement d’un devoir, auquel on feint de croire qu’il fut infidèle, a exposé à la haine opiniâtre d’une secte, dont le triomphe fut complet pendant quelques mois.

Mais d’autres personnes voudraient m’imputer au moins d’avoir commis des erreurs fatales à la cause que j’étais chargé de défendre, tandis que, me défiant sans cesse de mes lumières, et sentant la gravité des circonstances, je sollicitai sans cesse des avis, des instructions, et même l'envoi d’une personne qui eût toute la con fiance du roi. Bien plus, je demandai qu’on présentât à Sa Majesté toute ma correspondance; je soumis chacune de mes opérations à son approbation spéciale, et je l’obtins constamment. Ainsi, donc, ma conduite, à tous égards, fut irréprochable.

MÉMOIRES HISTORIQUES S UR LE ROYAUME DE NAPLES

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SECONDE PARTIE

En commençant cette seconde partie, il est nécessaire d’examiner, sous le rapport de la volonté, l’acte royale émané dans la nuit du cinq au six Juillet, qui accorda une constitution à la nation napolitaine. Cet acte fut-il volontaire? Le roi, lorsqu’il le décréta, était-il libre, ou en état de contrainte? Le roi, depuis le deux jusqu’au six Juillet, pouvait, sans le moindre obstacle, s’embarquer, ou se retirer dans le Chàteau-Neuf, s’il n’eût pas voulu accorder ce changement politique; et, puisqu’il adopta ce dernier parti, il est évident qu’il le fit de sa pleine volonté. peut-être l’alternative était-elle pénible, mais il avait une entière liberté de choisir. Il est également vrai que sa résolution fut précédée par des conseils suffisants; et l’on a assuré qu’une personne, lui ayant suggéré l’idée de quitter Naples, il la repoussa. Je crois donc pouvoir conclure que ce premier acte du roi fut spontané.

Maintenant, quelles furent les conséquences d’un tel acte? Au lieu de l’accorder, si le roi se fut embarqué, cette protestation de fait contre tout changement politique eût peut-être, il est vrai, conduit à la guerre civile; mais cette guerre eût été de courte durée, parce que la grande masse des citoyens, et une partie des militaires, se seraient alors déclarés contre le mouvement insurrectionnel. Mais, au contraire, la concession d’un système constitutionnel ayant eu, de la pari du roi, tous les caractères de la spontanéité, détermina une grande quantité de citoyens paisibles et honnêtes à prendre parti pour la révolution, dans la vue de la modérer et de lui donner une bonne direction. Aussi, dans tout son cours, si la famille royale fut toujours respectée, s’il ne fut répandu aucune goutte de sang parmi les citoyens, si l’Europe admira le spectacle inattendu d’un peuple bouillant, en proie à l’effervescence de toutes les passions, et qui ne commit pas un seul crime politique, on doit uniquement l’attribuer à la participation de ces hommes estimables.

Cependant dans l’acte même de la concession, l'on commit une grave erreur, qui devait avoir, les plus funestes conséquences: on laissa à cet acte un air d’incertitude et de. vague, qui donna des doutes aux hommes honnêtes, et qui fournit des prétextes aux mal-intentionnés. En promettant que, sous huit jours, l’on fixerait les bases d’une constitution, qui seraient présentées par quelques personnes, l’on fit craindre d’abord que cette promesse indéterminée n’eût d’autre objet que de faire gagner du temps, pour mieux pouvoir l’éluder; et ensuite, que pour présenter ces bases d’une constitution, l’on ne désignât des personnes qui ne jouiraient pas de la confiance publique. Si, au lieu d’une telle promesse aussi indéfinie, l’on eût de suite proclamé une constitution déterminée, comme, par exemple, celle de France, d’Angleterre, ou toute autre, tout se calmait. La jeunesse exaltée n’aurait pas craint d’être trompée dans ses espérances; les agitateurs n’auraient pas eu de prétexte pour l’exciter; et parmi les ambitieux, les uns, dans l’espoir d’être nommés pairs, les autres, dans celui d’obtenir des emplois, se seraient rapprochés du trône, tandis qu’ils crurent devoir chercher dans le parti populaire les moyens de se pousser à la fortune.

La nation entière accueillit avec joie l’annonce d’une constitution; quoiqu’on blâmât le mouvement excité par une secte, et surtout l’inexcusable insurrection de la troupe, la généralité des citoyens fut d’accord pour en accepter avec enthousiasme le résultat. Mais la plus grande partie d’entr’eux s’imaginèrent qu’ils obtiendraient immédiatement l’accomplissement de tous leurs désirs. Le propriétaire crut obtenir de suite la réduction des impôts; le père de famille crut voir pour toujours abolir la conscription; les employés publics espérèrent des avantages dans les changements qui allaient s’opérer; et ceux qui ne l’étaient pas eurent l’espoir de le devenir. Enfin, il n’est pas jusqu’aux religieux sans vocation et aux époux mal assortis, qui ne crurent apercevoir, dans ce changement politique, la rupture prochaine de liens incommodes.

Cette fausse interprétation, donnée aux bien faits qu’on pouvait attendre du régime constitutionnel, était sans doute d’un mauvais augure. Les Napolitains ne sentirent point qu’un tel bien ne s’acquiert presque jamais qu’au moyen des plus grands sacrifices, et quelquefois au prix de beaucoup de sang. Aussi, trompés nécessairement dans de telles espérances, on aperçoit déjà l'une des causes,qui, huit mois plus fard, les conduisit à voir, avec tant d’indifférence, anéantir un ordre de choses qu’ils avaient accueilli avec tant d’enthousiasme.

Après ces observations préliminaires, nous allons reprendre le fil des événemens, qu’elles serviront à faire mieux apprécier.

Dès l’aurore du six Juillet, on avait affiché dans toutes les parties de la capitale un imprimé, contenant la promesse de la constitution. (Pièce vingt-sept.) Jusques Sur les onze heures du matin, la ville parut tranquille, quoique, dans l’intérieur de beaucoup de maisons, il se tint des réunions de jeunes gens et de Charbonniers, dans les quelles il y avait déjà beaucoup de fermentation. Mais sur les onze heures, des attroupements commencèrent sur les places publiques. Plusieurs de ceux qui les composaient étaient munis d’armes illégales, ce qui donnait déjà de vives alarmes; mais la multitude d’objets dont ils étaient occupés, fit bientôt craindre une anarchie complète. Là, c’étaient des milliers de jeunes gens, qui avisaient aux moyens d’empêcher le roi de s’embarquer; ici, d’autres voulaient qu’on s’assurât des banques publiques pour que l’argent n’en fut pas enlevé. L’occupation des châteaux de la capitale était l’objet dont on s’occupait dans d’autres groupes, afin, disait-on, de prévenir les trahisons qu’on pouvait craindre. Enfin, d’autres, en criant, demandaient des armes dans le même but.

Chaque groupe avait sa physionomie particulière. Dans les uns, tout était modération et urbanité de manières; dans d’autres, tout était fureur et menaces: mais partout également, les torches de l’anarchie commençaient à s’agiter. Sur plusieurs points, des énergumènes, montés sur des bancs, excitaient au désordre, tandis que des agitateurs secrets, avec moins d’audace, mais avec plus d’adresse, tendaient au même but en accréditant des soupons, ou en répandant des calomnies et des nouvelles alarmantes. Je le répète encore: cet acte royal, con?u en des termes aussi vagues, fut la cause de tous ces mouvements, parce qu’il inspirait une véritable défiance aux honnêtes gens, et parce qu’il fournissait des prétextes aux mal intentionnés.

Les choses se passèrent ainsi jusques sur les trois heures après midi du six Juillet. Du milieu de ces attroupements, on envoyait continuellement des députations pour divers objets, tantôt c'était au due d’Ascoli qu’on s’adressait, pour demander que les bâtiments de guerre entrassent de Suite dans le port, a fin que le roi ne pût s’embarquer faisait-on quelque objection régulière à une telle demande, on n’y répondait que par des menaces grossières. Alors on cédait; mais à peine avait-on donne des ordres dans le sens convenu avec la première députation, qu’il en arrivait une nouvelle, qui exigeait des choses tout-à-fait opposées.

On envoyait également des députations aux banques, pour assister à la vérification du numéraire et à l’inspection des registres; en partant, elles faisaient des dispositions, mais ces mêmes dispositions étaient de suite annullées par celles d’autres députations successives, qui ne devaient pas elles mêmes avoir plus d’effet. D’autres députations étaient envoyées au ministre de la guerre, tantôt pour demander impérieusement des armes, ensuite l’ouverture de, tous les châteaux de la.villes tantôt pour lui enjoindre de la part de la nation, (dont quelques jeunes gens prétendaient avoir le. mandat) de faire marcher de suite l’armée vers la frontière, sans réfléchir seulement que l’armée n’existait réellement pas, et qu’elle s’était presque dissoute, soit en se rendant en partie au camp de Monteforte, soit par la désertion d’une grande quantité de soldats durant ces quatre jours de désordre.

Nous devons cependant à la vérité d’avouer que tout se réduisit à des paroles. Au milieu de tant de confusion, il n’y eût pas une goutte de sang répandue, pas une seule voie de fait contre les autorités; il n’y eût pas un sou d’enlevé, soit dans les caisses publiques, soit aux particuliers. Partout, les hommes honnêtes étaient intervenus; et tantôt par la persuasion et les prières, tantôt par la colère et les menaces, ils parvinrent à déjouer les mauvais desseins, à calmer les passions, à démasquer les agitateurs; et partout aussi, la jeunesse exaltée, séduite, mais toujours pure d’intentions, se calmait à leur voix.

Cependant, les ennemis du nouvel ordre de choses profitèrent de cet appareil d’anarchie, pour jeter des alarmes dans le cœur du monarque; ils lui rappelèrent les funestes exemples de 1793; ils lui représentèrent qu’on avait exigé la rentrée des bâtiments de guerre dans le port, et ils en conclurent que toutes ces circonstances présageaient les desseins les plus perfides.

Ces suggestions, et tant de tumulte, donnèrent au roi des appréhensions. D’un âge avancé, n’étant point accoutumé à recevoir ainsi des députations, souvent contradictoires, qui se succédaient à chaque. instant, il se décida à quitter les rênes de l’état,en les remettant entre les mains du prince-royal, avec le titre de vicaire-général. Ce fut là une résolution mal heureuse, causée par les agitateurs, en même temps que ce fut un grand triomphe pour les ennemis du système constitutionnel. Les conséquences de cette résolution étaient très-graves: d’abord, elle servait au moins de prétexte aux puissances étrangères pour déclarer que le changement politique de Naples avait été arraché par la violence, puisque le roi s’était retiré des affaires. D’un autre côté, les hommes de la cour, ainsi que beaucoup de nobles et leur nombreuse clientèle, ayant fait la même interprétation, crurent devoir rester simples spectateurs de la révolution,et n’y prendre aucune part; Enfin, le parti anti-libéral, auparavant presque assoupi, crut apercevoir dans cette résolution du roi un avis, et même un ordre de s’opposer à ce changement par tous les moyens qui se présenteraient.

Il est vrai que, d’un autre côté, l'on peut opposer que le roi, élevé dans le vieux temps, se serait difficilement accommodé aux nouveautés actuelles; que, d’ailleurs, son âge avancé ne lui aurait point permis de travailler plusieurs heures par jour, comme cela était indispensable dans ces temps orageux; qu’enfin, la nation n’eût point souffert qu’il s’entourât des hommes anciens, en qui seuls il avait confiance, tandis qu’il ne voudrait pas se confier aux hommes nouveaux, dont le public voudrait le voir entouré.

On doit conclure de ces considérations diverses, que, s’il était utile d’un côté, que le roi gardât le timon des affaires, pour donner un appui à la cause constitutionnelle, il était cependant bien difficile qu’il pût satisfaire à ce besoin public. Cependant, pour ne rien omettre ce de qui peut faire apprécier cette époque critique, on doit se rappeler que le roi n’avait pas quitté les affaires de suite après le changement politique. Il avait fait des décrets pour dissoudre l’ancien miniature, et pour nommer trois nouveaux ministres, le due de Campochiaro aux affaires étrangères, le comte de Camaldoli à la justice, et moi pour le département de la guerre. Or, l’on doit observer que nous étions tous trois des hommes nouveaux. Enfin, dans les premiers moments, le roi ne parut point triste, ni se repentir de ce qu’il avait accordé au peuple. On peut donc croire que si l’on eût caressé ces premières impressions, que si l’on eût agi avec la délicatesse nécessaire pour opérer la fusion, déjà commencée, de tant d’éléments hétérogènes, la chose publique eût été peut-être sauvée. Mais les agitateurs, en excitant des tumultes, et les ennemis du nouveau système, en exagérant les dangers, firent évanouir ces premières dispositions favorables. C’est donc à ces deux classes d’hommes qu’on doit attribuer les fâcheuses conséquences de la retraite du roi.

L’administration de l’état fut donc confiée au prince royal. Le prince est Un bomme religieux, bon fila, excellent père; il est instruit, travailleur, attentif aux moindres détails, et anime du désir de rendre justice. Il est doué d’un certain degré de courage moral, qui le met au-dessus des dangers personnels. Il était pénétré d’ailleurs de l’esprit du siècle, et de la disposition du peuple napolitain à un régime représentatif. Mais, au milieu de toutes ces qualités, il laissa entrevoir quelques traits de faiblesse, quoiqu’on puisse dire que, dans des temps aussi critiques, il fut souvent indispensable de remplacer l’énergie par la prudence. On peut aussi peut-être lui reprocher un peu trop de défiance; et quoique en général, une telle qualité soit indispensable dans un souverain, il eût fallu peut-être faire une exception dans les circonstances où l'on se trouvait alors. Un peu plus d’abandon envers ses ministres, qui lui étaient tous extrêmement attachés, eût contribué beaucoup au bien général. On peut dire, toutefois, que le prince fut peut-être arrêté dans un tel abandon par l’aspect d’événements qui pouvaient lui donner des alarmes, lorsqu’il pensait aux malheurs arrivés à quelques-uns des membres de la même dynastie, dans des circonstances à-peu-près semblables.

Après avoir présenté ces traits caractéristiques du prince, reprenons le récit des faits.

Nous avons dit, dans la Première Partie, que le général Guillaume Pepe était parti de Naples avec le général Napoletano, dans la nuit du cinq au six Juillet, époque à laquelle partirent aussi divers escadrons de cavalerie et quelques bataillons d’infanterie, se dirigeant tous sur Monteforte, pour se réunir aux forces commandées par Deconcili. A l’annonce de leur arrivée, ce dernier hésita s’il devait recevoir le général Pepe, qui n’arrivait que lorsque la constitution était proclamée, et lorsque, par conséquent, les risques de l’entreprise étaient passés. Deconcili vit avec déplaisir arriver un homme qui lui enlèverait le fruit de ses efforts. Il balança donc; et quelqu’un fut jusqu’à lui conseiller de faire fusiller le général Pepe à son arrivée. Mais, soit qu’un acte aussi atroce répugnât à Deconcili, soit qu’il doutât de la réussite, soit enfin qu’il crût nécessaire d’adhérer aux vœux de la majorité, il consentit à laisser entrer le général Pepe dans le camp, avec le peu de renforts qu’il lui amenait, car une grande partie des troupes, qui l’avaient d’abord suivi, s’étaient débandées en route. Pepe fut nommé général en chef de ces troupes réunies, et Deconcili prit le rang de chef d’état-major.

Dès ces premiers instans, il se déclara un sentiment de jalousie entre le général Pepe et Deconcili. Le premier enviait à Deconcili d’avoir exécuté le mouvement révolutionnaire; et ce dernier regrettait d’avoir perdu le commandement en chef, qu’il avait exercé à Monteforte jusqu’au moment où il dut le céder A Pepe. D’un autre côté, le prêtre Minichini, qui. avait aussi beaucoup figuré dans la révolution de Monteforte, aspirait à la suprématie, et était, à son tour, un objet de jalousie pour les deux autres. Ces trois hommes furent obligés de se tolérer mutuellement; mais, sous le voile de feints embrassemens, ils nourrirent respectivement des sentiments d’aversion, qui ne furent pas sans quelque influence sur les événemens postérieurs, comme on aura lieu de le remarquer par la suite.

Généralement, les hommes accourent où est le succès, et où ils espèrent trouver des avantages. après que la promesse d’une constitution fut publiée à Monteforte, on y vit arriver plusieurs officiers de miliciens avec leurs compagnies, ainsi que divers officiers de ligne, avec des fragmens de leurs régimens dont ils étaient parvenus à se faire suivre. Il y arriva aussi plusieurs bourgeois armés. Tous, en arrivant, s’excusaient de leur retard, occasionné, disaient-ils, par des obstacles insurmontables, qui les avaient empêchés de venir plutôt soutenir la cause de la liberté.

Le général Pepe feignit de le croire, et les admit, parce qu’il désirait augmenter ses forces. Pour parvenir encore davantage à ce but, il fit marcher toutes les autres co m pagnies de milices de la province, qui n’avaient point encore quitté leurs arrondissemens. Il ordonna aussi à un régiment de cavalerie, qui était à Capitanata, de venir à Monteforte. Enfin, au moyen de tous ces éléments, il parvint à réunir environ dix mille hommes.

Mais, en même temps que sa force numérique augmentait, il voyait considérablement augmenter sa force morale. Une foule de députations lui furent adressées le même jour, six Juillet, tant de la capitale que de diverses provinces limitrophes. E lles vinrent le féliciter, et lui offrir l’appui des Charbonniers, au nom desquels elles se présentaient.

Le général Pepe, se voyant entouré de tant de moyens, commença à déclarer ses vues, qui, pour la plupart, lui étaient suggérées par les Charbonniers. Ceux-ci, par un instinct démocratique,désiraient à obtenir la constitution espagnole; et, pour s’en préparer les moyens, en opposition à ce qui avait été promis dans l’acte royal, ils décidèrent qu’on

tacherait d’inspirer à la multitude la plus grande impatience de voir promulguer la constitution. Or, il était impossible de satisfaire cette impatience, si l’on devait attendre la rédaction d’un projet quelconque, fait exprès pour le royaume; ainsi, l’on disposait indirectement les esprits à l’adoption de l’acte constitutionnel qu’on avait en vue.

On sait trop que la multitude réfléchit peu, et que, souvent, sans le savo i r, elle se rend l’instrument des projets d’autrui. Par l’influence des sectaires, de nouvelles agitations se manifestèrent bientôt dans la capitale. J’ai dit que le six, elle. était d’abord restée tranquille jusqu’à onze heures du matin; et j’ai dit aussi de quelle nature avaient été les troubles jusques sur les trois heures de l’après-midi; mais, après cette époque, ils devinrent si violens qu’ils firent craindre sérieusement pour l’ordre public. La capitale était privée de sa garnison, dont une p o rtion était allée, depuis quelques jours, à Nocera, pour renforcer Nunziante, et dont une autre portion était partie la veille pour me renforcer moi-mème à Mugnano. Presque la totalité de ce qui restait était désertée, ou avait passé à Monteforte. Le manque de forces a u gmentait donc les alarmes, et le mouvement était tel qu’à chaque moment, l’on s’attendait à voir commencer le massacre des citoyens et l’incendie de cette grande et populeuse cité. Pour comble de désordre, personne ne se croyait autorisé à agir pour le réprimer, les anciens ministres n’étant plus en exercice, et les nouveaux n’étant pas encore installés; il en était de même du gouverneur de Naples, et du commandant de la place.

De retour de Mugnano et accablé de fatigues, je m’étais un instant livré au sommeil, l orsque-je fus réveillé par tant de tumulte. Mes nouvelles fonctions de ministre de la guerre m’appelaient à déployer les moyens de répression pour rétablir la tranquillité publique. Je sortis à la hâte, et me concertai avec les généraux Filangieri et Ambrosio sur les moyens de calmer l’effervescence populaire. J’envoyai de suite le général Florestan Pepe à Mugnano, pour ramener à Naples la troupe qui y était restée. Je le jugeai propre à cette mission, parce qu’étant frère de celui qui commandait à Monteforte, je pensai qu’il n’éprouverait de lui aucun obstacle à cet égard. Il réussit en effet, et, dans la soirée du sept, une grande partie de cette troupe rentra dans la capitale. En attendant, plusieurs généraux avaient parcouru la ville, tant pour calmer la multitude par leurs discours, que pour faire garder les banques, les musées, les prisons, et les bagnes, par le moyen de la garde de sûreté, et par les bourgeois armés.

Quant à moi, je dus alternativement me rendre sur les div e rs points de la ville, soit pour concourir directe m ent avec mes collègues au rétablissement de l’ ord r e, soit pour intervenir fréq u emment dans un conseil de notables, qui fut convoqué dans le palate, du roi, et qui entourait la prince, dans, la vue de chercher quelque remède à la violence des troubles. Ce conseil, outre le ministre des affaires étrangères, et cel ui de la guerre (celui de la justice était absent de la ville) était composé du comte Zurlo, du chevalier Delfico, du due de Gallo, du baron Vinipear, et des deux princes siciliens Cascero et Villafranca.

Les troubles de la capitale continuèrent de la même manière les six, sept, et huit Juillet; à chaque instant c’était quelque nouveau motif. Tan tôt, on se plaignait que la constitution ne fùt pas encore publiée; tantôt que le manifeste qui l’annonçait avait été signé par le prince seul et non par le roi. Souvent, on renouvelait la de mande de la remise des dépôts d’armes, et la livraison des châteaux de la ville. Sous tous ces prétextes, des réunions nombreuses encombraient les places publiques, et y produisaient des tumultes, qui, au fond, étaient excités et entretenus par ceux qui, au moyen de tous ces désordres, voulaient obtenir la constitution d’Espagne.

Beaucoup d’honnêtes citoyens, ainsi que divers généraux, auxquels je me réunis le plus souvent possible, parvenaient presque toujours à calmer les esprits, soit par des prières, soit par des menaces, soit même en donnant de l’or aux principaux agitateurs, qui promettaient alors de coopérer au rétablissement de l’ordre, mais qui s’empressaient, au contraire, d’exciter de nouveaux tumultes pour avoir encore de l’or. Les dits généraux passèrent les nuits au bivouac, sur les places publiques, avec le peu de troupes qui ils étaient à Naples. 

Mais, en ces jours de danger, non seulement pour la capitale mais encore pour Je trône,(15) où se trouvaient donc ceux qui, jadis, avaient suivi le roi en Sicile, et qui se prétendirent toujours les seuls vrais royalistes? Aucun des chefs ne fut au poste du devoir, si ce n’est le respectable due d’Ascoli, qui n’abandonna jamais la place du palais, dispos é à faire le sacrifice de sa vie, si cela eût été nécessaire. Les autres suivirent leur usage ordinaire: ils ne savent que s’éloigner au moment de l’orage; et lorsque le calme est rétabli, ils reparaissent aussitôt, pleins d’orgueil, et avides de vengeance. Alors, ils censurent et empoisonnent toutes les actions de leurs anciens émules. 

Plus il montrent d’acharnement contr’eux, et plus ils croyant donner de preuves de leur attachement au souverain, quoiqu’au moment du danger, ils aient laissé aux seuls infidèles la g l oire de le défendre. Si je n’ai pu retenir ces mouvemens d’amertume envers des hommes aussi injustes, je ne prétends pas, néanmoins, exciter de nouveau l’esprit de parti dans notre malheureux pays. Je crois, au contraire, qu e, pour voir cesser leurs maux, le trône devrait m ettre sa confiance dans tout le peuple, et non pas dans une faible portion; je crois que les Napolitains devraient déposer toutes leurs passion s haineuses, tout sentiment de vengeance, et qu’ils devraient immoler sur l’autel de la patrie toutes le s factions honteuses, que lès intérêts ultra-montains nourrissent à dessein parmi nous. Les étrangers, voilà nos véritables ennemis, sous quelque masque qu’ils présentent leurs secours insidieux, tantôt à un parti, tantôt à l’autre.

Pendant qu’on s’efforçait de parer aux troubles de la capitale, le prince vicaire-général recevait, de Monteforte, des messages du général Pepe. Mais les demandes contenues dans ces messages étaient vraiment rigoureuses: on exigeait que la constitution espagnole fùt immédiatement promulguée; que le général Pepe fut investi du commandement suprême de l’armée jusqu’à la convocation du parlement national; que toutes les places et tous les forte fussent livrés à l’armée de Monteforte; qu’enfin l’on installât de suite une junte provisoire de gouvernement, dont les candidata seraient nommés, pour un quart, par le même général Pepe. Ainsi, l’on pouvait bien prévoir quelle serait son influence dans cette junte. Or, quand un même homme, dans un état, dispose de l’autorité gouvernante et de la force publique, quel moyen reste-t-il de maintenir l’équilibre? Accéder à de telles demandes c’était se rendre absolument à discrétion, et l’on n’avait eu aucun droit de les faire. Ce fut donc un abus de force, de la part de ceux qui mirent en avant de telles prétentions ; et ceux qui durent céder par la suite, n’obéirent qu’à l’empire des circonstances; mais tous ces embarras prenaient toujours leur source, je le répète encore, dans cette funeste erreur de n’avoir pas, dès le principe, déterminé quelle constitution l’on accordait au peuple.

Pour tâcher d’obtenir quelques adoucissemens à des prétentions aussi dures, l’on envoya de Naples à Monteforte des pers o nnes chargées de négocier; mais on obtint, pour toute réponse, qu’il fallai t accorder tout ce qui avait été demandé, et cela dans six heures; qu’autrement, l’on marc h erait sur Naples avec seize mille hommes. Sur Naples! sur cette ville où existait déjà tant de fermentation, et où l’on ne pouvait déjà contenir l’impatience de voir accorder ce qu’on demandait à Monteforte! On dut accéder à tout; et contre le sens de la promesse primitive du roi, qui  annonçait une constitution, fa i te pour le royaume de Naples, l’on consentit à proclamer la constitution d’Espagne.

Le lecteur jugera si cette seconde concession fut volontaire ou forcée. Dans tous les cas, ce ne fut point par faiblesse qu’on souscrivit, cette -fois, à toutes les demandes; mais l’état de violence était parvenu à un si haut degré dans la capitale, qu’on fut réduit à regarder comme un moyen de salu t public l’arrivée d’une force quelconque pour le réprimer, ainsi que l’intervention d’un nouveau pouvoir appuyé sur l’opinion générale.

On conf é r a don c l e commandement en chef au général Pepe; on nomina les membres de la junte provisoire, qui furent choisis à la satisfaction générale; enfi n, l’on fixa au neuf Juillet, ainsi que cela avait été exigé, l’entrée à Naples des colonnes qui devaient arriver de Monteforte.

Avant de rapporter les détails de cette entrée, il est utile de donner connaissance de certaines agrégations particulières, qui prirent naissance au milieu des troubles de Naples. Quiconque a vu le peuple Napolitain dans les momens de son effervescence, conviendra qu’il est parfaitement bien caractérisé par l’emblème d’un cheva l sans fr e in, sous lequel on l’a représenté. Depuis le six Juillet jusqu’au neuf, son exaltation fut au point qu’elle épouvanta ceux même qui l’avaient excitée. La crainte d’en être victimes, celle d’être attaqués par les Chaudronniers, comme on en répandait à dessein le faux bruit, excita les étudias et autres jeunes gens de chaque province, qui se trouvaient à Naples, à se réunir dans les première endroits qui se présentèrent à eux; en sorte, que chacun de ces endroits, auxquels on attacha des écriteaux pour les reconnaître, fut le point de réunion des jeunes gens d’une même province. Ces agrégations furent d’abord formées par simple mesure de sûreté perso n nelle; mais, par la suite, elles eurent une grande in fluence sur les événemens politiques eux-mêmes, ce qui nous a engagé à en marquer, dès ce moment, l’origine.

Les troubles de ces première jours portèrent aussi l’alarme chez les ministres étrangers qui résidaient à Naples; et ils se décidèrent à faire cause commune, afin d’assurer leur s personnes, celles des autres étrangers, ainsi que les propriétés de ceux-ci, existant dans le royaume de Naples. A cet effet, ils formèrent une espèce de coalition diplomatique, représentant toutes les nations principales de l’Europe. peut-être ces alarmes ne furent-elles que le prétexte de cette réunion gigantesque, qui eût peut-être d’autres vues, lesquelles peut-être aussi, étaient déjà tracées dans les instructions secrètes de certains de ces ministres. Quoi qu’il en soit, cette réunion de ministres étrangers amena l’unité d’action diplomatique envers le royaume de Naples, ce qui eût également une très-grande influence sur les événemens postérieure. Plus tard nous aurons occasion d’en  reconnaître l’effet.

Le neuf Juillet, comme nous l’avons dit plus haut, était destiné à l’entrée à Naples des forces venant du camp de Monteforte. La veille, au soir, le Prince royal reçut une lettre du général Pepe, par laquelle ce dernier demandait que les généraux Filangieri et Carascosa fussent envoyés le lendemain matin au champ de Mare, qui est situé aux portes de la ville, attendu qu’il désirait leur parler. Les colonnes que le général Pepe conduisait devaient se reposer dans ce lieu, avant d’entrer dans la ville. Le prince nous ordonna d’y aller; mais le général Filangieri n’ayant pu s’y rendre, je m’y trouvai seul. 

Chemin faisant, je m’aperçus que l’anarchie et la discorde régnaient parmi les révo lu tionnaires; ayant rencontré plusieurs de leurs principaux chefs, tous s’accordèrent à me dire qu’ils étaient prêts à en venir aux mains, tant il y avait de dissentiment entr’eux. Je leur demandai si le général Pepe pourrait parvenir à ramener la concorde; mais ils me répondirent que lui-même courait les plus grands dangers Re in pii de ces funestes préventions, j'arrivai au camp, où il y avait environ quatorze mille hommes, mais sans aucun ensemble. Plus de la moitié de cette foule était, il est vrai, composée de troupes de l igne, ou de miliciens en habits militaires, mais sans aucune subordination. 

Le reste, n’ayant point d’uniformes, portait gauchement de mauvais fusils; et ces hommes, qui avaient l’air des paysans les plus grossiers, étaient divisés en groupes placés sans aucun ordre. Dans quelques-uns de ces groupes, on ne voulait obéir à personne; dans d’autres, on ne voulait obéir qu’aux chefs respectifs. Ces chefs eux-mêmes n’avaient aucun accord, et l’on n’entendait de toutes parts que des cris et des altercations. A mon passage, on me prodigua les imprécations et les menaces; et ce fut à te l point, que je croyais à chaque instant devenir la victime de la fureur de ces insensés. Je rencontrai enfin le général Pepe, qui s’aperçut de mon danger, et qui chercha à me rassurer. il me prit sous le bras, voulant, par là, montrer à la multitude qu’ell e devait me respecter. 

Ensuite, il me dit à voix basse, qu’il n’était pas lui-même plus en sûreté que moi, mais qu’il fallait faire bo n ne mine à mauvais jeu. Je lui demandai quelles étaient ces masses armées, et s’il ne croyait pas dangereux de les faire pénétrer dans la ville? Il me répondit qu’elles étaient composés des plus mauvais sujets de plusieurs communes de la terre de Labour, qui, à son passage, avaient demand é à faire partie de sa colonne, et qui, se prétendant Charbonniers, voulaient participer à son entrée triomphante dans Naples; qu’il avait été obligé de dissimuler, qu’il désirait beaucoup ne point en être accompagn é, mais qu’il ne savait s’il pourrait y parvenir.

Je pris congé du général Pepe, qui, soit oubli, soit faute d’objet, ne me f i t aucune communication. Je repris le chemin de la ville; je repassai devant ceux qui m’avaient déjà menacé, et qui renouvelèrent leurs menaces.

A mon retour à Naples, traversant la route de Tolède, il me fut impossible de ne pas laisser lire sur mon visage le sentiment  d’appréhension que m’avait inspir é l’aspect du camp. Plusieurs personnes, qui s’en aper ç urent, en tirèrent un mauvais présage, et l’avis en fut donne de suite aux ministres étrangers qui se trouvaient réunis chez le chevalier A. Court, ministre plénipotentiaire d’Angleterre Quelques moie après, un de ces ministres me dit qu’ils avaient mal augur é de l’entrée de la colonne de Monteforte à Naples, lorsqu’ils surent que j’étais rentré en ville avec cet air de tristesse. “Quand nous avons appris,” telles furent ses propres paroles, “que le général Carascosa était revenu du camp, pale et morne, les bras nous sont tombés.” Je rappelle ces Circonstances parce que, bientôt, j’en tirerai une conséquence incontestable à l’appui de ma justification.

Revenu du camp, je me re n dis au palais du roi, où je retrouvai le prince, entouré de son conseil ordinaire, qui était dans une grande attente de mon retour. La consternation qui se peignait encore sur mon visage se communiqua de suite aux assistans. Le prince m’en ayant demand é la. cause, je lui exposai mes motifs d’appréhension sur ces masses armées, qui étaient en proie à la plus complète anarchie, et dont les desseins pouvaient être les plus sinistres. J’ajoutai que le général Pepe n’aurait peut-être pa s assez de prépondérance pour les contenir; mais que, dans tous les cas, c’était de lui seul qu’on pouvait attendre quelque secours; que je croyais, en conséquence, nécessaire de lui envoyer de suite quelqu’un de la part du prince, pour 
l’engager à tout faire, afin que les soldats de ligne et les miliciens en uniforme entrassent seuls dans la ville.

On envoya de suite ce message; et heureusement, le général Pepe, après beaucoup de peines, et moyennant diverses promesses, parvint à renvoyer dans leurs communes presque tous ces hommes sans uniformes. Ce fut un grand service qu’il rendit à l’ordre public, et qui, parmi beaucoup d’autres, prouve la pureté de ses intentions d’alors.

En même temps, je fis mon rapport au prince sur l’animadversion que m’avaient témoignée ces individua du camp de Capodichino; je le priais de considérer, qu’étant ainsi dé-popularisé auprès des chefs de la révolution, je serais tout-à-fait hors d’état d’être utile en restant au ministère de la guerre; et je le suppliais, en conséquence, de vouloir bien me remplacer.

J’arrive maintenant à l’induction que j’ai dit vouloir tirer en ma faveur de cette animadversion des révolutionnaires: si j’eusse été d’accord avec eux à Monteforte, du trois au six Juillet, pourquoi se seraient-ils si fort indignés contre moi, Je neuf, en venant à Naples? Le rapprochement de ces deux dates est un argument sans réplique contre ceux qui ont prétendu, que si j’ai été persécuté durant la période constitutionnelle, ce-si que j’avais perdu la faveur du parti que j’avais servi à Monteforte. Une telle conjecture, tombe ici d’elle-même, puisque ce fut dès le premier instant que je fus l’objet de leur haine. Or, il est évident que je ne m’attirai cette haine que par ma mission de Mugliano. II est donc bien certain que, loin d’avoir été d’accord avec les insurgés, j’avais fait tout m o n possible pour les réprimer. Quant à la circonstance elle-même des menaces et des imprécations, auxquelles je fus en butte aux portes de Naples, le neuf Juillet, elles sont constatées tant par le rapport que j’en fis de suite au prince, que parla connaissance qui en fut donnée, le même jour, en plein conseil, aux ministres étrangers.

Les colonnes constitutionnelles avaient adopté la cocarde aux trois couleurs, savoir: noire, rouge et blanche. Le général Pepe avait envoyé dire du camp qu’il était indispensable que tous les militaires la prissent également, et que toute la population attachât un noeud tricolore sur la poitrine. On adhéra sans difficulté à ce second point, et la famille royale en donna l’exemple. Quant aux cocardes, on trouva l’exigence trop forte, et l’on n’y consentit point. En effet, d’après certaines idées reçues, un changement total de couleurs semble s’attacher particulièrement à un changement de dynastie. Le prince royal, en cette occasion, montra une fermeté louable.

La colonne du général Pepe entra dans la capitale, en traversant la rue de Tolède, et en passant sous le palais du roi, où se trouvait, à un balcon, le prince vicaire-général, avec son auguste famille, entouré de plusieurs généraux qui se trouvaient à Naples. Les troupes, après avoir défilé, furent envoyées dans les casernes et dans les forts qui leur étaient destinés. Elle s en prirent possession, et arborèrent aussitôt les couleurs de la Charbonnerie sur les mêmes lances où se trouvaient encore les couleurs royales. Dans le Chàteau-Neuf seul, l'on laissa l'ancienne ga rn ison, composée de garde royale.

Après le renvoi des troupes dans les casernes, le général Pepe monta pour présenter ses hommages au roi et au prince. Il donna beaucoup de témoignages de respect, et il déclara, qu’aussitôt la réunion du parlement national, il déposerait le commandement en chef.

Après cela, il désira voir, au ministère de la guerre, tous les généraux, qui s’y réunirent en effet. Là, il répéta la même déclaration, ajoutant, avec beaucoup de modestie, qu’il savait s’apprécier; qu’il reconnaissait que ce commandement suprême était au-dessus de ses forces; il dit en même temps qu’il était au-delà de ses désirs; que les circonstances l'avaient obligé à l’accepter jusqu’à la convocation du parlement, comme garantie du nouvel ordre de choses, et pour la sûreté de ceux qui s’étaient compromis en l’établissant.

Je ne dois pas omettre une autre circonstance, qui fait encore honneur au général Pepe, et qui prouve au moins la bonté de son cœur, qualité, qu’on ne peut lui contester si l'on veut lui refuser les grandes qualités d’un général et d’un homme d’état. Il eût une espèce de honte du m ouvement qu’il avait opéré dans la nuit du cinq au six Juillet; et il confia à un ami intime de combien d’intrigues on l’avait entouré pour l’entraîner à faire ce pas.

On fit observer au général Pepe combien il était nuisible que des militaires de la même nation portassent deux cocardes différentes, et que deux sortes de drapeaux flottassent simultanément sur les forts; qu’aux yeux des étrangers, cela discréditerait certainement la révolution; qu’il serait ainsi convenable de faire de suite disparaître de tels signes de différence. On ajouta que si la révolution parvenait à se fondre dans toutes les classes de la nation, et les militaires de Monteforte dans l’armée m onarchique, toute oscillation révolutionnaire cesserait, ce qui préviendrait les contre-révolutions elles-mêmes. Le général Pepe promit sa coopération sur ces deux points; mais il ne réussit qu’à faire supprimer la cocarde tricolore, et il ne pût jamais amener les sectaires à enlever des forts les drapeaux de la Charbonnerie.

Deux jours après, le ministère fut complété. Aux termes de la constitution, il ne devait être que de six membres. Nous étions déjà trois: le due de Campochiaro pour les affaires étrangères, le comte de Camaldoli pour la justice, et moi pour la guerre. Le  ministère de l’intérieur fut confié au comte Zurlo, et celui des finances au chevalier Macedonio. Celui de la marine fut d’abord destine au général Settimo, Sicilien, qui était alors à Palerme; mais, en raison de son absence, on con fi a provisoirement le portefeuille de la marine au ministre de la guerre. Ensuite les troubles de Palerme, dont j’aurai l’occasion de dire quelques m o ts plus fard, ayant empêché le général Settimo de se rendre à Naples, on nomma définitivement ministre de la marine le chevalier Detomasi.

Les six nouveaux ministres jouissaient de la réputation d’hommes libéraux, et ils l’étaient en effet. Mais aucun d’eux n’avait pris part au changement politique, et ces deux circonstances réunies les rendaient précisément propres à opérer d’une manière convenable le passage de l’ancien régime au nouveau. Trois d’entr’eux étaient des hommes supérieurs; un autre de ces ministres ne manquait pas des moyens nécessaires pour exercer avec succès ses fonctions difficiles; quant au ministr e des finances, et quant à moi, nous pouvions être facilement remplacés. Au total, ce ministère renfermait une masse de lumières et de moyens plus que suffisans pour le service public; et, lorsque nous arriverons à l’époque de sa chute, nous ferons une courte énumération des services importans qu’il rendit pendant les cinq mois de ses fonctions.

Toutefois, il existait des préventions contre le co m te Zurlo et contre moi: contre le co m tes parce qu’on prétendait devoir lui imputer une partie des persécutions souffertes par les Charbonniers durant le régime français ; contré moi, parce que j’avais fait tous mes efforts pour réprimer l’insurrection de Monteforte. Sachant les préventions qui planaient sur nous deux, nous tentâmes plusieurs fois. d’obtenir notre démission; mais cela nous fut obstinément refusé; et ce fut un grand tort dans l’intérêt de la chose publique. La défaveur dont nous étions l’objet, réfléchissait sur tout le pouvoir exécutif, qui aurait éprouvé moins de contrariétés, si nous fussions sortis du ministère.

La junte de gouvernement avait aussi été nommée, co m me nous l’avons dit plus haut, et le nouveau ministère était installé. Alors, le roi et le prince royal  prêtèrent, dans les appartemens, le serment provisoire prescrit par la constitution, entre les mai n s du président de la junte, et en présence de tout le ministère et des gens de la cour. C’était en attendant celui qu’ils devaient prêter plus tard devant le par l ement. Les ministres prêtèrent ensuite le leur, entre les mains du vicaire général. Plus tard, tous les employés en firent autant auprès des autorités respectives ; et à l’étranger, tous les citoyens  qui s’y trouvaient prêtèrent le serment entre les mains de nos ambassadeurs ou envoyés près les cours étrangères. Cependant, le prince de Castel Cicala, ambassadeur à Paris, refusa de prêter serment, ainsi que le Prince Don Alvaro Ruffo, ministre plénipotentiaire à Vienne, et quelques autres agens diplomatiques. Ces fonctionnaires furent destitués aussitôt que l’acte de leur refus parvint à Naples.

La tranquillité publique sembla prendre alors quelque consistance. On dut cet heureux effet à plusieurs causes: d’abord, en accordant la constitution d’Espagne, on avait satisfait le vœu des agitateurs, qui n’avaient provoqué et entretenu le désordre que dans ce but; on dut aussi le retour de la tranquillité, à la confiance que fit  renaître le serment du roi, à l’arrivée des troupes, ce qui permettait de réprimer en partie les désordres qui se commettaient dans les lieux publics, au complètement d’un ministère ferme qui pouvait réparer.les maux passés, enfin à la sincère coopération du général Pepe dans ce moment là pour toutes les mesures propres au rétablissement de l’ordre public.

En attendant, l’on songea à réorganiser l'armée; et d’abord, l’on tâcha de faire arrêter, autant qu’il fut possible, les soldats, qui, profitant des désordres du. commencement de Juillet, avaient déserté par milliers avec habillements, armes, et chevaux. On envoya des officiers dans les provinces, et l’on parvint à ramener beaucoup d’hommes et quelques che v aux; mais on ne trouva pas une arme, ni aucun objet d’habillement. La réorganisation de la force publique contribua aussi à faire renaître le calme, qui dut encore son retour à quelques autres mesures qu’il importe de rapporter avec quelques détails.

On avait créé une commission provisoire de sûreté publique, autorité salutaire, instituée par le ministre de l’intérieur, qui eût le bon esprit de lui donn é un nom qui ne rappelait pas aux Napolitains l’odieux emploi de la police. Cette commission fut composée d’hommes habiles, qui surent parfaitement employer leurs talens, leur expérience et leur influence sur le peuple pour ramener le bon ordre. Nous ne devons pas oublier non plus qu’une grande partie de ce bon résultat fut dû à l’excellente garde de sûreté de Naples, qui, dans tant d’autres occasions difficiles, s’était déjà distinguée par ses importans services.

Cependant, il faut convenir que le calme, qu’on prenait tant de soins à rétablir, n’était qu’extérieur et apparent. Les passion s étaient dans la plus grande fermentation. La constitution d’Espagne ayant été accordée, les personnes compromises étaient rassurées; et les sectaires étant libres de toute crainte, ils pensèrent à retirer le fruit des changemens obtenus. Les travaux des ventes recommencèrent avec plus d’ardeur; beaucoup de nouvelles ventes furent instituées, parmi les quelles on doit compter toutes ces réunions de provinciaux, qui s’étaient formées dans le commencement de Juillet, par principe de crainte,. et dont nous avons déjà parlé.

Cette reprise de travaux, cette augmentation des ventes était absolument inutile et inconséquente, s’il eût été vrai que l’objet des sectaires n’était que d’obtenir une constitution, puisque ce but était atteint. Ce ne fut donc, en général, que l’esprit d’intrigue et d’ambition qui fit rouvrir les anciennes sociétés, et qui en fit créer de nouvelles. Plusieurs des anciens sectaires, ou des individua qui se disaient tels, pesèrent que, du sein de ces associations, ils pourraient en imposer au gouvernement pour obtenir des emplois. Ils comptaient également se servir de la secte comme instrument de leurs projets, et essentiellement pour écarter des emplois tout ce qu’il y avait d’illustre, de puissant et de considéré dans l’état, afin de pouvoir parvenir eux-mêmes au fa i te du pouvoir et des richesses.

Beaucoup de membres nouveaux entrèrent dans la Charbonnerie, pensant que, sans cela, ils ne pourraient aspirer à rien dans le nouveau régime ; d’autres, à prix d’argent, s’y firent ins c rire avec des antidates, afin de conserver les places lucratives dont ils se trouvaient pourvus; d’autres encore, se firent initier dans l’espoir de faire oublier les excès qu’ils avaient commis, dans le parti contraire, en 1799. Enfin, dans la suite, beaucoup d’hommes pervers trouvèrent dans la secte un refuge contre les po u r suites de la justice, ou contre l’exécution de leurs engagemens. On voit combien de motifs impur s contribuèrent à introdu ir e dans la Charbonnerie les plus tristes sujets, et à augmenter au-delà de toute mesure le nombre des initiés. Ce fut à un tel point qu’il y eût à Naples quatre-vingts quinze ventes en pleine activité, dont une comptait jusqu’à vingt-huit mille affiliés. Mais alors aussi, beaucoup d’hommes honnêtes, qui s’étaient fait initier précédemment dans de bonnes vues, s’empressèrent d’en sortir; et ils laissèrent malheureusement le champ libre aux intrigans et aux hommes pervers de toute espèce.

Le plus grand désordre et le plus grand arbitraire régnait dans l’établissement de ces s o ciétés. Plusieurs d’entr’elles furent composées en entier d’individus contraires au nouvel ordre de choses, et qui, sous le voile mystérieux de la Charbonnerie, se réunissaient pour travailler contre le système constitutionnel. Par un tel moyen, ces individus étaient à l’abri de toute recherche de la police. de ce nombre fut, entr’autres, la soi-disante vente établie dans le loca l de S t . Angelo à Bojano.

Le gouvernement ne pouvait voir avec indifférence tant de réceptacles impure, où, dans le silence de la nuit, se réunissait une foule d’hommes, dont plusieurs avaient de si mauvais sentiment, et qui souvent étaient encore excités par une éloquence insidieuse, ou par l’ivresse et plusieurs autres causes accidentelles. C’est là qu’on calomniait sans danger, et sans crainte d’être contredit les plus

honnêtes citoyens. C’est là qu’on cherchait à égarer la jeunesse inexpérimentée, en proposant des mesures violentes, comme nécessaires au salut de la patrie. Un seul mécontent, un seul ambitieux, déçu dans ses espérances, pouvait amener des malheurs incalculables; on sait que le plus grand danger des sectes consiste surtout dans le secret de leurs opérations. Ainsi, l’on peut y tramer long-temps de noirs projets, qui, à l'ombre du mystère, restent inconnus jusqu’au moment de l’exécution. On peut exalter facilement les esprits, parce que de telles réunions sont sujettes à l’enthousiasme; on peut, sans contradictio n, y faire adopter des résolutions funestes, parce qu’on les présente à des hommes prévenus, et co m me des actions nobles et héroïques.

J’apporterai un se ul exemple de la funeste influence des sectes: dans le mois d’Août, un capitaine, prétendant avoir rendu des services à la.révolution, n’exigeait rien moins que d’être nommé général. Il s’agita, il insista; mais quand il vit que ses intrigues étaient inutiles, il s e mit à remuer to ut es les Charbonneries de la c apitale. Pour éviter quelque grave désordre, ott jugea à propos de l’éloigner; et sous quelque prétexte, oh l’envoya commander un district; mah il s’insinua de suite dans les C h arbon neri es du district; et accablant le gouvernement de c alomnies, il fit é c rire à plusieurs ve n tes du royaume des circulaires qui portaient, que la patrie était en danger, puisque l’armée ennemie était déjà arrivée à la frontière; que le gouvernement avait fait enlever les canon s et démanteler deux front s de la place de Gaëte, qui restait ai n si ouverte et-hors d’état de se défendre; que ces opérations avaient été exécutées par ati général, qui, se voyant découvert, s’était enfui à Rome.” Les Charbonneries, crurent toutes ces fables; elle s s’exaltèrent, et des commissaires furent mis en mouvement pour appeler aux armes les citoyens. Ain si, tout fut sur le point d’être en comb u stion, parce qu’on n’avait pas voulu adhérer à cette étrange prétention d’un capitaine !

Po u r prévenir les dangers qui nous menaçaient, chacun reconnaissait la nécessité de réorg ani ser la garde de sûreté de Naples; l’ancienne, dont j’ai parlé plus haut avec un éloge si  bien mérité, n’offrait plus alors aucune ga rantie, parce que, dans ces jours de désordre, il s’y était introduit arbitrairement un très-grand nombre d’hommes inconnus, soit de la capital e soit des province. Le général Pepe fut invité à s’o ccu per de cette réorganisation, et à recomposer la garde de sûreté de s hommes les plus probes, des hommes aisés, et des pères de famille. Le général Pepe espérait sans.doute y parvenir, il le p r omit, mais nous verrons plus tard comme n t il tint sa promesse.

La police fut définitivement organisée, et elle prit le nom de con seil de sûreté publique; mais les hommes qui composèrent ce conseil furent loia de convenir à cet emploi, comme les me m bres de la commission provisoire. Cette seconde nomination, sauf quelques exceptions, se ressentit fortement des circonstances.

Le gouvernement, voyant avec peine les désordres de la Charbonnerie, qui présentait u n danger c o ntinuel, se plaignit du peu d’activité de la police à la surveiller. Le ministre de grâce et de justi c e, de qui dépendait la poli c e, assura qu’il avait donne au président du conseil les ordres et les instructions nécessaires, mais que ce fonctionnaire alléguait des difficultés insurmontables. Il prop o sa, en conséquence, de fixer un jour pour faire intervenir le dit président, afin d’apprécier le mérite des es rais ons. 

La réunion eût lieu, et le président du conseil de police assura,.devant le conseil des ministres, que-le meilleur moyen de surveiller les ventes de Charbonnerie était, co mm e il l’avait déjà pratiqué, d’y avoir des agens secrets, qui l’avertissaient de toute opération imprévue qu’elles voudraient entreprendre. Il ajouta qu’il fallai t aussi y avoir des hommes, qui pussent au besoin haranguer et ramener les esprits; mais que, pour le reste, il fallai t l aisser une entière liberté de dire et de faire tout ce qu’on voudrait. Ce moyen, trop doux pour de telles circonstances, ayant été, par la suite, conn u des Charbonniers, n e servit qu’à les rendre plus effrénés.

Le ministère pensa donc à quelques autres expédiens, et il crut devoir se servir de quelques personnes influentes et populaires, pour essayer d’apporter quelque remède au mal. Quelques-unes de celles qu’on consulta prétendirent que l'un des moyens les plus efficaces serait de renvoyer plusieurs Charbonniers dans leurs provinces respectives, d’où ils s’étaient rendus à Naples après l’affaire de Monteforte. Ils ajoutaient toutefois que ces Charbonniers était pauvres pour la plupart, il était indispensable de leur donner quelque argent pour frais de voyage, afin de les engager à retourner chez eux. On refusa d’abord, on négocia; mais Enfin, le général Pepe ayant appuyé cette proposition, on consentit à donner des sommes considérables pour cet objet. L’argent fut livré, mais aucun sectaire ne partit. On allégua que cet argent ne suffisait pas et qu’il en fallait davantage. Une telle tentative n’ayant pas réussi, l’on y renonça, et l’on chercha tout autre moyen de con t enir les Charbonneries, jusqu’à ce qu’elles fussent prohibées, mesure qu’on espérait de la part du parlement qui devait s’assembler le premier Octobre suivant.

En attendant, on eût en c ore recours au général Pepe, qui entra loyalement dans les vues répressives du gouvernement. Il menaça d’emprisonnement les principaux agitateurs. L’un d’eux surtout, le prêtre Minichini, fut l’objet particulier de ces menaces, et cette circonstance vint encore augmenter l’ancienne inimitié que cet homme nourrissait déjà contre le général Pepe, ainsi que nous l’avons. remarqué au commencement de cette partie.

Ces efforts du général Pepe pour conserver l’ordre et la tranquillité, commencèrent à lui faire perdre sa popularité dans les ventes, où ses rivaux et plusieurs de ses ennemis avaient beaucoup de crédit. Plusieurs d’entr’eux, intéressés au désordre, souffraient impatiemment que le général voulût le réprimer. Pour inspirer contre lui de la haine aux militaires et aux. miliciens qui avaient été à Monteforte, et don t la plupart fréquentaient les ventes, on leur disait: “Qu’avez-vous obtenu pour prix de vos efforts? Rien. Vous avez é c hangé un despotisme contre un autre. Vous avez couru tous les risques, le général Pepe n’en a couru aucun, et c’est lui qui a retiré le fruit de vos travaux. Maintenant, il nous m éprise et nous entrave, nous, les i n strumens de son élévation, et qui, Hans récompense et sans considération, so mm es les monumens vivan s de son ingratitude!” On lui prodiguait ensuite les noms de despote et de dictateur; mais, le véritable tort qu’il avait à leu rs y eux, c’est qu’après avoir satisfait son amour de la célébrité, à laquelle il lui semblait être parvenu, il s’était plutôt rapproché du gouvernement, pour rendre la révolution monarchique, que des sectaires, qui voulaient la rendre démocratique, et qui l’avaient entreprise dans ce sen s . Ceci demande une explication.

Le caractère de la révolution de Naples fut, dès le principe, entièrement  démocratique, soit dan s ses moyens, soit quant à son but. Le mouvement révolutionnaire fut imprimé de bas en ha u t (16). En effet, les communes et les provinces s’étaient d’abord élevés contre l’aristocratie de la capitale, les subalternes. de l'armée contre leurs chefs; et/dans la carrière civile, les non-employés avaient agi dans l'espoir de remplacer ceux qui occupaient lés emplois. La révolution fut commencée par on sergent et fut terminée par un lieutenant-général. Mais, à Naples, elle changea de tendance; et le prince le ministère, ainsi que la junte de gouvernement travaillèrent à la rendre monarchique. On eût surtout besoin de la franche coopération, que le général Pepe prêta alors au gouvernement, et de la force morale dont il était entouré. Or, ce fùt surtout à cause de cette tendance monarchique, que les sectaires furent irrités contre lui. 

La défaveur qui en vejaillit sur Pepe dans le sein de la secte, alla si loin qu’on organisa une conjuration, par laquelle, en voulant ramener la révolution à son cours démocratique, on aurait commencé par tuer tout le ministère, et avant tout le général Pepe. Le ministère eût connaissance de cette conjuration, dans laquelle étaient entrée, plusieurs connaissances intimes du général Pepe. Quelques-uns des conjurés étaient de sa province, et d’autres étaient continuellement chez lui. Les conjurés; pour l’entière exécution de leurs desseins, désiraient la coopération d’un bomme qui jouissait alors d’un grand crédit parmi les révolutionnaires. Il ne manquait plus que son consentement, et le complot aurait eu son exécution. C’est de cette personne elle-même qu’on eût connaissance de cette trame.

Le ministère parvint à retenir dans de bons sentimens la personne qui l’avait prévenu, et on fit savoir adroitement aux conspirateurs qu’on connaissait leurs desseins. Le général Pepe fut averti, et on lui désigna spécialement un homme dont il devait le plus se défier; toutes ces précautions eurent un heureux effet, et la conjuration fut déjouée.

En même temps que le général Pepe perdait chaque jour (17) la faveur des Charbonniers, il observait un refroidissement très-marqué parmi les militaires et les miliciens qui avaient été avec lui à Monteforte. Il s’apercevait bien que plusieurs d’entr’eux n’étaient pas de bonne foi lorsqu’ils disaient ne vouloir aucune récompense pour ce qu’ils avaient fait; et qu’ils l’avaient assez trouvée dans le service qu’ils avaient rendu à la patrie. Le général Pepe, voyant ces mécontentements, et voulant satisfaire ces ambitions mal déguisées, se mit à proposer chaque jour dans le conseil des promotions, des décorations, et des dotations même, pour ceux qui avaient été à Monteforte. En ma qualité de ministre de la guerre, je devais m’opposer à ce qu’on accordât les promotions, comme récompenses, de ce fait. Je faisais observer qu’on pouvait employer tout autre moyen que celui des promotions; parce qu’ainsi l’on récompenserait les militaires de Monteforte au détriment de ceux qui ne s’y étaient point trouvés, mais à qui l’on ne pouvait imputer aucun tort à cet égard. 

Dans plusieurs séances du conseil, on éprouva toujours les mêmes instances de la part du général Pepe, et toujours la même opposition de ma part. Mais, à la fin, ces individue qui ambitionnaient des récompenses, menacèrent de retourner à Monteforte. Ils étaient soutenus par les clameurs de toutes les ventes, que les agitateurs excitaient à appuyer quiconque était mécontent du gouvernement. Le général Pepe assurait d’ailleurs que les promotions seraient peu nombreuses, et qu’elles porteraient presque toutes sur des militaires, qui, par droit d’ancienneté, devaient. régulièrement obtenir de l’avancement. Toutes ces considérations m’abusèrent moi-même, et je persuadai au prince et au conseil, que si' les promotions étaient peu nombreuses, et qu’ensuite on ne dût plus réclamer d’autres récompenses pour ceux de Monteforte, il fallait y condescendre, pour ôter tout prétexte de désordre. Mais, quelle fut la surprise du pouvoir exécutif, lorsqu’on lui fit la demande pour deux cents promotions militaires, sept mille décorations de St. George, et une riche masse de dotations!....

Je soutins que, dans tous les cas, on devait au moins faire une distinction entre les premiers qui s’étaient d’abord portés à Monteforte, et ceux qui n’y étaient allés qu’après la promulgation de la constitution; que bien que les premiers eussent, à mes yeux, commis une grave erreur, je ne devais pas mettre mon opinion à la place de l’opinion la plus générale, et qu’on ne pouvait nier qu’ils n’eussent été applaudis par la nation. D’ailleurs, ils avaient toujours couru de grands dangers pour la cause triomphante, et ils étaient peu nombreux; ainsi, l’on pouvait, sans inconséquence, et sans de trop grands inconvénients, leur accorder les récompenses demandées. Mais quant aux autres, c’était uniquement vouloir récompenser une fonte très-grave et gratuite, puisqu’ils avaient quitté leurs chefs lorsqu’il n’y avait plus aucun danger, ni aucune nécessité de se rendre à Monteforte. Leur désertion avait d’ailleurs causé un grave préjudice en armes, en habillements, en chevaux et harnais, outre un grand débandement de soldats. Comme nt, pa r exemple, vouloir donner de l’a v ancement ou d‘autr e s avantages à des officiers qui partis avec sept cents hommes du lieu de leur garnison, arrivèrent à Monteforte  avec cinquante ho mm es, ou à d’autres qui, partis avec deux cents chevaux, n’en amenèrent que quarante-huit?

Malgré la justice de ces motifs, on ne manqua pas de s’en empar e r pour animer contre moi les militaires de Monteforte, en leur disant que le ministre de la guerre seul s’opposait à leur fortune, puisque, disait-on, le prince y ad h érait. Il existait encore, pour cette classe.de  militaires, un autre. motif de mécontentement contre moi j'avant de déserter, ils faisaient part i e de corps réguliers, qui ne passeront pas en totalité ais camp susdit. Presque tous les commandants d e corps, avec. une bonne partie.de leur troupe étaient restes à leur poste. Or, ceux qui avaient déserté, prétendirent pendant long,tempo devenir des corps à part, où leur ambition serait plus f acilement satisfaite. Ils avaient d’ail leurs une grande répugnance à retourner sous les ordres de chefs qu’ils avaient abandonnés. 

Le général Pepe appuyait les vœux des fractions. séparées, mais je crus devoir user de fermeté en y résistant, et je réussis. de là une source nouvelle.d’irritation contre moi de la part de ceux dont je contrariais les désirs, Ils saisirent dès-lors toutes les occasion s de me noircir davantage dans l’opinion de la Charbonnerie. Cette irritation fut bientôt portée à un tel point, que je vis clairement qu’il me serait désormais impos si b l e de pouvoir servir utilement mon pays dans le ministère ; et ne voulant pas d’ailleurs être l’instrument de honteuses transactions, en récompensant des hommes qui n’avaient mérité que d’être punis, et en en faisant tort à ceux qui ne le m é ritaient pas, je demandai au prince ma démission du ministère, en alléguant une maladie incurable.

Lorsque j’étais en attente de la recevoir, je fus prévenu par un de mes collègues qu’une grande insurrection était prête à éclater dans la troupe, de la part des officiers qui n’étaient point allés à Monteforte, et qui témoignaient leur mécontentement de ce qu’on voulait en récompenser d’autres à leur préjudice. Je n’attachai pas d’abord beaucoup d’importance à cet avis; mais, mon collègue m’assura que la chose était très sérieuse, et il offris de me faire parler à celui dont il tenait cette nouvelle. En effet, la personne me fut présentée, le soir du six

Août, dans un lieu retiré, et avec tout l’appareil du mystère. Je ne pus en obtenir tous les détails, et elle ne voulut nommer personne en particulier, m’assurant qu’elle était liée par des sermens et qu’il y al l ait de sa vie; mais je parvins cependant à apprendre qu’il s’agissait d’une vaste conspiration militaire, dans laquelle étaient entrés plus de sept cent s officiers du grade de colonel et au-dessous; que leur intention était désarmer et de se rendre au Camp de Mars avec les soldats qui dépendaient d’eux; que puisqu’on voulait récompenser ceux qui s’étaient rendus au camp de Monteforte, les autres voulaient, pour éviter un tor t, se rendre à c elui de Capodichino. Le meurtre du général Pepe entrait essentiellement dans leurs projets.

Mon collègue et moi, nous crûmes devoir prévenir du tout le président du conseil de sûreté publique, qui prit la chose avec beaucoup d’indifférence.

Le lendemain matin, un colonel se présenta au ministère et me dit sans aucune réserve qu’il partageait cette résolution. après lui avoir fait les reproches qu’il méritait, j’appris enfin que, sur les trois heures après-midi, il devait y avoir une réunion nombreuse d’officiers au loca l de Ste. Marie in Portico, afin de délibérer publiquement sur le parti qu’on devait prendre.

Le prince n’avait pas encore accepté ma démission, qui, d’ailleurs, fut ensuite refusée. Il était donc de mon devoir de prendre un parti dans cette circonstance mais le gouvernement n’avait aucune force sur laquelle il pût compter. La portion de l’armée, qui avait été à Monteforte, était généralement pour le général Pepe; le reste était contre lui; dans les deux partis, il n’était absolument question que  d’intérêts particuliers. Aucun des individu s qui les composaient respectivement n’aurait agi par sentiment du devoir où par simple obéissance à ses chefs. Réprimer la rébellion en frappant huit ou dix chefs, n’eût donc pu réussir au gouvernement et l’aurait compromis. li restait peut-être la ressource de provoquer toujours davantage l’irritation de ceux qui n'étaient pas allés A Monteforte, afin qu’on pût, avec leur aide, tenter u n coup d’état pour réprimer les anarchistes; mais de telles mesures sont d’un funeste exemple; et ceux qui auraient aidé à réprimer les anarchistes le seraient devenu s à leur tour. D’ailleurs, on ne pouvait s’y décider sans le consentement du trône, qui, par défa u t de confiance et par plusieurs autres causes, n’osait jamais-se prononcer pour un parti décisif.

Dans une telle incertitude, les esprits s’aigrissaient toujours de plus en plus, lorsque je fis appeler quelques colonels et quelques  officiers des plus inf l uens. Je réussis à persuader une partie d’entr’eux de ne pas se rendre à la réunion projetée ; j’essayai, mais en vai n, qu’ils cherchassent à en détourner d’autres.

En cet état de choses, quoique j’eusse a c quis l’espoir qu’il n’arriverait pas de très-grands désordres, on était encore loin de penser que tout danger f û t disparu; et quelques officier s n’ayant en vue que le bien public, se décidère n t à parler au général Pepe lui-même. Ayant été reçus dans une chambre retirée, ils lui exposèrent sa situation. L’un d’entr’eux lui fit observer qu’il courrait à sa perte. Que vous re s te-t-il? lui dit cet officier. Vous êtes, il est vrai, général en chef, mais de qui, si l’armée presqu’entière se prononce contre vous? Vous êtes chef de parti, mais quels sont vos partisans, si toutes les ventes de Charbonnerie vous détestent, et si le reste des citoyens vous regarde comme un ambitieux? Le général Pepe écout a tout avec la plus grande patience; il n’allégua que des excuses très-faibles, et il sembla convaincu.

Le sept Août, depuis midi jusqu’à trois heures, il y eût beaucoup d’exaltation parmi les officiers qui n’avaient pas été à Monteforte; et déjà, ils insul t aient et menaçaient publiquement ceux qui y avaient été. Ces dentiers comme n cèrent à s’in timider, et ils se hâtèrent d’écrire des déclarations portant, “qu’ils n'auraient jamais accepté aucune récompense pour leur entreprise de Monteforte, qu’ils n’avaient exécutée que pa r amour de la patrie.” A les entendre, on eût pe ns é que le général Pepe avait voulu les faire récompenser malgré eux. Ils envoyèrent aussitôt ces déclarations au ministère de la guerre.

Sur les trois heures après-midi, cinq cents officiers s’étaient  rassemblés à Ste. Marie in Portico, ainsi que cela avait été arrêté ; mais j’avais en soin d’y envoyer d’autres officiers chargés de calmer le s esprits, en annonçant à leurs ca m arades les renonciations de ceux de Monteforte ; il s devaient leur rappeler aussi les da n gers aux-quels ils s’exposaient devant la loi, et le tort qu’ils causeraient, dans tous les cas, à leur patrie, en donnant le signal de la guerre civile.

On parvint enfin à dissoudre cette dangereuse réunion d’officiers qui, avant de se rendre da n s ce lieu, avaient fait prendre les armes à leurs soldats, et les avaient laissés dans leurs quartiers, prêts à en sortir au premier appel.

Le soi r du même jour, sept Août, le général Pepe réunit les généraux chez lui, espérant trouver quelque.appui dans ce corps respectable. Mais il fut bientôt désabusé, lor s qu’après avoir exposé les raisons de sa manière d’agir, il entendit les observations sévères que lui firent  quelques-unes de ses collègues. Ils lui firent observer combien sa cond u ite était irrégulière; qu’il devait se borner à commander en chef l’armée jusqu’à la convocation du parlement; qu’il devait particulièrement s’abstenir de vouloir influencer les opérations du ministère de la guerre, et en général la conduite du gouvernement, qui devait être libre.

L’orage s’appaisa; mais cependant, le commandant en chef commença à faire de sérieuses réflexions sur le discrédit général dans lequel il était tombé. Il se voyait censuré par plusieurs de ses collègues, et il ne pouvait croire que le gouvernement lui fut très-f a vorable; quant à la plus grande partie de l’armée, elle avait conspiré contre sa vie; le reste, c’est-à-dire ceux de Monteforte, ne conservaient plus aucun attachement pour lui, puisqu’il n’avait rien pu leur obtenir. La Charbonnerie avait été excitée à le  haïr par ceux dont il avait précédemment voulu réprimer les désordres, et par quelques-uns de ses ennemis les plus  puissants, entr’autres Minichini et Deconcili, qui avaient la plus grande influence sur ses membres. Enfin, il se rappelait que même, parmi ses connaissances les plus intimes, il y avait eu des projets formés contre lui. Toutes ces réflexions l’agitaient fortement, et il ne savait qu’imaginer pour sortir d’une position aussi triste.

Il était dans cet état critique, lorsqu’une personne investie de h autes fonctions fut le trouver. après quelques préludes, elle lui dit: “Vous n’avez qu’à accepter la protection de la Charbonnerie, et vous n’avez d’autre parti qu’à vous jeter dans ses bras.” O temps de douloureuse mémoire! Des magistrats, à qui l’on a confié des fonctions éminentes pour le service de l’état, se constituent les artisans de la discorde! Ils conseillent ce qui peut conduire à la guerre civile, ils offrent des chefs aux factieux, et l’appui des factieux aux citoyens mécontents ! Le général Pepe, qui, jusqu’alors, n’avait erré que par défaut de calcul, mais qui avait conservé des intentions pures, se lai ss a désormais entraîner tout-à-fait par les circonstances. Il accepta l’offre qu’on lui faisait au nom de la Charbonnerie en masse, mais qui, dans le fait, n’était que l’œuvre des principaux factieux et des mécontents, qui se servaient du n o m de la secte dans le seul but de leur propre intérêt. Et lui, qui pouvait aspirer à une gloire solide, consentit par faiblesse à devenir le chef d’une faction, ou plutôt le simulacre d’un chef de faction. Dès ce moment, il se sépara de presque tout ce qui était militaire, de tout ce qui était vraiment libéral par principes, et il se trouva forcé de ne plus chercher de soutien que dans la Charbonnerie et parmi les miliciens.

Il resta toutefois entouré de quelques militaires des plus turbulens, des plus discrédités, et des plus ambitieux, qui espéraient de l’avancement par lui. Il était également courtisé par d’autres intrigan s non militaires, qui espéraient obtenir des emplois ou des faveurs, et dont il ne pouvait plus refuser de seconder les vues, quoiqu’il connût leurs mauvaises qualités. de là, ses instances continuelles auprès du gouvernement, dont il voulait obtenir à toute force de s avantages pour ses protégés. Mais qu arrivait-il delà? Si le gouvernement cédait, il perdait dans l’opinion du public, qui voyait avec peine quels étaient les individue favorisés; s’il résistait, il se créait de  nouveaux ennemis. Lorsqu’un ministre, un général, ou autro  fonctionnaire supérieur, se trouvait dans la nécessité de refuser quelque prétention de ce genre, aussitôt les intimes du général en chef se mettaient en  mouvement et soit dans les ventes, soit au dehors ils répandaient les plus noires calomnies contre ceux qui avaient été forcés de ne point accéder au désir de leur principal.

En ma qualité de ministre de la guerre, je me trouvais plus que tout autre dans la nécessité de repousser de telles exigences, afin de maintenir la hiérarchie militaire, et pour économiser les dépenses qu’auraient occasionnées des demandes aussi multipliées qu'inadmissibles. Tantôt, l’on voulait que l’armée entière fut  habillée de neuf, quoique l’habillement qui était en service fut en bon état; tantôt, on voulait obtenir arbitraire ment des gratifications ou des avances, quoique le budget de la guerre dût subvenir à des dépenses considérables, et quoique le trésor fut épuisé; tantôt, on voulait des promotions, sans qu’il y eût de places vacantes ni aucun mérite dans les sujets proposés; d’autre fois, on réclamait des décorations pour des hommes qui n’y avaient aucun titre; d’autres fois encore, l’on demandait des changements de garnison sans aucune convenance pour le service public. 

Et parce que je devais sans cese m’opposer à de telles demandes du.général, c’est-à-dire de ses créatures, il en résulta qu’elles me considérèrent comme son ennemi personnel. Les méchants dont il était entouré ne manquèrent pas de répandre en tous l ieux, et surtout dans la Charbonnerie, que le ministre de la guerre était anticonstitutionnel, qu’il travaillait au rétablissement de l’ancien ordre de choses, et que la patrie serait en danger tant qu’il conserverait le porte-feuille. En attendant, le venin de la calomnie se répandait au milieu de la masse du peuple et d’une jeunesse inexpérimentée, à qui l’on en imposait, et qui croyait tout de bonne foi.

Tant de menées, tant d’oppositions d’intérêts, et l’apparence d’une si grande discorde pa rm i les chefs, finirent par produire un grand schis m e dans l’armée, mais je puis affirmer que ce fut sans aucune coopération de ma part. Tous les militaires qui n’avaient pas abandonné leurs postes dans les première jours de Juillet, me regardaient comme leur appui; et tous ceux, au contraire, qui s’étaient portés à Monteforte, se déc l arèrent pour le général Pepe. Mais c e n’est pas tout: à peine quelqu’un pensait.il  avoir à Se plaindre du gouvernement qu’il croyait s’en venger en se rapprochant de ce général. Le fait suivant, que je rapporte comme exemple parmi tant d’autres, viendra à l’appui de ce que j’avance. Un lieutenant-colonel désirait être nommé colonel sans y avoir aucun titre; il trouva chez moi de l’opposition, et il en fut très-irrité, comme on peut le penser; or voici que l les furent ses propres paroles, dans une conversation qu’il eut.à ce sujet avec une autre personne: “Ainsi donc le ministre ne veut pas me faire nommer?” —“Mais votre tour n’est pas encore venu, répondit l’autre personne, et jusqu’à présent vous n’avez  reçu aucun tort.”—“Qu’importe? répondit le lieutenant-colonel. Quel mal résulterait-il de la nomination d’un colone l de plus? Dans tous les cas, je vous jure que si je n’obtiens pas ce grade, j'établirai une vente dans le bataillon que je commande, et que je me mettrai du parti du général Pepe.”

Qu’il me soit permis, pour la dernière fois, de jeter encore les yeux en arrière, et de faire réfléchir que si, comme quelques personnes le prétendent encore, j’eusse été précédemment d’accord avec les insurgés de Monteforte, je ne me serais point ensuite opposé avec tant de force à leurs  prétentions et à leur avancement. Et d’ailleurs, si, par hasard, j’eusse été coupable d’une telle contradiction, ne me l’eussent-ils pas reprochée hautement dans tant d’occasions différentes ?

Telles sont les principales causes qui, d’une part, portèrent le général Pepe à se jeter dans les bras des Charbonniers, qui, dès lors, le regardèrent comme leur principal appui; et qui, d’un autre côté, me firent considérer comme leur plus crue l ennemi, et comme un homme qui voulait ramener notre pays sous l’ancien régime.

Reprenons le fi l des événemens. On doit se rappeler que le général Pepe avait été chargé d’organiser la garde de sûreté de Naples. On attendait cette organisation avec la plus vive impatience; lorsque le quatorze Août,  l’ on annonça inopinément pour le lendemain l’inauguration de quelques drapeaux. On crut généralement qu’ils appartiendraient à cette garde, surtout lorsqu’on eût appris que le général Pepe assisterai à la  cérémonie. Mais quelle surprise, lorsque, le quinze, on vit toute la ville  inondée d’hommes inconnus et armés, formant de s bandes de deux à trois cents individu s, avec les drapeaux de l e Charbonnerie, et parcourant les rués avec un air de parade! Plusieurs des commandans de ces bandes étaient des h ommes notoirement connus pour de m auvais sujets; et dans les rangs, on en remarquait de plus mauvais encore. La plus grande partie était armée de mauvais fusils ou de stilets.

Or, qui avait autorisé l’armement de tels individua? Qui répondait d’eux? > On l’ignore. Chaque-jour les sectaires acquéraient plus d’influence ; et leur but, en cette occasion,était d’investir la Charbonnerie d’une force qui ne dépendit que d’elle, puisque les bandes susdites étaient exclusivement formées de quelques-unes des ven tes les plus mal composées de la Charbonnerie.

Cependant, l> e> tentative ne réussit pas; il y eût tant de réclamations de la part des ministre ét ra ngers, et la désapprobation publique fut felle, que les plus audacieux n’osèrent pas alors re n ouveler ce spectacle scandaleux et alarmants. Toutefois, on n’abandonna point le projet d’armer la secte; et si ce premier essai ne réussit pas, un second devait, sous peu de temps, être couronné de su c cès.

Le général Pepe n’était déjà plus  maître de ses actions; il était  entraîné par la fatale nécessité de suivre les conséquences de sa première  irréflexion. Il était déjà forcé de condescendre à dés choses, dont auparavant il eût certaines ment repoussé l’idée. Ses ami s, qui connaissaient ses principes antérieurs, le plaignaient d’être désormais séparé de tout ce qu’il y avait d’honnête, et livré tout entier à l’ influence de l’intrigue et de la perversité. N’étant pas doué de vues profondes, ne voulant jamais revenir en arrière sur ce qu’il avait un e fois entrepris, et prenant cette obstination pour du caractère, à qu o i ne devait-il pas être entraîné, malgré ses bons sentimen s primitifs, par là réunion de tant de circonstances impérieuses? Au commencement de la révolution, l’on avait bien prévu qu’il nè pourrait la dominer; mais à l’époque dont il s’agit, l’on vit qu’il en était entièrement devenu le jouet, La révolution, variée dans ses formes et dans ses moyens, s’en servit dés lors comme d’un instrument secondai re; et lui, sans s’en apercevoir, devint le prétexte et l’égide sous lesquels on prépara diverses trames, qui devaient finir par perdre, lui, la Charbonnerie, et la patrie elle-même.

 En attendant, les intrigans et les  méchants qui  influaient sur ks sociétés secrète s, faisaient sortir de leur sein les attaques les plus violentes et les plus i n justes contre les ministres. L’impression que causaient ces attaques était d’autant plus vive que le pays était nouveau pour le règi me constitutionnel. Dans les pays où ce régime est établi depuis long-temps, il est ordinaire, il est vrai, de voir attaquer les ministres; mais là, ils ont des journaux rédigés en leur faveur, à l’aide desquels ils peuvent repousser les calomnies, expliquer les choses équivoques, et présenter la justification de leur conduite, ou, au moins, de leurs intentions. En F rance, en Angleterre, l’opinion publique, accoutumée à ces débats, est toujours éclairée par la discussion des journaux respectifs; et elle est ainsi mise à portée de juger sainement. Mais à Naples, durant la période constitutionnelle, on n’écrivait et l’on ne parlait que dans un seul sens; ainsi, tout ce qui était affirmé contre le ministère, était généralement reçu comme incontestable. La junte de gouvernement sut cependant toujours apprécier au juste les choses; et elle s’était sagement pénétrée de l’idée que le ministère d’alors, loin de mériter de l’opposition, aurait dû être soutenu, pour pouvoir résister à l’hydre de l’anarchie, qui voulait absolument attaquer tous les intérêts et toutes les réputations.

Il est vrai que, puisqu’on voulait s’emparer de tous les pouvoirs et occuper toutes les places lucratives, il fallait d’abord commencer par dépopulariser ceux qui les occupaient, afin de les en faire descendre plus facilement. Dans ce but, on commença par calomnier ceux qui avaient du mérite, ou rendu des services, et ceux qui avaient des emplois. de nombreux libelles, des écrits calomnieux,  qu’on affichait secrètement aux murailles, des discours dans les cafés et les théâtres, telles étaient les armes qu’on accumula contre les hommes les plus estimables. Aucun d'eux ne fut épargné; tous furent l’objet d’imprécations et de calomnies. D’après ce système, des hommes nuls et obscurs, sans aucun titre antérieur, eurent l’espoir de parvenir aux. premières charges de l’état; des jeunes gens de vingt ans, simples commis d’administrations, pour avoir composé quelques ver s, se croyaient faits pour le ministère; des sous-lieutenans, qui n’avaient pas fait une seule campagne, ne craignaient pas de prononcer sur leurs supérieurs, qu’ils jugeaient incapables d’occuper les grades élevés; et parce qu’ils étaient Charbonnier s, ils se crurent faits pour être généraux, en alléguant les exemples des Masséna et des Hoche.

Pendant que les choses se passaient ainsi, un événement des plus malheureux vint encore augmenter les embarras du gouvernement. Le quinze Juillet, Palerme s’était insurgée, en apprenant la nouvelle du changement politique arrivé à Naples; une partie de la Sicile avait imité l’exemple de Palerme, et le reste se déclara pour le système adopté en de l à du Phare. Il n’entre point dans mon sujet de faire le récit complet de ces événemens, sur lesquels je n’ai point d’ailleurs de renseignements assez certains; je n e forai donc entrer dans mon récit que les faits qui ont un rapport immédiat avec les affaires générales de Naples, et ceux, seulement, dont-je pourrai garantir l’authenticité.

Lorsqu’on apprit à Naples la nouvelle de la révolte de Palerme, on envoya deux proclamations du prince vicaire?général, pour faire rentrer dans le devoir les Siciliens égarés; mais cela ne prod u isit au c un effet. On y expédia en même temps une flottille, pour offrir un asile aux troupes et aux étrangers qui se trouvaient à Palerme; mais ce fut encore san s résultat. Plus tard, on envoya une escadre sou s les ordres du colonel chevalier Bansan, qui arriva dans la rade de Palerme le vingt-cinq juillet. Le col on el était porteur de divers décrets du prince: L’un contenait la confirmation d’une junte, que le l ieutenant général Naselli, gouverneur-général de Pile, avait nommée au moment où il avait cru devoir s’éloigner de Palermo, après que la révolution y eût éclaté. Cette junte avait été par lui composée du prince de Villafranca, en qualité de président, et du cavalier

B onano, du prévôt  P. Palermo, du marquis Raddusa, du colonel Requesens, de monsieur Tortori c i et d u maréchal de camp Settimo, le même qui avait été précédemment destiné au ministère de la marine. Par un second décret, auquel étaient annexées des  instructions, le même général Settimo était nommé lieutenant-général de la Sicile. Enfin, un troisième décret, avec de semblables instructions, nommait aux mêmes fonctions le lieutenant-général prince de Scaletta, demeurant à Messina, et alors commandant une division territoriale. Ce dernier décret ne devait être remis au prince de Scaletta, que dans lé c as où l'on ne pourrait faire accepter la lieutenance de l’île au général Settimo, ce qui arriva en effet; car le peuple de Palerme, par défiance, voulut que des personnes de son choix fussent présentes à tous les entretiens que lai junte provisoire eût avec le colonel Bansan à bord de son vaisseau, ce qui rendit impossible de s’entendre avec le général Settimo. Ensuite le colonel Bansan, aux termes de ses instructions, se rendit à Messine, où le prince de Scaletta resta investi dece commandeme n t supérieur.

Dans les première jours d’Août, on avait envoyé de Palerme à Naples une députation, chargée de plusieurs propositions, dont quelques unes étaient vraiment inadmissibles, puisqu’en y adhérant c’eût été consentir à l’entière émancipation de l’île. En e ff et, une administration séparée, une armée composée uniquement de Siciliens, la résidence en Sicile d’un des princes royaux, tout cela eût conduit, en peu de temps, à une séparation complète des deux portions des domaines du roi de Naples, qui ont un intérêt réciproque à demeurer réunies. Mais il était d’autres prétentions du royaume de Sicile, auxquelles on eût pu adhérer sans renoncer A l’union des deux royaumes. Quoiqu’il en soit, dans la junte du gouvernement, les Siciliens étaient parvenus A gagner quelques membres inf l uens, qui, bien qu’avec des raisonnemens plus spécieux que solides, appuyaient toutes leurs  prétentions. Le général Pepe, au contraire, pensait qu’il fallait réduire la Sicile, et qu’il fallait de suite y envoyer une force considérable.

Je n’admettais aucune de ces deux opinions extrêmes ; je ne croyais pas qu’on dût consentir A la séparation totale de la Sicile, mais je pensais que si l’on voulait adopter le système de la force, il serait funeste de nous priver de nos meilleurs Soldats, au moment où nous étions peut-être sur le point d’être attaqués nous-mèmes. Je proposais donc, dans le cas susdit, de n’envoyer dans cette ile que mille hommes seulement, sous les ordres d’un général entreprenant et expérimenté, qui prendrait aussi le commandement des sept bataillons qui étaient alors en Sicile; j’ajoutais qu’il faudrait, en outre, mettre A sa disposition une flottille de bâtimens légers. Aidé de ces divers moyens, il eût agi de la manière suivante: avec les sept bataillons, il aurait mis des garnisons suffisantes dans les forte de Syracuse, de Catania, de

Trapani, et surtout dans la citadelle de Messine. Ensuite, avec les mille hommes disponibles, et au moyen de la flottille, il eût débarqué successivement sur divers points, pour faire la petite guerre, en se joignant souvent avec les garnisons des forts, et en s’aidant des nombreux partisans que nous avions dans file. La mobilité de la flottille eût donné le moyen d’accumuler au besoin les forces sur un point donné, ou de les faire disparaître d’un autre point; ainsi, l’on aurait pu tomber rapide ment sur les lieux où les insurgés se seraient montrés le plus en force; on aurait pu facilement secourir nos partisans, enfi n combattre et harceler sans relâche nos adversaires.

L’adoption d’un tel pian ne nous aurait pas privé de nos forces, et n’aurait pas occasionné de graves dépenses. Il ne pouvait entraîner aucun grand désastre; et si nous eussions éprouvé quelques échecs locaux, ils eussent été sans conséquence,. puisque les garnisons se seraient retirées dans les forts, tandis que les autres troupes se seraient rembarquées. Ce système provisoire aurait duré jusqu’à ce que la Sicile fatiguée se fùt soumise, ou jusqu’à ce que délivrés  nous-mêmes du danger d’une invasion, nous eussions pu fournir une expédition imposante pour cet objet. En attendant, la citadelle de Messine nous donnait le moyen s u r de pénétrer en Sicile, d és que l’occasion s’en serait présentée.

 La junte parut d’abord  reconnaître l’opportunité de mon pian; mais elle finit par adopter le projet du général Pepe, auquel, il est vrai, le prince vicaires-général donnait son assentiment.

On donna le commandement de l’expédition au lieutenant-général Florestan Pepe; et l’on y destina le complet de s eize bataillons, qui comprenaient ce qu’il y avait de mieux dans toute l’armée. Dans les régimens, on choisit les meilleurs officiers et sous-officiers, en reversant aux troisièmes bataillons ceux qui n’avaient aucune expérience ou aptitude pour la guerre. Ce fut l'absence de ces vétérans qui contribua beaucoup par la suite aux honteux désastres de Mars 1821. Et lo r sque nous fûmes menacés nous-mêmes de la guerre, nous dûmes nous servir de ces mauvais troisièmes bataillons, composés totalement de congédiés: rappelés au servi c e, et com m andés, en général, par des officiers nuls et ineptes. Sans cette inopportune expédition de Sicile, on aurait profité, pour la défense nationale, de l’expérience de tant d’excellents officiers; on aurait en outre pu organis er avantageusement les troisièmes bataillons, au moyen du tierc e ment, c’est-à-dire, en mêlant les congédiés avec des vétérans. Ainsi, l’on n’aurait pas eu des bataillons du plus mauvais esprit, comme le f u rent tous c eux qui n’étaient composés que de congédiés. Sur ces entrefaites, ver s la fin d’Août, après l’envoi de l’expédition en Sici l e il survint un nouveau motif d’alarmes. Il  y avait en Toscane des détachements de troupes autrichiennes. A cette époque, on destina quelques piqué!s de cette troupe aux frontières qui divisent la Toscane de l’état Romain, Ces piquets furent aussitôt annoncés comme des avant-gardes; et en combinant cette  nouvelle avec celle des arrivées récentes de troupes autrichiennes dans la haute It alie, il en résulta, surtout parmi les personnes compromises dans la révolution de Naples, la croyance que l’armée autrichienne était en pleine marche contre le royaume, et que ses têtes de colonnes étaient déjà parvenues aux limites des deux états susdits. Le ministre de la guerre, interpellé à cet égard, ne manqua pas de faire observer que cela n’était pas possible, parce qu’une armée ne se met pas en marche comme une voiture de poste; elle ne peut se mouvoir que par fractions, et elle doit employer un certain temps pour ses préparatifs.

Le ministre conclut que l’armée autrichienne, pour opérer contre Naples, ne pouvait quitter la haute Italie avant la moitié de Décembre, et qu’elle n’arriverait pas à nos frontières avant la moitié de Février, afin d’attendre la fin du fort de l’hiver. Ces raisons ne persuadèrent ni ceux qui étaient ignoran s de l’ art militaire, ni tous ceux qui étaient en proie à une frayeur excessive. Ou prétendait obstinément que l’ennemi pouvait être aux frontières sous quinze jours; en conséquence, il fut enjoint au ministre de la guerre de présenter à la junte de gouvernement ses idées sur des besoins aussi pressan s . Il exposa alors que toue les régimens étaient déjà réorganisés suivant le nouveau système; qu’il ne manquait plus que de remplir les cadres au grand complet de guerre, attendu qu’ils n'avaient que les deux cinquièmes de soldats. Pour obtenir les trois autres cinquièmes d’hommes propres à faire promptement une campagne, il proposa de rappeler, mais avec certa in es règ l es, et certa in es, exceptions, un nombre proportionné d’anciens soldats congédiés, avec lesquels on aurait complété les corps, et établi des réserves pour les remplacements successifs. Cette proposition fut acceptée, mais malheureusement, avec plusieurs modifications erronées, qui furent encore obstinément exigées par le général Pepe, ainsi qu’on va le voir. Le ministre soutint qu’avant tout, on.devait fixer le nombre total de congédiés(18) dont on avait besoin; q u’ il fa l l ai t ensuite es ré p artir

l e contingent pour chaque province, en statuant, en outre, que les hom m es non m a r iés et ceux qui n’étaient pas les soutiens de leurs familles, marchasse n t les première ; qu’on enrôlât les autres, en les laissant dans leurs foyers pour marcher au besoin; et, qu’e n attendan t ils fussent incorporés dans la garde nationale. Le général Pepe, au contraire, opina it pour qu’on appelât indistinctement tous les congédiés. Malheureusement, il e x iste dans son caractère une disposition A pousser tout à l’extrême . Qu’il me soit permis, d’après les devoirs que m’impose un travail h istorique, de rapporter quelques traits de cette disposition qui nous f u t s i funeste. 

Par  e xemple: lui eut-on démontré que trente mille congédiés étaient suffisans, il eût été dispose à en demander cent mille; lui eût-on prouvé que le royaume de Naples ne pouvait fournir plus de cinquante mille bons gardes nationaux, il en eût exigé cent mille et même plus, quelque évidente que fut l’ impossibilité d’y satisfaire. Il crut pouvoir appuyer son avis pour l’appel de tout les congédiés sur la considération que l’exemption des hommes mariés et de ceux qui étaient les soutiens de leurs familles, donnerait lieu à des f aveurs, à des injustices, à la vénalité; et quant aux besoins de leurs familles, il proposa qu’on y su b vint en leur accordant pour cet objet un carlin  par jour (quarante quatre centimes monnaie de France). Le ministre de la guerre fit observer les inconvéniens d’une semblable disposition. 

Si la loi, disait-il, s’exécutait rigoureusement, il arriverait dans les dépôts un nombre de congédiés bien supérieur à celui dont on aurait besoin. Mais alors, où loger l’excédent! Comment les vêtir ? Comment les armer? Quelle surcharge énorme pour le trésor, par les dépenses qu’on serait forcé de faire pour ces portions inutiles de la levée, et, en outre, par les indemnités qu’on accorderait à leurs familles! Quels dégoûts d’ail l eurs pour la population, en exigeant d’elle des sacrifices au delà du besoin! Quel chagrin pour les parens des congédiés, en pensant qu’à cause de leur surabondance, ils seraient placés dans de mauvais logemens et privés peut-être des secours les plus essentiels! Enfin, que pouvait-on espérer de soldats qui se verraient ainsi traités, après avoir été arrachés par force du sein de leurs familles désolées? On ne pouvait attendre d’eux qu’irritation contre l’ordre des choses qui amenait un tel résultat, que l’impatience de le voir finir bientôt, et que l’attente du moment où ils pourraient jeter leurs armes, et s’en retourner dans leurs foyers pour soulever avec eux leurs femmes et leurs fils.

Toutes ces réflexions furent inutiles. Le général Pepe s’obstina selon sa coutume ; l a junte, selon sa coutume aussi, fut persuadée pa s les raisons du ministre, mais elle c é da, malheureusement, à l’insistance du général. Dans la même séance, le général Pepe proposa, en o utre, comme supplément de force pour la défense du royaume, qu’on adjoignit à. la garde na tionale d’autres bataillons, qui résulteraient de la réunion de réquisitionnaires, pris dans la proportion de deux hommes sur cent habitans, en formant une compagnie par arrondissement, un bataillon par district, et une légion par province. Le ministre de la guerre dut encore s’opposer à cette proposition.

Il fit observer que cela produirait jusqu’à des légions de douze mille hommes, des bataillons de troi s mille, et des compagnies de cinq cents hommes. Or, comment des bourgeois, dénués de connaissances militaires, auraient-ils pu commander ces masses nombreuses, soit comme chefs de légion, soit comme chefs de bataillons, soit comme capitaines? Le ministre soumit, au contraire, à l’examen de la junte, un pian d’organisation de la garde na tionale, qu’il avait déjà fait imprimer, et qui portait sur trois points principaux: 1°. Sur des moyens de proportionner le nombre des gardes à la population du royaume, d’après toutes les considérations statistiques; 2°. Sur la méthode convenable pour diviser la garde nationale en trois classes: La première, très nombreuse, destinée à la réserve, et à ne jam ais

s ortir des propres com mun es, où elle aurait m aintenu le bon ordre en l’absence des autres classes, et qui se s erait jointe à elles pour la d é fe n se da n s chaque commune respective; la seconde, susceptible d’accourir à la défense de l’arrondissement; en s’unissant aux autres gardes nationales de deuxième classe du même arrondissement; et, enfi n, la troisième, propre à se porter sur un point quelconque de la province, pour la défendre de concert avec les autres gardes nationales de troisième classe de la même province; 3°. Sur les règles à suivre dans ces classifications, eu égard à l’ état civil, à l’âge et à fa profession de chaque citoyen; en tenant compte de

l’état agricole, pastoral, ou manufacturier, de chaque com mu ne. En considérant aussi leur situation p l ane ou montueuse, littorale ou méditerranée. Le pian indiquait les moyens de rendre, autant que possible, les légions égales eh nombre de bataillons, les bataillons égaux en nombre d e compagnies, et les compagnies éga l es en nombre d’hommes. Pour atteindre.à l e but difficile, on proposait de prendre pour élément l’escouade de cinq hommes. L’union de plusieurs escouades aurait form é la compagnie; plusieurs compagnies auraient for m é le bataillon; et trois ou quatre bataillons a ur aient f o rm é une légion. Le ministre rappela à la junte que les grandes masses ne peuve n t se compose qu’en fix ant d’a bord l’élément de leur c o mpositi on ; que l’escouade élémentaire de cinq individu s avait é té, depuis les temps les plus reculés, a do pté comm e le noy au primitif des gra n des agrégations ; et que même, dans les temps moderne, le f rappe avait aussi été forcée de revenir à ce principe, après en avoir vainement essayé d’autres, lo r squ’e ll e organisa sa nombreuse garde nationale.

Le général Pepe donna des louanges aux idé es du ministre, mais il dit qu’on n’avait pas Je temps de les mettre à exécution; que l’atte n te d’une prochaine aggression ob l igeait de se tenir à son pian, qui donnerait, il est vrai, une organisation m oi ns parfaite, mais certainement puis prompte. Le ministre répliqua que la prompti tu de resterait sa n s fruit si, par une mauvaise organisation, l’on obtenait n n e garde nationale purement nominale, illusoire, et incapa b le de rendre a ucu n véritable servile. Le chevalier Det o mani, ministre de la marine, app u ya le projet d u mi nistre de la guerre. La junte resta co n vaincue de ses avantages sur l’autre projet; elle resta convaincue aussi que deux mois suffiraient pour l'exécuter, et que l les circonstances nous donneraient ce temps là. Mais, chose difficile à croire, par suite de sa faiblesse ordinaire, elle adopt a, malgré sa conviction, l e projet du général Pe p e. Le triomp h e des Charb onniers fut alors com plet. La secte,(19) qui avait déjà une très-grand e inf l uence et une immense force morale, voulait avoir une force physique à sa seule disposition. 

Le quinze Août, sa tentative avait échoué; mais cette foia, elle réussit par l’adoption du projet qu’elle avait elle-même suggéré au général Pepe, et dont elle se réserva entièrement l’exécution dans chaque commune. Les Charbonni e rs en grade présentèrent la liste des membres qui composaient les ventes respectives qu’ils présidaient; ceux-ci furent simples légionnaires, les autres devinrent colonels, majors, ou officier s ; mais, pour former le complet qui avait été prescrit, on remplit les contrôles de beaucoup de noms imaginaires, ou des noms d’individus qui étaient Charbonni e rs, mais incapables de tout service militaire. 

Les conséquences de cette organisation subreptice furent extrêmement graves; d'abord, il en résulta des vexations et des violences dans le sein des communes, où tout d u t plier devant la puissante secte, armée l é galement; en second lieu, lorsque le moment arriva de défendre la patrie, elle ne trouva plus la force sur laquelle elle avait droit de compter; et cela était simple, car ces prétendus bataillons n’étaient pas même en état de sortir de leurs districts. Le général Pepe avait été nommé inspecteur-général des miliciens et des légionnaires, et l’exécution du pian lui avait été confié en cette qualité; on ne pourrait donc imputer au ministère la négligence qui présida à la confection des listes de légionnaires. Or, que pouvait-on attendre devant l’ennemi de semblables légionnaires; précisément ce qu’ils firent en Mars 1 821.

Dans la séance devant la junte, j’avais livré.plusieurs exemplaires de mon projet d’organisation des gardes n ationales, qu’on—avait--exigés pour l’examiner. Il y était dit comment l’on devrait choisir les officiers de la milice, et quelles devraient être les conditions pour y aspirer. Il est évident que, dans un projet de loi, fait pour être présenté au parlement, il fallait nécessaireme n t parler de l’élection des officier s ; mais qui.croirait qu’on se fùt aussitôt servi de cette partie de mon projet, qui ne regardait que l’avenir, pour indisposer contre moi tous les miliciens du royaume? Dans le château de l’Oe uf, on réunit les officiers des milices de la principauté ultérieure et de la province de Capitanata, qui étaient en garnison à Naples; et, leur ayant montré quelques articles de-mon projet, on leur fit croire qu’en indiquant le mode d’élection des off i ci e rs, j’avais prétendu qu’on destituât ceux en exercice. Les miliciens entrèrent en fureur contre moi; et quelques hommes méchans, qui se trouvaient parmi eux, furent jusqu’à vouloir attenter à ma vie. Ceux qui devaient.porter le coup n ’eurent au point où ils m’attendaient pour m’immoler, mais ils manquèrent d’ é nergie au moment même d’exécuter leur dessein. Ce fait est connu particulièrement de mon aide-de-camp M. le major Lombardo.

Il est nécessaires maintenant, de revenir encore quelques instans sur les affaires de Sicile, afin de ne pas interrompre l’ordre chrono l ogique. Nous av o ns dit précédemment: que le lieutena nt- général Florestano Pepe avait été envoyé a ve c des troupes pour réd u ire cette portion de l’île qui s’était révoltée ; le cinq Octobre, il entra à Palerme par suite d’une convention conc lu e entre lui et le prince de Paterno après quelques combats entre ses troupes et le peuple insurgé de cette ville. D’après cette convention, tous les forte furent remis; une partie de le population fùt désar m ée; on délivra un certain no mbr e de soldats et officiers, qui ava i ent-survécu aux cru a u tés qu’avaient exercé e contr’eux les galériens déchaînés dans le temps du tumulte, et les autres mauvais sujets qui avaie n t domine durant l’anarchie. Le général Florestano Pepe envoya à Naples les plus marqua n s d’e n tre ces derniers, dont le méchant esprit eût pu ra ll umer l’in c endie. Il envoya aussi la convention qu’il avait fait. Le parlement, par un décret du quatorze Octobre, crut de voler l’annuler, en déclarant inconstitutionnel on acte qui avait mis fin fi l’effusion du sang, qui avait sauté tant de nos militaire s enfermés dans les prisons de Palerme, à la discrétion de scélérats, et qui fou rn issait les moyens de retirer de Sicile une partie des troupes qu’on y avait envoyées. Le général Florestano Pepe demanda son rappe l à Naples, et il fiat remplacé par le général Colletta.

Les a ff aires de l’île parurent arrangées, mais elle resta vraiment dans un état de confusion et d'anarchie, auquel contribuait la destruction de toutes les archive s publiques, et auque l venaient se joindre les haines, les désire de vengeance, et enfin tout ce qui suit les excès d’une révolution dans la que l le la lie du peuple a e u le dessus.

Quant aux causes secrètes de ce mouvement p opulair e, il importe de s avoir que le 'prince de Vi ll a-Franca, sicilien, qui était intervenu fi Naples, ver s les premier s jours de Juillet, dans le conseil qui entourait le prince royal, comme nous l’avons dit plus haut, y avait manifest é son vœu pour que sa patrie obtint de no u veau la constitut ion de 18 12.

Il écrivit en suite aux nobles de Palerme de se ré un ir et de faire des demandes motivées au roi, par l’ ’intermédiaire du lieutenant- g ouverne ur -génér a l de l’île, afin de recouvrer c ette constitution. après l’arrivée de la lettre du prince de Villa-Franca, il y eût à Palerme différentes réunions de nobles, dans la maison de……… .. dans la vue de se concéder pour faire cette demande au roi.

En même temps, la vente unique des Charbonniers, qui existait à Palerme, tenait aussi ses séances; et l'on prétend, mais je ne puis pas le garantir, que ses affi l iés étaient chargés par ceux de Naples de provoquer quelque léger mouvement populaire dans la capitale de la Sicile, pour ôter ainsi au roi cette retraite accoutumée, qui lui avait servi de refuge dans deux autres occasions de troubles politiques.

Les deux réunions, qui, simultanément, se tenaient à Palerme, mais pour des objets si différens, avaient connaissance de leurs vues opposées. Les nobles cherchèrent à s’entendre avec les Charbonniers pour éviter au moins le mouvement populaire. Les autres prétendaient qu’il était nécessaire pour obtenir la constitution d’Espagne; en vai n les députés des nobles firent remarquer l’inconsistance de ce prétexte, la révolution éclata. Mais la populace, une fois mise en mouvement, ne s’arrête pas où le voudraient ceux qui ont chi pouvoir, à leur gré, en faire l’instrument de leurs projets. En effet, la populace de Palerme n’eût aucun but raisonnable depuis son mouvement. après les massacres du prince de Saci et du prin c e de Cattolica, plusieurs nobles furent forcés à intervenir a ve c elle dans des opé rations, que, certainement, ils désapprouvaient. Le peuple délivra les détenus, les galériens même, et s’abandonna aux excès les plus odieux contre les personnes, les propriétés, et les objets d’arts; et plus de trois milles individua perdirent la vie dans ces jours d’anarchie.

Avant de terminer ce qui nous reste à dire sur les affaires de Sicile, il est indispensable de réfléchir un moment sur ce que nous en avons exposé jusqu’à présent. Ce n’est pas mon intention d’aborder la question de sa voler; si l’on avait à Naples le droit de considérer la Sicile comme une province, et si le parlement se croyait, de bonne foi, héritier du pouvoir qui avait dépouillé, depuis trois ans et demi seulement, la Sicile de tous ses privilèges, de son existence politique comme peuple, et de la représentation dont elle jouissait depuis plusieurs siècles. Réfléchissons encore seulement que le général Florestano Pepe, en faisant la convention du cinq Octobre, n’avait pas dépassé le sens des instructions qu’on lui avait données à son départ, instructions que là junte de gouvernement avait approuvées; et cependant le parlement annulla la convention du cinq Octobre!... Voilà encore un des tristes effets d’une chambre unique et passagère; rien n’est stable dans l’état; ce qui est vu d’une manière par une assemblée gouvernante ou législative, est vu tout différemment par une assemblée suivante.

Mais outre l’injustice de cette conduite du parlement, il y eût encore inconséquence; j’ai déjà dit que je m’étais oppose, de tous mes moyens, à l’expédition de Sicile, à cause du danger de nous trouver dépourvus de nos vétérans, pi nous venions à être attaques nous-mèmes; mais, puisqu’on avait voulu l’exécuter, et puisque la convention du cinq Octobre avait mis fin à la guerre civile, pourquoi la préparer de nouveau par le décret du quatorze, qui annulait la dite convention? La Sicile, satisfaite, nous aurait fourni six à huit mille hommes; la Sicile, exaspérée, exigea la présence de six à huit milles hommes de l’armée de Naples. Or, n’est-il pas évident que la convention du cinq Octobre aurait donné seize mille hommes de plus à nos frontières contre l’ennemi extérieur, et que le décret du quatorze nous les ôta? Encore, ce qu’il y avait en Sicile de l’armée Napolitaine était-ce que nous avions de mieux; ces troupes auraient dune été très-utiles à notre défense et celles que nous aurions obtenues de la Sicile, auraient été exemptes de tout penchant à la désertion, à cause de la difficultà de se rendre dans leurs foyers au moyen d’un débandement. Ce seul bon noyau de seize mille hommes aurait pu influer d’une manière décisive sur le moral du reste de l’armée, et cette seule circonstance aurait peut-être pu nous sauver. Mais tout devait être sacrifié à un succès de tribune; quand on avait composé un beau discours, dut-il plonger la patrie dans l’abîme, il fallait le prononcer et se faire admirer.

Nous devons nous rappeler qu’avant de nous occuper de l’expédition de Sicile, et avant d’exposer les discussions qui avaient eu lieu devant la junte de gouvernement, sur le rappel des congédiés et l’organisation des légionnaires, nous avions parlé des agitations que causaient dans le royaume les ambitions diverses; elles avaient cependant fait une certaine trêve vers le milieu d’Août, et plusieurs causes principales avaient opéré ce résultat: d’abord, l’expectative d’une prochaine convocation du parlement avait suspendu tout mouvement relatif à des mesures législatives; en second lieu, plusieurs des hommes les plus ambitieux avaient, pour le moment, trouvé quelque occupation dans les intrigues relatives à l’élection des députés, soit qu’ils y prétendissent eux-mêmes, soit qu’ils voulussent faire nommer des personnes qui leur seraient favorables; d’un autre côté, la croyance de l’approche des Autrichiens avait atterré plusieurs des principaux agitateurs; enfin, deux autres causes pré-existantes concoururent à ramener quelque calme, savoir la dextérité et les ménagements de la junte de gouvernement, et l’extrême modération du pouvoir exécutif.

On commença à tirer quelque bon augure de cet état de choses; pendant les quarante cinq jours qui avaient suivi la procession armée du quinze Août, et qui. précédèrent l’ouverture du parlement, la tranquillité fut telle que chacun croyait que cette journée du quinze Août aurait été le dernier désordre public. On excusait alors les troubles précédens, comme étant les oscillations inévitables du grand mouvement qu’imprime au peuple toute révolution. On peut dire que cette époque fut peut-être celle de toute la période constitutionnelle, où le trône fut le moins affligé par l’aspect des affaires publiques. On entre voyait déjà un avenir consolant. Les hommes modérés, mettaient leur espérance dans la sagesse du parlement; ils espéraient spécialement que celle assemblée présenterait à la sanction royale, les modifications qu’il était nécessaire d’apporter à la constitution espagnole.

Déjà l’on était au vingt Septembre, et la plus grande partie des députés étant arrivée à Naples, ils étaient sur le point de se réunir en une junte préparatoire. Alors quelques hommes, animés de l’amour du bien public, entreprirent de persuader au plus grand nombre possible de députés, qu’il fallait que le parlement présentât des modifications, qui offrissent de la stabilité aux institutions nationales, en même temps que de la considération et un accroissement de pouvoir au trône, ce qui eût rassuré l’Europe alarmée contre l’esprit de notre révolution.

On ne pourra faire à ces personnes le reproche d’avoir, par là, conspiré contre l’ordre de choses établi, sur le motif qu’on avait juré la constitution espagnole. On l’avait juré, il est vrai, mais avec les modifications que le parlement national proposerait à la sanction royale, afin de la rendre applicable aux Napolitains. Ainsi donc, chercher à influer sur ces modifications, pour qu’elles fussent convenables à nos besoins; et surtout, taire en sorte qu’elles fussent d’abord discutées dans l’assemblée représentative de la nation c’était tendre au bonheur commun. D’ailleurs, dans un systéme constitutionnel, où l’opinion publique doit sans cesse éclairer les délibérations législatives, il appartient à tout citoyen de chercher à diriger cette opinion dans le sens qui lui parait le plus utile. 

On ne doit s’abstenir que des moyens de corruption et de déception; mais dans le cas dont il s’agit, rien n’était plus légitime que de chercher à introduire dans le corps législatif l’idée des modifications qu’on croyait indispensables; c’était ensuite à ce corps de donner au projet qu’on lui aurait suggéré toutes les conditions légales, tout comme de concilier les besoins de la nation avec l’empire des circonstances. Quant à moi, je pense que la constitution, telle qu’elle existe, ne nous convenait pas; et dans tous les cas, les puissances étrangères ne voulaient point consentir à nous avoir adopter sans modifications(20). D’après les tentatives qui furent faites auprès des députés, on en trouva plusieurs favorables; mais il paraissait que le point sur lequel on désespérait de réussir, au moins pour cette première convocation, était l’établissement d’une seconde chambre. Quoiqu’il en soit à cet égard, les députés favorables étaient déjà au nombre de quatorze, parmi lesquels se trouvaient ceux dont on attendait le plus d’influence dans le parlement, soit par leurs talens ou leur éloquence, soit par la notoriété de leur patriotisme, soit enfin, par leur ancienneté dans la Charbonnerie. On verra, par la suite, quel fut le résultat définitif de toutes ces démarches.

L’ordre chronologique nous farce encore de re venir sur la garde de sûreté de Naples, qui, comme nous l’avons dit plus haut, avait besoin d’être réorganisée, à cause de l’admission dans ses rangs d’une fouie d’hommes inconnus. Le général Pepe, à qui l’on en avait confié l’organisation, avait plusieurs fois répété que le travail avançait, et qu’on en serait satisfait. Pour éclairer le choix des officiers, il avait nommé une commission; mais selon sa coutume, il avait cédé aux instances de quelques-uns de ses protégés qui désiraient faire partie de la commission scrutinatoire. Or, les places organiques ne suffisaient pas pour satisfaire tous ceux qui y prétendaient. Beaucoup d’intrigans, toujours sous le manteau de la Charbonnerie, voulaient être nommés officiers. 

Le général Pepe présentait, en outre, à la commission, beaucoup d’autres citoyens qui lui étaient recommandés; enfin, plusieurs brevets devaient aussi être réservés pour satisfaire la vénalité de quelques membres de cette commission. Pour rendre possible la nomination d’un nombre si disproportionné d’officiers, on exigea que les places d’officiers fussent augmentées; c’est-à dire, qu’on fit plier le service public aux convenances de certaines personnes. On dut créer dans chaque compagnie un capitaine en second, et un troisième officier subalterne. Mais cela ne suffisait pas encore pour tous les prétendans; alors on ne garda plus de mesure, on finit par nommer des officiers en nombre triple de celui qu’on avait d’abord fixé, et qui était déjà au-dessus des besoins réels.

On crut trouver un remède à cet inconvénient, en appelant officiers à la suite, cette immense foule d’officiers excédans. Les nouveaux nommés furent, pour la plus grande partie, des hommes de basse classe, qui rabaissèrent la dignité de ces fonctions publiques. Les hommes honnêtes et aisés, qui se trouvaient officiers de l’ancienne garde de sûreté, rougirent d’être confondus avec quelques-uns des dernière nommés; ils renoncèrent à leurs grades d’officiers, et demandèrent même à sortir tout-à-fait de ce corps. On le leur refusa et, alors ils se bornèrent à n’accepter aucun grado et à demeurer simples gardes, dans un corps où ils avaient figure avec distinction comme officiers. Les nouveaux nommés, blessés de cette tentative, voulurent tyranniser leurs subordonnés qui appartenaient à des classes élevées. Les première étaient soutenus par l’obstination ordinaire du général Pepe, et les seconda ne cédaient qu’à la force et aux punitions. Les châteaux furent peuplés de ces derniers. Le service était commandé au doublé du vrai besoin, et l'on se rachetait à prix d’argent des corvées surabondantes. 

Il y a plus: on exigea que cette garde de sûreté se fournit à ses frais d’uniformes et de fusils. Chez plusieurs de ceux qui la com posaient, il y avait impuissance de suffire à cette doublé dépense; et chez tous, il y avait presque impossibilité de se procurer des fusils, qui étaient devenus très rares. On mit aussi de l’obstination à cet égard. Enfin, l’on adopta une discipline vexatoire, qui finit par dégoûter tout le monde. Tant d’erreurs aliénèrent l’opinion publique de cette institution salutaire; lorsqu’on voulut s’en servir, on s’aperçût qu’on ne pouvait absolument compter sur elle, et le général Pepe, qui gâtait toutes les dispositions, toutes les institutions dans les quelles il voulait s’immiscer, finit par dénaturer aussi l’excellente organisation primitive de la garde de sûreté de Naples. Sur ces entrefaites, on approchait du premier Octobre, jour fixé pour l’ouverture du parlement. Le roi devait faire cette ouverture, et prêter le serment d’usage dans la salle de convocation. 

On répandit cependant le bruit qu’il ne voulait pas se charger lui-même de cette solennité, et qu’elle serait remplie par le vicaire-général. Cela jetait dans l’anxiété; et le peuple en concluait qu’ainsi le roi était contraire à la constitution. Le prince lui-même et le ministère pensaient que si le roi se refusait à cet acte, toute l’Europe l’interpréterait dans le même sens que le peuple; qu’alors, le prince paraîtrait lui-même le premier des factieux, et que les ministres seraient accusés de soutenir un ordre de choses qui privait le roi de l’exercice de son pouvoir. Plusieurs tentatives furent faites, mais en vain, pour persuader le roi. Si, malheureusement, il eût persisté jusqu’à la fin dans ce refus, tous les ministres étaient bien résolus à se dé« mettre le même jour de leurs fonctions; et peut-être alors, eut-on difficilement trouvé d’autres hommes qui voulussent accepter les porte-feuilles. Le pouvoir exécutif serait donc reste sans agens supérieurs, et ce doublé événement pouvait conduire è une affreuse anarchie. Un des ministres eût l’adresse de faire pressentir ces conséquences à un ministre étranger, qui soutenait que le roi ne devait pas ouvrir lui-même le parlement. L’idée d’une démission simultanée de tout le ministère fit impression sur l’esprit du ministre étranger. 

Il désira donc entrer en discussion pour savoir ce qui résulterait d’avantageux, si le roi se décidait à cet acte. Alors on lui dit à quel point on en était avec quatorze des députés les plus influens, à l’égard des modifications à faire à la constitution. Il parut ne pas ignorer ces négociations. Il fit espérer que si tout cela sa vérifiait, la nation pourrait être sauvée, les étrangers ne voulant intervenir dans nos affaires intérieures que pour faire cesser l’état d’anarchie. Ce ministre étranger demanda, en outre, dans combien de temps on pourrait voir l’effet de ces négociations, si le roi se décidait à faire en personne l’ouverture du parlement. On crut pouvoir lui répondre qu’aussitôt après l’ouverture, cet objet serait sans doute un des première discutés. Les deux ministres se quittèrent très-contens l’un de l’autre; mais l’étranger ajouta que l’intervention du roi ne pouvait être que conditionnelle, parce qu’on comptait sur les modifications désirées, et sur toute autre mesure qui pourrait concilier les intérêts de tous. Je ne sais point si le roi fut décidé à revenir de sa première détermination par le conseil de ce ministre étranger, ou par tonte autre cause. Le fait est, qu’à la satisfaction générale, il se rendit, le premier Octobre, au parlement, où il fit lire par son fils un discours très-sage et plein de dignité. Le roi considérait la nation comme une famille dont il connaissait les besoins, et dont il voulait satisfaire les vœux.

Il faisait observer que plusieurs des anciennes institutions. du royaume étaient compatibles avec le nouvel ordre de choses, et que ce serait le consolider que de le fonder sur ces institutions, qui étaient dans les habitudes de la nation. Il recommandait d’employer tous les moyens pour bien rétablir la tranquillité publique. Il ajoutait, que l’invariable attachement de la nation à la religion catholique lui donnait l’assurance que le parlement en conserverait la pureté, ce qui concilierait une estime générale à la nouvelle constitution. Enfin, il assura qu’il seconderait les vœux du peuple, et qu’il n’avait pas d’autre désir que celui de finir ses jours, entouré de la reconnaissance de la nation, dont il avait toujours désiré le bonheur.(21) Le président répondit à ce discours par une harangue, très-érudite sans doute, mais trop prolixe et peu adaptée à la circonstance.

Le général Pepe adressa ensuite la parole au roi, pour résigner le commandement suprême; et le roi lui répondit, en acceptant cette résignation, et en lui exprimant sa satisfaction d’avoir contribué jusqu’alors à la tranquillité publique. Combien n’eumes-nous pas alors de motifs d’espérance! après beaucoup d’hésitation, le roi s’était enfin rendu au parlement, ce qui semblait prouver qu’il espérait déjà une amélioration et de la stabilité dans nos affaires. L’acte do convocation de la représentation nationale avait eu son accomplissement; on attendait de cette représentation des loia sages, des modifications convenables à la constitution, mai&8urtoutTabolition des sociétés secrètes, avec lesquelles il était impossible de rien espérer de bon. Enfin, l’on, ne pouvait s’empêcher de tendre justice à la loyauté avec laquelle le général Pepe s’empressait de résigner le commandement suprême, qu’il est toujours dangereux, en temps de paix, de laisser entra les mains d’un simple citoyen. Ces apparences diverses étaient d’un bon augure; mais tout devait s’évanouir, tant par la mauvaise direction que prit le parie ment après sa convocation, que par quelques autres causes, au nombre desquelles on doit surtout compter le dépit qu’éprouva le général Pepe pour avoir quitté le commandement en chef, et la création d’une assemblée générale de la Charbonnerie. Tout ceci exige quelques développemens. 

Le parlement de Naples avait le grand défaut organique d’être trop peu nombreux. La constitution d’Espagne, en fixant que dans cette péninsule, on fournirait un député sur soixante et dix mille âmes, avait donne, pour l’Espagne seule, cent cinquante députés, nombre déjà passablement considérable, quoique je ne le croie pas suffisant; et à ce nombre, devaient encore se joindre les députés des colonies. Mais à Naples, où sans aucun examen de convenance locale, on voulait à toute force adopter toute disposition de la constitution espagnole, il résulta que, d’après la proportion susdite, on n’eût que quatre-vingt-dix députés pour tout le royaume. 

En vain dira-t-on qu’un état plus petit doit avoir une représentation moins considérable; on sait que ce décroissement ne peut aller au delà de certaines limites; car il faut d’abord qu’une représentation nationale soit assez nombreuse pour fournir un nombre assez considérable de membres à chacune des sections dans lesquelles elle doit se diviser. Elle doit être nombreuse, afin qu’on ne puisse y obtenir des majorités préjudiciables par l’accord de dix ou douze membres. Il faut, en outre, que l’assemblée contienne dans son sein toutes lés espèces de talens; il faut que tops les intérêts si variés de la société y trouvent des organes; il faut qu’elle soit assez nombreuse pour qu’elle ne soit pas entraînée à seconder les vues d’une faction, au détriment des intérêts de la majorité, d’après. la maxime, “que le petit nombre agii toujours d’après les vues du petit nombre.” Il faut enfin, qu’une assemblée de cette nature soit, par le nombre de ses membres, assez imposante pour conserver le sentiment de ses forces dans les circonstances difficiles où elle peut se trouver. 

Plusieurs députés de quelques provinces de la Sicile, ne s’étant point rendus au parlement, le nombre total des députés n’alla jamais au delà de quatre-vingt-deux. Mais outre que le nombre des députés était trop petit, plusieurs d’entr’eux avaient été portés à ces fonctions par l’intrigue, et même par la force; l’élection ayant eu lieu quand les charbonniers étaient au faite de la puissance, et lorsqu’il n’y avait plus aucunes troupes dans les provinces, il en résulta que, presque partout, les choix se ressentirent de l’influence de la secte. Dans plusieurs endroits, ils furent faits en présence d’hommes armés, qui exigèrent par force l’élection de certains candidata. Enfin, dans les provinces éloignées, la trop grande célérité avec laquelle on avait été obligé de taire les élections, avait empêché d’apporter à cette importante opération toute la maturité qu’elle doit requérir. Dans les provinces de Naples, de Molise, et de la Calabre citérieure, les élections furent les plus libres; dans les provinces de la Terrer-de-Labour, de Basilicata et des deux Calabres ultérieures, les choix furent presque imposés aux électeurs par des hommes armés, qui vinrent aux élections, dans le seul but d’appuyer par la force ouverte leurs protégés.

Dans les trois Abbruzzes, dans les deux principautés, et dans les trois autres provinces de Bari, d’Otrante et de Capitanata, l’influence sectaire eût une prépondérance décisive, parce que les trois dernières de ces provinces avaient été le théâtre de la révolution, et parce que les cinq autres avaient été les sièges principaux de la Charbonnerie, savoir: les trois Abbruzzes dans le temps des Francis, et Bari et Otrante depuis 1815. Le parlement dut nécessairement se ressentir des circonstances vicieuses qui avaient présidé aux élections. Il portait en lui-même le germe de l’intrigue et de l'esprit de faction. Il ne renfermait d’ailleurs presque aucun individu qui eût l’habitude des affaires publiques, ce qui provenait aussi de l’influence des sectaires, qui abhorraient les réputations antérieures, même celles d’hommes libéraux. Le caractère démocratique de la révolution fit mettre de côté les nobles, et il n’en fut presque nommé aucun. 

Ce n’est certainement point un penchant aristocratique qui me conduit à cette observation, mais je pense que l’exclusion est aussi injuste que le privilège; l’une et l’autre blessent pareillement l’égalité des droits. En outre, cette exclusion presque absolue des nobles fut un nouveau prétexte aux étrangers pour discréditer de plus en plus la révolution, en la taxant de jacobinisme. Cependant, malgré la réunion de toutes ces circonstances, on prétend qu’il n’y eût pas plus de dix sept députés qui fussent des Charbonniers déterminés, et qui agissent avec audace dans les vues de la secte. Il nous reste donc à expliquer comment une minorité si peu nombre use eût la prépondérance dans les votes, et comment elle parvint à mettre le parlement sous la dépendance de la secte. 

Le parlement, étant peu nombreux lui-même, ne présentait pas une masse suffisante d’hommes doués de talens, de fermeté, et qui s’entendissent assez bien entr’eux, pour s’opposer avec succès à un petit nombre d’hommes audacieux, qui faisaient toujours cause commune. D’ailleurs, les députés, en général, avaient peu de connaissances politiques. de plus, outre ces dix-sept députés, ouvertement déclarés comme charbonniers, quelques autres l’étaient aussi, quoiqu’ils le dissimulassent; ils ne faisaient pas les propositions, mais ils appuyaient toujours celles faites par les plus téméraires. 

On a dit avec raison que, pour dominer dans des rassemblemens d’hommes, il suffit d’avoir de l’audace; or, nos députés factieux n’en manquaient, pas; et tantôt, employant la séduction envers les indifférens ou les réservés, tantôt menaçant les pusillanimes, ils faisaient également dévier ces diverses classes d’hommes de leurs opinions propres. On parlait souvent de massacres et de ravages, et l’on présentait sans cesse la.secte comme prête à les seconder. Les tribunes de la salle du parlement, toujours occupées par les mêmes individua, étaient prêtes à appuyer par leurs applaudissemens les propositions de cette minorité, et à siffler celles de leurs contradicteurs. 

Quelquefois, il est vrai, lorsqu’on discutait quelque proposition en comité secret, quelques députés, hommes de bien, osaient repousser avec vigueur les propositions de la minorité; mais elle demandait alors que la même proposition fût discutée en séance publique, étant certaine d’y obtenir l’appui de ses partisans des tribunes. Dans ce cas, les hommes faibles se prononçaient aussitôt pour la minorité, ainsi que les ignorans et les intrigans; ceux-là parce qu’ils croyaient voir le droit où se trouvait la multitude, et les derniers parce qu’ils voulaient flatter le parti dominant. Voilà comment une si faible minorité parvint à diriger cette assemblée dans le sens qui convenait à ses vues particulières.(22) On doit ainsi présager déjà tout ce qui dut résulter par la suite d’une influence aussi dangereuse. 

Nous avons annoncé, comme une seconde cause principale de la perte des espérances conçues le premier Octobre, le dépit qu’avait éprouvé le général Pepe, ainsi que ses partisans, de la cessation de son commandement en chef. Ceux-ci lui avaient persuadé qu’il lui convenait de montrer, à cet égard, un noble désintéressement, mais que certainement, le roi le confirmerait dans cette haute mission. Ils l’espéraient eux-mêmes ainsi avant le premier Octobre; mais lorsque le général Pepe vit décidément qu’il ne conserverait pas ce commandement suprême, il fut très-sensible à cette cessation de son pouvoir, soit que l’exercice lui en eût semblé doux, soit que les adulations l’eussent enivré, soit qu’il n’eût accepté ce commandement que pour rester à la tète d’un mouvement qui flattait son amour de la gloire et son ambition; soit peut-être,'encore, qu’il jugeât alors indispensable à sa sûreté personnelle de le conserver. 

Quoiqu’il en soit, il est certain que les intrigans, les malintentionnés, et les mécontens résolurent de se prévaloir de cette disposition de dégoût; et plusieurs d’entr’eux se chargèrent de faire tous leurs efforts pour l’augmenter toujours davantage. En attendant, ceux dont le général était entouré ils employèrent tous les moyens pour qu’il rentrât au pouvoir. Ils se répandaient dans les ventes, et dans tout autre lieu de réunions nombreuses, pour déclamer contre l’ingratitude du gouvernement, en faveur duquel, disaient-ils, le général Pepe avait toujours maintenu le bon ordre, et dont il recevait maintenant une humiliation. 

Ils accusaient de perfidie ses émules, qui, disaient-ils encore, avaient tout fait pour mettre dans l’oubli le libérateur de la patrie. En même temps, on insinuait au général qu’il devait affecter de la résignation, qu’il devait se montrer isolé et confondu parmi la foule, à pied, en habit bourgeois très-modeste, et non comme précédemment, en équipage et en brillans habits militaires, de tels moyens ne manquèrent pas de produire bientôt une partie du résultat qu’on en attendait. Déjà, dans les première jours d’Octobre, il s’éleva un murmure en faveur du général, et un sentiment de blâme contre le gouvernement, qu’on taxait d’ingratitude à son égard. Alors, ses partisans eurent soin de répéter en toute occasion: “Qu’il se souciait peu de semblables torts; que, pourvu que la patrie fut libre et heureuse, il ne désirait pas autre chose, et qu’on ne devrait pas songer à lui.” 

Cependant, comme le public se lasse facilement des querelles privées d’un citoyen qui a perdu le pouvoir, tout discours cessa bientôt sur ce sujet; plusieurs de ceux qui avaient courtisé le général, par espoir d’avantages particuliers, l’abandonnaient déjà dès qu’ils virent que son influence avait cessé. Mais alors, ses partisans les plus déclarés, ceux dont les propres intérêts dépendaient entièrement de la continuation de son pouvoir, s’apercevant que sa querelle commençait à s’oublier, se décidèrent à faire les efforts les plus vigoureux, et à mettre de côté toute considération pour tâcher de lui donner de nouveau toute son influence. On affirma d’abord, dans toutes les ventes de la capitale, que ce commandement ne lui avait été enlevé que pour pouvoir rétablir plus facilement le despotisme. Mais cela ne suffisait pas; et l’on crut devoir employer un moyen plus efficace, en faisant arriver de graves désordres dans l’armée, afin que, comparant le temps actuel avec celui où le général Pepe commandait en chef, on conçut le désir de le rétablir dans ce poste. Dans une seule nuit, trois mille soldats environ désertèrent de Naples. 

Il en déserta plus de douze cents du seul douzième de ligne, compose exclusivement de congédiés de la principauté ultérieure. Plusieurs de ces déserteurs furent arrêtés, et ils déposèrent sur la cause d’un tel mouvement, arrivé simultanément dans plusieurs corps qui n’avaient point de contact ensemble. On obtint sur la cause primitive d’un tel événement des renseignemens, qui sont consignés dans des rapporta existans au ministère de la guerre. On ne jugea point à propos de poursuivre, parce qu’on n’aurait pu obtenir une preuve judiciaire complète. En attendant, on jetait la faute de ces désertions sur le ministère qui, disait-on, refusait aux congédiés des habits, le logement, et la solde. 

L’un des ministres se rendit auprès du général Pepe pour l’engager à réparer ces désordres; ce dernier refusa, en disant qu’il voulait vivre retiré, et que, dans sa situation privée, il ne savait comment contribuer à faire cesser ces désertions, quoiqu’il ajoutât qu’il croyait très-facile d’y porter un remède. Nous allons parler maintenant de la troisième des causes principales, qui rendirent vaines les heureuses dispositions qu’on avait remarquées le premier Octobre. Jusqu’alors, la charbonnerie avait eu sans doute une influence déjà trop grande; mais cette influence n’avait pas encore suffi à tous ses desseins; elle voulut régulariser toutes ses opérations, et prendre un caractère presque officiel. Ce fui alors que s’éleva dans l’état un troisième pouvoir, certainement très-inconstitutionnel, mais extrêmement puissant. 

C’était vraiment l’état dans l’état. Ce fut l’établissement d’une représentation de toute la secte en assemblées de districts, en magistratures suprêmes de provinces, et en une ASSEMBLÉE GÉNÉRALE, qui résidait dans la capitale. Pour donner une juste idée le cette dernière assemblée, il faut se rappeler ce que nous avons dit plus haut, que, dans les jours qui suivirent le six Juillet, plusieurs étudians et autres individus de la province, qui habitaient Naples, s’étaient réunis dans certains lieux, par motif de sûreté personnelle, à cause de l’agitation qui régnait alors. Ensuite, lorsqu’on eût publié la constitution d’Espagne, on plage des drapeaux de la secte dans ces mêmes endroits. 

Or, nous avons déjà dit aussi qu’après l’entrée à Naples des troupes de Monteforte, toutes ces aggrégations avaient été transformées en autant de ventes de Charbonnerie. Plus tard, ces provinciaux, pour acquérir de l’importance, et dans l’intérêt de leurs provinces respectives, prirent sur eux-mêmes de les représenter dans la capitale. L’esprit provincial et municipal ayant, comme nous l’avons également remarqué dans la première partie, beaucoup influé sur l’établissement du nouvel ordre de choses, les provinces furent satisfaites d’avoir à Naples des hommes zélés qui s’occupassent de leurs intérêts. Il en résulta une sorte de fédéralisme, mais dans lequel on n’allait point d’accord, parce que ceux qui entendaient représenter chaque province ne pensaient qu’aux intérêts locaux, sans liaison avec les vues générales. 

On sentait donc la nécessité d’obtenir de l’ensemble et de l’unité dans les opérations, ce qui fit naître l’idée de créer une nouvelle corporation, composée de personnes choisies par chaque province. Pour la première fois, elles le furent au nom des provinces, par les individua des Charbonneries provinciales qui étaient à Naples. Cette corporation eût d’abord le nom de Haute Vente Provisoire; mais les nominations avant été régularisées, elle fut, depuis le 1° Octobre, appelée Assemblée Générale.

Ainsi, tandis que le ministre de l’intérieur s'occupait de préparer le choix de la représentation nationale, aux termes du statut politique, les Charbonniers avaient déjà complété leur propre organisation, qui devait leur donner tant de force pour diriger les élections du peuple. Par ce moyen, quoi qu’ayant l’air de respecter les formes constitutionnelles, ils dirigèrent partout des intrigues, et employèrent même au besoin la force ouverte pour faire nommer ceux qui leur convenaient. Lorsque le parlement fut en exercice, les factieux ne le considérèrent que comme un instrument légal pour faire, non ce qui était utile à la nation, mais ce qui entrait dans leurs vues. 

L’assemblée générale ne fût à leurs yeux que l’organe par lequel il devait apprendre leurs oracles. Pendant un certain temps, cette assemblée agit avec réserve; mais bientôt, elle voulut influer directement sur les décisions de la représentation nationale. Sa force d’influence était considérable, parce qu’elle disposait de la voix des Charbonniers qui se trouvaient députés; parce o qu’ en outre, elle avait le bras de tous les sectaires du royaume, dont une grande partie était déjà légalement armée, sous le nom de légionnaires; et enfin, parce qu’elle ne craignait rien de la part de l’armée, tant qu’elle parviendrait à y perpétuer la Charbonnerie.

La puissance de la secte ne connut donc presque plus de bornes; car, outre les moyens d’influer sur la représentation nationale, elle jouissait dans la nation d’une grand force morale, qui.fut toujours.croissante, d’après ce principe trop constant que la multitude se jette toujours du côté où elle voit la force. Ainsi la Charbonnerie acheva de recevoir dans son sein tous ceux qui voulaient aller à la fortune par d’autres moyens que celui des voies légales, ceux qui désiraient abattre quelque ennemi puissant, enfin tous ceux qui, dans leurs communes, voulaient exercer de l’influence, et même tyranniser leurs concitoyens. de l’admission de tous ces individus résulta dans chaque commune une véritable aristocratie nouvelle. 

Il est à observer que, dans nos provinces, l’aristocratie féodale avait commencé à s’écrouler depuis 1740, par suite des sages mesures du feu Roi Charles Trois; mais qu’à cette ancienne aristocratie avait d’abord succédé celle des riches, des intrigans, ou des hommes turbulens de chaque commune. En suite, sous la domination française, et pendant les, cinq premières années de la restauration, le despotisme communal avait changé de siège, et avait été surtout exercé par les officiers de milice. Enfin, durant le système constitutionnel, les chefs de ventes et leurs principaux affidés constituèrent dans chaque commune une nouvelle aristocratie extrêmement pesante, qui eut les plus funestes Conséquences sur le destin même de la patrie.

L’impartialité, qui m’est impensée par un travail historique, m’oblige cependant à convenir que l’existence de ces chefs de ventes, répandus sur tout le territoire, et dépendant tous de l’assemblée générale, produisit, sous un autre rapport, un bien très-remarquable. Le désir qu’on eût de donner à la révolution un aspect de moralité, fit disparaître des campagnes tous les malfaiteurs. On fut jusqu’à permettre à quelques-uns d’entr’eux d’être admis dans la Charbonnerie; et ils vivaient des secours qu’elle leur donnait. Les autres la craignaient, et se gardaient bien d’enfreindre ses injonctions de ne pas troubler la tranquillité des campagnes. 

En outre, le service public recevait une grande impulsion toutes les fois que l’assemblée générale le recommandait aux Charbonneries provinciales. Par exemple, la loi du trois Septembre avait rappelé au service militaire les congédiés, ainsi que nous l’avons dit précédemment. Or, l’assemblée générale, excitée par le général Pepe, en ayant recommandé l’accomplissement aux Charbonniers de chaque commune, des milliers de congédiés rejoignirent en très-peu de temps. Il est vrai que presque tous les riches, ainsi que que les Charbonniers, furent exemptés de ces envois forces; mais 

Enfin, cette opération fut faite avec vigueur, et la marche simultanée d’un si grand nombre d’hommes trompa tellement les étrangers, qu’ils la crurent absolument volontaire. Je citerai encore quelques faits à l’égard desquels la coopération de la secte fut avantageuse: d’abord le trésor avait des besoins, et désirait recouvrer des contributions arriérées; on fit alors des circulaires aux assemblées provinciales, toujours par l’organe de l’assemblée générale, et l’on obtint de suite des sommes considérables qui furent envoyées à Naples. li est encore vrai que, dans cette opération, il y eût aussi beaucoup de partialité; les Charbonniers reçurent toutes les facilités pour le payement de leur quote part; et la charge de payer sur-le-champ, et sans aucune considération, tomba sur les autres citoyens. Par exemple encore, s’il arrivait quelque désertion nombreuse,.on n’obtenait jamais mieux l’arrestation des déserteurs que par des circulaires aux Charbonniers. Il était alors presqu’impossible d’échapper, soit en chemin, soit dans chaque commune des déserteurs, parce qu’ils étaient poursuivis par la vigilance des miliciens et des légionnaires, que stimulaient sans relâché les Charbonniers. On doit à la vérité convenir encore ici, pour ne pas fausser le tableau, que les déserteurs qui appartenaient à la secte, étaient libres de retourner dans leurs foyers, aussitôt qu’on avait fait les signes réciproques de reconnaissance.

On voit, par les exemples que nous venons de rapporter, que la main puissante des Charbonniers était quelquefois utile pour activer le service public; mais malheureusement, elle en détruisait elle-même l’effet, par la partialité qui présidait à sa coopération. Cette partialité finit par jeter un dégoût total dans l’âme des autres citoyens, à qui l’on refusait toute justice, et jusqu’à la faculté de faire des réclamations.

Les tribunaux même, craignant une felle puissance,devinrent tremblans; ils osaient à peine procéder faiblement contre un sectaire. Les créanciers furent quelquefois obligés de demander justice contre leurs débiteurs, jusques dans les ventes auxquelles ces derniers étaient affiliés. Souvent ces ventes se piquèrent d’honneur, et firent droit; mais d’autres fois, elles ne voulurent rien décider.

De tels résultats firent enfin ouvrir les veux à la masse de la nation. Elle vit qu’au lieu de corriger les anciens abus, l’on n’avait fait que leur substituer des abus nouveaux, accompagnés de plus grands sacrifices: elle vit qu’elle n’était dans le fait représentée que par une faction, qui mettait sans cesse ses intérêts à la place de l’intérêt public; et qui, de plus, la compromettait vis-à-vis l’étranger. Malheureusement, les masses raisonnent peu, ou bien elles passent d’un extrême à l’autre; il ne faut donc pas être surpris si, d’après de telles dispositions, le gros de la nation même contribua par la sui te à nous livrer entre les mains de nos ennemis.

Au milieu de toutes ces circonstances, et depuis la convocation du parlement, on avait voulu reprendre les négociations relatives à des modifications à la constitution d’Espagne, sur lesquelles nous avons vu qu’on était d’accord avec quatorze députés; mais alors, il tinrent un tout autre language, soit qu’ils se fussent exaltés par le contact de leurs collègues, comme cela arrive dans les grandes réunions, soit qu’ils eussent auparavant dissimulé. Quoiqu’il en soit, on s’aperçut bientôt qu’il fallait renoncer aux flatteuses espérances qu’on avait conçues à cet égard.

Un tel échec dans Je parti de la modération me causa la plus grande peine; il me fit tout-à-fait craindre qu’on ne pût rien opérer de salutaire pour l’avenir, D’un autre côté, je me rappelai quels moyens iniques l’on avait employés pour me rendre suspect à la nation et à l’armée; je me rappelai surtout l’événement des désertions de Naples, qui avaient été organisées dans le seul but d’en jeter la faute sur le ministère; et alors, je pensai de nouveau qu’il serait convenable au bien même du service de m’éloigner des affaires. Mais ayant déjà éprouvé deux fois que si je demandais ma démission, on pie la perfuserait encore, je pensai qu’il fallait la prendre de fait; et après avoir mis en ordre les objets de mon département, je me retirai le Samedi soir, quatorze Octobre, à la campagne, après avoir écrit au prince, pour le prier de nommer un autre ministre de la guerre.

A peine avais-je quitte la capitale, que, dans la même nuit, le ministre de l’intérieur, accompagné du général Pepe, vint de la part du prince m’ordonner de retourner à mon poste. Je représentai au ministre de l’intérieur que, dans le discrédit où m’avaient jeté les calomnies de mes adversaires, mes services ne pourraient plus être d’aucune utilité; que bien loin de là, si je restais au ministère, il en résulterait les plus grands inconvéniens, parce qu’on risquait de voir dissoudre l’armée dans l’unique but de m’en attribuer la faute. Alors, le général Pepe joignit ses instances pour me faire retourner à mon poste; et il fit comprendre, sans beaucoup de détours, que les désordres de l’armée auraient bientôt cessé, si on lui rendait de l’influence dans les affaires militaires.(23) Malgré toutes ces instances, je ne cédai point, et ces deux personnes retournèrent à Naples.

Le jour suivant, un député du parlement, accompagné d’une autre personne influente, vint à ma campagne pour m’engager à retourner à mes fonctions. Or quelle inconséquence! On s’efforçait de me faire passer pour l’ennemi le plus acharné de cet ordre de choses, et l’on s’obstinait à vouloir que je restasse ministre de la guerre!....

Enfin, le marquis Ruffo, ministre de la maison du roi, me communiqua l’ordre de Sa Majesté même de ne plus abandonner mes fonctions, quelles que fussent les calomnies ou les persécutions que j’aurais à souffrir.

Je dus céder, et je rentrai au ministère. Quelques jours après, ayant conçu de nouveau l’espérance de faire entendre au parlement la convenance de certaines mesures, je me rendis, le vingt Octobre, dans son sein, où je demandai à être entendu en comité secret. Là, j’exposai que si les sectes étaient déjà même pernicieuses dans la société civile, elles étaient tout-à-fait incompatibles avec l’existence d’une armée; qu’elles détruisaient toute discipline, chose indispensable dans tout corps militaire, et sans laquelle on ne peut obtenir aucun succès durable. Qui le croirait? après m’être bien fatigué à prouver ce que j’avais avancé, après l’avoir appuyé de plusieurs exemples, je ne refus d’autre réponse que celle-ci: Général, faites-vous aussi Charbonnier. En vain démontrai-je que cela ne remédierait à rien; je ne pus obtenir une seule parole à l’exception de la réponse laconique ci-dessus, qui me fùt donnée en public par le député Macchiaroli. Alors, je me retirai.

Malgré la non réussite de cette tentative, je crus devoir ne point abandonner les autres moyens qui pouvaient me rester pour ramener, au moins pour le moment, quelque ordre dans l’armée. Il était en outre indispensable de penser au général Pepe, qu’il fallait satisfaire de quelque manière, à moins qu’on eût pu le faire sortir du royaume. Le commandement en chef, ou les fonctions de chef d’état-major, lui auraient de nouveau donné les moyens de disposer de l’armée. On pensa qu’il fallait le nommer inspecteur-général des gardes nationales du royaume, commission qui s’étendait sur la garde de sûreté de Naples,sur les miliciens et les légionnaires de tout le royaume; ce qui donnait en tout une masse de cent cinquante mille hommes. Cependant le général parut considérer cette commission éminente comme n’étant pas suffisante pour lui; toutefois, quoiqu’il ne fùt pas complètement satisfait, son mécontentement parut appaisé, et la désertion cessa presque aussitôt dans l’armée.

Le ministre continua à s’occuper du complètement de l’armée, qui monta bientôt à près de cinquante quatre mille hommes, en y comprenant les hommes de la cavalerie. Cette dernière arme parvint à avoir quatre mille quatre cents chevaux, en comptant ceux du train d’artillerie. Un pian organique avait reçu l’approbation provisoire du prince depuis le quinze Août. D’après ce pian, l’armée qui montait à trente mille hommes en temps de paix, pouvait n’en avoir à payer que vingt mille au moyen des semestres; et en temps de guerre, elle pouvait être portée à cinquante deux mille hommes sans augmenter le nombre des officiers. On organisa d’abord quatre divisions d’infanterie; la première à

Gaëte sous les ordres du lieutenant-général baron d'Ambrosio; la seconde à Capoue sous les ordres du lieutenant-général baron Arcovito; la troisième en Abbruzze, qui, par la suite, forma le noyau du deuxième corps d’armée, sous les ordres du lieutenant-général baron Guillaume Pepe, et la quatrième enfin à Naples, sous les ordres du lieutenant-général Filangieri, prince de Satriano. Cette dernière division était pour les deux tiers composée de garde royale. Chacune de ces divisions était composée de trois régimens de ligne, d’un régiment d’infanterie légère, et d’un bataillon de chasseurs (Bersallière). Sur cinquante deux bataillons que comprenaient les quatre divisions, sept se trouvaient détachés en Sicile.

On insistait continuellement auprès du ministre de la guerre pour f ai re supprimer la garde royale. Il fit observer que cela donnerait d u déplaisir au roi; que d’ailleurs, cette troupe, par son ancienneté, était ce qu’il y avait de meilleur dans l’armée. Il allégua pour en appuyer la conservation, l’exemple de la France et de l’Angleterre, qui, bien qu’étant des monarchies constitutionnelles, avaient aussi des gardes royales. Toutes ces raisons ne persuadaient pas, et l’on en souffrait impatiemment l’existence. Enfin, ce qui détermina à la tolérer, c’est qu’on l’avait conservée en Espagne.

On créa un pare de douze batteries, dont sept de campagne, deux d’artillerie légère, deux de montagnes, et une de grosses pièces de douze. On mit en ordre tous les forts et tou t es les places frontières. Celle de Capoue re?ut des modifications te l les qu’elle pût tenir un camp retra nch é douze mille hommes. Celle de Pescara fut réparée, notamment dans vingt-sept brèches que l es Autrichiens y avaient faites avant de quitter le royaume en mil-huit-cent seize. La place de Gaëte fut complètement fortifiée, en terminant une grande contre-garde et plusieurs casemates. On rétablit Civitella del Tronto. On fortifia, par des ouvrages de campagne, les gorges d’Antrodocco, de Tagliacozzo et de S t André. On fortifia également l a Certose de Montecassino, e n droit très-re n ommé; mais cette dernière opération fut néralement blâmée, parce qu’ o n jugea que ce point ne pouvait pas contribuer à la défense.

On mit dans tous les forts des vivres de réserve, des munitions, et de l’artillerie.

Dans tous les dépôts militaires du royaume, il n’existait que treize mille cantare (poids de Naples qui équivaut à deux cent soixante et quinze livres anciennes de France) de poudre martiale; et comme il en fallait cinquante mille pour l’approvisionnement de l’armée et des forts. on acheta à l’étranger toute la poudre qu’on pût trouver; et cela ne pouvant encore suffire à tous les besoins, on mit de suite en activité trois nouvelles poudrières, l’u ne à Tarante, un autre à S‘. Dominique Soriano en Calabre, et la troisième à Solmona. Cette dernière avait déjà commencé, depuis trois mois, à fournir des poudres quand le royaume fut envahi.

La cavalerie fut presque mise au complet de chevaux; et le train avait déjà re;u les quatre cinquièmes de ses besoins, à ma sortie du ministère. Les harnachemens pour la cavalerie, et les harnais pour le train, furent portés au grand complet. Toute l’armée fut fournie d’habillemens.

Cependant, il manquait beaucoup de fusils, et l’on avait envoyé, dès le principe, des agens à l’étranger, pour en acheter partout où l’on pourrait en trouver. Tous ces agens avaient écrit que l’on refusait de toutes parts la sortie de cette sorte d’armes pour le royaume de Naples, et qu’on ne pouvait même réussir par des moyens détournés. Il ne restait donc au ministre d’autre ressource que dans les manufactures du royaume. En multipliant les efforts, elles quadruplèrent la fabrication mensuelle; on acheta en outre tous les fusils vieux qu’on pût trouver; on mit en réquisition tous les armuriers de Naples et des provinces, tant pour les fabrications à neuf que pour la réparation des fusils vieux. Mais tout cela était loin de suppléer au nombre dont o n avait besoin, et le ministre voulut mettre à couvert sa responsabilité en faisant connaître au parlement, par un message direct, les efforts qu’on avait employés, le résultat obtenu, et l’impossibilité de l'augmenter. Il demandait que le parlement déclarât s’il croyait pouvoir adopter quelqu’autre moyen. Il n’obtint aucune réponse à cela; mais le président, qui était alors Monsieur Galdi, répondit verbalement après la lecture du rapport: Que le parlement n’entrait pas dans ces détails, que c’était au ministre responsable à imaginer d’autres moyens s’il y en avait.

Après avoir fait toutes les tentatives possibles à l’étranger, après avoir employé tous les moyens à l’intérieur, enfin, après avoir fait au parlement les protestations nécessaires, il est évident qu’un ministre n’avait plus rien à faire à cet égard. Eh bien! malgré cela, l’injustice fut t elle que j e ne pus échapper au reproche d’avoir fait manquer par ma fau t e là fourniture des fusil s ; et l'on se servit, pour appuyer cette imputation, d’un prétexte que je ne puis bien faire concevoir qu’à l'aide de quelques développemens.

Après avoir en vain tenté tous les autres moyens que j’ai indiqués plus haut, j’avais cru utile d’ouvrir une commission illimitée, pour entrer en négociation avec quiconque voudrait fournir des fusils. Les conditions' générales étaient:

1°. Qu’on accepterait toutes les offres jusqu’à la concurrence de cent mille fusils, neufs ou vieux, mais en état de service.

2. Que le prix devait en être convenu: rendus à Naples.

3( 9) . Qu’on donnerait des avances, et même, au besoin, pour la valeur entière, moyennant de bonnes cautions;

4 ° . Enfin, que ceux qui voudraient les fournir, devra i ent se soumettre à un e amende pour le cas où ils ne le feraient pas dans le temps fixé.

La troisième condition était de nature à attirer beaucoup d’individus, dans le seul dessein d’avoir à leur disposition des avances, au moyen d’une caution, de s’en servir durant un certain temps, et puis de le s rendre en disant qu’il ne leur avait pas été possible d’extraire les fusils de l’étranger. Or, la quatrième condition avait été imaginée pour parer à un tel( :) abus. Malgré cela, plusieurs personne s se présentèrent avec l’espoir qu’on les en dispenserait; mais lors qu’elles virent qu’elles ne pouvaient réussir, elles furent très- irritées contre le ministre, et elles répandirent en tous lieux qu’elles avaient fait des offres de fusil, mais q ue le ministre n’ avait pas voulu entrer en négociation.

Quelques autres personnes, à Naples, avaient été effectivement chargées par des négocians étrangers d’en offrir; mais il arriva que plusieurs individue se présentèrent pour une même partie. Par exemple, si mille vieux fusil s, qui étaient à Livourne, furent offerte par Messieurs L.

F . D, tandis que Monsieur Gyesiu, l’un de nos agens expédiés à l’étranger, s’était déjà assuré de leur existence, mais en même temps, de l’ impossibilité de les sortir, à cause de la défense du gouvernement. Ces personnes furent également fâchées de la clau s e par la quelle on les s o umettait à u n e amende, ce qui les empêcha de traiter; et quoique, dans le fait, elles n’eussent pu satisfaire à leurs engagemens, elles affirmèrent publiquement, en montrant leurs lettres reçues de l’étranger, qu’il y avait des fusil s, pour lesquels je n’avais pas voulu entrer en marché. On ne manqua. pas de profiter de ces circonstances pour me nuire; et l’on conduisit dans les ventes, a fin de les exciter contre moi, non-seulement l e s individu s qui offraient des doubles emplois, mais encore de s fournisseurs tout-à-fait imaginaires. Les uns et les autres affirmèrent leurs offres et mon prétendu refus arbitraire, cachant avec malignité que j’étais prêt à entrer en marché avec quiconque eût accepté la condition de l’amende. D’après les témoignages uniformes de plusieurs négocians, on crut à une telle assertion, parce qu’elle avait une apparence de vérité, mais surtout parce qu’on était indisposé contre moi. Voilà de ces circonstances qu’on eût pu expliquer si le gouvernement eût eu des journaux qui fussent ses organes; mais il eût l’imprudence de ne point en établir.

Pour montrer combien j’avais eu raison d’exiger la condition de l’amende, je dois remarquer ici que, sous le ministère de mon successeur, ce que j’avais prévu arriva. En effet, on admit sans cette condition toutes les offres qui furent faites; on donna même des avances à quelques fournisseurs; on passa des contrats jusqu’à concurrence de cent vingt mille fusils; mais il n’en arriva pas un seul, et l’on doit encore observer, que la partie susdite des six mille fusils de Livourne fut l’objet de trois traités différens, de sorte qu’elle figura dans les comptes pour dix-huit-mille. Les seuls qui arrivèrent à Naples, au nombre de six mille, en Juin 1822, avaient été achetés en Hollande, d’après ma commission, par monsieur Gyssin dont j’ai déjà parlé.

Avant de terminer cet objet important, qui fut l’occasion d’une accusation si grave contre moi, je ne dois pas oublier que plus tard, aussi après ma sortie du ministère, il y eût devant le prince une réunion de généraux, à laquelle je ne fus point appelé. C’était à l’époque où l’on me blâmait généralement de n’avoir pas acheté les fusils en question, tandis que mon successeur avait eu tant de facilité à le faire. On exposa au prince que des contrats venaient d’être passés po u r cent vingt mille fusils . Le prince, émerveillé, demanda pourquoi, durant mon ministère, on n’avait pas même pu en obtenir un seul de l’étranger. On garda généralement le silence; mais un seul général répondit: “Altesse Royale, quand Carascosa était ministre, messieurs L. F . D. lui firent leurs offres, qui ont été acceptées par le ministre actuel; mais le général Carascosa aura eu ses raiso n s pour ne pas les accueillir”.

Chacun sent la malignité de cette phrase équivoque.

Malgré de telles imputations, relatives à l'acquisition des fusils, il n’est pas moins vrai que, durant les cinq mois de mon ministère, je parvins à en réunir assez pour fournir entièrement l’armée, et qu’il en resta quinze mille en dépôt dans la salle d’armes de Naples, dont douze mille furent expédiés ensuite en Abbruzze pour armer les habitans de ces provinces. Or, il me semble que ce fut un grand résultat, d’après la brièveté du temps, et d’après toutes les difficultés que j’avais à vaincre.

Si cette injuste imputation fut la plus grave, elle ne fut pas la seule; et je suis obligé de donner une idée rapide de quelques autres circonstances, dont profitèrent mes ad versai res pour augmenter toujours davantage les préventions qui existaient déjà contre moi.

Le décret du trois Septembre, qui rappelait les congédiés au service militaire, n’en limitait pas le nombre, et ne faisait pas d’exceptions. Or, par le zèle des personnes chargées, dans chaque commune, de les faire partir, le nombre en fut extrêmement considérable; et ils étaient incorporés en foule dans les régimens, où l’on ne pouvait se procurer les habillemens qu’avec peine, soit par l’insuffisance des fonds, soit par l’impossibilité de faire de suite de si nombreuses confections. Ainsi les congédiés restaient quelques semaines sans pouvoir être vêtus. D’un autre côté, l’on ne pouvait fou rn ir des lits à un si grand nombre d’hommes; et tout cela donnait occasion de me dénoncer comme ayant le dessein de dégoûter les congédiés qui étaient partis, disait-on, avec tant d’enthousiasme.

On m’attribua encore un autre tort: d’après la quanti té de congédiés déjà arrivés, je prévoyais que bientôt le grand complet de cinquante-deux mille hommes, nombre fixé par la loi, serait dépassé, ce qui compromettrait ma responsabilité ministérielle. Cependant, la nouvelle armée était déjà de cinquante-quatre mille hommes; je cru s donc de mon devoir de demander au parlement qu’on fit suspendre la marche ultérieure des congédiés. Mais on n e voulut point adhérer à une demande aussi juste, qui fut taxée de trahison. Je voulais, disait-on, arrêter l’élan national; ainsi je fus obligé de continuer à recevoir les congédiés et à établir des hommes a la suite.

Que de contradictions à la fois! Le parlement voulait un e armée indéfinie, et il faisait.des loia pour diminuer les impositions, et par conséquent le budget de la guerre. Tous les militaires voulaient des promotions, et le parlement décrétait la réduction des places; on accusait le ministre, on feignait de le croire mal-intentionné, et l'on exigeait absolument qu’il restât au ministère!. ...

Malgré tant d’obstacles, on peut dire que l’organisation de l’armée eût un résultat satisfaisant. Il fut jugé même prodigieux par les militaires impartiaux qui l’observèrent, et qui surent qu’il avait été obtenu en cinq mois, et presque sans surcharger le trésor. Pour tout le surcroît qui eût lieu, l’ancien budget ne fut augmenté que de sept cents mille ducats.(24)

Il est vrai que j’obtins, en deux fois, un supplément d’un million trois cents mille ducats; mais sur cette somme, six cents mille ducats, destinés à l’achat de fusil s, ne purent être exigés. Pour juger de ce résultat, on ne peut s’en rapporter qu’aux personnes non prévenues et instruites dans ces matières; je puis, à certains égards, en appeler au rapport qui fut fait sur cet objet au parlement, par le député Begani, dans la séance du vingt six Décembre 1820. (Pièce trente-neuf). Ce rapport rend compte de l’ excellent état de nos moyens de défense de l'heureux état de l'armée active, ainsi que de l’artillerie de campagne et des magasins de poudre. Il faut observer qu’à l’époque de ce rapport, je n’étais plus au ministère, dont je m’étais retiré depuis dix-sept jours; que j’étais dans: la plus grande défaveur auprès du parlement; et que,par conséquent, l’on n’avait aucun motif de me flatter, ni de m’épargner, si les affaires militaires se fussent trouvées eh -mauvais état.(25) 

On doit remarquer encore que la réorganisation de l’armée aurait eu un succès bien plus heureux, si les régimens n’eussent pas été infectés de ventes de Charbonnerie, dans lesquelles des sous officiers et même des tambours étaient grands-ma i tres, tandis qu’on voyait parmi les simples charbonniers des officiers, et mèmes des colonels. Quant à l’affiliation des officiers, il est utile d’établir une distinction: d’abord, les affiliations, en général, furent en proportion moins nombreuses dans l’infanterie que dans la cavalerie; et dans cette de rn ière arme, elles eurent lieu surtout parmi la gendarmerie. 

Mais dans le principe, parmi les militaires, ceux qui furent les plus empressés de s’affilier étaient presque tous les plus mauvais officiers, qui, sans avoir fait une seule campagne, ou sans autre titre, crurent trouver dans la secte un moyen de suppléer à leur défaut de mérite. Les bons officiers, au contraire, qui. se sentaient forts de leur réputation militaire, acquise au prix de leur sang et de longs.services, ne; s’empressèrent pas d’y entrer; mais, dans la suite, ayant-été forcés par les circonstances, ils finirent par se faire affilier. La trace de cette différence primitive se conserva toujours dans l’armée; les officiers de cette seconde classe se comportèrent toujours mieux dans la campagne, tant il est vrai que si les sociétés secrètes peuvent servir. quelquefois à  préparer un mouvement, il n’est jamais arrivé qu’elles l’aient soutenu lorsqu’il avait eu lieu.

Les réunions mystiques des militaires se tenaient pour la plupart dans la nuit. On y discutait fréquemment la question de savoir si l'on conserverai les généraux en exercice, contre les quels on produisait toujours de nouvelles imputations. Presque toujours, on concluait qu’il fellah tous les destituer, et mettre à leur place, même des sous-lieutenants si cela était nécessaire. Je présenterai un seul exemple de ce qu’on osait dans ces réunions: dans une vente d’un régiment, on alla jusqu’à décider formellement qu’on óterait le commandement au lieutenant-général qui commandait la division.

On lui en envoya l’avis. Le lieutenant-général convoqua le corps des officiers pour les haranguer; mais il fut interrompu par un sous-lieutenant, qui lui confirma de vive voix, “que le régiment avait d élibéré dans ses réunions, qu’on ne devait plus lui obéir.” Le général voulut faire un acte de rigueur; mais le régiment entier prit les armes, et se rendit au camp, d’où il fit avertir le général qu'il avait délibéré de le tuer. Ce crime allait être com m is peut-être, lorsqu’il fut empêché par les efforts d’un autre général, qui parvint à persuader cette troupe. Ce scandal e arriva à Capoue en Novembre 1820.

En un mot, l’action du service militaire était sans cesse entravée par l’existence des char bonneries dans les corps. Un colonel, désirant ne pas aller en Sicile, où se trouvait son régiment, s’adressa à la Charbonnerie bourgeoise, en disant qu’il voulait défendre la patrie aux frontières, aussitôt les Charbonniers appuyèrent cet acte d’indiscipline. Des militaires, qui avaient dilapidé des fonds, se recommandèrent également à eux; et leur ayant exposé que le ministre ne les persécutaient que par ce qu’ils appartenaient à la secte, ils en reçurent protection.

Le ministre avait été obligé d’attaquer des abus nombreux et invétérés. Il voulut, entr’autres, faire rendre compte A plusieurs conseils d’administration d’anciens corps dissous, pour des sommes que quelques-uns de ces conseils avaient en leurs mains depuis quinze ans; ceux qui voulurent s’y soustraire se firent recevoir Charbonniers; et dans les ventes ils récriminèrent contre le ministre en répandant A son égard les imputations les plus gratuites et les plus calomnieuses. On avait fait des économies notables en faveur du trésor; mais pour y réussir, il avait fallu nécessairement diminuer les bénéfices de certaines personnes. L’irritation de ces personnes fut vraiment extrême ; car depuis bien des années, elles étaient en possession de ces gains illégitimes. Aussi, ne manquèrent-elles pas de se faire, auprès des ventes, les échos de la calomnie contre le ministre.

Tantôt, elles disaient qu’il avait passe des contrats sans les formes légales de l’enchère; tantôt elles prétendaient qu’on eût pu obtenir les approvisionnemens à meilleur marche. Les Charbonneries accueillaient avec joie ces imputations diverses, et les répandaient avec les cent voix de la renommée. Que dirai-je enfin? Des députés eux-mèmes, sur les allégations les plus vagues, osèrent prendre des renseignemens secrets; et lorsqu’ils virent que les opérations du ministre méritaient au contraire des éloges, ils ravalèrent la dignité de représentans de la nation jusqu’ à prier les fournisseurs et d’autres personnes, qu’ils avaient interrogés, de tenir la chose secrète et de ne point en informer le ministre.

Ce fonctionnaire, placé dans la pénible obligation de résister à tant de désordres, et devant tout faire pour maintenir la discipline, multip l ia toujours davantage ses ennemis, et par conséquent ses accusateurs, qui étaient toujours accueillis et soutenus dans les ventes. Il devenait donc de plus en plus évident que les choses ne pouvaient rester long-temps dans cet éta t, puisque les désordres croissans dans les corps devaient nécessairement conduire à une crise violente. On en était venu au point que les chefs de corps ne pouvaient plus en surveiller l’administration, ni empêcher les malversations; ils ne pouvaient plus maintenir aucune discipline, et n’avaient plus l’autorité d’infliger la moindre punition. D’après tout cela, je me d é cid a i encore à demander au parlement l’abolition des Charbonneries dans les corps. La réponse que j’obtins cette fois, fut “Que le seul remède était de donner à l’armée une seule couleur, en forçant indistinctement tous les militaires à se faire Charbonniers.” Le prince lui-même, dans un e lettre au parlement, fit connaître son vœu et le besoin d’extirper un tel abus; (Pièce trente-deux,) mais ce fut aussi inutilement.

On a dit que les assemblées nombreuses ne veulent jamais le mal par elles-mème, mais qu’elles y sont facilement entraînées par les factieux. Or, le parlement de Naples fut réellement engrainé par des factieux à soutenir l’existence des sociétés secrètes. Deux fois, j’avais fait la demande officielle de leur abolition ; le prince en avait fait autant, le comte de Camaldoli, ministre de grâce et justice, homme d’une intention pure, et doué de grands talens et de fermeté, osa en faire la proposition écrite, lorsqu’il présenta son rapport à l’ouverture du parlement. Mais tous les efforts furent vains; on eût beau représenter les dangers infinis de ces sociétés pour l’ordre public; on n’obtint que des réponses négatives, et jamais une seule mesure efficace.

Il ne me restait plus qu’un moyen pouf tenter de ramener les militaires; et quoique ce moyen fùt plutôt de la vie privée qué dans l’ordre de mes fonctions, je ne le négligeai point. Chaque jour j’invitais douze officiers différens à dîner avec moi au ministère ; et là, je ne cessais de répéter que, puisque le parlement ne voulait pas interdire la Charbonnerie dans les corps, il fallait l’attaquer par les seuls moyens militaires ; qu’il était impossible d’obtenir de la discipline quand un régiment était commandé pendant le jour par Je colonel, et, le soir, par le chef de vente; que, dans ces assemblées nocturnes, la conduite des chefs serait toujours attaquée et calomniée, devant une sorte de tribunal composé par leurs subordonnés. J’ajoutais, d’ailleurs, que les armes dont se servait aujourd’hui un subordonné contre son supérieur, se tourneraient demain contre lui dans les mains d’autres subordonnés, et ainsi de suite en descendant jus qu’aux simples soldats; que, par conséquent, l’armée courait à sa porte, en entraînant avec elle celle de la patrie. Tous les assistans m’écoutaient avec attention; quelques-uns parlaient même dans mon sens; mais à peine avaie n t-ils descendu l’escalier, qu’ils se disaient entr’eux: “Avez-vous entendu le ministre? Voyez-vous comme il est contraire à la constitution? Il faut que nous soyons bien sur nos gardes… ”

Ah! si jamais ces mémoires tombent entre les mains de quelques-uns des malheureux officiers napolitains, qui sont tombés dans la proscription et la misère, combien ils regretteront de n’avoir pas ajouté foi à mes paroles! Mais ils étaient complètement fascinés; ils avaient une confiance aveugle dans les discours d’ h ommes pervers, qui, dans de petites vues d’intérêt privé, leur inspiraient de la défiance contre leurs généraux, contre des ho m mes qui, cependant, ne les avaient jamais trompés, qui s’étaient souvent compromis pour eux, et qui, souvent, les avaient conduits dans le chemin de l’honneur!....

On peut concevoir que les officiers, qui étaient revenus de Sicile, aient pu croire utile à leurs intérêts d’attaquer les généraux de l’époque française ; mais comment assez déplorer l’étrange aveuglement des officiers de la même époque, qui se montrèrent peut-être les plus acharnés contre leurs anciens généraux?.... Comment n’ont-ils pas pressenti que, lorsque ceux-ci seraient tombés, ils manqueraient eux-mèmes de leur soutien naturel?.... Et d’ail leurs, quel motif raisonnable de plainte pourraient-ils alléguer contre le ministre? On leur avait restitué leurs privilèges et leur droit d’ancienneté; on leur donnait la so l de et les indemnités comme dans le temps du plus grand lustre de l’armée. On avait rétabli les réglemens de l’époque française; on s’empressait de faire les promotions aussitôt que les places étaient vacantes; mais le ministre devait s’opposer à ce que tout le monde obtint de l’avanceme n t sans titre ou sans vacance de places.

Les ennemis intérieurs et extérieurs du nouvel ordre de choses, voyant ces funestes dispositions, surent en profiter, et ils eussent été bien stupides de ne pas le faire. Leurs nombreux émissaires s’introduisirent dans les ventes pour augmenter le mécontentement des officiers contre leurs généraux;(26) les portes s’ouvraient aux frappemens mystiques, et l’ on donnait accès, sans s’en douter à ceux qui ne venaient que pour dénigrer les meilleurs citoyens. Ainsi les organes de la calomnie s’augmentèrent chaque jour; et la nation abusée, sacrifiée indignement, fut entraînée à la même défiance contre.ceux qui étaient chargés de conduire ses défenseurs. C’est ainsi qu’après avoir méconnu et repoussé le zèle sincère de ses véritables enfans, elle se laissa conduire par la main même de ses plus cruels ennemis.

En même temps, les hommes, dont l’oppression pesait si durement sur les communes, et qui, d’un autre côté, influaient d’une manière si fâcheuse sur les opérations du gouvernement, voyaient chaque jour s’accroître leur influence. L’enivrement de quelques-uns d’entr’eux fut porté au point de leur faire croire possibles tous les changemens politiques qu’ils voudraient tenter; et tandis que l’Europe armée désapprouvait hautement l’ordre de choses établi à Naples, parce qu’elle le trouvait trop démocratique,.ils Croyaient qu’elle resterait tranquille spectatrice d’autres essais, auxquels l’expérience trop récente de la France avait fait généralement renoncer. On cherchait à faire goûter les plus étranges idées à la jeunesse inexpérimentée; et dans quelques réunions, on commença à présenter des emblèmes de triste augure, tandis que des cris séditieux troublaient la tranquillité des nuits. On envoyait des messages dans les provinces, pour les avertir de se tenir prêtes à envoyer, au premier signal, des colonnes de miliciens au camp près de Naples. Des députations, qui se disaient envoyées par la secte, partant de chaque province, visitaient la capitale et les autres provinces pour convenir des mesures à prendre.

Mais le ministère, qui ne perdait de vue aucun de ses devoirs, envoya dans les provinces plusieurs agens, dont quelques-uns étaient des Charbonniers en crédit, en les chargeant de persuader les hommes égarés, et de chercher à paralyser par tous les moyens possibles les projets des audacieux. Quelques généraux prirent, de concert, les mesures nécessaires pour empêcher au besoin quelqu’attentat énorme, que peut-être un petit nombre de scélérats aurait pu concevoir; et quoique fidèles à la constitution qu’ils avaient jurée, ils décidèrent de se sacrifier plutôt que de laisser commettre quelque grand délit politique. On crut nécessaire de faire consolider les portes extérieures du palais du roi, l’on mit en état le pont le vis du Chàleau-Neuf. On fit construire trois mille sacs à terre, pour barricader au besoin les avenues des rues qui correspondaient au palais. Je me confiai sur ce dernier objet au général Escamard, en le priant de les fai re construire sous quelque autre prétexte, ce qu’il exécuta promptement et avec beaucoup de prudence.

Toutes ces mesures, quoique exécutées sans clameur,et sans même en informer la famille royale, furent pénétrées par la secte, qui attribua à des projets de conspiration ce qui n’avait pour but que de se prémunir contre des desseins criminels. On répéta surtout dans les ventes ce qui avait rapport au pont-levis du Chàteau-Neuf, qui avait été réparé par mon ordre. Ce trait y fut plus d’une fois représenté sous des couleurs sinistres, entr’autres par ***. Mais que le lecteur juge maintenant: voilà en quoi consista it toute ma conspiration!....

Ainsi, à la pensée désolante d’une guerre presque certa in e, se joignaient les alarmes que faisait naître la situation intérieure. Des hommes sages, d’honnêtes citoyens présageaient en vain les conséquences funestes de projets insensés; la persuasion, qu’ils opéraient quelquefois, était aussitôt détruite, soit par les agens même de nos ennemis, qui avaient pris le masque de l’exagération démocratique, soit par des esprits infernaux, par des désespérés, qui espéraient faire leur fortune dans un renversement général, qu’ils voulaient amener à tout prix. Les jeunes gens, égarés par ces hommes également perfides, fermaient l’ oreille aux bons conseils.

Rien ne peindra mieux l’esprit de ces temps que le résultat de quelques entretiens, que j’eus alors, soit avec des députés du parlement ou des conseillers d’état, soit avec des hommes compromis dans la révolution. Leur parlais-je des vices radicaux de la constitution d’Espagne, non seulement sous le rapport de la stabilité du trône, mais encore sous celui de notre propre intérêt ; leur parlais-je de la perspective d’une guerre inévitable qui ferait succéder à l’anarchie l’excès de la misère et la honte du joug et ranger.... Ils paraissaient d’abord convaincus... Mais cela ne durait qu’un instant, et le moindre raisonnement en sens contraire changeait leur conviction. 

Quelquefois, ils cherchaient à combattre mes motifs; mais quand ils ne savaient plus que répondre, ils se tiraient d’affaire avec la phrase suivante: “Non, la guerre n’aura pas lieu; d'après ce r taines données que nous avons, nous sommes certains que l’étranger menacera beaucoup, mais qui ne marchera pas contre nous” Je voulus pénétrer d’où venait cette funeste persuasion, et je découvris que plusieurs d’entr’eux recevaient des lettres de l’étranger, de la part des hommes les plus exaltés, qui leur écrivaient: “Ne vous laissez pas imposer; tout ce que vous voyez ri est que simple démonstration pour obtenir de vous ce qu’on pourra; mais en de rn ier résultat, la guerre n'aura pas lieu."

Quand on sut à quoi tenait leur persuasion, on chercha à leur faire comprendre, que ceux qui écrivaient de cette manière n'avaient que quelques espérances à perdre dans notre cause, si nous succombions, et tout à gagner si nous avions du succès; qu’ainsi, leurs conseils étaient uniquement dans leur propre intérêt. On leur fit voir aussi que les assurances qui pouvaient être données à cet égard par l’un des diplomates étrangers, n’avaient pour but que d’éloigner l’orage qui menaçait sa patrie, en le dirigeant sur nos têtes. Mais tout fut inutile; ils revenaient toujours à cette phrase: Il n’y aura pas de guerre." Et les journaux du parti qui, sans contrepoids, formaient )’opinion publique, répétaient sans cesse la même assertion, (Pièces trente-six, trente-huit, quarante.) tandis que des armées nombreuses se réunissaient, que les souverains se formaient en congrès, et que les ministres étrangers, résidans à Naples, se retiraient l’un après l’autre sous divers prétextes.

Cette fausse persuasion, en nous donnant une funeste sécurité, qui fit négliger tous les préparatifs de défense, produisit encore d’autres mauvais effets: beaucoup d’individus affectèrent un courage qu’ils n’avaient pas, et dont ils se seraient bien gardés de faire parade s’ils eussent cru à la guerre, d’autres crurent trouver une occasion facile de briller sans risque à la tribune, par des disco urs pleins d’une apparente fermeté; nos journaux furent pleins de rodomontades et d’exagérations de toute espèce; il n’est pas jus qu’aux derniers légionnaires de la plus petite commune qui, bien persuadés qu’on n’aurait pas la guerre, déclamaie n t partout qu’ils seraient désolés de ne pouvoir rencontrer l’ennemi. Ainsi, l’enivrement de quelques exagérés fini t par devenir presque général; il s’augmenta par ses propres effets. Chacun s’exaltait, personne ne voulait paraître e n arrière de sentimens généreux; ainsi se manifesta ce fanatisme apparent, qu’un soufflé devait faire disparaître, et que l’on croyait nous avoir transporté de nouveau aux temps des Décius et des Horaces.

Enfin, il arriva un moment où tous les con seils de la sagesse ne furent plus attribués qu’à la pusillanimité. Prédire les malheurs, dans lesquels tant d’extravagances allaient plonger la patrie, fut regardé comme une preuve d’opposition au système constitutionnel; ainsi Cassandre ne fut point écoutée lorsqu’elle prédisait aux Troyens leurs calamités futures, car les dieux avaient statué que le funeste destin de Troye s’accomplirait.

Au milieu de tant de vertige, le ministère seul tentait de s’opposer aux progrès du mal, tantôt en résistant avec fermeté, tantôt en louvoyant avec prudence.. . Mais étant ainsi devenu insupportable à c eux qui jouissaient de la force morale, il devait nécessairement tomber; cependant, comme sa conduite était parfaitement constitutionnelle, et ne donnait pas même lieu à un prétexte, il fallait trouver une occasion de s’en défaire. Or, cette occasion se présenta le sept Décembre, et c’est ce que je vais exposer avec les détails nécessaires.

J’ai dit, au commencement de cette seconde partie, que les ministres étrangers, résidans à Naples, d’après les troubles des premiers jours de Juillet, ou peut-être, selon leurs instructions secrètes, s’étaient réunis pour faire cause co mmu ne. Dès ce moment, la nation Napolitaine s’était trouvée en face d’un seul corps diplomatique, ce qui rendit très-difficile d’agir isolément avec les représentans des puissances étrangères. On n’avait donc pu se. rapprocher que très-imparfaitement de ceux d’entr’eux, don t les institutions politique à avaient le plus d’analogie avec les nôtres, o u que leurs propres intérêts politiques auraient pu exciter à se ranger de n otre côté.

Nos affaires étaient présentées à l’étranger presque sous un e seule couleur; presque tous les diplomates, résidant à Naples, écrivirent uniformément à leurs cours respectives, et conseillèrent également aux étrangers qui se trouvaient à Naples d’en partir promptement. Ces étrangers, en arrivan t dans leurs contrées respectives, exagéraient encore la situation critique du royaume. Tant d e rapport s d i fférens firent don c penser d a ns toutes les cours de l’Europe, que Naples était en proie à l’a n archie la plus épouvantable, et que la.fin d e ce mouvement n e pouvait qu’être de n a t ure tragique. De là ce refus presque général de recevoir nos envoyés diplomatiques, de là toutes les autres dispositions hostiles qui se manifestèrent généralement contre nous, et q u i s’accrurent toujours davantage jusqu’à l’époque o ù cet ordre de choses fùt anéanti.

En même temps, on ne peut se dissimuler que les potentat s de l’Europe, les uns d’après, quelques intérêts particuliers, les autres alar m és par tout ce qui se passait, ne dusse n t observer l e cours de la révolution de Naples avec la plus grande attention. Ils ne pouvaient voir avec indifférence qu’elle eût été exécutée par l’armée, qu’on eût obtenu de force la constitution espagnole; que le r o i se fùt cru obligé de quitter les affaires, que toute l’influence fùt tombée e n tre les mains d’une faction qui l ai s sait déjà per cer d’autres vues ultérieures. Enfin, toutes les exagérations contenues dans les rapport s de leurs m inistres, comb inées a v ec le départ précipité des étrangers, leur firent penser que nous touchio n s vérita ble m ent à une dissolution sociale, de to u tes c e s considérations, il résultait dans leur persua si on qu’il était indispensable d’intervenir dans nos a ffaires intérieures, afin de ne point autoriser l’espoir qu’ o n pût opérer impunément dans chaque état tonte espèce de changement politique.

Mais, d’un autre côté, la jalousie mutu l le entre les grandes puissances faisait penser avec peine qu’une d’ e ntr’elles, par suite de la guerre, dût seule occuper un état co m me celui de Naples. Outre cette considération générale, une de ces puissances avait encore des considérations particulières de famille, qui lui faisaient craindre l’occupation étrangère de ce royaume. Enfin, d’après l’état m ora l des divers peuples de l’Europe, on devait craindre tout mouvement trop violent; car l’on ne pouvait calculer jusqu’où l’on po urr ait être conduit par le premier coup de canon qui serait tiré dans cette lutte.

Ainsi, quoiqu’on ne pût guère espérer qu’en aucun cas, les potentats étrangers souffrissent paisiblement un ordre de choses qu’ils croyaient menaçant pour la sûreté de leurs propres trônes, cependant, il existait pour eux des motifs d’hésiter, et de prêter l’oreille à toute proposition qui eût pu concilier ces divers intérêts.

Mais, dans le royaume de Naples, il n’y avait pas même à hésiter pour embrasser ce dernier parti. Il était certainement plus utile pour le trône d’être basé sur le principe du consentement du peuple, et sur une constitution bien pondérée qui eût établi les droits respectifs, que sur l’appui d’une force étrangère, essentiellement précaire de sa nature, qui coûte toujours des frais énormes, qui blesse le sentiment national et qu’on ne peut renvoyer à son gré, lors même que le.besoin n’existe p lus .

Quant à la nation, elle devait regarder comme un bienfait tout statut, qui, garantissant ses intérêts à l’intérieur, eût pu devenir eu même temps le gagé de s on indépendance à l’extérieur; et elle devait faire à cet égard toutes les concession s raisonnables, plutôt que de rester sans cesse exposée aux discordes civiles, ou de se voir conquise, humiliée et ruinée par l’étranger.

Le ministère de Naples, ayant pes é toutes ces considérations, pensa qu’il serait conforme à tous les intérêts d’essayer une transaction de ce genre; et malgré la non réussite des précédentes négociations avec divers membres du parlement, il conçut l’espérance de ne point voir repousser cette fois des propositions, dont la nécessité devait être mieux sentie qu’auparavant. Il chercha donc de nouveau à persuader les députés de tous les malheurs qu’on sauverait ainsi à la nation. Il employa, d’un autre côté, tous les moyens pour faire sentir à la famille régnante co m bien il serait plus avantageux pour elle de s’entendre avec le peuple, que de recourir à un appui extérieur, qui finit toujours par être funeste aux souverains qui l’ont  imploré. Enfin, l'on fit pressentir aux ministres étrangers que bientôt les affaires intérieures du royaume prendraient un aspect plus rassurant pour les diverses cours de l’Europe.

Eh bie n, qui le croirait? de telles négociat ions furent complètement dénaturées aux ye ux exagérés ; les conseils donnés aux députés furent considérés comme des propositions funestes; l es démarches faites auprès des ministres étrangers, ou auprès des pers o nnes qui approchaient le roi, furent signalées comme des pratiques suspectes; ah! si la liberté est défiante, les factions le son t bien davantage encore!…

Malgré tous ces obstacles, les choses f u rent tellement conduites qu’ u ne grande puissance fit des ouvertures, autant que le permettait l’état d’interruption de nos relations avec lès autre s cours. Un agent étra n ger, semi-diplomatique, s’ouvrit, quoique non officielle m ent, A un de nos concitoyens, envoyé par nous dans un autre pays pour entamer des négociations, et qui y était toléré sous une forme privée. On lui manifesté que si le royaume rentrait dans les voies de la sagesse, l’Europe ne demanderait pas m ieux que d’être dispensée d’entreprendre la guerre; qu’on désirait que nous fission s des ouvertures à c e t ég a rd, et que nous nous expliquassions sur les changemens que nous ferions à not r e statu t politi qu e, condition qui formait le sine qua non (27).

Notre compatriote représenta d’abord que nous n'avions pas l es moyens de faire ces ouvertures, puisqu’on refusait partout n o s agens diplomatiques ; il lui fut répondu qu’on avait prévu cette difficulté, mais qu’elle pouvait être levée en s’entendant avec le corps diplomatique étranger.qui résidait à Naples, lequel recevrait nos pro positions et se rendrait l’ organe de toutes leu -négociations. L’étranger conclut en faisant espérer que si nous en faisions la demande, nous obtiendrions la médiation d’une grande puissance, ce qui diminuerait la disproportion entre une petite na t ion comme celle des Napolitains et les grandes masses armées de l’E u rope.

Quelque temps après, cette négociation prit encore u ne tou r nure plus positive à Naples; et l’on se c rut en mesure de présenter d’office au parlement une t elle médiation, comme facile A obtenir, si e lle était réclamée. La proposition en f u t faite..... Mais le parlement la repouss a avec dédain! L a secte entra en fureur contre de ministère, qui osait faire des propositions aussi h onteuses. De véhéments orateurs, à la tribune nationale, des agitateurs habiles, dans lés ventes, s’écrièrent qu’il fallait, sans examen, refuser tout ce qui venait de l'étranger. En vérité, l'on eût pu soupçonner que ceux qui poussaient ainsi les choses à la dernière extrémité, étaient eux-mémés stipendiés par ceux à qui seu l s la guerre devait profiter.

Le prince, le ministère, et la partie saine de l a nation, déploraient cet aveuglement d’une faction qui, opprimait la patrie; et l’on prévit tristement toutes les conséquences funestes qui devaient nécessairement en résulter.

Sur ces entrefaites, un acte bien plus décisif se préparait à l’insu du ministère; le six Décembre, peu de jours après le refus de la médiation susdite, le conseil des ministres fut convoqué extraordinairement par le prince vicaire-général, qui annonça que le ministère entier devait se rendre au parlement pour la communication d’un message du roi. Nous fûmes tous extrêmement surpris de l’annonce d’un message, conçu et rédigé sans l’intervention du ministère; et l’un de nous dit au prince que celui ou ceux des ministres qui avaient conseillé un tel acte, sans que ses collègues en fussent instruits, pouvaient for t bien aussi le présenter au parlement; que, dans les tristes circonstances où nous nous trouvions, si le ministère ne pouvait faire le bien, il devait au moins éviter de provoquer le mal, en faisant des propositions qui pussent irriter les esprits. 

Le prince répondit que ces observations pourraient être fondées si le message en question eût été l’ouvrage de quelque ministre, mais qu’étant le résumé des propositions du corps diplomatique, présentées au roi la nuit précédente, il était indispensable d’en prendre d’abord con naissance, et ensuite de le présenter au parlement. On donna alors lecture du message, dont voici la substance: Le roi représentait d’abord au parlement que les souverains réunis à Tropau l’avaient invite à se rendre en personne à Laybach, pour y assister à un nouveau congrès relatif aux affaires de Naples; que, pénétré des dangers de la patrie, il était décidé à surmonter les difficultés que lui présenteraient son âge et la rigueur de la saison, afin de pouvoir se rendre médiateur entre les souverains alliés et son peuple, dont il voulait, au prix de tous les sacrifices personnels, éloigner le fléau de la guerre.

Mais il protestait en même temps qu’il ferait tout pour que la nation jouit d’une constitution sage et liberale, fondée sur les bases suivantes:

1°. Que la liberté individuelle de ses sujets serait assurée par une l o i fondamentale;

2 ° . Qu’aucun impôt ne pourrait être établi sans le consentement de la nation, légitimement représentée ;

3 ° . Qu’il serait rendu compte à la nation et à ses représentans de toutes les dépenses publiques;

4°. Que les lois seraient faites d’accord avec la représentation nationale;

5°. Que le pouvoir judiciaire serait indépendant;

6°. Que les ministres seraient responsables;

7°. Enfin, que la liste civile serait fixée.

Il déclarait, de plus, qu’il ne souffrirait jamais qu’aucun de ses sujets fut molesté pour des faits antérieurs, quel qu’ils fussent. Il demandait, en outre, que, jusqu’à son retour, le parlement ne proposât aucune innovation dans l’administration, et qu’il se bornât régler le budget.

Enfi n, il termina i t en confirma n t au due de Calabre son fils, les pouvoirs de vi ca ire du royaume.

On volt, par la teneur de ce message, qu’il c on tenait la promesse de tout ce qui peut, à peu près, assurer les franchises d’un peuple; et q u’en outre il avait la grande convena n ce de pouvoir être accepté avec toute dignité, puisqu’ il devait être propose a u nom du roi et non de la part des étrangers, dont il aurait été honteux certainement de reconnaître le droit d’intervention dans no s affaires intérieures; et je confesse, que je fus pleinement persuadé dans ce sens. Il me parut que c’était une bonne fortune 1n espéréè, dans les circonstances où no us nous tro u vions, de pouvoir fonder ainsi une sage liberté à l’intérieur, en même temps qu’on éloignait la guerre, sur laquelle, en m a qualité de ministre de ce département, je savais mieux que personne qu’on n’était pas en mesure.

Les autres ministres crurent également à la sincérité de ces propositions, et nous no us applaudîmes tous, surtout en songeant combien la nation s’ était refroidie polir la cause de  a révolution, parce qu’elle n’en avait encore obtenu aucun avantage, tandis qu’elle avait vu augmenter ses charges dans plusieurs points; celui mème des ministres qui, d’abord, s’était montré contraire à ce qu’on présentât le message au parlement, ayant pris connaissance de son contenu, déclara que sa répugnance s’était dissipée; il fit observer qu’il serait bon toutefois de faire ajouter au message: Qu il n’y aurait point de classes privilégiées dans l'état.” Le prince répliqua que lé roi ne pouvait y changer aucune phrase, puisqu’il contenait les vues des puissances étrangères, et-qu’il avait été rédigé, la nuit précédente, concurremment avec leurs plénipotentiaires résidant à Naples. Alors, le même ministre suggéra l’idée d’interpeller ces plénipotentiaires eux mèmes, pour savoir s’ils auraient quelque difficulté à ajouter cet article: le prince répondit que s’ils y consentaient, le roi ne s’y opposerait certainement pas.

Deux de nos collègues furent chargés de. se rendre auprès du ministre de Russie, le comte Steckelberg, pour lui faire cette proposition. Ce ministre convoqua de suite chez lui tout le corps diplomatique, lequel, sans la moindre difficulté, déclara qu’il ne s’opposait nullement à l’addition de ce nouvel article. En effet, il fut ajouté au message, et le roi consentit qu’ainsi modifié, il fut porté de sa part au parlement, le lendemain matin. (Pièce trente trois).

On songea à profiter du reste de la journée pour pressentir là-dessus les dispositions du parlement. Le ministre, qui avait proposé le nouvel article, avec un autre de nos collègues, fut chargé de se rendre au parlement pour cet objet. Ils obtinrent du président d’être entendus en comité secret et les députés furent invités à se rendre à la salle des réunions privées. Dix-huit députés seulement s’y trouvèrent; les deux ministres leur firent d’abord lecture du message; et après avoir manifeste leur intention de le porter le lendemain au parlement, en séance publique, ils demandèrent ce qu’ils pensaient de son contenu, et s’ils trouvaient quelque inconvénient à le présenter. Les dix-huit députés répondirent que lé contenu ne leur paraissait pas mauvais; qu’ils ne pouvaient ce pendant prévoir s’il serait accepté par le parlement, mais que, de toutes manières, ils ne voyaient aucun inconvénient à le présenter.

Alors, le ministère songea à s’assurer des opinions des députés. Je fus chargé de parler à onze d’entr’eux qui étaient militaires; je les envoyai tous appeler, mais je n’en vis que deux, que je m’efforçai de persuader, et qui me semblèrent l’être. Les autres ministres en firent de même auprès de tous les autres députés sur lesquels ils espéraient avoir quelque influence; enfin le résultat de nos démarches nous parut être que le vote de quarante-trois d’entr’eux serait pour l’acceptation du message; et que mème-parmi ceux qu’on n’avait pu pressentir, il y en aurait quelques-uns de la même opinion.

On ne pensa point alors que toutes ces précautions seraient elles-mêmes nuisibles au but qu’on voulait atteindre; elles furent une erreur grave, parce qu’elles donnèrent l’éveil aux factieux, qui intriguèrent, s’agitèrent dans le sens opposé. Si nous eussions présenté ce message à l’impròviste, les grands avantages qu’il contenait l’auraient vraisemblablement fait accepter de suite par la majorité du parlement.

Il fut présenté le sept au matin, et lu par le due de Campochiaro, ministre des affaires étrangères. Un profond silence, du plus triste augure, régna dans la salle après la communication; les ministres se retirèrent, et la discussion fut remise au lendemain.

En attendant, l’on avait résolu que, si la proposition n’était pas accueillie, il fallait absolument faire un effort pour renverser les anarchistes, en opérant un autre neuf thermidor. On insista beaucoup auprès du roi pour faire un tel acte de vigueur, devenu trop nécessaire; mais on hésita, on perdit du temps, on ajourna. de nouvelles défiances vinrent arrêter des résolutions devenues indispensables, car on avait écrit au roi, et quelques personnes le lui réputaient continuellement à Naples, qu’il ne devait pas se fier aux Muratistes. On ne cherchait pas à le prémunir contre les Charbonniers, contre les anarchistes mais contre des hommes dont plusieurs lui avaient montré un véritable attachement. On a déjà vu que cette même prévention avait guidé les conseillers du roi avant fa révolution de Juillet, et l’on verra plus tard qu’elle devant servir de base aux persécutions après l’entrée des Austrichiens. Il est ainsi des individus, qui, dans toutes les circonstances, sacrifient à leurs ressentimens particuliers les intérêts publics les plus précieux; ainsi nous vîmes échapper le dernier remède qui restât au pouvoir exécutif pour sauver la patrie; ainsi le génie révolutionnaire ne pût être contenu; ainsi l’esprit d’intrigue devait prévaloir, et les résolutions de la sagesse devaient être définitivement repoussées.

Le jour suivant, huit Décembre, une grande agitation se manifesta dans la capitale et dans le parlement. Des orateurs exagérés haranguèrent cette assemblée; ils se répandirent en déclamations violentes contre le message et les ministres. Le message fut vivement blâmé, on se laissa entraîner jusqu’à le fouler aux pieds; en suite, les ministres furent déclarés en état d’accusation. Cet acte, rédigé de-suite, fut signé par deux députés militaires, avec l’un desquels je m’étais longuement entretenu la veille et qui s’était déclaré pour le message. Cependant, à la discussion, on ne laissa que deux ministres en état d’accusation, celui des affaires étrangères pour avoir signe le message, et celui de l’intérieur pour a voir envoyé dans les provinces une circulaire, qui annonçait la publication du message qui avait eu lieu à Naples. Les autres quatre furent déchargés de l’accusation; mais il est évident que, s’il y avait eu une culpabilité quelconque, l’on eût du trapper tout le ministère, puisqu’il avait entièrement participé à la communisation. Ce que deux des ministres avaient fait.de plus n’était qu’une suite obligée de leurs fonctions particulières.

Le huit, les esprits étaient encore violemment agités. On proposa au ministère de se rendre de nouveau au parlement, pour donner des explications qui pussent ramener le calme, mais tous les ministres pensèrent que cette démarche, et leur apparition dans un semblable moment, ne pouvait produire' qu’un plus mauvais effet encore; et, puisqu’ils n'avaient plus aucun crédit ni dans l’opinion de la masse, ni dans le, parie ment, ils,crurent au.contraire convenable de se démettre tous à-la-fois de leurs fonctions.

Le roi se vit alors forcé de modifier l’acte qui causait tant de rumeur. Il le fit par deux nouveaux messages l’un du même jour huit, et l’autre du dix (Pièce trente-quatre, et trente-cinq), dans lesquels il déclara qu’on avait mal interprété le premier, et où il promit des choses qu’il prévoyait sans doute bien certainement ne devoir point être accordées par les autres souverains à Laybach.

Quant au premier message, il est maintenant permis de se demander s’il était dicté par la bonne foi. J’ai déjà dit que les ministres l’avaient cru ainsi, et il existe plusieurs raisons en faveur de cette opinion. Les convenances respectives que présentait cet acte, et la jalousie naturelle des grandes puissances, peuvent faire supposer qu’on avait sincèrement voulu trouver un moyen conciliatoire. En outre, d’autres diplomates avaient déjà, depuis quelques jours, assuré que ('Europe avait condescendu à tout ce qu’il était possible de faire en faveur de Naples. Il me parait aussi qu’on peut avancer, comme preuve de l’origine étrangère du message, cette circonstance qu’on avait été obligé de réunir le corps diplomatique pour faire un changement à sa teneur; enfin quelques autres circonstances firent croire à la nation presque entière que le message était sincère.

Je ne dois point omettre, cependant, qu’alors même, plusieurs personnes prétendirent qu’il n’avait eu d’autre objet que de faire sortir le roi du royaume. Un jour, peut-être, saura-t-on le véritable secret de cette affaire; mais je déclare l’ignorer absolument.

Le parlement a été généralement blâmé d’avoir refusé ce message; mais tous les exaltés et tous ceux qui tenaient à la secte, l’ont approuvé par deux motifs, le premier: Que cet acte était indécent dans la forme, disaient-ils, et le second: Qu’il ne garantissait rien à la nation.

Je me contenterai de faire observer, sur le premier motif, que, dans une circonstance aussi grave, c’était au fond des choses, et non à la.forme, qu’il eût fallu s’arrêter. Quant au second motif, le roi, disait-on, ne promettait que ses efforts pour que notre constitution fùt basée sur les neuf articles contenus dans le message, mais on ne pouvait trouver dans cette promesse une garantie suffisante qu’une tette constitution fùt au moins reconnue par les autres souverains d’Europe. A cela, je réponds qu’il eût mieux valu, dans ce cas, faire franchement cette observation au roi, que de refuser d’une manière hostile un acte que, peut-être on eût, de quelque autre manière, pu rendre susceptible des garanties désirées.

Quoiqu’il en soit de ces motifs divers, soit de blâme soit d’approbation de la résistance du parlement, les anciens ministres qui. venaient de donner leur démission, quoique déplorant la triste perspective qui s’offrait à la nation, durent se féliciter en particulier de s’être retirés des affaires, lorsqu’il n’y avait plus aucune espérance de suivre un bon système.(28) Quant aux actes de leur administration, l'on ne peut nier qu’ils n’aient rendu de grands services. Ils conservèrent le bon ordre dans de si grandes crises, en présence d’une faction dominante; ils réorganisèrent toutes les parties du service public; ils préparèrent deux foia les négociations nécessaires pour obtenir des modifications constitutionnelles qui tendaient à assurer la félicité intérieure et la paix avec l’étranger. 

Ils créèrent une armée, et établirent tous les autres moyens de défense, autant qu’on pouvait y réussir dans un royaume aussi peu considérable que celui de Naples. Mais ce ministère aurait encore rendu de bien plus grands services, si, d’un côté, le trône lui eût accordé plus de confiance, et si, d’ailleurs, il eût été moins entravé par des méchans. S’il n’eût pas été forcé de se démettre, il eût sans doute évité ou diminué beaucoup de maux. Cependant, les hommes qui le composaient eussent été plus propres à gouverner dans un temps de calme qu’au milieu des orages révolutionnaires. Une attention trop stricte à ne pas s’écarter des lois nuit souvent au degré de pouvoir indispensable dans des temps d’agitation. 

Dans les grandes.crises politiques, lorsque tout le système précédent a été bouleversé, lorsque toutes les-passions sont déchaînées, lorsque les anciens moyens de répression n’existent.plus, il est malheureusement un instant où une espèce de dictature est obligée. Alors un homme d’état, sans cesser d’être vertueux, peut et doit s’écarter des moyens ordinaires. Son but unique doit être alors le salut de la patrie, et sa régie d’action une intention pure avec une sage fermeté. Mais il n’était aucun de nous qui eût voulu dépasser les limites de la loi, quoique nous connussions tous parfaitement que cela eût été salutaire.

Le parti qui renversa le ministère de cette époque, remporta certainement une grande victoire. En effet, il prit dés cet instant la direction absolue du mouvement révolutionnaire; le gouvernement se rendit à discrétion, et rien ne pût plus s’opposer à l’esprit de faction.

Les nouveaux ministres furent: le due de Gallo pour les affaires étrangères, monsieur Troise pour la justice, le due de Carignano pour les finances, monsieur Acclavio pour l’intérieur, et par interim, le marquis d’Auletta; la guerre et la marine furent à la fois confiées au lieutenant-général Parisi. Le premier de ces ministres avait une longue habitude des affaires diplomatiques; mais le ministère, pris en masse, n’avait pas les moyens nécessaires pour des circonstances aussi difficiles; telle fut l’opinion générale, qui fut même exprimée dans un journal du temps. (Pièce trente-sept.).

Avant de reprendre la narration des événemens ultérieurs, je ne puis oublier un incident assez remarquable, en ce que, d’une part, il fait connaître quel fut le véritable vœu de la nation Napolitaine à l’égard du message du roi, et en outre, parce qu’il fait voir quel était l’esprit de nos factieux.

On doit se rappeler que l’ancien ministre de l’intérieur avait envoyé dans les provinces une circulaire annonçant la publication du message dans la capitale. A l’arrivée de ces circulaires, une joie extrême se manifesta dans toutes les parties du royaume, même dans les trois provinces où la révolution avait commencé. Le peuple accourut dans les temples pour rendre grâce au Seigneur de ce que la nation obtenait enfin une constitution modérée, et de ce qu’elle évitait la guerre. Des lettres privées confirmèrent de toutes parts ces résultats. Les autorités provinciales, de leur côté, ne prévoyant pas le changement subit qui allait s’opérer, se firent, auprès du ministre de l’intérieur, les organes de la satisfaction du peu pie. Mais aussitôt, on écrivit de Naples: Qu’on avait tort de se réjouir du contenu du message, et que ce serait un opprobre de céder sur un seul point; enfin que la guerre n’était qu’une vaine menace.

Les agens de la secte, dans les provinces, exigèrent alors du peuple qu’il s’indignât du message et qu'il ne crût pas de la guerre. Le peuple dut faire un simulacre de ces nouveaux sentimens. En attendant, les autorités, qui se trouvaient compromises pour avoir écrit les lettres qui exprimaient le véritable vœu du peuple, en écrivirent de nouvelles, avec des antidates, par lesquelles elles déclaraient que la nation s’était indignée en apprenant de telles propositions, et. que, plutôt d’abandonner une seule des libertés qu’elle avait conquises, elle était résolue de périr les armes à la main. En envoyant ces nouvelles lettres, elles demandèrent le renvoi des premières à leurs amis, qui se trouvaient employés ali ministère; mais cela ne leur fut pas accordé. Ainsi, l’on peut encore aujourd’hui voir dans les archives du ministère de l’intérieur des lettres diverses des mêmes individus, ayant la même date, dont les unes portent que le peuple avait appris avec enthousiasme la teneur du message royal, et dont les autres disent que cette nouvelle l’avait rempli d’indignation!

Dès ce moment, le parlement marcha presque toujours d’inconséquences en inconséquences. après avoir refusé avec tant de hauteur le message du roi, il consentit à ce que le roi sortit du royaume. Ainsi il refusa ce qu’il devait accepter, et il accorda ce qu’il devait défendre. On ne peut s’empêcher surtout de rire de pitié, quand on songe à l’importance extrême qu’il mit à faire accepter au roi, avant son départ, quelques modifications que le parlement crut devoir faire à la constitution d’Espagne, non dans le sens désiré par les puissances étrangères, mais dans un sens tout oppose. Il semblait qu’il n’eût point d’autre victoire à remporter, et que tout danger dut cesser après cette opération. On entendait des députés s’écrier: “Hâtons nous de faire signer au roi ces modifications. Que nous importe le reste? Laissons le ensuite partir, le grand ouvrage sera complété.”

Le roi, avant de quitter Naples, pour se rendre au congrès de Laybach, déclara le prince royal régent du royaume. Il partit ensuite le treize Décembre sur le vaisseau anglais le Vengeur, laissant au due de Gallo, ministre des affaires étrangères, l’ordre de le rejoindre à Florence. En conséquence, le due de Gallo partit de Naples, après avoir éprouvé toutes sortes de difficultés de la pari du ministre autrichien, pour faire viser son passeport. Le vingt quatre Décembre, il rejoignit à Florence le roi, qui en partit le vingt-huit, en ordonnant au due de le suivre au congrès de Laybach, mais en se tenant à une journée de distance. de nouvelles difficultés, pour le visa de ses passeports, furent faites au due, à Florence, par le ministre autrichien. 

Enfin, après les avoir encore surmontées, il arriva, le cinq janvier, à Mantoue, où le délégué de cette province lui annonça qu’il ne pouvait le laisser passer outre, sans des ordres spéciaux du cabinet de Vienne. Le due demanda à faire son rapport de ce refus au roi à Laybach, et au prince régent à Naples; mais on ne lui accorda que le premier point, sous la condition de faire accompagner son courrier par un agent de police. Le huit, il lui fut permis de continuer son voyage; mais, parvenu à Udine, il lui fut enjoint de se rendre à Goritia, pour y attendre de nouveaux ordres. Arrivé à Goritia, le; onze, il lui fut défendu d’envoyer des courriers tant au. roi qu’au prince. Enfin, le vingt-neuf janvier, on ordonna au due de se rendre A Laybach, où il arriva le lendemain, pour entendre les résolutions immuables du congrès, sans qu’on lui permit aucune observation. On lui annonça que la décision des souverains avait été déjà envoyée au prince régent à Naples, en même temps qu’une lettre du roi, en date du vingt huit du même mois. après cela, on permit au due de Gallo de repartir de Laybach.

Dès qu’on apprit à Naples toutes les contrariétés et les humiliations éprouvées par le duc de Gallo, l’on n’eût plus de doutes sur la certitude de la guerre. La secte seule s’obstinait encore, et disait que tout cela n’avait d’autre but que de nous effrayer. Le parlement suivit tète baissée cette dernière impulsion; il se mit à agir absolu ment comme si le temple de Janus eût été à jamais ferme pour nous. Il diminua les impositions, il dégoûta l’armée, en réduisant à la moitié le nombre des maréchaux de camp, et au tiers celui des lieutenans généraux. En même temps, les journalistes déclamaient contre les militaires, qu’ils traitaient de mercenaires et de sangsues.

Qu’importait au parlement le funeste effet de ses mesures! Sa vanité était satisfaite de la sous mission du ministère, et il ne voyait rien au delà. En effet, le ministre de la guerre lui rendait compte des moindres détails; il lui référait jusqu’aux réparations nécessaires à un parapet; et le parlement décidait sur des objets tout à fait étrangers à ses attributions. Il s’applaudissait ainsi follement de voir le ministère à ses pieds, tandis qu’il était lui-même à la veillé de passer sou8 les fourches caudines.

D’un autre côté, les ambitieux qui aspiraient au ministère, en regardaient les places comme vacantes, tant qu’elles seraient occupées par de semblables ministres; les intrigans et les hommes cupides, qui avaient tout à gagner sous un ministère si faible, la secte qui ne trouvait en lui aucune résistance à ses vues, tous à la fois entonnèrent son éloge. Jamais ministère ne fut plus applaudi. Et plus on louait les ministres actuels, et plus on prétendait avoir raison de calomnier et de maudire les ministres renversés, qui, pendant ce temps là, vivaient dans la plus grande retraite pour se faire oublier.

Mais ils ne furent pas oubliés par les hommes pervers, dont la haine était encore dans toute sa force, parce qu’ils se rappelaient que les ministres anciens avaient paralysé leurs desseins funestes. Ces hommes ne respiraient que vengeance. En voici une preuve: on m’avait privé de toute solde d’activité, comme si j’eusse été invalide; et même l’on ne m’appelait plus dans le conseil des généraux, qui étaient souvent convoqués devant le prince régent, ce qui fit que je m’étais entièrement retiré à la campagne. Mais pour occuper encore utilement ma retraite au service de ma patrie, je m’étais mis à rédiger un pian de défense générale du royaume(29), lorsque j’appris qu’on avait dressé deux dénonciations contre moi, signées de deux noms supposés, l’un Jérome Torre, l’autre André Soriano, et contenant vingt trois articles des imputations les plus viles et les plus indignes. 

Deux députés, qui connaissaient le nœud de cette intrigue, eurent la bassesse de se charger de la présentation de ces dénonciations, qui furent lues à haute voix, en séance publique du parlement. Dés que j’appris cette nouvelle, j’implorai du parlement qu’on examinât de suite ces accusations; on me fit beaucoup de difficultés, sous le prétexte insidieux qu’on était persuadé de mon innocence. Cependant, on avait consacré une heure entière à frapper l’oreille du public des plus ignobles imputations, et l’on voulait après cela ajourner l’examen que je réclamais! J’insistai, je fis des démarches et j’eus même besoin de la protection d’un député très-influent pour obtenir qu’on décrétât l’enquête sur les deux dénonciations. On fit alors les recherches nécessaires, d’où il résulta que ma conduite ministérielle avait été, au contraire, extrêmement régulière, et toute dévouée au service public. Le journal officiel inséra un article conforme à ce résultat. Tel le fut la dernière attaque puissante que j’eus à repousser; et ensuite, je fus pendant quelque temps assez tranquille.

A cette époque, comme nous étions à la veille d’être attaques par l’étranger, un de leurs ministres me demanda ce que je ferais si nous avions la guerre. “Je défendrai ma patrie contre quiconque voudra l’envahir,” lui répondis-je. “Vous approuvez donc l’ordre actuel des choses, me dit ce ministre, et vous vous battriez donc pour les Marat et les Robespierre de votre pays?” “Je déteste l’ordre de choses actuel,” lui répliquai-je, “parce qu’il est anarchique. 

Quant aux Marat et aux Robespierre, je n’en vois pas encore; mais dans aucun cas, je ne me croirais dispensé, si la guerre éclatait, d’offrir mon bras comme simple volontaire; car je pense qu’on ne me permettrait pas de concourir autrement à la défense de ma patrie.” Le ministre m’assura que j’étais dans l’erreur sur ce dernier point. “Ces hommes, dit-il, qui se contentent maintenant de vous accuser et de vous persécuter, et qui vous couperaient la tête s’il n’y avait pas en Lombardie des armées puissantes et prêtes à marcher, ces mêmes hommes exigeront par force que vous commandiez l’armée si la guerre a lieu.” Aurais-je pu me persuader alors que ce ministre me prédisait la vérité? Aurais-je pu croire surtout, que, dans le moment même où le parlement accueillait contre moi des accusations iniques, on faisait donner au prince-régent sa parole de me confier le commandement de l’armée si la guerre éclatait? J’ai appris ensuite ce fait de plusieurs députés mème du parlement.

En attendant, on assurait toujours qu’il n’y aurait pas de guerre. On l’écrivait dans les papiers publics, et on agissait partout comme si la continuation de la paix eût été une certitude. Tout ce qui regardait la défense du pays était resté dans l’état où je l’avais laissé à ma sortie du ministère. La discipline militaire acheva de se perdre; j’en citerai un seul exemple: sur la fin de Janvier 1821, le troisième bataillon du régiment du roi, tout composé de congédiés, s’empara d’un pare d’artillerie; et pendant une nuit, il tira douze coups de canon contre la ville de St. Germano, en donnant, par des cris séditieux, le signal de la contre-révolution. 

Cependant, un tel attentat demeura impuni. Le ministère de la guerre, tombé dans l'excès de la faiblesse, cédait aux prétentions de tous les intrigans; ce fut au point que, sans aucun titre, et sans aucun motif, on accorda une promotion en masse à tout un corps. (Pièce quarante-une). Depuis le dix Décembre, on ne fit plus aucun préparatif de guerre, et l’on laissa dépérir tout ce qui avait été fait auparavant. Les affaires civiles et militaires furent conduites avec cet abandon et cette inconséquence jusqu’au sept Février, jour où l’on publia subitement à Naples une lettre, datée du vingt-huit Janvier, écrite de Laybach par le roi au prince régent, et dans laquelle il annonçait clairement que les souverains alliés avaient arrêté immuablement qu’ils ne souffriraient pas l’ordre de choses établi à Naples, et qu’ils emploieraient la force si la persuasion n’était pas suffisante (Pièce quarante-deux). Le contenu de cette lettre fit enfin tomber le bandeau des yeux de ceux qui avaient été les plus obstinés; et alors seulement, ils crurent à la guerre.

Nous voici parvenus à la fin des faits qui ont rapport à cette seconde partie. On aura peut-être observé qu’il y est peu fait mention du roi; la raison en est que, depuis le commencement du systéme constitutionnel, il s’était retiré du. gouvernement. Quant à son influence sur tout ee qui fut préparé à Tropau, puis décidé à Laybach, nous ne pouvions en parler avec assez de fondement, ni dans un sena ni dans un autre. Un voile couvre encore les circonstances qui ont accompagné ces résolutions; et n’ayant pas de notions certaines, ni des documens suffisans pour former un opinion bien déterminée, nous croyons devoir nous abstenir d’un jugement absolu à cet égard. Sans doute l’histoire finira par réunir assez de données pour faire juger plus tard avec justesse cette partie de nos événemens.

RÉSUMÉ DE LA SECONDE PARTIE

Dans cette seconde partie, notre tâche était de suivre les traces du mouvement révolutionnaire, depuis l’époque où il fut couronné de succès. Nous Pavone fait voir, dès le principe, accueilli par la généralité de la nation, et prenant une marche sinon tout-à-fait rassurante, au moins de nature à donner quelques espérances. Nous avons montré les causes de ce résultat: d’abord, les factieux restèrent inertes et incertains, parce qu’ils étaient étourdis d’un succès qui avait réussi au-delà de leur attente. En même temps, durant les premiers mois, le gouvernement et la junte agirent avec sagesse et modération, et le ministère agit aussi avec habileté; enfin, l’entière bonne foi du général Pepe, à cette époque, le fit concourir fortement à donner aux choses cette direction satisfaisante.

Mais nous avons aussi fait voir que, depuis le premier Octobre, les affaires prirent une tournure absolument opposée; les factieux, rassurés, voulurent alors retirer le fruit de leurs premiers succès. Un parlement faible avait été convoqué; et dès le commencement de sa carrière, il tomba sous l’influence d’une minorité audacieuse. Le général Pepe fut mécontent de la perte du commandement suprême; Enfin, une assemblée générale de la Charbonnerie vint entraver toutes les opérations du gouvernement. de l’ensemble de toutes ces circonstances n’acquirent de nouvelles combinaisons; des mesures fautives en furent la conséquence, et la discorde fut introduite parmi ceux qui présidaient aux destins de la nation, tandis que le dégoût et le découragement s’étaient emparés tout-à-la-fois et du trône et de la masse du peuple.

Les ennemis intérieurs et extérieurs surent profiter habilement de ces dispositions, et ils par. vinrent à les augmenter encore. L’obstination à ne vouloir rien changer à la constitution d’Espagne, à conserver l’empire de la secte, et à ne pas croire à la guerre, vint mettre le sceau à ces dispositions déjà si funestes. Les conseils des hommes sages furent méprisés; les voies conciliatrices, deux fois offertes par l’étranger, furent repoussées avec hauteur. En attendant, lorsque les hostilités étaient déjà sur le point de commencer, tout était resté à l’abandon sous le rapport de la défense, par la faute d’un ministère incapable. Enfin, lorsque le parlement, revenu de son funeste aveuglement, voulut songer sérieusement à la défense nationale, il n’était déjà plus temps. de pénibles efforts furent vainement consumés, les causes antérieures de dissolution agirent avec une force irrésistible. Aussi, l’issue d’une lutte si disproportionnée ne pouvait être douteuse; elle devait être pour nous à la fois la plus désastreuse et la plus humiliante, puisqu’elle devait nous faire perdre indépendance, et compromettre notre honneur!

MÉMOIRES HISTORIQUES S UR LE ROYAUME DE NAPLES

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TROISIÈME PARTIE

Au moment où l’on acquit la certitude d’être attaqué par les Autrichiens, tout languissait dans le, royaume, comme nous. 1’avons dit, quant aux préparatifs de défense. Les espérances fautives de paix avaient prévalu dans l’esprit des. hommes influens, qui les avaient communiquées à la multitude; elles s’étaient même accréditées, parmi les députés du parlement, et le pouvoir exécutif fut également entrai né par ces préventions presque générales. de toutes parts, on, cherchait à se faire illusion sur le véritable état des, choses; d’ailleurs, une tendance naturelle faisait préférer les idées d’économie et d’indolence à, l’expectative des frais et de l’activité qui sont. indispensables chez un peuple, qui n’aurait même que la probabilité éloignée d’une aggression extérieure. D’après de telles dispositions, l’esprit public perdait chaque jour de cette énergie qu’auraient exigé les circonstances.

Déjà, depuis deux mois, on avait laissé dépérir tout ce qui avait été préparé; les travaux de fortifications avaient été suspendus; les approvisionnemens de vivres de campagne étaient restés incomplets; seize des meilleurs bataillons de l’armée n’avaient pas été rappelés de Sicile; une grande parti e des troupes destinées à la frontière étaient dispersées sur d’autres points; le trésor était épuisé; le ministère de la guerre était tombé dans la nullité, et l’on n’avait encore nommé aucun général en chef. L’armée Autrichienne quittait déjà ses cantonnemens à la gauche du Pò, et nous étions encore dans cet état complet d’inertie militaire, quoique nos journaux affirmassent le contraire.

Ce fut alors seulement que les autorités s’occupèrent de la nomination du général en chef. après tout ce qui a été dit dans la Seconde Partie de ces Mémoires, si l’on doit trouver singulier qu’on ait pu penser à moi pour ce commandement; la surprise sera encore plus grande lorsqu’on saura que ce désir fut encore partagé par la secte. L’assemblée générale l’avait elle-même déclaré au ministre de la guerre, de qui j’appris une telle de ter mi nation. Le ministre m’annonça que je devais commander en chef la majorité des troupes. Je lui répondis que, n’ayant jamais commandé en chef, en temps de guerre, ces fonctions étaient au-dessus de mes moyens. J’ajoutai que, lors même que j’aurais eu les talens nécessaires pour commander en chef, je n’aurais pu les utiliser, parce que ni l’armée ni la nation n’auraient confiance en moi; qu’en effet, l’on avait tout employé pour me discréditer dans l’opinion publique, et que bien que j’eusse été reconnu innocent, Un mois s’était à peine écoulé depuis que j’avais été publiquement accuse dans le sein du parlement.

Le ministre, pénétré de mes motifs, parut céder à mon refus, mais il ajouta qu’il se trouvait fort embarrassé vis-à-vis de l’assemblée générale, à qui l’on avait promis que je commanderais en chef. J’offris alors mes services pour toute autre fonction inférieure, et je me retirai.

Lorsque le public apprit mon refus, une rumeur générale s’éleva pour que je fussé forcé d’accepter. On rappelait que, trois fois, j’avais voulu me démettre du ministère de la guerre; et l’on disait que ce quatrième refus devait me taire considérer comme ennemi de la patrie. Je refus plusieurs lettres, où l’on me faisait des menaces de toute espèce, si je persistais à refuser. Plusieurs amis m’assurèrent qu’en effet je courais des risques, si je n’accédais au vœu public; je fus enfin averti que, dans plusieurs ventes, l’on avait fait des motions contre moi; Malgré tout cela, je restai ferme dans ma résolution.

Le ministre me fit appeler une seconde fois; mais je me contentai de lui écrire que, s’il voulait de nouveau me proposer le commandement de l’armée, je me dispenserais d’aller au ministère, puisque j’étais toujours dans la résolution de ne point accepter. En attendant comme l’irritation publique s’augmentait toujours, je crus devoir quitter ma maison de Naples.

Sur ces entrefaites, le soir du neuf Février, le général Filangieri, accompagné d’un des chefs de division du ministère de la guerre, se rendit chez moi, de la part du prince régent. Le chef de division était chargé de me communiquer verbalement l’ordre de me présenter au ministère la matinée suivante. Les gens de ma maison dirent à ces messieurs que j’étais à la campagne. Le chef de division se retira à cette réponse: mais le général Filangieri, s’étant acheminé vers ma maison de campagne, fut observé par mes domestiques, qui le rappelèrent, et qui lui indiquèrent Je véritable lieu où je me trouvais. Il s’y rendit, et me conjura au nom du prince d’accepter ce commandement. Il me dit ensuite, en son propre nom, tout ce qu’on pouvait dire à un ancien ami, pour l’engager à se charger de ces hautes fonctions.

Je lui fis part de mes motifs, comme je les avais déjà exposés au ministre. Le général les trouva fondés; mais il ajouta que nous, généraux, nous devions tous suivre un même sort, et ne pas nous séparer dans des circonstances si difficiles, et qu’il m’engageait ainsi à me rendre le lendemain chez le prince. Il me rappela que lui-mème avait aussi demandé sa démission, mais qu’on la lui avait refusée; qu’il était également obligé de servir par force, et qu’il avait été, ainsi que moi, l’objet de -noires calomnies, inventées pour lui enlever l’estime publique.

Je promis seulement de me rendre le tende main matin auprès du prince régent, mais sans m’engager à rien. Je m’y rendis en effet, et son Altesse daigna me témoigner son vif désir de me voir prendre le commandement en chef, après lui avoir exposé les raisons diverses qui me portaient à refuser, je finis par. ajouter que si, comme il paraissait, c’était le roi lui-même qui amenait les Autrichiens contre nous, je ne voulais pas commander des soldats, qui, devant combattre contre les intentions de leur.roi,trouveraient dans cette circonstance un prétexte pour ne passe battre, ce qui compromettrait gravement notre honneur, malgré les intentions les plus pures.

Après cette conférence, dans laquelle je persistai encore dans ma première résolution, un personnage, ayant appris le dernier motif de mon refus, parvint à me mettre sous les yeux une lettre autographe du roi, écrite avant son départ pour Laybach. Il était ordonné de faire, militairement et administrativement, durant son absence.du royaume, tout ce qui serait nécessaire pour. Soutenir ce qu’on avait commencé.

Cette dernière circonstance me décida, et me fit commettre un acte de faiblesse que je me reprocherai éternellement. J’acceptai ce funeste commandement, malgré la conviction où j’étais de ne pouvoir réussir, soit à cause des circonstances générales, soit d’après celles qui m’étaient particulières. Je fus entraîné par ma destinée, qui devait attachera ce commandement tant de dégoûts et d’infortunes.

Ayant donne mon consentement, l’on décréta, le douze Février, ma nomination de général en chef du premier corps d’armée, qui, aux termes de ce décret, devait être composé de trente bataillons de ligne et de quarante huit bataillons de miliciens ou légionnaires. On verra plus tard que, dans le fait, on ne parvint jamais à réunir, pour le premier corps, même la troisième partie de ces forces.

Qu’on réfléchisse maintenant à. la singularité de certaines situations politiques: quelle source de méditations sur le caractère de ceux qui, souvent, peuvent décider du sort des états!.... Comment, avec les accusations dont j’avais été l’objet, concilier l’empressement. que mettait non seulement le public, mais encore la secte elle-même, à me voir investi de ce commandement suprême? N’étais-je donc plus ce même homme qui, pendant sept mois consécutifs, avait été dépeint comme ennemi de l’ordre constitutionnel, et comme fauteur du pouvoir absolu? N’étais-je plus celui qu’on avait accusé récemment d’avoir, durant son ministère, retardé à dessein, l'organisation de l’armée? Dans le fait, on doit conclure que si l'on eût jamais ajouté foi à toutes ces calomnies, l'on n’aurait point mis tant d’instance à me charger d’une telle mission. Mais à l’époque où ce vœu se manifesta, le sentiment commun du danger faisait taire toutes les petites passions particulières; et passant d’un extrême à l’autre, on exagérait mes faibles moyens; mais ce-ci prouve du moins qu’on rendait justice à la droiture de mes intentions.

Toutefois, le parlement et les sectaires, en prenant cette décision, pensèrent que Je général Pepe -serait humilié s’il devait être sous mes ordres; et l’on crut remédier à cet inconvénient en le nommant aussi commandant en chef d’un autre corps d’armée, qui prendrait le nom de deuxième corps, et qui devait être composé de douze bataillons de ligne et de trente-six bataillons de milices. 11 est présumable qué si l’on eût eu de semblables considérations envers un troisième général, on eût créé un troisième corps d’armée; c’est ainsi que les choses les plus importantes sont souvent sacrifiées à de misérables considérations personnelles.

 Cette demie mesure de nommer deux généraux en chef pour la petite armée Napolitaine, fut une grande faute; on perdait ainsi tout espoir d’accord dans les opérations, et d’unité des vues. Or, si la division du commandement dans une petite armée est généralement funeste, on devait prévoir qu’elle le serait encore davantage pour nous qui avions en tête un général aussi clairvoyant que le général Frimont.

Recherchons maintenant quelles étaient les causes générales, qui, dans l’ensemble de nos circonstances, étaient préexistantes et pouvaient influer de favorable ment contre nous,dans une guerre de la nature de celle qui nous était déclarée, et qui nous prenait totalement au dépourvu.

Ces causes générales peuvent se ranger sous les sept classes suivantes:

1°. La démoralisation, qui, dans une petite armée, et une nation peu nombreuse, devait résulter de la seule idée d’être aux prises avec les premières puissances de l’Europe, et d’être attaqué par des armées nombreuses, aguerries, qui avaient cent mille hommes en réserve;

2°. L’absence des seize meilleurs bataillons d’infanterie, dans lesquels se trouvaient nos meilleurs officiers et les plus aguerris;

3°. Le mauvais esprit des anciens militaires congédiés, qu’on avait rappelés, et qui avaient été forcés d’abandonner leurs familles et leurs intérêts. On se rappelle que ce mauvais esprit s’était souvent manifesté par de nombreuses désertions, opérées quelquefois par milliers, fréquemment à main armée, et une fois à coups de canons;

4°. L’organisation tout-à-fait nulle des légionnaires, qui étaient absolument impropres à la guerre, et dont on avait formé les bataillons parìa simple réunion de plusieurs ventes de Charbonnerie qu’on avait voulu considérer comme des compagnies;

5°. La brièveté du temps qui nous restait pour nous préparer à la défense, laquelle se trouvait d’ailleurs entravée de toutes les manières;

6°. L’existence de deux commandemens en chef dans l’armée, et, surtout, le choix que l’on avait fait de moi pour l’un de ces deux commandemens, après m’avoir fait perdre la confiance de l’armée et de la nation;

7°. Enfin, l’existence des ventes de Charbonnerie dans les régimens, circonstance qui seule eût pu taire présager tous nos désastres.

Je viens d’énumérer les causes générales, existant d’avance, qui pouvaient influer à notre désavantage dans une guerre. Maintenant, en faisant le tableau de l’esprit et de l’effectif de l’armée, j’aurai l’occasion d’indiquer des causes particulières à différens corps, qu’on eût dû prévoir aussi, et qui, toutes, ont été funestes à la cause qu’on voulait défendre.

L’armée Napolitaine qu’on destinait à la défense était composée à cette époque, de quatre divisions.

La première était commandée par le lieutenant général Baron d’Ambrosio; elle faisait partie du premier corps, dont elle formait l’aile gauche; elle comprenait dix bataillons, de sept cents cinquante hommes à l’effectif, y compris les officiers, deux compagnies d’artillerie, et une compagnie de sapeurs, chacun de cent hommes; Enfin, deux escadrons, chacun de cent vingt hommes. Le total des forces de la première division, à l'effectif, était d’environ huit mille hommes; mais en retranchant les absens, les malades et le manquant au complet, il n’y avait à peu près sous les armes, que six mille cinq cents hommes. Son artillerie consistait dans deux batteries de campagne, à quatre canons et deux obusiers chacune. Il n’y avait de chevaux de trait que pour l’une d’elles seulement. Là cavalerie était insignifiante, tant parce que les chevaux étaient trop jeunes, que par le peu de progrès qu’avait fait l’instruction. La première division était bien tenue; il y avait plus de discipline qu’on n’eût pu l’espérer avec l’existence de la Charbonnerie dans les corps; mais la moitié des soldats étaient des congédiés, qui ne cessaient de réclamer hautement le renvoi dans leurs communes. La gauche de cette division s’appuyait à la mer, vers le lac de Fondi, et la droite à la rivière du Tolero; son front couvrait toute la vallée de Gaeta (30). (Voyez la planche).

La seconde division était commandée par le lieutenant-général Baron Arcovito; elle appartenait également au premier corps, et elle en formait à droite. Elle était composée dans le principe de dix bataillons, comme la première division, mais moins fort en nombre. Elle avait deux compagnies d’artillerie, me de sapeurs, et deux escadrons de cavalerie, semblables à ceux de là première division; elle avait en outre deux batteri es de campagne avec leurs chevaux. Peu de temps après l’organisation de cette division, un de ses bataillons fut destiné pour l’Abruzze, et il fut incorporé dans la troisième division qui se trouvait sur ce point, ce qui réduisit à neuf bataillons les forces de la seconde. Le total de l’ effectif de cette division était d’environ six mille quatre cents hommes, dont cinq mille se u lement étaient pr é sens sous les armes. Les troupes de cette division étaient bien loin de présenter la même attitude que celles de la première.

Sur les neuf bataillons, six étaient des troi s ième s bataillons, et les militaires savent ce que sont les troisiè m es bataillons. Ces six bataillons étaient de nouvelle formation, composés en entier de congédiés, mal armés et manquant de plusieurs officiers. En outre, parmi ceux qui leur restaient, il y en avait qui, par raison d’âge ou pour d’autres motifs, avaient été éliminés des bataillons de campagne, lorsque ceux-ci étaient passés en Sicile pour l a soumission de cette île. Par plusieurs raisons, il n’existait pas de discipline dans cette seconde division; nous avons déjà vu dans la deuxième partie, qu’un de ses régimens s’était mutiné en Novembre 1820, contre son propre lieutenant-général dont il avait menacé la vie; et qu’en Janvier 1821, un autre bataillon de cette division avait poussé. l’audace jusqu’à tirer le canon contre la ville de St. Germano. Les congédiés, qui en formaient la plus grande partie, réclamaient sans cesse leur renvoi, et qua n d les circonstances le leur permirent, ils donnèrent l’ exemple des désertions en masse, ainsi que le signal d’un débandement à main armée. Cette division. appuyait sa droite.aux vallées de Sora et d’Atina(31); son front garnissait la rive gauche de la rivière du Liri, jusqu’à son confluent avec le Tolero, où finissait sa gauche; sur ce point, elle se liait à la première division; la vallée de St. Germano se trouvait couverte par la position susdite de cette seconde divisi on.

La quatrième division était sous les ordres du lieutenant-général Filangieri, prince de Satriano. Elle appartenait aussi au premier corps d’armée, dont elle forma it la réserve, qui devait être cantonnée à C a poue ou à Teano. Cette division se composait da n s le principe,de sept bataillons, dont six de la. garde royale et un de chasseurs; mais ce dernier bataillon fut de suite envoyé en Abbruzze, et également incorporé dans la troisième division, ce qui réduisit déjà la quatrième à six bataillons. Encore, l’un deux ne rejoignit jamais, parce qu’il était indispensable à Naples pour le service de la famille royale; en conséquence, cette quatrième division ne se composa au co m mencement que de cinq bataillons, d’une batterie d’artillerie légère, et de trois escadrons de la garde. 

Cette division incomplète avait à l'effectif environ quatre mille hommes; et trois mille seulement étaient prèse ns sous les armes. Les corps de cette division étaient d’ancienne formation, et ils avaient par conséquent une meilleure discipline. Les congédiés, qu’on y avait incorporés, s’étaient ainsi trouvés sur un fond solide. Mais ce qui pouvait nuire à l’effet de cette bonne organisation, c’est que de tel s corps, étant privilégiés, étaient considérés comme une aristocratie militaire, ce qui les mettait en défaveur auprès du reste de l’armée. Quant aux officiers, ils avaient tous-été choisis pa rm i ceux qui revenaient de Sicile; et l’opinion qu’on avait de leur manière de voir en politique, jetait des doutes sur leur, bonne foi dans une guerre de la nature de celle qu’on allait entreprendre. Outre les trois divisions susdites, le premier corps avait encore une réserve de cavalerie, composée d’une batterie d’artillerie légère et d’une brigade de deux régimens de dragona, montan t à six cent cinquante chevaux, divisés en cinq escadrons. Cette réserve qui était cantonnée moitié à A versa, et moitié à Ste. Marie de Capue était sous les ordres du maréchal-de-camp Pinta, prince de Ischitella. La discipline en était au dessous du médiocre. L'effectif était de mille hommes; et la présence sous les armes d’environ huit cents hommes.

Le lieutenant-général due de Roccaromana avait le commandement général de toute la cava l erie du premier corps d’armée; le maréchal de camp Brachetti en était le chef d’état-major; fe maréchal-de-camp Escamard commandait le génie; et le lieutenant-colonel La n di était chef d’état major de l’artillerie du premier corps. La vérité historique et la reconnaissance m’obligent à déclarer que je fus seconde par mes collègues avec zè l e, activité et affection. Mon état major était composé, sous tous les rapports, de l’élite des officiers, dont les lumières me furent souvent du plus grand secours.

D’après les détails ci-dessus, il résulte que le premier corps ne se composait, dans le principe, que de vingt-quatre bataillons, de douze escadrons, de six compagnies d’artillerie, dont deux à cheva l, de trois compagnies de sapeurs, et de' six batteries, dont deux légères. Total du premier corps d’armée, dans le principe, vingt-mil l e hommes d’infanterie à l’effectif, et seize mille-quatre cents cinquante, seulement, à la présence; plus quatorze cents cinquante chevaux, y compris ceux du train. Le huit Mars suivant, comme on le verr a plus tard, arrivèrent quatre autres bataillons de Si cil e, ce qui fit monter à vingt-huit le nombre des bataillons du premier corps; m ai s deux bataillons ayant été destinés pour Gaëte, il en résu l te qu’à aucune époque le premier corps ne compta, pour agir, au-delà de vingt-six bataillons de ligne.

Passons maintenant à la description du 2( eme ) corps, commandé par le lieutenant-général Guillaume Pepe. Son premier noyau fut la troisième division, qui se trouvait depuis quelque temps cantonée dans les Abruzzes. Elle ne se composait d’abord que de neuf bataillons de ligne,.de deux escadrons, de deux compagnies d’artillerie, de deux compagnies de sapeurs, et de deux batteries, dont une de montagne. Par la suite, le nombre des bataillons s’augmenta de deux autres, l’un tiré de la seconde division, et l’autre de la quatrième, comme on l’a dit plus haut. Deux autres bataillons, rappelés de Sicile, furent aussi destinés pour cette division; mais un seul rejoignit avant la déroute de Rieti, e n sorte que le nombre des bataillons de ligne ne fut jamais au-delà de douze. Cette troisième division, avec les vingt quatre bataillons de miliciens ou légionnaires, qui devaient, aux termes du décret, la rejoindre dans les Abruzzes, prit le nomade second corps d’armée. Sa force à l’effectif était de neuf mille sept cents hommes et de sept mille huit cents seule m ent à la présence.

Le général Guillaume Pepe avait influé sur le choix des corps qui devaient composer. la troisième division; et il avait cru devoir préférer ceux dans les quels dominait la secte charbonnique. Ainsi, la discipline n’en était pas des meilleures, et le douzième de ligne faisait surtout craindre pour son mauvais esprit.

La troisième division s’appuyait à la Mer Adriatique par sa brigade de droite, età. Sora par celle de gauche. Sur ce. point, elle était en contact avec la droite du premier corps. Sa; brigade de droite se déployait. sur la rive droite, du Trento, et l’autre brigade était dans la province d’Aquila. La troisième division, par. sa; position totale couvrait donc, avec sa droite, la, vallée dans laquelle sont situées les places.de,

Pescara et Civitella del Tronto; et avec sa gauche, elle couvrait les deux gorges d’Antrodocco et de. Tagliacozzo. Ces deux gorges avaient été. fortifiées sur divers points par des travaux de campagne; les places de Pescara, et de Civitella. étaient. En état de défense, et pourvues suffisamment d’artillerie, de vivres et de munitions.

D’après.tout ce qui a été dit jusqu’à présent, on, voit que les forces de ligne disponibles. pour. la défense du royaume, ne présentaient en réalité que vingt-cinq mille hommes et deux mille chevaux, le tout reparti dans trente huit bataillons, quatorze escadrons, huit compagnies d’artillerie, cinq compagnies (le sapeurs, et huit batterie?, dont cinq de campagne, deux légères et une de montagne. Il est vrai que l’armée du royaume comptait encore quatorze bataillons, dix autres escadrons, et quatre autres batterie s ; mais ces bataillons étaient, soit en Sicile, soit à

Gaëte ou à Naples; ou bien, ils n’eurent pas le temps de rejoindre. Quant à la cava l e ri e, quatre de ses escadrons étaient aussi en Sicile, et les six autres manquaient de chevaux. Enfin, quant aux batteries, deux étaient en Sicile; et les deux autres, une de bataille et l’autre de pièces de douze, restèrent à Naples par défaut de chevaux de trait.

Ainsi donc, l’armée existante réellement sur les frontières, ne montait qu’à vingt-cinq mille homm es environ. Et de plus, nous avons vu précédemment quelle était la composition hétérogène et impropre de ses élémens, ainsi que le mauvais esprit qui en résultait. Cependant, avec.des moyens si faibles et d’une nature si fragile, sans argent, sans matériaux de guerre, sans préparatifs suffisa n s, on eût la folie de provoquer l’Europe armée, et de mépriser toute espèce de propositions! Nos journalistes présentaient nos troupes comme cinq fois plus fortes qu’elles ne, l’étaient en réalité, et comme brûlant d’impatience de se mesurer avec l’ennemi. de telles assertions furent encore confirmées à l’étranger par des lettres particulières, de la part d’individus qui s’abusaient, ou qui voulaient faire illusion aux autres; et c’est sur ces assertions que se fondèrent les opinions de ceux qui se sont attendus à des résultats si di f férens de ceux qui ont eu lieu.

On opposer a, peut-être, que malgré l’exiguïté ou là mauvaise organisation de nos moyens militaires, on devait compter sur le concours de la nation, et notamment sur la coopération de la nombreuse secte charbonique. Examinons si cette objection est fondée.

La généralité de la nation, comme on l’a vu dans la seconde partie, avait été étrangère a u mouvement de Monteforte; elle était restée spectatrice paisible, quoiqu’elle en accueillit ensuite avec joie les résultats. Toutefois, elle ne s’était jamais proposée de le soutenir par des sacrifices. Cette apathie première s’augmenta surtout lorsque la nation vit qu’elle ne recueillait, dans le fait, aucun avantage du système constitutionnel, lorsque, tout au contraire, elle avait à supporter le nouveau fardeau d’un service extraordinaire, et lorsque, par la probabilité de la guerre, elle vit qu’il fallait s’attendre à une augmentation d’impôts. En-mème temps, l’aristocratie sectaire avait généralement indisposé les esprits dans les communes, qui s’exaspéraient toujours davantage par l’exigence et la mauvaise conduite des miliciens, qui les traversaient eu se Pendant à l’armée. L’indiscipline des troupes en Abruzzo avait, sur ce point, ajouté à ces dispositions défavorables ; et les excès des déserteurs avaient fini par irriter la population des provinces frontières. Enfin, ces déserteurs eux-mêmes, et plusieurs des miliciens et l égionnaires, qui s’étaient soustraits à l’obligation de partir, désiraient un changement politique, afin d’éviter d’y être forces, et pour échapper aux peines qu’ils avaient encourues.

Il existait encore, pour deux des provinces frontières. quelques raisons particulières d’apathie, et même d’opposition: celle d’Aquila, loin d’être favorable à la constitution, avait au contraire montré dès le principe un esprit opposé; et par la suite, les habitans furent encore exaspérés par la violence employée contre eux pour exiger des sacrifices de toute espèce. Quant à la province de Terre de Labour, indépendamment des mêmes causes, la nature particulière du sol, situé presqu’entièrement eu p l aine, et le caractère nature l de m ollesse de ses habitans, contribuaient encore à cet esprit d’apathie et d’opposition. Dans plusieurs communes de cette province, on employa tous les moyens possibles pour démoraliser les soldats, en les a larmant par de fausses nouvelles, en leur inspira n t de la défiance contre leurs chefs, et en les excitant à la désertion. (Voyez Pièces 5 9, 67, 70, 83, 85).

Toutes ces circonstances réunies eurent une si grande influence sur l’esprit de quelques provinces, qu’on finit par y désirer généralement l’arrivée des Autrichiens. La défaite de notre armée devint l’objet de leurs espérances, et la victoire fut le seul objet de leurs craintes. vers le milieu de Mar s 1821, quelques personnes même, qui étaient loin d’être anti-constitutionnelles, écrivaient de quelques parties de la Calabre: “Nous attendons les Autrichiens à bras ouverts.” Certainement, un résultat si déplorable ne dérivait que des abus de pouvoir, que les sectaires avaient commis dans plusieurs communes de ces provinces.

Il semblait, au moins, que les sectaires, si nombreux, si influens, et qui avaient si fortes ment compromis la nation, dussent faire les plus grands efforts pour sauver la patrie, en secondant l’armée de tout leur pouvoir. Cela seul eût pu rétablir au moins l’équilibre dans les moyens numériques des deux armées. Leur exemple et un premier succès eussent pu donner ensuite une forte impulsion à l’esprit national, mais on fut complètement trompé à cet égard; partout les charbon n iers firent leur possible pour éviter de rejoindre l’armée, comme on le verr a plus amplement encore par la suite.

Cependant, certaines apparences firent un insta n t croire qu’il existait dans la nation quelque élan pour la défense du territoire. En effet, à cette époque, les provinces étaient entièrement dégarnies de troupes; et si les soixante-douze bataillons de milices(32), qui avaient reçu l’ordre de rejoindre l’armée, eussent refusé de marcher, il n’y aurait eu aucun moyen de les y contraindre. Le prompt départ de plusieurs de ces bataillons pût donc être raisonnablement regardé comme spontané, et, par conséquent, comme un indice de bonne volonté dans la nation, et d’énergie parmi les sectaires. Ce fut ainsi qu’on en jugea presque généralement; et ce fut ainsi que le rapportèrent les étrangers, témoins de ce mouvement imposant, qui avait toutes les apparences de la spontanéité Mais tout cela n’était qu’une vaine illusion, qui trompa les Napolitains eux-mêmes ; la main puissante et cachée de la secte, inerte pour concourir directement à la défense nationale, avait multiplié tous ses efforts pour faire partir, malgré eux, beaucoup de miliciens et de légionnaires. Mais parmi les sectaires mèmes, qui appartenaient aux bataillons de légionnaires, il ne marcha eu général que ceux qui appartenaient à la lie du peuple. Ceux qui étaient propriétaires, ou dans la moindre aisance, s’exemptaient presque tous; les plus gelée d’entr’eux se contentèrent d’envoyer des remplaçans, dont plusieurs étaient achetés jusques dans la classe des mendians. (Pièce 37,83).

B ientôt, il f u t notoire que les Charbonniers, s i mples

légionnaires, évitaient généralement de marcher aux frontières. Outre la notoriété du f a it, je puis ci ter en preuve une lettre que le général Pepe écrivait lui-même au prince régent, après le sept Mare, dans laquelle il blâmait les intendan s qui avaient souffert de telles substitutions et de semblables marchés, à quoi il attribuait en grande partie le désastre de Rieti.

A cette première preuve, je puis en ajo u ter d’autres, qui ne laisseront aucun doute sur ce que je viens d’ av ancer: que les Charbonniers sa refusèrent presque tous à venir au secours de la patrie, Mais, voulant réunir en faisceau les événemens qui s’y rapportent, je vais être obligé d'anticiper un moment sur l’or die chronologique.

V o ici un premier fait bien frappant qui va montrer dans tout son jour l’ esprit de la secte à c et égard.

Après la diss ol ution totale du second corps d’armée, arrivée le sept Mar s, 18 2 1, époque à laquelle nous ne sommes pas encore parvenus, toutes les espérances s’étaient fixées sur le premier corps, que les sectaires, portés à se faire i llusion, croyaient fort de quarant e -cinq mille hommes. L’assemblée générale de la Charbonn e rie crut alors devoir m’envoyer officiellement un de ses députés, M. C. Prince de L. muni d’une cr é dentielle de sa part. Il arriva le quinze Mars à mon quartier-général, qui était alors à la Taverna de Cajaniello. Lorsqu’il m’eut annoncé sa mission, je fus dans la nécessité de lui déclarer que je ne pouvais le reconnaître, étant accoutumé à ne dépendre que d’autorités légales. Je consentis cependant à m’entretenir avec lui, mais sans caractère offici el, pour savoir de quoi il s’agissait.

Le prince de L. commença par me demander en quel état se trouvaient les quarante cinq mille hommes du premier corps. Pour toute réponse, je lui prouvai, d’une manière irréfragable, que je n’avais environ que dix sept mille hommes, en comptant même les miliciens et les légionnaires. La surprise du député fut grande en apprenant l’état de fai bl esse du premier corps. Néanmoins il ne se découragea pas, et passa à l’objet de sa mission. Il me dit do n c qu’il avait été envoyé par l’assemblée générale de la secte, pour me témoigner la crainte qu’on ne fit quelque transaction avec l’ennemi; à quoi, je répondis: Que j’étais m ilitaire, que j’é t ais à mon poste pour me battre, et non pour traiter; que, dans tous les cas, je n’obéirais qu’aux pouvoir à constitués, mais qu’on devait bannir toute crainte que, de mon chef, je con cl usse quelque traité avec l’ennemi.(33) Un peu rassuré par cette déclaration, il désira savoir quelles espérances de succès nous pouvions encore conserver. 

Je lui répondis que je croyais les Autrichiens forts de trente-six mille hommes, dont ils devraient laisser dix mille sur les derrières pour garnir les Abruzzes, garder la communication de St. Germano, et pour observer la place de Gaëte ; que, si ces diminutions se vérifiaient, l’armée ennemie arriverait avec vingt-cinq mille hommes environs sur la ligne du Vulturne. Quant à cette ligne, je répondais, sur ma tête, de la défendre pendant vingt-cinq à trente jours avec mes dix-sept mille hommes, la disproportion du nombre étant balancée par l’obstacle que présentait le fleuve, et par.la position de Capoue, qui me donnait une tête de pont, au moyen de laquelle je pourrais aussi agir sur la droite du fleuve. Le député parut peu satisfai t du délai de vingt cinq à trente jours, et il ajouta: “Mais après ce mois que fera-t-on?” 

Un mois, lui répondis-je, servir a, soit à préparer les moyens ultérieurs de défense que pourront fournir les nouveaux efforts de la nation, soit à faire naître sur quelqu’autre point de l’Europe quelque médiation favorable, soit enfin à nous permettre de transiger honorablement. Je lui rappelai, à cette occasion, que le parlement avait déjà envoyé au roi, parie général F ardella, u n message soumis et conciliatoire dont on attendait la réponse. L’envoyé répondit à un discours aussi motivé: “Que cela ne suffisait pas, et qu’il fallait absolument vaincre." “Pour vaincre,” lui dis-je, “ il faut en avoir les moyens; puisque l’assemblée générale, qui représente un si grand nombre de sectaires, est opposée à toute transaction, malgré le consentement du parlement, et puisqu’elle veut absolument la victoire, elle n’a qu’à m’envoyer vingt mille de ses affiliés, bien résolus aux souffrances, et à se faire tuer au besoin. Alors, du moins, l’équilibre numérique étant rétabli entre les deux armées, nous aurions un espoir de succès.”

Alors, l’envoyé me déclara que je ne devais pas m’attendre à avoir un seul homme de la secte; et que tout au plus, je pouvais compter sur des secours en argent. Je crus devoir lui faire observer qu’on ne se battait point directement avec de l’argent, et qu’il fallait indispensablement des hommes pour cela. Alors le prince parut comme inspiré, et il sembla vouloir me suggérer un grand moyen de victoire, malgré le défaut de soldats. “Général, me dit-il, suppléez aux moyens qui vous manquent par quelque trait d'imagination qui vous assure la victoire.” Cette conversation eût lieu en présence de trois officiers de mon état-major.

E n vérité, des hommes capables de tant de stupidité doivent être plus propres à calomnier qu’à combattre; aussi, le prince de L, retourné dans le sein de l’assemblée générale, s’empressa-t-il de m’accuser, de me noircir de mille manières, parce que je n’avais pu entrer dans des vues aussi absurdes.

Mais on pourrait croire, que, du moins, si les sectaires se refusaient à se rendre à l’armée, ila étaient disposés à une résistance locale, ce qui eût pu produire un grand résultat, comme eu Espagne; mais on se tromperait encore à cet égard. En effet, après la dissolution du second corps d’armée, je désirais qu’on fit tirer des so m mités de l’Abruzze quelques coups de fusil sur l’armée autrichienne, afin qu’elle conçut de s craintes sur la dispositio n des peuples qu’elle laissait sur ses derrières, et pour qu’elle fùt ai n si obligée de laisser en arrière de forts détachemens, ce qui eût affa ibli ses mouvemens ultérieurs; mais ce fut vainement que je suggérai cette idée au député même de l’assemblée générale, et à quelques autres membres de la secte; un si fa b le moyen d’action, quoique aussi important n’entrait point nos plus dans les vues des sectaires; seconde preuve de leur défaut de volonté pour contribuer à la défense nationale.

Fini s sons par un dernier trait sur les disposition et les moyens de la Charbonnerie, à une époque où il s’agissait de la l iberté et de l’i n dépendance de la nation. La secte s’était offerte, à l’ aide de ses prétendues relations avec le reste de l’Italie, d’organiser un système d’espionnage exact jusques sur les moindres opérations de l’ennemi. Elle assurait posséder les moyens d’obtenir un plein succès. Le mode et les individue pour la correspondance furent indiqués au chef d’état-major; mais ce fut encore en vain qu’on essaya de mettre en œuvre de tels moyens; et si l’armée Napolitaine eût été réduite à n’en point avoir d’autres pour des renseignemens sur l'ennemi, elle n’eût jamais su le moindre détail. Ainsi, l’on fut convaincu de la nullité de la secte, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.

Où donc était la secte? en quoi consistait son zè l e et son influence? nous devons avouer avec honte que toute son énergie se borna à alimenter les invectives des journaux, et à inspirer quelques ver s pleins d’emphase. Elle s’exerçait surtout dans les théâtres et les cafés de la capitale, où des forcené s s’ écriaient: la libert é ou la mor t ! Et plus nos rever s s’accroissaient, et plus on entendait redoubler de tels cris, mais sans que jamais l’un d’eux se décidât à prendre les armes, et à opposer sa poitrine à l’ennemi.

En commençant l’exposition des diver s es circonstances qui précèdent, j’ai annoncé que mon objet était de rechercher s’il y avait probabilité que la nation, ou du moine la secte Charbonique, intervinssent dans la défense a ctive du royaume; or, il me s emble trop prouvé qu’elles étaient également disposées à r ester spectatrices paisibles d’une lutte aussi inégale, entre une armée de quarante mille hommes, disciplinée et aguerrie, suivie d’une réserve de cent mille Russes, et une armée de vingt-cinq mille hommes, mal composée, sans discipline, sans accord, et sans aucune bonne volonté.

On dira peut-être, quant à l’absence des qualités nécessaires dans l’armée napolitaine, qu’on ne peut l’imputer qu'au commandant de cette armée, suivant cette maxime bien connue: qu’il faut sen prendre à celui qui, ayant des hommes, n’a pas de soldats. En effet, il dépend, en général, d’un chef d’établir parmi les troupes un bon esprit, l’accord et la discipline; mais cette maxime n’est vraie que lorsqu’il a eu le temps nécessaire pour produire de tels résultats, et lorsqu’il n’a pas été entravé par ceux même qui devaient le seconder. 

Si le parlement, au lieu de céder à un sentiment jaloux, qui lui faisait craindre de confier cette mission à un général, se fùt décidé à me la confier trois mois plutôt, j’ose croire que le résultat eût été bien différent. Malgré le discrédit dans lequel j’étais tombé, malgré les élémens fâcheux dont j’étais entouré de toutes parts, oui, j’ose le croire, la persévérance de mon zèle et mon vif désir de sauver la patrie m’eussent fait trouver des ressources inattendues. Mais il était impossible qu’on songeât à me nommer en temps opportun commandant en chef de l’armée, puisqu’alors le parlement s’amusait à accueillir contre moi les accusations les plus frivoles, qui n’étaient portées que par de lâches anonymes.

Maintenant, après la digression qui m’a obligé d’intervertir l’ordre chronologique, reprenons le fil des événemens.

Nommé, le douze Février, commandant en.chef du premier corps, je partis le treize pour la frontière. Je visitai, en passant, les places de Capoue et de Gaëte, et les fortifications de campagne des gorges de St. André. Je passai en revue les troupes de la première division. Je fus atterré du calme effrayant qui régnait partout. Les généraux étaient tous absens; les gouverneurs des places étaient hors.de leurs résidences; les fortifications, les magasins de vivres de campagne, et les autres préparatifs de défense. étaient à l’abandon. Je donnai tous les ordres qui dépendaient de moi, pour activer le service; mais le plus fort de l’impulsion dépendait du ministre de la guerre, qui n’était point propre au développement d’énergie que commandaient les circonstances. 

Je retournai en toute hâte à Naples, pour solliciter la nomination d’un autre ministre. Mais rien ne se faisait plus sans le consentement du parlement, qui avait pris tout l’ascendant depuis la révocation du dernier ministère. Je fus donc obligé de voir plusieurs. députés pour les informer de ’état des choses; j e parvins à en persuader quelques-uns, qui me promirent d’exposer au parlement l’urgence de nommer un nouveau ministre. Ils tinrent parole; mais le parlement ne voulut point adhérer à cette demande, et jugea le ministre existant propre à satisfaire aux besoins actuels.

Pendant toutes ces négociations, j’étais re tourné à la frontière, en me dirigeant par l’autre vallée de St. Germano, où je trouvai le même abandon. J’activai également tout ce qui fut en mon pouvoir, et je sollicitai le surplus du ministre, mais inutilement. Je me rendis de nouveau à Naples, où je trouvai là même indifférence; le trésor et les bureaux militaires étaient fermés, et les employés du gouvernement s’occupaient des divertissemens du Carnaval... les rues étaient encombrées de voitures pleines de citoyens masqués….. et pendant ce temps là, Anniba l était aux portes de la ville!... Le calme des esprits, et l’absence de toutes dispositions étaient tels que, dans une circonstance aussi grave, on crut en avoir fait tout ce qui était nécessaire pour la défense, en décrétant ma nomination de général en chef. Il semblait que tout le reste fùt inutile. En effet, le public n’avait témoigné de l’inquiétude que jusqu’au moment où j’acceptai ce commandement suprême, après quoi tout le monde fut ras s uré.

J’exposai de nouveau l’état déplorable des affaires; je fis observer que, si l’on ne confiait le ministère de la guerre et celui des finances à des hommes de la plus grande activité, nous serions perdus sans ressource sous peu de semaines. L’ennemi était déjà en marche, et nos troupes n’étaient point au comp l et; elles manquaient d’officiers, de solde, de vivres, d’armes, de capotes, et de souliers. Les fournisseurs n’avaient point d’argent, l’artillerie manquait de chevaux. Les travaux étaient inexécutables sans de prompts secours; et tant d’autres besoins ne pouvaient être satisfaits qu’à l’ aide du génie et d’une grande activité.

Étant enfi n parvenu à inspirer une vive appréhension sur notre situation, l’on me fit là confidence que, si je ne persuadais point un certain député qui avait toute l’influence, je ne pourrais obtenir qu’on nommât un nouveau ministère. L’intérêt de mon pays exigeait que je ne négligeasse aucun moyen pour réussir dans une a ff aire aussi importante; je me re n dis auprès de ce député, et je lui fis part de nos besoins; il parut flatté de cet acte de dépendance, et il me promit que tout serait décrété.

En effet, cette promesse fut bientôt réalisée. Le général Colletta fut chargé des fonctions du ministère de la guerre, et le chevalier de T o mmasi de celui de l’intérieur. Ce dernier ministre devait en outre assister de ses talens et de Son expérience le ministère des finances qui était tombé dans une nullité absolue.

Ce pendant, par suite de ce système à demi mesures, qu’avait sans cesse adopté le parlement, l’on conserva, en titre, le porte-feuille de la guerre au général Parisi, avec la jouissance du traitement, sans exercer aucunes fonctions; et le général Colletta en fit les fonctions réelles, sans en avoir ni le titre, ni le traitement. Le parlement protégeait le général Parisi, précisément à cause de sa faiblesse. Soit défiance, soit vanité, cette assemblée aimait à diriger elle-même tous les détails de la partie militaire. Rien n’est plus funeste que lorsqu’un corps délibérant veut intervenir directement dans de telles opérations, au lieu de se borner à faire les lois sur cette matière, et à exercer la surveillance envers les ministres et les généraux, en les pour suivant dans le cas de prévarication, ou de fautes graves. 

Mais le parlement de Naples n’eût pas cette sagesse, et croyant diriger le ministère de la guerre, il tomba lui-même dans la dépendance de chefs de bureaux, intrigans et ignorans, qui furent les ministres de fait, et qui abusèrent de l’inexpérience des députés dans les matières militaires. Ces hommes disaient sans cesse que tout allait parfaitement bien; le parlement le croyait et se complaisait dans ses couvres ; les journaux le répétaient en l’exagérant encore; et la nation entière était induite en erreur sur la défensive du royaume, qui, dans le fait, était dans le plus mauvais état.

Mais à peine le général Col l eta fut-i l entré au ministère que bientôt l’on vit se développer une profusion de moyens, aussi inattendus qu’indispensables. L’argent arriva aux corps, et les.vivres dans les magasins; on opéra de nombreuses confections de capotes et de souliers; des milliers de bras furent occupés aux travaux abandonnés des fortifications; tous les officiers absens eurent l ’ordre de rejoindre; des bâtimens furent envoyés en Sicile, pour ramener à Naples plusieurs des bataillons qui s’y trouvaient; en un mot, on commença réellement à voir, dans le royaume, l’attitude d’un pays qui est sur le point d’être attaqué,et qui se prépare à la défense. 

L’activité du nouveau ministère fut toujours croissante, et finit par opérer de véritables prodiges. Cependant, une des prétendues preuves de mon intention de trahir fut que je m’étais efforcé de faire nommer ce ministre, avec qui l’on prétendait que j’étais d’accord pour un tel dessein...... Oui, nous étions d’accord, mais c’était pour sauver la patrie, au prix de tous nos efforts et de tout notre sang! Ah! disons plutôt, quoique je sois loin d’accuser les intentions du général Parisi, que la trahison eût été accomplie en l e conservant au ministère. Huit jours plus tard, et l’armée eût été dissoute, par le défaut de tout ce qui était nécessaire pour entrer en : campagne.

Tandis que |e.ministre imprimait à l’ensemble une impulsion salutaire, les généraux, de leur côté, contribuaient de tout leur pouvoir à produire une révolution totale dans l’attitude matérielle de la frontière, et dans l’intérieur des corps. Grâce à leurs efforts, déjà l’ordre et la discipline reprenaient leur empire; les travaux touchaient à leur fin, et l’espérance, présage des succès, renaissait dans tous les cœurs. Il est vrai que, pour réussir complètement, il fallait au moins trois mois, surtout pour refondre l’esprit des troupes, qui était encore le même ; mais avec le temps et de la fermeté, on pouvait espérer de bannir la secte du sein des régimens; on eùt, par quelque exemple de sévérité, mis fin aux désertions; enfin, en changeant quelques généraux, quelques chefs d’état-major divisionnaires, et quelques colonels, on eût délivré l’armée des alarmistes et de quelques mal-intentionnés.

Enfin, si malgré toutes ces améliorations, l’on n’eût pu vaincre l’ennemi, du moins eut-on obtenu dés conditions favorables, et sauvé l’honneur de la nation. Cependant, je le répète, un espace de trois mois au moins était indispensable; mais cet espace ne nous eût peut-être pas manqué, sans cette malheureuse et intempestive attaque de Rieti, opérée le sept Mars par le second corps, contre une ar m ée, dont, d’après toutes nos circonstances, nous devions cultiver et prolonger autant que possible l’inaction.

Le dix- h uit Février, j’établis mon quart i er-général à Teano; et je partis le même jour pour al l er activer l e service sur tous les points, e t pour vi s iter les trois divisions de mon commandement. L’inspection oculaire des troupes me persuada que l a seconde division avait besoi n d’être déplacée, refondue, et autrement réorganisée, parce qu’elle n’avait aucune discipline, et parce qu’elle était abhorrée dans l es lieux où elle avait été cantonnée. J’en tirai d’abord les cinq meilleurs bataillons, et je les incorporai à la quatrième division, qui devint ainsi, comme la première, forte de dix bataillons. Quant aux quatre autres bataillons de la seconde division, je les renvoyai à Capo u e, où ils devaient se réunir aux quatre bataillons qu’on attendait de Sicile; et cette seconde division, qui devait ainsi devenir forte de huit bataillons, fut destinée à servir de réserve au premier corps d’armée. Le commandement en fut confié au lieutenant-général Pignatelli, prince de Str o ngoli, après qu’on eût donné, en Pouille un e destination honorifique au général Arcovito, qui la commandait auparavant.

Je fis passer e n première ligne, à droite, la quatriè me division, qui occupa les c a n tonnemens abandonnés par la seconde.

Le vingt-un Février, je portai mon quartier-gé n éral à St. Germano. La première division fut cantonnée de F ondi à Sessa; la quatrième se déploya le long du Liri et de la Melta; et la seconde division, qui était encore très-faible, transporta son quartier-général à Teano, emplacement plus propre à une division de réserve.

Ayant ainsi disposé les troupes de ligne, on attendait l’arrivée des quarante-huit bataillons de milices, dont plusieurs étaient annoncés comme s’étant déjà mis en route. Il en était même arrivé quelques-uns de ceux des provinces de Salerne et de Naples, et ils furent incorporés dans la quatrième division. Ceux de Salerne avaient marché avec ordre et enthousiasme; on ne peut en dire autant de ceux de Naples; pendant leur courte marche, ils montrèrent la plus grande indiscipline; quatorze cents hommes seulement parvinrent au camp, tandis qu’on en avait annoncé deux-mille six cents; le surplus s’était éloigné des communes pour se dispenser de partir. Du reste, l’arrivée de ces miliciens et des légionnaires fit momentanément un bon effet sur l’esprit des congédiés, qui rougirent un instant de continuer à réclamer leur renvoi dans leurs familles.

Suspendons un instant le récit des arrivées subséquentes de la milice à l’armée, pour décrire rapidement les vallées par lesquelles on peut pénétrer dans le royaume, et pour énumérer les obstacles qu e chacune d’elles peut présenter.

Une armée ennemie peut entrer dans le royaume par cinq vallées différentes:

1°. La vallée de Pescara;

2 °. c elle d’Antrodocco;.

3°. celle de Tagliacozzo;

4 °. celle de St. Germano;

5°. Enfin, celle de Gaëte.

Les trois premières sont à droite dans les Abruzzes, et les deux autres à gauche dans la province de Terre de Labour.

La vallée de Pescara offre peu de difficultés, quant aux montagnes et,aux gorges; mais elle est presque dénuée de routes, et n ’est pas abondante en vivres et en fourrages. Elle présente de plus à l’ennemi l’obstacle de deux fleuves considérables, le Tronto et la Pescara, et de plusieurs torrens difficiles, entre lesquels sont situées trois autres positions, faciles à défendre. En choisissant cette vallée, une armée d’i n vasion se détournerait trop du chemin de la capitale, dont l’occupation devrait être son but principal. L’hiver y est d’une grande intensité, et il y tombe beaucoup de neige. Quant aux moyens artificiels de défense, elle a les deux places de Civitella del Tronto et de Pescara,. dont la première est très-forte. On peut donc présumer qu’une armée enne m ie ne choisirait pas cette vallée pour ligne d’invasion, surtout en hiver.

Les deux vallées d’Antrodocco et de Tagliacozzo ont beaucoup d’analogie entr’elles; elles ne so n t, à bien prendre, que des sentier s alpestres et très-difficiles, propres tout au plus à des incursions de troupes légères. de grandes mas sesne pourraient y agir, ni s’y développer, et si elles commettaient l’imprudence de. s’y engager, elles, seraient facilement arrêtés par un petit nom br e d’hommes déterminés, placés dans certains endroits,(34) qui avaient été garnis à ouvrages de campagne. Une fois arrêtés dans ces défilés, elles périraient de faim et de misère.

En hiver les neiges viendraient ajouter à ces difficultés, déjà presque insurmontables. Ainsi l'on ne peut supposer avec fondement que l'ennemi dût choisir une de ces deux gorges, pour opérer une invasion, dans une telle époque de l'année.

On devait donc penser que les Abruzzes, où sont situées ces deux dernières vallées, ainsi que celle de Pescara, ne seraient pas choisis par l'ennemi comme le point de ses opérations principales. En effet, quand il arriva sur nos frontières, toutes ses dispositions démontraient qu'il avait le dessein d'attaquer dans toute autre direction; et s'il pénétra de ce côté, c'est parce qu'il y fut attiré, co m me on le verra par la suite.

ll nous reste à parler des deux autres vallées, celle de St. Germano, et celle de Gaëte; nous commencerons par cette dernière, pour la commodité de l'exposition.

De Fondi à Capoue, se développe cet espace de terrain que j'appelle la vallée de Gaëte; et qui, resserré à droite par l'Appennin, se termine à ga uch e dans un terrain marécageux, qui s’étend jusqu’au rivage de la mer, et qui n’a aucune route. Quant à la grande route de Rome, qui traverse cette vallée dans toute sa longueur, elle est souvent resserrée entre les divers accidens d’un terrain irrégulier et difficile, en sorte qu’un corps considérable ne pourrait s’y développer. On pourrait lui opposer une résistance efficace avec pe u de moyens, et surtout sur trois points:

1°. aux gorges de St. Andrea, qui étaient fortifiées d’ouvrages de campagne;

2 °. A Castellone, où l’ennemi se trouverait arrêté en front par les accidens du terrain, tandis que la garnison de Gaëte l’inquiéterait à sa droite, et dans ses communications de derrière;

3°. Enfin, au fleuve Garigliano, sur la rive gauche duquel on peut taire une résistance efficace, pendant que l’ennemi, parvenu à la rive droite, aurait eu sur ces derrières la garnison de

Gaëte. Cette dernière place elle-même, considérée comme moyen artificiel de résistance, est extrêmement forte. Ainsi, tout porte encore à croire que l’ennemi n’eût pas choisi cette vallée pour des opérations importantes; et c e tte assert ion est appuyée généralement par tous les événemens hostiles qui, jusqu’à présent, ont eu l ieu contre le royaume de Naples.

Il ne restait que la vallée de S t . Germano, qui ne présente anc une difficulté de gorges ou de montagnes. La rivière du Liri, qui la couvre entièrement, est guéable en beaucoup d’endroits, et son rivage n’est pas assez encaissé sur tous les points pour pouvoir offrir beaucoup de! moyens de résistance. Il existe, en outre, dans cette vallée, une très-bonne chaussée, qui est: malheureusement percée dans une direction très-préjudiciable à la défense, puisqu’elle aboutit perpendiculairement à la frontière, ce qui la rend tout-à-fait propre à une invasion. Cette chaussée est la plus courte pour conduire à la capitale, et elle communique avec une autre route qui vient des états Romains.

En-deçà et en-delà de cette frontière, elle traverse des pays fertiles, abondans en vivres et en fourrages. Cette vallée n’a aucune place forte eu première ligne; et l’armée ennemie, en la-traversante peut éviter jusqu’à la place de Capoue, en passant le Volturno entre Isernia et Campagnano. L’infériorité relative des moyens défensifs de cette vallée est si grande, qu’il est bien. surprenant que, jusqu’à ce jour, aucune des dynasties qui régnèrent à Naples, n’ait songé, par des fortifications permanentes, et par d’autres moyens artificiels, à rétablir l’équilibre de résistance dans une direction qui, d’après l’histoire, est la route la plus ordinaire des invasions du royaume.

Toutes ces réflexions me conduisirent à penser que, probablement, l’ennemi choisirait la vallée de St. Germano pour y porter ses forces; qu’en lui supposant environ quarante mille hommes, comme en effet cela s’est vérifié, il en mettrait probablement dix à douze mille à Rieti pour observer les Abruzzes: qu’il en emploierait deux à trois mille pour attirer notre attention vers Fo ndi et I tri; et qu’avec une masse de vingt-cinq mille hommes, il tenterait de pénétrer par la v al lée de St. Germano.

Avant, toutefois, de former aucun pian de défense, je voulus acquérir d’autres notions, plus positives encore, sur le terrai n de la frontière qui m’était confiée; je fis donc une exacte reconnaissance, les vingt-deux et vingt-trois Février, depuis Sora, è droite, jusqu’au lac de Fondi à gauche. D’après cette reconnaissance, je fus persuadé de plus en plus, que Je point faible du royaume était la vallée de St. Germano, et que si, par bo m beur pour nous, l’ennemi se décidait à pénétrer sur une autre direction, ce ne pouvait être qu’à son préjudice.

Plein de cette conviction, je conçus un pian de défense qui me parut adapté aux circonstances; mais avant d’en faire ici l’exposition, il est encore nécessaire de présenter le développement de la susdite frontière, que je visitai les vingt-deux et vingt-trois Février.

Le terrain, depuis la rivière du Liri, entra Arce et Ceprano, jusqu’au village de Mignano, est presque tout situé en p l aine pendant quarante milles, sur une largeur variée de dix mille à trois milles, et même moins, dans quelques endroits. Ce terrain forme presque un bassin entre deux chaînes de montagnes, qui partent des f l anc s du village de Mignano, où elles laissent entr’elles l’intervalle d’un mille et demi seulement, en y formant une gorge. Elles se terminent ensuite presque perpendiculairement au cours de la rivière, en avant d’Arce, sur la droite, et près de Ceprano sur la gauche.

La chaîne des montagnes de gauche se prolonge au-delà de la dite rivière, en conservant pendant quelque temps la même direction perpendiculaire à son cours. A la base de cette partie de la chaîne qui est de l'autre côté du Liri, coule une autre rivière, le Tolero, qui se perd dans la première sur la rive droite. Sur les penchans de la dite ramification de montagnes, se trouvent Pico, et Saint Giovanni i n carico. De ce dernier village, la ramification tourne à gauche vers Pastena, Genola, et F ondi, et elle va se terminer à la mer entre Terracina et le lac de Fondi.

Des hauteurs qui flanquent le bassin de St. Germano, à gauche, on peut facilement faire des attaques de troupes légères, en les faisant déboucher par les versans qui sont du côté de ce bassin, afin d’inquiéter le flanc droit de l’ennemi, et ses lignes de communications, après son passage du Liri.

La gorge de Mignano, se lie à la frontière de gauche, au moyen du cours de la Vandra et du Garigliano, qui, eux-mêmes, se trouvent couverts par les susdites hauteurs de gauche. Derrière ces mèmes hauteurs, existe le sentier de commu nication avec la vallée de Gatte, qui passe par CoCortìzzo, Rocca d’Evandro, et Canino. Les m ontagnes susdites, étant escarpées et garnies de b o is, ne sont praticables que pour des troupes légères.

L’autre chaîne de montagnes, qui borde à droite le bassin de St. Germano, et dans laquelle Se trouvent Monte Casino, Roccasecca, et Arce, Offrent la même facilité d’y établir des troupes légères, qui peuvent encore fatiguer le flanc gauche de l’ennemi, ainsi que ses communications, lorsqu’il serait arrivé dans le susdit bassin de St. Germano. 

La ramification de ces hauteurs lié sur la droite, la gorge de Mignano à la rivière de Liri, qui se rattache à la vallée de Roveto, et par conséquent à la frontière des Abbruzzes. Sera est la clef de communication entre la plaine de St. Germano et les Abbruzzes, par la vallée de Roveto, comme Atina est la clef des trois communications entre les Abbruzzes et St. Germano, par les vallées du Sangro, du lac Futino, et de Roveto. Les hauteurs de droite défendent parfaitement ces différentes communications, en couvrant Sora et Atina. Elles sont également escarpées et boisées, et uniquement propres à des troupes légères.

Maintenant, après avoir ainsi décrit le terrain, de la frontière qui m’était confiée, je passerai à l’exposition du pian que j’avais conçu pour le défendre, et à celle des motifs qui me portèrent à en adopter les diverses parties.

La frontière, que devait défendre le premier corps, s’étend de Sora au lac de Fondi près de la mer, et elle comprend une étendue d’environ quarante à cinquante milles. Le premier corps, aux termes du décret du douze Février, devait être de cinquante mille hommes, y compris les milices; et quoique, par la suite, il n’ait jamais eu plus de vingt mille hommes, comme on l’a déjà dit, je devais former mon pian d’après les forces que j’attendais. Dans cette hypothèse, je pensai donc que les trois cinquièmes de mon armée étant de miliciens, seraient plus propres la petite guerre qu’à des actions générales. 

Mais d’autres motifs devaient encore, me déterminer à préférer ce genre de guerre: d’abord ma cavalerie était presque nulle, parce,qu’elle était peu nombreuse, mal montée, et peu exercée. Quant à mon artillerie, elle était fort insuffisante, car une armée de cinquante mille hommes doit avoir cent canons, ou au moins quatre-vingt, et je n’en avais que trente-six, dont trente seulement étaient attelés. Enfin, l’esprit des troupes étant très-mauvais dans plusieurs corps, et très varié dans d’autres, la moindre défection partielle, dans une affaire générale, pouvait en entraîner beaucoup d’autres. L’ennemi, au con traire, avait une excellente artillerie, ainsi qu’une bonne et nombreuse cavalerie; son infanterie, quoique plus pesante que la notre, était aguerrie, disciplinée, et instruite aux manœuvres.

D’après toutes ces considérations, nous devions donc éviter les actions générales, et la guerre de plaine. Notre but devait être de forcer l’ennemi soit à demeurer inactif, soit à faire la petite guerre dans nos montagnes, où la légèreté de nos miliciens, la supériorité de nombre de nos troupes légères, et la connaissance des localités nous eussent assuré l’avantage. En attendant, ce genre d’action eût aguerri nos troupes, et amélioré leur esprit, en même temps qu’il eût neutralisé les grands moyens de l’ennemi.

Dans l'application particulière de ces idées générales, il résultait que nous ne devions pas nous déployer sur le Liri, car si nous eussions éprouvé une déroute sur cette rivière, l’ennemi, avec sa cavalerie, nous eût entièrement détruit dans la retraité que nous eussions été obligés de faire en plaine, pendant quarante milles, jusqu’à la gorge de Mignano.

Ne devant point nous déployer sur le Liri, il fallait donc établir notre première ligne de défense à la gorge de Mignano, qui se lie à droite à la frontière des Abbruzzes, et à gauche à celle de Fondi, au moyen des deux chaînes de montagnes sus mentionnées. Il fallait concentrer nos moyens de résistance sur cette frontière imaginaire, et ne garnir la gauche de Liri que de troupes légères.

L’ennemi, parvenu sur les bords du Liri, eût été d’abord arrêté par le cours de la rivière et par la résistance de front, combinée avec les attaques de nos troupes légères établies Je long de Tolero à sa droite. S’il eût forcé la ligne du Liri, les troupes légères auraient du se retirer par des mouvemens excentriques, dans les deux chaînes de montagnes de droite et de gauche, où elles se seraient établies. L’ennemi, arrivé dans le bassin.de St. Germano, eût été arrêté de front par la gorge de Mignano, garnie de travaux, d’artillerie, et défendue par dix-huit mille hommes. Il eût été, en outre, attaqué sur ses flancs et ses convois par nos troupes légères, pendant qu’il eût éprouvé un manque.de vivres, et qu’il aurait eu une rivière derrière lui. Arrivé à cette extrémité, si l’ennemi fut resté dans ce bassin sans attaquer, cela lui eût été funeste, car il fùt péri faute de subsistances; que, s’il se fut retiré en repassant le Liri, un tel événement eût relevé le moral de la nation, et sa retraite nous eût donné de la réputation à l’étranger.

Si donc, l’ennemi, après avoir passé le Liri, eût voulu éviter les désavantages que nous venons de décrire, il se mettait.dans la nécessité.d’attaquer de suite Mignano, troisième moyen, le seul plausible, qu’il dût adopter après, avoir passé la rivière. Or, s’il eût voulu éviter la gorge et ses fortifications, il ne pouvait y parvenir qu’en nous attaquant par les montagnes, où nous-eussions eu toute supériorité sur lui par les raisons que j’ai déjà exposés. Cette supposition était donc également à notre avantage.

Il ne restait donc plus qu’une dernière hypothèse, celle où l’ennemi agirait en plaine, et attaquerait de vive force la gorge et les travaux de Migliano; mais cela lui eût été très difficile, ayant à emporter dix redoutes garnies de quarante-six canons de gros calibre, et défendues par dix-huit mille hommes. L'infériorité numérique de nos troupes, et celle de leur qualité eussent été assez compensées partant de circonstances favorables, tirées de la nature du terrain et des travaux de l’art. 

Ainsi donc, si l’armée Autrichienne, voulant forcer la dite gorge, eût perdu la bataille, elle se fut trouvée dans une position critique, devant exécuter sa retraite sur un terrain bordé pendant quarante milles de deux chaînes de hauteurs, le long desquelles elle eût été sans cesse harcelé par les troupes légères, qui auraient suivi tous ses mouvemens rétrogrades du sommet des montagnes latérales. En même temps, on eût lancé sur ses derrières, par le grand chemin, de la cavalerie et de l’artillerie légère. Son embarras se serait encore augmenté ayant une rivière à traverser. C’est alors qu’à plus forte raison encore, la nation se fut saisie d’enthousiasme, et que nous eussions peut-être obtenu l’appui de quelque puissance de premier ordre.

Cependant, on devait prévoir le cas où l’ennemi gagnerait la bataille dans la gorge de Mignano. Alors, il fallait tâcher de parer les résultats d’un tel désastre sous deux points de vue principaux: il fallait d’abord éviter que l’ennemi, s’étant emparé de la grosse artillerie de nos redoutes, ne la tournât contre nous, notamment pour les sièges de Gaëte et Capoue. En second lieu, il fallait faire en sorte que notre armée, en se retirant, ne se débandât pas entièrement en traversant la plaine qui est derrière Migliano, ayant à sa poursuite la nombreuse cavalerie ennemie. Le premier résultat pouvait s’éviter en garnissant les redoutes de Mignano avec des canons le fer, montés sur des affûts de marine, prêts à être promptement brûlés. 

Ou aurait ensuite encloué les canons, et on les aurait bourrés avec des boulets garnis de feutre. de cette manière, l’ennemi n’eût pu tirer aucun parti de nos canons. Quant au second inconvénient, on eût pu y parer en quittant le champ de bataille par de rapides mouvemens excentriques, exécutés de la manière suivante:.la première et la seconde division, ainsi que les troupes légères de l’aile gauche, se fussent retirées par les sentiers des montagnes qui sont derrière Cascano, et se fussent rendues à Capoue, où certainement, elles auraient précédé l’ennemi, obligé de suivre la grande route; la quatrième division eût opéré sa retraite perpendiculairement à la position de bataille, se jetant avec toutes les troupes légères de droite sur les montagnes de ce côté; passant ensuite par Venafro, elle serait allée se placer sur la droite du Volturno, entre cette ville et Sesto, prête à passer le fleuve sur le pont royal qui y existe. La retraite ainsi effectuée, l’on eût évité la plaine, et par conséquent l’effet de la cavalerie autrichienne; l’ennemi se fùt trouvé avec une place de front et avec la quatrième division sur le flanc de sa ligne de marche, disposition qui, toutes les foia qu’elle a été mise en usage, a arrêté les mouvemens offensifs de l’armée opposée.

Maintenant, si l’on songe bien à tous les détails du pian que je viens de décrire, si l’on pose en fait qu’en hiver l’ennemi n’eût pas tenté l’invasion du côté de l’Abruzze, et que, probablement, son projet était de l’opérer par la vallée de St. Germano, l’on verra que mon pian suffisait pour neutraliser les.avantages que les Autrichiens pouvaient trouver à entrer par ce point. Il s’opposait également à ses vues probables de commencer promptement la guerre, et de tenter un coup de main, pour découvrir les opinions, pour exciter un parti dans l’intérieur, et (aire une pointe jusques dans la capitale.

Avant de soumettre ce pian à l’approbation du prince-régent, je désirai le faire discuter dans un conseil de. guerre, que je réunis le vingt-cinq Février à mon quartier-général de St. Germano. Ce conseil fut composé de quelques généraux, et de quelques autres officiers supérieurs intelligens et éclairés.

Je leur exposai mon pian, qui fut long-temps discuté. On adopta généralement mon opinion sur les probabilités des déterminations de l’ennemi; on convint également de la supériorité de son armée, quant à la qualité et à la discipline, ainsi qu’en cavalerie et artillerie; et l’on approuva mon idée de tout faire pour nous soustraire à l’action de ces deux dernières armes de notre adversaire. de tout cela, on conclut que mon pian aurait le résultat d’arrêter l’élan de l’armée ennemie au moyen d’un camp retranché établi à Mignano, et en l’inquiétant dans la vallée de St. Germano, dans lequel il pourrait difficilement subsister, ce qui répondait à toutes nos vues, et déconcerterait le pian de l’ennemi.

 Confirmé par cette discussion dans mes projets de défense, je fus, le vingt-six Février, avec le général Escamard, commandant du génie, reconnaître la gorge de Mignano. Le même jour, j’y transportai mon quartier-général, et j’ordonnai de commencer à tracer les ouvrages. après cela, je me rendis, le 26 même, à Naples, pour taire part au prince régent, et à quelques membres influens du parlement, du pian qu’on croyait devoir suivre. En ayant obtenu sans difficulté l’approbation, j’écrivis de suite à mon chef d’état-major à Mignano, de faire commencer la construction des ouvrages, d’après le projet arrêté avec le général du génie le jour précédent. Ce fut alors que je donnai également des ordres et des instructions pour l’organisation de trois petites brigades légères, organisation sur laquelle je reviendrait avec plus de détails, lorsque je rendrai compte de l’exécution du pian qu’on avait adopté.

Le vingt sept Février, je repartis de Naples, et je me dirigeai sur Fondi. Dans cette tournée, je communiquai l’ensemble de mon pian au général d’Ambrosio, qui l’approuva également. Nous nous concertâmes pour là partie de l’exécution qui le concernait, en sa qualité de commandant de la première division. Le vingt huit Février, nous allâmes à Fondi visiter la ligne des avant-postes.

Pour concerter ensuite la réciprocité d’opérations entre la première et la quatrième division, qui, toutes deux, étaient en première ligne, et pour mettre à intelligence les deux généraux qui les commandaient, j’écrivis de Fondi au général Filangieri de se trouver le deux Mars au matin à Pontecorvo, où je me rendrais le même jour avec le général d’Ambrosio. Le matin du premier Mars, nous partîmes de Fondi avec ce dernier; nous reconnûmes le développement des montagnes de la frontière, dans laquelle sont situées Lenola, Pastena, St. Giovanni in Carico, et Pico; ensuite, nous descendîmes, le deux, à Pontecorvo. 

Le général Filangieri n’était pas encore arrivé; mais je trouvai un de ses rapporta sur la désertion de quatre-cent vingt-six miliciens des trois bataillons de la province citérieure, (voyez Pièce 44). Je trouvai encore à Pontecorvo un autre rapport, (voyez Pièce 45) sur la désertion d’autres miliciens, qui avait eu lieu le vingt-six Février; et le général d’Ambrosio m’avait aussi informé que dans la nuit du vingt-sept au vingt-huit, un bataillon de chasseurs de sa division, composé entièrement de congédiés calabrais, avait renouvelé les symptômes de révolte et de désertion totale, qu’ils avaient. déjà manifestés à Sessa dès le dix-neuf du même mois. (Voyez Pièce 43.).

Vers les dix heures, le général Filangieri arriva. A son précédent rapport sur la désertion des quatre cent vingt-six miliciens, il m’ajouta de vive voix qu’un bataillon entier de miliciens çora s’était aussi débandé, ce qu’il me confirma ensuite par écrit. (Pièce 48).

Les généraux Ambrosio, Filangieri, et moi, nous partîmes ensuite, en longeant le cours du Liri, pour reconnaître les accidens du terrain. Chemin faisant, nous faisions de tristes réflexions sur les dernières désertions que nous venions d’apprendre. Elles nous semblaient déjà d’un bien mauvais augure; mais quelle fut notre douleur en arrivant à Isoletta, lorsque nous fumes verbalement informés par le colonel Tocco, officier distingué, et commandant alors une ligne d’avant-postes sur le Liri, que dans la nuit précédente, cent quarante-deux soldats ou sous officiers de compagnies d'élite du septième de ligne, étaient désertés de l’île de Sora, avec armes et bagages, faisant feu contre leurs propres officières qui avaient voulu s’y opposer, et dont l’un avait été blessé d’un coup de bayonnette. Ce bataillon du septième était tout entier compose de congédiés de la principauté ultérieure, qui tous avaient été faits Charbonniers. Le chef du complot était un sergent, nommé Chiarolanza, grand maître de la vente charbonnique du bataillon.

Il avait été secondé par deux maîtres Charbonniers, nommés François Saverico Ruscia, et Nicolas Linotta. L'orateur de cette vente était le lieutenant T. qui, dans Palerme, avait contribué au mouvement séditieux de la garnison, et dont nous reparlerons encore au sujet d’une menace mystérieuse qu’il me fit le quinze Mars à la Taverna de Cajanello, menacé qui s’est ensuite trop vérifiée. On croit que, dans la vente du dit bataillon, sa désertion totale avait été arrêtée, et qu’elle se serait effectuée sans la courageuse opposition des officiers, contre lesquels les trois sergens susdits avaient donné l’exemple d’une révolte à main armée. (Pièce 46, 82.)

Je viens de parler de la troisième désertion éclatante, qui signala le commencement de notre dislocation, pendant qu’une autre du même genre avait été tentée à Monticelli. Cela était d’autant plus décourageant qu’il n’y avait encore aucun prétexte pour agir ainsi; la troupe était payée ponctuellement, elle était bien nourrie, et fournie de tout, ce qui lui était nécessaire; rien n’annonçait encore l’arrivée de l’ennemi. Il n’existait donc pour déserter aucune autre raison, si ce n’est que la troupe était d’avance mal disposée.

Après avoir reçu les rapports, presque simultanés, de semblables désertions, opérées en si grand nombre, et l’une d’elles avec des caractères si atroces, nous fûmes consternés, les généraux d’Ambrosio, Filangieri, et moi, surtout en pensant de quels élémens impurs dépendait notre honneur et le salut de la patrie. Alors, ayant été informes qu’un conseiller d’état le chevalier Zuccari, se trouvait à Arce, où il était en mission pour les subsistances de l’armée, nous nous rendîmes auprès de lui, le trois Mars, et nous l’informâmes de ce qui venait d’arriver, a inique de la mauvaise disposition des troupes. Nous le priâmes tous trois de se rendre de suite auprès du parlement pour l’instruire de tout et l’engager à envoyer deux députés auprès du premier corps, non-seulement pour se convaincre du mauvais esprit de l’armée qui semblait décidée à se débander, mais encore pour être témoins du zèle des généraux à prévenir cette infamie, et pour pouvoir suggérer ce qui leur paraîtrait convenable.

Non content d’avoir donné ce premier avis au parlement, je lui réitérai, par le moyen du ministre de la guerre, et sur l’avis encore de mes deux collègues, la même demande d’un envoi de deux députés près le premier corps. Mais ce fut vainement. (Pièce 47).

Le même jour, trois Mars, ayant termine toutes les reconnaissances, de concert avec les généraux d’Ambrosio et Filangieri, je crus devoir songer sans délai à mettre mon pian à exécution, afin de prendre le plutôt possible une bonne attitude défensive. Une autre forte con sidération m’engageait à la célérité; je comptais relever le moral de l’armée, en la concentrait dans des positions fortes qui lui inspirassent de la confiance; et j’espérais en améliorer la discipline, en la mettant sous la main immédiate des généraux. 

Je passai donc de la manière suivante à l'exécution de mon pian: J’ai dit précédemment que le vingt-six Février, avant de partir de Naples, j’avais ordonné à mort chef d’état-major à Mignano, de faire organiser trois petites brigades légères: chèque brigade fut composée de dix compagnies franches, chacune de cent hommes d’élite, dont un tiers de voltigeurs de la ligne, et deux tiers de miliciens, ou de légionnaires. A chaque brigade légère ut attaché un bataillon de ligne, tout-entier de voltigeurs où de chasseurs bersagliers, Deux escadrons de chasseurs à cheval furent en outre adjoints à la seconde de ces brigades, qui devait être établie en plaine.

Je donnai le commandement de la brigade de la première division au colonel Piccolelli, celui de la brigade de la seconde division au colonel Tocco, et celui de la brigade de la quatrième division au colonel Deconcili, le même dont j’ai déjà parlé à la première partie. Je fus déterminé dans le choix des colonels Piccolelli et Deconcili, pour faire commander la première et la quatrième brigade, par la pensée que ces deux colonels, étant députés du parlement, ils auraient toute la confiance des légionnaires qui avaient tant contribué à la révolution. Mais je fus trompé dans cette attente, car dès le principe, les miliciens et légionnaires de ces deux brigades montrèrent leur mauvaise volonté, et il fallut toute la fermeté du général Filangieri pour réunir et faire marcher la brigade Deconcili (35)

Ces hommes commirent de graves excès, surtout. à St. Elia, à Montecassino et à St. Germano. Dès le principe aussi, ils avaient poussé la fureur jusqu’à menacer la vie d’un représentant du peuple,dans la personne de leur colonel qu’ils mirent en joue; et par la suite, ils conçurent de nouveau Je projet d’attenter à ses jours, lorsqu’ils étaient à Atina. (Voyez Pièce 44, 56, 67, 82)

Je publiai, pour les troupes légères, une instruction imprimée, sur leur mode de combattre et de se retirer à la manière des Guérillas. Et pour le remplacement de leurs munitions, je fis établir des dépôts de cartouches à Fratte, pour les troupes légères de gauche, et à Montecassino, pour celles de droite.

Dans la même instruction, une prime graduée fut fixée pour chaque prisonnier, et pour chaque objet qu’on prendrait à l’ennemi. On donna d’avance aux commandans des brigades légères l’argent nécessaire pour payer ces primes.

Une telle organisation fournissait aux miliciens et légionnaires un service analogue à leur goût et à leurs habitudes alpestres. Il y avait, dans chaque compagnie, de bons officiers de ligne, propres à en diriger lés opérations; et l’on se rappelle qu’il entrait dans leur composition un tiers de voltigeurs de signe pour les appuyer. En outre, le bataillon de ligne qui était attaché à chaque brigade légère, donnait de la solidité à leurs opérations;. enfin,les primes qui leur étaient accordées, servaient de véhicule à leur émulation.

Les trois brigades susdites, ainsi organisées, munies d’instructions, et sous le commandement de bons chefs, furent placés de la manière suivante sur la ligne des avant-postes:

Le cours du Liri, depuis Sora, à droite, jusqu’à St. Eleuterio, à gauche, était garde sur la rive gauche par la brigade Deconcili de St, Eleuterio, suivant le cours de la même rivière, jusque au confluent du Tolero, était établie la brigade Tocco. Enfin, depuis ce confluent, en passant par Pico et St. Giovanni in Carico, sur la rive droite du Tolero, était une partie de la brigade Piccolelli; et le reste de cette brigade tournant à gauche, en suivant la configuration de la frontière et en occupant Pastena, Lenola et Fondi, finissait à la mer eu se couvrant du lac de Fondi.

La droite de mes avant-postes communiquait avec le second corps, établi en Abruzze, par la vallée de Roveto, dans laquelle on avait réparé et approvisionné le fort de Balsorano. Ainsi toutes les communications avec les Abruzzes étaient couvertes par le placement de notre droite. La gauche des avant-postes couvrait toute la vallée de Gaëte et appuyait à la mer.

Les deux brigades établies sur le Liri, après avoir opposé à l’ennemi tonte la résistance possible, devaient effectuer leur retraite avec des mouvemens excentriques, en évitant la plaine, savoir: la brigade Deconcili dans la chaîne de montagnes de droite, et la brigade Tocco dans celle de gauche. de ces positions, elles eussent fatigué les flancs et les communications de l’ennemi lorsqu’il serait arrivé dans le bassin de St. Germano. La brigade Piccolelli, par les débouchés des groupes de montagnes où se trouvent Pico et St. Giovanni in Carico, devait inquiéter l’ennemi dans les deux vallées. Cette brigade, profitant des localités dans les gorges de St. André, à Castellone, et au Garigliano, et aidé de coopération dans ces endroits par la garnison de Gaëte, pouvait elle seule, avec succès, retarder les mouvemens de l’ennemi, ce qui m’eût permis d’utiliser la première division sur un autre point, si cela eût été nécessaire.

Les dites trois brigades, en cas d’urgence, auraient trouvé des points d’appui à Montecassino et dans les Fratte. Et, si cela n’eût pas suffi, elles avaient en arrière des vallées, par lesquelles elles eussent effectué en toute sûreté leur jonction avec leurs divisions respectives. Ayant ainsi établi les trois brigades légères, j’ordonnai à leurs commandans de prendre connaissance par des espions, des petits dépôts de vivres et de fourrages, que l’on préparait déjà pour les Autrichiens au-delà du Liri, afin d’aller les détruire. Cela fut exécuté en partie dans l’espace de six à huit milles, (voyez Pièces 52, 83). 

J’ordonnai en outre que les brigades légères vécussent du pays, afin de consommé toutes les ressources locales en subsistance. Toutefois, pour ne pas faire tort aux habitans du royaume, j’exigeai qu’après leur avoir requis leurs denrées, ou leur en délivrât des reçus; et j’insistai près du ministre de la guerre afin que le parlement fit de suite payer les reçus. Mais le parlement ne prit aucune disposition à cet égard; et si les habitans des frontières, se voyant ainsi maltraités par leurs propres concitoyens, devinrent ennemis de cet ordre de choses, s’ils en vinrent peut-être, jusqu’à désirer l’arrivée de l’étranger, on ne doit point l’attribuer à celui qui, d’après toutes les règles de l’art militaire, se trouvait force à de telles mesures à celui, qui avait pris toutes les précautions pour en adoucir l’effet, mais à l’autorité qui ne le seconda point dans un tel but.

Après avoir ainsi trace le système que j’avais adopté pour les troupes légères, voyons quel fut celui de la troupe de ligne.

Le trois Mars, jour où, comme on l’a vu, je commençai toutes mes dispositions de détail, j’ordonnai que la première division fit, dans le jour même, sa concentration entre Fondi et Itri; que la quatrième, de ses cantonnemens du Liri et de la Melfa, se portât au camp de Mignano, où elle resterait rassemblée sous lés tentes, et que quelques bataillons de ses milices fussent cantonnés dans les villages voisins. J’ordonnai que les troupes de cette dernière division travaillassent à terminer les travaux du camp retranché. J’ordonnai enfin que la seconde division quittât Teano lorsque, le neuf Mars, elle serait devenue. forte de huit bataillons par la jonction de quatre, bataillons venant de Sicile, qui m’avaient été annoncés pour le huit. Cette division, en effet, se rendit, le neuf, aux cantonnemens de Toro, Presenzano, Sesto et Venafro.

Un. tel placement des trois divisions de ligne, qui fut entièrement exécuté, me donnait la facilité de réunir, en peu d’heures, à la quatrième division, qui était dans le camp retranché de Mignano, les deux autres divisions, savoir; la première, par le chemin de Rocca d’Evandro, long de quatorze milles seulement, et la seconde, par le grand chemin, pendant un espace de huit milles seulement. J’ai déjà dit que la première division pouvait, sans inconvénient, être retirée de ses cantonnemens. Quant au placement susdit de la seconde, outre qu’il donnait la facilité de la faire arriver en trois heures au camp de Mignano, il présentait encore l’avantage de faire observer, par cette même division, les deux avenues de l’Abruzze et de la vallée d’Atina. La seconde division, si l’ennemi venait en force de ces côtés-là, devait opposer assez de résistance pour donner à la division de Mignano le temps d’arriver à la Taverna de Cajanello, point d’embranchement des deux routes de l’Abruzze et de St. Germano, afin qu’elle ne fùt pas coupée du chemin de Capoue.

Les instructions pour le cas de retraite cadraient avec ce que j’ai exposé dans le pian, sur la nécessité d’éviter la plaine. A cet effet, je fis renvoyer à Capoue toute l’artillerie de campagne, en conservant au camp une seule batterie légère pour le service des avant-postes. Ce renvoi ne causait aucun préjudice, puisque le camp retranché était pourvu de quarante-six pièces de gros calibre, comme on le verra plus amplement par la suite.

Je vais passer maintenant à la description des ouvrages et fortifications. Dans ma sphère d’opérations existait en première ligne la place de Gaëte, qui était en parfait état de défense, et complètement approvisionnée pour trois mille cinq cents hommes pendant six mois. En seconde ligne était Capoue, dont les fortifications étaient en bon ordre, mais qui manquait d’artillerie et d’approvìsionnemens de siège, sur quoi je réclamai l’attention du ministre. Dans la vallée de Gaëte, la gorge de St. André, si facile à défendre, avait été fortifiée avec des ouvrages de campagne. Dans la vallée de St. Germano, on avait fortifié Montecasino, et l’on y avait mis une garnison de deux bataillons de miliciens et de deux compagnies de la garde; j’y fis entrée trois cent mille cartouches pour le dépôt des troupes légères de droite. Dans la même vue, je fis fortifier les Fratte; j’y établis garnison, et j’y fis mettre trois cent mille cartouches pour dépôt de la brigade légère de gauche et de celle du centre.

Je fis aussi fortifier les environs du village de Sesto, qui restait derrière la position de Mignano, vers la droite, pour appuyer l’opposition que la seconde division serait peut-être obligée de présenter à l’ennemi arrivant au côté de l’Abruzze, ou d’Atina.

Le camp retranché fut établi dans la position où la grande route, laissant à mille pas sur sa gauche le village de Mignano, traverse les montagnes qui forment cette gorge, longue d’environ un mille et demi. Dans cette gorge, on construisit huit redoutes; et dans le systéme, on comprit le village même de Mignano, et la Taverna qui est située sur le grand chemin, en la réduisant en caserne fortifiée. Ainsi, la gorge toute entière fut garnie de dix ouvrages; le village de Mignano était presqu’au centre de la ligne des redoutes; et par sa position saillante, il rasait les deux fronts avec ses feux. Les flancs de la ligne des redoutes s’appuyaient à droite et à gauche à des monts escarpés et boisés, dont elles étaient protégées; les feux des redoutes se croisaient tous sur les seuls passages qui existaient en avant. Il est bon de savoir que Mignano est situé sur un espèce de pais de sucre, isolé par le moyen d’un petit torrent qui l’entoure, et lui sert de fosse naturel. Ce village, étant fortifié, devint la citadelle du camp.

A un demi mille en avant de la gorge de Mignano, le terrain se rétrécit davantage, et les monts latéraux ne laissent entr’eux qu’un espace de trois quarta de mille. En cet endroit, le terrain est très-favorable pour la défense; et pour 2 profiter de cette position si. forte, je la destinai à être occupée journellement par une brigade entière, avec une batterie légère, comme position d’avant-poste. Cet avant-poste, renforcé au besoin, eût pu opposer une résistance vigoureuse; et si l’ennemi eût voulu le forcer pour faire une grande reconnaissance sur le camp de Mignano, il eût été forcé d’y sacrifier peut-être trois ou quatre mille hommes.

Ensuite, j’envoyai le général Escamard reconnaître les environs de Cascano, afin qu’il préparât les projets des autres ouvrages de campagne, que je jugeais nécessaires dans cette position pour mettre une quatrième ligne de résistance dans la vallée de Gaëte, et pour couvrir la retraite de toute ma gauche, qui aurait dû, comme je l'ai déjà dit, se rendre à Capoue en passant par les monta, et derrière Cascano, dans le cas où nous eussions éprouvé un échec à Mignano. Le général Escamard fit aussi reconnaître par mes ordres les environs de Bollano, petit village près de Mondragone, où, sur l’extrême gauche, entre les monts et la mer, il existe un passage que je désirais fermer avec des ouvrages passagers. Ces ouvrages de Cascano furent terminés en peu de jours, grâce à l’activité du général du génie; ceux de Bollano restèrent en souffrance.

Je sollicitais du ministre de la guerre de faire rendre impraticable une route très-inopportune, construite récemment dans les marais de Castel Volturno, par laquelle, ainsi que par la partie du fleuve qui est proche la mer, l’ennemi, venant de Mondragone, pouvait pénétrer, et faire nne pointe sur la capitale. Le ministre prit en considération cette demande avec la plus grande promptitude.

Par les soins du même ministre, quarante-six canons de vingt-quatre, en fer, montés sur des affûts de marine, arrivèrent aussitôt, et comme par un enchantement. Les canons nécessaires à la position de Cascano arrivèrent aussi; et sur ces deux points, le matériel correspondant à cette artillerie fut aussi expédié.

C’est ici que se termine l’exposition de ce qui avait rapport à mon pian de défense, tant pour les troupes que pour les fortifications. Je vais passer à d’autres objets, qui ont encore rapport au' système général de défense du royaume.

Le quatre Mars, je me rendis à Capoue, pour prendre des mesures relatives aux subsistances, et pour conférer avec le Prince régent, qui devait, ce jour-là, y transférer son quartier général. Il y vint en effet, et m’ordonna d’y rester jusqu’au lendemain matin. On convoqua un conseil militaire, présidé par le prince, et dans’ lequel intervinrent le ministre de la guerre, le chef d’état-major-général, et deux adjudans-généraux du prince. J’exposai devant le conseil tout ce que j’avais fait jusqu’alors; je reçus l’approbation unanime du conseil, qui déclara convenable l’attitude défensive que j’avais donnée au premier corps.

Je pensais toutefois, que cette disposition serait vaine, çi l’un n’adoptait un pian analogue en Abruzze, puisqu’un revers du second corps conduirait l’ennemi sur les derrières de la position de Mignano, ce qui obligerait à l’abandonner, malgré l’avantage de la localité et celui des ouvrages. Or, pour atteindre au même but d’établir, sur la ligne de toute la frontière du, royaume, une attitude uniforme, qui nous mit dans la position de rester sur la défensive, ou d’attaquer selon le besoin, je pensai qu’il fallait fermer près d’Aquila un autre camp retranché, en le munissant en partie des canons de fer du château d’Aquila, et en partie des canons de campagne du second corps. 

Je pensais, en outre, qu’il fallait renfermer dans le camp vingt à vingt-quatre des meilleurs bataillons de ligne et de milices du second corps; que là, on remonterait leur moral, en leur inspirant de la sécurité au, moyen de leur concentration et des ouvrages de fortifications du camp; tandis que, d’un autre côté, l’on introduirait la discipline dans ces corps avec de la sévérité et de la fermeté. J’ajoutais que le reste des troupes du second corps devait s’organiser en guérillas et en compagnies franches, pour tenir la campagne en faisant la petite guerre, et en s’appuyant de la coopération des habitans, que le général Pepe assurait être dans de bonnes dispositions.(36)

En supposant qu’on adoptât ces dispositions pour les Abruzzes, je dis aux membres du conseil: L’ennemi me semble devoir nécessairement prendre l’un des trois partis suivans: ou il passera outre, en laissant sur ces derrières le camp retranché; et alors, il est évident qu’il court à sa perte; ou il attaquera ce camp, et il est à présumer qu’il ne parviendra pas à s’en emparer facilement ni en peu de temps. Enfin, pour éviter ces deux partis, également funestes pour lui, s’il venait à temporiser et à faire la petite guerre, il n’en résulterait aucun désavantage pour nous. Au contraire, ce temps nous aurait servi à améliorer l’esprit des troupes (+), à les discipliner et les agguerrir, et a couvrir toujours davantage notre terrain d’ouvrages de campagne.

Mes idées sur les Abruzzes furent entièrement approuvées et le chef d’état-major fut chargé de rédiger les instructions et les ordres analogues. On crut devoir communiquer ces ordres au général en chef du second corps d’armée, par le moyen spécial du lieutenant colonel Cianciulli, officier distingué, parce qu’étant particulièrement estimé de ce général, il pouvait influer sur sa décision, et le seconder dans l’exécution du pian qui lui était communiqué au nom du prince, commandant suprême de l’armée. Cianciulli partit sans retard, et l’on dira, par la suite, quel fut le résultat de cette mission.

Après avoir terminé tout ce qui était relatif à l’exécution du système général de défense, il importe, pour bien faire apprécier la position où nous nous trouvions alors, de reprendre le récit de diverses circonstances concomitantes, et de faire voir tous les obstacles qui nous restaient encore à vaincre.

Les désertions furent surtout ce qui causait les plus vives alarmes. Nous avons vu plus haut qu’il y en avait déjà eu de considérables dès les premiers jours du mois de Mare. après celle de cent-quarante deux hommes du septième régiment, arrivée de vive force dans la nuit du premier au deux Mare, il survint la nuit suivante une autre désertion de cent hommes de la troisième compagnie des voltigeurs du régiment de la Reine; et le reste des trois compagnies de voltigeurs du dit corps mena9aient de faire de même. (Voyez Pièces 51, 52, 82.)

Plusieurs autres désertions et ammutinemens avaient encore eu lieu à Pastena, à Montestefauo, à Piconi, et à la Douane. (Pièces 49, 53, 54, 55.) Par la lecture du rapport N°. 53, on voit que les bons officiers prévoyaient déjà avec anxiété, au commencement de Mars, que nous étions menacés d’une catastrophe qui pourrait être funeste à leur honneur.

A la même époque, les rapporta du prévôt du camp annonçaient également que l’esprit de débandement était général dans l’armée, excepté dans la garde; et que, dans plusieurs régimens, l’on n’attendait qu’une première attaque pour abandonner les drapeaux.

Il y a plus: le bruit seul d’une approche supposée de cinq cavaliers autrichiens à Ceprano, suffit pour faire quitter la position de Pontecorvo à deux bataillons de miliciens ou légionnaires de Salerne qui s’y trouvaient postés.(37) (Voyez Pièce 50.)

Notre situation était aggravée encore par ce qui se passait à l’égard des mi lices. Nous avons déjà dit que, vers la fin de Février, quelques bataillons de miliciens et de légionnaires, des provinces de Naples et de Salerne, étaient arrivés à la.quatrième division; et après cette époque, de nouveaux bataillons d’autres provinces continuèrent à arri ver, mais avec les déficits et autres circonstances fâcheuses que je vais décrire. Sur quarante-huit bataillons de miliciens, destinés au premier corps, il n’en était arrivé que dix-sept seulement au dix-huit Mars, époque où tout fut terminé pour nous. Les Calabres devaient en envoyer quatorze, qui faisaient partie des quarante-huit sus-dits; mais lorsque l’ordre de-les faire mettre en marche arriva dans ces provinces, tout le monde fut étrangement surpris, puisqu’on n’y avait aucune idée de ces quatorze prétendus bataillons, dont il n’existait que les nominations d’officiers. On appela de suite ceux qu’on prétendait faire servir comme soldats; mais les appelés s’éloignèrent tous, et plusieurs se réfugièrent dans les montagnes. (Pièce 85.)

J’ai lu moi-même tous ces détails dans un rapport que le général Minutolo, alors sous-inspecteur des miliciens dans ces provinces, adressa au prince régent. Mais à supposer que les Calabrais, en général si obstinés dans leurs résolutions, eussent pu être persuadés de se rendre soudainement à un appel aussi imprévu, où étaient les habits, où étaient les armes, où était l’instruction, où était l’habitude du service, enfin cet ensemble de circonstances qui peut changer une masse informe d’hommes en de véritables bataillons? Quant au reste du contingent de Naples, deux bataillons de légionnaires, quoique choisis nominative ment, ne purent jamais être réunis. (Voyez Pièce «2.)

Enfin, les quinze autres bataillons, qui devaient fournir d’autres provinces, et qui devaient compléter les quarante-huit bataillons décrétés par le parlement, ne rejoignirent. également jamais.

On peut juger par tout cela, et il est inutile de le dissimuler, que la nation napolitaine n’était pas réellement disposée à soutenir cet ordre de choses au prix de son sang; mais si c’est une vérité douloureuse pour nous, il serait injuste d’attribuer au défaut d’énergie de la nation ce qui était la suite de mesures vicieuses et inconséquentes. Quel peuple eût pu prendre une attitude convenable de défense avec un ensemble de dispositions aussi ineptes? Au lieu de mépriser la nation, les étrangers devraient donc la plaindre d’avoir été aussi mal dirigée. Les Napolitains, dans trois ou quatre circonstances, ont été mis presque dans l’impossibilité de rien opérer convena bl e m ent. Mais ce peuple est loin de m anquer d’énergie; ses soldats ont figuré, avec h onneur, dans les plus grands exploits de notre époque. Dans le premier cours de la révolution française, les Napolitains avaient été les premiers à donner l’ exemple des réactions nationales contre les guerriers de cette nation. Lorsque, plus tard, les Espagnols s’immortalisèrent par la défense héroïque de leur patrie, ils avaient été précédés dans cette carrière glorieuse, par la défense de Naples, en 1799, et par celle de nos provinces méridionales, en 1806, qui diminua considérablement le nombre des c o mbattans de l’armée française, alors victorieuse.

Mais revenons.sur l’énumération des forces dont je pus vraiment disposer, afin qu’on puisse apprécier le parti que j’en tirai. Nous avons vu que trente-un des bataillons de miliciens ou de légionnaires, qui m’étaient destinés, n’avaient pas rejoint. Il n’en arriva donc que dix sept, qui montaient à environ dix mille hommes. Encore, sur ce nombre, trois mille seulement pouvaient faire la guerre; le reste était sans armes, ou hors d’état de servir, par d’autres raisons, (Pièces 70, 85.) Par exemple: il arriva un bataillon de six légionnaires du Sannio, fort de sept cents hommes, m a is dont cent quarante-cinq seulement avaient des fusils. Sur ce nombre de fusils, trente-cinq étaient absolument sans platines; et sur les cent dix restans, à peine dix-sept furent trouvés en état de service. Il en fut de même à peu près de tous les autres bataillons qu’on envoyait des autres provinces.

Il eût été convenable de renvoyer une partie de ces hommes dans leurs f o yers, pour éviter au moins la charge de telles masses, ainsi que le désordre qu’elles devaient nécessairement amener partout où elles se trouveraient; mais la seule proposition d’une mesure aussi utile eût été considérée comme trahison, comme tenant au dessein d’arrêter l’élan national, et de diminuer le nombre des défenseurs de la patrie.

Il fallut donc se résigner, et retenir à l’armée la totalité de ces prétendus soldats. Cependant, à mesure qu’ils arrivaient des provinces, on séparait ceux qui étaient absolument hors d’état de se battre, et ils étaient envoyés à Sainte Marie de Capoue, derrière le Volturno, sous les ordres du général Casella. Dans cette ville, on en réunit environ sept mille, qui, par jour, recevaient neuf mille rations de vivres et trois mille ducats, dans une époque où il y avait une si grande pénurie et de vivres et d’argent. Les miliciens et les légionnaires, même ceux placés sur les derrières de l’armée, furent, pour toute espèce de livraisons, préférés toujours au reste de l’armée, afin de leur ôter tout prétexte de déserter. Or, il est bon de savoir que chaque milicien ou légionnaire coûtait à la nation autant qu’un sous- lieutenant. Outre les vivres de campagne, ils recevaient chacun deux carlins par jour; on donnait, en outre, un Carlin par jour aux familles de plusieurs d’entr’eux. Et malgré tant d’efforts en le u r faveur, ils ne surent qu’accabler de vexations les citoyens des communes où ils passaient, et que donner l’exemple des désertions, dans plusieurs desquelles ils avaient leurs chefs à leur tète. (Voyez Pièce 65, 67, 75, 78, 83, 85, 86.)

Durant tous ces désordres, je retournai de Capone4 Mignano, le soir du cinq Mars. Je fus alarmé autant de la démoralisation de toute l’armée que de l’indiscipline particulière des milices.

Je convoquai des généraux et des officiers d’état-major pour conférer sur cet état de choses. Un de ces derniers proposa d’envoyer co m me parlementaire aux Autrichiens, quelque officier intelligent, pour découvrir leurs intentions, pour observer leur attitude, et pour savoir si l’on pouvait conserver l’espoir d’une honorable transaction, dans le cas où le secret de notre faiblesse et du mauvais esprit de notre armée ne serait pas encore connu. Tous les généraux prèsen s approuvèrent cette idée; moi, se ul, je m’y opposai par délicatesse, non que mes collègues n’en eussent autant que moi, mais parce qu’en ma qualité de commandant en chef, il m’appartenait d’empêcher toute communication avec l’ennemi, si elle n’était ordonnée, ou au moins autorisée par les pouvoirs de l’était.

Cependant, pour entrer dans l’esprit des vues qu’on me proposait, et qui me semblaient assez convenables, j’envoyai à Naples le major Lombardo, dans la nuit du cinq au six, pour informer le prince et le ministre de la guerre de l’état mora l de l’armée, et pour leur faire part de mon opinion qu’il serait utile de pouvoir transiger le plutôt possible.

Toutefois, prévoyant la possibilité de quelque honteux événement, j’ordonnai d’introduire de suite vingt-mille rations de vivres à Mignano, pour y réunir au besoin les militaires qui voudraient se battre, afin que, faisant une vigoureuse résistance dans ce village fortifié, ils pussent au moins sauver leur honneur particulier, et se soustraire à l’opprobre de ceux qui, dans une action générale, abandonneraient la défense de la frontière que la patrie leur avait confiée. La proposition que je fis à cet égard fut approuvée de tous ceux qui m’écoutaient. Je demandai alors au général Filangieri si l’on pourrait c ompter sur la garde pour la défense de Mignano; mais il répondit que no n ; qu’au contraire, ce corps avait décidé. d’envoyer une députation aux Autrichiens, dès qu’ils se présenteraient, pour leur déclarer que leur intention n’était pas de se battre contre eux, puisqu’ils les regardaient comme les alliés du roi.(38)

Le jour suivant, je fis retirer dans le camp retranché de Mignano, les trois bataillons de milices qui appartenaient à la quatrième division, deux desquels, laissés précédemment sur le Liri, avaient abandonné leur position, à. la fausse alarme qui avait eu lieu à Pontecorvo, comme nous l’avons dit plus h aut. Le colonel Bellelli, leur compatriote, les harangua; on les envoya dans de bons cantonnemens, et on les pourvut de tout. On espérait les satisfaire et les tranquilliser par de tels soins; mais dans la nuit même du six, un grand nombre d'entr’eux déserts. Cependant, cette dernière désertion n’eût point un mauvais effet sur l’esprit de ceux qui restaient, et cette espèce d’épuration fut. au contrai re favorable.

Le même jour six, je résolus d’expédier un autre officier au parlement, afin de répéter mes.rapporta sur le moral de l’armée et sur la mauvaise conduite des milices; afin de lui dépeindre l’apathie du peuple, et la nullité de la secte, tant dans l’intérieur qu’à l’extérieur,tandis qu’au contraire, elle avait la plus pernicieuse' influence sur l’esprit de la nation, par les désordres qu’elle occasionnait. Je desirais aussi qu’on fit pressentir au parlement le malheur d’une prochaine catastrophe, si l’on n’apportait un prompt remède. Enfin, je voulais qu’on sollicitât de nouveau une loi sévère contre les désertions. Ce fut le troisième rapport direct que je fis au parlement sur l’état mora l de l’armée.

Le colonel Pegnalverd, que j’envoyai à cet effet, était plein d’intelligence et de moyens, et il ne manqua pas de présenter au parlement un tableau bien détaillé de notre position. Il retourna à Mignano le jour suivant, et il me rapporta que les députés du parlement étaient convenus que la masse des milices était trop nombreuse pour servir utilement; et que si l’on ne faisait un choix, leur mauvais esprit pourrait avoir une funeste influence sur la troupe de ligne, et surtout sur les congédiés dont la démoralisation augmentait journellement. Ils étaient également convenus de s’être trompés en croyant trop aux apparences d’un élan national, et ils avaient reconnu la nécessité de transiger honorablement le plutôt possible. Ils avaient enfin promis d’adopter de mesures vigoureuses contre les désertions, et de faire ce qui serait convenable quant à l’appel trop nombreux des milices.

En effet, le dix Mars, le parlement décréta une loi, qui statua la peine de mor t contre la désertion, et qui établit une procèdere plus rapide pour en juger. (Voyez Pièce 63, 68.) Il fut ordonné, en outre, qu’à mesure de l’arrivée à Naples des autres bataillons de milices, on examinât les.dispositions de ceux qui en faisaient partie; qu’on renvoyât en arrière ceux de mauvaise volonté, et que seulement, ceux animés d’un bon esprit fussent dirigés sur la frontière.

Pour l’exécution de ces ordres, on destina le général Vairo, qui fut chargé d’inspecter à Naples les susdits bataillons, à mesure qu’ils arrive raient, et de sonder les intentions des soldat s . Cela fut pratiqué sur trois ou quatre bataillons, dans lesquels il ne se trouva pas un semi homme qui voulût aller à la frontière ; et l’on fut ainsi obligé de les renvoyer en totalité dans leurs pr o vinces. Mai s cette mesure eût le mauvais e ff et d’indisposer les autres miliciens, qui restaient à la frontière, et de leur inspirer toujours. plus a r demment le désir de s’en retourner chez eux, d’où la force les avait arrachés, et dont maintenant, disaient-ils, l’injustice seule les tenait éloignés, tandis qu’il était permis à d’autres miliciens de s’en retourner. Enfin, pendant que par c et excès de mauvaise volonté, les miliciens c riaient à l’injustice, les sectaires d’un autre côté, présentaient ces renvois de miliciens comme une tra h ison, qui privait la nation du bras de tant de zélés défenseurs!....

Cependant, pe u t-on trouver des pre u ves plus évidentes que fa nation n avait aucune volonté de se batti pour cet ordre de choses? Mais dira-t-on peut-être: les miliciens marchèrent pourtant. Je répondrai d’abord, que cette assertion est très-inexacte; beaucoup de bataillons ne se mirent pas seulement en marche; quant à ceux qui le firent, il y manquait plus de la moitié du contingent, et il ne partit que la lie du peuple, ou de mauvais remplaçans, et pas un propriétaire. En second lieu, je le répéterai encore: ce ne fut pas la bonne volonté, ce ne fut pas l’enthousiasme, mais la seule contrainte locale employée par la secte, qui produisit toute cette fantasmagorie. 

Mais ensuite, quand on vit arri ver des malheurs, qui étaient inévitables, après tout ce qu’on avait fait, et qui tant de fois avaient été prédite, l’on voulut absolument prétendre que la nation brûlait de voler aux armes, et qu’elle en avait été empêchée par ses généraux! J’espère qu’après tous les faits que je viens d’exposer, faits qui sont appuyés par tant de docu mena, dont plusieurs émanent des apôtres même de la révolution, faits que peuvent affirmer tant de témoins de ces tristes événemens, l’on ne pourra désormais prêter foi à cette ridicule et calomnieuse imputation.

Le parlement, sur tant de rapports uniformes qui lui parvinrent, soit des autorités, soit de ses agens secret s qui étaient à l’armée, eût la conviction qu’il serait utile et prudent de transiger. Il était toutefois effrayé des menaces de la secte qui ne voulait aucun accommodement; le six Mars, un député influent me disait que le parlement s’était trompé en croyant à des démonstrations, qu’on avait prises pour l’expression de la volonté générale, mais qu’aux premières propositions des Autrichiens, il les accepterait, p o urvu qu’elles fussent honorables; je lui fis observer que peut-être l’ennemi ne ferait plus de telles ouvertures, après avoir vu repousser lés premières avec tant de mépris; j’ajoutai que, si le parlement convenait de la nécessité de transiger, il devait peut-être se décider à prendre l’initiative plutôt que d’exposer la nation à une ruine totale, en attendant de l’ennemi des propositions que, vraisemblablement, il ne ferait pas ; maintenant observons bien la réponse que me fit ce député, et l’on sera convaincu de l’état de terreur dans lequel se trouvait le parlement à l’égard de la secte: “Général!” me dit-i l, “une telle initiative ne peut être prise par le parlement. Nous sommes tous sur une lame de couteau; et si les étudians pénétraient le projet de transiger, ils nous tueraient tous; peut-être que le prince régent lui-même ne se sauverait pas.” Or, que doit-on penser de la conduite d’un corps représentatif, qui, convaincu de la nécessité d’une grande mesure de salut public, en écarte l’adoption par d’étroites considérations de sûreté particulière?(39)

Cependant, le ministre de la guerre, excité par son patriotisme, fort d’ailleurs de l’évidence des choses, ainsi que des renseignemens que je lui avais donnés, se décida à exposer officielle m ent le peu d’espoir qu’on avait de faire la guerre avec succès, et il préféra s’exposer à tout plutôt que d’éviter une démarche qui pouvait sauver la patrie. Dans un conseil de ministres, qui fut présidé par le prince, il ouvrit l’avis: “Que sans qu’on disconti n u â t les préparatifs de défense, il pourrait être utile d’ouvrir, en même temps, la voie des négociations. Lorsque Napoléon lui-même, dit le ministre, qui possédait tant de moyens de guerre, envoya trois divisions pour s’emparer des états romains, qui étaient si loin de toute attitude guerrière, il né manqua pas de faire précéder ses troupes par des diplomates, préférant atteindre son but, s’il était possible, sans employer les armes. après cet exemple, le ministre conclut que notre position, étant précisément l’inverse de celle de Napoléon, dans le cas dont il s’agit, c’était à plus forte raison qu’on devait employer les deux voies simultanément.”

Quoique les autres ministres eussent la même opinion, cependant aucun d’eux n’osa marquer son approbation, tant on craignait alors de parler de transaction. Le prince répondit: “Qu’il ne voulait point prendre sur lui une telle résolution; et que, si on le jugeait convenable, il fallait interpeller à cet égard le parlement.” Un e autre difficulté s’éleva alors: il s’agissait de savoir à quel ministre il appartenait de faire une telle ouverture, chacun d’eux désirant s’en dispenser devant un parlement qui, sous le précédent ministère, avait imput é à crime de simples communications. Le ministre de la guerre dit qu’une proposition de cette nature devait être fait e par le ministre des relations extérieures; mais celui-ci chercha tous les subterfuges pour s’en dispenser. Alors le général Col l eta se chargea lui-même de faire cette proposition au parlement; Mais le parlement, quoique bien convaincu alors de la nécessité de telles négociations, chercha également à esquiver de se prononcer, sur le motif: que cela était dans les attributions du pouvoir exécutif. Le ministre répondit: “que le pouvoir exécutif lui-même désirait qu’une affaire aussi importante fut décidée par le parlement national.” Alors on tomba d’accord de la mesure, et l’on en vint à l’idée du message qui fut envoyé au roi à Florence par le moyen du général F ardella,

Pendant que de telles discussion s avaient lieu dans le cabinet et dans le parlement, on commençait à entrevoir quelque amélioration dans l’esprit des troupes du premier corps. En voici les diverses causes: d’abord, le renvoi à St. Marie de Capoue des miliciens et des légionnaires qui étaient hors d’état de servir, ainsi que la désertion de ceux qui étaient de plus mauvaise volonté, avaient déjà produit une épuration salutaire par mi ceux qui restaient au camp. En second lieu, ceux-ci se trouvaient rassurés parce qu’on les avait retirés des positions du Liri, où ils se croyaient trop exposés. D’ailleurs, le moral de toute l’armée se remontait chaque jour, parce qu’elle se voyait concentrée et protégée par de bons ouvrages de campagne. 

Elle était en outre bien nourrie, et la solde était exactement payée, outre ce que les soldats gagnaient en travaillant aux ouvrages. D’un autre côté, la désertion fut encore arrêtée par, le spectacle des nombreuses arrestations, qu’on parvint à faire des déserteurs, (voyez Pièce.58,) qui furent mis en jugement. A la même époque, p arvin t la nouvelle que l e parlement allait prononcer la peine de mort contre la désertion, et cette, nouvelle effraya ceux qui en eussent encore été tentés. Enfi n, le contact de la garde, qui conservait de la tenue et de la discipline, in flua it encore sur l’amélioration morale des autres c orps.

Pendant ce temps-là, ma position m a térielle devenait aussi plus forte de jour en jour, par les ouvrages qui furent achevés, ou ceux qu’on ajouta. Cette circonstance, jointe au changement dans l’esprit de l’armée, produisait un ensemble sur lequel on commençait à pouvoir fonder quelqu’espérance. Le temps eût pu amener les autres progrès salutaires ; et aussi sous ce rapport, les apparences étaient favorables; car il semblait que l’ennemi, depuis quelques jours, avait suspendu ses mouvemens. Il avait l’air d’être indécis, après avoir opéré ses développemens,(40) ce qui pouvait faire croire que son véritable dessein avait été de pénétrer par la vallée de St. Germano, comme on l’avait suppose, et comme l’annonçait la position de ses troupes. Il semblait que l’attitude de notre premier corps eût déconcerté son pian, ce qui le rendait incertain sur la question de savoir s’il le changerait, ou s’il suivrait le premier, mais en prévoyant bien qu’il pourrait rencontrer des obstacles sur lesquels il n’avait pas comptés d’abord.(41) . Comme je connaissais le place m ent de ses divisions, le§ endroits où l'on avait établi lès dépôts de vivres, et beaucoup d’autres circonstances, je me confirmai dans l’idée qu’il investirait la vallée de St. Germano, et je n ’en étais point fâché. Mais à quoi devaient servir toutes ces combinaisons, et tous nos efforts? Toute l’ activité déployée dans le premier corps devait être inutile, et toutes nos espérances devaient bientôt s’évanouir!

Le sept Mars, je m’étais porte à Cascano, pour visiter les travaux de fortifications qu’on achevait, J’étais de retour, et j’arrivais a la poste de Fr ancolise, à quatre heures du soir, lorsque je re?us une lettre du ministre, conçue en ces termes: “Le commandant en chef du second corps existant en Abruzze, adonné connaissance, par une lettre arrivée ce matin à Naples, qu’il attaquerait les Autrichiens, le sept, avec vingt bataillons. Votre Excellence est. trop bon général polir que j’aie besoin de lui suggérer ce qu’il convient de faire en pareil cas.” Une telle lettre me remplit d’étonnement et d’alarmes. Le général Pepe avertissait qu’il attaquerait le sept, et moi, pour le seconder, je n’étais prévenu que le même jour. J’ignorais en outre le point et le but de son attaque, ainsi que l’espèce de coopération qu’il désirait de la part du premier corps. Je trouvais surtout bien étrange qu’il ne se fùt pas entendu avec moi sur cette coopération. En outre, la guerre n’était point encore matériellement commencée, et elle ne devait pas

l’être alors, puisque le parlement s’était décidé à négocier, et puisque le prince régent, par le moyen de Cianciulli, avait ordonné au général Pepe de se tenir sur la simple défensive. D’ailleurs, il était de toutes les manières, dans notre intérêt de retarder le commencement des hostilités, soit pour attendre l’issue des négociations, soit pour avancer nos moyens de défense, et surtout les retranchemens du camp d’Aquila. Cependant, au milieu de mon anxiété, j eus quelque espérance que l’attaque n’aurait pas eu lieu, parce que le lieutenant-colonel Cianciulli devait arriver à Aquila avant le sept.

Me flattant donc que je pourrais encore réparer quelque inconvénient, j’expédiai, de la poste même de F rancolise, le major Rivera, avec ordre au général Brachetti qui se trouvait à Mignano, de faire partir de suite pour Aquila le major Blanco, officier très-actif et d’un mérite distingué, avec une lettre de ma part au général Pepe, et afin qu’il s’abouchât avec lui sur tout ce qui serait nécessaire. J’écrivis au général: “Que s’il était décidé à agir offensivement, je le priais d’en faire part à l’officier porteur de ma lettre, et de m’indiquer en réponse laquelle des trois-coopérations suivantes il attendait du premier corps: ou une diversion, en attirant vers nous l’attention de l’ennemi par les opérations de nos troupes légères du côté de Frosinone et de Veroli, ou un prompt secours de troupes, ce que j’aurais effectué en lui envoyant une brigade par la vallée de Roveto, ou, enfin, des secours plus considérables, et que, dans ce cas, on les aurait fait passer par les lignes intérieures de communication; Que de toutes les manières il me fit part de ses désirs quanta la coopération qu’ il vo u lait avoir de moi.” Le major Blanco, le même soir, à huit heures, était déjà à cheval, et il s’achemina en toute diligence vers les Abruzzes.

Le neuf au matin, je fus appelé à Capoue, polir assister à un conseil présidé par le prince, et dans lequel intervinrent les généraux accoutumés. Deva nt cet conseil,'j’exposai, avec toute la forte dont jé fus capable, Combien était imprudente et fatale la résolution du général Pepe d’attaquer l’ ennemi, résolution qui, ne pouvant jamais présenter que les plus l égers avantages, nous exposait à des dangers incalculables. Je priai le conseil d’examiner mes vues avec la plus grande attention, puisqu’il y allait de notre perte totale ; et que, dans le cas où ils les trouverait fondées, on expédiât en Abruzze, au général Pepe, les ordres les plus précis de ne pas prendre l’initiative dans l’attaque ; et de suivre, à la lettre, le pian qu’o n lui avait enjoint. On approuva ce que je proposais, 'd’après l'espérance que l’attaque aurait été empêchée par Cianciulli, qui, jouissant de l’ esti m e du général Pepe, serait parvenu peut-être à cal mer so n ardeur. En conséquence, on e nv o ya au général Pepe des ordres conformes à la proposition que je venais de faire.

Malheureusement, il était déjà trop tard, comme o n le verr a bientôt.

Après le conseil tenu à Capone, dans la matinée d u n eu f Mars, je repartis pour Mignano. En chemin, je reçus un rapport de l’officier supérieur de mon état-major, qui était chargé de la h aute-p o lice militaire de l’armée. Il m’informait que l’annonce d’une opération offensive de la pari du s e cond corps était encore inconnue à l’armée,(elle le fut jusqu’au douze Mars) mais que la nouvelle en avait pénétré dans mon quartier-général, et qu’elle était connue de plusieurs généraux; que le sentiment qu’elle avait fait naître était un mélange de crainte et d’espérance, mais que la crainte dominait, en pensant que l’o pération aurait eu lieu sans la coopération du premier corps. On ajoutait que les deux tiers des vingt bataillons destinés à J’attaque seraient Sans doute des milices, très-peu propres à l’offensive, et qu'ainsi l’on devait craindre de fâcheux résultats. Enfin, l’on faisait la réflexion que la guerre pourrait être décidée par cette opération hasardeuse, puisqu’un seul revers porterait l’armée ennemie sur les derrières des positions de Mignano, et influerait d’une manière fatale sur l’esprit des troupes du premier corps qui commençait à peine à s’améliorer.

Je poursuivis mon chemin, mais à douze milles de Mignano, je rencontrai le lieutenant-colonel Cianciulli, qui revenait des Abruzzes. Cette apparition prématurée fut pour moi d’un funeste augure... Il descendit pour me parler... J’appris la fatale nouvelle.... Le second corps d’armée n’existait déjà plus!...

J’engageai Cianciulli à accélérer sa marche sur Capoue, et ensuite sur Naples, afin d’anno n cer un si grand désastre au prince et au parlement. Pour donner une idée précise de cet événement, ainsi que des circonstances qui l’ont accompagné, je raconterai l’entrevue qui avait eu lieu la même matinée près d’Isernia, entre le lieutenant-colonel Cianciulli qui revenait des Abruzzes, et le major Blanco qui s’y rendait par mon ordre. Le premier en rencontrant le major lui demanda l’objet de sa mission; Blanco lui en fit part, mais il vit déjà quelque chose de triste sur la physionomie de son collègue. En e ff et, Cianciulli lui conseilla de ne pas aller plus loin, ajoutant que sa mission devenait inutile, puisque le second corps était t o ut-à-fait dissous depuis l’affaire de Rieti, arrivée le sept. Il lui dit, que ses prières, celles du général Russo (42) et de plusieurs autres officiers, n’avaient pu détourner le général Pepe de son obstination à faire l’attaque. Il avait allégué que cela était in dispensa b le, parce qu’il apercevait des symptômes de dissolution (+)

Cianciulli ajouta que l’affaire de Rieti n’avait dure que peu d’heures, et avec une perte légère des deux côtés; q u’ auparavant, les Autrichiens semblaient indécis, qu’ils n’étaient pas disposés à attaquer; et qu’ils s’attendaient encore moins à l’être ; (43) que la présence d’artillerie ennemie, plus par le bruit que par son effet, avait m is en désordre les miliciens et les légionnaires (+); que le troisième régiment d’infanterie légère avait seul tenu; que ce corps, sous les ordres du général Russo, avait sauvé la re t raite, occupant Antrodocco; qu’il ne lui restait plus que sept cents hommes, insuffisans pour garder le front et lès flancs de cette position; que lès Autrichiens étaient à Civita Ducale, et suivaient lentement et en masse le mouvement de notre retraite. 

Cianciulli dit en outre-que le général Pepe était retourné à Aquila avec la plus grande partie de l’artillerie; qu’on ignorait lé sort du général Verdinois, resté sur lè Tronto, du colonel Signori, qui s’était porté vers la vallée de Roveto, et celui du général Mari et du colonel Manthone, qui se trouvaient sur d’autres points (44). La cavalerie seule se trouvait encore rassemblée; les miliciens et légionnaires en général, mais surtout ceux d’Avellino et de Capitanata s’étaient débandés, ils commettaient de graves désordres, et avaient une influence pernicieuse sur le ’peu de troupes-qui restaient. Enfin, le lieutenant-colonel Cianciulli dit qu’il s e rendrait à Naples pour faire son rapport sur tous ces événemens, et il répéta au major Blanco de retourner sur ses pas, attendu que sa missio n était désormais sans objet.

Blanco, tout en convenant de l’inutilité de sa mission, excité cependant par son zèle, préféra se porter en avant, afin d’observer de plus près l’état des choses et de me donner des nouvelles plus récentes. Il poursuivit donc son chemin, mais il trouva la communication de Sol n ona fermée par les miliciens d'Avellino, qui saccageaient et tiraient de toutes parts des coups de fusil, sans épargner les officiers, et en criant à la trahison (45). Ainsi le major Blanco fut absolument forcé de revenir sur ses pas.

Les habitans des Abruzzes étaient déjà indisposés contre les miliciens d'Avellino, pour la conduite qu’ils avaient tenue en se rendant au second corps; ils s’irritèrent encore davantage des excès que ces derniers commettaient en se retirant, et l’on voyait les paysans en armes combattre les soldats débandés. Ainsi le cour rage et l’énergie se consumaient en tristes guerres civiles, tandis qu’ils disparaissaient devant l’armée ennemie, que les soldats évitaient, et qui était désirée par les habitans.

Après une affaire aussi désastreuse, on à dû nécessairement se demander quels motifs impérieux pouvait avoir le général Pepe de faire cette attaque, et quel but il se proposait d’atteindre par une telle opération? Quant à la première question interrogé lui-même à Isernia, le douze Mars, pourquoi il avait attaqué malgré l ’ordre contraire du prince, commandant-général de l’armée et chef du pouvoir exécutif, il réduisit ses motifs aux trois suivans:

1°. Le défaut de vivres;

2°. La dissolution qui s’annonçait dans les milices;

3°. L’effet qu’on avait à craindre d’une certaine proclamation du roi, qui commençait à circuler dans l’armée.

On a répondu, sur le premier motif, qu’il n’existait point dans la réalité; il y avait tant de vivres en Abbruzze qu’avec de l ’ordre dans les distributions, on eût pu long-temps soutenir le second corps. En effet, les Autrichiens y trouvèrent de grandes ressources en s u bsistances, et voici un passage du bulletin de leur armée en date d’Antrodocco, le dix Mars, qui le prouve parfaitement: “L’armée a trouvé dans les Abruzzes une telle quantité de vivres, que le général en chef a jugé à propros de ne point se servir des provisions qu’il avait fait venir des états romains.”

Quant aux deux autres considérations, alléguées par le général Pepe à Isernia, on lu i a oppose que, pour empêcher la dissolution de l’armée et l’effet de la proclamation attribuée au roi, dont nous parlerons encore plus bas, il était bien plus convenable de resserrer ses troupes dans un camp retranché, comme on lui en avait donné l ’ordre, que d’entreprendre une opération à peu fondée en espoir de succès, d’après la nature de ses troupes, et si s econde en désastres irréparables, si elle venait à échouer.

Quoiqu’il en soit de ces diverses raisons, je dois rapporter que l’opinion la plus accréditée & cette époque, sur la cause déterminante de l’attaque, fut que plusieurs des principaux sectaires, ainsi que onze députés du parlement, qui étaient dans le même système, avaient écrit au général Pepe: “de se hâter d’attaquer et de commencer physiquement la guerre, en commençant les hostilités, parce qu’on parlait déjà de négociations.” Or, nous avons déjà dit que, dès le commence ment de Mars, le parlement s’était décidé à envoyer un message au roi pour entrer en négociations, mais que, d’un autre côté, la secte était opposée à toute espèce de transactions; et ces deux circonstances réunies re n daient assez vraisemblable l’explication qu’on donnait alors A une attaque-aussi inattendue.

Maintenant, quant au but que pouvait se proposer le général Pepe, en hasardant une telle opération, nous le trouvons indiqué dans la brochure qu’il a publiée à Paris en 1822. Il dit d’abord, page cinquante six: “Je pris la résolution de faire une reconnaissance.” Mais ensuite, passant à l’énumération des troupes qu’il y employa, il les fait monter à douze mille hommes, en y comprenant la petite colonne qu’il envoya du côté de Piediluco. Or, on lui à oppose que s’il voulait se borner à une sinople reconnaissance, il était contre toutes les règles de l’art d’y employer la presque totalité de ses forces. 

En supposant donc, ce qui semble justifié par l’emploi d’une force aussi considérable, qu’il eût l’intention de faire une opération importante, on s’est cr u fonde à lui reprocher en définitive qu’il fa entreprise avec trop de légèreté; en effet, se disait-on, où se trouvait sa seconde ligne? où était sa réserve? quelles furent ses dispositions pour le cas de retraite, dispositions absolument indispensables dans une opération de vigueur, et qui aurait eu un but déterminé? peut-être le général Pepe pourrait-il présenter d’autres motifs, sinon pour se justifier sous le rapport politique et militaire, du moins pour atténuer le tort qu’il eût de prendre sur lui le commencement des hostilités, en désobéissant aux ordres précis du prince, et en se hasardant à une résolution dont les conséquences visibles devaient être si funestes.

Le dix Mars, le conseil ordinaire des généraux, présidé par le prince, se réunit à Torricella, pour aviser aux mesures nécessaires après la défaite du second corps, qu’on ne croyait cependant pas aussi considérable.

La question qui s’agita dans le conseil, fut de savoir si l’on devait, avec une partie du premier corps, renforcer le second, afin d’en remonter le m ora l, et pour tenter de sauver les Abbruzzes; ou si le premier corps devait continuer à couvrir la capitale, en se bornant à protéger le mouvement de retraite du second corps.

Le ministre, qui, du reste, n’était pas présent au conseil, était de la première opinion. après les événemens, on a assuré qu’elle était partagée aussi par le chef d’état-major, mais je ne la lui entendis point exprimer dans le conseil. Enfin, l’on prétend que plusieurs députés du parlement pensaient de même. Quant à moi, je fus de la seconde, et je l’appuyai devant le conseil par les quatre raisons suivantes.

1°. Si, pour les deux corps d’armée, il eût existé une réserve, comme cela eût été indispensable, nul doute qu’elle n’eût dû marcher de suite ver s l’Abbruzze après l’affaire de Rieti, pour soutenir le second corps, arrêter sa dissolution, et pour tâcher de sauver ces provinces en s’opposant à l’ennemi. Mais l’exiguïté de nos moyens militaires, dont j’ai développé les causes si multipliées, avait rendu impossible d’établir une réserve commune pour les deux corps. Si le premier corps, il est vrai, eût lui-même éprouvé une déroute, le second corps eût dû certainement le secourir, lors même qu’il en eût dû résulter la perte des Abbruzzes. Mais, dans le cas inverse, jamais le premier corps ne devait découvrir la capitale, et marcher en Abbruzze, pour secourir le second corps, et sauver ces provinces. Ne pouvant les sauver en même temps que Naples, c’eût été une démence d’hésiter dans le choix, puisque la prise d’une capitale a toujours tant d’influence sur le sort d’un état.

2°. L’armée ennemie n’avait pas déployé tous ses mouvemens, ni porté toutes ses forces sur sa gauche; ainsi nous ne pouvions être conduits à porter sur notre droite toutes les forces dont nous.pouvions disposer. Quelle imprudence n’eût -ce pas été de dégarnir presqu’entièrement la vallée.de St. Germano, comme s’il ne se fut trouvé aucune force ennemie contre ce point? Dans le fait, les Autrichiens n’avaient à Rieti que la seule division Walmoden; les quatre autres divisions étaient dans une attitude menaçante ver s la direction de St. Germano, puisque l’une d’elles était à Tivoli, et puisque les trois autres étaient en échelons depuis Terni jusqu’à F oligno. On devait raisonnablement présumer que les Autrichiens, tranquilles maintenant sur leur flanc gauche, après l’échec qu’ils nous avaient fait éprouver à Rieti, tenteraient d’arriver promptement à la capitale par la route la plus courte et la plus riche en ressources; et c’était précisément celle de St. Germano, la même que le ministre 'proposait d’abandonner. Les faits postérieurs ont justifié mon raisonnement, car les divisions de Hesse-Hombourg et Lederer, avec la moitié de celle de Stutterheim, pénétrèrent par la vallée de St. Germano; quant à l’autre moitié de c ette dernière division, et quant aux deux autres de Walmoden et Wied, elles pénétrèrent par les Abruzzes.

3°. Quel était le but principal du mouvement, qu’on voulait taire exécuter au premier corps vers les Abruzzes? Ce n’était pas certainement pour sauver ces provinces, car il était trop visible qu’il n’y avait pas de remède à leur perte pour le moment. On se bornait donc à dire que c’était afin de remonter le mora l du second corps. Mais qui pouvait assurer que le premier corps lui-même, par son contact avec le second, n’eût pas perdu le peu de bon esprit qu’il commençait à acquérir? Les faits ultérieurs, comme on le verr a par la suite, prouvèrent également que je ne me trompais point dan s une telle crainte.

4°. Enfin, dans le systéme général de défense, adopté pour le royaume, op avait prévu le cas d’un revers dans les Abruzzes; et l’on avait calculé que cela mettrait cinq provinces en la possession de l’ennemi, savoir les trois Abbruzzes, Molise, et Capitanata. Dans ce pian, l’on avait décidé qu’en cas d’un tel malheur, tous les moyens défensifs devraient se porter derrière une seconde ligne de résistance, formée entre les deux mer s par Je cours des fleuves Ofa n to, Calore, et V o lturno, liés par Ariano et Capoue; et jamais on n’avait prévu la possibilité, qu’étant battus en Abbruzze, nous pussions encore conserver la rive droite des deux derniers cours d’eaux que nous venons d’indiquer.

Après quelque discussion dans le conseil, on se range a de mon avis, qu i ne convenait pas de découvrir la capitale pour secourir le second ( tl) corps!” Ensuite, j’exposai ce que je croyais utile, non seulement pour faciliter la retraite des restes du second corps, mais encore pour les p l acer dans une position qui entrât dans un système général de résistance, propre à retarder l’approche de l’ennemi. Pour arriver à ce but, je proposai: “de faire occuper la position de Rionero par sept bataillons, dont trois auraient été fournis par le premier corps, et dont les quatre autres, déjà destinés au second corps, et qui se trouvaient en chemin, ne l’avaient point encore rejoint lorsque l’affaire de Rieti avait eu lieu. On eût fait quelques ouvrages de campagne dans cette position de Rionero, en la garnissant de deux pièces. 

Le général Russo, avec les restes du second corps, étant arrivé à Rionero, s’y serait arrêté, en prenant aussi le commandement des sept susdits bataillons qui s’y seraient trouvés stationnés. Les hommes du second corps, qui n’auraient pas été propres à continuer la campagne, ainsi que le reste de l’artillerie et du matériel, se seraient dirigé à Bojano, sur le flanc gauche de la ligne de marche. Le général Russo, avec sa troupe, se fùt retiré à Bojano même, dans le cas où il eût été forcé dans la position de Rionero, qu’il aurait dû défendre le plus long-temps possible. On eût ordonné en outre aux brigades Mari et Verdinois de se diriger sur Molise, et remontant par la vallée du Biferno, de rejoindre leur corps d’armée. On eût prescrit enfin aux colonels Manthone et Liguori d’effectuer leur réunion à Bojano, en suivant les chemins qu’ils eussent pu gagner. Dans cette ville,on eut envoyé des armes, des effets d’habillement, et quelques renforts de troupes fraîches, pour réorganiser le second corps.” Un tel système présentait les avantages suivans:

1°. En tena n t à Rionero, ou couvrait la route de Venafro, en même tems que le camp de Mignano; cela donnait le moyen de retarder la ret rai te derrière le V o lturno, mouvement qui rapprochait la guerre de la capitale.

2°. L’occupation de Bojano met t ait le second corps sur le flanc gauche de la ligne de marche de l’ennemi, pendant qu’elle se prêtait à la réorganisation du second corps d’armée. de ce point, à l’aide d’un pont sur le Calore, qui eût été établi près de Solopaca, le second corps était dans le cas de passer cette rivière, non seulement comme mouvement défensif, s’il y eût été forcé par une opération divergente de l’ennemi, mais aussi pour se rendre à sa position de bataille, derrière la seconde ligne de résistance, formée par les trois fleuves Ofanto, Calore et V o lturno.

 3°. Enfin, cette direction de retraite sur Bojano avait l’avantage de cacher au premier corps l’état réel du deuxième.

Les mesures que j’avais proposées, ayant été adoptées, l’on rédigea les ordres en conséquence; qui furent envoyées au général Pepe par le moye n du major Blanco, qui avait connaissance du tout, et qui était chargé d’aplanir toutes les objections.

Dans la soirée du douze Mars, cet officier arriva à Iserni a, où il retrouva le général Pepe. Il crut remarquer en lui les mouvemens d’un homme qui a perdu la téte. Lorsque le général eût lu la lettre qui contenait les ordres sus mentionnés, il dit qu’il n’avait de nouvelles, ni du général Russo, ni du colonel Manthone, et qu’il croyait les généraux Verdinois et Mari réunis sur la Pescara. Il ajouta qu’il avait à peine deux cents hommes du douzième régiment, et quelques restes de chasseurs; que les deux bataillons de miliciens de Molise, qui étaient en marche pour rejoindré son corps d’armée, s’étaient presque entièrement débandés; que la désertion s’était mise également dans les deux autre à bataillons, c’est-à-dire dans le bataillon du troisième régiment léger, et dans celui des miliciens de Calabres (46) Il dit enfin qu’il avait abandonné la position de Rionero, qu’il ne croyait pouvoir soutenir. Bl an co lui observa qu’il fallai t donc, dans ce cas, suivre la seconde partie des instructions, savoir: de se retirer sur Bojano, et qu’en a t tendant, Lombardo, d’Isernia où il était arri vé avec les trois bataillons de son régiment, irait occuper Rionero, pour satisfaire aux vues qu’on avait sur ce point et qui ont été indiquées précédemment. Les choses étant ainsi convenues entre le général Pepe et cet officier d’état-major, on expédia les ordres correspondans.

Mais à peine avait-on fait les dispositions, que le général reçut un rapport très-pressant du colonel Lombardo, par lequel il annon9ait la désertion totale de son troisième bataillon, avec arme et bagages, et que le major Duplessis avait été sur le point d’être tue pour avoir voulu s’y opposer, comme avaient fait aussi tous les autres officiers. Le colonel ajoutait qu’un tel scandale avait influé sur les deux autre s bataillons, mais qu’il se flattait de pouvoir les conserver. Ces événemens furent par la suite mentionnés dans un autre rapport du même colonel. (Pièce 61).

Le major Blanco remarqua que le général Pepe fùt fortement affecté par la lecture de ce rapport; le général, se tournant de son côté, lui dit; “Voyez: la contagion s’est déjà communiquée.” Or, ceci est une nouvelle pre u ve de l’opinion que j’ai déjà émise, sur le danger que le mauvais esprit des troupes du second corps se communiquât aux autres troupes qui s’en approcheraient, et sur les inconvéniens qui fussent résultés si l’on eût envoyé le premier corps en Abbruzze au secours du second. Le général Pepe, en m’écrivant le 13 Mars, énonçait la même opinion. (Voyez Pièce 60).

En réponse au rapport du colonel Lombardo,on lui demanda s’il y avait encore assez d’ensemble et d’énergie dans les deux autres bataillons de so n régiment, pour pouvoir supporter le spectacle du second corps qui arrivait débandé, ou s’il croyait convenable de les mener en arrière. Le colonel fut de cette seconde opinion, et il fit en effet un mouvement subit derrière Isernia, où il resta en expectation de mes ordres.

En même temps, le général Russo écrivait de Castel di Sangro, que ses troupes étaient extrêmement fatiguées, mais que l’ennemi marchait lentement. D’après ces deux considérations, je l’autorisai à faire un séjour à Isernia pour réunir les soldats débandés, en lui enjoignant de se porter le jour suivant, quatorze Mars, à Venafro, où je me rendrais moi-même pour juger de l’état physique et moral de ces hommes. J’ordonnai en outre que le colonel Lombardo n’abandonnât point Isernia avec son régiment.

Le général Pepe annonça qu’il partirait le même jour, treize, pour Naples, et il partit en effet.

Il est indispensable de faire observer qu’aucune des dispositions, ordonnées au second corps, ne fut exécutée. Je suis forcé de le dire: le général Pepe n’était plus dans le cas d’en exécuter aucune avec succès; il n’avait plus de confiance dans ses troupes, et elles n’en avaient plus en lui; toute espèce de résistance lui paraissait impraticable, et tout retard lui semblait funeste. Tel était le triste mais naturel effet de sa position personnelle.

Après la déroute du second corps, la première mesure qu’on eût dù prendre était d’y envoyer de suite un autre commandant en chef, tel qu’Ambrosio, ou Filangieri. Je ne pouvais le suggérer moi-mème, parce qu’on l’eût attribué à de l’inimitié personnelle contre le général Pepe, quoique ce fùt bien loin de mes sentimens. Cependant, en chacun reconnut qu’il était nécessaire de lui ôter de suite tout commandement; mais on ajourna cette mesure par esprit de parti, par des considérations frivoles. En effet, quoique ce général fùt accusé au parlement, il obtint cependant un décret pour organiser un autre second corps derrière les Apennins, ce qui était alors devenu impossible entre ses mains, puisque, malheureusement, tout s’était combiné pour faire imputer au général Pepe d’avoir deux fois pris sur lui de décider capricieusement du destin de sa patrie, et puisque la patrie se trouvait sur le bord du précipice.

Après avoir rapporté toutes les circonstances de la dissolution du second corps, retournons à ce qui concerne particulièrement le premier. On a dit précédemment comment, par diverses causes, après les premiers jours de Mare, une légère amélioration s’était fait remarquer dans l’esprit des troupes du premier corps; la désertion diminuait chaque jour, et ces bonnes dispositions durèrent jusqu’au douze du même mois; mais alors reparurent tous les symptômes de la précédente démoralisation. Deux causes principales amenèrent ce changement subit: d’abord, la certitude de la déroute du second corps et de sa dissolution presque totale; en second lieu, la connaissance qui parvint à la troupe d’une proclamation qu’on attribuait au roi, et dont nous avons déjà dit un mot. On avait envoyé cette proclamation aux avant-postes du second corps, le onze Mais, avec un parlementaire Autrichien; vers la même époque, on en avait eu quelque connaissance au premier corps; mais le treize Mars, la garde en avait reçu plusieurs copies, et de Naples, à ce que l’on croit. Cela décida tout-à-fait la conduite postérieure de la garde, conduite dont nous aurons bientôt à parler.

Pour moi, je ne pouvais être persuadé que cette proclamation fùt réellement du roi, d’après la lettre autographe dont j’ai déjà parlé, et dans laquelle il manifestait. des intentions si contraires. Je pensai donc que la publication de cette prétendue proclamation n’était qu’un stratagème de l’ennemi. Je fus confirmé dans cette idée par la présence au milieu de nous du prince régent, qui représentait la personne du roi, et à qui seul il appartenait de nous communiquer les ordres de son auguste père.

Au milieu de toutes ces circonstances, et après la dissolution du second corps, la retraite du premier corps derrière le Volturno était devenue indispensable; l’abandon de Rionero et la non occupation de Bojano avaient enlevé tout moyen de retarder la marche de l’ennemi, ce qui enleva la liberté des mouvemens du premier corps, qui dut les mesurer sur ceux de l’ennemi, pour opérer la retraite susdite. Il était cependant essentiel de la commencer le plus tard possible, pour donner au moins une physionomie mi li taire à notre mouvement rétrograde, et pour avoir aussi le temps de diriger le matériel sur Capone, ou de la détruire. Ce retard dans la retraite devait pourtant avoir des bornes, pour ne pas nous compromettre; il faut donc examiner quels étaient les risques du mouvement.

La retraite de la première division, de la vallée de Gaëte à Capoue, ne pouvait éprouver d’inconvénient, parce qu’elle était couverte par quatre lignes successives de résistance. Il fallait seulement faire attention que, dans l’hypothèse où l’ennemi s’avancerait par la route d’Abbruzze, il ne pût la précéder au Spartimento, qui est l'embranchement des deux grandes routes, savoir celle des Abbruzzes et celle de Rome, dont la dernière traverse la vallée de Gaëte, où était cette division.

Pour la quatrième division, postée à Mignano, on devait avoir soin que l’ennemi, en venant également des Abbruzzes, ne la précédât pas à la Taverna de Cajanello, qui est à la croisée de chemin des deux routes de l’Abbruzze et de St. Germano, à dix milles derrière Mignano.

Enfin, la seconde division, qui était cantonnée d’Isernia à Sesto, devait se retirer à la Taverne susdite, avant que l’ennemi y arrivât de la route de St. Germano.

Ainsi, la Taverne de Cajaniello et le Spartimento, dont j’ai parlé, étaient les deux clefs de ma retraite. En la commençante je devais débarrasser promptement les deux routes; et les divisions Pignatelli et Filangieri, réunies en colonnes sur. le grand chemin des Abbruzzes, devaient mettre en avant d’elles ce premier embranchement où se trouvé la Taverne de Cajaniello. Cela assurait la première partie de leur.mouvement rétrograde, en même temps que cela couvrait le Spartimento; et ce dernier point, une fois dépassé avec les trois divisions, tout était assuré.

Pour veiller à la première partie du mouvement, sur ks deux routes où étaient la seconde et la quatrième divisions, je transportai, le treize Mars, mon quartier-général à la Taverne de Cajaniello, et je me décidai à attendre, pour me retirer, que l’ennemi arrivât à Sora, par la direction qui aboutissait à la gauche du camp de Mignano, ou à Castel di Sangro, par l’autre direction qui venait des Abbruzzes, et qui aboutissait à la droite du camp retranché, ou, enfin, qu’il parvint en même temps sur ces deux points. Avec une telle précaution, je conservais sans risque toutes mes positions jusqu’à ce qu’un des trois cas susdits se vérifiât. Cependant, pour rendre ces mouvemens plus libres, je fis renvoyer à Capoue, le même jour treize, tous les miliciens et légionnaires, qui faisaient partie de la quatrième division qui était encore à Mignano.

Le jour suivant, quatorze Mars, je me rendis de la Taverne de Cajaniello à Venafro, et ensuite du côté d’Isernia,d’après l’avis que j’en avais déjà don né au général Russo. Je rencontrai les deux mille hommes restant du second corps, qui étaient dans le plus mauvais état, et dont les deux tiers étaient sans armes. J’ordonnai au dit général de les conduire par étapes à Capoue, où j’avais préparé leur réorganisation.

Le général Filangieri me rejoignit à Venafro, pour m’annoncer que le maréchal de.camp Selvaggio, commandant la brigade de la garde, était venu lui rapporter que sa troupe avait formellement déclaré que, d’après la proclamation du roi, elle ne se battrait pas, et qu’à l’approche des Autrichiens, elle mettrait l'arme au pied!

Je fus plus affligé que surpris d’une telle déclaration de la garde. Je manquais d’une force suffisante pour prendre aucune mesure de rigueur, et dans ce cas, la prudence devait remplacer l’énergie. Je demandai au général Filangieri s.i la garde avait le projet de passer à l’ennemi, avec armes et bagages, ou si elle voulait déserter comme les autres corps. Ce général me répondit que ni l’un ni l’autre de ces partis. n’était dans leur intention, et qu’ils tenaient au contraire fortement à se conserver réunis. Je lui répondis, qu’attendu les circonstances, je n’en demandais pas davantage; qu’ils n’avaient qu’à se tenir réunis, ce qui influerait sur l’esprit des autres troupes, et que j’accepterais cela comme une marque de reconnaissance de la garde, en ce qu’elle me devait sa conservation, par la résistance que j’avais opposée durant mon ministère au vœu général de sa dissolution. Je déclarai que je ne l’exposerais pas au feu, et que je l’emploierais à remplir les lignes, où elle serait certaine de n’en pas venir aux mains. On s’efforça de tenir secrète cette étrange convention, qui est un trait caractéristique de l’esprit militaire de Ces temps, et qui prouve à quelle extrémité l’on était parvenu, puisque les troupes osaient prendre de telles mesures, et puisque les chefs n’osaient s’y opposer.

En attendant, Bojano n’ayant pas été occupé par les restes du second corps, l’ennemi pouvait nous devancer sur la gauche du Volturno, attendu qu’il pouvait, en venant de l’Abbruzze, passer ce fleuve entre Isernia et Campagnano. Pour prévenir cet inconvénient, je fis marcher le deuxième léger, qui faisait partie de la première division, de la vallée de Gaëte à Bojano, en longeant la rive gauche du Vulturno et en passant le Calore à Solopaca.

Cependant, je sentais toujours, de plus en plus, que le moment s’approchait où je devrais enfin exécuter ma retraite; et j’appliquai dés lors toutes mes pensées à l’ensemble du développement de la seconde ligne de défense, formée par le Calore et le Vulturno. En général, je la jugeai très-forte du côté de la mer, parce qu’elle ne pouvait être tournée vers ce point, et parce que la place de Capoue se trouve de ce côté. Elle me sembla moins forte dans le centre à cause de la direction perpendiculaire du Vulturno depuis Isernia jusqu’à Campagnano, cette portion du fleuve étant tellement favorable à l’ennemi que, dans toute cette longueur, il pouvait le passer sans obstacle pour agir sur les deux rives. Je me proposai de remédier à cet inconvénient, en établissant toutes les réserves du système de la seconde ligne vers Melissano et dans le voisinage des monta Tifati. 

Enfin, je jugeai la seconde ligne extrêmement faible sur la droite, par où. elle peut être tournée et prise à revers, et parce que son front est faiblement couvert par le cours du Calore, qui est peu profond, et dont les rives sont trop plates vis-à-vis de Solopaca. Il fallait compenser cette faiblesse de la seconde ligne, vers sa droite, par quelque moyen artificiel; et à l'inspection de la carte, il me semble qu’il fallait lier, avec des ouvrages de campagne, les hauteurs de Paupisi à celles qui sont à gauche, presque vis-à-vis de Solopaca. 

Le cours du Calore, devant ces ouvrages, devenait alors ou un fossé, ou une simple ligne d’avant-postes. J’envoyai faire une reconnaissance sur la gauche du Vulturno et du Calore, dont le but principal, toutefois, était d’observer les accidens du terrain qui pourraient suppléer aux endroits faibles, existant sur la droite de là seconde ligne. On regardera peut-être comme superflu d’avoir tant raisonné sur les dispositions défensives de ma seconde ligne, et d’avoir exposé les détails de ma courte et facile retraite. Je l'ai senti moi-même sous un rapport, mais j’ai eu de forts motifs pour ne point les supprimer. Je touche au récit de la dernière catastrophe; or je devais soigneusement exposer mes dernières dispositions, afin qu’on juge en connaissance de cause, si elles contribuèrent en la moindre chose à ce désastre, et si l'on peut y découvrir les moindres traces d’intentions coupables. Nos malheurs m’ont place dans la pénible situation d’avoir à me justifier, et je me dois à moi-même de le faire le plus complètement possible.

De Venafro, j’étais retourné à la Taverne de Cajaniello, dans la même soirée du quatorze. La matinée suivante, j’appris, par un rapport du commandant du fort de Balzorano, que sa garnison, composée entièrement de miliciens, était désertée en totalité. Il ajoutait que les Autrichiens avaient passé le Liri, qu’ils étaient entrés à Sora, et qu’ils se dirigeaient sur St. Germano. Le même jour, quinze, je repus un autre rapport sur la désertion de cent hommes du régiment de la Reine, tout composé de la classe des congédiés. (Pièce 62). Enfin, je repus un troisième rapport, par lequel le lieutenant-colonel Zender, commandant le fort de Montecassino, m’informait que sa garnison se trouvait réduite à deux compagnies de la garde, par la désertion totale, avec armes et bagages, de deux bataillons de miliciens de Naples, qu’ils avaient effectuée de vive force; et, qu’à cette occasion, le capital ne de miliciens Fasco était resté mort d’un coup de fusil. (Voyez Pièce 82.)

De telles défections, du sein même des forts, donnent toute la mesure des dispositions de l’armée que j’avais à commander. Quelles précautions plus grandes pouvais-je prendre que de renfermer les miliciens dans les forts? Cependant, les garnisons entières les désertent; or, je le demande, de tels hommes brûlaient-ils de se battre, et fut-ce la trahison de leurs généraux qui les empêcha de marcher contre l’ennemi?

L’aspect de tant de calamités commença à décourager ceux des officiers qui s’étaient le plus adonnés à la Charbonnerie; ils voyaient en uu seul moment s’évanouir toutes leurs illusions, et ils voyaient la probabilité, non-seulement d’être abandonnés de leurs soldats, mais encore d’être victimes de leur fureur. Il y avait pour cette classe d’officiers un autre motif de démoralisation: ils croyaient de bonne foi à la proclamation du roi; et se voyant déjà fortement compromis en raison de leur conduite précédente, ils craignaient d’augmenter leurs torts en combattant, et qu’on ne les traitât ensuite comme rebelles. 

Plusieurs d’entr’eux, dans les ventes de charbonnerie, conseillaient déjà aux soldats de se débander pour se rendre à leurs communes, où ils se formeraient, disaient-ils, en guérillas, attendu que c’était le seul moyen de sauver la patrie, puisque leurs généraux les trahissaient; mais leur véritable but était d’éviter, par le débandement, toute possibilité de combattre. D’autres braves officiers cependant, qui s’étaient moins passionnés pour la secte, continuèrent à servir avec le plus grand zèle jusqu’au dernier moment; tant il est vrai que, chez les véritables militaires, l’honneur est le meilleur garant de leur bon service.

M’apercevant de cette démoralisation des officiers même, et voyant qu’elle pouvait décider tout-à-fait notre ruine, j’écrivis, le quinze, une circulaire à tous les généraux, en les engageant à persuader à leurs officiers qu’ils devaient avoir une entière confiance dans leurs chefs, et qu’ils devaient tout faire pour empêcher l’armée de se débander. J’ajoutais que, si les officiers se conformaient à cette intention, je leur promettais de ne point les exposer, et de sauver leur honneur et leurs intérêts, ainsi que ceux de la nation. (Voyez Pièce 64.) Le même jour, sur les quatre heures après-midi, l’on m’annonça l'arrivée de l’ennemi à Castel di Sangro. 

J’eus en effet la certitude que, ce jour là, il se trouvait en delà du Liri, occupant Sora et la vallée d’Atina vers ma gauche, et qu’il était parvenu à Castel di Sangro vers ma droite. La confirmation de ces faits se trouvé consignée dans deux rapports postérieurs. (Voyez Pièces 67, 82.) Il était donc temps désormais de commencer la retraite, puisque je voyais se vérifier la condition, par moi prévue, de l'arrivée simultanée des colonnes ennemies sur les deux villes de Sora et de Castel di Sangro. Je m’occupai ainsi sans retard des dispositions nécessaires à la retraite. Mais avant de les exposer, je dois fixer l’attention du lecteur sur deux incidens, qui eurent lieu à mon quartier-général de la Taverne de Cajaniello, avant que je l’eusse abandonné, et qui ne sont pas sans importance pour bien faire juger de l’état des choses à cette époque, ainsi que des événemens postérieurs.

Le premier incident est le même dont j’ai cru devoir parler par anticipation, au commences ment de cette troisième parti e, parce qu’il se rats tachait à une série de faits relatifs à l’ensemble des résultats de la secte des Charbonniers. Ce fut à cette époque, c’est-à-dire, le quinze Mars, lorsque j’étais si pénétré de douleur de tant de désertions et de la démoralisation même d’un grand nombre d’officiers, que je re?us l’étrange visite de ce député de l’assemblée générale, laquelle voulait absolument la victoire, et qui ne voulait pas même fournir un seul combattant. Qu’on juge de tous les sentimens que je dus éprouver dans une aussi pénible circonstance, en entendant exprimer des pensées aussi absurdes, et d’un ton aussi absolu.

Le second incident, survenu pareillement à la Taverne de Cajaniello, servira surtout à faire mieux pressentir les désastres subséquens. On doit se rappeler qu’en parlant de la désertion du sergent Chiarolanza, chef de vente, arrivé le deux Mars, avec cent quarante deux hommes du régiment de la princesse, j’ai parlé d’un lieutenant nommé T, qu’on disait être l’orateur de la vente, et qui avait auparavant contribué au mouvement séditieux de la garnison de Palerme. J’annonçai alors que je serais encore obligé d’en parler, et voici à quelle occasion: d’après tous ses antécédens, je l’avais soumis à une surveillance secrète. 

Par ce moyen, ayant appris qu’il excitait de nouveau à la désertion, je me décidai à le faire venir devant moi, où je le traitai avec la sévérité qui lui était due, en lui reprochant sa conduite. J’ordonnai ensuite qu’il fùt amené en prison, pour être conduit à Naples, auprès du ministre, et mis eu jugement. Dans le principe, il chercha à s’excuser; mais ensuite, il lui survint un évanouissement, et il fut conduit au corps de garde, où il laissa échapper les mots suivans: “Dans cinq jours, le général Carascosa verra qui est le plus fort de lui ou de moi!” On rédigea un procès-verbal, où fut consigné cette phrase, et qui me fut envoyé par la police militaire du quartier-général. 

Cette menace fut un premier éclair de ce que tramaient des mains iniques, à l’ombre du secret de la secte. Entouré de mystères, je ne pus alors en bien pénétrer le sens, et je ne crus pas devoir faire juger cet officier à l’armée, ce qui m’engagea à l’envoyer au ministre de la guerre, avec mes observations, afin qu’il décidât de lui (Voyez Pièce 66.) Nous arrivons maintenant au récit de la retraite et des dispositions qui furent prises.pour l’exécuter. Nous placerons sous les dates respectives, tant les ordres qui furent données, que les mouvemens qui furent effectivement exécutés.

Le.quinze Mars, j’ordonnai au général Filangieri de faire partir de Mignano la brigade de la garde, en la dirigeant sur la Taverne de Cajaniello, d’où elle se rendrait par étapes à Capoue. La brigade légère Deconcilii eût l’ordre de se réunir à sa division à Mignano, en suivant la route de St. Elia.

Dans la nuit du quinze au seize Mars, mon quartier-général fut transféré de la Taverne de Cajaniello à Casalanza, maison rurale, située dans un champ, et à peu de pas du Spartimento, ce qui me mettait en mesure de surveiller le mouvement rétrograde sur les deux routes de Rome et des Abruzzes.

Le seize Mars, le général d’Ambrosio reçut l’ordre de repasser la Garigliano avec sa division, et d’attendre sur la rive gauche la brigade légère Costa, qui devait le suivre à six heures de distance, après avoir jeté dans la place de Gaëte, les deux bataillons de ligne qui lui étaient destinés. La brigade légère Tocco, en se retirant du Liri, par le bois de Mortola, devait également se joindre au général d’Ambrosio, sur la gauche du Garigliano.

Il fut ordonné au général Pignatelli de réunir à Sesto toutes les troupes de la seconde division qui étaient en avant de ce point (47); et, lorsqu’elles seraient réunies en masse, de se replier sur la Taverne de Cajaniello,où elles prendraient position, en se gardant vers le chemin des Abbruzzes. La seconde division ne devait pas laisser cette position avant d’être relevée par la quatrième, qui devait venir de Mignano le même jour; après quoi, la seconde division continuerait par étapes sa marche, jusqu’à Caserta, en traversant, le Vulturno à Capoue.

Il fut ordonné au général Filangieri de se mettre en marche avec l’autre brigade de ligne qui lui restait, et avec celle Deconcili, après avoir détruit ou mis hors de service le matériel, en se dirigeant aussi sur la Taverne de Cajaniello, où il relaverait la seconde division de ses positions, et où il resterait jusqu’au soir, en se gardant militairement sur les deux routes qui partent de cet embranchement. Il devait ensuite, dans la nuit, continuer lentement, et avec une grande précaution, sa marche rétrograde jusqu’à la poste de Torricella, où il choisirait une bonne position, pour y tenir ferme jusqu’à nouvel ordre, attendu que de cette position, l’on devait couvrir la retraite de la première division, jusqu’à ce qu’elle arrivât au Spartimento.

Le dix-sept Mars, la première division avait l’ordre d’arriver au Spartimento, en amenant avec elle la brigade légère Tocco, et en laissant sur le Garigliano la brigade Costa, chargée de brûler le pont de ce fleuve, pour suivre ensuite, à six heures de distance, sa propre division, et pour la rejoindre au Spartimento.

Quand on aurait complété ces deux mouvemens, provenant de la vallée de Gaëte, je me réservais d’envoyer au général Filangieri l’ordre de quitter Torricella et de se replier sur nous au Spartimento.

La seconde division compléta son mouvement, et se rendit à Caserta où elle se concentra...

La garde acheva son mouvement, et prit ses quartiers à Capoue.

Les restes du second corps, dont je voulais former la réserve de la ligne du Vulturno et du Calore, eurent l’ordre d’abandonner Capoue, et de se rendre à Melissano. Capoue fut évacuée aussi de tous les miliciens et légionnaires qui s’y trouvaient encore; et je les envoyai à Tricase, afin de débarrasser la place de Capoue, à laquelle cet encombrement donnait un aspect de confusion et de détresse.

Le dix~huit Mars, enfin, la première et la seconde divisions auraient abandonné le Spartimento, et l’on aurait termine le développement derrière la seconde ligne, où se trouvaient déjà la seconde division, au centra à Casette, et les restes du second corps,en réserve à Melissano. La première division en aurait occupé la droite (terrière le Calore, en rappelant le deuxième léger, qui avait été détaché sur Bojano. Quant à la gauche de la ligne, sur le bas Vulturno, elle devait être occupée par la quatrième division, en mettant la brigade de la garde tout-à-fait à gauche, où il était certain que l’ennemi ne se présenterait pas, attende que je ne devais pas oublier cette condition, dans le placement de cette brigade.

Des événemens imprévus empochèrent les mouvemens ordonnés pour le dix-huit, et ceux du dix-sept ne furent pas complètement exécutés. Quant à ceux du seize, ils s’exécutaient avec calme et régularité. Un temps serein les favorisait, et semblait disposera l’espérance; on commençait à penser qu’on pourrait défendre avec succès la ligne du Vulturno, qui présentait un rempart fait pour diminuer les alarmes de l’armée.

Le même jour seize, sur les cinq heures de l’après-midi, j’étais à Casalanza à dîner avec les officiers de mon quartier-général, qui s’étaient abandonnés à un instant d’effusion, dans l’espoir qu’ils avaient conçu de sauver au moins l’honneur militaire, lorsque nous vîmes arriver le colonel Smerber, officier distingué. Dans l’altération de son visage, nous vîmes le présage de quelque grand désastre. Un morne silence remplaça aussitôt ces courts instans de joie. Je demandai au colonel s’il était arrivé quelque événement fâcheux à son régiment, et il me répondit, avec l’accent le plus triste, que la plus terrible scène avait eu lieu sous ses yeux sans pouvoir l’empêcher.

“Je me trouvais,” dit-il avec mon régiment et une compagnie de dragona, en position à la Taverne de Cajaniello, en attendant d’être relevé par la division Filangieri, qui devait arriver de Mignano. Les soldats avaient eu une abondante distribution de vivres. L’ennemi était à quinze milles, et les avant-postes faisaient tranquillement leur service. Les soldats chantaient et l’on ne se doutait de rien, lorsque le cri subit aux armes’ se fit entendre. Le troisième bataillon courut à ses fusils; les officiers accoururent pour en savoir la cause, et demander qui leur en avait don né l’ordre. C’en est fait répondirent plusieurs voix, nous partons. Le capitaine Sasso, excellent militaire, se précipite au milieu d’eux, en les conjurant de le tuer plutôt que de l’abandonner et de se couvrir d’une telle honte. On lui répondit par des coups de fusil; et n’ayant point été atteint, on voulut le percer à coups de bayonnettes. 

Quarante grenadiers parvinrent à sauver leur capitaine, en se battant contre leurs camarades. “En vain,” continua le colonel, “tous les officiers ont-ils essayé d’empêcher le débandement, ils ont été accueillis par une décharge, après quoi les déserteurs se sont dirigés vers la montagne. Les dragons les ont chargés; mais ils se sont défendus en faisant feu, jusqu’à ce qu’étant arrivés sur un terrain favorable, on les a vu 381 disparaître.(48) J’ai conduit les deux autres bataillons à Torricella, mais j’ai tout lieu de craindre le renouvelleraient d’une telle scène.” (Pièce 82.) Je fis bonne contenance, autant que possible, durant ce récit; mais je fus terriblement affecté de voir recommencer la désertion avec des caractères plus graves encore qu’auparavant, surtout lorsque j’avais rassemblé tant d’efforts pour la prévenir.

Dans la nuit du seize au dix-sept, je reçus de St. Elia, un rapport du colonel Deconcili. Ses miliciens s'étaient prononcés comme ceux d’Abbruzze, et avaient pris la résolution de le tuer. Les paysans s’efforçaient de faire débander l’armée, en semant la défiance et les alarmes dans l’esprit des soldats. parmi les troupes de ligne qui étaient sous ses ordres, beaucoup d’hommes avaient déserté, et spécialement parmi les corps dans lesquels il avait le plus de con fiance. (Voyez Pièce 67.)

Dans la matinée du dix-sept, je crus indispensablement de mon devoir de faire au ministre un rapport de ce qui se passait, et de lui présager la dissolution totale de l’armée, d’après tant de faits réunis, qui portaient un caractère si violent. Je priai le ministre de se bien pénétrer lui-même de cette funeste vérité, et d’en informer le parlement. II est à remarquer ici que ce fut le quatrième rapport que j’adressai è cette assemblée sur l’état des choses, et sur les conséquences qu’on devait en attendre.

Le major Blanco fut chargé de porter mon rapport au ministre; et avant de partir, je le mis au fait de son contenu, afin qu’il pût au besoin le répéter de vive voix. Voici en substance quelle était ma triste position à cette époque: l’armée, comme nous l’avons déjà dit, n’avait jamais -excédé vingt-huit bataillons de ligne; mais alors elle était déjà réduite à vingt-quatre, car la première division avait reçu l’ordre de laisser deux bataillons de ligne, pour la garnison de Gaëte; et d’un autre côté les troisièmes bataillons des deux régimens du roi et de la reine étaient désertés en entier. En outre, on ne pouvait compter les cinq bataillons de la garde, puisqu’il était convenu qu’ils ne se battraient pas. 

Ainsi, l’infanterie de ligne était, dans le fait, réduite à dix-neuf bataillons très-peu nombreux, à cause des désertions qu’ils avaient souffertes. Leur montant total, joint au peu de cavalerie existante, allait à peine à douze mille hommes. Quant aux miliciens armés, qui étaient également réduits à un très-petit nombre, on ne pouvait compter sur eux; Enfin, la moitié des officiers était tout-à-fait démoralisée, après avoir eu connaissance de la proclamation attribuée au roi.

J’insistai beaucoup auprès de Blanco sur ces diverses circonstances, pour qu’il pût lui-même en bien pénétrer le ministre. Je le chargeai spécialement de dire que, si je devais être responsable, on devait me fournir des moyens suffisans pour défendre le Vulturno; qu’en conséquence, je désirais qu’on m’envoyât toute la gendarmerie, déjà réunie dans la capitale, la cavalerie qui y était restée, ainsi que tout autre renfort possible de troupes; qu’avec ces moyens je ferais face à l’ennemi, pourvu que je fusse seconde par le second corps, que je conseillais de placer entre Benevent et Ariano sur la rive gauche du Calore. J’ajoutais qu’en attendant, il fallait songer encore à me fournir d’autres moyens par les efforts que la nation voudrait faire, ou bien autrement a terminer les choses par une transaction, attendu que la défense du Vulturno ne pouvait avoir une durée illimitée. Je chargeai, en même temps, Blanco de dire au ministre que l’ennemi avait été très-bien reçu dans toutes les Abbruzzes, et que la province de Molise, si propre à la défense par sa position, se montrait parfaitement tranquille et indifférente pour la cause nationale. Enfin, le major Blanco devait terminer en informant le ministre de tous les mouvemens opérés, et de tous ceux qui devaient les suivre.

Blanco partit avec de si tristes nouvelles, mais il devait, à son retour, en trouver de plus tristes encore; il devait en outre être spectateur d’indignes attentats.

Je restai à Casalanza après le départ de Blanco. Étant inquiet de ne point voir arriver au Spartimento la première division, que je jugeais déjà en retard, j’envoyai plusieurs officiers sur le chemin de Cascano pour en avoir des nouvelles.

J’étais dans cette attente, lorsque, sur les deux heures après-midi, je reçus un rapport du général Filangieri, par lequel il m’annonçait la désertion de tout les Abbruzzois à Torricella.(49) Il m’ajoutait qu’il avait de fortes raisons de craindre un débandement général, annoncé par les figures sinistres des soldats, par leurs secrets conciliabules. Enfin, par la précaution d’endosser deux chemises, symptôme ordinaire de la désertion, quand le soldat a le projet d’abandonner son sac. Néanmoins, quoique le général me fit pressentir qu’il pourrait bien être lui-même victime de la fureur de ses propres soldats, il m’assurait que tant qu’il aurait une goutte de sang dans les veines, il tiendrait la position, jusqu’à ce que je lui eusse don né de nouveaux ordres. (Pièce 72.)

Je le demande: était-il possible de prévoir davantage tout ce qui devait arriver? Que pouvaient faire de plus les généraux et les officiers? Ils employaient tous leurs efforts pour empêcher la dissolution, ils oubliaient leur sûreté, compromise à chaque instant, ils donnaient un rapport exact de tout ce qui se passait. Mais alors la secte, soit prévention, soit quelle fùt elle-même dans l’illusion, s’écriait, de toutes parts, que l’alarme était sans fondement, que les congédiés, les miliciens, les légionnaires, mais surtout les soldats de ces deux dernières classes étaient tous des héros; qu’ils brûlaient de rencontrer l'ennemi; qu'ainsi donc il rie devait pas être question de transactions, et que, si les choses allaient mal, ce ne pouvait être que par la faute des généraux Et une foule de militaires distingués, criblés de blessures, se trouvaient dans une position aussi pénible, placés entre une telle démoralisation de l’armée et une semblable interprétation de la part des sectaires. Ils devaient se résigner à voir chaque jour sous leurs yeux les plus tristes spectacles, à se sacrifier inutilement pour s’y opposer, et à voir ensuite calomnier les intentions les plus pures..

A peine eus-je reçu le rapport du général Filangieri, que je partis en poste pour Torricella, afin de juger par moi-même toute l’étendue du mal, et de voir s’il était encore possible d’y apporter quelque remède. En arrivant à Torricella, j’y trouvai la troupe presqu’en révolte, et qui, pour avoir un prétexte de crier à la trahison, feignait de croire que ses cartouches fussent remplies de farine au lieu de poudre. Une cartouche de ce genre me fut en effet présentée, au moment où le général Filangieri retournait des avant-postes; mais, me doutant de quelque stratagème de la part des malveillans, nous fîmes aussitôt procéder devant les soldats à une inspection général e des cartouches, qui furent toutes trouvées dans le meilleur état. Les soldats ne surent que répliquer à une telle preuve, et il sembla que les choses se fussent calmées.

Il était quatre heures de l’après-midi, et je pris congé du général Filangieri pour retourner à Casalanza. A peine avais-je fait deux milles que je rencontrai M. C, qui arrivait en poste de la capitale. En me voyant, il me demanda d’une voix alarmée, s’il était vrai que l’armée fùt entièrement débandée, comme on l’assurait à Naples. Je l’assurai du contraire, et lui dis que je revenais de Torricella, où Filangieri se trouvait en position avec une brigade. M. C. parut encore douter, et il me pria de lui permettre d’aller s’en assurer lui-même par ses propres yeux, ayant re?u cette mission positive en partant de Naples. Or, ce bruit, répandu avant l’événement même, ne prouve-t-il pas de nouveau que des agens secrets avaient organisé d’avance un pian régulier de dissolution générale de l’armée, et qu’ils se regardaient comme certains de la réussite polir ce jour-là? en effet, le moment où je rencontrai M. C. ne précéda que de quelques heures le débandement général et définitif de tout ce qui restait de l’armée.

Je laissai M. C. diriger sa route sur Torricella, et j’accélérai la mienne sur Casalanza, où j’arrivai à cinq heures et demie de l’après-midi. La première division n’était point encore arrivée au Spartimento; mais je trouvai un rapport du général d’Ambrosio, commandant de cette division, par lequel il m’annonçait la désertion presque totale du troisième bataillon du régiment Farnese. Il m’écrivait en outre, que plusieurs agens excitaient les soldats à se débander, en leur donnant de fausses alarmes. (Voyez Pièce 71.)

Pendant que je m’étais rendu à Torricella, le lieutenant-général Pignatelli, prince de Strongoli, commandant la deuxième division, était venu à Casalanza pour me faire un rapport, qu’en mon absence il me laissa par écrit. Il m’informait de la désertion de quatre à cinq cents hommes de sa division, arrivée le matin du même jour, et notamment dans le régiment de la Reine. Il m’informait en même temps des menaces que les soldats, qui ne se cachaient plus devant leurs officiers, avaient faites de tuer tous leurs chefs, sous leur prétexte ordinaire de trahison.(50) Le général Strongoli ajoutait, dans son rapport, que les choses en étaient venues à un tel point que les officiers lui avaient déclaré qu’ils ne pouvaient plus commander de tels soldats (+). (Voyez Pièce 74-) Le général disait, en finissant, qu’il fallait faire quelque exemple de rigueur sur les chefs des mutins. Cela entrait parfaitement dans mes vues; mais ce général n’avait pas besoin de ma permission spéciale à cet égard; de telles mesures sont dans les attributions,des lieutenans-généraux, et la loi de sévérité que j’avais sollicitée moi même du parlement, avait déjà été promulguée par deux de mes circulaires.

Enfin, sur les neuf heures après midi, la première division arriva au Spartimento. J’écrivis de suite au général Filangieri de réunir ses troupes,, et de se replier sur Casalanza à trois heures après minuit. J’avais encore besoin de ce court intervalle pour faire parvenir les brigades Costa et Tocco au Spartimento; et l’on ne devait pas d’ailleurs quitter la position de Torricella à l’entrée de la nuit, ce qui aurait pu faire porter l’ennemi dès l’aurore suivante sur l’embranchement du Spartimento, et entraver le mouvement de retraite qui devait avoir lieu le jour suivant sur Capoue.

La première division resta bivouaquée au Spartimento, près de mon quartier-général. Le général Ambrosio établit le sien à la Taverne dite du Spartimento, située presque en face de Casalanza, mais sur la grande route. En arrivant, il me fit un rapport verbal (qu’il répéta ensuite par écrit) (Pièce 85,) m’annonçant que les deux compagnie des voltigeurs du régiment Farnese avaient éprouvé, de Sessa, une forte désertion à main armée; et que, dans le même corps, cent hommes, qui presque tous étaient des grenadiers, avaient également quitté les drapeaux.

Vers les dix heures du soir, le général Costa arriva enfin au Spartimento, avec quelques restes de sa brigade, sur laquelle il fit un rapport auquel le lecteur doit déjà s’attendre. Le seize, il s’était mis en marche de Fondi au Garigliano, avec sa seule troupe de ligne et dans le meilleur ordre possible; quant à ses miliciens, ils l’avaient précédé et avaient été incorporés dans la brigade Schudi. Le général Costa, après avoir passé le Garigliano, le dix-sept, exécuta l’ordre qui lui avait été donné d’en brûler le pont; on donna doublé ration de vivres aux soldats pour les contenter; ils s’étaient ensuite mis en marche pour rejoindre la première division au Spartimento. 

Mais, à peu de milles de Cascano, dans l’endroit où la route s’abaisse, on entendit, comme de coutume, un coup de fusil, qui n’était plus le signal des braves, mais qui était devenu celui de la désertion et de l’assassinat. A ce signal convenu, les soldats se jetèrent sur les hauteurs latérales, et tirent feu sur les officiers et les sous-officiers,qui se tenaient groupés autour du général Costa. Ils firent deux décharges consécutives,. qui laissèrent quelques morts et plusieurs blessés; le capitaine d’état-major, Destofano, fut au nombre de ces derniers. Ensuite les soldats se dispersèrent. Le général Costa avait aussi toujours bien traité le soldat, et il avait aussi droit d’en attendre un meilleur traitement, mais nous avons déjà vu qu’il n’y avait plus aucune espèce de considération personnelle. Il ne resta que deux cents hommes de cette brigade, sur treize cents qu’elle comptait le jour précédent, en partant de Fondi. (Pièce 85).

Ces deux cents hommes rentrèrent dans les bataillons de la première division, d’où on les avait primitivement tirés pour former la brigade légère qui venait ainsi de se dissoudre. Mais cette division, lorsqu’elle bivouaquait au Spartimento pour attendre la troupe venant de Torricella, ne comprenait que quatre faibles bataillons, savoir: le premier et le second de Farnèse, et le premier et le troisième du dixième de ligne, les autres six bataillons qui en faisaient partie étaient alors absens par les raisons que nous allons énumérer, et qu’il est essentiel de connaître, à cause de l’importance des événemens ultérieurs.

Le troisième bataillon Farnèse et le second du dixième régiment avaient été laissés pour la garnison de Gaëte. Le deuxième léger, fort de trois bataillons, se trouvait depuis quelques jours détaché en entier à Bojano, comme on l’a déjà dit; et enfin, le bataillon des chasseurs était avec le colonel Piccolelli, qui n’avait pas encore rejoint.

Peu après l’arrivée du général Costa, le major Blanco revint de Naples. Il me rapporta qu’il avait exposé au ministre de la guerre l’état de l’armée et de tout ce qui nous entourait, et que le ministre avait senti toute la gravité des circonstances.

Le ministre avait ensuite donne, pour m’ faire part, divers renseignemens dont voici la substance: de tout l’ancien second corps d’armée qui était en Abbruzze, il n’était reste réuni que: deux bataillons, sur la Pescara, sous le commandement du général Verdinois, tandis que le général Mari et le colonel Manthone étaient restés absolument sans troupes. Quant à la gendarmerie et à la cavalerie que je demandais à l’armée, elles ne pouvaient abandonner la capitale, où leur présence était absolument indispensable pour le maintien du bon ordre. Le ministre avait ajouté que je ne devais pas, noir plus, compter sur la coopération du second corps imaginaire que devait réorganiser le général Pepe, et que je ne devais faire fond que sur mes propres moyens, et sur l’arrivée probable des deux bataillons du général Verdinois. 

Le ministre avait dit, en outre, que des ordres pressans avaient été donnés pour munir d’art iberici ville d’Ariano, déjà fortifiée sous mon ministère, comme pivot de la seconde et troisième ligne de défense; et que si, par l’insuffisance de mes moyens,je ne pouvais résister long-temps derrière la ligne du Vulturno, il m’invitait à me retirer à h position de la troisième ligne, (que j’avais indiquée moi-même dans mon système général de défense du royaume) en faisant un changement de front, la gauche en arrière, eu mettant la droite à Ariano, la gauche à la Cava et Vietri, et la ligue sur les Apennins, qui occuperai Monteforte, pour couvrir ainsi les deux principautés, la Basilicata, Bari et Otrante, et les Calahres. Le ministre avait termine en chargeant encore Blanco de me dire qu’on attendait la réponse du roi au message du parlement et à la lettre du prince-régent; que lorsque cette réponse serait arrivée,. l’armée exécuterait les ordres ultérieurs qu’on lui donnerait, et quelle n’encourait aucune responsabilité, puisque l imitative de la soumission avait été prise par le parlement.

Après avoir appris de Blanco ce que m’envoyait dire le ministre, nous restâmes à raisonner sur les événemens fâcheux du jour. Pendant ce temps-là, nous vîmes arri ver un officier,. porteur d’un nouveau rapport que le général Filangieri m’envoyait de Torricella. Ce rapport, comme on peut encore le prévoir, m’annonçait de nouveaux désastres. Je l’ouvris à la baie, et j’appris le débandement presque total des troupes de Torricella, qui avait été commencé au signe accoutumé d’un coup de fusil, et qui s’était termine également en faisant feu sur les officiers et sur le général Filangieri lui-même, parce qu’ils avaient cherché à s’y opposer. 

Le troisième bataillon du régiment de Bourbon avait don né l’exemple de ces excès (51). Le major Dumarteau avait été blessé; le colonel Guarasa, secondò par ses officiers, était parvenu à contenter quelques soldats de son régiment, parce qu’ils étaient dans une position resserrée, et parce qu’il y avait beaucoup de Siciliens dans son régiment. Le général Filangieri ajoutait qu’il avait cru devoir réunir ses débris de troupes, et les diriger sur le Spartimento, en les faisant commander par le général Sabrano. 

Quant à lui, avec la cavalerie et quelques officiers, il annon çait qu’il resterait à Torricella jusqu’à trois heures, selon mes ordres précédens. Il m’écrivait enfi n qu’il avait fait une course ver s les avant postes de l’ennemi, où tout était tranquille, et dans la même position que le jour précédent (Voyez Pièce 73, 82.) A peine eus-je lu ce rapport, que je fis avertir le général Ambrosio de prendre garde à ces restes de troupes que conduisait Labrano, et d’empêcher tout contact de ses propres soldats avec elles, durant la traversée dans son bivouac. Précautions inutiles! il n’était plus nécessaire de faire parvenir de nouveaux avis aux soldats qui devaient se débander. Dans toute l’armée, un

complot général s’était tramé, à l’ombre du secret charbonnique, qui, comme on l’a vu précédemment, était devenue l’instrument des ennemis de la révolution; et chaque soldat savait d’avance ce qu’il devait faire, en quel lieu il devait se révolter, et à quelle heure. En effet, quoique la colonne du général Labrano ne fùt pas encore arrivée, quoique les soldats de la première division eussent reçu une doublé ration de vivres, quoique leurs généraux et les officiers se fussent fatigués à leur haranguer, soudain lorsque tout semblait dans le plus grand calme, un bataillon du dixième régiment courut aux armes, mouvement qui précédait toujours les débandemens. 

Cette fois cependant, la manœuvre ne réussit pas, grâce à la vigilance extrême des officiers, qui furent de suite demander aux soldats pourquoi ils agissaient ainsi. Il s répondirent que c’était une précaution nécessaire, à quoi les officiers répliquèrent que leurs officiers prendraient toutes celles qui seraient convenables, mais que ce mouvement était inutile en ce moment, puisque la position était con verte par des postes placés sur les deux routes. Sur ces entrefaites, le général Schudy et le, colonel Brianchini étaient survenus, et tous les chefs réunis parvinrent à faire déposer les armes aux soldats. Leur projet resta donc ajourné jusqu’à une nouvelle occasion, mais qui se présenta bientôt.

Après cette tentative infructueuse, la troupe du général Labrano arriva, se dirigeant sur Capone, et on la fit passer, sans aucune comm u nication avec les soldats de la première division. On conçut donc encore un instant l’espoir que tout danger avait cessé à cet égard.

Mais, dans la nuit du dix-sept au dix-huit, à une h e u re du matin, du sein du bivouac du régiment F arnese, commandé par le colonel Pepe, député du parlement, on entendit partir, trois coups du fusils. A ce signal,

commença un feu général dans le camp, avec le cri ordinale “ à la trahison." Le général Ambrosio fit monter à cheva l la cavalerie, et fit prendre les armes à une compagnie de sapeurs, qui déclara vo u loir le défendre. Un tel secours fut bien Opportun, car les soldats débandés se dirigeaient sur son quartier-g é néral en faisant feu; mais ils furent repoussés et dissipés par les sapeurs et la cavalerie. D’autres groupes d’hommes d ébandés assaillirent à coups de fusil mon quartier-g é n é ral, qui était situé dans u n champ qui ne conduisait nulle part, ce qui fait voir que les intentions des débandés n’étaient point équivoques. Mes officiers d’état major montèrent de suite à chevai; et, avec une compagnie de gendarmes, ils repoussèrent ces malheureux. (Pièce 85). 

Il parait que le meurtre des généraux et des officiers avait été reco m mandé aux soldats lorsqu’ils se débanderaient,mais qu’ils ne mirent pas beaucoup d’empressement dans l’exécution de cette partie de leurs desseins. On doit convenir que, partout où ils essayèrent de semblables attentats, ce fut sans beaucoup d’acharne m ent; leur but était de déserter, et, quant au reste, de même qu’ils se montraient peu dociles è nos ordres, ils mettaient assez peu de soin à satisfaire aux insinuations de nos ennemis.

Ces fusillades continuèrent néanmoins près d’ une demi-heure; et, pendant ce temps, il n’était reste au bivouac de la première division qu’environ quatre cents hommes du dixième de ligne q ui tous étaient Sici l iens. L’autre bataillon de ce régiment s’était débandé comme ceux de F arnese (52). En attendant, la cavalerie, les gendarmes, les officiers de mon état-major, et de celui du général Ambrosio, avec tous les officiers d’infanterie, se mirent à courir dans les champs, et à faire une espèce de chasse des débandés, dont ils parvinrent à réunir près de sept cents. Cependant, le déficit fut encore très-considérable. Le régiment

Farnese, sur mille hommes, en avait perdu six cents; le dixième, fort de douze cents hommes, resta avec sept cents, parmi lesquels se trouvaient compris les quatre cents Siciliens dont aucun n’avait déserte. Quant aux autres sept cents hommes qu’on parvint à réunir, on n’y réussit certainement ut que parte que leurs provinces étaient au delà du Vulturno, et que, ne pouvant immédiatement en prendre le chemin, ils s’étaient couchés dans les champs en attendant un moment plus propice; mais, quant au deuxième de miliciens, quant aux légionnaires de Bari, et à ceux de Molise, il rien était pas testé un seul.

On recomposa cette petite troupe, si l’on peut appeler de ce nom une réunion de soldats qui avaient commis des désordres si affreux, qui n’avaient été réunis de nouveau que presque par force, qui, dans le fond de leur cœur, persistaient certainement dans leur projet de déserter, et qui n’en retardaient l’exécution qu’à cause de l’obstacle du fleuve. Le bivouac du Spartimento resta parsemé d’armes, de sacs, de schakos, et de gibernes, comme si l’on y eût donné une bataille. Il y avait peu de blessés et trois ou quatre morts seulement, à cause de l’obscurité de la nuit et de la mauvaise direction des coups.

Les soldats du dixième de ligne firent entendre alors qu’ils voulaient aller plus en arrière ver s Capoue, parce que, disaient-ils, on pouvait les couper dans la position où ils se trouvaient. Malgré la futilité de ce prétexte, il fallut y condescendre; et ces débris, montant à peine à onze cents hommes, furent conduits la même nuit par le général Costa, sur les glacis de la place (Pièce 85), où ils se réunirent au petit nombre d’hommes qu’avait pu conserver le général Labrano, troupe également composée des élémens les plus impurs.

Le même jour dix-sept, le colonel Piccolelli s aperçut aussi d’un changement bien marqué dans l’esprit de sa troupe, qui se trouvait encore dans la vallée de Gaëte. Ce même jour, il fut abandonné par presque tous les miliciens et légionnaires. Plusieurs soldats de la ligne se mutinèrent également, et le menacèrent de le tuer. Il est à croire aussi que, d’après le pian général, ils '400 de seraient débandés et auraient fait teli sur leurs officiers le même jour dix-sept; mais cela fut un peu retardé par l’obstacle de deux fleuves, qui les séparaient des routes de leurs provinces, ainsi que par les soins extraordinaires et l’entier oubli de soi-même de ce brave colonel pour conserver les soldats qu’il commandait. Cependant. le dix-huit, prés de Cascano, l’abandon fut tenté, et les soldats se jetèrent tous ensemble sur les montagnes.

Le colonel réussit à les réunir; mais le jour suivant, tout moyen de les conserver devint impossible, et il resta presque seul. (Pièce 9 3). J’étais resté à Casalanza après que les débris de cette soldatesque eurent quitté le bivouac du Sbattimento. C e fut là que, le dix-huit, à quatre heures du matin, je reçus le rapport du général Boga n i, qui m’annonçait le débandement de presque tous les soldats des deux bataillons destinés à la garnison de cette place, dont l’un appartenait au cinquième régiment et l’autre au dixième. (Pièce 76.)

Peu d’instans après, le général Filangieri arri va de Torricella à Casalanza. Quo i qu’il fut resté sans troupes, s eco ndé par une quarantaine d’officiers, il n’avait pas voulu quitter, avant l’heure présente, la position que je lui avais confiée. Le général Ambrosio arriva aussi à mon quartier général. Ainsi, le dix-huit Mars, à six heures du mati n, nous nous trouvâmes trois lieutenant- généraux à Casalanza, sans un seul soldats et presque dais le même état que Marine sur les raines de Carthage. Le quartier-général était aux avant-postes, sans avoir même un simple piquet pour le couvrir; et une simple patrouille de cavalerie ennemie eût pu nous faire prisonniers tous trois.

Réfléchissant alors à tant de débandemens, arrivés simultanément la veille, sur des points éloignés les un s des autres, exécutés avec les mêmes circonstances, nous conclûmes qu’il existait dans l’armée une conspiration générale contre les chefs et les officiers de ligne; que l’exécution en avait été fixée du dix-sept au dix-huit, et que ce dessein perfide avait été facilité,et tenu caché, ou moyen du secret de la Charbonnerie. Nous jugeâmes qu’il n’y avait plus rien à espérer, sinon peut-être de nous fermer dans la place de Capone, où ces débris de troupes pourraient être soustraites à l’influence des agens du comp lot et présenter quelque contenance jusqu’à l’arrivée de la réponse du Roi.

Dans. ce dessein, nous nous acheminâmes vers Capoue. Le général Ambrosio et moi, nous étions dans la même voiture, et le général Filangieri nous suivait à cheva l à peu de distance; nous étions tous les trois en uniforme comp let, ce qui rendait impossible qu’on se méprit à notre égard. Cependant, qu’on juge de l’infamie des desseins qu’on nourrissait contre nona.; quelques soldats, égarés sans doute par des conseils perfides, osèrent exciter leurs camarades à faire feu sur nous, en prétendant que nous étions des généraux autrichiens; le général Costa était là, et il parvint encore à empêcher un semblable attentat. Nous poursuivîmes notre route, et.nous entrâmes dans la place.

Quelque temps après notre arrivée,je reçus un rapport du général Casella, daté de Sainte Marie de Capoue, dans lequel il me disait qu’il était testé absolument seul; que, depuis neuf heures du matin, tous les miliciens et légionnaires, qui étaient réunis dans cette ville, étaient partis à la fois, ay a nt avec eux leurs officiers. (Pièce 75.)

Conformément à ce dont nous étions convenu, les généraux Ambrosio, Filangieri; et moi, j’ o rdo nn ai que les hommes postés sur les glacis entrassent dans la place de Capoue, afin d’y être casernés. Mais à peine eurent-ils appris cet ordre, que leurs meneurs crièrent encore à la trahison ear, disaient-ils, en les renfermant dans la place, on voulait les livrer aux Autrichiens qui les emmeneraient pour servir en Hongrie. On voit qu’il n’était aucune disposition qui ne fut dénaturée par les malveillans, et toujours dans te dessein de faire dissoudre l’armée. Il est facile de concevoir que tant d’obstacles réunis étaient au-dessus de toute force humaine.

Le général Costa chercha à persuader aux débris de troupes placés sur les glacis de Capoue, qu’on ne les casernerait pas dans la ville, mais qu’elles ne feraient que la traverser pour aller se poster sur.la gauche du Vulturno. Les soldats semblèrent hésiter; d’une part, ils désiraient traverser Capoue, afin de n’avoir plus l’empêchement du fleuve qui les séparait des routes de leurs communes; d’un autre côté, ils craignaient d’être trompés, et de ne pouvoir plus ressortir de la place une foia qu’ils y seraient entrés. Mais enfin, il est à croire que le vif désir de retourner chez eux, joint à la confiance de leurs propres forces, les engagea à accepter les propositions du général Costa, bien certains qu’ils pourraient sortir de suite par violence, si l’on venait à ne point le leur accorder de bonne volonté. Le fait prouva du moins que tel avait du être leur raisonnement, qui, d’ailleurs, s’accordait parfaitement avec l’accomplissement de leurs projets.

Ayant donc obtenu leur consentement d’entrer dans Capoue, on en commença le mouvement sur les dix heures du matin; mais à peine eurent- il s dépassé la porte de Rome, qu’ils manifestèrent des signes de rébellion. Plusieurs soldats se débandèrent aussitôt, et se dirigèrent en Joule vers la porte de Naples; ils en forcèrent la garde et se dispersèrent. Six compagnies d’artillerie, et une de sapeurs, troupes sur lesquelles on comptait le plus, désertèrent également. On fit feu, pendant deux fois, sur le colonel Alvarez, commandant de la place. Près la porte de Rome, des soldats s étaient déjà introduits de force dans les m aisons des habitans. Tant de circonstances réunies firent penser qu’il existait un accor d entre les troupes du dedans, et celles du dehors, pour mettre la ville au pillage, et pour exécuter à une seule foia le projet tant de fois tenté de tuer tous les officiers des divers grades. Les physionomies des soldats, d’une part, et celles des habitans, de l’autre, annonçaient une crise affreuse. Il fallait, sans tarder, prendre une résolution quelconque.

J’ordonnai à tous les corps de sortir de la place, par la porte de Naples, et de bivouaquer sur les glacis du même côté. J’ordonnai, en outre, que les commandan s des corps harangu a sse nt encore une fois leurs soldats, pour tâcher de les ramener au devoir, en leur faisant voir l'infamie dont ils se couvriraien t, s’ils persistaient dans l’ indigne résolution de se débander, et de commettre tant de désordres; mais j’ajoutai que si les soldats voulaient encore employer la violence pour s’en aller, alors les commandans devaient s’e ffo rcer de leur faire, au moins, laisser leurs armes, qui resteraient entre les mains des sous officiers et soldats qui voudraient rester.

Deux motifs me portèrent à désirer que les soldats ne partissent pas avec leurs armes: d’abord, pour éviter les ravages et les violences qu’ils auraient commises en traversant le royaume, étant armés; ensuite pour conserver ces armes, dont il y avait une si grande pénurie. Or, puisque le débandement ne pouvait plus être évité, aurais-je imaginé qu’on pût m’imputer à Crime un acte aussi éminemment louable que celui de sauver au moins les armes à l’état, lorsque je ne pouvais absolument retenir les hommes? On verr a pourtant comment la malignité sût s’emparer de cette circonstance pour accuser encore mes intentions.

Pour seconder cette première mesure conservatrice, je fis prendre les armes à la garde, aux sapeurs, et à deux cents étrangers du douzième de ligne. Je fis armer de fusils tous les officiers. Je fus forcé à cette extrémité pour pouvoir repousser la force par la force, puisque toute ombre de discipline s’était évanouie, et puisqu’on ne pouvait plus s’attendre à aucune espèce d’égards.

L’opération fut faite avec vigueur, et elle prévint la révolte finale, qui s’était annoncée d’une manière si terrible, qui menaçait la ville d’un désastre complet, et qui eût pu mettre les généraux et les officiers dans l’humiliante nécessité de laisser la capitale à la discrétion des révoltés ou de l’ennemi. (Pièce 85.)

L’ordre donné aux colonels de tenter un dernier effort sur l’esprit de leurs troupes eût des effets divers: dans le régiment

Farnese, les soldats voulurent partir, tous à la fois, sans laisser leurs armes, et le colonel Pepe rentra dans la place avec cent vingt sous-officiers. Dans le onzième de ligne, on parvint à conserver un petit bataillon; dans le douzième, il ne resta que les deux cents étrangers, dont on a déjà parlé. Il resta aussi une assez bonne partie du bataillon de sapeurs, ainsi que toute la garde, dont il ne déserta pas un seul homme.

Le général Filangieri et moi, dans une des routes de Capoue, nous retrouvâmes deux cents voituriers du train, qui emmenaient au galop quatre cents chevaux de trait, que nous parvînmes à leur faire laisser. Dans d’autres routes, on trouvait des groupes de soldats de tous les corps et de toutes armes, mêlés ensemble et commettant des excès; mais on les r a men a à l’ordre par des moyens vigoureux (53). Enfin le général Schudy fut nommé commandant de la place; et, à l’aide de toutes ces dispositions, l’ordre fut rétabli (+).

Il était indispensable, en même temps, d’empêcher que les Autrichiens ne s’emparassent, par un coup de main, de la place, où il n’y avait pas de soldats préparés à la défendre, puisque la garde avait protesté à cet égard. J’ordonnai dono qu’on pointât des canons du côté de la route de Rome, et qu’on les garnit d’artilleurs; mais un colonel de ce corps, en réponse à cet ordre, eût le courage de se charger de venir me déclarer que les restes de ce corps refusaient de servir les canons. Les dix-huit et dix-neuf du même mois, la dissolution des troupes s’acheva sur tous les points. 

Les artilleurs, les soldats de cavalerie et les sapeurs, qui jusqu'au dix-huit, avaient montré moins de démoralisation, finirent aussi par se débander. (Pièce 77,79, 80, 84, 86.) après le débandement arrivé à Capoue, le dix-huit, sous les yeux des généraux, j’avais trouvé le moyen de faire parvenir un rapport au ministre de la guerre; en le priant de donner connaissance du tout au prince régent. J’informais aussi le ministre qu’on avait reconnu un déficit de quatre cents officiers des divers corps; c’était de ceux qui, se trouvant compromis personnellement, s’étaient si fortement démoralisés après la proclamation du roi, et qui, à ce qu’il parait, ne furent point rassurés par ma circulaire du quinze, dont il a été parlé en son temps. J’ai déjà dit que ces officiers étaient ceux qui avaient le plus donné dans le sens de la secte. 

Ces officiers, en retournant à Naples, se portèrent dans toutes les ventes, où, ne pouvant nier un abandon si honteux, parce que je l’avais de suite fait constater par les états de revue, ils n’eurent plus d’autre ressource pour s’excuser que d’affirmer impudemment qu’ils avaient abandonné Capoue, parce que les troupes y avaient été désarmés et renvoyés, le dix-huit, par mon ordre. Sur cette assertion, les charbonniers répèterènt avec assurance que j’avais renvoyé l’armée. Qu’on remarque. la progression: il plaît d’abord au colonel Pepe d’affirmer que son régiment a été renvoyé par mon ordre; les officiers déserteurs, pour s’excuser, disent que j’ai renvoyé les troupes de Capoue; les charbonniers affirment ensuite que j’ai fait, désarmer et renvoyer l'armée! 

Pouvait-ils bien appeler régimens, troupes, armée, ces misérables onze cents hommes, débris des débandés de Torricella et de Spartimento, qu’on avait rénnÌ8 dans les champs à la pointe des sabres des officiers et des gendarmes, et qui se mirent en état de révolte à leur entrée à Capoue?....De telles assertions furent cependant la première cause de cette fausse opinion, que d’autres circonstances vinrent encore accroître, comme on le verra par la suite. Mais, outre l’injustice et le ridicule même de ces assertions, le lecteur ne devra pas oublier que trois jours auparavant, j’avais écrit précisément une circulaire aux lieutenants-gouverneurs, pour qu’ils fissent bien sentir aux officiers la nécessité, pour leur propre intérêt, de ne point laisser débander l’armée.

En conséquence des rapports que j’avais envoyés le dix-huit au ministre, je repus, dans la matinée du dix-neuf, un ordre du prince d’ouvrir des négociations avec les Autrichiens, moyen déjà approuvé par le parlement. Je répondis au prince régent que les Autrichiens avaient contre moi certaines préventions (54), qui, bien que mal fondées, me faisaient croire plus convenable que les négociations fussent entamées par le général Ambrosio. J’engageais le prince à lui envoyer de suite les pleins-pouvoirs, et à me rappeler à Naples; et je lui disais qu’en attendant je ferais tout mon possible pour que les Autrichiens n’avançassent pas.

Afin d'opérer cette suspension dans la marche de l’armée Autrichienne, j’envoyai le dix-neuf au matin le major Blanco aux avant-postes ennemis, pour prier le général qui les commandait d’arrêter ses mouvemens, puisqu’on attendait les ordres du roi, en réponse du message que le parlement lui avait envoyé par le général Fardella. Je lui faisais dire qu’il était à présumer que les hostilités finiraient bientôt, mais que, jusqu’après la réponse du roi, et jusqu’à ce que j’eusse reçu des ordres analogues, je me croirais, en honneur, obligé de tirer sur quiconque s’approcherait de la place; mais que, désirant éviter une inutile effusion de sang, je le priais de ne point poursuivre sa pointe. Le général Autrichien consentit à ma demande, et ordonna de suspendre la marche de la brigade Villete, qui était sur le point de partir de Teano.

Il proposa toutefois de mettre garnison Autrichienne à Capoue en conservant le drapeau Napolitani et un commandant de notre nation, comme cela, disait-il, s’était pratiqué au château d’Aquila. On lui répondit que ce château ne pouvait être assimilé à Capoue, qui commandait la ligne du Vulturno, et couvrait la capitale. Alors, le général autrichien dit savoir que notre armée n’existait plus, et qu’il en avait été informé par les déserteurs, dont il montra une grande quantité répandue sur les routes. Le parlementaire répliqua que, dans aucune circonstance, il n’était en mon pouvoir de céder la place; que la proposition devait en être envoyée au prince régent, qui, seul, pouvait accorder une telle permission, soit comme commandant suprême, soit comme représentant le roi. Le général Autrichien se prêts gracieusement à ce délai, et nous parvînmes ainsi à arrêter ses mouvemens pour ce jour-là.

Dans la matinée du dix-neuf, le colonel Tocco arriva à Capoue avec quelques débris de troupes, après avoir fait sa retraite en longeant les postes Autrichiens pendant la nuit.

Le même jour, on me fit le rapport que les Autrichiens avaient sommé le lieutenant-colonel Zender, commandant à Montecasino, de rendre le fort; qu’il avait refusé et dit qu’il se défendrait, mais que, pendant ce temps-là, les deux compagnies de la garde s’étaient révoltées, et qu'elles avaient, de force, ouvert la porte aux Autrichiens. Le lieutenant-colonel s’était déclaré prisonnier, ainsi que les officiers du génie qui étaient dans le fort. (Pièce 81.)

Ces deux compagnies de la garde entrèrent à Capoue, le vingt-un, tambour battant, avec les grenadiers Autrichiens. (Pièce 81.)

Le vingt Mars, les pouvoirs nécessaires parvinrent au général Ambrosio, qui était resté à Capone avec environ neuf cents hommes. Tout le reste avait été dirigé sur Naples, d’après les ordres qui avaient été donnés par le prince.

Le même général expédia aussitôt un parlementaire au général prince de Walmoden, qui était le plus près de la place, pour l’informer qu’il avait l’ordre et les pouvoirs nécessaires pour conclure une convention militaire. Il demandai en même temps qu’on en prévint le général Frimont, pour fixer ce qu’on aurait à faire. A peine notre parlementaire était-il en chemin, qu’il rencontra un parlementaire Autrichien, hors la porte de Capoue, qui venait annoncer l'arrivée du général Baron Fiquelmont, qui désirait parler au général en chef.

Le général Ambrosio en fut de suite informé, et se rendit aussitôt hors de la place, où il conclut la convention militaire du vingt Mars, par laquelle on déclara que les hostilités cesseraient dans tout le royaume, que Capoue serait livrée aux Autrichiens, mais que l’occupation de la ville de Naples et de ses forts serait l’objet d’une convention particulière.

Le vingt-trois Mars, il y eût à Aversa, entre le général Pédrinelli et le baron Fiquelmont, une nouvelle convention militaire, par laquelle on céda tous les forts, et par laquelle on fixa pour le même jour l’entrée des Autrichiens à Naples. C’est ainsi que fut complétée l’humiliation de notre patrie, qui tomba de fait sous le joug étranger, quoiqu’elle parût n’avoir fait que rentrer sous la domination de son roi. Voilà le résultat final d’une révolution téméraire, et à laquelle, il faut en convenir, on ne saurait donner l’excuse de la nécessité. La lecture entière de ces Mémoires aura fait assez connaître les causes qui empêchèrent d’adopter aucune espèce de remède pour sauver la patrie; elle aura aussi fait voir quels furent les véritables instrumens de notre perte.

RÉSUMÉ ET CONCLUSION

Ici, se termine le récit des faits qui ont précédé l’entrée des Autrichiens à Naples. Je pourrais donc, à la rigueur, terminer ici ces Mémoires; mais, dans la position particulière où je me trouve, ainsi que dans celle où gémit mon mal heureux pays, il-importe d’abord de résumer les causes qui rendirent inévitable le débandement des troupes. Je veux, en outre, donner quelques nouvelles preuves que mes collègues et moi, nous n’eûmes pas le moindre tort à nous reprocher, tout en faisant voir les causes qui accréditèrent dans le royaume, et même à l’étranger, cette calomnieuse imputation de la trahison des généraux. Enfin, je crois devoir terminer ces Mémoires par quelques faits, qui, bien qu’ils me soient plus spécialement personnels que les précédens, sont néanmoins liés à ceux des derniers, événemens politiques du royaume, qui furent une conséquence immédiate de la répression de notre révolution éphémère.

Quant aux causes du débandement, rappelons ce qui a été dit dans la seconde partie: que les congédiés avaient été forces de marcher, et presque chassés de leurs communes, sans qu’on voulût écouter aucun titre d’exemption que plusieurs d’entr’eux opposaient. On a vu encore comment la partialité avait présidé à toutes ces levées. Aussi, blessés d’une telle injustice, ceux qui furent obligés de partir étaient décidés à déserter, dès le moment même de leur départ. Le désir de se venger de l’oppression exercée contre eux fut un motif aussi-déterminant pour eux, peut-être, que le désir de rentrer dans leurs foyers. Ils furent obligés de se soumettre dans leur communes respectives, où ils étaient isolés; mais, dès qu’ils furent à l’armée, ils sentirent combien ils étaient devenus plus forts par leur réunion, et c’est le sentiment de cette force qui les porta à ces désertions en masse.

La désertion des congédiés fut d’abord réprimée par l’activité des miliciens même et des légionnaires, qui étaient mis en mouvement par les Charbonniers; mais l’intention de quitter les drapeaux fut toujours la même chez les congédiés; ils l’exprimaient sans cesse par des réclamations audacieuses (Pièce 83); et souvent, ils répétèrent qu’ils n’étaient venus à l’armée qu’après y avoir été forcés par les Charbonniers. (Pièce 85.) Leurs réclamations cessèrent aussi pour un moment lorsqu’ils virent arriver les miliciens mais ils perdirent tout frein lorsqu’ils s’aperçurent du mauvais esprit de ces derniers, et lorsqu’ils les virent déserter eux-mêmes en grand nombre. Ce fut pour eux un exemple de plus à suivre, et un obstacle de moins à craindre. Telles sont, jusqu’à présent, les causes particulières du. débandement des congédiés. Il en est d’autres qui leur furent communes avec les miliciens et les légionnaires, et dont on parlera plus bas.

Examinons maintenant celles qui regardent spécialement les miliciens. Comment put-on se flatter que des hommes, pris au hasard parmi les artisans et les cultivateurs, et sans aucunes considérations, même les plus légitimes, soit d’âge ou de conformation physique, soit quant à leur état civil, ou à leurs occupations, fussent allés volontairement se battre loin de leurs communes! Organisés comme ils l’étaient, on aurait pu, peut-être, les faire battre localement; mais lorsqu’on voulait les arracher à leur sol, il fallait s’attendre à une force d’inertie insurmontable. La contrainte locale avait pu seule en faire partir un certain nombre, mais qui ne monta jamais au tiers du contingent fixé par la loi. Encore, ce tiers fut-il composé des élémens les moins convenables, ainsi que nous l’avons vu dans le cours du récit. Toutes ces causes particulières, jointes à celles communes à tous les corps de l’armée, furent donc un obstacle invincible à ce qu’on pût empêcher la désertion d.es miliciens.

Enfin, quant aux légionnaires spécialement, on doit aussi se rappeler que des ventes entières de Charbonniers avaient été, sans autre préparation, transformées en compagnies militaires, comme s’il y avait quelque chose de commun entre l’organisation de ces sociétés secrètes, et celle d’un corps propre à faire la guerre.

Aussi, lorsqu’on voulut appeler ces prétendus militaires, on vit que cette organisation n’avait eu pour résultat que de servir la vanité de leurs chefs, et de leur fournir les moyens d’exercer leur esprit de domination dans leurs communes. Des pères de famille, des hommes âgés, des hommes malsains ou mal conformés, enfin des propriétaires dont la présence chez eux était impérieusement commandée par plusieurs circonstances, avaient été inscrits confusément parmi les simples légionnaires, dont il ne partit que des remplaçans ou des hommes sans propriété ou profession. Enfin, l'on doit se rappeler, comme nous l’avons dit dans la seconde partie, que, pour faire croire que les cadres étaient complets, on y avait inscrit des noms imaginaires. Le déficit dans chaque bataillon fut donc extrêmement considérable; et quant au nombre des bataillons, plus de!a moitié ne se mirent jamais eu mouvement.

De tout ce que je viens d’exposer relativement aux trois classes des congédiés, des miliciens, et des légionnaires, on voit que la désertion et' le débandement de ces corps étaient dans la nature intime de leur composition; car chaque individu qui en faisait partie avait un besoin de s’y livrer. Un tel sentiment fut ensuite augmenté par leur contact mutuel; les premiers obstacles l’irritèrent encore, les circonstances générales lui fournissaient un aliment continue!, et les événemens divers qui survinrent par la suite le déterminèrent entièrement.

Je reviens maintenant aux causes générales.

En même temps que la secte faisait partir de force,et d’une manière aussi partiale qu’inexorable,les trois classes d’hommes dont nous venons de parler, elle faisait répéter dans tous les journaux que ces hommes marchaient de bonne volonté, et qu’ils étaient parfaitement disposés à se battre. Elle savait bien que tout cela était' faux, et elle crut remédier au véritable état des choses, en introduisant la charbonnerie dans tous les corps. Elle crut, par ce moyen, leur inspirer de l’intérêt pour la cause; mais les individua étaient plus touchés de leurs propres intérêts, qui étaient évidemment lésés, que des résultats promis d’un système dont ils sentaient immédiatement de si tristes effets.

Ainsi donc, l’introduction de la charbonnerie dans la troupe, ne fut, sous ce rapport, d’aucune utilité, tandis qu’elle y introduisit au contraire le germe de l’indiscipline. En même temps, elle fournit aux soldats les moyens d’organiser des complots, en toute sûreté, à l’ombre du secret charbonnique. En outre, elle seconda, parfaitement les desseins de nos enne mis, tant intérieurs qu’extérieurs, qui tirent introduire leurs émissaires dans les ventes, pour semer toujours davantage l’esprit d’insubordination, pour répandre la défiance et les alarmes, pour suggérer le débandement, enfin pour exciter au meurtre même des généraux et officiers.

Mais si les agens de nos adversaires faisaient tout, d’après leurs vues particulières, pour produire le débandement de l’armée, plusieurs charbonniers, quoique dans un but tout-à-fait opposé, agissaient absolument dans le même sens; or, voici comment s’explique un phénomène aussi singulier, qui pourrait d’abord paraître une contradiction.

Il existait dans l’âme des sectaires une sorte d’instinct, qui leur faisait craindre que l’armée, venant à obtenir des succès sous les ordres d’hommes qu’ils avaient insultés, ne finit par être révoltée contre la charbonnerie même. J’étais un de ceux dont on croyait avoir le plus à craindre à cet égard, mais les autres généraux se trouvaient presque tous, plus ou moins, dans le même cas. C’est par ce motif sans doute que, dans les ventes, on cherchait sans cesse à inspirer de la défiance contre les chefs de l’armée, et que plusieurs Charbonniers avaient propose de réduire toute l’armée en guérillas. peut-être quelques-uns d’entr’eux avaient-ils de bonne foi des sentimens de défiance contre moi, et ils croyaient sans doute par là me ravir une réunion de forces qui Ics alarmait. Ce fut donc par tous ces motifs que l’on alla jusqu’à proposer ouvertement dans les ventes le débandement de l’armée.

Or, les congédiés, les miliciens, et les légionnaires, se voyaient exciter par cette doublé et uniforme impulsion, qui, bien que produite par des motifs opposés, s’accordait dans le but immédiat, qui était la désertion, objet unique de leurs désirs. Tel le était déjà la disposition des esprits, lorsque la déroute du second corps vint encore l’augmenter, et préparer les.occasions de la satisfaire; enfin la proclamation attribuée au roi vint tout déterminer, et fut regardée comme une justification du débandement de l’armée.

D’après ce que je viens de résumer, sur la nécessité des événemens que j’ai décrits, d’après tout ce qui résulte à cet égard de la lecture entière de ces mémoires, il semblerait superflu que je cherchasse à prouver plus spécialement que je -n’eus aucun tort dans tous ces événemens. Cependant, la malignité ou la prévention ont été portées si loin contre moi, et j’ai tant à cœur de détruire jusqu’à la dernière trace de soupçon dans l’esprit de mes concitoyens et de l’Europe entière, que je crois encore devoir revenir sur quelques circonstances, qui, j’espère, ne laisseront rien à désirer sur ce point. Je prie donc le lecteur de vouloir bien m’accorder encore quelques instans de bienveillance; il y va de l’intérêt de la vérité, il y va de l’honneur d’un citoyen proscrit, qui fut assez malheureux pour n’avoir pu verser tout son sang pour la défense de sa patrie!

En commençant par l’époque de mon ministère, je crois devoir rappeler qu’à l'aide des plus grande efforts, je parvins au résultat, alare bien difficile, de porter l’armée au grand complet de cinquante quatre mille hommes, et de la fournir de tout ce qui était nécessaire. Toutes les places frontières, qui étaient dans un état déplorable, furent mises en état de défense; tandis qu’il m’eut été si facile, au contraire, de laisser tous ces objets en souffrance, si j’avais pu avoir des intentions perfides.

Si j’eusse eu l’infamie de nourrir de telles in tentions, me serais-je opposé de tout mon pouvoir à l’expédition de Sicile? N’aurais-je pas dû l'appuyer, au contraire, afin qu’il se trouvât aux frontières un nombre moins considérable de défenseurs?…

Comment, avec de telles vues, aurais-je propose au parlement tant de moyens de consolider l’organisation de l’armée? aurais-je réclamé une loi sévère contre la désertion?(55) aurais-je propose d’inscrire toutes les armes à feu des citoyens pour en armer au besoin nos miliciens?..

Aurais-je employé tous mes efforts pour faine organiser les milices d’une manière plus convenable; pour empêcher le mode vicieux d'appel des congédiés et de la composition des légionnaires? N'aurais-je pas, au contraire, pris le plus grand soin à laisser s’accumuler toutes les inconséquences de telles organisations?

Aurais-je, par la suite, mis tant d’obstination à refuser le commandement en chef? Ne me serais-je pas empressé de l’accepter pour faciliter l’invasion extérieure? après avoir accepté le commandement, aurais-je, à quatre reprises différentes, réclamé l’attention du parlement sur l’état moral des troupes?

Serais-je tombé, surtout, dans l’inconséquence de solliciter la présence de deux députés du parlement auprès du premier corps?

Enfin, après tant d’antécédens, dont je ne fais ici que retracer les principaux traits, si l’on pouvait supposer que, par un vertige subit, j’eusse conçu, dans les derniers jours, l’intention absurde de détruire d’un seul coup l’organisation de l’armée, qui m’avait coûté tant d’efforts, tant de veilles, tant de sollicitudes, aurais-je, dans la nuit du dix-sept, employé tant de fatigues à Casalanza, pour faire réunir les soldats déjà débandés de la division Ambrosio? Aurais-je poussé la précaution jusqu'à faire, dès le quinze, une circulaire aux généraux, pour engager les officiers des corps à prévenir, par tous les moyens possibles, le débandement de l’armée?.. 

Ah! j’ai le sentiment intime que j’ai fait et suggéré, à chaque époque, tout ce qui m’était possible pour la défense du royaume, non-seulement à l’égard de la frontière qui m’était confiée, mais même pour les Abbruzzes. Pourquoi donc, si j’avais eu de mauvais desseins, me serais-je inquiété d’une ligne de défense qui n’était pas dans mes attributions? ne me serais-je pas intérieurement télicité des erreurs que je pouvais apercevoir dans les dispositions défensives de ces dernières provinces?...

Mais il existe encore un autre genre de preuves qui naissent des circonstances postérieures:

Vingt-trois mois se sont écoulés depuis l’entrée des Autrichiens à Naples; un grand nombre de Napolitains a été obligé de s’émigrer; presque tous se sont réfugiés dans des pays où existe la liberté de la presse, et s’ils eussent eu contre moi le moindre fait à révéler, certes ils ne m’eussent pas épargné.(56) Mais quelqu’un d’entr’eux a-t-il même présenté quelque indice à ma charge? A-t’on trouvé que, dans le temps de mon commandement, ni dans aucune autre circonstance, j’aie eu la relation la plus éloignée avec l'enne mi en avec ses é m issaires? Ai-je donné un se ul ordre qui n’allât droit au but? At-je fait une seu l disposition qui fut équivoque? Ai-je confié ou laisser échapper involontairement le secret des desseins qu’on voudrait me supposer? Et cependant, il était indispensable de se confier A un certain nombre d’agens secondaires pour exécuter un aus s i vaste complot, traîné A la foia sur tous les points, et qui tendait au débandes ment de toute l’armée. Si donc, la h aine ni la malignité n’ont pu trouver rien de semblable, c’est une preuve nouvelle qui ajoute en ma faveur A toutes les preuves antérieures.

Enfin, quant au même genre de preuves indirectes, en voici une bien forte encore: le paries ment de Naples, par son message du douze Mars au Roi, en s’excusant sur ce que précédemment, il l’avait cru en état de coaction de la part des étrangers, lui avait demandé positiv e ment se s o rdres. Dès cet instant, les ordres du Roi deve nai ent légaux aux yeux de chacun; et dès qu’il aurait ordonné de cesser toute résistance envers l’armée Autrichienne, en la déclarant son al l iée, le prince régent et le parlement se fussent de suite conformés. à cette volonté. Mah alors, quelle nécessité y avait-il de faire débander l’armée, puisqu’elle se fùt rendue sans aucun effort, et de la manière la plus légale? Et quant aux généraux, n’était-il pas, au contraire, dans leur convenance et de leur intérêt, tout en se montrant soumis à la Volonté du Roi, de se présenter aux Autrichiens à la tête d’une armée réunie et en bon ordre, plutôt que d’en livrer honteusement les débris, et de' s’exposer à toutes les humiliations, aux dangers même qui sont inévitables dans un débandement opéré d’une manière aussi irrégulière et aussi violente?(57).

Après tant de faits, qui démontrent jusqu’à l’impossibilité même d’une trahison de ma part, comment se fait-il qu’une imputation aussi affreuse ait pu s’attacher à mon nom? La lecture de ces Mémoires peut en avoir fait pressentir les causes; mais, pour les indiquer d’une manière précise, il est nécessaire d’ajouter quelques réflexions, tant sur quelques particularités de ma situation politique depuis le mois de Juillet 1820, que sur les diverses personnes qui ont pu participer à répandre contre moi les bruits odieux, dont j’espère enfin sans retour démontrer le défaut de fondement.

Parmi ces personnes, il y en a plusieurs, il faut l’avouer, qui sont de bonne foi, soit qu’elles aient été entraînées par de fausses inductions résultant de faits matériels, soit qu’elles aient été aveuglées par leurs propres passions.

Sous le rapport des faits matériels, qui pouvaient conduire à de fausses inductions contre moi, on se rappelait surtout mes soins pour ré primer les premiers mouvemens de la révolution à Monteforte, et l’on ne pouvait supposer que j’eusse pu ensuite prendre sincèrement la défense d’un systéme que j’avais combattu à sa naissance. Or, je crois avoir, dans la préface, développé les principes qui m’ont dirigé dans les deux époques: je me suis oppose, dans son principe, à un mouvement que je prévoyais devoir être funeste à ma patrie; mais ce mouvement, une fois sanctionné, nulle puissance étrangère n’avait le droit d’intervenir dans nos affaires intérieures; et je répéterai jusqu'au dernier soupir, qu’en pareil cas, tous les citoyens doivent oublier leurs démêlés particuliers pour se réunir contre toute aggression étrangère.

Quelques autres circonstances. firent encore penser, quoiqu’à tort, que j’étais entièrement contraire au nouvel ordre de choses. Ces circonstances sont, en premier lieu, que j’avais demandé des modifications à la constitution espagnole, secondement, que j’aurais voulu me démettre du ministère, enfin, que j’avais refusé le commandement de l’armée. Je crois m’être déjà suffisamment justifié sur ces trois points; en effet, j’ai déjà dit les motifs particuliers qui me faisaient penser que je ne pouvais servir utilement mon pays ni dans le ministère, ni à la tête de l’armée, ainsi que les raisons qui me faisaient désirer des modifications convenables à la constitution d’Espagne.

Mais il est une autre classe d’hommes, qui n’ont point les mêmes motifs d’excuse dans leurs imputations; chez eux, ce fut une pure calomnie, fruit de l’intérêt le plus vi! et le plus lâche. D’abord, tous ceux qui avaient honteusement fui de l’armée, les quatre cents officiers surtout, que l’honneur ni ma circulaire n’avait pu retenir sona les drapeaux, voulant à tout prix se laver de cette infamie, s’empressèrent de répandre que j’avais forcé les soldats d’abandonner leurs armes, et de rentrée chez eux, en ne conservant que la seule garde royale.

Ensuite, les intrigans, les êtres cupides on bassement ambitieux, dont j’ai dû combattre les prétentions, dont j’ai contrarié les projets, ne me pouvaient pardonner un tel crime, et ils saisirent tous les prétextes pour me dépeindre comme l’ennemi de la patrie.

D’un autre côté, une foule d’autres personnes, Sentant qu’on leur imputerait nos malheurs, soit parce qu’elles avaient commencé témérairement une révolution, non nécessaire, ni soutenable, soit parce qu’elles avaient compromis sa cause par leur imprévoyance, leurs promesses fallacieuses, ou leur obstination; soit enfin parce qu’elles avaient contribué aux désordres intérieurs de l’état et aux vices d’organisation, durent se féliciter de trouver dans l’accusation des généraux une ressource pour se disculper elles-mêmes, et faire tomber sur d’autres les reproches qu’elle avaient seules mérités.

Enfin, d’autres hommes encore, qui se trouvant à la tête du pouvoir législatif, ne surent pas profiter de leur influence, pour faire adopter des mesures convenables, des hommes qui n’eurent pas l’habileté de faire servir la régénération de leur pays un mouvement inconsidéré (58) dans son principe; ces hommes s’apercevant enfin de leurs fautes si funestes, à la chose publique, mais n’ayant pas au moins le noble courage de convenir qu’ils s’étaient trompés, saisirent avec avidité l’occasion de soutenir que la patrie avait succombé par la trahison des généraux. Ainsi se propagea toujours davantage une croyance aussi fausse envers moi et plusieurs de mes collègues, malgré que nous eussions tout fait pour éviter une telle calamité.

Il me reste à faire voir comment les bruite de trahison ont pu se répandre à l'étranger et y prendre quelque consistance. D’abord, les journaux Napolitains répétaient chaque jour que notre armée était forte de cent mille hommes et qu’elle était animée du meilleur esprit. Dés lettres, parties de Naples, répétaient: “Vous verrez ce que nous ferons cette fois.... Nos troupes nombreuses sont dans les meilleures dispositions.... Nous avons de la peine à retenir nos jeunes gens, qui tous voudraient voler à la frontière." après de telles assurances, les libéraux d’Europe, persuadés d’ailleurs que les idées de liberté peuvent changer tout d’un coup le caractère d’un peuple, s’attendaient à de grands résultats; mais ils restèrent stupéfaits, lorsqu’ils virent dissiper comme une: ombre cette armée si nombreuse et si bien disposée. Il fut naturel alors de chercher à en deviner les causes; et n’imaginant point qu’on eût pu mentir ainsi à la face de l’Europe, on ne pût former d’autre conjecture que celle de la trahison des généraux. Ensuite les émigrés Napolitains, ceux-là même qui avaient le plus de torts à se reprocher, arrivant en pays étranger, ne trouvèrent également d’autres moyens de se disculper qu’en disant que la chose n’avait échoué que par la trahison des généraux.(59)

Je croie maintenant avoir épuisé à-peu-près tout ce que j’avais à dire pour me justifier du reproche affreux de trahison. Je dois cependant déclarer, en finissant cette partie de mon Mémoire, que, malgré tout l’intérêt d’honneur qui guide ma plume, des considérations importantes m’empêchent de produire une nouvelle preuve, qui serait plus directe encore, de la ferme résolution où j’étais de combattre à tout prix l’ennemi: c’est une lettre que, en présence de deux chevalière Napolitains, j’écrivis de Mignano à un diplomate étranger, et que l’un d’eux voulut bien se charger de lui remettre. Plus tard, lorsque les circonstances me le permettront, je publierai cette lettre, et j’invoquerai le témoignage de ceux devant qui elle fut écrite, et de celui à qui elle fut adressée.

Après avoir écarté l’imputation que j’avais le plus à cœur de repousser, celle d’avoir trahi le plus sacré des devoirs, j’avoue qu’il me reste beaucoup moins d’intérêt à écarter quelques autres reproches, qui sont très-secondaires à mes yeux, en comparaison de la gravité du premier.

D’une part, l’on me reproche de ne pas avoir adopté un bon système d’opérations pour réparer la défaite du second corps; et d’un autre côté, l'on prétend que j’aurais pu rétablir encore nos affaires, en me retirant dans les Calabres. Ces deux dernières imputations ne sont plus dirigées contre mes intentions; la première, surtout, attaque uniquement ma capacité militaire, sur la quelle je serais prêt à donner gain de cause, si l’intérêt des principes de l’art, et un sentiment d’amour-propre, dont je rie puis entièrement me dépouiller, ne me portaient à étendre ma justification jusques sur cette partie de mes actes. Quant ù la dernière imputation, qui a quelque analogie avec la précédente, puisqu’elle porte sur un nouveau pian d’opérations militaires; elle intéresse encore mon honneur jusqu’à un certain point, car elle suppose que, par défaut de patriotisme, ou par faiblesse, j’aurais pu négliger d’employer la dernière ressource qui se trouvait entre mes mains.

Examinons d’abord les critiques qui ont été faites de mes opérations, après la défaite du second corps d’armée. Il est toutefois à observer que ceux qui s’accordent à me blâmer sur ce que j’ai fait, ne sont pas d’accord sur ce que j’aurais dû faire. Le plus grand nombre pense que le premier corps eût dû, presqu’en totalité, marcher de suite en Abbruzze, au secours du second. Je crois qu’il serait inutile et fastidieux de répéter ici les motifs qui me détournèrent d’une telle résolution. Je les ai développés dans le plus grand détail, lorsque j’ai exposé la discussion qui eût lieu à cet égard, dans le conseil des généraux, où l’on finit par convenir de tous les désavantages d’un tel mouvement, qui découvrait la capitale, et nous exposait encore à divers autres dangers.

Quant à la minorité des militaires qui m’ont désapprouvé, (et je conviens qu’elle se compose des plus instruits), elle a prétendu qu’après le revers des Abbruzzes, le premier corps devait faire une diversion, en marchant avec vigueur,sur Villetri et sur Valmontone. Je pense qu’un tel avis n’a été basé que sur des données abstraites, et sans tenir assez compte des circonstances qui nous environnaient. Je demanderai d’abord: le premier corps avait-il alors assez de soldats pour prendre avec succès l’offensive sur ces deux points, où se trouvaient quatre divisions autrichiennes? Et de plus, la mauvaise composition de mes troupes, et leur mauvais esprit pouvaient-ils permettre une telle opération? Mais, puisque je m’adresse à des militaires distingués, je ne veux pas me borner à ces considération générales, quelle que soit leur importance; et je vais discuter l’opération d’après les seuls principes de Kart, en faisant abstraction des circonstances précédemment indiquées, et en supposant que les dix-huit mille hommes du premier corps eussent été bien disciplinés, instruits aux manœuvres, et animés du meilleur esprit.

J’avais donc sous mes ordres dix-huit mille hommes; et quoique l’armée ennemie fùt de quarante mille, regardons cette infériorité comme compensée, jusqu’à un certain point, par la circonstance que je possédais la ligne intérieure, ce qui me permettait de réunir toutes mes forces dans une des deux directions de Venafro ou de St. Germano. Alors, j’acquérais la supériorité relative sur l’ennemi, qui, tenant la ligne extérieure, n’aurait pu se renforcer à temps sur le point où j’eusse réuni mes moyens. 

Il parait que ceux dont j’examine en ce moment l’opinion, eussent désiré que j’eusse fait une manœuvre de ce genre; mais une telle manœuvre ne réussit que lorsque l’ennemi commet l’erreur grossière de s’avancer entièrement sur une seule direction, tandis que, sur l’autre, il reste à une si grande distance qu’on peut aller l’attaquer d’abord sur le point le plus proche, le battre, revenir ensuite par la ligne intérieure, l’attaquer sur l’autre point et le battre encore, sans qu’il ait jamais lui-même le temps de réunir ses moyens. Au contraire, le succès devient impossible quand, d’après les règles de l’art, il fait avancer ses deux colonnes en même temps, chacune dans sa direction, à des distances toujours égales de l’armée opposée. Or, le général Frimont avait manœuvré précisément d’après ces principes, et il m’eut payer bien cher la manœuvre à laquelle on prétend que j’aurais dû me déterminer. de ses cinq divisions, deux et demie furent dirigées par les Abbruzzes,.sous le commandement du lieutenant-général Mohr; et il conduisit personnellement l’autre moitié par la vallée de St. Germano. 

Chacun des deux corps montait à environ vingt-un mille hommes, en sorte que la possibilité d’acquérir,sur une direction,la supériorité numérique, n’existait même pas; et ces deux corps s’avancèrent successivement sur Mignano, à une distance toujours égale, en sorte que, si j’eusse attaqué l’un des deux sur une route, l’autre, en même temps, par l’autre route, serait parvenu jusqu’à la position que j’aurais incessamment abandonnée; il m’aurait décidément coupé de ma base, et m’aurait mis entre ses deux corps d’armée, ce qui pouvait se faire dans chacune des deux directions, car elles sont convergentes sur la position de Mignano.

Je ne pense pas qu’il soit possible de rien opposer à cette démonstration. Je dois donc supposer, d’après l’opinion que j’ai des lumières de ceux que je combats, qu’ils ne connaissaient pas les dispositions effectives du général Frimont. Mais, ils pourront s’assurer de leur conformité avec ce que je viens d’exposer, par le bulletin de l’armée Autrichienne, en date du douze Mars 1821, au quartier-général de Frascati.

Or, puisqu’un tel moyen ne pouvait être mis en. usage, il ne me restait que deux autres partis; le premier eût été d’attendre à Mignano l’arrivée des deux corps susdits, qui seraient arrivés simultanément sur mes ailes; mais c’eùt été le mode le plus funeste de subir l’attaque d’une armée supérieure en nombre; car, de cette manière, on ne peut renforcer.un point de la ligne en en dégarnissant un autre. Le second parti consistait à éviter cette attaque désastreuse, en se retirant avant l’arrivée de l’ennemi, mais le plus tard possible. Or, c’est précisément ce qui fut exécuté, et le mouvement rétrograde ne commença que le seize, jour au quel l’ennemi arriva à deux marches de mes ailes. Rester un jour de plus nous compromettait, parce que l’ennemi,pour frapper un grand coup, eût pu forcer une marche avec ses deux colonnes, et me surprendre dans l'attitude désavantageuse que je devais éviter.

Au reste, cet expédient de prendre l'offensive avec le premier corps ne fut, dans le temps, suggéré par personne. C’est qu’alors on se trouvait au milieu des circonstances qui devaient frapper tout esprit raisonnable. Mais parler après les événemens est une chose si facile! Et lorsque l'issue a été malheureuse, c’est un argument si commode que de dire: On aurait agir de telle manière, car on ne risquait rien. de pire que ce qui est arrivé. Ainsi, par un don de prophétie à l’égard de tous les événemens poster rieurs, je devais prendre un parti désespéré, contraire à toutes les règles de l'art, et aux notions même de la prudence la plus ordinaire; je devais compter pour rien l’avantage de défendre la ligne du Vulturno, de couvrir la capitale, de soutenir le moral de la nation, et de sauver une armée de dix-huit mille hommes, qui, sans un concours de circonstances que je ne pouvais prévoir, pouvait seule relever toutes les espérances de la patrie!..

Je vais enfin aborder le dernier genre de reproches qu’on a cru devoir me faire, celui de ne m’être pas retiré dans les Calabres après la dissolution totale de l’armée. On prétend que là, j’aurais pu faire un appel aux libéraux, aux Charbonniers, et à tous ceux qui eussent été contraires à l’invasion extérieure. Examinons la. valeur de ce prétendu tort de ma part.

Les Calabres, il est vrai, ne manquèrent pas. d’hommes exagérés, qui avaient, dans le principe, fait beaucoup de démonstrations. Un très petit nombre d’entr’eux eût peut-être, par le fait, contribué à la défense nationale; mais quant à la masse du peuple, elle n’avait pas plus d'esprit public que dans le reste du royaume. Elle resta livrée à la plus entière apathie. On peut même dire que les autres provinces répondirent en quelque sorte à l’appel des milices, en envoyant quelques bataillons, bien que mal composés, et sans armes; mais les Calabres n’en envoyèrent qu’un seul, quoique leur contingent fat de seize bataillons. 

Quant aux congédiés Calabrais, ils étaient, de toute l’armée, les plus impatiens du service militaire, et ceux qui dissimulaient le moins leur résolution bien décidée de retourner chez eux. Enfin, des lettres de ces provinces assuraient que les Autrichiens y étaient attend us avec empressement, comme nous l’avons déjà dit plus haut. Mais, d’ailleurs, en supposant que tous ces motifs n’eussent pas existé, comment pouvais-je espérer moi-même de réussir dans une telle mesure? Perdu dans l’opinion des sectaires, qui d’eux eût voulu me suivre? Et quelle popularité pouvais je avoir aux yeux de la multitude, auprès de laquelle on avait pria tant de soins de me flétrir? Enfin, un appel de cette nature était dans les attributions du parlement, qui ne jugea point à propos de le faire, et qui même, avait déjà fait sa soumÌ8sion au roi. Ainsi donc, je n’eusse pu commander aucune obéissance, puisque j’eusse agi contre les décisions des deux autorités, législative et exécutive; mon entreprise eût donc été vaine, et j’eusse été considéré tout à la fois comme un insensé et comme un rebelle.

Après avoir entièrement terminé ma justification sous tous les rapports,une réflexion frappante s’offre à mon esprit sur l’inconséquence de la plupart des hommes, lorsque leurs passions ou l’aspect de grandes calamités a altéré leur jugement. Pendant deux fois, en Juillet 1820, et en Mars 1821, au lieu de confier la direction des mouvemens militaires à un seul chefs comme la nature des choses l’indiquait, on en charge simultané ment deux lieutenans-généraux. Dans les deux cas, on me place à gauche; là, chaque fois, je fais mes dispositions ainsi que l’exigeaient impérieusement les circonstances; mes vues reçoivent l’approbation de l’autorité supérieure; et chaque fois à droite, on agit dans un sens tout-à-fait opposé; chaque fois, à droite, on détruit, par un grand revers, tout l’effet des mes sures que j’avais prises; on anéantit jusqu’à l’ombre des espérances que mon attitude pouvait faire conserver.... Mais, ensuite, quel est celui qu’on accuse? C’est celui qui, seul, eût le bonheur de ne pas faire une faute, et qui n’éprouva lui-même aucun désavantage, ni dans l'une ni dans l’autre circonstance!...

Je vais me hâter maintenant de présenter la dernière série de faits, que j’ai annoncés plus haut, et qui ont suivi l’époque de la dissolution de l’armée Napolitaine.

Le dix-neuf Mars, en quittant Capoue, suivant l’ordre que j’en avais reçu, je revins & Naples, et je rentrai comme homme privé dans le sein de ma famille. Ce fut alors que j’appris que, dans le temps où je me consumais en tant d’efforts pour parer aux calamités publiques, des misérables avaient plusieurs fois projeté de mettre le feu à ma maison. J’appris aussi que le onze, Mare, on m’avait accusé devant le parlement d’avoir fait éloigner ma famille de la capitale. On avait ordonné une vérification de ce fait, qui: avait été trouve faux. Voilà comme dans ces temps malheureux, les agens de nos ennemis employaient toute espèce des moyens, afin d’inspirer des défiances contre ceux qui auraient tout, sacrifié pour servir encore la chose publique.

Les Autrichiens retardèrent de quatre jours leur entrée à Naples, qui n’eût lieu que le vingt-trois. Pendant ce temps-là, j’avais formé le dessein de m’éloigner du royaume, tant pour? éviter l’aspect douloureux de l’armée ennemie au se in de la capitale, que pour me soustraire: aux persécutions que je devais attendre d’un parti acharné, qui se serait prévalu auprès des Autrichiens de la prévention qu’ils avaient contre moi. Ainsi, j’avais déjà frété us bâtiment, et l’on m’avait délivré un passeport en régie pour Mahe.

Je proposai à l’un de mes collègues de partir avec moi; non-seulement il refusa, mais il chercha à m’en dissuader moi-même, sur le motif que nous n’avions rien à nous reprocher. Quelle erreur était la sienne! A quoi Sert l’absence du délit dans les crises politiques? J’opposais à mon collègue que des armées considérables avaient été mises en mouvement, et que des souverains s’étaient assemblée dans le but de préserver l’Europe des révolutions militaires. J’ajoutais que, puisqu’on était parvenu à en réprimer une sur un point, l’on voudrait sans doute l’y foudroyer complètement; qu’à cet effet, l’on croirait peut-être devoir faire un exemple de huit ou dix généraux les plus marquans, innocens ou coupables du mouvement révolutionnaire, mais, qui, dans tous les cas, auraient, aux yeux du parti triomphant, le tort trop réel d’avoir sincèrement voulu résister à l’aggression extérieure.

Quoique mon pressentiment me dévoilât une partie de ce qui devait arriver, ébranlé cependant par les raisons qu’apportait mon collègue, fort du témoignage de ma conscience, désirant, cu outre, ne point être confondu avec ceux qui émigraient alors, après avoir causé la ruine de notre malheureux pays, obéissant enfin è ce senti ment qui nous retient souvent malgré nous sur le sol natal, je rallentis les dispositions de mon départ, et je me décidai à observer les événemens.

Je fus d’abord confirmé dans cette dernière résolution, par les premiers développemens du système qu’on suivit immédiatement après l’arrivée des Autrichiens. Deux de nos généraux s’étaient abouchés plusieurs fois, quoique séparément, avec un. personnage qui devait connaître les dispositions qu’on se proposait de suivre; et on leur avait assuré qu’on adopterait pour Naples: Constitution et modération. Quelques généraux Autrichiens répétaient à-peu-près les mêmes assurances; et, dans le fait, on suivit au, commencement un systéme de modération.

Tandis que les dispositions générales se présentaient sous un aspect aussi favorable, je recevais en particulier des assurances personnelles que je ne serais point inquiète. Une personne entr’autres, qui revenait de Laybach, m’assura, que le roi, en présence de deux autres monarques, avait témoigné particulièrement sa satisfaction à l’égard de quatre généraux, au nombre desquels je me trouvais. Il n’est donc pas surprenant qu’à la fin je me sois décidé à ne point quitter le royaume.

Toutefois, le vingt-sept Mars, je présentai au directeur de la guerre une pétition pour me retirer du service. Il me répondit que cela ne pouvait m’être accordé, mais que si je le désirais, j’obtiendrais de suite un congé de six mois. J’en fis aussitôt la demande, qui fut suivie, le même jour, d’un décret conforme.

Je me retirai alors à la campagne, comptant renouveler, pendant les six mois de congé, mes instances pour obtenir ma retraite. Mais sur ces entrefaites, les choses avaient subitement changé de face; dans la nuit du vingt au vingt-un Avril, on arrêta les trois lieutenans-généraux Colleta, Arcovito et Pedrinelli, le maréchal de de camp Vairo, ainsi que monsieur Borelli, l’un des députés du parlement. Un tel commencement de réaction répandit l’effroi, et l’on fut en demander la cause à ceux qui avaient annoncé modération et oubli. On répondit uniformément que l’arrestation de ces cinq personnes dépendait sans doute de faits postérieurs à l’entrée des Autrichiens, mais que le systéme promis ne serait point changé. J’avoue que je né fus point persuadé par de telles assurances; je vins m’établir à la ville, afin de me tenir au courant de ce qui arriverait, et de me régler en conséquence.

Durant mon séjour à la campagne, j’avais re?u du lieutenant-général due de Sangro, l’invitation de me rendre(;) le vingt-trois Avril devant une junte d’examen. Cette junte avait été créée par un décret du roi, afin d’examiner la conduite, avant et après la révolution, de tous les officiers, depuis le grade de général jusqu’à celui de sous-lieutenant. Elle fut composée du susdit lieutenant-général due de Sangro, en qualité de président, et des six maréchaux de camp Sergardi, Candrian, le prince de Camporeale, Bardet, Cancellieri et Mairi. 

A l’exception du général Serganrdi, tous les autres membres de la junte, avaient perdu, sous mon ministère, des fonctions importantes, et ils étaient tous animés de ressentiment envers moi, quoique je ne les eusse point déplacés par des motifs personnels, mais uniquement dans l’intérêt du service. Cette première considération me fit d’abord mettre en doute si je me rendrais ou non devant cette junte. Un autre motif me faisait encore pencher pour la négative: d’après la hiérarchie militaire et les loia du royaume, un lieutenant général doit être juge, pour délits militaires, par ses pairs, c’est-à-dire par des lieutenans-généraux, et six des membres de la junte n’étaient que dm maréchaux de camp. Tous ces motifs me furent balancer 4ung-temps sur le parti que je devais prendre; mais enfin, pendant qu’on regarderait mes réclamations à ce dernier égard comme un prétexte, pour éviter de répondre sur l’affaire de Monteforte, je me décidai à comparaître au jour fixé devant cette junte. Ce fut le même jours vingt-trois Avril, que tous lés généraux qui étaient à Naples se présentèrent danse l’habitation du due de Sangro.

Voici de quelle manière il fùt procédé: le président avant tout examen, et à mesure qu’un général se présentait, se bornait à lui dire ces mots: “M. le prince ou M. le baron (sans le désigner par son grade), “Le roi a prononcé le licenciement de l’armée; ainsi vous n’êtes plus général.” Ainsi, sans aucun examen, sans aucun jugement, on nous-destituait de nos grades; et du même coup, l’armée entière était dissoute. Ainsi, l’on renonçait à toute force nationale, on abjurait toute indépendance, et l’on se livrait.entièrement à la discrétion de l’étranger.

On ne s’en tint pas là: peu de jours après, de nouvelles arrestations eurent lieu. bientôt, elles se multiplièrent.au«delà de toute mesure, et l’on finit par en faire un objet d’ostentation s car à toute heure, on voyait se répandre dans tonte la ville des voitures pleines de sbirres, qui s’introduisaient dans les habitations des citoyens pour les arrêter. La même chose arrivait dans quelques provinces, et plusieurs des personnes qu’on y arrêtait étaient conduites è la capitale. bientôt les prisons furent encombrées, la terreur s’empara de quiconque avait exercé quelque fonction durant le système constitutionnel. Plusieurs d’entr’eux abandonnèrent leur résidence, ou changeaient de demeure chaque nuit; et dans tout le royaume, il y eût au moins un dixième de la population qui ne passait point la nuit dans son propre domicile.

Quel motif avait pu provoquer de changement subit? Il est difficile de le concevoir. Tout était tranquille; ceux qui avaient eu des torts précédens, ne cherchaient qu’à les faire oublier ou à s’éloigner du royaume. D’ailleurs, on n’allégua contr’eux aucun tort nouveau; mais tout faisait voir qu’un certain parti supportait avec peine le règne passager de la modération, et que nous allions entrer dans celui d’une réaction violente. La joie brillait dans les yeux des anciens réfugiés de Sicile, en annonçant la destitution de tous ceux qui avaient exercé des fonctions, tant civiles que militaires, sous la domination française. On disait hautement que le traité de Casalanza, qui conservai à chacun leurs emplois, serait regardé comme non avenu enfin, l’on ajoutait que les arrestations actuelles n’etaient que le prélude d’autres rigueurs indispensables, qui seraient bien plus fortes encore.

Voyant incarcérer des généraux qui n’avaient commis aucune espèce de délit, je pensai que l’on commençait à réaliser le dessein, que j’avais auparavant soupçonné, de trapper un Certain nombre des plus marquans d’entre les militaires.

J’étais dans cette perplexité, lorsque, vers la fin d’Avril, j’appris que le capitaine Minon, que j’avais employé au secrétariat, du temps de mon ministère, se trouvait, je ne sais pourquoi, en possession de la basse de ma correspondance avec le capitaine-général comte Nugent, dans le temps de ma mission contre les insurgés de Monteforte. J’affirme sur mon honneur, que jusqu’alors j’avais ignoré que ces papiers fussent encore à Naples; car je croyais que le comte Nugent les avait emportés lors de son départ. Je fis appeler le capitaine Minon, et je le priai de les remettre à la place où il les avait pris,.désirant que des preuves aussi évidentes de la -loyauté de ma conduite ne vinssent pas à s’égarer. Il me promit de le faire de suite.. Je me rendis le jour suivant auprès du directeur de la guerre, et je le priai de conserver lui-même ces papiers, afin que je pusse y recourir au besoin. Le directeur de la guerre envoya aux archives du cabinet, pour chercher cette basse, qui ne s’y trouva pas encore rétablie. Je lui suggérai alors l’idée d’en demander compte au major Tanchi, chargé de la conservation des archives du cabinet.

Ce major fut appelé de suite par le directeur, qui lui demanda ces papiers; à quoi le major répondit: qu’en entrant au ministère, mon premier soin avait été de les retirer, et qu’il me les avait remis, d’après un ordre que je lui en avais donné. Et croyant sans doute que ces papiers ne pouvaient plus être retrouvés, il poussa même l’impudence jusqu’à ajouter qu’ils contenaient un ordre du marquis Tommasi, alors grand chancelier, qui m’enjoignait, au nom du roi, d’attaquer les insurgés de Monteforte.

Le directeur lui demanda s’il conservait mon ordre pour la remise des papiers. Il répondit que oui, mais que l’ayant taché dans un mur, il lui fallait un certain temps pour pouvoir le présenter. Il sortit, et revint peu de temps après, avec un écrit du dix ou du douze Juillet, 1820, par lequel, en l’avertissant que j’avais destiné la direction du secrétariat au capitaine susdit, j’ordonnais qu’on lui remit toutes les archives, et non pas là seule liasse dont il s’agit, ainsi qu’il l’avait perfidement assuré. Quant à cette mesure générale, elle était toute naturelle, puisque je changeais d’archiviste. Du reste, je ne sais pourquoi le major Tanchi aurait eu besoin de cacher un tel ordre dans un mur; mais il voulait sans doute se donner de l'importance, et faire croire qu’il avait été exposé à des dangers dans le temps constitutionnel, ce qui était faux. 

Enfin, il était faux également que ces papiers continssent un ordre du marquis Tommasi pour attaquer les insurgés; et de plus, l'assertion était absurde, car le roi eût-il songé à m’envoyer l'ordre d’attaquer, lui qui avait connaissance des négociations que j’avais ouvertes, et qui, dans le milieu de la nuit du cinq au six Juillet, m’envoya sa sanction de transiger, ainsi que les passeports et des huit mille ducats nécessaires pour terminer la transaction? en outre, dans des momens si pressans, comment se fût-il servi du marquis Tommasi, tandis qu’il voyait à chaque instant le capitaine-général, avec qui je communiquais directement? Enfin, comment un ordre, qui m’aurait été adressé à moi-même eût-il pu se trouver dans les bureau# du capitaine-général?

Il parait que le major Tanchi, qui conservai contre moi le ressentiment de ce.que je l’avais renvoyé du ministère(60), et qui peut-être s’était persuadé que j’avais brûlé ces papiers, parce qu’il ne savait pas combien j’avais intérêt de les conserver, imagina cette supposition perfide d’un ordre d’attaquer les insurgés, afin dense nuire, en faisant envisager cette prétendue désobéissance de ma part, tomme une preuve que j’étais d’accord avec eux. Heureusement, ces papiers étaient encore entre les mains du capitaine Minon, qui avait tardé à les remettre, mais qui les rendit bientôt après. On vit alors, dans tout leur contenu, qu’un tel ordre n’avait pu exister. Ils furent gardés par le directeur de la guerre, qui fut, peu de jours après, requis de les livrer au marquis Cercello, président de la junte du gouvernement et ministre des relations extérieures. Ces papiers sont les duplicata des pièces justificatives de cet écrit, depuis le numéro un jusqu’au numéro vingt-neuf. J’ai test voir leurs traces, depuis les mains do capitaine Minon jusques dans les bureaux du marquis Circello, afin de démontrer la certitude de leur existence, et pour indiquer le lieu où ils doivent encore se trouver.

Cependant, par la suite, lorsqu’on m’a impliqué si mal à propos dans le procès contre les insurgés de Monteforte, Monsieur Calenda, procureur général près la grande cour criminelle de Naples, n’a pas cru devoir faire moindre usage de ces papiers, quoiqu’ils contissent toutes les pièces probantes relatives a ma mission de Monteforte. Il est donc évident qu’on a voulu supprimer de la procédure tout ce qui devait prouver la régularité de ma conduite, et qu’il a existé une intrigue pour me faire paraître coupable. Je m’étais déjà douté d’un tel dessein, d’après l’audace et l’impudente calomnie du major Tanchi; je m’attendais donc dès-lors à quelque mesure violente.

Pendant six jours consécutifs, je fus conjuré plusieurs fois, par des personnes qui m’affectionnaient, de m’éloigner du royaume; mais lorsque je leur demandai pourquoi elles me conseillaient une chose qui me donnerait une apparence de culpabilité, je compris à leurs réponses que ces personnes étaient mises en jeu par cinq ou six agens, qui, d’une manière adroite, les avaient induites à me donner ce conseil insidieux. Ceci me donna l’intention de ne pas m’absenter; car je vis bien clairement qu’on désirait plus ma fuite que mon arrestation. Mes adversaires avaient senti peut-être, malgré l’autorité dont ils étaient appuyés, combien est formidable la présence, même en prison, d’un homme qui n’a rien à se reprocher; et c’est par cette raison, sans doute; qu’ils cherchaient à me déterminer moi-même au départ.

Quelques jours après, un de mes amis les plus estimables vint me voir. Le visage pâle et l’air embarrassé, il ne savait comment s’y prendre pour en venir à me donner le conseil de quitter Naples. Enfin il s’expliqua, et je lui demandai qui l’avait engagé à cette démarche. Il me nomma une personne, qui avait alors une très-grande influence, et qui en a acquis bien davantage depuis. Cette personne lui avait parlé de l’assertion du major Tanchi, et d’une prétendue lettre de Minichini, laquelle avait été interceptée, et dans laquelle, prétendait cette personne, il était dit que j'avais été très favorable au parti révolutionnaire à Monteforte. La dite personne avait ajouté à mon ami qu’un secrétaire, dont je me serais servi à Nola, pour faire écrire dix-huit lettres aux révoltés, avait obtenu sa grâce et avait tout avoué!

Je ne pus m’empêcher de rire en entendant de telles absurdités; et je dis à mon ami que je persistais dans la i résolution de rester, attendu que toutes ces assertions étaient absolument fausses. Mon excellent ami se rassura un peu à cette déclaration, et il fut entièrement persuade quand je lui fis la réflexion, que la personne qui me faisait donner un avis si amical, n’avait aucun lien d’affection avec moi.

Ces tentatives n’ayant pas réussi, l’on crut devoir en essayer de plus efficaces.

Le cinq Mai, une personne, avec laquelle j’avais des relations, étant allée, pour ses propres affaires, auprès d’un employé supérieur de la police, celui-ci, sans y être amené par rien, lui dit que le roi, qui se trouvait alors à Rome, avait envoyé l’ordre de m’arrêter. J’aurais dû voir de suite combien il était peu vraisemblable qu’on eût fait ainsi une telle confidence, si elle n’eût été fausse et insidieuse. Toutefois, je l’avoue, je fus ébranlé cette fois et je quittai mon domicile; mais ayant un peu réfléchi, j’y retournai le lendemain, décide à me laisser arrêter plutôt que d’entrer en fuyant dans les vues de mes adversaires.

Enfin, dès qu’on eût reconnu l’inutilité de toute, tentative de ce genre, l'on recourut à des voies de fait plus positives, mais toujours néanmoins dans le but de me faire émigrer, et jamais dans. celui de m’arrêter.

Le dix Mai 1821, à cinq heures après midi, tandis que j’étais sorti, circonstance dont on, s'était sans doute assuré d’avance, on envoya du côté de chez moi un piquet de trente-six grenadiers de la garde, commandés par un major du même corps, mais Autrichien de naissance. Le major, en s’approchant de ma maison, s’en informa dans une boutique, et on lui répondit: “Ne la voyez-vous pas? c’est celle qui est en face.” Malgré cela, il répéta la même question dans plusieurs autres boutiques. Mais ce qui ajoute encore à la singularité de cette recherche, c’est que ma maison était con nue de tout le monde, et que d’ailleurs, les officiers de la garde étaient souvent venus m y rendre des visites de corps. Enfin le major arriva à mon habitation, qui a trois sorties, deux sur la place et la troisième sur la rue. On ne mit de soldats à aucune de ces sorties; ils restèrent placés dans la rue, à une certaine distance de l’entrée principale. Le major seul entra et me demanda.

Sur la réponse que je n’y étais pas, il se rendit dans une chambre où il dit vouloir m’attendre. En effet, il y passa la nuit; mais, le lendemain matin, il céda la place à des agens de police, qui vinrent s’emparer de tous mes papiers. Le jour précédent, un autre piquet de la garde s’était porte, à la même heure, à ma maison de campagne; on m’y avait aussi recherché, et l’on avait emporté un porte-feuille de papiers intéressans pour moi, mais qui n’avaient aucun rapport aux circonstances politiques. II parait que la saisie des papiers était plutôt l’objet de ces visites que l’arrestation de ma personne. peut-être espérait-on surprendre ainsi les pièces originales qui formaient ma justification; mais heureusement, j’avais pris les précautions nécessaires par rapport à cela.

Deux heures après le commencement de ce simulacre d’arrestation, j’en re?us l’avis. Lorsque j’entendis raconter les détails que je viens de appeler, je trouvai bien extraordinaire lei précautions qu’on avait prises, précisément comme si l’on avait voulu éviter l’inconvénient de m’arrêter. Je résolus, quoique assez imprudemment, d’aller moi-même les vérifier; j’attendis la nuit, et alors, je me rendis auprès de ma maison. Je passai devant le’ piquet de grenadiers, qui étai,t placé au devant de la caserne de St. Pierre à Majella, vis-à-vis de ma maison. Je vis de la lumière dans la chambre où était le major, et j’eus presque; l’idée de monter pour me présenter à lui.

Toutefois, je réfléchis qu’on s’était trop avancé par de telles démarches, pour qu’on ne cherchât pas à les justifier à tout prix. Je pensai, qu’une première, violence serait soutenue par de nouvelles violences,. et peut-être par les moyens les plus iniques. J’avais surtout à craindre l’amour-propre déçu dans l’exécution d’un pian, auquel on paraissait attacher une grande importance.

Je fus donc provisoirement me mettre dans un lieu de sûreté; et le Roi étant arrivé le quinze du même mois, je lui adressai de suite une requête, dans laquelle je rappelais les preuves de la.régularité de.ma conduite, dont il avait lui-même une si parfaite connaissance, et je le suppliais. de me délivrer d’une aussi injuste persécution. J’ajoutais cependant que s’il restait le moindre doute contre moi, j'étais prêt à me constituer prisonnier dans tel château fort qu’on voudrait bien me désigner.

En même temps, j’écrivis à quatre grands personnages, tous en faveur. auprès du Roi, et avec lesquels j’avais eu beaucoup de relations durant mon ministère. Je ne leur demandais pas d’autre grâce que celle de déterminer sa Majesté a me faire recevoir dans un château, pour y rendre compte de ma conduite.

Ces Messieurs reçurent mes lettres, mais ils ne voulurent, ou ne purent s’intéresser pour moi dans une affaire si simple. En d’autres temps, je m’étais compromis et je m'étais exposé à des dangers pour eux. La requête que j’adressais me fut renvoyée avec la réponse: qu'il était défendu de présenter au Roi les réclamations des proscrits! Je ne me décourageai point entièrement, et je tentai, mais vainement encore, le dernier moyen de faire entendre ma justification. J’adressai une demande au directeur de la guerre. Ce général, après avoir lu ma pétition, ne voulut pas la recevoir, et il répondit au porteur, sans doute avec l’intention de me donner un avis utile: “Qu’il n était pas à propos de me présenter, et que le temps pourrait m’être favorable."

Voyant alors que c’était un parti pris de ne point se prêter à ma justification; jugeant en outre qu’en de telles dispositions, ce serait le comble de l’imprudence de me livrer entra les mains de mes ennemis, ou d’hommes que de grande intérêts pouvaient entraîner à vouloir me sacrifier, je me résignai à quitter mon.pays. Je songeai alors à me procurer un passage sur un bâtiment étranger, pour aller chercher un asyle à Malte. Je ne puis douter que la police n’ait eu connaissance de mes préparatifs de départ, puisque la personne qui devait me conduire à bord, et qui, selon que nous en étions convenus, se rendit sur le môle pour m’attendre, avait été suivie toute la soirée par des agens de police, ce qui l’engagea ensuite. à me refuser. Ce refus m’avait mis dans un grand embarras; et de plus, l’ami fidèle qui m’accompagnait en sortant de mon refuge, s’étant aussi effrayé, me conjurait d’y retourner. Malgré tout cela je me décidai à partir; je me jetai dans un bateau, je traversai, non sans danger, les barques de la garde, et je rejoignis enfin le bâtiment, qui mettait déjà à la voile.

Dès que j’eus quitte le royaume, il ne restait plus aucun obstacle à l’exécution du plan tramé contre moi; et deux personnages, qui, par leurs places éminentes dans une des administrations les plus importantes de l’état, se trouvaient investis d’un grand pouvoir, n’eurent pas honte de diriger cette indigne trame. Leurs fonctions les mettaient dans le cas de disposer de cette classe d’hommes vils, et souvent atroces, qui à prix d’argent, répandent secrètement de faux bruits, présentent habilement des insinuations perfides, inventent au besoin les témoignages les plus calomnieux. 

Un mois après mon départ (et cet intervalle était indispensable pour donner de la vraisemblance à ce qu’on voulait taire croire), les agens en question répandirent partout que, de Malte, j’avais écrit au Roi, et que je luis avais fait de graves révélations à charge de plusieurs personnes, spécialement contre deux de mes aides-de camp, qui se trouvaient en prison, sans avoir la moindre f aute à s’imputer. On espérait ainsi, que par ve n geance, ils déclareraient à ma charge des choses vraies, s’il en existait, ou qu’ils seraient peut-être entraînés par le même sent i ment à inventer contre moi des faits entièrement faux. Ma famille s’adressa à l’excellent du c d’Ascoli, qui était alors membre du conseil suprême de police, en le priant d’employer ses e ff orts pour faire cesser ces infâmes diffamations; on le mit sur la trace de ceux qui en étaient les auteurs, mais j’ignore ce qui lui fut permis de faire à cet égard.

A la fin de Juillet, l’on fit, par les mêmes moyens,. courir le bruit que j’étais rappelé à Naples, pour y commander l’armée. Une telle nouvelle fit la plus grande impression. Plusieurs la considérèrent comme une preuve complèt e que j’avais trahi la confiance, que certaines personnes m’avaient accordée dans les derniers temps de l’époque constitutionnelle. Ce fut là une des dernières causes qui contribuèrent à étab l ir la fausse croyance que j’eusse provoqué moi-même le débandement de l’armée. Jus qu’à ce moment, il restait encore des dou t es su r cet imputation, mais, dès qu’on crut que j’étais re n tré à tel point dans les faveurs du roi, l’on crut que toute incertit u de devait cesser à ce t égard.

Outre un tel résultat, mes ennemis en avaient encore espéré de plus directement f un estes pour moi. C’était alors précisément l’époque des interrogations que devaient subir soixante-six détenus, poursuivis pour la révolution de Monteforte; et l'on eût bien soin de faire parvenir jusques dans leur prison la nouvelle des prétendues faveurs royales dont j’aurais été l’objet. Ces malheureux durent nécessairement s’indisposer toujours davantage contre moi. La h aine en sourit de joie, en calculant que cette irritation conduirait sans doute quelques-uns des prévenus à m’accuser, soit en dévoilant quelques circonstances qui, pa r hasard, pourraient m’être vraiment défavorables, soit en me calomniant, pour se venger de la prétendue trahison dont on leur faisait croire que je m’étais rendu coupable envers e u x.

Mais, vains efforts! L’innocence ne pût être obscurci e par ces odieuses menées; les interrogatoires eurent lieu, et aucun des détenus ne trahit sa conscience, en faisant des dépositions à ma charge. Un seul d’entr’eux, à qui, sans doute, on avait donné quelque espérance de salut, fit contre moi quelques dépositions insignifiantes. Souvent l’iniquité est confondue par les moyens même dont elle croit devoir se servir, et l’effet d’une trame aussi noire se manifesta par tous les caractères d’inconséquence, de contradiction, et de fausseté.

Je développai toutes ces circonstances dans une lettre que j’écrivis de Malte au susdit proc u reur-général, en date du cinq Janvier 1822, époque à laquelle seulement, j’eus connaissance de son acte d’accusation sur l’affaire de Monteforte, dans laquelle il m’avait introduit. Je ne m’étends pas sur ce point, puisqu’il est traité complètement dans la dite lettre qu’on trouvera aux pièces justificatives. (Pièce 87.)

Monsieur Calenda avait déjà terminé son acte d’accusation vers la fin de Novembre 1821, et les débats publics allaient s’ouvrir. Il fallait alors trouver un moyen d’encourager de nouveau les détenus à déposer contre moi; on imagina donc de répandre le bruit, et on l’inséra dans le journal du 23 Novembre, que j’avais été tué à Malte dans un duel.(61)

On fit, comme 'de coutume, courir cette fausse nouvelle dans les prisons; et, sous l’apparence de s’intéresser aux détenus, on leur disait: de se sauver eux-mêmes dans les débats, en jetant la faute sur le général Carascosa, qui rien souffrirait pas, puisqu’il était mort. Cette nouvelle tentative ne réussit pas plus que les précédentes, et les accusés ne trahirent point la vérité.

On pourrait croire que l’iniquité dût alors avoir épuisé tous ses traits, mais elle n’était point encore satisfaite ;on voulut me procurer encore des embarras d’un autre genre, et l’on imagina de me faire passer pour avoir dilapidé les deniers publics. On avait érigé une commission, pour récupérer les fonds dont on pouvait avoir disposé abusivement dans le temps de la constitution, ce qui était une mesure très-équitable; mais certaines personnes voulaient absolument que je payasse des sommes dont je n'étais point comptable, et c'est là qu'est l'injustice. L'ingratitude venait encore s'y joindre; un personnage que j'avais protégé et soutenu durant la période constitutionnelle, demandait sans cesse aux membres de la commission quelle charge on pourrait m'imputer ? Et lors qu'on lui répondait qu'il n'existait rien contre moi, il répondait qu'il fallait faire de plus amples recherches, et que celui qui cherche trouve

Les employés se fatiguèrent alors à chercher quelque chose qui pût m'être imputé, et s'entendant toujours répéter la même phrase, qui cherche trouve, ils se décidèrent, pour n'être point exposés à perdre leurs places, à présenter, comme un sujet de réclamation, mon traitement de général en chef, que j'avais touché de la manière la plus légitime. Enfin, l'on voulut mettre à ma charge le prix de six mille fusils, arrivant de Hollande, où ils avaient été achetés par mes soins durant mon ministère. On doit observer que ces fusils revenaient à un prix bien inférieur à celui des fabriques de Naples; en outre, ils étaient entre les mains du ministre de la guerre, et l'on voulait que j'en payasse le prix!

Enfin, toutes les persécutions n'étaient pas encore terminées. J'avais trouvé l'hospitalité la plus touchante à Malte; là, je commençais à dormir d'un sommeil paisible, lorsqu'on y expédia de misérables agens pour troubler un repos acquis par la conduite la plus régulière, laquelle, j'ose m'en flatter, m'avait concilié l'estime et la bienveillance de ces bons insulaires.

Ces agens avaient la mission de me dénigrer de toutes les manières; ils répandirent que, dans le temps de mon ministère et de mon commandement en chef, j’avais détourné des millions. En même temps, par une doublé scélératesse, ils étaient chargés d’écrire, de Malte à Naples, que j’entretenais avec le royaume des correspondances criminelles, dans le but d’en troubler la tranquillité. Ce dernier genr e de calomnie avait le doublé but d’en imposer au roi, et de fournir un prétexte pour me fair e éloigner de Malte, en trompant le ministère Anglais sur ma conduite.

En effet, dans le mois de Juillet suivant, mes persécuteurs recueillirent le fruit de ces dernières menées. Je reçus l ’ordre de quitter cette île hospitalière, et je m’embarquai pour l’Angleterre le trente-un du même mois, n’ayant plus d’autre sol en Europe où je puisse reposer ma tête, ne pouvant trouver un refuge convenable en Espagne, puisque, durant ma courte carrière politique, je m’étais ouvertement déclaré contre la constitution de ce pays, en tant qu’on voulait l'adapter au royaume de Naples.

Depuis mon arrivée en Angleterre, de nouvelles circonstances sont encore venues s’unir à tant de preuves, qui se pressent pour éloigner de mo i jusqu’au plus léger soupçon qu e j’aie pu coopérer à faire subir à ma patrie le jo u g de l’étranger. J’ai d’abord été exclu d’une amnistie presque générale, émanée du roi le 30 Septembre, 1822; ensuite, jai été mis en jugement par contumace, et condamné à mort, quoique sans aucune espèce de raison, quoique l’évidence des choses. y répugnàt, et malgré les moyens de nullité présentés par mon défenseur. D’après la lecture de( -) ces Mémoires, on se convaincra facilement que c’e s t tout-à-fait une sentence d’iniquité; mais tout cela prouve du moins combien mes persécuteurs sont certains de l’impossibilité d’une adhésion quelconque de ma part à l’invasion étrangère.

Un tel surcroît d’injustice doit sans doute me faire éprouver un sentiment pénible, mais il fait au moins disparaître toute espèce de doute sur ma loyauté; malgré la condamnation inique dont je suis l’objet, je me console du moins, et par l a calme de ma conscience, et par la. certitude qu’enfin mon honneur et ma probité r e steront à l’abri de toute atteinte!

FIN

PIECES JUSTIFICATIVES

N°. I.— A S. E. le Capitaine Général à Naples.

N°. 2878.

Naples, 2 Juillet, 1820,
à trois heures d’Italie.

Excellence.—Je prie V. Exc. de vouloir bien ordonner, qu’on mette trois ordonnances de cavalerie à la disposition de mon aide de camp, et qu’elles soient composées d’hommes jouissant de toute la confiance du commandant du corps. Mon aide-de-camp avec les ordonnances doit me rejoindre sur la chaussée d’Avel l ino.

C’est avec beaucoup de peine que j’ai appris du soldat du régiment bourbon cavalerie, que deux compagnies d’infanterie étaient en marche pour.aller se réunir à Mercogliano.

J’ai ordonné au général Campana que, de toutes les manières, il cherche à assurer le chemin de Solofra, afin que la communication entre la capitale et Avellino ne soit pas interceptée; peut-être que moi-même pour me rendre à Avellino, je serai obligé d’aller prendre le chemin de Solofra.

J’ai écrit à l’intendant d’Avellino, et je lui ai indiqué comment il doit s’y prendre pour m’envoyer les détails nécessaires.

Je prie V. Exc. de me tenir au courant de tout ce qui peut intéresser l’objet de ma mission: j’aurai soin qu’elle ne manque pas de rapporta continuels.

V. Exc. doit convenir q u ’on a trop tardé à faire des dispositions.

(Signé) M. CARRASCOSA.

N°. II.—A S. E. Le Lieutenant Général Baron

Cabinet

N°. 533.

Commandement supérieur de la guerre.

Naples, 2 Juillet, 1820.

Excellence.—S. M. le Roi, par ses caractères sacrés, a ordonné: que le general Pepe se trouvant désigné pour le commandement des Calabres, et que le général Arcovito ne pouvant se rendre encore à Avellino à cause de sa maladie, V. Exc. aille de suite prendre par interim le commandement de la troisième division militaire, en vous accordant l’alter ego pendant un mois. Je me hâte de communiquer à V. Exc. cette décision royale pour son exécution immédiate.

(Signé) Nugent.

N°. III.—AS.E. Le Capitaine-général à Naples.

N°. 2880.

Marigliano, 3 Juillet, 1820

à dix heures du matin.

Excellence,—Je suis arrivé ici, d’où je vaia continuer jusqu’à Mugnano. V. Exc. aura déjà pris connaissance du rapport que m’a écrit le.major Lombardo; je jugerai de près de l’état des choses, et j’en informerai V. Exc.;

Je pense que si les révoltés s’emparaient de ma personne, cela produirait un mauvais effet, et si j’abandonne Mugnano, après m’y être établi, cette retraite pourrait les enorgueillir.

J’irai donc jusqu’à Mugnano, ou un peu plus avant; là j’aurai une entrevue avec le major, et je reviendrai de suite ici, à Marigliano, où j’attendrai que V. Exc. m’informe si elle a appris par les rapports du général Campana si la route de St. Severino est libre. Je crois que ce serait déjà un grand résultat d’obtenu si, d’une manière quelconque, je pouvais arriver à Avellino.

Maintenant la route est ici tout-à-fait déserte. La population est dans un état de terreur. Ni la diligence, ni aucune voiture, ni même le courrier, de la Pouille n’arrivent du côté de cette province: de ce c ô t é-ici, les choses sont dans une position semblable, et je crois que le colonel Tanzi n’a pu passer.

Qu est-ce qu’il y a derrière ce rideau d’hommes armés? Quel usage fait-on des télégraphes ? Quelle attitude ont-elles prises les autorités, et les troupes de la Principauté ultérieure, et des provinces limitrophes? Le nombre des hommes armés se borne-t-il à celui qu’à indiqué le major Lombardo, ou y a-t-il d’autre rébellion plus en ar r ière? Je n’ai pu rien pénétrer de tout cela, après avoir employé tous les moyens possibles. La difficulté dérive essentiellement de ce qu’il n’y a personne qui passe, pas même des paysans.

V. Exc. devrait absolument prendre ses mesures de manière à obtenir des éclaircissements sur l’état de ce qui se passe, tant sur les derrières que dans l’intérieur même de la principauté ultérieure. Envoyez six ou huit paysans intelligens auxquels il faudra promettre de bonnes récompenses; à leur retour nous pourrons juger de la véracité des rapporta que nous avons e u s jusqu’à présent. C’est alors que S. M. décidera des moyens à employer. Si la sédition se borne à ce millier d’hommes seulement, je crois qu’on pourrait la réprimer au moyen de quelques co m pagnies. Si au contraire la chose est plus étendue et de plus d’intensi t é, S. M. pourra aussi décider avec connaissance de cause, sur la manière dont il faudra s’y prendre.

J’ai appris par un courrier qui est revenu en arrière, n’ayant pu passer, que le colonel Tanzi a failli être tué. J’ai fait au.dit courrier les question s les plus scrutatives, pour savoir ce qu’étaient devenus l’intendant, lé général Colonna, et les tro u pes de la province; il n’a pu me satisfaire en rien, et il n’y a personne qui puisse répondre à ces demandes. J’ai requis le syndic de cette commune d’envoyer trois paysans par les montagnes, afin de connaître l’état des choses.

Que V. Exc. n’épargne pas les estafettes à cheva l, et j’en ferai autant.

Mettez-moi aux pieds de S. M, en l’assurant de toute ma fidélité, et de mou entier dévouement.

Le distri c t de Nola a l’apparence de tranquillité.

(Signé) M. Carrascosa.

N°. IV.—A S. E . le Capitaine-G é néral à Naples.

N°. 2883.

No l a, 3 Juillet, 1820.

Excellence,—J’étais parti de Marigliano, et j’étais presque arrivé à Cimitile, lorsque j’ai rencontré lé major Lombardo. Cel u i-ci a dû être arrivé à Naples, et aura fait son rapport verbal à V. Exc. Mais pour prévoir tout événement, je m’empresse de répéter à V. Exc. que ce m a j o r est tombé ce matin au pouvoir d’un prêtre qui dirige les insurgés. Le major s’est aperçu qu’on désirait s’emparer de ma personne, et il m’ a con s eillé en conséquence de rebrousser chemin; cho se à laquelle je n’ai pas cru devoir adhérer: j’ai crai n t que la province de Terre de Labour ne s’insurgeât derrière. les traces de ma voiture. J’ai préféré me jeter dans la traverse de Nola, où je suis parvenu sans accident. J’ai appris ici que, h ier, la ville à Avellino était en armes, mais uniquement pour empêcher l’entrée des insurgés, puisque les propriétaires, quelle que soit leur opinion, appréhendent d’en devenir victimes.

Que ferai-je moi? Ma personne, ma vie même son t de bien peu de conséquence comparées aux grande intérêts et aux dommages qu’une fa u sse mesure pourrait produire. Si je pars, on p o urra s’enorgueillir et étendre le désordre; si je reste, et si l'on s’empare de moi, le roi, la nation, et l’armée pourront supposer qué je me su is fait prendre exprès. Si un tel soupçon pouvait se concevoir, quel préjudice ne pourrait-il pas produire?

Les révoltés qui sont jusque sur le pont de la Schiava, sont plus près de moi que je ne le vou drais. Je viens de leur envoyer un juge de paix pour leur annoncer que je suis arrivé seul et sans troupes, ce qui prouve l’indulgence du roi; mais qu’avant de leur permettre de donner aucune explication, ils doivent jurer de n e pas dépasser le point où ils se trouvent maintenant, chose indispensable pour éviter d’être pris par eux.

J’envoie à V. Exc. la copie d’une de leurs lettres que j’ai interceptée, laquelle prouve qu’ils ne sont pas s u rs de la réussite de leur mouvement.

Si après que le juge leur aura parlé, ils font toute autre proposition que celle d’une parfaite soumission, je ne veux pas même en être l’ organe au prés du gouvernement; toutefois la prudence exige de ne pas repousser entièrement leurs propositions, et il faudrait charger quelque autre personne de l ’ordre administratif ou judiciaire, qui pût conférer avec eux, et rapporter au gouvernement ce qu’ils diront.

Au nom de Dieu, que V. Exc. persuade au roi de ne pas nous abandonner; ce malheureux pays tomberait dans l’anarchie; S. M. est près du Chàteau-Neuf et de la mer.

Le général Sergurdi est. ici. Si on ne veut pas garder les limites prescrites, ce général et moi, nous nous éloignerons de suite de cette ville.

(Sign é) M. Carrascosa.

N°. V.—A S. E, le Capita in e Général, à Naples.

N°. 2882

Nola, 3 Juillet, 1820.

Excellence—S’ai reçu votre dépêche du trois courant. J’ai l’honneur de dé cl arer à V. E. que.la manière d’agir du côté de Salerne, n’est pas d’après ma manière de voir. Je crois qu’on devrait considérer la force comme un Talisman, la tenir en réserve, menacer toujours de l’employer, mais ne la mettre jamais en évidence.

(Signé) M. Carrascosa.

N°. VI.—A S. E. le Capitaine Général à Naples,

N°. 2884

Nola, 3 Juillet, 1820.

Excellence—Je ne veux pas retarder un seul instant à communiquer à V. E. ce que je commence à voir de rassurant. Au Cardinale, on a requis des maçons pour démolir le po nt de pierre qui est au-delà de Mignano; une personne qui arrive de l’endroit m’a assuré qu’on avait déjà commencé cette démolition. Donc i ls craignent et sont bien éloignés du projet d’avancer.

La ville d'Avellino a refusé de les recevoir, par conséquent ils doivent être tout-à-fait découragés; depuis ce matin ils auront dû adopter l’odieux système des réquisitions; de là naîtra de la discorde sous peu de temps. Si les insurgés ne dépassent pas les limites que je leur ai prescrites, comme je n ’en doute nullement, ils resteront resserrés dans un espace tr è s-étro i t. Je me tiendrai ici, et je commencerai à les travailler dans tous les sens. Je crois qu’à présent ils ne sont que huit cent ou mille hommes. Si Avellino ne se prononce pas en leur faveur, ce qui est très-douteux, la chose pourra finir de suite.

(Signé) M. Carrascosa.

N°. V II. —A S.E. le Capitaine Général,à Naples.

N°. 3885.

Nola, 3 Juillet,1820,

à cinq heures p. m.

Excellence—Plusieurs miliciens de eux qui hier s’étaient réunis à Monteforte, ont commence à rentrer dans leurs foyers successivement et sans bruit. J’ai ordonné que les autorités aient l’air de ne s’être pas aperçues ni de leur départ ni de leur retour. J’espère de bons effets d’une semblable façon d’agir.

Ma maison de Naples est sans doute devenue dans ce moment un point intéressant à l’égard de ce que j’écris à ma famille. Que V. E. ait la bonté de lire les lettres que j’y écris, et de les envoyer à leur destination; en effet, ce que je mande au colonel Casella s’approche beaucoup de la vérité.

Je me trouve abusant du pouvoir, car ayant une destination provisoire de commandement dans la 3”“division militaire, avec l’ alter ego, je m e trouve agissant dans le district de Nola. Je prie V. E de me faire mettre en régie, et qu’on donne aussi les ordres aux caisses.

Je désire avoir avec moi, ici à Nola, le capitaine Blanco.

Ce matin, Nola rassemblait à une ville prête à être occupée par les cosaques. Aujourdhui la confiance v est de nouveau rétablie; chacun s’occupe à présent avec sécurité de ses a ff aires; moi-même je suis sans garde à mon logement. Les employés, que j’ai trouvés en séance permanente et avec les figures pales de frayeur, ont repris courage: je les ai dissous, puisque leur réunion permanente donnait du crédit aux alarmes. Je les ai envoyés se coucher; j’ai fait moi-même la même chose (ou au moins je l’ai feint) et tout le monde a fini, par s’étonner d’avoir eu tant de peur, et si mal à propos. Plus on remarquera d’assurance dans Nola, et plus les rebelles, qui: ont ici beaucoup de relations et d’espions, se décourageront.

Je parie de ce qui est devant moi. V. Exc. devrait m’informer du reste, et si la contagion s’est mise dans la Pouille, ce qui serait tout-à-fait funeste; et si le chemin de Bénévent est libre.

Campana, s’il e st vers St. Severino, doit être mi s en état d’attaquer, (car c’est là décidément le seul chemin praticable, puisque de ce côté-ci, ce serait vouloir attaquer le taureau par les cornes,) ou bien il doit imiter ma conduite. Je. pense, essentiellement qu’auparavant d’employer la troupe, on doit s’en assurer en la sondant par fractions. Si le général Campana attaque et qu’il échoue par une raison quelconque, on risque de voir insurger à ses épaules la province de la Principauté citérieure, déjà assez di s posée aux nouveautés. de même si je ne réussissais pas dans une opération de vigueur, que j’entreprendrais après en avoir re?u de V. E . les moyens et les ordres, il y aurait assez à craindre d’un Urà sur Naples, ce qui produirait de tristes conséquences.

Ce qui contribue ici aux alarmes, ce sont les nouvelles qu’on a qu’à Naples on a doublé les gardes, consigné les troupes aux casernes, etc. e tc . Si V. E. le peut, qu’elle donne aux choses un air de sécurité.

Il serait utile encore qu’on envoyât au général Campana copie de mes lettres, et à moi copie des sienues; il serait dé c idément funeste que lui et moi agissions en sens contraire.

Je comp t e que V. E. mettra toujours toutes mes lettres sous les Jeux du roi; la position délicate dans laquelle je me trouve me fait désirer qu’on me désapprouve sans retard, si je prends me direction fautive. Le pe u de distance où je sui s de la capitale rend praticable l ’objet de ma demande.

(Signé) M. Carrascosa.

N°. V III. —A S.E. le Capitaine Général,à Naples.

N°. 3885.

Nola, 3 Juillet, 1820,

à huit heures du soir:

Excellence—-A tout moment on voit rentrer les h ommes qui étaient dans l’attroupement des révoltés. peut-être que la chose sera finie demain; mais j’ai appris avec beaucoup de peine que cent vingt sous-officiers de la garde royale étaient désertés, et avaient passé par Palazzuolo, comme me l’a affirmé M. Pirontij lequel m’a assuré le tenir du syndic de Marigliano. V. E. devrait sans retard m’écrire le précis de la chose, qui nuirait assez, si elle se vérifiait.

V. E. doit convenir que, dans le moment actuel, il est dangereux de dire que tel corps est s u r, ou que tel autre est suspect. S’il existe des doutes sur le 3ème de bersailleurs, on devrait se servir decette notion comme d’une régie réservée, sans lui donner de la publicité, ce qui pourrait avoir de tristes résultats dans ces momens difficiles. Si le général Nunziante a des doutes sur ce bataillon, qu’on me l’envoie à moi, et je réponds que je parviendrai à le préserver d’exécuter aucun acte infâme.

Demain la fraction de bourbon cavalerie part d’ici. Les officiers ont tour ni une preuve évidente d’attachement à leur devoir, et à leurs drapeaux.; ils ont été peut-être faibles à maintenir la discipline; mais ils ne méritent pas d’être m altraités ou méprisés comme on comme n çait à le faire; j’ai tâché de relever leur moral. Ne no u s faisons pas d’ennemis, sur tout dans le moment actuel. V. E. devrait leur mander des expressions qui puissent les animer.

(Signé) M. Carrascosa.

N°. IX.—A S.E. le Général Carrascosa, à Nola.

Pomigliano d’Arco, 3 Juillet 1 820,

à douze heures du soir.

Monsieur le Général— Conformément a ux ordres du capitaine-général, reçus à sept heures du soir, je m e suis mis en marche de Naples vers Pomigliano d’Arco, à neuf heures, avec la troupe dont je vous envoie la situation.

La troupe est près de.ce village, mais du côté de Naples, placée militairement autant que l’obscurité de la nuit me l’a permis, puisque nous sommes arrivés ici à onze heures et demie du soir.

J’ai tâché de faire donner une distribution.de Vivres par la commune de Pomigliano. d’Arco, en m’adressant moi-mè m e au capitaine Cerini, lequel commande les miliciens du village. Jusqu’à présent rien n’est arrivé, et je ne ferai aucune autre démarche pour les obliger à les fournir, en attendant des instructions précises de la part de V. E. J’attendrai de même ses ordres, jusqu’à l’arrivée desquels je resterai dans la position où je me trouve avec la troupe sous mes ordres.

Le mot d’ordre que j’ai donné, est, St. Michel et Malte, jusqu’à ce que V. E. m’en envoie un autre.

(Signé) Le Lieut.-G e n. Due de Roccaromana.

P. S. En recevant l’ordre de marcher, S. E. le capitaine-général m’a fait prévenir que le 5ème bataillon des bersailleurs rejoindrait cette petit e colonne, laquelle est l’avant-garde d’un corps plus considérable, qui probablement la suivra.

Chaque soldat est pourvu de vingt-une cartouches.

Les deux pièces d’artillerie sont pourv u s de deux cent quarante cartouches à boulet, de quatre vingt-seize à mitraille, et de cent quarante sacs à poudre.

Le capita i ne général qui arrive dans ce moment me prévient qu’il arriver a deux caissons de cartouches pour la troupe.

( Signé ) Le Lieut.-G e n. Due de Roccaromana.


Situation de la troupe sous les ordres de S. E. le lieutenant-géneral due de Roccaromana, au 3 Juillet.



Préses sous les armes Officiers

Troupe

D’o ffi ciers

de la troupe

Corps

Roi infanterie 23 ...426

Chevaux légers

de la garde

5 ...69 ...5 ...69
Dragons Ferdinand 5 ...70 ... 5 ...70
Artillerie de la garde l ...29 ...1 ...22
Train..... 1 ...20 ...1 ... 34
Totaux 35 614 12 195

(Signe) Roccaromana.

N°. X.—A S. E. le Capi t aine-Général, à Pomigliano.

Nola, 4 Juillet, 1820,

à trois heures, a.m.

Excellence—Je vous envoie copie d’une lettre arrivée ici il y a trois heures. J’ai cherché à parler au charretier qui a donné les nouvelles contenues dans la lettre, mais il était reparti pour sa demeure que l’on dit être à trois milles d’ici. L’évêque, M. Torrusio, a reçu à-peu-près les mêmes renseignemens. V. E. dans sa sagesse, décidera si elle contien t la vérité.

J’ai reçu de S.E. le lieutenant-général du cde Roccaromana l’avis de l’arrivée de la troupe à Pomigliano d’Arco, et j’en ai re?u la situation. Maintenant V. Exc. est sur le lieu, et donnera, les ordres que vous croirez convenables.

Je me trouvé forcé de répéter à V, Exc. qu’il me faut le décret pour les pouvoirs extraordinaires, et l ’ordre pour les caisses. J’ai demandé ces choses plusieurs fois sans en voir le résultat. Je suis dans une position qui exclut toute espèce de retard pour les ressources.

J’ai envoyé plusieurs courriers au général Campana et j’attends ses réponses.

(Signé) M. Carrascosa.

P. S. Si, à l’arrivée de cette lettre, V. Exc. était répartie pour Naples, je dois vous prévenir que j’ai écrit au due de Roccaromana de marcher sur Marigliano. Si au contraire V. Exc. est encore à Pomigliano, vous déciderez ce que vous croirez. Je désire de parler à V, Exc, et si vous le pouvez, je vous prie de venir ic i.

(Signé) Carrascosa.

N°. XI.—A S.E. le Capita i ne-G é n é ra l, à Naples.

Nola, 4 Juillet, 1820

Excellence—Je vous envoie un procès verbal, par lequel V. E. pourra juger de l’augmentation qu’on affirme avoir eu lieu parmi les rebelles depuis hier après midi jusqu’à ce matin. J’ai des raisons cependant de la croire exagérée du doublé. Dans tous les cas, que V. E. n’oublie pas que je n’ai que cinq cents hommes tout compris. La grande difficulté des circonstances fait que je me renferme dans les bornes de simple commandant militaire. Quant à là conduite politique des affaires, je prie V. E. d’induire S. M. à e n voyer ici quelque personne de sa confiance, comme par exemple le due d’Ascoli, afin de décider ce qu’on a à faire.

La chose est extrêmement embarrassante : si l’on attaque, on risque de produire un grand mal, puisque la troupe semble mal dispos é e; et si l’on n’attaque pas, le mal peut s’augmenter.

(S ign é) M. Carrascosa.

N°. XII.—A S. E. le Lieutenant-Général Baron Carrascosa, à Nola.

Nola, 4 Juillet, 1820

Excellence—Après avoir expédié le major La Rocca, j’ai soumis à S. M. les lettres de V. Exc.; S. M. En a montré beaucoup de satisfaction, et m’a ch argé d’en témoigner son agrément à V. Exc, et sa reconnaissance pour l’excellente conduite des affaires.

Après le départ du major La Rocca, j’ai réfléchi qu’il voit les choses et qu’il les raconte, pour ce qui regarde les événemens du côté des généraux Nunziante et Campana, avec un peu d’exagération, comme je l’ai vérifié pour certains -objets. Sans doute que V. Exc. ne se laissera pas dérouter, mais cela pourrait influencer sur les autres; et je vous l’observe, afin que vous puissiez en prévenir les conséquences.

( Signé) Nugent.

P . S. Je reçois à l’instant votre lettre avec les renseig ne mens sur les affaires à Avellino. Le marquis Tommasi en avait déjà reçu de semblables du sous-intendant. Je ne sais qu’en penser, et je prie V. Exc. de me donner votre opinion, et de me dire aussi ce que vous pensez à présent touchant l’emploi de la force, et à quel nombre vous croyez qu’on devrait porter la colonne de Marigliano,: afin d’en conci l ier la possibilité avec la force nécessaire à Naples.(62) lei tout est tranquille. La garde de sûreté sert très-bien.

Répondez-moi de suite.

(Signé) Nugent.

N°. XIII.—Au Général Carrascosa, à Nola.

Nola, 4 Juillet, 1820

Très excellent ami et Seigneur—Par le moyen de l’ami commun, j’ai reçu votre lettre d’aujourd’hui, avec les papiers inclus. Je ne puis rien vous dire à l’égard de vos propositions, puisque je me tiens à mon poste uniquement pour la tranquillité de ce beau pays. En affaires politiques je me refuse absolument. Pour toute autre chose, je suis prêt à tout ce que vous voudrez de moi.

Je vous embrasse, votre ami,

(Signé) Ascoli.

N°. XIV.—A S.E. le Capit a ine-Général, à Naples.

Nola, 4 Juillet, 1820

Excellence—-J’ai reçu une ordonnance illimitée de S.E. le ministre des finances pour les fonds; ce qui remplit l’objet. Je prie V. E. de me faire expédier le décret pour les pouvoirs extraordinaires..

J’apprends de V. E. la marche de nouvelles troupes; daignez les diriger sur Pomigliano d’Arco,(63) où le due de Roccaromana sera rendu sous quatre heures.

V. Exc. doit m’envoyer aussi des pionniers, des officiers de sapeurs, et des instrumens; peut. être faudra-t-il raccommoder le pont.

(Signe) M. Carrascosa.


N°. XV.—A S.E. le Capitaine-Général,à Naples.

Nola, 4 Juillet, 1820

Excellence—Je ferai exécuter aujourd’hui un mouvement sur le Cardinale, parie 5ème de bersailleurs. Je me propose de commencer à sonder la troupe par fractions, pour décider si la contagion peut la gagner. La lettre dont j’envoie copie à V. Exc. contient les raisons qui m’induisent à faire ce mouvement.

Mon opinion est, que V. Exc. renforce beaucoup le général Nunziante, puisque toutes les vues des révolutionnaires sont dirigées vers son côté, dans le dessein de faire ainsi éclater une insurrection dans la province de la Principauté citérieure. J’ai manifesté mes idées au major La Rocca. La troupe que j’ai me suffit, (+) et V. Exc. pourrait ainsi disposer de tout ce qui est disponible, en faveur du général Nunziante.

Je suggère à V. Exc. d’établir une réserve sur un point intermédiaire, pour pouvoir renforcer soit moi-même, soit le(:) général Nunziante, selon l’urgence..

J’ai envoyé plusieurs officiers au général Campana à St. Severino pour me mettre en communication avec lui, et pour combiner nos mouvemens, mais je n’ai repu aucune réponse.

On m’a envoyé la régularisation des pouvoirs.

(Signé) M. Carrascosa.

N°. XVI.—A S. E. le Lieutenant-Général Baron Carrascosa, à Cimitile.

Marigliano, 4 Juillet, 1820.

A quat r e heures et d e mi, p. m .

Excellence,-—Conformément aux ordres que vous m’avez envoyés, j’ai disposé la marche du bérne de bersailleurs sous les ordres du lieutenant-colonel Guarini pour le Cardinale: d’où il correspondra directement avec V. Exc.

Je reçois à l’instant un second ordre de V. Exc. En conformité duquel je me mettrai aussi en marche pour Cimitile où je me placerai selon vos intentions.

N°. XVII.—-A S. E. le Lieutenant-Général Baron Carrascosa, à Cimitile.

Nola, 4 Juillet, 1820

à 24 heures

Excellence—Une personne arrivée dans ce moment de l’arrondissement de Bajano, m’a assuré, qu’un détachement des troupes des insurgés se trouvait placé sur le grand chemin qui conduit du Purgatorio à Mugnano et à Avellino.

La nuit est commencée, et pour toutes les raisons, je ne dois pas m’aventurer d’aller à Bajano, pour exécuter ia commission reçue de V. Exc.

J’ai cru de mon devoir de vous en prévenir.

(Signé) Le Juge du Circondaire de Bajano, Bianchi.

N°. XVII I —A S. E. le Lieutenant-Général Baron Carrascosa, à Cimitile.

Naples, à trois heures après minuit.

d u 4 au 5 Juillet, 1820.

Excellence,—La lettre de V. Exc. m’est arrivée à deux heures. S. M. dort, et si j’allais au palais à cette heure, cela produirait une alarme qu’on ne pourrait tenir secrète. Je dois donc tout décider de moi-même, dans un objet qui n’est pas de mon département, et vous n’ignorez pas combien le Roi est jaloux qu’un ministre ne se mele pas du service d’un autre. J’ai remarqué dans votre lettre beaucoup de sagesse, et des vues profondes, dignes d’un général de tant de renom. Permettez-moi de vous rappeler que vous êtes investi d’un alter-ego, pouvoir très étendu qui donne à un général le pouvoir même du roi; je ne vois donc pas pourquoi, sans mon approbation, vous ne pourriez point, par des vues politiques, et dans une affaire de tant d’importance, promuer un sous-officier au grade d’officier? Les mêmes pouvoirs vous autorisent aussi au sacrifice d’argent, et à promettre, au nom du roi, la promotion d’un individu de l’ordre judiciaire. Il y va du sort de la monarchie. Je Je répète, et vous pouvez me croire, à cause de mon expérience dans ces affaires; vous pouvez tout par vous même, et par conséquent, employer toute espèce de moyen, quelque important qu’il soit, pour réussir dans l’objet sacre que S. M. vous a confié.

Demain je demanderai au roi s’il veut me permettre d’aller à Pomigliano; mais s’il ne s’agit que de conférer avec moi sur la propriété des moyens, je vous le répète, et je m’en rends le garant, ils sont tous en votre pouvoir. J’ai fait quelque observation générale à la feuille que j’ai reçue de M. Patroni. Aspirez donc, M. le général, à la gloire de l’immortalité, en donnant à l’Europe l’exemple rare de nos jours, d’étouffer dès sa naissance une sanglante guerre civile.

Croyez-moi avec des sentimens de haute estime, et de vénération profonde.

(Signé) Le Chevalier Louis de Medici.


N°. XIX.—Au Général Carrascosa.

Naples, 5 Juillet, 1820.

Je viendrai cette nuit, J’accélererai tant que je pourrai. La défection du régiment prince cavalerie ne parait que trop certaine.

(Signé) Nugent.


N°. XX.—A S.E. le Capitaine-Général, à Naples.

Cimitile, 5 Juillet, 1820.

Excellence,—J’ai re§u de S. Exc. le lieutenant-général due de Roccaromana, sous la date d’aujourd’hui, le rapport suivant: “Après l’arrestation de l’homme que j’eus l’honneur de vous envoyer hier au soir, il est arrivé un autre événement, dans le même poste commandé par le sergent T... du 5me. bersailleurs. Vers la moitié de la nuit, en faisant sa tournée pour surveiller les factionnaires de son poste, il fut, à l’improviste, abordé par quatre personnes, lesquelles employèrent toutes sortes de moyens, pour l’induire à déserter avec les soldats de son poste, se disant autorisées à lui promettre des récompenses sûres. Le sergent leur répondit que, quelles que fussent ses opinions, elles étaient absolument subordonnées à son devoir, qui l’engageait à n’abandonner jamais ses drapeaux, et que, au contraire, il les défendrait avec le plus grand zélé. Les chasseurs de son poste, qui étaient placés au point de réunion des trois chemins qui conduisent à Casamarciano et à Nola, entendant du bruit, prirent les armes, et accoururent sur le lieu; mais les quatre individua se sauvèrent promptement, profitant de l’obscurité de la nuit. J’espère que V. Exc. sera satisfaite de la conduite loyale dece brave sous-officier.”

(Signé) Le Duo db Roccaromana.


Après la réception de ce rapport, et m’étant assuré de l’exactitude de son contenu, j’ai ordonné que le sergent T. fut reconnu sons-lieutenant en présence de la troupe rassemblée, et avec toute la solennité exigée par la circonstance. Je lui ai délivré une commission provisoire, en attendant le brevet régulier, que je prie V. Exc. de lui expédier, après avoir requis l’approbation de

(Signé) M. Carrascosa.


N°. XXI. — A S. E. le Capitaine-Général, à Naples.

Cimitile, 5 Juillet, 1820.

Excellence,—Daignez m’envoyer une lettre, par laquelle-vous me marquerez que S. M. a répondu touchant les deux jours, que le. général Carrascosa croit nécessaires pour terminer les choses, que S. M. n‘a pas cru y adhérer, mais qu’elle a bien voulu accorder un seul jour de 2 i2 délai pour l’exécution des ordres de marcher sur Avellino.

Je garderai cette lettre de V. Exc. pour en faire usage au besoin.

Quand vous recevrez les objets en question. envoyez-les moi de suite.

(Signé) M. Carrascosa.


N°. XXII.—A S. E. le Général Carrascosa, à Cimitile.

Naples, 5 Juillet, 1820.

Excellence,—J’ai parie au ministre Medici, et ensuite à S. M. Le roi approuve le tout, et accorde à V. Exc. les pleins pouvoirs pour terminer. Les passeports sont prêts à l’instant; le retard sera seulement occasionné pour trouver de l’or, mais il ne sera que d’une couple d’heures; vous recevrez ce soir, ou cette nuit, les huit milles ducats, et les passeports. Vous pouvez y compter. Le major Rodino en sera le porteur.

Je ferai une course à Nocera, et dans la nuit, je viendrai à Marigliano. Envoyez-moi de vos lettres à mon adresse vers Naples, pour m’informer de ce qui se passe.

(Signé) Nugent.

N°. XX III . — A S. E. le Lieutenant-Général Baron Carrascosa, à Cimitile.

Naples, 5 Juillet, 1820.

Vous aurez déjà reçu ma lettre, par laquelle je vous informais que S. M. approuvait vos propositions, et garantissait tout ce que V. Exc. conclurait sur l’affaire en question. Cependant, à l’égard de l’article des deux jours, que V. Exc. croit nécessaires pour terminer les choses, S. M. a consenti à accorder un seul jour de délai, pour exécuter les ordres de marcher sur Avellino.

(Signé) Nugent.



N°. XXIV. — A S. E. le Lieutenant-Général Baron Carrascosa, à Cimitile.

Naples, 5 Juillet, 1820. à huit heures du soir.

S. M, avant l’arrivée ici du capitaine-général Nugent, avait déjà entièrement approuvé la réponse que je vous avais envoyée la nuit passée, et même elle l’avait sanctionnée de son autorité.

Le capitaine-général étant ensuite arrivé, et l’ayant informé de l’objet en question, S. M. a approuvé le tout, comme V. Exc. En sera convaincue par la lettre ci-incluse de S. M. même. Par ordre donc du roi, je vous envoie huit mille ducats en or, que le maréchal de camp la Rocca a consignés au major Rodinò, et je vous remets dix passeports en blatte. Vous pourrez faire la promesse d’une magistrature supérieure, et de toute autre récompense. S. M. a pleine confiance en V. Exc.; il ne reste donc qu’à espérer avec fondement, que par votre moyen la cause commune sera sauvée.

J’ai l’honneur d’être avec les sentimens de profonde vénération.

(Signé) Le Chevalier de Medici.

N°. XXV.

Naples, 5 Juillet, 1820.

Général Carrascosa,

Je vous autorise à exécuter en mon nom, tout ce que vous avez proposé au chevalier Medici, par votre lettre de la nuit passée, et que m’a confirmé aujourd’hui le général Nugent; à cet effet, je vous envoie dix passeports, et huit mille ducats en or, et je vous autorise à en faire usage sans exiger des reçus. Cette affaire, conduite à fin, excitera toute ma reconnaissance.

Je suis votre très-affectionné.

(Signé) Ferdinand.

N. XXVI.

Naples, 6 Juillet, 1820.

Général Carrascosa,

A l’instant que vous recevrez la présente, vous vous donnerez tous les soins pour publier à la population la feuille que je vous fais remettre, en me réservant de vous en envoyer un plus grand nombre de copies, aussitôt qu’elles seront imprimées; exécutez ce que je vous ordonne, et je me confirme, Votre affectionné.

(Signé) Ferdinand.

N°. XXVII.—A la Nation du Royaume des deux Siciles.

Naples, 6 Juillet, 1820.

La nation du royaume des deux Siciles, ayant manifesté le vœu général d’obtenir un gouvernement constitutionnel, nous y consentons de notre pleine volonté, et promettons d’en publier les bases, sous huit jours.

Jusqu’à la publication de la constitution, les lois actuelles resteront en vigueur. Ayant ainsi satisfait au vœu public, nous ordonnons que les troupes retournent à leurs corps, et chacun à ses occupations.

(Signé) Ferdinand.

Le secrétaire d’état ministre chancelier.

(Signé) Marquis Tommasi.


N°. XXVIII.—A S. E. le Lieutenant-Général Baron Carrascosa, etc. etc. où il se trouve.

Naples, 6 Juillet, 1820.

Excellence,—Après que vous aurez fait les dispositions nécessaires, et confié à S. Exc. le lieutenant-général due de Roccaromana le commandement des troupes, en lui laissant vos instructions, vous vous rendrez de suite à Naples, en venant directement au palais de ce commandement supérieur.

(Signé) Le général en chef, Nugent.

N°. XXIX.—Au Général Carrascosa.

Naples, 6 Juillet, 1820.

Venez sitôt que vous pourrez, car le roi a très fort goûté la partie de mon idée qui vous regarde.

(Signé) Nugent.

N°. XXX.

En portant un jugement sur les personnes, et sur les circonstances actuelles du royaume de Naples, il faut être bien sur ses gardes, pour ne pas se laisser entraîner par les apparences.

La conduite du gouvernement, durant les cinq années, était basé sur un système de confiance. Le résultat n’ayant pas été heureux, on pourrait être poussé à l’autre extrémité, en devenant trop soupçonneux, croyant avoir été trompé par tout le monde, ou par des classes entières; et ainsi, pour quelques coupables, l’on pourrait faire tort à beaucoup d’innocens.

Avant le six Juillet, il faut fonder une opinion seulement sur les faits. après cette époque, les faits mêmes ne peuvent plus servir de régie, puisque plusieurs personnes, à cause des circonstances et pour leur sûreté, se sont trouvées forcés d’agir en apparence, d’une manière opposée à leurs sentimens. Dans ce cas étaient essentiellement ceux, qui pour leur conduite, étaient suspects au parti dominant.

Par rapport aux militaires, le général Nugent a toujours soutenu qu’une petite partie seulement s’était montrée infidelle. Quant à ce qui est arrivé après cette époque, on n’en pourrait pas tirer des conséquences justes. La supposition que plusieurs étaient des fauteurs secrets, est hasardée et injuste, aussitôt qu’il n’y a pas de preuves.

Outre cette assertion générale, il est entré dans des détails sur une partie des principaux individua. A l’égard du général Carrascosa, le général Nugent a exposé, que jusqu’au dernier moment il a eu à se louer particulièrement de lui. Le général Nugent, lui ayant confié un commandement important, il employa tous les moyens, soit par des faits, soit par des conversations, pour sonder les intentions du général Carrascosa. Celui-ci a toujours énoncé la même opinion, mais spécialement dans la nuit du cinq au six Juillet, qu’on ne devait point céder à la révolution, ni aux conseils des gens pusillanimes, ou mal intentionnés, et que tous les honnêtes gens devaient se réunir pour s’opposer à la révolution. Cette conduite, dans un moment pareil, persuada toujours d’avantage le général Nugent..

Ils concertèrent ensemble les opérations qui devaient avoir lieu contre les rebelles, mais qui furent empochées, par la publication de la constitution, accordée la même nuit, pendant l’absence du général Nugent.(64) en retournant à Naples, il rendit compte au roi de la bonne conduite du général Carrascosa. S. M. s’en déclara assez satisfaite, et répondit qu’en effet elle l’avait nommé ministre de la guerre, et lui ordonna de le rappeler à Naples.

Il ne voulait pas accepter, mais le général Nugent lui déclara que telle était la volonté du roi; le général Nugent dut s’éloigner le même jour, mais jusqu’au dernier moment, il eût à se louer de la conduite de Carrascosa.

Il a eu égalemement à se louer des généraux d’Ambrosio et Filangieri. Le premier avait été désigné pour aller avec lui-même, comme on l’avait décidé, etc. etc.

N°. XXX I (65)

Il ne faut pas omettre ici une conversation très intéressante, qui eût lieu à Cimitile entre deux hauts personnages militaires, l’un national et l’autre étranger.... celui-ci demandait à l’autre ce qu’il croyait qu’on aurait dû faire, et s’il croyait que le roi eût dû accorder une constitution à ses peuples.

Le national lui répondit avec loyauté et franchise: que la tendance des opinions était telle en Europe, que tous les souverains, sous peu de temps donneraient des constitutions à tous les peuples; et qu’alors une transaction aussi avantageuse devrait passivement s’adopter pour Naples.... L’étranger reprit: Voyez comme vous faites vous autres, vous ne répondez pas exactement à la demande...... il ajouta au national qu’il mettait à sa connaissance, que toute la province d’Avellino s’était insurgée, et que la même chose était arrivée dans celle de Salerne; et il insista pour savoir si le national persistait toujours dans la même opinion, que le roi ne devait pas accorder un changement politique. Mais le national lui répondit: que le roi ne pouvait changer le pacte social du royaume existant avec ses vingt-deux provinces, parce que deux seulement s’étaient révoltées alors l’étranger demanda comment on pourrait parvenir à maintenir la tranquillité dans Naples, et à empêcher que les colonnes des libéraux ou de leurs émissaires ne pénétrassent dans la capitale, et n’y portassent le désordre. 

A ces difficultés, d’ailleurs très-fondées, le national répondit: que dans les circonstances dans lesquelles on se trouvait, le roi devait se prémunir contre deux espèces d’influences funestes, l’une exercée par les intrigans, la seconde par les hommes pusillanimes; que ces deux classes de personnes cherchaient à profiter de l’état d’étourdissement, dans lequel se trouvait le gouvernement dans ce moment; qué les uns, d’accord avec les révoltés, chercheraient à le décider à un changement prématuré, et que les autres,par pusillanimité, suggéreraient la prompte adoption d’un changement politique. 

Le roi, en usant de fermeté, devait rester dans l’attente des événemens, ce qui le mettrait à même de juger si le changement était désiré par la nation, ou seulement par deux provinces. Dans le premier cas, le national disait qu’il serait prudent d’accorder une constitution; et dans l’autre, que les deux provinces soulevées devaient rentrer dans l’ancien ordre des choses, et se conformer à ce que désirait la majorité. Il ajoutait que si la majorité de la natio n prononçait le vœu d’obtenir une constitution, le roi devrait convoquer le corps diplomatique, en lui faisant observer que le vœu national était pour une réforme politique, et qu’on était dans la nécessité de l’accorder; qu’après la vérification des conditions susdites, l’Europe n’aurait rien à redire sur un changement accordé par le souverain, d’après le vœu général.

Quant au maintien de la tranquillité publique, qui formait l’autre partie de la question faite par l’étranger, notre compatriote fut d’avis que lui-même restât à Cimitile avec une colonne de troupes, et qu’une autre colonne serait postée à Nocera, ou dans la Torre dell’Annunciata. Il croyait cependant qu’on devait changer le commanda n t de cette seconde colonne, en la confiant au général d’Ambrosio. Ainsi ces deux colonnes auraient couvert et garanti la capitale; elles a u raient assuré toute liberté d’action au gouvernement, afin de se décider selon les circonstances, et on aurait pu renvoyer dans la capitale même tout le reste des troupes, pour y maintenir le bon ordre. 

L’étranger approuva ces opinions du national, et dit qu’à l’instant même il al l ait se mettre en route pour les exposer au roi; qu’à Marigliano il f e rait monter dans sa voiture le général d’Ambrosio, pour l’envoyer de suite au commandement des troupes qui étaient du côté de la Torre. Il ajouta que, peut-être, il devrait appeler à Naples notre compatriote, pour répéter de vive voix ses projets au roi.

Mais comme il était essentiel de fixer des idées sur la nouvelle forme politique qui serait convenable au pays, l’étranger demanda au national si son opinion était que le roi adoptât, en cas de besoin, une des constitutions existant ailleurs en Europe, ou qu’on en établit une exprès pour Naples Il est de fait qu’il lui répondit alors: que, vouloir rédiger une constitution pour Naples, dans les circonstances actuelles, ce serait exposer le royaume à des dangers; qu’on courrait le risque de rester trop dans le vague, et qu’il croyait très-avantageux la constitution britannique, etc. etc....en substituant cependant à la chambre des pairs héréditaires, une haute chambre de notables à vie, e tc. etc.

N°. XXXII.—Messieurs les Députés de Parlement National.

Naples, 1 8 Novembre, 1820.

Au moyen du compte que vous rendra le ministre de la guerre, porteur de cette lettre, vous observerez qu’une partie des troupes est déjà rend u e à la frontière, qu’une autre partie est en marche, que plusieurs endroits ont été fortifiés, qu’on a fait les dispositions convenables pour établir les dépôts de vivres et ceux de munitions. L’armée, moyennant les efforts et la bonne volonté de la nation, a changé d’aspect en peu de jours. Mais à quoi servira que l’armée soit nombreuse et bien équipée si elle manque de discipline? Tous mes soins sont dirigés vers cet objet important. Je compte qu’au besoin, le parlement ne voudra pas refuser les actes qui sont dans son attribution, et qui seraient indispensables pour consolider la discipline, laquelle est le premier garant de toute opération militaire

(Signé) Fran ç ois, Vicaire-Général.

N°. XXXIII.—FERDINAND I. etc, etc. A mes fi dèles Députés du Parlement.

Naples, 7 D é cembre, 1820.

Les souverains d’Autriche, de Prusse, et de Russie, réunis au congrès de Tropau, m’ont envoyé trois lettres, par lesquelles ils m ’invitent à me rendre en personne pour prendre part au nouveau congrès qui doit y être tenu.

Par ces mèmes lettres, que j’ai ordonné à m on ministre des affaires étrangères de vous communiquer, vous reconnaîtrez l’importance de l’objet de cette invitation, qui est celui de m’interposer comme médiateur entre les souverains et la nation.

Pénétré jusqu’au fond de l’âme de l’état des circonstances, et toujours prêt à faire tous les sacrifices pour établir solidement la

félicité de la nation, je m’attache à tous les expédiens qui m’offrent l’espérance de pouvoir y arriver. En conséquence, je suis résolu à vain c re toutes les difficultés que me présentent mon âge et la rigueur de la saison, pour me rendre promptement à l’invitation qui m’est faite, puisque les souverains

m ’ont fait déclarer qu’ils n’admettraient à traiter personne que moi seul, pas même les princes de ma famille. Je pars avec l’espoir que la divine providence me fournira les moyens de vous donner la de rni ère preuve de mon amour pour vous, en évitant à la nation le fléau de la guerre.

Loin de vous et de moi la pensée que l’adhésion à ce projet puisse me faire oublier un seul moment le bien de mon peuple. En m’éloignant de vous, il est digne de moi de vous en donner une nouvelle garantie sol en nelle, et je déclare donc, à vous et à la nation, que je ferai tout pour que mes peuples jouissent d’une constitution sage et libérale. Quelques mesures qui puissent être exigées par les circonstances, relativement à notre état politique actuel, tous mes efforts seront employés pour qu’il reste toujours fondé Sur les bases suivantes:

1°. Que la liberté individuelle de mes bien-aimés sujets sera assurée par une loi fondamentale;

2°. Que dans la composition des corps de l’état, on n’aura aucun égard aux privilèges de la naissance;

3°. Qu’aucun impôt ne pourra être établi sans le consentement de la nation légitimement représentée;

4°. qu’il sera rendu compte à la nation et à ses représentans de toutes les dépenses publiques;

5 °. Que les lois seront faites d’accord avec la représentation nationale;

6°.  Que le pouvoir judiciaire sera indépendant;

7 °. Que la presse sera libre, sauf les lois répressives des abus qui seraient commis;

8°. Que les ministres seront responsables;

9 °.  Que la liste civile sera fixée.

Je déclare en outre que je ne consentirai jamais à ce qu’aucun de mes sujets soit molesté pour des faits politiques antérieurs quels qu’ils soient Mes fidèles députés, pour vous convaincre de mon amour et de ma sollicitude pour la nation, je désire qu’une députation, composée de quatre membres choisis pas le parlement, m’accompagne et soit témoin du péril qui nous menace et des efforts que je ferai pour l’éviter.

Il est nécessaire que, jusqu’à l’issue des négociations, le parlement ne propose aucune innovation dans les diverses branches de l’administration; qu’il laisse les choses telles qu’elles sont actuellement, et qu’il borne ses soins à la part qu’il est appelé à prendre dans l’organisation de l’armée, puisque les budgets, par

le manque de temps, et par la force des circonstances, doivent être fixés pour l’année prochaine, comme ils l’ont été pour celle qui va expirer; et ma ferme volonté est de porter dans toutes les dépenses la plus grande économie, autant que les circonstances le permettront.

Je confirme à mon bien-aimé fila, le due de Calabre, les pouvoirs de mon vicaire, tels qu’ils sont exprimés dans mes actes du 6 Juillet et du 11

Octobre de cette année.

Je suis convaincu que vous accueillerez cette communication comme une preuve de mes sentimens, et comme l’effet de la nécessité qui nous oblige à préférer à tout autre intérêt secondaire le salut de notre patrie.

(Signé) Ferdinand.


N°. XXXIV.—-FERDINAND I, &c. &c. A mes fidèles Députés du Parlement.

Naples, 8 D é cembre, 1820.

J’ai appris avec une profonde douleur que tout le monde n’a pas vu du même œil la résolution qui vous a été communiquée dans la séance d’hier, 7 courant.

Pour écarter tout équivoque, je d éclare que je n’ai jamais eu dans I idée de violer la constitution jurée; mais, comme dans mon décret royal du 7 Juillet, j’ai réservé à la représentation nationale le droit de proposer à la constitution d’Espagne les modifications qu’elle aurait jugé nécessaires, par cette raison, j’ai cru et je crois encore que mon intervention au congrès de Laybach pouvait être utile aux intérêts de la patrie, en faisant agréer aux puissances étrangères des projets de modification, tels que sans porter aucunement atteinte aux droits de la nation, ils

496 repoussassent tout prétexte de guerre; bien entendu que, dans tous les cas, aucune modification ne pourrait être acceptée sans avoir été consentie par la nation et par moi; je déclare en outre qu’en m’adressant au parlement, j’ai entendu et j’entends me conformer à l’article 172, § 92 de la constitution.

Enfin je déclare que je n’ai pas entendu suspendre pendant mon absence les actes législatifs du gouvernement, mais ceux uniquement qui regardent les modifications à apporter à la constitution.

(Signé) Ferdinand.


N°. XXXV.—FERDINAND I, &c. &c. A mes fidèles Députés du Parlement.

Naples, le 10 D é cembre, 1820.

Votre décision, en date du 8 de ce mois, porte entr’autres choses, que le parlement n’a la faculté de donner son adhésion à mon départ qu’autant qu’il aurait pour but de soutenir la constitution d’Espagne jurée en commun.

Sur ce, je déclare que mon intervention au congrès de Laybach n’a d’autre but que celui de soutenir la constitution d’Espagne, jurée en commun qui forme notre pacte social, et d’ajouter, au moyen des manifestations que vous m’avez faites par votre message du 9, que telle est la volonté décidée et unanime de mes peuples. Si mon m essage du 7 a reçu une autre interprétation, je crois. avoir dissipé tout équivoque par mon message du 8.

Après cette déclaration, je demande que le parlement décide,d’une manière positive,s’il consent à mon intervention au congrès de Laybach, dans le but de soutenir la volonté générale de la nation pour la constitution adoptée, et d’éloigner en même temps les traces de la guerre en cas d’affirmative, je désire que le parlement s’explique sur la confirmation du vicariat-génér a l dans la personne de mon très-cher fila le due de Calabre.

Le parlement, en plaçant en moi une confiance que je justifierai avec la faveur de Dieu, n’a pas cru nécessaire de choisir quatre membres pour m’accompagner. Sur ce point je dois vous dire que je désirerais et que je désire que quatre députés m’accompagnent, parce que j’aimais et j’aime à profiter de leurs lumières. Si après cette explication, le parlement trouve cette mesure utile, je ne pourrai en être que satisfait. Je n’ente n d cependant pas l’exiger comme une condition à mon intervention au congrès.

Finalement, d’après la réflexion que les souverains rassemblés à Laybach attendent de moi Une prompte réponse, je désire que le parlement prononce bientôt sur ce que je viens de lui exposer.

(Signé) Ferdinand .

N°. XXXVI.—La Voix du Siècle (66)

L eipsik, 17 Novembre.

15 Décembre, 1820.

Le dix Novembre, les ambassadeurs de France et d’Angleterre ont protesté à Troppau contre le projet d’envahir le royaume de Naples. On affirme qu’un courrier extraordinaire, dirigé de Troppau à Paris, a porté la décision des puissances alliées, de laisser en paix les Napolitains. après la conduite loyale et généreuse de l’empereur Alexandre envers l’Espagne, comment aurait-on pu concevoir qu’on aurait suivi une politique différence envers le royaume de Naples?

N°. XXXVII.— L a Voix du Siècle.


15 Décembre, 18 2 0.

On disait que tous, ou plusieurs des nouveaux ministres, avaient refusé mais en opposition à l’attente commune, ils ont accepté. Nous les croyons animés d’intentions pures, mais il nous semble qu’ils ne sont pas pourvus des moyens nécessaires pour remplir leurs hautes fonctions, dans des circonstances aussi difficiles.


N°. XXXVI I I.— L a Voix du Siècle.


26 Décembre, 1820.

Les dernières nouvelles sur le congrès de Troppau confirment la probabilité que la paix avec le royaume de Naples sera maintenue. Ces nouvelles ont fait hausser les fonds autrichiens.

N°. XXX IX .— L a Voix du Siècle.


2 Janvier, 1821.

Dans la séance du parlement national, qui eût lieu le vingt-six Décembre passé, l’honorable deputé Castagna lut un long acte d’accusation contre l’ex-ministre de la guerre le général Carrascosa, signé par un nommé Attorre; et peu de temps après, le député général Begani monta à la tribune, et faisant un rapport au nom d’un conseil de généraux, qui avait été présidé par S. A. R. le prince régent, il informa le parlement que notre défence militaire se trouvait en très bon état, que notre armée se trouvait dans un état florissant, que dans l’artillerie de campagne tout était en bon ordre, et qu’il existait suffisamment de poudre martiale, dont cependant on continuai à faire de grandes acquisitions. Quelle inconcevable contradiction entre l’accusation de M. Attorre, et le rapport de l’honorable député Begani? 

Dans un pays où on a souffert le fléau de Vanni, de Speciale, et de Saliceti, serait-il possible que le systéme des accusations revint de mode? et tout cela ne serait-il pas peut-être aussi une trame des ennemis de la constitution. pour priver la patrie de ses meilleurs soutiens! Le lieutenant-général Carrascosa, dont la vie présente une suite d’actions d’éclat, qui a une réputation en Europe, et qui est couvert de blessures honorables, aurait-il pu dévier du sentier du devoir? Quoiqu’il en soit, nous nous félicitons de ce que l’auteur de l’accusation ne se soit pas enveloppé du caractère d’anonyme. Nous attendons que la sagesse du parlement décide sur le mérite de l’accusation. Nous aurons de l’obligation à M. Attorre si son zèle patriotique nous a fait découvrir un ennemi de la patrie, qu’on n’aurait jamais soupçonné; mais l’indignation publique se tournera contre lui, et il sera considéré comme un objet du mépris universel, s’il a calomnié un citoyen dont le bras peut être utile à la défense de la patrie, menacée d’agression de la part de l’étranger.

N°. XL.—La Voix du Siècle, Intérieur.


2 Janvier, 1821.

Les dernières nouvelles d’Italie, de France et d’Angleterre, affirment presque à l’unanimité que les grandes puissances ne permettront pas à l’Autriche l’agression menacée contre le royaume des deux Siciles.

N°. XL I .—La Voix du Siècle, Intérieur.


2 Janvier, 1821.

Une nombreuse promotion a eu lieu dans l’état major de notre armée, ou pour mieux dire, tout notre état major a été promu. Depuis le dernier sous-lieutenant jusqu’au premier lieutenant-colonel du dit corps, tous les individua ont été avancés d’un grade. Mais comment, avant de commencer la campagne, accorde-t-on des avancemens qui devraient être la récompense de la valeur?

N°. XL I I .


Laybach, ce 28 Janvier, 1280.

Très-cher fils!.

Vous connaissez bien les sentimens qui m’animent pour le bonheur de mes peuples, et les motifs qui seuls m’ont déterminé, malgré mon âge et malgré la saison, à entreprendre un si long et si pénible voyage. Je me suis convaincu que notre pays était menacé de nouveaux malheurs, et j’ai pensé qu’aucune considération ne devait m’empêcher de faire la tentative qui m’était dictée par les plus saints devoirs, Depuis mon premier entretien avec les souverains alliés, et par les communications qui me furent faites des délibérations qui avaient eu lieu à Troppau, il ne m’est resté aucun doute sur la manière dont les monarques alliés jugent les événemens qui ont lieu à Naples depuis le 2 Juillet jusqu’à ce jour.

Je les ai trouvés décidés irrévocablement à ne point admettre l’état de choses qui est résulté de ces événemens. Jugeant, en outre, tout ce qui pourrait en résulter d’incompatible avec la tranquillité de mon royaume et avec la sûreté des états voisins, ils ont résolu de le combattre, et d’employer même la force des armes, si les.moyens de persuasion ne suffisent pas.

Telle est la déclaration que les souverains et les plénipotentiaires respectifs m’ont présentée, et de laquelle rien ne pourrait les faire départir.

Il est hors de mon pouvoir, et je pense même au-dessus de toutes les facultés humaines, d’obtenir un autre résultat. Il n’y a donc aucune incertitude sur notre situation et sur les moyens qui nous restent pour préserver mon royaume des malheurs de la guerre.

Dans le cas où les conditions, sur lesquelles les souverains insistent, seraient acceptées par le parlement, les mesures qui en sont les suites ne doivent point être fixées sans le concours de ma volonté. Je dois vous informer que les alliés exigent des garanties, jugées momentanément nécessaires pour assurer la tranquillité des états voisins.

Quant au système qui doit succéder à l’état actuel des choses, les souverains m’ont fait connaître le point de vue sous lequel ils envisagent cette question.

Ils considèrent comme un objet de la plus grande importance, pour la sécurité de l’Italie et même de toute l’Europe, les mesures que l’on adoptera pour donner à mon gouvernement la stabilité dont il a besoin, sans prétendre restreindre en aucune manière ma liberté dans le choix de ces mesures.

Ils désirent sincèrement que je m’entoure des hommes les plus probes et les plus sages de mon royaume, et que je consulte avec eux l’intérêt vrai et permanent de mes peuples, sans perdre de vue ce qu’exige le maintien de la paix générale; qu’enfin il résulte de mes efforts et de ma sollicitude un système de gouvernement propre à. garantir pour toujours le repos et la prospérité de mon royaume, et qu’il soit tel, qu’il puisse rassurer les autres états d’Italie, en ôtant tous ces motifs d’inquiétude que les derniers événemens de notre pays leur ont offerts.

Telle est la situation dangereuse où nous nous trouvons. Si cette lettre produit l’effet que je dois en espérer, je suis tellement rassuré par la conscience de mes intentions paternelles, par la confiance que j’ai en vos lumières, et par le sens droit et la loyauté de mes peuples, que c’est à vous que je m’en rapporte pour maintenir l’ordre public, jusqu’à ce que je puisse vous faire connaître ma volonté d’une manière plus explicite pour la réorganisation de l’administration.

Votre affectionné père.

(Signé) Ferdinand.


N°. XLIII.—A S. E. le Général en chef Bar on Carrascosa.

Quartier général de Fondi, le 21 Février, 1821.

Commandement de la 1 ère Division active. N°. 5.

Excellence,—L’état moral du 1(er) bataillon de bersaillers lorsqu’il était à Sessa, est connu de V. Exc. Quand il eût été transporté à Monticelli, cet esprit de vertige, qui faisait craindre une révolte, paraissait éteint; mais cette nuit, le général Tschudy par le moyen d’un exprès, envoyé en toute hâte, m’a informé que de nouveau les congédiés menaçaient de déserter.

(Signé) D’Ambrosio.

N°. XLIV.—A S. E. le Général en chef.

Quartier général de St. Germano, le 2 Mars, 1821.

Commandement de la 4ème Division active.

Excellence,—C’est avec beaucoup de peine que je dois informer V. Exc. que les deux bataillons des miliciens de la province de la Principauté Citérieure, et qui appartiennent aux districts de Salerno et de Campagne, ont eu une désertion, le premier de cent-trente-trois hommes, et l’autre de deux cents. Le bataillon des légionnaires de Salerne a perdu seulement vingt-huit hommes.

Je dois vous informer aussi que le colonel Bellelli, le colonel de Concili, et moi, nous avons dû employer trois jours pour essayer de réunir en partie le contingent de cinq cent vingt-quatre miliciens et légionnaires, qui devait être fournis par les bataillons de la Principauté citérieure, pour la formation des dix compagnies des bersaillers de montagne, dont le commandement a été par V. Exc. confié au colonel de Concili. Enfin, après en avoir réuni une partie seulement, et Dieu sait comment, on a passé à une espèce d’organisation quelconque de dix compagnies susdites, lesquelles ont été consignées au colonel de Concili.

Mais l’heure étant trop avancée, ce colonel fixa le départ pour le lendemain. A la pointe du jour on fit longuement rappeler, et plusieurs heures se passèrent avant que la majorité des miliciens et légionnaires se trouvât réunie. Cependant, soixante-cinq manquaient, et je les crois désertés presque tous. En outre, quarante autres légionnaires, avec un sergent et un caporal, refuserent de sortir de la caserne, mais enfin ils se portèrent sur la place, quoique avec tumulte. Pendant qu’ils persistaient encore à se refuser de sortir du quartier, le colonel de Concili s’y rendit pour rappeler ces malheureux à leur devoir. Prières, ordres, menaces, promesses, furent employés en vain par le colonel.

On m’a assuré que des mains parricides osèrent, des fenêtres, diriger les fusils contre la personne. sacrée d’un représentant de la nation, qualité qu’ils n’ignoraient pas. Ce fut alors que le colonel de Concili partir sans eux, en se mettant à la tête de ceux qui s’étaient déjà mis en mouvement, après m’avoir envoyé un rapport de.tout ce qui lui était arrivé.

J’ordonnai que, à l’instant même, les troupes de ligne qui se trouvaient à St. Germano, prissent les armes, et se tinssent prêtes dans leurs quartiers respectifs; j’envoyai auprès des turbulens le colonel Vial, qui les trouva déjà rendus sur la place. A son arrivée, ils firent entendre des voix séditieuses contre leurs officiers, affirmant des choses fausses et calomnieuses contre eux. Le colonel Vial leur fait observer, que leurs assertions étaient injustes, puisque les officiers dont ils se disaient avoir été abandonnés étaient au contraire partis avec les dix compagnies franches. Mais s’apercevant qu’ils s’obstinaient toujours davantage dans leur refus de rejoindre leurs propres compagnies, et après avoir employé tous les moyens de persuasion, il fut enfin dans la nécessité d’employer quelque argent; ce qui, conjointement avec la crainte des troupes qui déjà avaient pris les armes, et de la cavalerie qui était montée à cheval, les induisit à partir, quoique de la plus mauvaise volonté. Je les fis escorter par deux de mes aides-de-camp, par un pi quel de cavalerie, et par un détache ment de gendarmes à pied.

(Signé) G. Filangieri, Prince de Satriano.

N°. XLV. — Au Général chef de l'état major du 1( er) corps.

Quartier général de St. Germano, 2 Mars, 182 0

État-major de la 4éme Division active. N°. 242.

Monsieur le Maréchal,—Je vous envoie une liste de quinze miliciens de la 2ème compagnie des bersaillers de montagne, qui désertèrent le vingt-six Février passé, en arrivant à Pastena.

(Signé) Colonel Vial,

Chef de l’état major de la 4ème Division active.

N°. XLVI.—A M. le Colonel Tocco.


Isola di Sora, 2 Mare, 1821.

Monsieur le Colonel,—J’ai l’honneur de vous informer, que la nuit passée à cinq heures et demie, la compagnie des voltigeurs du 7ème de ligne est désertée avec armes et bagages. Nos soldats montèrent de suite à chevai, ayant entendu plusieurs coups de fusil, que les déserteurs avaient tirés avant de partir.

(Signé) Ciccarelli.


N°. XLVII.—A S. E. le Ministre de la Guerre.

Cabinet. N°. 367

Arce, 3 Mare, 1821.

Monseigneur—J’ai l’honneur de transmettre à V. Exc. un aperçu de toutes les désertions qui ont eu lieu dans le1 1(er) corps d’armée dans les derniers jours du mois passé, et dans les premiers du courant. V. Exc. conviendra certainement, qu’un semblable commencement des choses est tout-à-fait alarmant, spécialement à cause du caractère d’atrocité, qui a accompagné la désertion de la compagnie entière des voltigeurs du 7ème, et à cause du débandement total du bataillon des miliciens de Sora. Des événemens d’une telle nature sont assez marquans, pour faire conjecturer de quelle espèce d’esprit se trouvent animées les troupes qu’on a mises sous mes ordres.

Moi et mes collègues, nous trouvant chargés d’une responsabilité immense, et fournis d’ailleurs de moyens aussi faibles et aussi impurs, désirons que les autorités législatives, et les autorités exécutives soient informées de ces circonstances, pendant que tous les efforts seront mis en usage par moi, et par mes honorables collègues pour améliorer, s’il est possible, l’esprit de l’armée.

Désirant néanmoins échapper à la malignité de la calomnie, laquelle, depuis plusieurs mois, nous persécute avec acharnement sans que nous y avions jamais donné occasion par la moindre faute, nous avons prié le conseiller d’état chevalier Zuccari, qui se trouve maintenant à Arce pour les vivres de l’armée, de se rendre de suite à Naples, et d’exposer au parlement l’état moral des troupes, et les conséquences funestes qui peuvent en résulter. Nous l’avons chargé de prier le parlement, en mon nom, et celui de mes collègues, d’envoyer auprès du 1(er) corps, deux de ses députés, en mission permanente, afin d’observer le mauvais esprit des soldats, ainsi que la démoralisation qu’on cherche à y insinuer, peut-être par commission de nos ennemis, au moyen des sociétés secrètes qui existent dans tous les corps; et afin que les deux députés soient témoins des efforts et du zèle des généraux pour parer à des inconvéniens aussi graves.

Dans le doute, cependant, que nos instances soient représentées au parlement avec toute la chaleur nécessaire, nous nous sommes décidés, moi et les autres généraux appartenans à ce 1(er) corps d’armée, à prier V. Exc. de vouloir bien, comme représentant supérieur de l’état militaire, répéter au parlement national le tableau exact des événemens qui ont eu lieu, ce qu’on peut attendre de l’esprit extrêmement démoralisé de l’armée, et l’induire à nous envoyer les deux députés susdits.

(Signé) G. Carrascosa.

N°. XLVI II .—A S. E. le Général en chef.

4ème Division active.

Isola, 3 Mars, 1821.

Excellence,—Je vous remets copie des,rapporta du colonel de Concili, et du maréchal de camp Statella, par lesquels V. Exc. apprendra les circonstances qui ont accompagné la désertion de la compagnie des voltigeurs du 7ème, et le débandement du bataillon des miliciens du district de Sora, comme aussi l’état moral des dix compagnies des bersaillers de montagne détachés aux avant-postes de droite.

(Signé) G. Filangieri.


N°. XLIX.—A M. le Général Statella.


Pastena, 8 Mars, 1821.

Monsieur le Général,—J’ai l’honneur de vous informer que dix-huit miliciens, même avant l’installation de ma compagnie, ont déserté; leurs noms sont marqués ci après.

(Signé) Trigona, Lieutenant.

N°. L. — A S. E. le Général commandant la 4ème Division.


Pontecor v o, 6 Ma rs. 1821.

Excellence,—J’étais ce matin en attente de recevoir de vos ordres, au moment qu’on a répandu dans la ville que les Autrichiens étaient arrivés à Ceprano. Parmi la population, il y a eu beaucoup d’alarme, et une grande partie des habitans s’est sauvée.

Je m’étais décidé à faire rapport sur cet événement, lorsque le nommé Vannacchi est arrivé de l’isoletta, et m’a rapporté que les Autrichiens arrivèrent hier dans Ceprano, et que, au nombre de cinq à chevai, ils cherchaient à sonder un des gués de la rivière; que la nuit passée on avait battu la générale à l’Isoletta, et qu’en ayant demandé la raison, on lui avait répondu, qu’on croyait que l’ennemi passerait la rivière, et que conséquemment on se disposait à la retraite. Sur es entrefaites est arrivé le capitain Prisci, qui m’a donné con naissance que les miliciens partaient déjà de Pontecorvo, effrayés du mouvement général de la population.

N’ayant pu empêcher un tel mouvement, je J’ai suivi pour faire rester ma troupe dans les environs d’ici, jusqu’à l’arrivée des ordres de V. Exc.

(Signé) Le chevalier A. Stassano.

N°. LI.—A M. le Général, chef de l’état major du 1( er) corps. Atina, 6 Mars, 1821.

Atina, 6 Mars, 1821.

Légion provinciale, District de Sora. N°. 44.

Monsieur le Général,—Je dois vous informer que cent déserteurs du régiment de la reine passèrent hier dans le voisinage d’Alvito, et de St. Donato; et ayant appris que le gué de St. Biase était bien gardé, ils se dirigèrent vers Forca d’Asero pour prendre le chemin des Abruzzes.

(Signé) PlETRARCONI,

Major de la légion du district de Sora.

N°. L II .—A S. E. le Général commandant la 4ème Division active.

Taverne d’Arce; 7 Mars, 1821.

Commandement des avant-postes du centre.

Excellence,—Par ma dernière lettre, que je vous ai envoyée hier de l’isoletta, V. Exc. aura remarqué jusqu’à quel point est mauvais l’esprit des compagnies dès voltigeurs qui se trouvent aux avant-postes, et surtout des compagnies du régiment de la reine..

V. Exc. fut informée que la 3ème compagnie de oe régiment resta avec trente hommes seule ment, tout compris, à cause de la dernière désertion. Je dois donc garder la frontière depuis le confluent jusqu’à St. Eleuterio avec deux compagnies et un quart, et qui, en outre, se trouvent tout-à-fait démoralisées.

V. Exc. observera, dans la copie des instructions du général en chef, que les troupes légères doivent s’introduire dans le territoire limitrophe, dans l’espace de six à huit milles, pour aller détruire les magasins préparés pour l’ennemi.

(Signé) Colonel Tocco.

N°. L II I.—A M. le Major Gulli.

Campostefano, 7 Mars, 1821.

Compagnie des Voltigeurs du 3ème de ligne.

Monsieur le Major,—L’état actuel des officiers de ces compagnies est fâcheux, puisqu’ils sont au moment de se voir abandonnés de leurs propres soldats.

Depuis hier ces deux compagnies se sont mutinées, en déclarant à haute voix à leurs officiers, qu’ils voulaient se réfugier dans les montagnes, sans quoi ils prétendent qu’ils sont perdus. On a taché de leur faire comprendre qu’il n’existe aucun danger, et qu’au besoin nous avions une retraite assurée et certaine; mais ils ne veulent agir qu’à leur fantaisie.

Notre honneur, M. Je major, se trouve entre les mains de ces scélérats, qui, pour éviter de se battre, cherchent tout espèce de prétexte pour se débander.

Dans cet état de choses, je vous prie, M. le major, de prendre les dispositions que vous croirez convenables pour sauver l’honneur des officiers.

(Signé) Capitaine Violante.

N°. LIV.—A S. E. le Général commandant la 1 ere Division.


Pastena, 8 Man, 1821.

Excellence,—Les deux officiers de miliciens du bataillon de Sora, Dom Gaetano Petrogalli, et Dom Filippe Celli, lesquels avec leur troupe font partie de la 2ème compagnie des bersaillers de montagne se sont présentés à moi; ils ont éprouvé une forte désertion parmi leurs miliciens.

(Signé) PlCCOLELLIS.



N°. LV.—A S. E. le Général en chef.

4ème Division active.

Camp de Mignano, 3 Man, 1821.

Excellence,—Le colonel de Concili me donne connaissance, par son rapport du sept courant, que du poste Piconi sont désertés un sergent et sept miliciens dans la nuit du six; et que du poste de la Douane il est déserté à l’ennemi un marechal de logis du 4ème chasseurs avec armes, cheval, et bagages; ce maréchal était natif de l’état romain.

(Signé) Filangieri.

N°. LVI.—A M. le Général chef de l'état major du 1( er) corps.

St. Germano, 10 Man, 1821.

Monsieur le Général,—Le malheureux événement, arrivé à cette commune le sept du courant, m’a obligé de revenir ce matin, pour faire cesser un affreux pillage. En voici la relation:

A seize heures du sept, un lieutenant de cavalerie, dont j’ignore le nom, arriva aux portes de la ville avec un détachement de trente hommes, venant du côté de Rome, et dit à un officier de la légion, de réunir sa troupe et de partir de suite, avec les autres bourgeois, en affirmant que l’ennemi était bien près. Cette fausse nouvelle alarma tout le monde, et induisit plusieurs personnes à se sauver. Le fournisseur, M. Natale, fit de suite jeter les blés et la viande salée dans la rivière; le commissaire de guerre en fit autant, et l’on jeta aussi une grande quantité de poudre. 

Alors on vit, tout-à-coup, descendre du fort de Montecassino environ quatre cents hommes, tant miliciens que soldats, lesquels n’avaient aucun officier avec eux, et tirèrent trois ou quatre coups de fusils avant d’entrer en ville, ce qui produisit la plus grande terreur sur le reste de la population, qui abandonna entièrement la ville. Alors y entrèrent ceux venus de Montecassino, qui commencèrent à saccager, enfonçant plusieurs maisons, et presque toutes les boutiques et les caves. Ils ont continué à piller jusqu’à aujourd’hui, sans épargner les fermes; et dans ce moment ils le continuent encore, quoique avec un peu plus de réserve, parce que je suis parvenu à réorganiser une forte garde de légionnaires, avec laquelle on a repoussé les pillards, et on en a arrêté trois qui étaient au moment d’enfoncer la porte d’une maison: ils sont tous les trois miliciens de la province de Naples.

(Signé) PlETRARCONB.

N°. LV'II.—A S. E. le Général commandant la 4ème Division.

Isola, 10 Mars, 1821.

Commandement des avant postes de droite. N°. 7.

Excellence,—J’ai fait, le mieux qu’il m’a été possible, la nouvelle organisation des dix compagnies de bersaillers de montagne. V. E. observera, d’après les états de situation, une inégalité de nombre dans les hommes des six dernières compagnies, qui se composent des miliciens et de légionnaires. Le motif en est que j’ai cherché a réunir autant que j’ai pu les hommes qui appartiennent à la même commune, ou aux pays voisins; mais je m’aperçois que tous mes soins seront perdus, avec un matériel aussi mauvais. Quelqu’un d’entre eux m a.assuré, que la plus grande partie des miliciens et des légionnaires n’est formée que de remplaçans, et que le reste n’est que la lie des différentes compagnies, d’où ils ont été prélevés....! Avec des hommes semblables, je n’ose répondre d’aucune opération: j’en préviens V. Exc. afin que vous donniez les ordres que vous croirez convenables.

(Signé) le colonel de Concili.

N°. LVII I .—A S. E. le Général en chef du 1( er) corps.

Naples, 12 Mare, 1821.

État Major Général, N°. 2673.

Excellence,—Le commandant de la place de Capoue m’a informé, en date d’hier, que cent quatre-vingt-quatorze déserteurs arrêtés sont arrivés dans la place, dont cinquante-huit appartenans au 2ème corps, et cent trente-six au 1(er).

Le Lieutenant général chef de l’état maj. Gén.

(Signé) F. Pepe.

N°. LIX.—A S. E. le Général en chef.

Quartier Général de Fondi, 13, Mare, 1821.

Commandement de la 1 ère Division active.

Excellence,—Ce matin j’ai vu le colonel Piccolelli. L’esprit des troupes qu’il commende est vraiment alarmant. Il m’a rapporté les menacés continuelles que font les soldats de déserter, et les prétextes qu’ils cherchent à trouver dans les moindres choses, afin de justifier les bruts de trahison qu’on répand partout; et enfin, il conclut qu’il compte très-peu sur les troupes, s’il doit les faire battre.

Le zèle du colonel Piccolellis ne peut être suspect, et je suis témoin des efforts multipliés qu’il emploie pour contenir ses soldats, leur inspirer un bon esprit, les tenir contens, et tâcher que rien ne leur manque.

Le 1(er) de bersaillers continue à rester dans le même état, et je n’ai point encore fixé mon opinion s’il convient de le conserver encore ici, ou si un ordre pour le renvoyer sur les derrières ne pourrait en accéler la dissolution; d'autant plus que la cause première de sa démoralisation est provenue, sans doute, des habitans de Sessa.

J’en ai parlé au conseiller d’état Zuccari; mais il est déjà trop tard, et la ville de Sessa est toujours dans la même anarchie dont j’ai tant de fois parlé.

(Signé) d’Ambrosio.


N°. LX.—A S. E. le Général en chef du 1( er) Corps.

Quartier Général d’Isernia, 13, Mars, 1821.

Commandement en chef du 2ème Corps d’armée.

Excellence,— ………………..………………..……………………..

je n’ai donc autre chose à ajouter à V. Exc. que de la prier d’indiquer de suite au régiment du roi, la mute qti il doit prendre, après la désertion qu’il a soufferte la nuit passée. Le colonel du dit régiment croit, qu’en le conduisant aux anciennes positions, il pourra recouvrer son esprit primitif. Pour moi, quoique cela me ferait plaisir d’avoir un corps régulier et bien organise pour appuyer mon corps d’armée, néanmoins je ne dois pas vous dissimuler que je crois contagieux pour ce régiment le contact avec les débris démoralisés du 2éme corps.

(Signé) Pepe.


LXI.—A S. E. le Général en chef.

Hauteur d’Isernia, 13 Mars, 1821.

Commandement du régiment 2ème de ligne.

Excellence,—Hier, douze du courant, j’arrivai à Isernia à l’aube du jour, avec tout mon régiment, que j’établis hors de la ville à côté de la chaussée; mais il s’était à peine passé quelques minutes que tout le 2ème corps d’armée arriva dans un débandement total, qui faisait horreur, et qui me donna des appréhensions pour mon régiment. Le général Pepe survint et m’enjoignit de rester où je me trouvais, jusqu’à nouvel ordre; mais les discours des officiers et des soldats qui étaient en fuite, et la terreur qu’ils inspiraient, me décidèrent à envoyer un officier supérieur auprès du général Pepe, pour lui dire que je risquais de perdre le régiment, s’il continuait à rester à côté du grand chemin. Ce fut alors que je re?us l’ordre de changer de position, ce qui fut fait de suite; mais malheureusement le mal s’était déjà communiqué, et à l’approche de la nuit, la plus grande partie de mon 3éme bataillon se débanda, comme je l’avais prévu………………………………………….

(Signé) Lombardo, Col.


LX I I.—A S. E. le Général en chef.

Toro, le 14 Mara au soir, 1821.

2ème Brigade de la 2ème Division active.

Excellence,—Dans ce moment, à quatre heures et demi d’Italie, il m’arrive de Picillo un sergent major qui m’a été envoyé par le major Tognini, commandant du 3ème bataillon du 3èine de ligne, pour m’informer qu’à trois heures et demie, il est déserte cent hommes du dit bataillon, avec armes et bagages; et que les officiers et sous-officiers, qui avaient cherché à s’opposer à ce mouvement, avaient été reçus à coup de fusils par les déserteurs, lesquels étaient tous de la classe des congédiés, et appartenans à la province de Molise.

(Signé) Vollaro, Maréchal de camp


N°. LXI I I.—Circulaire.

Quartier Général de Cajaniello, 14 Mars, 1821.

Commandement en chef l’armée, N°. 1296.

Excellence,—Conformément au décret du dix courant, qui statue la peine de mort pour le crime de désertion, soit simple soit qualifiée, V. Exc. En se conformant au dit décret, voudra bien faire en sorte que tout déserteur de sa division, tant de la ligne, que des miliciens ou légionnaires, soit de suite traduit devant la cour martiale, que V. Exc. nominera au besoin, et laquelle, durant la guerre, est compétente pour procéder contre les déserteurs; en faisant observer, par ce tribunal, qui procédra in modo subitaneo, les règles prescrites par l’article 399 du statut pénal militaire de l'an 1819.

Cette disposition, toutefois, aura lieu seulement contre les individus désertés après la publication du décret susdit du dix Mars, lequel décret sera inséré dans l’ordre du jour de chaque division, et lu aux compagnies à l’heure de la retraite, pendant trois jours consécutifs, afin qu’il arrive à la connaissance de tout le monde.

(Signé).. Carrascosa.


N°. LXI V .—Circulaire réservée aux Lieutenans-Généraux, commandans les Divisions actives.

Quartier Général de Cajaniello, 15 Mar s. 1821.

Commandement en chef de l’Armée, N°. 1292.

Excellence,—Certainement vous aurez observé la démoralisation, qui, depuis quelques jours, a commencé à s’emparer de l’esprit des officiers. Les revers du 2ème corps, une proclamation insidieuse, ouvrage de l’ennemi et qui n’est autre chose qu’un stratagème de sa part, enfin le souvenir des écarts antérieurs de la part de plusieurs officiers, toutes ces choses réunies les ont plongés dans un abattement tel, qu’ils ne voyent d’autre moyen de salut que dans la dissolution de l’armée. Fatale erreur! Cet événement serait, sans le moindre doute, le prélude de leurs malheurs inévitables...

Je prie V. Exc. de vous pénétrer vous-même de cette vérité, afin de pouvoir l’insinuer aux officiers avec la chaleur que la gravité des circonstances exige.

V. Exc. répétera aux officiers de mettre toute leur confiance dans leurs chefs, lesquels prennent l’engagement de sauver les intérêts de la patrie, et les intérêts et l’honneur des officiers. Pour parvenir cependant à obtenir des résultats aussi importans, dans des circonstances aussi difficiles, la coopération des officiers est absolument indispensable. On ne leur demande autre chose, que de faire tous leurs efforts pour que l’armée se tienne réunie, et qu’on en empêche le débandement.

Je prie enfin V. Exc. de faire particulièrement observer à ceux d’entre les officiers qui ont le plus marqué pour avoir insinué le débandement, que tous êtes prêt à faire arrêter quiconque d’entr’eux recommencerait, pour en faire un exemple.

(Signé) Carrascosa.

N°. LXV.—A S. E. le Général en chef du ter corps.

Campobasso, 15 Man, 1821.

Excellence,—Je suis revenu d’Aquila pénétré de la plus grande douleur, à cause de l’ignominie dont s’est couverte cette division, dont presque tous les corps se sont débandés: ce qui est arrivé à cause de quelque mauvaise disposition, et pour quelque mal entendu que je n’ai pas manqué de démentir, en faisant tout mon possible pour empêcher une fuite précipitée, sans que l’ennemi poursuivit personne. Dans une affaire aussi désagréable, j’ai vu avec horreur que plusieurs officiers, au lieu d’arrêter le désordre, en étaient les chefs; plusieurs autres étaient sans énergie, ni courage.

(Signé) Valiante,

Colonel des Miliciens de Molise.

N°. LXVI.—A S. E. le Ministre de la Guerre.

Cabinet, N°. 479.

Taverne de Cajaniello, 15 Mar s. 1821.

Plusieurs officiers, dans les ventes des règimens, insinuaient le débandement de l’armée, en l’indiquant comme le seul moyen de sauver la patrie, et comme un moyen de se préserver de la trahison des généraux, selon leur manière de dire.

J’ai ordonné par une circulaire, que j’ai dirigée aux lieutenans-généraux, et aux autres chefs de service de ce 1(er) corps, ce qu’ils doivent faire afin d’éviter les conséquences d’insinuations aussi perfides, et lesquelles malheureusement sont assez selon les projets et les désirs des soldats. J’ai cherché en outre à trouver quelque officier qui fùt coupable de ces pratiques criminelles pour en faire un exemple.

Dans cette dernière vue, j’avais fait arrêter et conduire devant moi, pour le traduire ensuite en jugement, le lieutenant T, le même dont V. Exc. n’aura pas oublié la participation dans les troubles de Palerme, et dans l’atroce désertion des voltigeurs du 7me de ligne, arrivée à Isola la nuit du premier au deux courant. J’avais été informé qu’à présent plus que jamais il conseillait aux soldats de se débander.

Arrivé à mon quartier-général, je lui ai parlé avec toute la sévérité qu’il méritait; ensuite, quand on le conduisit à la prison, il a laissé échapper les menaçantes et mystérieuses paroles qui suivent: dans cinq jours, le général Carrascosa s'apercevra lequel sera le plus fort de nous deux. On a rédigé un procès verbal de tout cela, que j’ai l’honneur d’envoyer à V. Exc. comme je lui e n vol e aussi le lieutenant T, afin qu’il soit jugé à Naples.

Environné comme je le suis, d’embûches et de pièges mystérieux, je ne sais plus de qui je dois me garder. L’espoir que sous cinq jours, un lieutenant puisse devenir plus fort qu’un général, ne peut se fonder que sur des projets d’un bouleversement extrême. Il parait que les agens de nos ennemis, et les agens des sectaires, travaillent également à notre dissolution.

Si l’on parvient à obtenir quelque éclaircissement des dépositions du lieutenant T. sur les trames perfides que, peut-être, on organise, je prie V. Exc. de me les communiquer de suite, pour me servir de régie.

(Signé) Carrascosa.


N°. LXVII.—.A S. E. le Général en chef.

St. Elia, 16 Mara, 1821.

Comm. de la Brig. lég è re de la 4e Divis. active.

Excellence,...…………………………………………….……..…

il sera pénible à V. Exc. d’apprendre à quoi en est réduite ma brigade, à cause des désertions, et il est de même très-pénible pour moi d’être obligé de faire de semblables rapports.

Le bataillon des miliciens de Sora n’existe plus: officiers et soldats ont abandonné les drapeaux; but braves Italiens, et le capitaine Ruggiero, est tout ce qui en reste.

Des quatre premières compagnies de bersaillers, dernièrement organisées, des soldats de la ligne, et de ceux de la garde, il est déserté cent vingt-trois hommes; et des six dernières compagnies, composées des miliciens et des légionnaires, il n’est resté presque personne. L’une est partie toute entière avec son commandant à sa tête, qui était le sous-lieutenant Maselli des légionnaires de Salerno.

La démoralisation, qui, depuis quelques jours, existait dans les compagnies des milices, me portait à prévoir une semblable dissolution; mais je ne sais pas expliquer comment la même chose est arrivée dans la compagnie du régiment de bourbon, dont il est déserté 81 hommes, et en laquelle j’avais une confiance entière. Dans les trois compagnies de Corona, il manque seulement vingt hommes.

Les paysans, avec lesquels les soldats ont communiqué, leur ont fait croire qu’ils étaient déjà coupés sans aucun espoir, et quelques officiers l’ont cru aussi; de semblables insinuations ont démoralisé toute la troupe, et je ne me fie plus à elle pour continuer davantage le service des avant-postes.

Afin que V. Exc. puisse juger de ma situation, je vous informe que, à Atrina, pendant le cours de la nuit, j’ai été visite plusieurs fois par des officiers, qui venaient me prévenir qu’il était urgent de partir, puisque le peu de soldats qui n’étaient pas désertés, tramaient de me tuer. Si j’eusse été un militaire sans expérience, j’aurais pu croire à ces insinuations. Mon ordre de marche n’a pas été changé, et si j’ai abandonné Atina, je m’y suis décidé pour conserver ces restes de troupes, qui autrement, auraient aussi déserté. On a très-peu distribué de cartouches de fusils, puisque je prévoyais la désertion.

Dans l’instant, je suis informé qu’à peine étais je parti d’Atina que l’ennemi y est entré.

(Signé) Le Col. comm. Deconcili

N°. LXVIII.—Circulaire.

Quartier général de Casalanza, 16 Mars, 1821.

Commandement en chef de l’armée, N°. 1328.

Excellence,—Pour éclaircissement du décret du dix Mars, à l’égard de la punition de délits militaires en temps de guerre, et de la procédure des cours martiales, je dois vous prévenir, que dans le cas où plusieurs individus de l’armée seraient condamnés à mort, par suite de ces crimes, les cours martiales devront se conformer à ce qui se trouve prescrit par rapport au tirage au sort, dans le eh. 1(er), titre 1(er), livre 3ème, du statut pénal militaire.

(Signé) Carrascosa.

N°. LXIX.—A S. E. le Général en chef.

Du camp de Mignano, le 16 Mars, 1821.

Excellence,—V. Exc. n’a pas oublié certainement que, dans la nuit du 1(er) au 2ème courant, il est déserté d’isola de Sora, par complot, vingt grenadiers, quatre-vingt-neuf voltigeurs,et trente-trois soldats du centre, tous du Séme bataillon du 7ème de ligne. Ces scélérats furent attaqués le lendemain deux Mars par les miliciens et légionnaires d’Atina et de Picinisco, et on en arrêta dix après un combat très-vif. Les noms des déserteurs arrêtés sont: Salvatore Lanzato, Antonio Torcila, Giuseppe Cordetti, Angelo Roberto, Antonio Lucido, Vincenzo Zaccaria, Antonio Busso, Giovanni Garamone, Nicola Mimola, Giuseppe Filippone. Ils furent conduits à Isola de Sora, et présentés au colonel Deconcili, lequel, le matin du sept, les envoya vers Mignano, où ils arrivèrent le dix, et furent consignés au commandant du quartier général de V. Exc.

Je fus informé de leur arrestation le douze, et je les réclamai pour les faire juger; en effet,je les fis diriger sur St. Pietro infine, où se trouvait cantonné le bataillon auquel ces déserteurs appartiennent.

Avant-hier, ces dix déserteurs, et un autre, qui avait été arrêté postérieurement, arrivèrent à St. Pietro infine, et je convoquai hier un conseil instantané, lequel sous la présidence du major Oliva, et en conformité de l’article 33 du statut pénal militaire, les a condamnés tous à la peine de mort.

Le jugement avait été prononcé à dix heures, et j’ordonnai de suite qu’on mit les condamnés dans la chapelle. Je prévins, en outre, le commandant du bataillon, major. Dumarteau,. qui faisait aussi les fonctions de commandant de place à St. Pietro infine, que l’exécution aurait lieu ce matin de bonne heure.

A minuit, sont venus chez moi le major Dumarteau, du 7ème, et le major Oliva, commandant du 4ème, pour me prévenir qu’il exis t ait de la fermentation dans leurs bataillons, et qu’il paraissait être dans l’intention des soldats d’arracher avec violence les condamnés des mains de la justice; attentai qui aurait certainement encore d’autres conséquences

funestes, puisque les soldats ne pourraient le commettre sans se mettre en état complet de révolte. Or, ce matin même, la brigade entière du maréchal de camp Labrano devait partir du camp pour Torricella; et moi, me confiant sur le bon esprit du régiment Corona, j’ai ordonné que les condamnés partissent à l’instant pour Mignano, en me proposant de faire faire l’exécution au camp, ce matin même, après que la brigade de Labrano serait réunie. Mais il s’est répandu au camp le bruit que l’ennemi s’approchait, chose qui a mis aussi tant d’alarmé dans le régiment Corona que le colonel Guarasci, réuni aux majors Dumarteau et Oliva, m’a conjuré de remettre l’exécution à une autre occasion.

J’y ai consenti, et afin que la troupe ne soupçonnât pas que le sursis de l’exécution provenait de raisons de faiblesse, j’ai fait réunir le bataillon auquel appartenaient les condamnés, et moi-même, j’ai annoncé que je prenais sur ma responsabilité de différer l’exécution, jusqu’à l’arrivée d’une réponse de la part de S. A. R. le prince régent, auquel j’ai dit avoir écrit. J’ai ajouté que S. A. R. déciderait s’il n’y aurait pas. d’inconvénient à faire

grâce à une partie des condamnés, et dans le cas, que S. A. R. crut ne devoir accorder aucune grâce, pour donner un exemple, qu’alors l’exécution aurait lieu dans l’endroit où arriverait la réponse du prince.

Ce discours a produit un bon effet, et de suite, sous bonne escorte, j’ai fait partir vers Capoue les onze condamnés. Je suis dans la conviction que des désordres très-graves auraient eu lieu si je me fusse obstiné à faire exécuter le jugement puisque tous les déserteurs du 7ème sont C h arbonniers, et que dans les cinq bataillons de la brigade, les deux tiers appartiennent à la secte, et que tous se croyaient dans le devoir absolu de sauver la vie à leurs cousins en St. Teobalde.

(Signé) Le Lieut. Gen. Filangieri .

N°. LXX.—A S. E. le Général en chef.

Quartier général de Cascano, 17 Mar s, 1821

Excellence

Les miliciens et les légionnaires sont fatigués, et je vous prie de les faire entrer dans Capoue, parce qu’ils ont des armes très- m auvaises, et parce qu’ils sont peu propres à faire la guerre.

L’esprit des h abitans nous est tout-à-fait contraire; partout on répète que la 1 ère division est coupée, ce qui nous a cause beaucoup de préjudice.

La compagnie des miliciens de Molise, la seule que j’avais pu rendre en état de servir, entre 700 hommes inutiles, quoique payés assez chers, parait avoir gagné les montagnes pour s’en aller dans leur province.

(Signé) d’Ambrosio.

N°. LXXI.—A S. E. le Général en chef.

Quartier Général de Spannisi, 17 Mara, 1821.

Excellence,—Le général. Costa me rapporte qu’une grande partie du 3ème bataillon de F arnese, qui devait se rendre à Gaëte pour y tenir garnison, est désertée. Une compagnie des voltigeurs du 2ème bataillon était à Sessa, et le major Lecca m’a assuré hier au soir, qu’il ne serait pas possible de la faire marcher sur Gaëte, à cause des préventions

fâcheuses qui ont été in sinuées aux soldats, tant par les habitans de Sessa, que par un essaim d’agens de je ne sais qui, et lesquels, sous le masque de

Charbonniers, annoncent partout l’ennemi, et excitent les soldats à déserter. L’indifférence absolue de la population pour la cause actuelle, l’inconstance, le sentiment des maux présens qui est toujours considérable, un certain désir,je ne dirais pas du mieux, mais de la nouveauté, l’absence de toute physionomie morale, ont pris racine partout, et l’inf l uence de la nation sur l’armée a été fatale.

(Signé) D’AMBROSIO

N°. LXXII.—A S. E. le Général en chef.

Taverne de Torricella, 17 Mars, 1821.

Excellence,—La position dans laquelle je me trouve est très-forte, et pourrait être aisément défendue, pendant plusieurs heures, quand même elle serait attaquée avec beaucoup de vigueur. Mais cette position est forte et propre à être défendue, je ne.dis pas avec des soldats d’honneur, puisque malheureusement cette classe n’existe pas à présent dans notre armée, mais au moins avec des soldats qui ne désertent pas en faisant feu sur leurs propres officiers, chose qui est prête à nous arriver d’un moment à La nuit passée, tous les Abbruzois, qui faisaient partie de l’artillerie, une partie de ceux du train, et plusieurs autres de différens corps, ont déserté en masse. 

Tous mes hommes du train sont des Abbruzzes, et sont très-fâchés de ce qu’ayant bivouaqué dans un endroit, d’où ils ne pouvaient déserter, ils n’ont pu imiter l’infâme fuite de leurs compatriotes. Hier la compagnie d’artillerie du capitaine Scurci perdit vingt hommes et le sergent-major. Je crains que la même chose ne soit arrivée aux vingt-huit sapeurs et à un sergent de la compagnie commandée par le lieutenant Morelli, des quels jusqu’à présent, nous n’avons pas de nouvelles.

Tous ces désordres seraient de peu d’importance, si, d’après l’opinion des officiers, on ne devait les regarder comme les précurseurs d’un débandement général, qui aura lieu aux premiers coups de fusils que nous serons obligés de tirer. Je veux me flatter que ces messieurs s’exagèrent le mal, et mon opinion est que nous pourrons avoir une forte désertion, mais non un débandement total.

Que V. Exc. soit donc sans appréhension sur la position de Torricella; soit avec la brigade entière, soit avec une seule fraction j’y resterai jusqu’à nouvel ordre de V. Exc, et si l’on me tire quelques ce r taines de coups de fusils par derrière (comme cela arriva hier au colonel Smerber) et que j’aie le malheur d’en rester victime, V. Exc. conserver a un souvenir de moi, et gardera pour ma famille une partie de l’amitié dont je m’honore.

Après la régénération politique que nous devons à…….. et aux………… . de Monteforte, les généraux napolitains ne peuvent mourir a u trement que par les mains de leurs propres soldats, puisque nous en sommes au point que les malheureux officiers de tout grade ne pourront jamais parvenir à voir l’ennemi, pas même avec la lunette.

(Signé) Le Lieutenant-Général Filangieri .

N°. LXXIII.—A S. E. le Général en chef.

Torricella à neuf heures et un quart du 17 Mars, 1821.

Excellence,—L’infamie dont s’est couverte la 2ème brigade de ma division,

grâce à la non opposition de l’ennemi, ne produira aucun obstacle à la retraite de la 1 ère divis ion . J’ai été obligé de faire partir les restes de la dite brigade, pour empêcher de la voir tout-à-fait dissoute ; j’ai ordonné au général Labrano de prendre position avec ses restes au Spartimento, à moins que V. Exc. n’en juge autrement. En attendant, pour diminuer l’alarme de la troupe, et pour envoyer à V. Exc. des renseignemens exacts, j’ai fait avec un petit peloton d’officiers une reconnaissance devant moi, jusqu’au pont qui se trouve à un mille et demi de ma position, et je n’y ai rencontré personne. Je reste à Torricella avec le peu de monde que j’ai, jusqu’à nouvel l’ordre de V. Exc

(Signé) Filangieri.

N°. LXXIV.—A S. E. le Général en chef.

Casala nz a, 17 Mare, 1821.

Excellence,—C’est avec la plus grande peine que je dois vous annoncer, que du régiment de la reine il n’est resté que 700 hommes tout au plus, y compris les officiers; mais il y a encore quelque chose de pire: du

1( er) bataillon il est resté environ 200 soldats, qui hier au soir furent logés à Capoue; ces soldats, ce matin, menaçaient ouvertement, sans se cacher davantage devant leurs officiers, qu’en sortant de Capoue ils massacreraient le colonel Smerber et le général Vollaro qui les trahissaient, et qu’après se mettraient en campagne, ils ajoutaient que tous les chefs trahissaient, et autres choses semblables. Les officiers. donc, se sont présentés à moi pour me déclarer que si on l’exigeait, ils accepteraient d’aller servir dans d’autres corps comme volontaires, mais qu’ils ne se sentaient 2 pas la confiance de sortir de Capoue avec leur bataillon,

(Signé) le Lieutenant Général Pignatelli.

N°. LXXV.—A S. E. le Général en chef.

Ste. Marie, 18 Mars, 1821.

Excellence,—Tous les miliciens ont déserté, et ont obligé leurs officiers à les suivre. Il n’y a pas eu moyen de les retenir. Le mouvement des débandés a entraîné presque tous les autres depuis neuf heures de ce matin. Je suis resté tout seul, et je me suis réuni à un petit nombre de cavalerie commandée par le colonel Ruffo Scilla.

(Signé) Casella.

LXXVI,—A S. E. le Général en chef.

Gaëte, 18 Mare, 1821.

Gouvernement milita ir e de la P l ace.

Excellence,—Le 3ème bataillon du 3ème de ligne, et le 2ème du

10 ème, qui étaient destinés à tenir garnison dans cette place, après la marche rétrograde de la 1 ère division active, ont essuyé une forte désertion.

(Signé) le Général-Gouverneur Begani.

LXXVI I. —A S. E. le Général en chef.

Capoue, 18 Mare, 1821.

Excellence,—Je viens de recevoir l’ordre de V. Exc. d’être prêt à marcher à la tête de la cavalerie, et je m’empresse d’en communiquer l’ordre aux chefs des corps, en prévenant cependant V. Exc. que le 4ème chasseurs, qui est à Ste. Marie ne peut rendre le moindre service. La garde, c’est-à-dire la 1 ère des chasseurs, est de la même opinion qu’ont manifestée les autres régimens de la garde. Le 2ème dragona n’existe plus, parce qu’il est déserte en totalité, moins 80 hommes, la nuit passée. Le 2ème chasseurs, pendant la nuit, à fait connaître son désir de se débander: enfin V. Exc connaît la circonstance actuelle.

(Signé) Roccaromana.

N°. LXXVII I. —A S. E. le Général en chef.

Capoue, 18 Mars, 1821.

4ème Division active.

Excellence,—Le colonel Bellelli, dans un rap port qu’il m’a envoyé d’Arienzo, N°. 55, me remet un rapport du major Avossa, par lequel on apprend la désertion du lieutenant Elia de Nocera, à la tête de 76 miliciens du 1( er) bataillon de Salerno.

Le même colonel m’ajoute que les deux première bataillons des légionnaires, du 15 au 17 courant, ont eu une désertion de 200 individua, et que le relâchement général, et les excès d’insubordination des miliciens et légionnaires, lui ont fait perdre entièrement toute espèce d’espoir, sur la possibilité de leur amélioration.

(Signe) Le Lieutenant-Général Filangieri .

N°. LXXIX.—A S. E. le Général en chef.

Capoue, 19 Mars, 1821.

Excellence,—Je m’empresse de vous envoyer la copie d’un rapport, que j’ai reçu du général Giuliani, commandant de la 1 ère brigade des dragons.

Excellence,—J’avais décidé depuis hier de me rendre à Naples avec le 2ème de dragons, espérant éviter la désertion par ce moyen; mais à minuit, à un sig n al qui a été donné par l’infanterie, j’ai perdu la plus grande partie du dit régiment, dont il n’est resté que 80 hommes que je conduirai à Naples, puisqu’ils ne sont restés que par un sentiment d’attachement per sonnel pour moi. Cette circonstance m’a 6té tout moyen de suivre la marche de la 2ème division sur Capoue.

(Signé) Giuliani.

Pour copie conforme, le Lieutenant Général,

(Signé) Roccaromana.

N°. LXXX.—AS. E. le Général en chef.

Capoue, 19 Mars, 1821.

Excellence,—Le mauvais esprit des soldats, qui est toujours le même, a pénétré avec son influence funeste jusques dans la compagnie des sapeurs, détachée aux travaux occasionnels de Castel Vulturno, laquelle, la nuit passée, est désertée en totalité, moins neuf individus.

Le Général Escamard.

[ Voyez lo dernière page pour le N°. LXXX I]

N°. LXXXII.—A S. E. le Général en chef.

Naples, 21 Man, 1821.

4ème Division active.

Excellence,—En prompte exécution de ce que vous m’avez ordonné par votre feuille N°. 1415, d’aujourd’hui, et autant que me le permettra la brièveté du temps, ainsi que mon désir de n’être pas en retard à remplir vos intentions, je vous tracerai rapidement, pour ce qui regarde la 4ème division, la relation exacte des désertions extraordinaires qui ont dissous, d’une manière aussi inopinée, notre armée dans l’espace de peu de jours.

Dans la nuit du 1(er) au 2ème de Mars, vingt grenadiers, quatre-vingt-neuf voltigeurs, et trente-trois soldats du 3èmé bataillon du régiment de la princesse désertèrent, avec armes et bagages, de Isola de Sora, où ils étaient à la frontière extrême du royaume et à peu de distance de l’ennemi.

Les circonstances particulières qui accompagnèrent cet événement, méritent toute l’attention de V. Exc, puisqu’elles serviront à faire trouver l’explication. de tous les événemens postérieurs. Ce sont les suivantes:

1°. Tous les hommes qui conspirèrent pour exécuter cette désertion, étaient Charbonniers.

2°. Ils abandonnèrent un avant-poste.

3°. Le chef de la conspiration fut le sergent Chiarolanza, qui tenait la hachette, comme grand maître de la vente qui existait dans son bataillon.

4°. Avec Chiarolanza, et comme ses aides pour conduire la bande, désertèrent aussi les sergens Francois Saverie Ruscia, et Nicole Linotia, tous les deux maîtres charbonniers.

5°. L’orateur de la vente était le lieutenant T, le même qui excita l’éclat révolutionnaire des charbonniers de la garnison de Palerme.

6°. Chiarolanza, Ruscia et Linotta, donnèrent l’exemple de l’agression contre les officiers: leurs fusils furent les premiers tirés contre le major Dumarteau, le capitaine Alcubier, l’aide-major de Rada, le sous lieutenant Corbion, et le capitaine Salzano. Le lieutenant Prota, dans le conflict, flit blessé d’un coup de baionnette.

7°. Il est certain que le bataillon entier devait déserter dans la dite occasion, ce qui fut empêché par les efforts courageux des officiers.

8°. Tous les hommes qui composaient ce bataillon, appartenaient à la classe des congédiés, et tous étaient de la province d’Avellino.

Dans la nuit du 2 au 3 du même mois, la compagnie presque entière des voltigeurs de la reine déserta, faisant feu sur le digne capitaine de Laurentis qui en était le commandant, en imitant la conduite tenue le jour précédent par les déserteurs de princesse.

Je me dispense d’entrer dans les détails de la désertion continuelle, et par centaine d’hommes à la fois, qui arrivait dans les six bataillons, dont quatre de miliciens et deux de légionnaires de la province de Salerne, qui composaient la brigade du colonel Belletti, puisque V. Exc. l’a vue au camp de Mignano réduite au-dessous de la moitié de son nombre d’hommes. Je dois cependant vous rappeler que les bataillons des districts de Sala, et de Vallo, qui étaient sous les ordres des excellens majors Perrotta et Cestari, ont perdu moins d’hommes que les autres, et ont toujours conservé la tenue la plus honorable.

Le régiment de miliciens de la province de Naples, déserta presqu’en totalité, soit de Montecasino, dont deux de ses bataillons formaient la garnison, soit de St. Germano et de Rocca Pipirozzi. Je rappelle à V. Exc. qu’avec beaucoup de peine on pût faire fournir par le premier bataillon un détachement de soixante-seize hommes, pour défendre l’importante position de Nantiata Longa. On m’a même affirmé que le 2ème et le 3ème bataillons de ce régiment, qui étaient détachés à Montecasino, tirèrent en désertant sur leurs officiers, et que dans cette occasion le capitaine Fusco fut tué, pendant qu’il s’efforçait. d’empêcher la fuite des miliciens. Et tandis que les miliciens et légionnaires, qui étaient à l’armée, abandonnaient si honteusement leur poste, deux autres bataillons des légionnaires de Naples qui, sous les ordres du colonel Paolella, devaient rejoindre la 4ème division, ne voulurent jamais se réunir, et ne partirent pas du tout, quoique choisis nominativement. Depuis le 4 jusqu’au 16, les désertions arrivées dans les cinq bataillons de ligne de ma division peuvent être regardées comme régulières. Mais le 16, au moment où l’on battit le rappel au camp de Mignano, pour partir de cette position vers Torricella, le bruit se répandit que l’ennemi n’était pas loin. La 3ème compagnie des grenadiers (qui étaient tous des congédiés) du régiment Corona disparut, et ne revint au camp qu’après plusieurs heures.

Dans la même occasion, il déserta vingt artilleurs avec le sergent-major de la compagnie Scurci; et il déserta aussi plusieurs soldats du train.

Dans les jours précédens, les 3ème bataillons de bourbon et de la princesse, dans les positions de Monterotondo et de Montelungo, perdirent l’un onze hommes, et l’autre quatre.

Ayant enfin abandonné Mignano, je marchai avec ma seconde brigade pour aller occuper la position de Torricella, conformément aux ordres de V. Exc, lorsqu’arrivés à Cajaniello avec la tête de la colonne, nous vîmes déserter de cette position un bataillon entier du régiment de la reine; ce bataillon appartenait à la division Pignatelli, et les soldats, en désertant, firent feu sur leur colonel Smerber, et sur les autres officiers, en leur disant les injures les plus atroces.

Heureusement que la majorité de mes soldats ne s’aperçut pas de ce scandale, car autrement je suis persuadé qu’ils se seraient tous débandés à l’instant même.

Arrivé à Torricella, j’avais perdu pendant ma courte marche presque tous les Abbruzzois. Je pris la position que V. Exc. observa le lendemain. Le jour 17 se passa sans aucune nouveauté apparente. Toute-fois le colonel Guarasci, le major Dumarteau et le major Oliva s’aperçurent pendant la journée que les soldats avaient un air sinistre, qu’ils se tenaient en petits groupes et se séparaient à l’approche de leurs officiers. Les chefs des corps s’alarmèrent sur tout en observant que les soldats avaient endossé deux chemises et les meilleurs objets d’habillement; ce qui se pratique par les soldats lorsqu’ils ont le projet de déserter, et d’abandonner leur sac avec moins de perte. Je reçus ces différens rapporta le matin du 17 de bonne heure, et, en ayant vérifié l’exactitude, j’en informai promptement V. Exc. par ma lettre de la même date. Je me dirigeai alors vers mes avant postes qui étaient commandés par le lieutenant colonel Ruitz. L’ennemi était à Sesto avec une pointe de trente hommes de cavalerie et quelque chasseurs Tyroliens. J’appris que le général Valmoden était en marche avec sa division de Isernia sur Venafro.

Tandis que je donnais quelques dispositions au lieutenant colonel Ruitz, je fus prévenu que V. Exc. était arrivée à Torricella, et je m’y rendis de suite. On avait voulu faire croire aux soldats que leurs cartouches étaient remplies de farine au lieu de poudre, on en fit une inspection exacte, et les munitions furent trouvées de très-bonne qualité.

A quatre heures et demie, V. Exc. partit de Torricella, et moi me trouvant extrêmement fatigué, je m’endormis.

Il était un peu plus d’une demie heure après la nuit, lorsque je fus réveillé par un officier de mon état-major, qui avait entendu un feu considérable vers notre droite, et qu’il supposa attaquée par l’ennemi. Je me levai de suite, et pendant que je cherchais dans ma chambre mon sabre et mon chapeau, une grêle des balles frappèrent ma fenêtre et plusieurs entrèrent dans la chambre. Je descendis de suite, et en sortant dans la rue, je trouvai le colonel Vial avec les ' officiers de mon état-major et mes aides-de-camp, qui cherchaient à s’opposer à la fuite des soldats, dont plusieurs, arrêtés sur la route au moyen de nos sabres, reculèrent, et se dirigèrent par les hauteurs à la suite des hommes appartenant aux 3èmes bataillons de bourbon et princesse.

Le signal du débandement fut donne par trois coups de fusils tirés par les grenadiers de bourbon (qui étaient tous des congédiés.) Alors le major Oliva accourut, mais il fut à l’instant abandonné par toute sa troupe; il se mit à courir après les soldats pour les arrêter, mais il fut reçu par une décharge de coups de fusils, dont, par un prodige, il ne resta pas victime. L’adjudant Fannetti sauva le drapeau que les déserteurs voulaient emporter.

Le bataillon de princesse, qui était placé à la gauche de celui de bourbon, ayant entendu le signal séditieux pour déserter, dans un instant se mit de la partie, et déchargea sur le major Dumarteau et sur les officiers qui étaient autour de lui tous les fusils du bataillon; le major Dumarteau fut blessé au cou.

Le feu commencé par le bataillon de bourbon, fut imité de suite par le 3ème bataillon, du régiment Corona. Ce 3ème bataillon suivant l’exemple de ses grenadiers, se débanda presqu’entièrement. Le major La Rocca parvint à arrêter un très petit nombre de soldats.

Le colonel Guarasci et les majors Rappolo et Allegro, avec tous les officiers du 1(er) et du 2me bataillon de Corona, réussirent à contenir la majorité des soldats desdits bataillons; néan moins, la première compagnie des grenadiers déserta presqu’en totalité.

Aidé et protégé par le général Labrano et par tous les officiers qui étaient à Torricella sous mes ordres, nous parvînmes après beaucoup de peines, et ayant tous couru les plus grands dangers, à réordonner les restes de la brigade vers les huit heures du soir; et craignant que ces restes ne voulussent traiter l’exemple de ceux qui s’étaient déjà débandés, et ayant d’ailleurs la certitude que l’ennemi qui était près de nous n’était pas en force, j’ordonnai au général Labrano de quitter Torricella et d’aller avec la troupe, prendre position au Spartimento.

D’après les ordres de V. E. je ne devais pas abandonner Torricella avant trois heures du matin 18, ce qui n’engagea, après le départ de l’infanterie, à me diriger vers mes avant postes, accompagné de mes officiers d’état-major, de mes ordonnances, et d’un détachement du ler des chasseurs à cheval, pour contenir ceux de l’ennemi, dans le cas où le feu qu’on avait fait au camp de Torricella, ne l’engagerait pas à s’approcher de nous; l’ennemi ne bougea pas.

A trois heures, j’abandonnai Torricella, en me dirigeant au quartier-général de V. E. qui était à Casalanza.

Je dois faire mention honorable des efforts des officiers pour contenir les soldats du train qui voulaient déserter, et emmener les chevaux de trait, ce qui m’aurait obligé d’abandonner deux obus, deux canons, et leurs caissons.

(Signé) Filangieri.

N°. LXXXII I .

Naples, 22 Mais, 1821.

Excellence,—Eu réponse à votre lettre N°. 1415, par laquelle V. E. me demande un rapport historique de la malheureuse catastrophe de cette campagne, je m’empresse de vous le re mettre.

Le 12 Mars, le lieutenant de Franchis, commandant la 7me compagnie des bersaillers de montagne, se trouvait détaché à Cerqua del Monaco, avec vingt-huit bersaillers, et vingt miliciens. Ce lieutenant me prévint que ses bersaillers voulaient déserter; ils étaient tous congédiés calabrais. Je les fis venir alors en ma présence, et parmi eux, il y avait ce même sergent qui faisait partie de la conspiration découverte à Sessa; ces individus me dirent qu’ils étaient des congédiés et qu’ils voulaient s’en retourner chez eux. Je cherchai à les persuader, et ils finirent par m’assurer qu’ils ne me quitteraient pas.

Jusqu’au 16 Mars, je n’eus aucun déserteur. Mes avant-postes faisaient très-bien leur service, le général Costa est témoin du zèle avec lequel servaient mes soldats; ils s’étaient plaints du manque de capottes, mais le général d’Ambrosio y avait pourvu, en m’en envoyant quatre cent-cinquante. Le jour, 15, en faisant la tournée de mes postes, je me rendis à Pontecorvo pour me concerter avec le colonel Tocco, et j’appris la malheureuse nouvelle du débandement des troupes du général Pepe. J'expédiai un officier au général Costa pour lui en donner connaissance, et demander ses ordres; il me répondit de garder ma ligne. Quand je retournai à Lenola je m’aperçus d’un changement dans l’esprit de ma troupe, et pour l’encourager, je lui communiquai la nouvelle, que nous mêmes, nous devions aller surprendre les magasins de l’ennemi.

Le seize au matin, à midi, je reçus à Lenola une lettre du général Costa, dans laquelle il m’ordonnait de retirer tous les postes que j’avais à Pastena, Pico, et St. Giovanni in Carico; Je chargeai le major Paolella de cette opération; et puisque le général m’avait prévenu que je pouvais être attaqué en route, je crus convenable de me placer à la Starzapiana pour appuyer au besoin la retraite de mes compagnies, lesquelles m’y rejoignirent à dix heures du soir; après cette réunion, je me mis en marche vers Campo-di-Mele, pour me diriger ensuite à St. Maria-della-Civita, où je devais relever quatre compagnies du régiment Leopoldo,commandées par le major Giuliano. 

Mais à cause de la difficulté des sentiers, et de la marche de nuit, j’arrivai le 17 au matin à la dite position que j’occupai de suite. Alors se présenta à moi le prieur de l’endroit, qui m’assura que la troupe de Leopoldo était partie depuis long-temps, que Fondi avait été abandonné, que le fort de St. Andrea avait été démonté, et que toute la troupe avait passé le Garigliano. Alors j’envoyai le major Paolella à Mola, et le lieutenant Cardi à Anùria: celui-ci me rapporta que les premières nouvelles étaient vraies, et que le pont du Garigliano avait été brûlé, ce qui m’engagea à me mettre en marche avec ma troupe. 

J’arrivai à Itri à huit heures du soir, où je fis faire une distribution de vivres, après quoi je me dirigeai sur Mola, où je trouvai le major Paolella, lequel me remit deux lettres. L’une, en date do seize, était du général Costa, qui m'écrivait de Itri de le rejoindre au Garigliano, età tout événement, d’aller à Gaëte avec deux bataillons de ligne, que je n’ai pas rencontrés du tout en route. L’autre lettre était de Frattasi, aide de camp du général Costa, qui m’écrivait de me diriger au Garigliano, puisqu’il entrait dans les intentions du général Carrascosa de donner bataille, le jour suivant, et que je devais y arriver avant le jour. Cette lettre était aussi du seize; et j’aurais dû arriver en douze heures de Pastena au Garigliano, par des chemins très-alpestres; mais je suppose que cet aide-de-camp avait perdu la tête, car au lieu d’apporter directement à moi la lettre du général, il l’avait consignée au major Giuliano du régiment Léopoldo, et l’autre lettre au capitaine Chi ad ari du même corps, lesquels, se dirigeant en toute diligence sur Gaëte, emportaient avec eux ces deux lettres, qui par hasard tombèrent enfin entre les mains du major Paolella, duquel je les reçus.

Le 17 au soir, les choses étant en cet état, je songeai à sonder l’esprit de ma troupe, mais j’observai que la gangrène s’y était déjà mise; et à l’appel, je trouvai manquants le capitaine Conte de la 6me. compagnie, son lieutenant Pandozzi, ainsi que la compagnie entière, qui s’en était allée, avec armes et bagages. En outre, il était aussi déserté en entier la 7e compagnie, excepté le lieutenant Cardi, et la huitième compagnie sous les ordres du lieutenant David. Tous ceux qui composaient les trois compagnies susdites, étaient du district de Gaëte. Je fis donc bivouaquer les restes de la troupe, qui demandaient à grands cris à passer le Garigliano, et à ne pas aller à Gaëte. 

Je me rendis moi-même avec un bidet de poste sur cette rivière, pour vérifier s’il serait possible de la passer. J’y trouvai un petit bateau, et on m’en promit encore un autre. J’étais de retour à Mola, lorsque de loin j’entendis qu’on criait beaucoup; c’étaient les soldats de ligne; qui s’étaient mutinés en affirmant que les généraux les trahissaient, mais qu’ils s’en vengeraient sur le colonel. Alors ma position devint critique, mais je crus qu’il valait mieux perdre la vie que d’être avec cette canaille, je me présentât donc parmi eux, et j’eus le bonheur de les persuader de me suivre pour passer la rivière, mais ils répétaient toujours que l’armée les avait abandonnés et qu’on les trahissait. Dans cette occasion, je vis revenir mes compagnies de miliciens, et l’ordre se rétablit. Je commençai le passage de la rivière avec les deux petits bateaux, et le passage ne fut fini qu’à onze heures du matin du 18; Cependant Je mauvais esprit et la démoralisation augmentaient à chaque instant. 

Je m’étais dirigé vers Sessa, mais réfléchissant au mauvais.esprit des habitans de cette ville, je préférai prendre position à Cascano, et à Ste. Agata. Plusieurs paysans s’introduisirent alors parmi les soldats, et leur firent croire que l’ennemi était à Sessa, et que je les avais placés où ils se trouvaient afin de les faire couper de l’armée; alors mes soldats prirent les armes et se mirent à fu ir vers la montagne. Dieu sait ce qu’il fallut faire pour les réunir de nouveau, et je crus plus honorable de fuir l’ennemi, que de nous déshonorer; je me dirigeai donc vers Mondragone où je passai la soirée; à minuit je me mis de nouveau en marche vers Castel Vulturno, et après le passage de la rivière, il me restait encore cent combattans. Je réunis les commandans des compagnies, pour les prévenir que j’avais le projet d’entrer à Capoue; mais a l’instant, le lieutenant de Franchis, du 1(er) bersaillers, déserta avec armes et bagages, exemple qui fut aussitôt suivi de tous les autres détachemens de la ligne, excepté les officiers et quelques soldats, et les six détachemens des miliciens de Terra de Labour, lesquels furent licenciés à Ste. Marie par le général Costa. ' Excellence, la catastrophe de cette campagne est sans exemple. L’ingratitude, la lâcheté, le manque total de patriotisme, et enfin l’infamie, étaient les seules ressorts qui faisaient agir ces scélérats.

(Signé) Piccolelli.

N°. LXXXI V .

Naples, 23 Mais, 1821.

Commandement général de la Cavalerie. N°. 348.

Excellence,—J’eus l’honneur de répondre à votre lettre du 19 courant, N°. 1378, en vous informant des événemens qui avaient eu lieu dans les différens régimens de cavalerie, qui sont sous ‘mes ordres, et je me réfère à cette réponse à l’égard des événemens qui ont eu lieu jusques à une heure du matin du même jour.

V. E. verra, par le rapport que le général Giuliani m’adressa de Caserta le 19, que la plus grande partie des soldats du 2me dragona, en se dirigeant aux écuries pour s’emparer de leurs chevaux et déserter, rendirent infructueux tous les moyens employés par les officiers, afin de les reconduire au devoir, quoique le matin du même jour ils s’opposèrent à plusieurs détachemens d’infanterie qui arrivaient débandées de Capoue.

Ce pernicieux exemple a été la cause d’autres désertions; et les 19 et 20 les trois escadrons du 4me chasseur à cheval furent réduits à deux cent hommes—Les trois escadrons du 2ème chasseurs perdirent, le 20, environ cinquante hommes.

La première division du premier de dragona resta avec cent hommes; dans le 3ème chasseurs il n’y a eu qu’une petite désertion (Signé) Roccaromana.


N°. LXXX V .

Naples, 2 3 Ma r s, 1821.

Excellence,—V. E. m’ordonne de vous envoyer un rapport historique sur la désertion et le débandement des corps de la 1ère division, en énumérant les circonstances qui les ont accompagnées, et les motifs que je juge les avoir occasionnés. Quoiqu’il me soit extrêmement pénible de revenir sur des événemens aussi tristes, je tacherai néanmoins d’exécuter vos ordres.

Parmi les plus beaux corps de la division, on devait compter le 1(er) bataillon de bersaillers, composé presqu’en entier de Calabrais. Sa tenue, son instruction le faisaient admirer et donnaient des espérances. Cantonné à Sessa, on observa qu’il faisait entrevoir des symptômes de désertion; mais on en attribua la cause à l’esprit des habitans, qui était contraire au nouvel ordre des choses; on crut y remédier en le faisant partir le 19 Février pour Mola, et ensuite pour les avant-postes. Mais on reconnut d’abord l’inutilité d’un tel changement de station. de nouvelles menaces de fuite furent entendues, et je donnai l’ordre de faire rétrograder ce bataillon à Fondi, pour le mettre ensuite en seconde ligne.

V. E. fut témoin de l’effet que produisit cette disposition sur les braves officiers de ce bataillon, qui pour ne pas souffrir la honte d’être renvoyés des avant-postes, s’engagèrent à doubler de vigilance. V. E. daigna permettre qu’ils y restassent.

Il serait trop long de répéter combien de précautions on prit pour retenir ces malheureux. Il en est qui pourraient servir de traits caractéristiques du mauvais esprit du temps.

Enfin la nuit du 11 au 12 Mars, soixante-treize bersailleurs désertèrent de Fondi, en tirant des coups de fusils, et entraînant avec eux des hommes du 2ème léger.

Il n’y a pas le moindre doute que dans la division, il n’existait pas un seul congédié qui n’attendit avec impatience l’instant de s’en retourner chez lui. Toute considération était vaine à leurs yeux; et toujours occupés de ce projet, ils cherchaient quelque prétexte pour justifier d’une manière quelconque leur désertion..

Loin d’être animés de véritable enthousiasme, ils déclamaient souvent, qu’ils avaient été forcés d’aller à la guerre, par les Charbonniers de leurs communes, dont néanmoins, ils ne voyaient pas un seul à la frontière. Et cependant, ces congédiés constituaient le nerf principal des corps, et propageaient ainsi dans les autres leur mauvais esprit. Aucune discipline ne pouvait parer à ce désordre, car il n’en existait qu’une ombre faible, depuis que dans les corps l’autorité avait changé de siége. Depuis l’époque où les individua s’étaient confondus indistinctement, toute hiérarchie de grades disparut, et le prestige, qui seul donne la force morale, tomba. D’un autre côté, il était devenu d’habitude de calomnier les supérieurs, d’analyser chaque ordre, et d’y désobéir impunément. Il existait en outre des moyens de garder le secret, et de le communiquer sans risque. Enfin, la désertion et le débandement avaient été une fois exaltés et décorés du titre de patriotisme.

Les habitans des pays dans lesquels la 1ère division a séjourné, n’ont jamais cessé de répandre des nouvelles alarmantes, et des insinuations décourageantes et séditieuses: malheureusement il n’y a pas une seule exception à faire, et l’influence.des pays éloignés n’était pas moins pernicieuse. Il n’arrivait de lettre à l’armée que pour conseiller aux soldats de retourner chez eux; et si les calabrais furent les premiers & déserter, cela est dù à l’esprit particulier des provinces de Calabre, et à leur obstination à ne point envoyer les miliciens à l’armée.

Le petit nombre de miliciens et de légionnaires qui ont rejoint ma division était très-mal armé, manquant de tous les effets, et il se montra très-mécontent de son sort; composé presque exclusivement de remplaçans, il n’y avait pas un seul propriétaire qui eût voulu courir les chances d’une campagne. Ils faisaient connaître à toute occasion, que chassés de force de leurs foyers, ils n’attendaient que l’instant propice pour y rentrer, et qu’ils étaient très-persuadés qu’ils n’avaient pas d’aptitude pour la guerre; persuasion funeste, qui seule suffit pour rendre inutile la troupe! Tant de causes ne pouvaient Tester sans effet. La nouvelle de la déroute du 2ème corps d’armée, nouvelle qui circulait sous les couleurs les plus alarmantes, et le mouvement rétrograde de la division, firent de suite éclater la fermentation.

Deux compagnies de voltigeurs, qui se trouvaient à Sessa, en recevant l’ordre de marcher, se mutinèrent, excités par les paysans, qui leur affirmaient l’occupation de Teano, et leur persuadaient qu’ils étaient coupés. Les efforts des officiers furent vains pour retenir trente voltigeurs du 5èine, lesquels, sortis avec effronterie des rangs, se mirent en fuite le 16 Mars. Les restans du 5ème, et toute la compagnie du 10ème rejoignirent le 5ème à St. Agata le matin du 17. Ce corps, dans la nuit précédente, avait eu une autre désertion de cent hommes, presque tous grenadiers.

La brigade Costa, en se retirant de Fondi, avait conservée le meilleur ordre possible: les miliciens et les légionnaires l’avaient précédée, et avaient été incorporés dans la brigade Tschudy. après avoir passé le Garigliano, le général Costa arrêta sa troupe le 17 à Cascano, où il fit donner une seconde distribution de vivres, afin de soulager les soldats, et ensuite il se mit en marche. A quelques milles du village, dans l’endroit où la route s’abaisse, on tira un coup de fusil, pour donner le signal du débandement. Tous les soldats se dirigèrent alors sur les hauteurs latérales, d’où ils tirèrent sur les officiers et sous-officiers qui s’étaient groupés autour du général, dont ils tuèrent ou blessèrent plusieurs, et ensuite ils se dispersèrent. Voilà la récompense des soins longs et délicats de cet excellent officier-général! Sa prévoyance, son zèle, l’enthousiasme avec lequel il faisait abnégation de lui-même pour le bien être de ses soldats, pour la sûreté des postes qu’on lui confiait, et pour la régularité du service, lui donnaient le droit d’en attendre une meilleure. Le général rejoignit la division au Spartimento avec environ deux cents hommes.

Les légionnaires du Sannio, au nombre de 145, étaient au Garigliano, restes des 700, qui étaient arrivés sans armes, et presque nus. On avait prodigué tous les moyens en leur faveur; armes, capottes, argent, ustensiles, on leur avait tout donné afin de les rendre aptes à la guerre. Au moment de partir du camp, officiers et soldats s’en allèrent par les montagnes, rejoints par un officier d’état-major. Les officiers eurent l’impudence de dire qu’ils avaient re?u l’ordre du général Costa de se diriger à Teano, et refusèrent de se réunir à la colonne; on ne les a plus revus depuis.

Enfin, les restes de la division prirent position le soir du 17éme au Spartimento, en avant de Casa Lanza. On chercha à rendre le bivouac le moins pénible qu’on put, en faisant d’abondantes distributions de vivres, quoique les soldats eussent déjà reçu leur ration. Les chefs des corps furent appelés et harangués; on entra dans les rangs pour ranimer les esprits, et engager les soldats à rester à leur poste.... vaines précautions! La 4ème division était débandée; les avances traversèrent mon bivouac sans produire aucun mouvement, et j’eus l’espoir que tout danger était passé, lorsqu’à une heure du matin un coup de fusil de triste augure, et qui n’était plus l’appel des braves, me prévint du contraire.

Je m’abstiens de vous Taire la description du débandement des corps: V. Exc. était là. Deux escadrons du 1(er) des chasseurs, un du 4ème, un détachement de dragons, et une compagnie de sapeurs empêchèrent que le débandement ne fut universel; plusieurs de ces braves furent blessés, pendant que les fuyards tiraient sur les officiers, sur moi, et sur le quartier-général de V. Exc.; et ils. ne furent prévenus dans l’exécution de leurs intentions perfides, que par la cavalerie et par les gendarmes.

Un bataillon du 10ème tint ferme, mais après il exigea qu’on le fit reculer, puisque les soldats disaient qu’autrement ils seraient coupés de Capoue; on réunit le petit nombre des restans, et ceux qu’on avait reconduit avec tant de peine, et ou fut obligé de les diriger tous vers Capoue. Les avances de Farnese (5ème) prirent position sur les glacis de la place.

Mais à Capoue, les débandés se jetèrent en foule sur la porte de Naples, et après en avoir force la garde, ils s’enfuirent; d’autres, en tâchant d’éviter les officiers par les routes intérieures, se mirent à commettre de tels désordres, que les habitans en furent alarmés et avec fondement; et sans la résolution d’armer les officiers de fusils, Capoue était perdue.

Le 2ème léger, qui se trouvait détaché à Solopaca, est rentré à Naples sans beaucoup de perte.

Le 5ème, le 10ème, le 1(er) bersaillers, et l’artillerie n’ont conservé que des débris de différens nombres d’hommes.

2N Du 2ème miliciens, dés légionnaires de Bari, et de ceux du Sannio, il n’est reste personne. Les deux escadrons de la garde n’ont pas perdu un seul homme.

Le 3ème bataillon de Farnese, au lieu de se rendre à Gaëte, où il devait tenir garnison, se débanda.

La compagnie des bersaillers de montagne devait rejoindre la brigade Costa, ou entrer à Gaëte: elle n’a exécuté ni l’une ni l’autre chose.

(Signé) D’Ambrosio.

N°. LXXX V I .—A S. E. le Général Baron Carrascosa.

Portici, 24 Man, 1821.

Excellence,—En réponse à votre lettre du 21 courant, par laquelle V. Exc. me demande un rapport détaillé sur le débandement de la brigade qui était sous mes ordres, et ensuite de la 3ème division dont vous daignâtes me confier le commandement, j’ai l’honneur de vous exposer les circonstances suivantes:

Le premier motif qui occasionna la désertion des soldats de ligne, fut le débandement des miliciens et des légionnaires dans l’affaire du 7 Courant, qui eût lieu à Civita Ducale; la fuite précipitée de ces malheureux, avec leurs officiers, et la retraite nécessaire des corps de ligne, puisqu’ils avaient été abandonnés, et étaient restés seuls et de peu de force en présence de l’ennemi, produisit, dans la nuit du 7 au 8, du découragement, et ceux qui manquaient de force morale désertèrent.

L’affaire du 9 à Antrodoco, et la retraite jusqu’à Isernia produisirent de nouvelles désertions. Le 2ème de chasseurs à cheval conserva l’ordre, et la contenance militaire.

A Isernia, l’on réunit 2,400 hommes, avec lesquels j’entrai à Capoue. Mais cette maladie contagieuse, dont l’armée a été malheureusement plusieurs foia attaquée, se manifesta enfin aussi dans les régimens de 1(er) corps, d’après l’exemple du second. On vit avec peine à Isernia déserter un bataillon entier du régiment du roi, que V. E, avait envoyé pour soutenir la retraite du 2ème corps.

Arrivé à Capoue, les chefs s’occupaient de réorganiser les corps. Mais les miliciens qui étaient dans la place crièrent aux armes, et abandonnèrent leurs postes. Les soldats de ligne furent effrayés de cette fausse alarme,et forçant la porte de Naples, s’enfuirent presque tous, abandonnant leurs fusils.

(Signé) RUSSO

le Gén. com. per interim la Séme Dir. a cti v e.

LXXXVIII.—A Monsieur Calenda, Procureur général près la Grande Cour criminelle de Naples.

Valleta le 5 Janvier 1822.

Monsieur le Procurer-général,—Le roi, par son décret du 21 Juin 1821, a ordonné de pro céder par devant la grande cour criminelle de Naples contre “les officiers de tout grade et de toute arme, qui, sans permission, s’étant éloignés de leur destination, et ayant engagé les soldats à se rendre auprès des rebelles à Monteforte, les avaient fait agir contre leur souverain et qui s’étaient rendus coupables de désertion.” Eh plus loin, ce décret ajoute, pour la désignation plus particulière de ces mêmes officiers: “Et qui, abandonnant leur destination, se portèrent à Monteforte, du premier.Juillet 1820 jusqu’au commencement du six du même mois. Ces militaires sont déférés au jugement des tribunaux compétens; ils sont privés de leurs grades respectifs, et seront rayes des cadres de l’armée.” 

Enfin, pour ne rien laisser à désirer sur l’indication précise des personne auxquelles Sa Majesté ordonnait que la poursuite se bornât, il fut consigné, dans un décret séparé, une liste nominative de tous les officiers contre lesquels on devait procéder. Quoique mon nom ne se trouve point compris dans cette liste, je ne me prévaudrai point de cette circonstance, pour vous manifester mon étonnement de l’avoir vu figurer dans votre acte d’accusation. Mais, d’après la teneur précise de ce décret sur la nature des faits à poursuivre, comment est-il possible que vous avez pu me comprendre parmi les accusés? 

Vous étiez chargé de mettre en jugement les seuls officiers qui s'étaient rendus avec les rebelles à Monteforte et qui s’étaient rendus coupables de désertion en abandonnant leur destination du premier au six Juillet. Mais qu’avez-vous donc trouvé de commun entre moi et ces militaires? Ai-je abandonné jamais la destination qui m’avait été donnée, ai-je ainsi déserté, et me suis-je, en aucun temps, rendu après des rebelles à Monteforte? Vous n’aviez donc aucune mission pouf me poursuivre aux termes du décret précité, et je ne puis concevoir le motif qui a pu vous conduire à une telle décision contre moi. Mais voyons s’il existe au moins des prétextes non pour vous autoriser à me mettre en jugement d’après le décret de Sa Majesté, ce qui est impossible, mais au moins pour me supposer une ombre de culpabilité quelconque. A cet effet, je vais combattre les prétendues charges que vous m’imputez, et cela par le contenu même de votre étrange acte d’accusation, sans essayer d’employer en ce moment les contre preuves nombreuses que j’ai en ma faveur, et qui feront l’objet d’un mémoire particulier. 

La première preuve contre moi consiste, selon vous, en ce que quelques paysans, partis de Naples à une heure plus avancée (67) et qui, dans cette ville, avaient conféré avec le général Pepe, portèrent la nouvelle qu’il demeurait à Naples pour mieux organiser l’expédition de nouvelles troupes, et qu’on n’avait à craindre aucune attaque, attendu qu’il était d’accord avec le général Carrascosa.” Or, quel argument pourrait-on tirer de l’assertion de ces paysans, même quand elle serait véritable? Quel est le corps de délit qui en résulterait contre moi? Mais d’ailleurs quel est le uom de ces paysans? Devant qui firent-ils à Morelli l’ambassade en question? 

Il n’est pas croyable qu’il eût re?u un tel message de gens dont pas un ne lui était connu, et qu’il eût pu oublier Je nom de tous; il n’est pas croyable que cette commission lui eût été faite en secret, puisque son objet ayant sans doute pour but d’encourager les insurgens, on n’aurait pas manqué de la faire en présence d’un grand nombre de personnes. 

Toutes ces incohérences peuvent faire soupçonner que, tant les paysans que leur ambassade, ne sont que des choses imaginaires, qui n’ont jamais eu aucune existence réelle, et qui ont été calomnieusement inventées par Morelli, à l’instigation de ceux qui lui avaient promis protection, et donné l’espérance de sa grâce. D’ailleurs, supposons que ces prétendus paysans eussent véritablement porté ce message à Morelli, qu’en résulterait-il donc? Ne pourraient-ils pas lui avoir fait ce rapport faussement et sans qu’ils eussent vu le général Pepe, dans le but d’encourager Morelli et ses associés? On bien encore, le général Pepe, dans ce même but, ne pourrait-il pas avoir chargé ces paysans d’un tel rapport sans qu’il eût le moindre fondement? 

N’est-ce pas l’usage de tous ceux qui tentent des rébellions d’inventer ou d’accréditer de semblables faux-bruits comme un moyen de réussite? Mais la prétendue preuve qu’on voudrait tirer d’une assertion aussi peu concluante, tombe encore d’elle-même par un argument d’une autre nature: jusqu’à vingt quatre heures du deux Juillet,(68) la désignation de la personne chargée de se rendre à Avellino, était encore un secret à Naples. Je ne l’appris moi-même que sur les deux heures du jour suivant, de la bouche du capitaine-général que je rencontrai au cercle de la cour. Nous sortîmes ensemble pour nous rendre au palaia du commandement suprêmes où je restai avec lui jusqu’à trois heures. 

Or, supposons qu’en sortant du palais et sans perdre un seul instant, je me fusse rendu auprès du général Pepe, pour lui dire d’être tranquille et que je n’attaquerais pas; supposons encore, qu’à la minute même, ce général se fùt hâté de faire venir ces paysans, et qu’il les eût envoyés sans le moindre délai pour faire part de cette assurance à Morelli; le temps nécessaire pour me rendre chez le général Pepe, pour notre conversation, pour faire venir les paysans et conférer avec eux, ensuite pour trouver des voitures afin de les l'aire arriver promptement, ce temps nécessaire pour tout cela, quelque rapidité qu’on vueille y supposer, eût certainement conduit jusqu’à quatre heures. 

Mais comme de Naples au Gaùdo, il y a vingt-quatre milles, qu’on ne peut parcourir en moins de quatre heures, il en résulte que les paysans en question n’auraient pu Taire à Morelli une communication venant de moi, que sur les huit heures. Ainsi, en supposant que cette communication ait eu réellement lieu, il est clair que si, comme le porte votre acte d’accusation, elle ne parvint pas plus tard que trois heures, elle ne pouvait venir de ma part, et qu’elle ne fut qu’une invention pour encourager Morelli. 

Ce n’est pas tout, et je vais prouver encore d’une autre manière, l’impossibilité d’une telle communication de ma part. Le soir du deux Juillet, on savait bien à Naples que Morelli avait déserta, mais personne ne soupçonnait qu’il eût pris une position, qu’il se fùt fortifié et mis dans une attitude hostile. Et comment eut on pu l’apprendre alors puisque cela n’avait pas encore eu lieu? en effet, il est Constant, et l’acte d’accusation même porte que l’escadron sacre, partant de Mercogliano, le même soir du deux, se rendit au Gaudo.—Or, en Italien le mot soir, indique un temps postérieur à vingt quatre heures; et si l’avis donne à Morelli que je ne l’attaquerais pas, lui arriva de Naples à trois heures du deux Juillet, il avait dû en partir au moins vingt trois heures du jour précédent; ainsi, dans cette capitale, on aurait dû avoir connaissance des faits qui pouvaient donner lieu à une attaque deux heures avant que ces faits ne fussent arrivés! 

L’absurdité est ici palpable; et comme, à Naples, avant qu’on n’eût appris ces faits d’hostilité, personne ne songeait que les déserteurs voulussent résister è main armée, comme on ne pouvait auparavant songer à diriger contr’eux aucune espèce d’attaque, il en résulte qu’il n’aurait pu venir dans l’idée de personne.de donner à Morelli aucun avis à cet égard. Il est enfin si vrai qu’à Naples on ne s’attendait à aucune résistance de la part des déserteurs qu’on m’envoya à Avellino, simplement pour en prendre le commandement et non pour combattre les re bel les, puisqu’on m’envoya seul et sans te moindre détachement, (voyez Pièce deux). En vérité, si on avait eu à Naples la moindre connaissance de l’attitude hostile prise le soir précédent par Morelli et les insurgés, le gouvernement m’aurait-il fait partir seul et sans la moindre escorte le matin du trois? Moi-même, me serais je mis en voyage d’une telle manière? 

La seconde charge, que vous prétendez exister contre moi, est basée sur une supposition tout-à-fait fausse. après avoir parie de la prétendue communication à Morelli, vous ajoutez: Cette communication, ou plutôt cette trahison fut prouvée, car Carrascosa ayant, (comme chacun sait,) mèrité la confiance du gouvernement, qui le chargea de résister aux rebelles, et ayant été pourvu d’une force imposante, infiniment plus considérable que celle des révoltés postés au Gaudo sous les ordres de Minichini, Preziosi et Nappi, il ne voulut jamais les attaquer, ou permettre au major Lombardo de le faire; et il se contenta de tenir sa troupe à Cimitile, Nola, et sur le pont de la Schiava.” 

Qui donc vous a dit, M. le procureur-général, que j’avais été pourvu d’une force imposante? peut-être avez-vous trouvé cela dans l’histoire de Gamboa, qui fut notoirement écrite sous la dictée de personnes, qui, voulant exalter leur propre entreprise, laissaient dire à l’auteur que le général Carrascosa avait une armée, contre un petit nombre d’hommes armés. Comment avez-vous pu invoquer une pareille autorité? Ne connaissiez-vous donc pas les moyens légaux de prouver la prétendue supériorité de la force qui me fut confiée sur celle des révoltés? Ne deviez-vous pas d’ailleurs repousser une assertion aussi vague, qui ne désigne nullement le nombre d’hommes des deux partis opposés? 

Enfin, monsieur le procureur-général, j’ai la conviction que vous saviez fort bien que le trois Juillet, s’il n’y avait de postés au Gaudo que Minichini, Preziosi, Nappi et Morelli, avec les hommes qu’ils commandaient, moi j’étais alors seul à Nola, sans le moindre détachement. J’étais tellement Je pourvu de forces le trois, que je manifestai mes craintes au capitaine-général d’être pris par les insurgés (Pièce quatre). Le quatre, il est vrai, j’eus six cent quarante-neuf hommes (Pièce neuf) dont quatre cent quarante-neuf seulement étaient d’infanterie, et qui seuls pouvaient agir dans les positions boisées et montueuses de Monteforte; mais le même jour, quatre, les révoltés avaient en leur faveur toute la ville d’Avellino, qui s’était déclarée pour eux dès les midi du jour précédent; et leur nombre se trouvait considérablement augmenté, de miliciens, de gendarmes, de fusiliers vétérans, de douaniers, de soldats Samnites, et de paysans armés 

Le moyen légal et certain de prouver le nombre d’hommes qui me furent confiés, ainsi que le moment de leur arrivée sous mes ordres, était de demander à l’état-major de l’armée, les états de situation et tous les autres renseignemens nécessaires. Un tel moyen se présente naturellement à l’esprit, mais vous avez cru plus concluant d’interroger quelques imbéciles des villages par où passa la troupe, ou bien de ceux où l’on en entendit parler de loin; et à votre grande satisfaction, l’un a déposé; que cette colonne était très-nombreuse,(69) un autre quelle montait au moins à quatre-mille hommes (+) et de suite, il est prouvé, selon vous, que je fus pourvu dune force imposante, et beaucoup plus considérable que le petit nombre de révoltés postés au Gaudo! Le même jour, quatre, le capitaine-général vint deux fois sur le terrain. li examina les hommes, pesa les circonstances, et il conclut qu’on ne pouvait faire une attaque sans avoir des renforts. 

Or voilà une autre preuve que le quatre, mes forces étaient encore inférieures. Enfin, vers le soir du cinq, les renforts promis arrivèrent; et ceci prouve de fait que le gouvernement et le capitaine-général avaient réputé insuffisantes les troupes qu’on m’avait d’abord envoyées. Ces renforts commencèrent seulement à arri ver à Marigliano à deux heures après midi du cinq Juillet; d’autres arrivèrent plus tard, et les derniers n’arrivèrent que le soir assez long-temps après le coucher du soleil. Vous n’ignoriez pas non plus que l’ordre d’attaquer le six, ne m’arriva que dans la soirée du cinq; et que, dès l’aurore du six, j’étais prêt à faire l’opération, que je me trouvais déjà aux avant-postes, et que la colonne de renforts était en pleine marche, lorsque je reçus l’ordre de tout sus prendre et de publier la constitution. Vous connaissiez toutes ces circonstances, qui prouvent que je n’ai eu des moyens suffisans d’attaque que le cinq au soir. 

D’ailleurs, j’avais été visité quatre foia par celui qui avait le droit de me commander. En outre, je me trouvais à deux heures de la capitale, siège du gouvernement, d’où partaient vingt estafettes par jour pour m’apporter les ordres sur ce qu’il convenait d’exécuter. Mais vous prétendez de plus que je ne voulus pas permettre au major Lombardo d’attaquer lui-même. Ainsi, donc, comme on en verra bientôt l’explication, vous vous servez contre moi du major Lombardo eu deux sens tout-à-fait cont ra dictoires: d’une part, il est plein d’ardeur pour réprimer la rébellion, et vous, prétendant que je lui ai refusé les moyens d’attaque, vous en tirez une preuve de ma culpabilité; mais d’autre part, le même major, selon vous encore, est le complice et l’agent de ma correspondance c rimi nelle avec les révoltés, d’où vous faites ressortir ma complicité avec les conspirateurs. Dites-moi donc enfin ce qu’est Lombardo? Est-il l’adversaire ou l’ami des révoltés! Mais que vous importent les contradictions les plus manifestes? Les circonstances les plus incompatibles sont concordantes à vos yeux pourvu qu’elles soient à ma charge.

Je veux cependant abandonner les argumens que me fourniraient contre vous de telles contradictions, qui sont trop évidentes; et je veux vous démontrer directement l’impossibilité de la chose. Lombardo ne pût me demander les moyens de réprimer

le s révoltés, par les raisons suivantes: Il fut expédié par moi, dans la nuit du deux au trois, pour se rendre à Avellino; mais ayant été arrêté à Mugnano par les révoltés, il retourna en arrière, et m’ayant rencontré près de Cimitile il me fit son rapport de ce qu’il avait observé. Or, voici le premier moment où il eût pu me faire la demande en question; mais il eût fallu qu’il eût perdu la tête, pour me dire alors comme vous le prétendez : Donnez-moi cent hommes et je ferai tout rentrer dans l'ordre, car j’étais seni en voiture, et je n’avais pas la moindre troupe à ma disposition, ni là ni ailleurs. 

Ayant trouvé important ce que Lombardo venait de me rapporter, je lui ordonnai d’aller immédiatement à Naples, afin de répéter le tout au capitaine-général. Il y fut en effet; il resta dans la capitale jusqu’a u jour suivant, et ne revint à Nola que le quatre sur les onze heures du matin. il s’arrêta peu dans cette dernière ville; et sur les deux heures après-midi, il me suivit à Cimitile. Au coucher du soleil, je le renvoyai de ce village à Naples auprès du ministre Medici. (Voyez Pièce dix-huit.) Ce ne fut donc qu’à Nola qu’il eût pu de nouveau me faire sa demande; mais puisqu’il venait de Naples, que pouvait-il savoir sur ce qu’il serait survenu? pouvait-il savoir quel était alors l’état des révoltés, s’i l s n’avaient pas augmenté leurs forces, et quelles étaient leurs dernières positions? Or, sans savoir rien de tout cela, comment eut-il pu risquer un tel conseil et faire une offre semblable?(70) Enfin, si l’on voulait accorder que Lombardo m’eût fait une telle demande (ce qui est de toute fausseté) cela

prouverait seulement sa bonne volonté, mais en même temps l’inconséquence ou plutôt la folie de ses

offres ; mais, de bonne foi, pouvez-vous prétendre qu’un général, qui est en continuelle correspondance avec le gouvernement, qui a conféré quatre fois avec le capitaine-général, son supérieur naturel, qui doit enfin peser lui-même toutes les circonstances dans sa sagesse,pouvez-vous prétendre qu’il doive adhérer à la première rodo m ontade qu’o n viendra faire devant lui? Serait-il donc coupable de ne pas y adhérer?

Enfin vous trouverez bun que j’ajoute un autre raisonnement pour faire voir toute la futilité d’une telle assertion: si, comme vous le prétendez, le major Lombardo eût été persuadé qu’avec cent hommes il pouvait tout finir, comment se fût-il adressé à moi qui n’avais pas un seul homme, et co m ment, dans tous les cas, n’eut-il pas répété sa demande à Naples, au capitaine-général qui avait six mille hommes à sa disposition? Or, je vous prie de me le dire, monsieur le procureur-général, avez vous quelque chose à répondre à un tel argument? Maintenant je passe à la troisième charge. Quant à celle-ci, elle est toute entière une supposition gratuite de votre part. A l’occasion du major Lombardo, vous dites: le major Lombardo, qui fut deux fois envoyé à Monteforte, pour espionner par l’ex-lieutenant-général Carrascosa, de ce même Carrascosa qui était manifestement d’accord avec les premiers révoltés, lorsqu’ils méditaient le changement de gouvernement.”

Or, remarquons d’abord que Lombardo, que j’envoyai vraiment deux fois ver s les révoltés, ne pouvait tout au m oins y aller la seconde fois dans un but criminel, puisque ce fut le six au matin, pour leur annoncer que le roi avait a c cord é la constitution. Alors il ne pouvait plus être question de rien concerter avec les révoltés, puisque leur objet était

complètement obtenu. Il ne reste donc plus qu’une seule mission du major Lombardo auprès des révoltés, que vous pouvez feindre de c roire

criminelle de ma part: c’est celle qui eût lieu par mon ordre dans la nuit du deux au trois Juillet; et qui vous a fourni contre le major Lombardo un passage ainsi con?u: accuse le major Lombardo, “de complicité dans la correspondance secrète tenue par l'ex-lieutenant-général Carrascosa, qui était manifestement d'accord avec les révoltés de Monteforte, et de coopération dans le changement du gouvernement, aux termes de l'article, tyc.

En premier lieu, cette accusation contre le major Lombardo vous fait tomber dans la contradiction manifeste dont j’ai déjà parl é, savoir que tantôt vous présentez Lombardo comme plein de zè l e pour réprimer la révolution, et tantôt, dans le même temps, comme complice de ma correspondance secrète avec les rebelles. Mais, d’ailleurs, où sont, je ne dirai pas les preuves, mais l e moindre indice que j’ai envoyé le major Lombardo dans un dessein crimine l ?

P armi les soixante-six détenus, en est-il un seul qui ait déposé que je lui eusse adressé le moindre avis par le major Lombardo dans aucune circonstance ? Est-il du moins quelque témoin qui ait rapporté que l’un des révoltés lui ait fait une semblable confidence? Nullement. Donc, monsieur le procureur-général, c’est gratuitement, sans aucune espèce de données que vous attribuez des vues coupables à ces envois du m a jor Lombardo. Ainsi donc, à vos yeux, le seul fait de l’ avoir envoyé dans cette direction, me rend coupable. Mais j’y envoyai a ussi quatre fois Monsieur Bianchi juge du distri c t de Bajano; et pourquoi donc ne l’avez-vous pas interrog é ? 

Je le sais parfaitement, c’est que l’ayant fait sonder, vous avez appris qu’il déclarerait des choses contraires à votre désir; et alors vous avez préféré feindre que vous ignoriez ces divers envois. En effet, combien il eût été incommode d’admettre au milieu de vos sept volumes de procédure, la déposition d’une personne qui aurait attest é combien j’étais opposé à l’insurrection, et tout ce que je tentai par son moyen, pour la faire évanouir à l’aide de négociations, dans un moment où je ne pouvais la réprimer par une attaque, à défaut de force suffis an te, et en attendant les renforts qu’on m’avait promis.

Mais vous ne voulez pas entendre parler de telles circonstances, et dès que vous apercevez qu’un témoignage ou un document me serait favorable, vous vous empressez de le supprimer. Pourquoi n’avez-vous pas, non plus, interrogé le colonel due de Laviano, qui était à Nola quand j’y arrivai? Pourquoi n’avez-vous pas interrogé le lieutenant colonel Guarini, à qui je transmis toutes les dispositions d’attaque dès l’aurore du six Juillet? Pourquoi n’avoir pas entendu le sous-intendant de Nola et les officiers de miliciens de cette ville qui ne furent pas à Monteforte? 

Le but de ces omission s inexcusables n’est que trop visible, et c’est le même qui vous a fait fermer l’ouvrage de Gamboa à la page où il rapporte une conversation que j’eus avec le capitaine général la nuit du cinq au six Juillet et qui commence par ces mots: Il ne faut pas omettre ici. (Pièce 31) Or, ce passage fut imprimé sur ma propre révélation, dans le moment le plus ardent de la période constitutionnelle, et l’on y voit mon opinion bien prononcée contre le mouvement révolutionnaire, opinion qui a été confirmée dans un rapport fait en Autriche par l ie comte de Nugent; ainsi donc, le livre de Gamboa n’est une autorité pour vous que lorsqu’il semble m’accuser, et vous n’en faites plus aucun cas dès qu’il tend à me disculper.

Vous avez en outre eu dans les mains une quantité prodigieuse de mémoires et de pétitions, adressés au parlement dans l e temps constitutionnel, où plusieurs individus, demandant des emplois ou autres récompenses, exposent ce qu’ils o n t fait comme conspirateurs, et nomm e nt les fauteurs et directeurs de l’entreprise. Eh bien! mon nom s’est-il trouvé dans aucun de ces écrits comme ayant j o ué un tel rôle ? Et n’avez-vous pas, au contraire, trouvé dans les archives du parlement, que j’avais été dénoncé comme contraire à la constitution d’Espagne, et qu’on m’avait surtout imputé d’avoir tout fait pour réprimer, l’insurrection le deux Juillet?

Vous devez pareillement avoir communication d’un rapport que j’avais adressé à M. le lieutenant-général due de Sangro, président de la junte d’examen militaire, rapport appuyé de vingt-sept documens les plus valables, qui prouvent non seulement m on innocence, mais encore mon zèle. Enfin, le ministère

possédé à Naples même toute la correspondance que j’ai eue avec le commandement suprême dans le temps de ma mission à Cimitile, et d’où ressort entièrement mon innocence; mais c’est précisément pour cela que vous n’en avez fait aucun usage.

Loin de vous, monsieur Je procurer-général, loin de vous tous ces documens importans! Il s ne peuvent vous convenir, mais vous en avez de bien plus commodes! en effet, Morelli dit que des.paysans lui ont dit que Pepe les envoyait lui dire que je lui avais dit que je n’attaquerais pas! Voilà tout ce qu’il vous faut! la conjuration du verbe dire! et telle est la première preuve que vous prétendez fournir contre moi.

Ensuite, il vous plaît d’affirmer que j’avais à ma disposition des forces imposantes, très - supérieures à celles des révoltés ; et sans vo u s fatiguer à le prouver,. re qui eût été impossible, vous vous bornez à tirer d’un fait aussi faux l’ind uct ion que j’étais d'accord avec eux; et telle est votre seconde preuve.

Enfin, par le seul fait que j’envoie Lombardo du côté d’Avellino, j’ai à vos yeux des intelligence criminell es avec l es conspirateurs, d’où vous faites résulter la complicité du dit Lombardo, complicité qui le rend aussi coupable qu e l’auteur principa l ; et cependant, à vos yeux, ces terribles preuve s sont si fortes que, dans votre acte d’accusation vous concluez pour la liberté de Lombardo(71)! Et telle est votre troisième preuve, C’est donc à ces trois preuves victorieuses que vous devez l’assertion si positive que j’étais manifestement d’accord avec les insurgés, et vous aurier dû y ajouter: quod erat dem o s t randum!

Je n’ai pu repousser ici que ce qui est exprimé _ sur mon compte dans votre acte d’accusation. Mais si, par hasard, vous croyiez pouvoir trouver, dans les nombreux volumes de la procédure, quelques autres, faits que j’ignore, je puis vous assurer que je les réfuterai complètement, comme je l ’ ai fait de ceux que je connaissais; car il est i mpossible de pouvoir prouver jamais ce qui n’a jamais eu lieu, et il me sera toujours facile de combattre le mensonge avec les armes de la vérité.(72)

J’ai l ’ honneur de vous prévenir, monsieur le procureur-général, eu finissant cette lettre, qu’elle sera imprimée, afin qu’elle parvienne aux pieds du trône, et entre les mains de tous les hommes honnêtes, qui ne savent point céder à l’in fl uence (73) .

N°. LXXXI.— Bulletin de l'Armée Autrichienne.

Du quartie r -général de St. Germano, le 19 Mar s .

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Le fort de Montecasin avait été, jusqu’aujourd’hui, occupé par la garde royale, sous les ordres d’un colonel Napolitain. Le général en chef le fit sommer, au nom du Roi, de rendre là place. Pendant qu’on traitait, la garde se révolta dans l’intérieur du fort; on profita de cette circonstance, on emporta, partie de force, partie sans résistance, les retranchemens de l’ennemi.

Les soldats ont été désarmés et traités comme prisonniers de guerre. Lés soldats avaient été désarmés, mais on leur a rendu leurs armes et leurs décorations militaires, et pour preuve de confiance, oh les a, en attendant, agrégés à la brigade de grenadiers de l’armée Autrichienne.

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FIN.

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G. Schulze, lmprimeur, Polaud Street.

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NOTE

1 Je suis loin de prétendre que, dans cette secte, il n’y eût quelques honnêtes gens; mais il n’est que trop certain qu’elle fut composée, généralement, d’élémens très-impurs.

2 Dans le cours de ces mémoires, j’ai été forcé, par les faits, d’attribuer de funestes résultats à la secte Charbonnique. Je suis loia, cependant, de vouloir faire tort à tant d’hommes estimables qui, avec les meilleures intentions, s’y firent initier, soit dés le principe, soit dans les époques postérieures. Mais il n’est que trop vrai cependant que, sous la période constitutionnelle, beaucoup d’intrigants, d’ambitieux, et même d’hommes tout-à-fait perver s, se couvrirent du masque de la Charbonnerie pour arriver à leurs fins particulier s . Malheureusement, leur masse détermina la direction de la secte. Or, l’histoire, dans ses jugemens, doit s’en tenir à la somme totale des résultats, et c’est ce qui me fait parler de la secte en général, dans les jugemens que l e porte.

3 On verr a plus tard que, sous le rég im e constitutionnel, il entra dans la secte Charbonnique un plus grand nombre encore de Chaudronniers, dans la seule vue de la trahir et de la pousser à des excès.

4 Cette observation est tirée du mémoire manuscrit, dont j’ai parlé dans la préface, + Cette idée m’est commune avec l’auteur du mé m oire s u s-indiqué.

5 en répétant à Monsieur Deconcil i ce qu’affirmait ce journal, à l’égard d’une intervention possible des étrangers dans les affaires intérieures d’Espagne, je la regardais simplement comme un fait, et j’étais bien loin de l’envisager comme un droit.

6 Le rédacteur d’un ouvrage imprimé à Stuttgard, en 1821, intitulé: Archi v es diplomatiques pour servir de l’ histoire du temps et des états, en parlant des affaires de Naples, a cru devoir écrire, page 43: “Les ministres, qui ne s’étaient pas encore convaincus de la possibilité que la nation défend i t ses droits, envoyèrent le général Carascosa avec 5,000 hommes de la l igne contre le point de réunion principal.” Je ne sais où le rédacteur de cet ouvrage a pu t rouver une telle assertion Je ne puis croire que le prince de Strongoli, qui était à Naples lors de ces événemens, et dont le rédacteur dit avoir copiée une relation, ait pu tomber dans une erreur aussi considérable. Il est probable que le rédacteur a vou lu dire cinq cent s an lieu de cinq mille. Voilà à quoi l’ on s’expose en se servant de chiffres, au lieu de lettres, pour indiquer des objets semblables. Quoiqu’il en soit, je crois rendre service à l’auteur en le m ettant à même de corriger une erreur aussi évidente.

7 On a prétendu que, pour favoriser les révolutionnaires, j’avais temporisé dans mes opérations, pendant ma commission d’alors. Le lecteur peut juger maintenant de quel côté furent constamment les lenteurs, et si dans to u tes les occasion s, je n’ai pas fait tout ce qui dépendait de mo i pour les empêcher.

8 Dans ce moment, j’ignorais encore les événemens arrivés dans la Province de la Capitanate.

9 Ma prédiction à cet égard se vérifia entièrement par la suite.

10 Ce général est frère de l’autre général nommé Guillaume Pepe, qui se mit ensuite à la tète de la révolution.

11 Ce bruit s’était répandu à l’occasion de ma demande pour la promotion du juge de Baj a no.

12 Comme je n’aurai plus occasion de parler du capitaine-général, qui, ce jour- l à, partit de Naples, pour se rendre. à Malte, et ensuite en Autriche, je croi s devoir citer quelques passages d’une lettre qu’il écrivit au roi, le matin du six Juillet, en arriva n t de Mugnano, et q u i montre l’opinion qu’il avait de moi au sujet des événemens qui venaient d’avoir lieu. Dans cette lettre il demandait que je fosse particulièrement adjoint à ses fonctions. J’ai eu connaissance de cette demande par la réponse que lui faisait le roi, où il disait qu’il ne pouvait y adhérer, puisqu’il m’avait nommé au ministère de la guerre. Cette opinion favorable du comte Nugent à mon égard se tro u ve confirmée dans le rapport déjà cité, qu’il fit en arrivant à Vienne, et dans lequel on lit ces paroles:“Le général Nugent dut s’éloigner le même jour mais jusqu’au dernier moment, il e ut à s e l oue r de la cond u ite du général Carascosa”.

13 Le gouvernement, qui, jusqu'alors, avait mis tant d’indolence et de lenteur dans les dispositions qui pouvaient le sauver, mit, na contraire, tant d’empressement à décréter un acte funeste qui devait le perdre.

14 Cette lettre a été insérée dans les journaux d u temps, sous le régime constitutionnel. Je ne puis assurer que la rédaction f u t absolument la même que celle que je viens de citer, mais je garantis que le sen s y est absolument conforme...

15 Je suis loia de prétendre que la nation napolitaine ait jamais forme le moindre dessein contraire à la dynastie régnante. Elle en était sans doute bien éloignée; mais, dans un moment où toutes les passions étaient déchaînées, qui pouvait répondre de la sagesse constante d’une multitude armée et exaltée, et qu’excitaient sans cesse des hommes fanatiques ou perfides?

16 On ne doit pas cependant prendre. cette expression trop à la lettres, en disant que la révolution fut commencée de bas en Août, je n’ai pas prétendu qu’elle vint des dernières classes, dans le peuple, ni des soldats dans l’armée. Dans le peuple, elle comprenait beaucoup d’artisans, et elle allait eh remontant dans quelques autres classes de la société, mais sans comprendre les plus hautes classes, ni les grande propriétaires; dans l'armée, elle avait pour elle presque tous les sous-officiers, d’on elle remontait également à quelques grades plus élevés sans atteindre cependant aux grades supérieurs. Il manquait ainsi trois choses essentielles à la révolution de Naples; les bras pour la défense, qui se trouvent dans la classe nombreuse du bas peuple et des soldats, l’argent qui ne peut être fourni, ès quantité suffisante, que par les grands propriétaires, et un certain ordre de lumières et d’expérience politique, administrative, ou militaire, qui ne pouvaient se trouver que dans les rangs supérieurs de la hiérarchie civile ou de l’armée.

17 Le général Pepe commençait déjà tellement à abuser de son influence, que, de sa propre autorité, il entrait au conseil des ministres toutes les fois qu’il en avait le désir.

18 Nous continuerons, pour abréger, à appeler simplement congédiés les soldats qu’on rappelait au service militaire, et qui avaient été antérieurement renvoyés dans leurs communes, après avoir terminé leur temps de service ordinaire fixé par la loi.

19 Je dois rappeler ce que j’ai dit dans une note précédente, que lorsque, dans quelqu’imputation fâcheuse, je me sera de ces mots la secte ou les Charbonni e rs, je n’entends que les intrigans qui, sous le nom de la masse, et par l’influence qu’ils exerçaient sur elle, nous ont conduits à de si tristes résultats.

20 Je suis obligé de le répéter: je cite ces dispositions des étrangers comme un fait, et non co mm e un dr oit.

21 Je suis porte à croire que, jusqu’à ce jour, le roi était de bonne foi, car il n’était pas extrêmement t u é conte n t du pass é ; et pour l’avenir, il espérait beaucoup de la sagesse des actes futurs du parlement.

22 Cet exemple n’est pas nouveau: en 1792 et 1793, le parti de la montagne, dans la convention national e de France, quoiqu’en très-grande minorité, parvint, à l’ aide de moyens analogues, à obtenir une prépondérance absolue dans les délibérations de cette assemblée; elle traita souvent de factieux la majorité, et elle finit par la proscrire.

23 On doit bien juger qu’une telle influence ne pouvait se réd u ire dans son vœu, qu’ à être nomine de nouveau général en chef, on au moins chef d’état-major-général.

24 Un ducat est quatre franc s et quarante cen times .

25 Je pense que ce que je viens d’exposer servir a, en passant, de réponse à une brochure i m primée à Paris en 1821, dans laquelle il est dit, page vingt-neuf; ” Ainsi, l'on négligea l ’achat des fusils qui nous manquaient on n’organisa pas l’armée, et les gardes nationales furent presque oubliées. Enfin, l'on ne hâta point l'expédition de Sicile, devenue indispensable pour réprimer l’anarchie à Palerme.” A l’égard de cette dernière imputation, l'on peut juger si l'expédition de Sicile avait été retardée,en se rappelant que la ville de Palerme s’était insurgée le quinze Juillet, et que le cinq Octobre, elle était déjà soumise.

26 Voyez la Pièce trente-neuf, où l’on trouvera un extrait du journal intitulé: La v o ix du Siècle, du deux janvier, 1821. '

27 Dans le fait, on ne demandait rien de plus que de que désiraient, depuis plusieurs mois, les hommes sages et tôt meilleurs citoyens. '

28 Si, d'un côté, j'ai précédemment déploré la première erreur du roi de n'avoir pas d'abord donné une constitution déterminée, on doit peut-être encore s'affliger davantage de l'obstination du parlement à ne jamais vouloir céder un seul pas au sujet de la constitution d'Espagne. Il n'eût point dû surtout refuser la médiation qui nous était offerte par une puissance, à condition que nous ferions à cette constitution certains changemens, qui, tout à la fois, l’eussent rendue plus applica b le à l’état politique de la na t ion, et eussent tranquillisé les cours étrangères contre la crainte d’une tendance trop démocratique. Cette sagesse du parlement aurait corrigé de fait l’erreur funeste du roi, qui nous conduisit à adopter une constitution non convenable pour le royaume, constitution qui répandit la crainte dans l’intérieur, qui fit naître le dégoût dans l’âme du roi, et sépara de notre cause les anciens nobles, plusieurs hommes de réputation, non seulement à Naples mais dans toute l’Italie, enfin, une grande partie des propriétaires du royaume. Sans l’adoption de ce statut, le soulèvement scandaleux de la Sicile n’aurait peut être pas eu lieu. Ce fut sans douté ce choix malheureux qui nous priva de la protection de la France et de l’Angleterre, qui se fussent intéressés à nous, si nous eussions choisi une constitution plus analogue à la leur, ou si nous eussions modifié raisonnablement celle d’Espagne, après l’avoir si légèrement adoptée. Mais ce qui rend le parlement encore plus inexcusable dans cette funestes obstination, c’est que ce ne fut point le vœu général auquel il se laissa entraîner, car le gros de la nation était fort indifférent pour la constitution espagnole. Il ne fit absolument qu’obéir à la volonté aveugle de la secte charbonnique..

29 Le pian fut même adopté par la suite, quoiqu’on ne le suivit pas entièrement.

30 Nous nous prévalons de l’habitude militaire de nommer les vallées d’après les lieux les plus remarquables qui existent dans leur proximité, Dans le fait, Gaeta est située dans là p l aine, et non dans la vallée m ème.

31 Le lecteur consulter a à chaque occasion la planche qui est annexée à la fin du volume.

32 On doit entendre ici sous le nom de milices tout ce qui n’était pas troupes de ligne: ainsi, je comprend s quelquefois sous ce nom générique, tant les milic i ens proprement dits que les légionnaires. '

33 Lorsque l’assemblée générale de la Charbonnerie exprimait le désir qu’on ne fit aucune négociation, il y avait déjà quelques jours que le parlement avait envoyé au roi le message le plus soumis.

34 Eh 1799, le cas se vérifia dans un e retraite de l’armée française, dont une forte colonne fut arrêtée par c inq c en ts paysans Abruzzois dans un e de ces gorgés.

35 Par la suite j’appellerai, pour abréger, chaque brigade légère par le nom de son Commandant.

36 Ces dispositions étaient si bonnes, que l’ennemi, en arrivant en Abruzze, fut acclam é et reçu en triomphe par les populations!

+ C’est par de tels moyens que les plus grands capitaines, dans tous les temp6, ont constamment équilibré l’infériorité relative de leurs troupes, soit qua n t au nomine, soit quant à la qualité. Se renfermer dans des retranchements inexpugnables quand l’ennemi rassemble s es f o rces; lui tomber des su s quand il les divise et quand il s’éparpille pour chercher des vivrée, telle est la base de ce système. de nos jours, les retranchements de Torresvedro en Portugal, sont un puissant argument de son utilité. Toutefois, l’école en vient d’Italie; F abius et Marius, dans l’antiquité, et Prosper Colonna, dans le moyen âge, en avaient fourni des exemples.

37 Les milices Américaines faillirent compromettre la cause de leur pays, les milices françaises commencèrent par se sauver. Ainsi toutes les milices se ressemblent dans les commencements, et les nôtres auraient fini par s’aguerrir,comme celles d’Amérique, et celles de France. Cependant il fallait du temps; il fallait leur do n ner du courage dans le principe, avec des ouvrages de campagne, leur donner de l’assurance, en les plaçant derrière les parapets, enfin, les faire au feu, peu-à-peu, comme cela se pratique avec de nouvelles troupes. Ainsi le tort est absolument du côté de ceux qui voulaient les regarder comme de vie il les bandes, et adaptées à l’offensive en rase campagne.

38 Voilà à quoi conduit la délibération dans les troupes. La garde royale voulait considérer les Autrichiens comme les alliés du roi, pendant que le roi, avant de partir, avait ordonné de faire tout ce qui était nécessaire, militairement, pour soutenir ce qu’on avait commencé!

39 E n F rance, au trente Germina l, an trois, Boissy-d’Anglas et Vernier n’hésitèrent pas un instant entre leur d anger persona el et le service public. La salle des séances de la convention nationale était pleine d’assassins, la tête du vertueux F errand était au bout d’une piqué, mais Boissy-d’Anglas, qui présidait l’asse m blée, ne voulut jamais abandonner le fauteuil ni prononcer la décision qu’on voulait obtenir, et Vernier ôta sa c ravate pour présenter son cou nu au fer des assassine.

40 Il est si vrai que les Autrichiens arrêtèrent à cette époque leurs mouvemens, que les journaux de Naples en firent mention, mais en attribuant ce fait, selon leur manière illusoire de voir les choses, à des motifs qui n’existaient pas et qui ne pouvaient exister. En outre, on a su depuis que Cianciulli, en racontant à Blanco, le neuf Mare, entre Isernia et Venafro, le désastre éprouvé par le second corps à Rieti, le sept, lui dit: qu’avant cette action, “ Les Autrichiens semblaient indécis, et qu’ils n’étaient pas disposés à attaquer.” Enfin le bu lletin même des Autrichiens, date de Rieti, le huit Mar s, porte que l’ armée avait suspendu, pendant un -court espace de temps, ses mouvemens £c.

41 Les Autrichiens prétendent n’avoir jamais changé de pian, et qu’ils ont exécuté celui qu’ils avaient arrêté dès le principe, c’est-à-d ire d’attaquer par les Abruzzes. Néanmoins, il me semble qu’ils ne peuvent soutenir que leur plau fut de pénétrer dans le royaume, en hiver 9 par la gorge d’Androcco. Quand on nous ouvre une porte, il est sage, sans doute, d’en profiter. Combien de villes, par exemple, n’ont-elles pas été prises en passant par des aqueducs 1 Mais on ne pourrait conc lur e de là que Bélisaire, que le prince Eugène et autres généraux eussent conçu leurs plans primitifs sur de telles données. Cherchons donc, autant que l’on peut juger par des choses extérieures, à pénétrer quel dût être le pian du général F rimont dans cette circonstance. L’armée Autrichienne avait cinq divisions d’infanterie; Walmoden, Wied, Hesse-Hombourg, Lederer, et Stutterheim. Le vingt-quatre Février, les colonnes, qui s’étaient avancées par les trois principales routes de l’Italie, commencèrent à se réunir. Les trois divisions Wied, esse-Hombourg, et Lederer, se placèrent en échelions entre F oligno et Terni; la division Walmoden fut postée à Rieti, et celle Stutterheim de Rome à Tivoli. Une telle attitude, qui était encore la même le sept Mars, exclut absolument tout dessein sur la vallée de Pescara, car toute l’armée avait dépassée l’embranchement de F oligno, d’où part la grande chausée qui conduit dans la vallée de Pescara, et l’at t itude susdite semble éloigner la probabilité de vouloir opérer du côté de la vallée de Gaëte, car on s’était peu renforcé du côté de Rome, Elle.ne pouvait donc conduire à agir que du côté d e Tagliatolo, d’Antrodocco, ou de St. Germano. Or, on ne,devait pas présumer que l’armée ennemie voulût envahir le royaume par une des deux vallées, presque impraticables, de Tagliacozzo et d’Antrodocco. Ainsi donc, son pian était d’opérer contre St. Gerivano, en effet, la division Walmoden semblait placée à Rieti pour observer et contenir le second corps stationné dans l’Abruzze, t andis que les quatre autres divisions étaient dans la position d’opérer contre St. Germano, trois d’entr’elles étant prés de Terni, et la quatrième entre Rome et Tivoli. Or, l’ennemi aurait eu sa base d’opération sur la Via Valeria, qui est entre Rome et Arsoli. Les trois routes de F rascati, de Palestina, et de Subbiaco auraient été ses lignes naturelles d’opération, puisqu’elles traversent le Liri, à Ceprano et à Sora, d’où elles se dirigent convergentes sur la ville de. St. Germano; ce qui fournissait à l’armée Autrichienne le moyen de tomber sur le premier corps avec une masse de quatre divisions. En outre, le placement de trois divisions entre Foligno et Terni, au moyen de la route parallèle à la frontière, donnait au général Frimont la facilité de les employer aussi au besoin contre les Abruzzes, où il aurait opéré avec quatre divisions, en y comprenant celle Walmoden postée à Rieti; et alors la division Stutterheim aurait observé le premier corps. D’après ces dispositions, il me semble donc que le pian définitif de l’armée Autrichienne aurait pu être le suivant : Si la campagne eût été régulière, attaquer par St. Germano avec quatre divisions, et observer les Abruzzes avec la cinquième. Si, néanmoins, une erreur de notre part, ou une circonstance favorable se manifesta it en Abruzze, alors, en profiter, mais comme objet occasionnel. Si l’attaque eût été faite par St. Germano, l’ennemi comptait arriver de suite à Naples, et terminer ainsi la guerre par un coup de main, malgré l’existence du second corps en Abruzze, lequel eût été tenu en échec par la division Walmoden. Mais si l’attaque eût été faite par l’Abruzze, alors il comptait que les positions de Mignano seraient tournées et prises par derrière, qu’il passerait le Volturno de Isernia à Campagnano, par où il éviterait Capoue, et arriverait à Naples avant le premier corps; et que, dans cette hypothèse, il terminerait encore la guerre très-promptement..

42 Ces deux officiers, lors de l’attaque, furent toujours partout où il y avait du danger. Russo, (homme de beaucoup de mérite), arrêta l’ennemi avec le peu de moyens qui lui restaient; et Cianciulli eût un cheva l tué sous lui.

+ Trois bataillons étaient désertés le soir précédent du second corps. La même chose arriva it donc partout. Même avant les désastres, il y avait dans l’esprit des troupes de fâcheuses dispositions à déserter et à se débander. Lorsqu’il en arriva de même dans le premier corps, pourquoi donc l’a-t-on attribué à la tra h ison des généraux?

43 Dans une note précédente, nous nous en sommes rapporté à ces paroles de Cianciulli, pour prouver que les mouvemens de l’ennemi furent suspendus pendant un certain temps. peut-être attendaient-ils des propositions, ou peut-être voulaient-ils en faire eux-mêmes ; peut-être la nation eût elle obtenu des conditions avantageuses, et n’eût -elle pas du moins compromis son honneur. Combien ces dispositions de l’ennemi ne se fussent-elles pas augmentées à notre avantage, par les événemens qui survinrent peu de jours après dans la haute Italie!

+ Ceci confirme l’opinion des personnes qui pensaient que les miliciens et les légionnaires n’étaient pas propres à l’offensive : et cela, entr’autres, servir a de réponse à ceux qui soutiennent encore maintenant que les désastres des Abruzzes devaient se réparer en prenant l’ offensive du côté de St. Germano.

44 On n’avait donc pas même prévu le cas d’un revers, puisqu’on n’avait pas indiqué d’avance un point commun de réunion.

45 C’est la phrase ordinaire avec laquelle on explique de semblables événemens....

46 Voici une première preuve que la démoralisation du second corps se communiquait aux troupes qui le rejoignaient, bien l o in que son moral se relevât par l’arrivée d’autres troupes.

47 Les ordres et les mouvemens, pour lesquels il n’y a pas indication de jour, se rapportent à la dernière date indiquée.

48 Ce troisième bataillon était composé en entier de congédiés de la province de Molise, bien décidés, comme tous les autres congédiés, à déserter. Mais ils l’exécut è rent à la Taverne de Cajaniello, parce que, dans cet endroit, il y a une route qui conduit à Bojano et dans la province susdite. Nous aurons encore lieu d’observer, par la suite, que les congédiés, appartenant à une même province, restaient sous les drapeaux jusqu’à ce qu’ils arrivassent à la route de leur province; alors ils partaient tous à la foia et de vive force.

49 A Sesto, village pe u distant de Torricella, commence la route qui conduit en Abbruzze. Ainsi, d’après le pian général de désertion dont j’ai parlé, tous les Abbruzzois désertèrent à la fois de la position de Torricella.

50 Les soldats du régiment de la Reine, à cinq reprises différentes, avaient déjà fait feu sur le digue général Vollero, qui eût dû trouver plus de reconnaissance de la part d’un corps qu’il avait si bien traité pendant plusieurs années. Mais un complot général avait été préparé d’avance, et il n’y avait plus aucune considération qui pût faire épargner personne.

+ Et cependant qui le croirait? Plusieurs de ces mêmes officiers ont osé déclarer par la suite que les soldats voulaient se battre, et que les généraux les en avaient empêches.

51 C'était toujours les troisièmes bataillons qui commençaient les défections. Celui du régiment du roi, e xécuta la sienne à Isernia, ce lui du régiment de la Reine à Cajaniell o ; le troisième du régiment F arnese fit défection dans la vallée de Gaëte, et celui de Bourbon à Torricella. La raison de cette initiative est sensible: les troisièmes bataillons étant de nouvelle com position, étaient tous composés de congédiés. Ainsi, l’ esprit de ces bataillons était plus mauvais que celui des autres deux bataillons d’un même régiment, dans le s q uels il y avait plus de conscrits. Cependant, l ’esprit de ces troisièmes bataillons était encore moins mauvais que celui des miliciens; et ceux-ci n’é t aient surpassés en démoralisation que par les légionnaires. Tel le était, sous ce rapport, la gradation des quatre classes de soldats dont se composait l’armée, dans l aquelle on voit que les conscrits étaient ce qu’il y avait de moins mauvais. Il y avait à cela diverses causes: 1°. Ils n’étaient pas m ariés; 2°. Ils étaient dans l’âge convenable pour l’état militaire; 3°. En f in, ils considéraient le service militaire comme une obligation, à laquelle ils étaient soumis par la loi générale, et non comme une injustice particulière.

52 Qu’on remarque bien que les deux bataillons du régiment Farnese s’étaient entièrement débandé dans cette occasion, et qu’au bivouac de ce régiment, il ne resta pas un seul soldat. On ne doit pas oublier cette circonstance,que, par la suite, je devrai citer comme preuve.

53 La calomnie s’est aussi emparée de cette circonstance. On a prétendu que cette vigueur avait été employée pour forcer les soldats à s’en aller, comme s’ils eussent été, au contraire, décidés à rester contre notre volonté. Un de nos calomniateurs, aussi lâche qu’abs u rde, disait à Malte que l’armée Napolitaine n’avait pu se battre, puisque les généraux avaient mis les drapeaux dans leur poche, et avaient ensuite renvoyé les soldats à c o ups de bâton. Peut-on joindre plus de ridi cule à un plus h aut degré d’impudence?....

+ Il est nécessaire d’analyser les circonstances qui accompagnèrent le débandement des troupes, arrivé à Capoue dans la matinée du 18 Mars, ainsi que l’ordre que je donnai à cet égard, ordre que j’ai rapporté ci-dessus en propres termes, page 104, et qui a fourni le seul prétexte sur lequel mes détracteurs aient cru pouvoir s’appuyer. I l parait que le colonel Pepe, député au parlement, et commandant du régiment Farnese, a été le premier qui ait osé affirmer que son régiment, qui était arrivé à Capoue, le 18 au matin, fut désarmé par mon ordre, et qu’ensuite je forçai les soldats à retourner dans leurs communes. Pour apprécier à sa juste valeur une telle assertion, commençons par rappeler ce qu’était à cette époque le régiment Farnese : d’abord, le 3 éme bataillon, destiné à la garnison de Gaëte, s’était entièremen t débandé le 17. Le même jour, plusieurs voltigeurs, qui étaient à Sessa, s'étaient également débandées; et dans le même régiment, cent autres hommes, presque tous grenadiers, avaient aussi déserté. Quant aux débris de ce corps, qui montaient environ à mille hommes, ils se débandèrent totalement dans la nuit du 17 au 18 Mars, et ce fut par mes soins qu’on parvint seulement à réunir de nouveau quatre cents d’entr’eux. Or, ces quatre cents hommes, que j’avais moi-même fait recueillir avec tant d’efforts, la nuit précédente, formaient le régiment que le colonel Pepe prétend avoir été désarmé et licencié par moi! L’assertion du colonel Pepe est d’autant plus étonnante, que l’ordre en question, tel absolument que je l'ai rapporté, lui fut transmis parie digne colonel Desauget, chef d’état major de la 1 ére division, à laquelle division appartenait le régiment Farnese ; et le co l one l Desauget est, sa n s doute, prêt à déclarer quels furent les termes de cet ordre. D’ailleurs, ce qui prouve en outre que je n’avais point ordonné de renvoyer tour les soldat s restan s, à l’exceptio n de ceux de la garde, comme l'ont prétendu mes calomniateu r s, c’est que dans les autres corps, tous les soldats qui n e voulurent pas se débander de force, restèrent avec leurs armes, et entr’autres un bataillon entier du 11 é m e, ai ns i que les deux cent s étrangers du 12éme, et une grande partie du bataillon de sapeurs. Tous ces faits sont entièrement démontrés, et ils prouvent sans réplique la fausseté de l'imputation portée cantre moi. Mais qu’il me soit permis de faire maintenant quelques observat ion s sur le colonel Pepe, qui s’est permis le premier d’affirmer une telle chose. Je dois convenir qu’il jouissait de la réputation méritée d’un bon militaire et d’un parfait honnête homme ; mais depuis un accident que je vai s expliquer, chacun s’accordait à le regarder comme atteint souvent d’une aliénation mentale. Le 25 Avril, 1815, ce colonel, commandant l’arriéré garde de ma division, qui marchait de Gradare à Pescara ne fit pas bien éclairer le débouché d’Urbino, en sorte qu’il fut surpris par une charge de hussards, et reçut une blessure à la tête, à laquelle on a attribue les fréquens désordres d’idées, qu’on a remarquées en lui depuis cette époque. Il m a avoué à moi-même qu’en été, il avait besoin de mettre autour de sa tête un mouchoir mouillé, pour remmener l’ordre dans ses pensées, Le général Ambrosio m’a raconté qu’ayant un jour donné au dit colonel Pepe un ordre pour son régiment, et lui en ayant recommandé l’exécution, le colonel lui répondit: “Je saie commen t m’y prendre; j’ en parlerai à mon tambour-major” Le général lui ayant témoigné sa surprise, le colonel répliqua que c’était le moyen le plus s u r de réussir, puisque le tambour-major était chef de vente du régiment. Enfin, le colonel Pepe est le même qui attaqua violemment la sage convention passée entre le général Florestan Pepe et les Palermitains; ce fut encore lui qui attaqua d’une manière furibonde, et qui foula aux pieds le message salutaire du 7 Septembre. Il fut de plus un de ceux qui appuyèrent la mise en accusation des ministres à cette occasion, pour une simple communication obligée de leur part. Voilà de nouvelles preuves que les soldats voulaient se battre et que les généraux les en empêchèrent !...

54 Dans l’observateur Autrichien du moie de Février,’ on avait écrit: Le général Carrascosa favori s a ceux de Monteforte pour déloger Nugent et se fra y er ainsi la route au ministère.

55 On ne peut pa s même réduire contre mai les imputations à celle d’avoir osé de faiblesse pendant mon commandement. Car, outre que je sollicitai moi-même la loi dont il s’agit, je mis la plus grande rigueur à la faire exécuter lorsqu’elle fut rendue. Ce fut par mes soins qu’on fit un grand nombre d’arrestations. La loi ne me parvint que le quatorze Mare, et déjà le seize, onze déserteurs avaient été condamnés à mort. Ils éta i ent sur le point d’être exécutés lor s qu' ils furent délivrés p a r un c omplot des soldat s . (Pièce 69 )

56 L’impression de ces Mémoires n’était pas terminée, lorsque j’ai enfin appris que est le point principal de toutes les imputations dirigées contre moi. Je me félicite de pouvoir encore insérer ici une explication, pour démentir une autre calomnie, sur laquelle mes détracteurs semblent com pt er beaucoup. Voici le fait dans toute son intégrité: Le 13 ou 14 Mars, le lieutenan t- géneral, prince de Strongoli, vint à mon q u artier-général à la Taverna di Cajaniello, et me dit que, tandis que les Autrichiens étaient sur le point de nous attaquer d’un côté, l’on avait découvert divers mouvemens tumultueux et anarchiques dans les deux provinces de Salerne et d’Ave ll ino. Il ajouta qu’il croyait convenable que les généraux de l’armée fissent une proclamation, par laquelle ils déclareraient que l’armée, qui s’apprêtait à combattre les Autri chiens, prendrait aussi sur elle de réprimer les anarchistes et les mauvais sujets. L’idée me sembla bonne et favorable au bon ordre, mais je répondis au prince que je consulterais là-dessus mes collègues. J’écrivis en conséquence aux généraux Ambrosio et F ila n gieri, en demandant leur opinion. Le général Ambrosio me répondit qu’il croyait cette proclamation utile; mais, quant au général Filangieri, il me répondit que nous devions bien nous garder de nous mêler de semblables objets, que cela nous exposerait à être cal o mniés, malgré les in ten tions les plus pures. Je restai en ti èrement con vaincu de la solidité du motif du général Filangieri, et ft né fut plus question de cette affaire. Toutefois, il parait qu’u n e copie de fa lettre, écrite a u général Ambrosio, étant bombée entre les main s de j e ne sais qui, l’on à donn é, co mme un ordre du jour de mo i à l’ armée, ce qui n’était qu’u n e correspondance privée pour demander un avis sur un simple proje t. Dans tous les cas, il s’agiss a it d’une proclama tion qu’en aurait fait insérer dans les j ournau x, et n on d’ un ordre du jour pour l’armée, qui n’avait rien de comm un avec les troubles des deux provinces en question. Plusieurs amis, à qui ma loyauté est connue, ayant plusieurs fois pris ma défense dans des conversations,on leur avait toujours répondu qu’il existait un ordr e d u jour, qui dévoilait incontestablement mes mauvaises intent ions. Or, tontes les fois qu’on me rapporta it cola, je cr o yais toujours qu’on entendait parler de l’ordre que l e d o nnai à Capoue, le 18 Mars, pour f ai re laisser leu rs armes aux soldats qui voulaient se débander par force. V oilà pourquoi j’ai, dans la troisième partie de ces mémoires, donné tant de développement aux circonstances qui se r apportent à cet acte. Enfin, je s u is parvenu à s a voir au juste qu’on vo ul ait parler de c et autre prétendu ordre du jour, sur lequel je croi s avoir donné dans cotte note une pleine justification. Je n e me dissimule point cependant que ce la n e fera point encore taire ceux qui veulent à toute force que je soi s coupable. Lorsque ce prétexte aura été écarté, l’on en trouver un autre. Ce ci ne res s emblerait-if point, par aventure, à la fab l e du loup et de l’ag n eau?

57 Ce dernier argument, qui ne s’était point offert à mon esprit, m’a été suggéré par la lecture du Mémoi r e manuscrit, dont j’ai parié à la préface.

58 Le parlement manqua tout-à-fait sa mission; il devait corriger de fait l’adoption erronée d’un statut non convenable au royaume de Naples. Il devait, à l intérieur, s’occuper des grands objets d’organisation et de réforme des abus; il devait, à l’extérieur, tout faire pour éviter la guerre. En deux mot s, il n’agit point comme le corps représentatif d’une nation qui veut être libre, mais seulement comme l ’agent aveugle d’une faction insensée.

59 Voici une preuve de ce que je vien s de dire: M. Castello Branco, Député des Cortès Portugaises, dans l a séance du vingt-un Novembre 1821, pour soutenir son opinion qu’en cas de guerre, les Cortes, et non le Roi, devaient nommer le commandant en chef de l’armée, allégua l’exemple de Naples; or, je pense que ce ne peuvent être que des émigrés Napolitains, qui ont ainsi répandu à l’étranger que la défense de la patrie n’avait manqué que par la faute du commandant en chef.

60 J’avais aussi compris son fière dans la réforme de soixante-dix sept officiers, qui avaient pris du service avec les révoltés de P alerme .

61 Voyez le Constitutionnel Français d u onze Décembre 1821, num éro trois cent quarante-cinq, où l’on rapport e le fait, sous la date de Naples, le vingt-trois Novembre.de la même année.

62 On avait mis le capitaine-général dans un; grand embarras. On lui avait ordonné de la part du roi, qu e dans aucun cas il ne laissât m oins de cinq mille hommes à Naples; et cependant on vo u lait attaquer du côté de Solofra et du côté de Monteforte! J’eus par la suite occasion d’observer la dépêche originale qui contenait cet ordre inopportun et de pusillanimité. Quanti la sûreté du roi, s’il le fallait, il pouvait la trouver ou dans le Chàteau-Neuf ou sur la mer, sans empêcher l’emploi de la force sur le point où il s’agissait du sort de la monarchie et de celui de la nation...

63 Ce fut par erreur que j’i n diquai Pomigliano au lieu d’écrire M arigliano. Toute fois, je n’ai pas voulu rien altérer à l’identité des documens.

+ N.B. Le major La Rocca était adjoint au général Campana, et il me donna connaissance qu’on avait décidé d’attaquer du côté de Solofra, pendant que de mon côté on resterait sur la défensive. Pour faciliter les moyens de réussite je conseillai de renforcer le dit g énéral de tout le disponible, la troupe que j’avais tant suffisante pour l’objet de ma destination.

64 Fatale absence!....Si le conte Nugent eut été à Naples, il serait intervenu certainement dans le conseil qui eut lieu la nuit du cinq au six Juillet, et sûrement il aurait obtenu qu’on retardât toute décision, au moins jusqu’au jour suivant, pour voir quel résultat auraient eu les moyens que nous avions concertés ensemble. Ou bien, si le conseil eût seulement attend s le retour du général Nugent avant de rien statuer, ce général aurait pu, à son arrivée, suggérer au roi des idées salutaires sur le pas auquel il allait se décider; et dans tous les cas, on nous aurait accordé la constitution de France ou d’Angleterre, ce qui nous aurait préservé d’adopter ensuite par force la constitution d'Espagne, et nous ne serions tombés dans l’anarchie.

65 J’ai suppri m é tous les sarcasmes et phrases indécentes, dont l ’auteur avait accompagné cette narrative.

66 Titre d’un journal qui s’im pr imait à Naples dans le temps de la constitution.

67 On entend parler ici de trois heures, en comptant à la manière Italienne.

68 Je dois taire observer généralement que, pour me conformer à la procédure, j’ai toujours indiqué les heures selon la mode Italienne, et 24 heures sont la fin de la journée, au coucher du soleil.

69 Déposition de Nicolas Antonucci, greffier de la commune de Nola, commune par laquelle la troupe ne passe pas.

+ Déposition de François Gesualdi, syndic de Cimitile.

70 Je sais que l’offre prétendue de Lombardo est attestée par la déposition d’un très-vénérable prélat, qui était alors à Nola; d’où l’on prétendra qu’entre deu x occasions où Lombardo eût la possibilité physique de me faire cette offre, ce fut la seconde qu’il choisit, c’est-à-dire, lorsque revenant de Naples, il me rejoignit à Nola, et non le jour précédent, lorsqu’il m’avait rencontré près de Cimitile. Mais cette première fois il eût été plus probable qu’il me l’eût faite, si toutefois j’eusse eu quelques troupes à ma disposition, parce que venant alors d’auprès des révoltés, il aurait pu observer des circonstances favorables qui eussent pu lui faire naître cette idée; mais à Nola, il était absolument sans aucunes do n nées, pour pouvoir hasarder une telle demande. Cependant, me dirait-on, un évêque l’affirme. Cela prouve seulement que dans les choses profanes, les hommes le s plus saints peuvent facilement errer. D’ailleurs, je possède u n e autre preuve irréfragable. (que je suis prêt à fournir sur toute réquisition légale, d’ o ù il résulte que monsieur l’Évêque s ’est trompé, et qu'il n'a jamais entendu faire la prétendue demandât du major Lombardo.

71 Voici les termes consacrés dans la sentence de la première chambre: on a de nouveau fait appeler dans la chambre du conseil le procureur-général royal Monsieur Calenda, pour examiner l’accusation en sa présence. On a discuté les preuves à charge de tous les accusés, Lorsqu’on est arrivé à celles qui regardent François Lombardo, Joseph Menzone, Joachim Villaran et Jea n Bocchini, il a requis que ces quatre individua soient mis en liberté, si la grande cour le juge convenable, attendu que de la discussion des susdites preu v es il est résulté 3u’il n’y avait pas de charges suffisantes pour les tra d uire en jugement.”

72 Enfin, en Octobre 1822, j’ai reçu à Londres l’extrait de tout ce qu’on avance à ma charge dans les sept volumes de procédure, rédigés contre les révolutionnaires de Monteforte. Outre les trois chefs que j’ai complément réfutés dans cette lettre, je ne trouve rien 3ui soit digne d’être remarqué, si ce n’est la déposition e M. Vial lieutenant colonel d’état-major, que je rapporterai en substance pour en démontrer le peu de fondement. Feuillet 1 86 du procès, le dit lieutenant c olo nel rap p orte entr’autres, que, dans la matinée du cinq Juillet, ni et le capitaine-général se rendirent à Schiava; que le capitaine-général resta environ deux heures avec moi, en attendan t le retour du major Lombardo, envoyé comme parlementaire aux rebelles. Je n’envoyai le major Lombardo qu’une seule fois pour s’aboucher avec les rebelles, et ce fut la matinée suivante, lorsque je le chargeai de leur co mmuniquer les actes du roi qui accordaient la constitution. Je dois rappeler q ue, dans l a matinée du cinq, le major Lombardo était atten d u, m on de Monteforte, mais de Naples avec une réponse du ministre Medici, auprès de qui je l’avais envoyé la veille au soir,quand le capitaine-gé n éral était avec moi, ce qui me mit dans le cas de lui communiquer cette réponse. Cette réponse décida le capitaine-général à partir de suite pour Naples, afin de solliciter la remise de plusieurs passeports et d’une certa in e somme, ce qui était une des conditions de nos arrangemens avec les chefs des insurgés pour leur faire abandonner leur entreprise. M. le lieutenant-colonel Vial ajoute, dans sa déposition, que, dans la susdite matinée du cinq, s’entretenant à Schiava avec les officiers du cinquième bataillon de chasseurs-bersaglier s, et avec le lieutenant-colonel commandant ce corps, il apprit que le capita in e Maddalena avait été aussi envoyé par le général à Monteforte comme parlementaire. Ce fait est faux. J’ignore si ce capitaine a été ce jour-là dans cette direction, mais si cela était arrivé, ce serait tout-à-fait sans aucune disposition de ma part. En un mot, tant que j’ai été en att itu de hostile, je n’ai jamais envoyé que le juge Bianchi pour parlementer avec les rebelles, auprès desquels il s’est rendu trois fois. Du reste, il est bien facile d’interroger Lombardo, le capitaine Maddalena, et le lieutenant-colonel Guarini, sur ces prétendues commissions que j’aurais données, et qui ne sont que de pures suppositions.

73 Monsieur le procureur-général Calenda a mis en accusation soixante-six individu s présents, et quarante-quatre absens. Sur ce nombre il y en a vingt-quatre qui sont poursuivis arbitrairement comme nous l’expliquerons tout-à-l’heure. Ces vingt-quatre personnes sont: Six adjudans sous-officiers. Sept sergents-majors. Neuf bourgeois natifs de Nola. Un. Le major Lombardo. Un. Le général Carrascosa. Quant aux vingt-deux première, ils ont été compris dans le procès, contre la teneur même du décret royal qui n’a donne à la grande cour criminelle une délégation spéciale que pour procéder contre les officiers qui avaient été à Monteforte. Aucun de ces individua n’avait cette qualité. Mais enfin, ils avaient été à Monteforte; et quoique, dans les a ff aires criminelles, on doive restreindre plutôt qu’étendre tout ce qui est de rigueur, Monsieur Calenda pourrait peut-être alléguer un oubli de cette circonstance qu’ils n’étaient pas officiers, et s’excuser de son excès de zèle sur la circonstance, que ces vingt-deux individus avaient en effet été à Monteforte. Mais pour les deux derniers, le major Lombardo et moi, à quel titre nous a-t-il mis en accusation? il n’y a pas même de prétexte plausible à notre égard, et toutes les réglés d’attribution ont été violées. Ces réflexions tendraient à accréditer le bruit (calomnieux sans doute) que l’acte d’accusation a été rédigé dans le cabinet d’un éminent personnage qui avait des instructions sur cela. Si l’on pouvait seulement soupçonner une telle chose, il faudrait plaindre l’aveuglement des hommes, qui ne profitent jamais des leçons de l’expérience. Les fins tragiques de Vanni et de Speciale sont pourtant bien récentes; et il est possible que la justice divine en réserve une semblable aux ministres iniques, et aux vils agens secondaires qui ont trempé dans un trame si infâme.



















Nicola Zitara mi chiese diverse volte di cercare un testo di Samir Amin in cui is parlava di lui - l'ho sempre cercato ma non non sono mai riuscito a trovarlo in rete. Poi un giorno, per caso, mi imbattei in questo documento della https://www.persee.fr/ e mi resi conto che era sicuramente quello che mi era stato chiesto. Peccato, Nicola ne sarebbe stato molto felice. Lo passai ad alcuni amici, ora metto il link permanente sulle pagine del sito eleaml.org - Buona lettura!

Le développement inégal et la question nationale (Samir Amin)










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