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ANNUAIRE
DES
DEUX MONDES
HISTOIRE G�N�RALE DES DIVERS �TATS
XI
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1861
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PARIS
BUREAU DE LA REVUE DES DEUX MONDES
RUE SAINT-BENOIT, 20

1� Novembre 1862.

II. — AFFAIRES DE NAPLES ET DE SICILE.

Situation � Naples au commencement de l'ann�e 1881. — Derniers actes de M. Farini. — Lieutenance du prince de Carignan. — Influence de M. Liborio Romano. — Suppression des pleins pouvoirs et retraite de M. Liborio Romano. — D�crets eccl�siastiques de M. Mancini.

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— Popularit� persistante de Garibaldi. — Commencements du brigandage. — Capitulation de Civitella del Tronto (20 mars). — Suppression du conseil de lieutenance (1" avril). —Manifestations contre M. Spaventa. — Retraite du prince do Carignan et lieutenance de M. de San-Martino (20 mai). — Son syst�me. — Progr�s du brigandage. — Lieutenance du g�n�rai Cialdini, sa politique, son succ�s � Naples. — R�pression du brigandage dans les provinces.

— M�sintelligence entre Cialdini et le minist�re. — Exp�dition de Borges (14 septembre), son insucc�s et sa mort. — F�tes � Naples (7 et 8 septembre). — Suppression de la lieutenance et retraite du g�n�ral Cialdini (fin octobre). — Le g�n�ral de La Marmora pr�fet de Naples. — Situation des provinces napolitaines. Lieutenance de M. de Montezemolo en Sicile.

— Troubles caus�s par MM. La Farina et Cordova. — Leur retraite. — Nouveau conseil de lieutenance. — Si�ge et prise de la citadelle de Messine (10 mars). — Lieutenance du g�n�ral della Rovere (avril). — Lieutenance du g�n�ral de Pettinengo (17 septembre).

— Suppression de la lieutenance.


Au commencement de l'ann�e 1861 (1), M. Farini, malade, avait �t� remplac� dans le gouvernement de Sicile par le prince de Carignan, assist� de M. Constantin Nigra comme ministre responsable (12 janvier). A cette �poque, la situation �tait m�diocrement satisfaisante: si la tranquillit� mat�rielle n'�tait pas troubl�e, des cris de �vive Fran�ois II�, retentissant de temps � autre dans la ville, y r�v�laient une certaine effervescence; il fallut m�me arr�ter plusieurs g�n�raux bourboniens soup�onn�s de conspiration. Dans le nombre, le g�n�ral Liguori avait spontan�ment adh�r� � la r�volution; les autres, Marra, Polizzi, Palmieri, Barbalonga, �taient r�cemment revenus de Ga�te, et chez le dernier on trouva 300,000 ducats. Il se commettait aussi quelques assassinats ou tentatives d'assassinat contre des sentinelles et des particuliers; mais les �trangers qui habitent le pays disaient hautement que ces crimes n'�taient pas plus nombreux que sous la domination des Bourbons.

Dans les provinces commen�ait d�j� l'agitation qui devait conduire au brigandage. A San-Severo, en Capitanate, la pl�be ameut�e avait massacr� � coups de hache un jeune patriote qui cherchait � l'apaiser. Des colonnes mobiles avaient d�j� eu quelques engagements, surtout dans les Abruzzes, o� le comte de Trapani, �tabli � Frosinone, envoyait les soldats qu'on ne pouvait plus garder � Ga�te. Le point central des rassembleraens �tait � Civitella del Tronto,


(1) Voyez l'Annuaire pour 1860-61, pages 205 et 208.


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place forte qui s'�l�ve sur un rocher inexpugnable, entre Ascoli et Teramo. Vers la fin du si�cle dernier, le capitaine Walden y tint neuf mois, avec trente hommes, contre les Fran�ais. Au mois de janvier 1861, un certain Giovine occupait ce pays avec 200 carabiniers; Fran�ois II se h�ta de lui envoyer le brevet de g�n�ral. De Ga�te � Terracine, on faisait un grand trafic d'armes; le g�n�ral de Goyon, averti par le comit� national de Rome, en saisit plusieurs caisses sur le canal qui rassemble les eaux �coul�es des Marais-Pontins. On pensait toutefois que ces mouvements, qui semblaient des pr�ludes de guerre civile, cesseraient comme par enchantement d�s que Ga�te serait tomb�e aux mains des Italiens.

Ces difficult�s naissantes n'avaient donc pas �t� pour le gouvernement de M. Farini un obstacle � une bonne administration; mais cet homme d'�tat, capable de donner l'impulsion politique dans un moment de crise, n'�tait point un administrateur, et il s'�tait senti d�courag�, comme il le disait lui-m�me, en voyant que tout �tait � faire. Les Napolitains virent partir M. Farini sans regret; mais la nomination de son successeur ou plut�t de ses successeurs ne paraissait pas de nature � les satisfaire davantage. S'il leur �tait agr�able qu'un prince du sang v�nt leur donner un semblant de cour et peut-�tre quelques f�tes, ils ne savaient trop quel fondement faire sur le jeune diplomate qui l'accompagnait comme ministre. L'accueil fait au prince et � M. Nigra fut donc assez r�serv�, on attendait leurs actes. Le conseil de lieutenance, ayant donn� sa d�mission, fut inutilement pri� de la reprendre, et M. Nigra dut en composer un nouveau. Conform�ment aux instructions peut-�tre peu r�fl�chies de M. de Cavour, il dut suivre les indications de M. Poerio, qui, ne voulant pour lui-m�me aucun emploi, paraissait propre � donner de bons avis. M. Poerio conseilla de s'adresser � M. Liborio Romano, qui, huit fois �lu, semblait �tre le personnage le plus populaire des provinces napolitaines. On peut douter que le choix f�t bon; mais ce qui l'excuse, c'est que, m�me � distance et apr�s un an d'intervalle, on ne voit pas bien nettement de quelle mani�re on eut pu faire mieux. M. Liborio Romano re�ut ou prit le dicast�re de l'int�rieur et de l'agriculture, et devint un v�ritable chef de cabinet, qui faisait de M. Nigra, ministre responsable, un rouage inutile dont on ne pouvait plus bien d�finir les attributions. Les autres conseillers de lieutenance furent: � la police, M. Spaventa, le seul rest� en place de l'ancien conseil, n�cessaire peut-�tre parce qu'il tenait les fils des conspirations bourboniennes, mais d�j� tr�s impopulaire pour avoir refus� � la garde nationale l'usage du b�ton ferr� et du pistolet de poche; — aux affaires eccl�siastiques, M. Mancini, qui d�plaisait � cause de son long s�jour � Turin:


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 — aux finances, M. La Terza, magistrat avant 1820, qu'on ne tira de la retraite, o� il aurait d� finir ses jours, que parce que les deux financiers du pays, M. M. Manna et Ruggiero, refus�rent d'entrer dans le conseil; — � l'instruction publique, M. Imbriani, beau-fr�re de M. Poerio; — aux travaux publics, M. Oberty, d'origine fran�aise, administrateur inconnu; — � la justice, M. Avossa, avocat distingu� de Salerne. Ce cabinet, car c'en �tait un, donna lieu aux Napolitains de se plaindre de ce que tous les emplois, toutes les faveurs �taient pour ce qu'ils appelaient la consorteria, c'est-�-dire la coterie des anciens exil�s, ayant contract� � Turin des id�es, des habitudes pi�montaises, qu'ils voulaient imposer � Naples.

Quelques d�crets r�parateurs furent les premi�res marques d'activit� que donna le gouvernement reconstitu�: les militaires que les Bourbons avaient cass�s furent r�tablis dans leurs grades; ceux qui �taient en retraite conserv�rent leurs pensions ou les recouvr�rent, ainsi que les veuves et les orphelins des soldats morts en disgr�ce pour motifs politiques. M. Liborio Romano favorisa la cr�ation des gardes nationales dans les provinces. Il �tait et surtout voulait �tre, comme on dit, la cheville ouvri�re; il provoquait des souscriptions pour donner du pain et de l'huile au peuple: si l'argent ne venait pas, le peuple oisif ne savait pas moins gr� au ministre qui avait pris l'initiative de ces largesses. La bourgeoisie timor�e le soutenait aussi, de m�me que la garde nationale, dont les officiers signaient une lettre pour marquer leur confiance en sa personne. Liborio-Fouch�, comme l'appelaient ses ennemis, courtisait cette popularit�, dont il comptait se servir pour remplacer ou du moins pour annuler compl�tement M. Nigra; il faisait du gouvernement une question de personnes, nommait une foule de cr�atures � des emplois fictifs, qui n'avaient de r�el que les �moluments. Le prince de Carignan et M. de Cavour sentaient bien que le gouvernement allait mal entre les mains d'un homme si l�ger, si mobile; mais on manquait d'une occasion pour le r�duire. Cette occasion fut donn�e par la prise de Ga�te. Plus fort d�sormais, M. de Cavour fit rendre au roi un d�cret (l� f�vrier) qui supprimait les pleins pouvoirs � Naples. Les ouvriers qui soutenaient don Liborio s'�tant mutin�s dans le port sous pr�texte de demander une diminution de travail, on les soumit par la force. Don Liborio, piqu� de ne plus voir chaque jour son nom au bas des journaux, publia, en les signant, les lois du nord sur la garde nationale; mais en m�me temps, par une singuli�re bizarrerie, il adressait au prince de Carignan un rapport dans lequel il lui disait qu'il �tait bon de publier ces lois et d'en suspendre l'ex�cution. Il aimait ces atermoiements: il avait renvoy� encore les �lections municipales et provinciales,


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que son pr�d�cesseur, M. d'Afflitto, avait fix�es � huit mois. D�s ce moment, l'�l�ment napolitain pur, repr�sent� par M. Liborio Romano, commen�ait toutefois � s'effacer devant l'�l�ment italien. Ce remuant et versatile personnage ne pouvait plus rester longtemps en place. Le 12 mars, il donna sa d�mission en adressant au prince de Carignan une lettre qui exag�rait les difficult�s du pouvoir, et ne pouvait que contribuer � en rendre l'exercice presque impossible; en m�me temps il faisait placarder, suivant un usage napolitain, de petits papiers au coin des rues, pour annoncer au peuple sa d�mission et accuser ses coll�gues. C'�tait couronner par une derni�re ind�licatesse une carri�re bien courte sans doute, mais o� l'on avait beaucoup de traits de ce genre � signaler.

La suppression des pleins pouvoirs avait donn� � M. Mancini, conseiller pour les affaires eccl�siastiques, l'id�e hardie de mettre en vigueur dans les provinces napolitaines, avant m�me qu'elle f�t promulgu�e, la loi sur les couvents, qui avait soulev� tant d'orages dans le nord. Abolir le concordat de 1818, qui mettait les Deux-Siciles � la merci du clerg� et de Rome, proclamer la libert� et l'�galit� des cultes, supprimer les privil�ges eccl�siastiques, �tablir l'appel comme d'abus, imposer aux pr�tres comme aux autres fonctionnaires l'obligation de rendre leurs comptes et leur enlever l'administration des biens des �v�ch�s et b�n�fices vacants pour la donner, comme en Pi�mont, aux �conomes dioc�sains, supprimer, � l'extinction du dernier survivant, tous les couvents autres que ceux qui ont une utilit� sociale, cr�er une caisse eccl�siastique pour acquitter les charges impos�es par les fondateurs et payer des pensions aux religieux des maisons supprim�es, sauf � r�partir l'exc�dant entre les cur�s pauvres et l'instruction populaire, ne plus charger exclusivement les �voques de l'administration des œuvres pies, — c'�taient l� sans doute d'excellentes mesures: mais on pouvait se demander s'il �tait fort � propos d'irriter le clerg� dans un pays en r�volution, o� il �tait tout-puissant, et de cr�er ainsi de nouveaux embarras au gouvernement central, alors que, par la suppression des pleins pouvoirs, il allait s'occuper plus activement de l'administration des provinces napolitaines. Il est certain que M. de Cavour fut tr�s m�content des actes de M. Mancini, mais son m�contentement n'alla pas jusqu'� rapporter des mesures d�j� prises, et qu'approuvait une partie de la population. On ne revint pas non plus sur l'adoption du code p�nal sarde, qui devait �tre mis en vigueur le 1er juillet, quoique le code napolitain f�t pr�f�rable et que ce changement e�t froiss� profond�ment les avocats des provinces m�ridionales. L'irritation �tait bien plus vive encore dans l'�piscopat:


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trente-quatre �voques abandonn�rent leur si�ge; on citait comme des exceptions le cardinal de Capoue, qui autorisait le Te Deum pour la prise de Ga�te, et l'�v�que de Boiano, qui mena�ait des peines les plus s�v�res, m�me de la privation de leurs traitements, ceux de ses cur�s qui feraient opposition aux autorit�s constitu�es.

Au reste, si le conseil de lieutenance � Naples commettait des fautes, le gouvernement central � Turin n'�tait pas plus impeccable. On lui reprochait surtout de nommer pour les provinces napolitaines des gouverneurs et des sous-gouverneurs qui ne faisaient qu'appara�tre et dispara�tre. En deux mois, un gouverneur allait de Teramo � Potenza, puis � Bari, puis � Cosenza, et seulement alors on le destituait pour incapacit� ou sous pr�texte de dissidences politiques. Les m�contentements populaires n'allaient, � vrai dire, jamais jusqu'� d�tacher les Napolitains de la cause nationale: ils l'aimaient, ils lui �taient d�vou�s, sauf � la personnifier dans Garibaldi. Cialdini avait-il pris Ga�te, on criait dans les rues de Naples vive Garibaldi! Quand venait la f�te de saint Joseph, dont le h�ros porte le nom, on s'emparait d'une ch�sse dans une �glise, on y pla�ait une figurine en veste rouge et on la promenait triomphalement dans toute la ville, avec le concours de la garde nationale, et c'�tait encore l'unit� italienne qu'on acclamait indirectement dans cette manifestation excentrique. Parmi les meneurs de ces manifestations, on rencontrait, il faut le dire, de faux patriotes, de faux garibaldiens, soldats bourboniens qui avaient re�u, en vertu de la capitulation de Ga�te, un mois de solde, un cong�, et s'�taient rendus � Naples, o�, faute d'argent, ils mendiaient et provoquaient des d�sordres, en attendant que la r�pression et la faim les jetassent dans les bois, au milieu des brigands. Toutefois 28,000 soldats napolitains avaient honorablement refus� le cong� qui leur �tait offert et s'�taient empress�s de prendre du service dans l'arm�e italienne. On les envoyait aussit�t dans le nord, car on n'aurait os� les mettre � une �preuve difficile en les faisant coop�rer � la r�pression du brigandage.

D�j� depuis la fin de janvier on entendait parler d'un sergent, connu exclusivement sous son surnom de Chiavone, et qui se donnait pour g�n�ral de sa majest� le roi des Deux-Siciles. Il exer�ait le brigandage, ou, si l'on veut, il faisait la guerre de partisans sur la fronti�re pontificale, ce qui lui permettait de se mettre � l'abri d�s qu'il �tait poursuivi. Le saint-si�ge commen�ait � tol�rer, � favoriser m�me les enr�lements, et les couvents, notamment ceux de Tripulti, de Veroli, de Gasamora, donnaient asile aux bandits ou partisans, et r�unissaient des armes, des munitions, des v�tements. Saccager les villages et fuir devant la troupe au lieu de la combattre,


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telle �tait la tactique invariable de ces hommes qui m�ritent bien d�s lors le nom de brigands dont l'indignation publique les a fl�tris. S'il y eut quelques rencontres, � Tagliacozzo par exemple, ce fut lorsque les soldats italiens se trouv�rent en nombre si inf�rieur que leurs adversaires n'avaient rien � craindre. Ce qui favorisait le brigandage, c'est que le gouvernement de Fran�ois II avait diss�min� dans les provinces de l'artillerie, des armes, des munitions, des chevaux; or la marche de Garibaldi avait �t� si rapide qu'on n'avait pu sauver ce mat�riel et qu'il �tait rest� � la merci de ceux qui voulaient s'en servir. Il faut ajouter que, jusqu'� la prise de Ga�te, des barques, se risquant le long de la c�te, maintenaient les communications entre cette place et Rome; depuis, sur toute la fronti�re, des hommes passionn�s, Mgr Montieri, un certain M. de Christen, organisaient les bandes et les dirigeaient sur Sora, sur Avezzano, etc. Le g�n�ral Pinelli �tait, de ce c�t�-l�, charg� de la r�pression, et l'on n'aurait pu trouver un officier plus �nergique; mais il avait le tort de ne mettre aucune diplomatie dans ses proclamations: la vigueur exag�r�e qu'il y d�ployait et le langage r�volutionnaire dont elles portaient l'empreinte le firent accuser de s�v�rit�s excessives dont il n'�tait coupable qu'en paroles, et le gouvernement italien dut le mettre en disponibilit�.

Un succ�s qui s'�tait fait longtemps attendre rendit la r�pression moins difficile. Le commandant de la citadelle de Civitella del Tronto et la garnison r�guli�re avaient fait leur soumission � Victor-Emmanuel; mais il �tait rest� derri�re les murs de la forteresse 300 hommes command�s par un dominicain qui, malgr� une lettre de Fran�ois II, envoy�e l�, comme � Messine, sur les instances de la France, avaient continu� la r�sistance: le 20 mars, ils durent enfin se rendre � discr�tion au g�n�ral Mezzacapo.

Tandis que le brigandage se d�veloppait dans les provinces d'Avellino, de Chieti, de Cosenza, et m�me dans celles de Teramo, de Lecce, de la Capitanate, � Naples le langage des journaux de l'opposition avanc�e et de ceux de la r�action, tous parfaitement libres, portait l'inqui�tude dans les esprits en pr�sentant les ministres comme les vrais ennemis du pays, et, ainsi que disait une de ces feuilles, comme les vrais brigands. Le prince Mur�t venait m�me ajouter � la confusion en adressant le 27 mars � un de ses amis (le duc d'Ascoli) une lettre par laquelle, admettant tout ce qu'on disait de plus exag�r� sur la situation du royaume de Naples, il posait sa candidature au tr�ne par l'�lection populaire; il promettait de gouverner avec un parlement, d'entrer dans une conf�d�ration italienne, et de ne pas se laisser entra�ner �� des entreprises s�duisantes, mais d�sastreuses.� Il entendait par l� sans doute la guerre avec l'Autriche,


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et faisait ainsi des avances � l'aversion pr�sum�e des Napolitains pour toute lointaine exp�dition. A vrai dire cependant, le prince Mur�t n'attirait gu�re dans son parti que des bourboniens qui, cherchant � cacher leur jeu, esp�raient sous ce drapeau mieux servir la cause de l'ancienne dynastie.

L'accusation que M. Liborio Romano avait port�e, en se retirant du pouvoir, contre ses coll�gues du conseil de lieutenance avait d�termin� ceux-ci � donner leur d�mission: le gouvernement profita de l'occasion pour r�duire le nombre des conseillers, et, attendu qu'il n'y avait plus de pleins pouvoirs, pour leur donner un autre nom (1er avril). Ils ne furent plus d�sormais que quatre avec le titre de secr�taires-g�n�raux. M. Spaventa resta charg� de l'int�rieur et de la police, M. Mancini des affaires eccl�siastiques, auxquelles il joignit la justice; M. Imbriani garda l'instruction publique, l'agriculture et le commerce. Ils �taient les membres les plus influents de l'ancien conseil de lieutenance et les plus oppos�s � M. Liborio Romano. Aux finances et aux travaux publics, on appela M. Sacchi, Pi�montais qui avait fait ses preuves de capacit� dans l'�le de Sardaigne, mais dont les partisans de l'autonomie administrative se d�fiaient � cause de son origine. On devait plus tard lui rendre justice. Moins heureux, M. Spaventa, en refusant de se servir, comme ses pr�d�cesseurs, des camorristcs, association de malfaiteurs, d'exacteurs de bas �tage, pour faire la police, les avait tous anim�s contre lui, et sa vigilance � poursuivre les conspirations ajoutait encore au nombre de ses ennemis. Il d�couvrait les d�p�ts d'armes, de poudre, d'habits militaires; il arr�tait les soldats d�band�s qui arrivaient par le chemin de fer pour prendre part �, un mouvement pr�par�; il mettait sous les verrous le pr�tre Luciani, organisateur de ce complot, et le duc de Cajaniello, accus� de complicit�. Il devinait sous l'uniforme de la garde nationale les ouvriers en gr�ve, les malfaiteurs qui pillaient les charbons, d�valisaient les Anglais et s'effor�aient de brouiller le gouvernement et l'arm�e avec les soldats citoyens. Pour pr�venir tout d�sordre, M. Spaventa invita ceux ci � ne rev�tir l'uniforme que lorsqu'ils seraient de service. Ce simple avis fut le pr�texte d'une manifestation mena�ante; une trentaine de perturbateurs en uniforme et m�l�s � des voleurs all�rent piller la maison de M. Spaventa, et l'eussent mis lui-m�me � mort, s'il n'e�t trouv� moyen de s'�chapper. Le secr�taire des finances, M. Sacchi, fut �galement menac�; mais cette manifestation f�cheuse donna occasion au prince de Carignan de faire acte de fermet� en maintenant � leur poste ces deux fonctionnaires malgr� les demandes r�it�r�es de la multitude.

Le prince ne pouvait abandonner plus dignement le pouvoir.


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Rebut� par une t�che ingrate, aim� pour ses bienfaits, mais n�anmoins peu populaire, parce qu'il ne se montrait pas, parce qu'il avait des habitudes modestes, il profita de l'occasion d'un d�cret qui r�duisait encore les pouvoirs du lieutenant du roi � Naples (5 mai) pour demander son remplacement. M. de Cavour ne pouvait le refuser; il fut charm� d'ailleurs de rendre M. Nigra � la diplomatie et d'essayer un nouveau lieutenant qui passait pour un administrateur �nergique et habile, M. Ponza de San-Martino. En se retirant, M. Nigra adressa � son chef un long et int�ressant rapport, o� il exposait dans un grand d�tail l'administration du prince dont il avait �t� le ministre responsable, et surtout les difficult�s qu'il avait rencontr�es, et qui provenaient, pour la plupart, du d�plorable �tat o� les Bourbons avaient laiss� le pays. C'est surtout le tableau sinc�re de l'�tat effroyable de l'ancien royaume de Naples qui donnait une r�elle importance � ce rapport.

M. de San-Martino arrivait � Naples (20 mai) avec des instructions qu'on peut r�sumer ainsi: ex�cution enti�re du statut, r�tablissement de la s�curit� publique,. distribution impartiale des emplois, r�organisation de la garde nationale. Le g�n�ral Cosenz �tait envoy� en m�me temps pour veiller aux d�tails de cette r�organisation. La proclamation de AI. de San-Martino, qui faisait appel � la conciliation, fut fort bien accueillie, et ses circulaires aux employ�s montr�rent du premier coup l'habile administrateur. A partir de ce moment et pendant un temps assez long, on entendit peu parler de lui; on pr�suma qu'il �tudiait le pays et la situation. Il n'y a donc rien � dire sur Naples � cette �poque: la mort de M. de Cavour y passa presque inaper�ue, le peuple napolitain ne le connaissait pas; l'opposition seule ressentit une joie stupide, dans l'espoir que c'en �tait fait du syst�me de ce grand homme d'�tat. M. Mancini abandonna son dicast�re, parce qu'il �tait m�content des pr�tentions du minist�re de la justice � restreindre sa libert� d'action. Il donna une derni�re marque de ses tendances en r�duisant � trois les trente couvents de capucins existant dans les provinces de Naples et de la Terre de Labour. C'�tait de bonne guerre: � l'occasion de la f�te nationale, le cardinal Riario Sforza, archev�que de Naples, venait de suspendre a divinis dix-sept pr�tres, parmi lesquels figurait le d�put� Palomba, pour avoir assist� � cette solennit�.

Cependant M. de San Martino, dans son d�sir de conciliation, avait ouvert ses salons aux hommes de tous les partis, et tout le monde s'y �tait d'abord rendu; mais bient�t les lib�raux, choqu�s d'y coudoyer les partisans les plus av�r�s des Bourbons, s'en �taient retir�s, en sorte que le lieutenant de Victor-Emmanuel ne se trouvait plus entour�


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que des serviteurs et des amis de Fran�ois II. C'�tait d�j� un f�cheux r�sultat; c'en fut un plus f�cheux encore d'encourager par trop de tol�rance les manifestations hostiles. M. de-San-Martino aurait voulu venir � bout du brigandage en cernant les brigands et en leur faisant d�poser les armes sans combat; il ne r�fl�chissait pas � l'impossibilit� d'un pareil syst�me dans un pays montagneux et bois�, avec la proximit� de la fronti�re romaine et la complicit� du saint-si�ge. Pour agir, il attendait qu'on lui envoy�t ce qu'il appelait des forces suffisantes, et il demandait un renfort de soixante bataillons. Le minist�re, trouvant ce chiffre exorbitant, tra�nait en longueur, prenait l'avis des hommes de guerre, et r�pugnait visiblement � d�garnir l'Italie du nord d'un nombre aussi consid�rable de troupes. M. de San-Martino s'impatientait, mena�ait de donner sa d�mission, mais en attendant il ne faisait rien, ou il se bornait � envoyer des secours aux populations menac�es qui en demandaient. Il en �tait r�sult� � Naples comme dans les campagnes une aggravation terrible de la situation. A Naples, l'audace croissait jusqu'� voler � main arm�e dans les rues, dans les boutiques, jusqu'� favoriser l'�vasion des for�ats, des prisonniers, des soldats bourboniens intern�s. On r�pandait � profusion le portrait du g�n�ral Bosco, futur lib�rateur de Naples; on enr�lait publiquement pour le pape et Fran�ois II; dans les campagnes, les populations, � peu pr�s abandonn�es � elles-m�mes, commen�aient � se lasser de repousser les pillards et les assassins, apr�s l'avoir courageusement tent�. C'est l'�poque par excellence du triomphe des brigands. Les propri�taires �taient ran�onn�s, les communications intercept�es, les diligences arr�t�es. Chiavone, s'intitulant capitaine-g�n�ral de la Terre de Labour, avait son quartier-g�n�ral � Sora. pr�s de la fronti�re romaine; Cipriano d�lia Gala, un ancien d�tenu, le seul de ces chefs de bande chez qui l'on ait pu reconna�tre quelque intelligence, op�rait du c�t� de Caserte; on nommait encore le chevrier Donatello, gal�rien �vad�, qui s'�tait fait un moment garibaldien, mais qui, n'ayant pu n�anmoins obtenir sa gr�ce du gouvernement r�gulier �tabli apr�s la dictature, s'�tait enfui dans les montagnes et cherchait � se venger de ce qu'il appelait l'ingratitude de l'Italie. Un gouvernement provisoire s'�tait �tabli � Montefalcione, d'o� les brigands �taient partis pour commettre � Avellino d'horribles massacres. M. de San-Martino envoya des soldats, mais ils parurent en nombre si insuffisant que les habitants de cette ville cruellement �prouv�e s'adress�rent directement � M. Ricasoli pour lui demander des secours efficaces.

Mis en demeure, le premier ministre n'h�sita plus; il chargea le g�n�ral Cialdini, qui soutenait qu'on pourrait r�primer le brigandage avec peu de troupes et beaucoup de vigueur,


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d'aller appliquer ce syst�me. Le g�n�ral Cialdini partit donc pour remplacer Durando, converti aux id�es de M. de San-Martino. Ce dernier, en voyant arriver le nouveau-venu seulement avec 2, 000 hommes, comprit que les demandes adress�es au minist�re ne seraient point accueillies. Bless� de recevoir de M. Mingbetti des instructions pr�cises qui lui liaient les mains, il donna sa d�mission. En vain, pour obtenir qu'il la retir�t, on l'invita � consid�rer les instructions minist�rielles comme non avenues; il persista d'autant plus qu'il voyait le g�n�ral Cialdini se regarder comme ind�pendant du lieutenant du roi pour les op�rations de la guerre, ainsi qu'il avait fait au si�ge de Ga�te durant la lieutenance du prince de Carignan. Convaincu que le cabinet avait commis une faute grave en n'adoptant pas le syst�me de conciliation, M. de San-Martino voulut, dit-il, lui donner les moyens de r�parer cette faute en concentrant tous les pouvoirs sur la t�te du g�n�ral Cialdini. Il expliqua toute cette affaire dans une lettre au s�nateur Gallina, qui fut rendue publique, et il abandonna le pouvoir, emportant dans sa retraite les regrets de ceux qui voyaient dans une administration r�guli�re le premier besoin du pays. Peut-�tre partait-il trop t�t; mais assur�ment on s'�tait trop press� de l'envoyer.

Arriv� � Naples comme un simple particulier, sans vouloir aucune r�ception officielle, le g�n�ral Cialdini comprit la situation tout autrement que M. de San-Martino. Il pensa que sa t�che �tait essentiellement politique et devait consister � r�tablir la paix publique. Le g�n�ral eut une intuition juste. C'avait �t� une d�cision hardie que d'envoyer dans un pays tout d�vou� a Garibaldi l'homme qui s'�tait s�par� de lui avec tant d'�clat; la r�conciliation qui avait eu lieu ensuite pouvait passer pour n'�tre qu'apparente, et, en supposant que Garibaldi e�t tout oubli�, il pouvait n'en �tre pas ainsi parmi ses partisans. C'�tait une difficult�, Cialdini eut l'art de la tourner � son profit. Ayant jug� que les r�actionnaires levaient trop la t�te � Naples, qu'ils commen�aient � y redevenir les ma�tres, il crut que le premier besoin du pays �tait de r�tablir l'accord entre les lib�raux, et qu'il �tait peut-�tre l'homme le plus propre, apr�s les gages qu'il avait donn�s de son d�vouement au roi et � la monarchie, � faire des avances aux ultra-lib�raux. En cons�quence, il les invita � se rendre aupr�s de lui, leur dit qu'�tant d'accord sur les questions principales, puisqu'ils aimaient tous l'Italie et que le principe monarchique voulu par les uns �tait accept� par les autres, ils n'avaient qu'� s'entendre pour combattre et r�duire l'ennemi commun. Ce langage fut compris: M. Nicotera, un des chefs les plus influents du parti de l'action, d�clara qu'il fallait r�primer le brigandage et les tentatives des bourboniens, sous quelque chef que ce f�t.


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Il y avait bien un certain inconv�nient � s'appuyer � Naples sur les hommes qui combattaient le cabinet dans le parlement; mais Cialdini pensait qu'entre deux ennemis il fallait abattre le plus dangereux, le plus rapproch�, sauf � se retourner plus tard contre l'autre, s'il devenait � son tour mena�ant. Ayant �troitement limit� sa t�che, il s'empressa de l'accomplir et agit en toutes choses avec cette imp�tuosit� militaire qui devait r�ussir, mais aussi produire quelquefois dans l'administration civile un singulier effet.

Avant de donner son attention tout enti�re aux campagnes, il voulut �tre ma�tre � Naples: il l'�tait d�j� par la force des armes, surtout par son alliance avec les lib�raux avanc�s; il le fut bient�t compl�tement par sa d�cision et sa fermet�. Pour se d�barrasser des solliciteurs, qui avaient �t� un des fl�aux des lieutenances pr�c�dentes, il imagina d'annoncer dans la gazette officielle que, comme il y avait 198 employ�s de trop, il publierait d�sormais le nom de quiconque demanderait un emploi et celui des personnes qui recommanderaient les postulants (24 juillet). Et pour n'avoir pas l'air de faire une menace vaine, il donnait d�s ce jour m�me une premi�re liste de vingt-trois noms. Il n'eut pas besoin d'en publier une seconde, les qu�teurs de place se tinrent pour avertis, et l'on ne vit plus d�s ce moment que des demandeurs de pensions, dont il �tait plus facile de se d�barrasser. L'expulsion du cardinal archev�que de Naples, qu'il fallut prot�ger contre les sifflets des Napolitains, l'arrestation de plusieurs princes bourboniens � Portici, foyer de r�action, le commandement militaire donn� � M. Nicotera, la formation de plusieurs corps de volontaires, toutes ces mesures ramen�rent au nouveau lieutenant l'opinion publique. Pour la premi�re fois depuis la r�volution, le gouvernement se vit respect� dans les provinces napolitaines. Ce ne fut pas un des moindres succ�s de Cialdini d'avoir par son seul ascendant d�sarm� la camorra; elle se donna � lui, elle livra du moins un des siens, qui avait assassin� le commissaire de police M�le. Les enr�lements faits par M. Nicotera ayant port� ombrage au cabinet de Turin, qui redoutait ce noyau d'une arm�e r�publicaine, le g�n�ral Cialdini n'eut qu'� demander la cessation de ces enr�lements, l'annulation de ceux qui avaient �t� d�j� faits, pour �tre aussit�t ob�i. Il �tait du reste jaloux de son autorit�. Le d�put� Cantelli, de Parme, qu'il avait amen� avec lui comme administrateur civil, s'�tant cru le droit d'agir, dans le cercle de ses attributions, avec une certaine ind�pendance, dut donner sa d�mission, et fut remplac� par M. Visone, administrateur �prouv� des provinces du nord. Naples fut donc facilement pacifi�e.

S�r des Napolitains, qui voyaient en lui leur homme, comme en Garibaldi leur dieu, Cialdini tourna tous ses efforts


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vers la r�pression du brigandage. Persuad� que le peu de troupes dont il pouvait disposer suffirait � l'accomplissement de cette mission, il agit avec une rare vigueur. Il comprima d'abord la r�action d'Avellino, qui paraissait la plus mena�ante; il envoya ses troupes jusqu'� Foggia, r�tablit les communications jusqu'aux rivages de l'Adriatique et isola les brigands du midi, ce qui permit de les r�duire ais�ment dans les Calabres, o� ils durent se r�fugier sur les hauteurs de la Sila, en attendant qu'ils fussent forc�s, par le froid et la faim, de d�poser les armes. Jusque-l�, les brigands avaient tir� sur les convois des chemins de fer au nord et au sud, les pentes du V�suve en �taient, infest�es: d�s lors les rares voyageurs qu'il y avait dans ce pays purent aller en toute s�curit� � Caserte, � Pompei, � Castellamare, � Sorrente, et faire l'ascension du volcan. Ces brillants r�sultats, auxquels ne contribu�rent pas m�diocrement les gardes nationales, enhardies par la r�solution du g�n�ral, avaient �t� obtenus avec trop de rapidit� pour ne pas provoquer des accusations de violence et d'excessive rigueur. On parla de boucheries, au point que le g�n�ral Fleury, qui �tait alors � Turin, fut charg� par le gouvernement fran�ais de demander des explications au cabinet italien. M. Ricasoli r�pondit en disculpant Cialdini et ses lieutenants. Il est certain en effet que le g�n�ral accordait la vie sauve � quiconque d�posait les armes, et que ceux-l� seuls �taient fusilles qui �taient pris les armes � la main., Deux choses cependant contribu�rent � accr�diter les calomnies. Il faut signaler d'abord les proclamations intemp�rantes du g�n�ral Pinelli, � qui on avait de nouveau confi� un commandement, et celles du colonel Galateri. On dut interdire formellement � ces deux officiers de prendre la plume, puisqu'ils ne le pouvaient faire sans se montrer f�roces en paroles, quand ils ne l'�taient pas dans la r�alit�. Un autre fait qui donne quelque apparence de justesse aux accusations port�es contre Cialdini fut l'incendie du village de Pontelandolfo, dont parl�rent tous les journaux de la r�action en Europe, sans ajouter, bien entendu, que cet acte de rigueur avait �t� rendu n�cessaire par la cruaut� des habitons, qui avaient tra�treusement massacr� trente-sept soldats italiens. Pour en finir avec le brigandage, le g�n�ral Cialdini aurait voulu qu'il lui f�t permis de poursuivre jusque sur le territoire romain ses insaisissables adversaires. M. Ricasoli ayant formellement refus� l'autorisation demand�e, en all�guant son d�sir de m�nager la France, les engagements partiels et insignifiants qui eurent lieu avec les postes romains � Epitaffio, � San-Lorenzo-delle-Grotte, � Bolsena et ailleurs, furent l'effet du hasard, ou n'eurent d'autre cause qu'une fronti�re mal d�finie. A vrai dire, le g�n�ral Cialdini demandait d'autres pouvoirs comme moyen d'intimidation,


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par exemple le droit de traduire devant les conseils de guerre quiconque �tait de connivence avec les insurg�s, il aurait voulu rendre les communes responsables des d�g�ts commis sur leur territoire: mais sur ce point encore il �prouvait un refus, tant �tait grande l'horreur du pr�sident du conseil pour tout ce qui ressemblait � l'�tat de si�ge. L'irritation du g�n�ral fut grande contre le minist�re; on n'�tait pas moins irrit� contre lui � Turin, et l'on put des lors pr�voir que la lieutenance serait bient�t supprim�e, d'abord parce que cette suppression �tait dans les id�es de M. Ricasoli, ensuite parce qu'on serait bien aise de s'affranchir d'un auxiliaire incommode, peu parlementaire, et qui donnait � son administration des allures par trop excentriques. Ces allures cependant plaisaient � Naples, non moins que le panache du lieutenant. Les Napolitains se montr�rent donc tr�s oppos�s � la. suppression de la lieutenance. Ils donnaient aussi d'autres raisons de leur d�sir de conserver Cialdini: les nombreux proc�s politiques qui restaient � instruire et � juger, la guerre aux brigands � terminer, la recherche des comit�? bourboniens, la lev�e de 36, 000 hommes rest�e jusqu'� ce moment � l'�tat de d�cret, toutes raisons d'une valeur m�diocre, comme on a pu le voir par la suite. La plus s�rieuse, c'�tait la r�pression du brigandage; or cette t�che militaire �tait � peu pr�s accomplie. A cette p�riode allait succ�der celle des exp�ditions l�gitimistes.

Sans parler de diverses tentatives de d�barquement �touff�es au d�but, arrivons tout de suite � l'exp�dition de Borges. C'est le 14 septembre que d�barqua, aux environs de Reggio, l'officier carliste Borges avec 22 Espagnols, ses compatriotes. Dans les Calabres pacifi�es et d�vou�es � la cause de l'Italie, l'exasp�ration publique �tait si vive contre les fauteurs de d�sordres qu'il ne fut pas sur pendant quelque temps, m�me pour des �trangers inoffensifs, de d�barquer sur ces c�tes. Borges aurait �t� bient�t extermin� avec ses hommes, s'il ne s'�tait prudemment enfonc� dans les terres en se dirigeant vers Precacuore. Mal re�us dans ces montagnes, les Espagnols n'eurent d'autre ressource que de rejoindre les bandes du brigand Mittica. Borges avait pourtant fait preuve d'une certaine habilet�: il avait enjoint aux syndics de donner ordre aux anciens soldats de le venir rejoindre, et il avait �crit au g�n�ral italien qui commandait dans ces contr�es pour conclure avec lui un accord, afin de faire la guerre selon les lois de l'humanit�. Si l'on e�t acc�d� � ses propositions, on l'e�t par l� reconnu comme bellig�rant, ce que le gouvernement italien ne pouvait admettre. Les Espagnols, bient�t attaqu�s, subirent des pertes sensibles; ceux qui furent pris et fusill�s avou�rent qu'ils avaient �t� cruellement tromp�s sur les forces


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de la pr�tendue insurrection dans les Calabres. L'insucc�s de cette tentative fut si complet que pendant longtemps on n'entendit plus parler de ces aventuriers. Mittica et sa bande ayant �t� d�truits, on en �tait r�duit � se demander si Borges s'�tait rembarqu�, ou m�me s'il avait jamais exist�. On sut bient�t � quoi s'en tenir. Borges avait travers� hardiment une partie du royaume et s'�tait joint au brigand Crocco Donatello, car il n'avait plus d'autres ressources. Battu conjointement avec ce malfaiteur et ayant appris � ses d�pens tout ce qu'il y avait de mensonge dans les affirmations des agents de Fran�ois Il au sujet des chances d'une guerre de partisans dans l'ancien royaume de Naples, il s'�tait mis en route pour rejoindre, � travers mille dangers, la fronti�re pontificale, afin d'aller dire au prince dont il avait voulu servir les int�r�ts � quel point on le trompait. Surpris � quelques lieues de la fronti�re dans une ferme, il y fut attaqu�, pris et fusill�, victime honorable, apr�s tout, d'une cause qu'il avait courageusement servie et des l�ches excitations d'hommes qui, n'osant s'exposer eux-m�mes, poussent � une mort certaine des gens de cœur.

Pour tout dire en une fois sur ce triste �pisode, nous avons d�pass� l'�poque o� nous �tions parvenus, et il nous faut revenir sur les derniers jours de la lieutenance. Ils furent brillants, gr�ce aux f�tes que le hasard des anniversaires accumulait dans cette courte p�riode. Le 7 septembre, on f�ta l'entr�e de Garibaldi � Naples avec tant d'entrain qu'un journal de Naples put dire que les Napolitains avaient fait ce jour-l� un second pl�biscite, c'est-�-dire vot� une seconde fois l'unit� de l'Italie. Depuis quinze jours, ces f�tes se prolongeaient dans les provinces, de Naples � Reggio, car chaque ville c�l�brait l'entr�e de Garibaldi dans ses murs, et partout l'enthousiasme avait �clat� sans le plus l�ger d�sordre. Presque partout aussi le nom de Cialdini retentissait dans ces manifestations populaires, comme � la procession de Piedigrotta et � la c�l�bration du premier anniversaire du pl�biscite, o� les honneurs furent surtout pour le g�n�ral, dont on savait le d�part prochain.

Sentant sa mission � peu pr�s remplie et voyant ses relations avec le minist�re devenir de plus en plus difficiles, Cialdini �tait tout dispos� � abandonner la lieutenance; mais il aurait voulu que la suppression s'en f�t graduellement. L'impatience de M. Ricasoli brusqua les choses. Le pr�sident du conseil ne pouvait supporter qu'un subordonn� pr�tend�t ne relever que du roi, malgr� la suppression des pleins pouvoirs, et gouverner dans une enti�re ind�pendance. Aux attaques dont il �tait l'objet dans un journal de Naples inspir�, disait-on, par le minist�re, Cialdini fit r�pondre, dans le journal le Paese, qu'il avait conseill� au roi, d�s le mois d'ao�t, la suppression de la lieutenance,


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et surtout le remplacement d'un lieutenant militaire par un fonctionnaire civil, pour r�pondre aux vœux des populations, �qui ont horreur du r�gime du sabre,� mais qu'il aurait fallu des mesures interm�diaires qui n'avaient pas �t� prises. Apr�s avoir donn� ces explications au public, Cialdini pr�para sa retraite. Il quitta l'h�tel de la Foresteria; il publia une proclamation habile, o� per�ait sa m�sintelligence avec les ministres, puisqu'il parlait �des sympathies nationales que nul gouvernement ne peut ni donner ni enlever.� Enfin, au moment de partir, il rendit ses comptes, justifia de l'emploi des 137, 256 ducats qu'il avait re�us du milieu de juillet � la fin d'octobre, �tablit qu'il en avait d�pens� seulement 8, 678 pour les d�penses de sa maison et ses frais de repr�sentation. Il lui restait environ 450, 000 francs, qu'il aurait pu garder sans que personne les lui r�clam�t; il les abandonna � la ville de Naples pour diverses œuvres d'utilit� publique. Comment s'�tonner que l'affection publique l'ait accompagn� jusqu'� la derni�re heure de son s�jour dans la ville qu'il avait si heureusement et si habilement administr�e, quoiqu'il manqu�t, de son aveu m�me, des qualit�s de l'administrateur? La meilleure preuve du succ�s qu'il avait obtenu est dans la suppression m�me de la lieutenance, qui se fit sans aucune difficult�, ce que peu auparavant personne n'aurait os� esp�rer.

La fin de l'ann�e 1861 nous montre bien encore le brigandage essayant de prolonger sa r�sistance dans les montagnes des provinces napolitaines; mais ces efforts impuissants ne changent rien au caract�re d'une situation g�n�ralement calme. Le g�n�ral de La Marmora, ancien ministre de la guerre, ancien pr�sident du conseil, donna un louable exemple d'abn�gation; il quitta son grand commandement de Milan, o� il �tait � l'avant-garde contre les Autrichiens, pour devenir le premier pr�fet de Naples. Il arriva dans cette ville (31 octobre) eu compagnie de M. Miglietti, ministre de la justice. Le garde des sceaux venait s'occuper de la r�forme judiciaire; il fit un voyage � peu pr�s inutile, car, sur le conseil de personnes consid�rables, il n'osa signer les destitutions de magistrats qu'avait demand�es M. Pironti, charg� du dicast�re de la justice. Quant au g�n�ral de La Marmora, il n'eut qu'� surveiller de haut l'administration d'un peuple qui ne demandait qu'� se laisser conduire. Toutes les difficult�s semblaient aplanies. La diplomatie accusait les soci�t�s ouvri�res de mazzinisme: elles promen�rent triomphalement dans les rues de Naples le buste du roi; la lev�e inspirait de s�rieuses inqui�tudes: non-seulement elle se fit sans troubles, mais les r�fractaires furent tr�s rares, et presque partout les conscrits montr�rent de l'enthousiasme. Quant au brigandage, le g�n�ral della Chiesa. parti de Salerne pour Avigliano,


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fit une exp�dition qui devait aboutir � la pacification des montagnes. Il y aura peut �tre longtemps encore des bandits dans les provinces napolitaines; avec la publicit� introduite dans l'�tat de Naples, ou saura leurs moindres exploits, que la dynastie d�chue dissimulait soigneusement. Il se peut m�me que, sur les excitations de Fran�ois II ou des hommes qui l'entourent, quelques aventuriers essaient de rallumer dans les montagnes l'incendie que leurs devanciers n'ont pu entretenir; mais on peut pr�dire un insucc�s complet � ces nouvelles tentatives, puisque les premi�res n'ont pu r�ussir, m�me au lendemain d'une r�volution.

Les jours de paix ayant commenc� plus t�t pour la Sicile que pour Naples, nous avons peu de faits � raconter sur la situation de l'�le, quoiqu'il convienne d'en dire quelque chose � part, puisqu'elle avait, comme les provinces napolitaines, un lieutenant du roi � sa t�te.

Au commencement de l'ann�e, cette haute charge �tait exerc�e par M. de Montezemolo, homme honorable, qui avait bien administr� dans le nord, mais d'une activit� insuffisante pour tout ce qu'il y avait � faire en Sicile. M. de Cavour, qui semblait perdre, quand il s'agissait des provinces m�ridionales, le talent qu'il montrait dans la politique ext�rieure et dans ses rapports avec les chambres, avait eu le tort d'imposer � M. de Montezemolo, comme conseillers de lieutenance, deux Siciliens que leur opposition � Garibaldi avait rendus fort impopulaires dans un pays qui ch�rissait son lib�rateur, MM. La Farina et Cordova. Tous les deux, irrit�s d'un pass� encore r�cent, avaient des repr�sailles � exercer. M. La Farina, qui avait trouv� si mauvais que Garibaldi l'expuls�t de l'�le, voulait expulser � son tour ses principaux adversaires, entre autres M. Crispi et M. Ferra, conseiller � la cour supr�me; mais la population, qui avait tr�s volontiers soui�ert le d�part de M. La Farina, ne devait pas cette fois se montrer si accommodante. Sans parler des manifestations de la place publique, la garde nationale, � qui la personne de M. Ferra avait �t� confi�e, refusa de rendre ce fonctionnaire, par la raison qu'on n'avait pas le droit de l'arr�ter. Il fallut renoncer � r�duire par la force le bataillon r�calcitrant, car le g�n�ral Brignone d�clara qu'en cas de collision il ne r�pondait de rien. MM. Cordova et La Farina durent comprendre, � ce langage, qu'ils n'avaient plus qu'� donner leur d�mission, et cette r�solution, port�e � la connaissance du public, suffit pour couper court � tous les projets de manifestation qu'agitait d�j� la garde nationale et pour ramener la tranquillit�.

M. de Torrearsa fut charg�, � la suite de ces �v�nements, de former un nouveau conseil de lieutenance. Il y appela aupr�s de lui le professeur Emerico Amari � l'int�rieur, l'avocat Orlando � la justice,


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le prince de Santelia aux travaux publics, M. Turrisi au commerce, et il se r�serva pour lui-m�me la direction des finances. Cette administration ne devait pas faire parler d'elle; c'�tait beaucoup apr�s les jours de troubles qui venaient de s'�couler, et c'est ce qu'on a de mieux � en dire. Elle ne devait pas d'ailleurs avoir une longue dur�e. Le d�sir de repr�senter leur pays au parlement d�termina ses principaux membres, lorsque le moment des �lections fut venu, � donner leur d�mission pour devenir �ligibles. C'est ainsi que MM. de Torrearsa, Turrisi, Emerico Amari, abandonn�rent le pouvoir. M. Michel Amari, fr�re de ce dernier, et qu'il ne faut pas confondre avec le savant professeur qui si�ge au s�nat italien, fut charg� de reconstituer le conseil, t�che d�sormais peu importante et fort obscure.

A cette �poque, c'est-�-dire en f�vrier et mars, les populations de la Sicile �taient surtout attentives � la r�sistance de la citadelle de Messine, r�sistance honorable tant que Ga�te avait tenu, mais folle et inutile depuis la prise de cette place. En effet, le g�n�ral Cialdini, charg� d'enlever aux bourboniens ce dernier rempart, pouvait attaquer la citadelle sans toucher � la ville, tandis que le vieux g�n�ral Pergola ne pouvait se d�fendre sans faire un mal immense � Messine. Aussi les consuls, prenant en consid�ration le grand nombre d'�trangers qu'il y avait dans cette place de commerce, firent-ils entendre d'�nergiques repr�sentations qui n'eurent pas le pouvoir de rassurer les int�ress�s, tant on connaissait l'ent�tement s�nile du g�n�ral Pergola; les navires �vacu�rent le port et les habitants quitt�rent la ville, emportant avec eux tout ce qu'ils purent. C'est alors que le g�n�ral Cialdini crut devoir tenir un langage �nergique et �crire � son adversaire qu'il ne pouvait plus �tre consid�r� que comme un rebelle, puisque Victor-Emmanuel avait �t� proclam� roi d'Italie par le parlement, et qu'en cons�quence il n'y avait plus lieu de parler de capitulation, mais de soumission (28 f�vrier). Le g�n�ral Pergola �crivit � son tour pour promettre de respecter la ville, puis bient�t, reconnaissant que cet engagement rendait sa d�fense impossible, il consentit, non sans avoir ouvert pendant quelques jours le feu contre les assi�geants, � reconna�tre son impuissance et � se rendre � discr�tion. On s'est demand� si, pour r�sister aussi longtemps, il avait re�u des ordres de Fran�ois II, et rien n'est plus vraisemblable; ce qui est certain tout au moins, c'est que le 10 mars seulement, sur les instances de M. de Gramont, notre ambassadeur � Rome, et sur la promesse que les garnisons de Messine et de Civitella del Tronto obtiendraient les m�mes conditions que celle de Ga�te, Fran�ois II consentit � �crire aux commandants de ces deux places pour les inviter � cesser toute r�sistance; mais cet ordre n'arriva


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 � Messine que deux ou trois heures apr�s la soumission du g�n�ral Pergola.

Au mois d'avril, M. de Montezemolo, lieutenant du roi, qui venait de perdre sa fille, saisit cette occasion pour d�poser un fardeau qui lui pesait. Il fut remplac� par le g�n�ral d�lia Rovere, que le minist�re avait choisi pour ses qualit�s d'administrateur, mais qui inspira au d�but quelques d�fiances aux Siciliens, port�s � croire qu'on voulait les soumettre au r�gime militaire. Ces craintes n'avaient aucun fondement, et le g�n�ral d�lia Rovere parut m�me r�ussir mieux que ses pr�d�cesseurs aupr�s de ses administr�s. Sans �tre inqui�tante, la situation en Sicile aurait pu �tre meilleure. S'il n'y avait point de r�action bourbonienne, ni m�me de tendances aussi r�solues qu'on l'a souvent dit vers l'autonomie, la loi avait peu d'empire sur les �mes; les haines de parti, les rivalit�s municipales, occupaient beaucoup trop les esprits, peu faits encore � la vie politique, si nouvelle pour eux. Cependant la lev�e s'op�ra moins mal qu'il n'�tait permis de l'attendre, car la Sicile avait �t� toujours exempt�e de la conscription par les Bourbons. La v�ritable infraction des paysans fut de ne pas se rendre au tirage, quand ils furent assur�s qu'on le pouvait sans payer l'amende; cependant ils rejoignirent le drapeau sans avoir besoin d'y �tre forces par les carabiniers. Sur ces entrefaites, le g�n�ral d�lia Rovere, nomm� ministre de la guerre, partait pour Turin (septembre), il �tait remplac� par le g�n�ral Pettinengo, qui fut aussi froidement re�u, et comme militaire, et parce que ces changements continuels ajournaient sans cesse les r�formes demand�es par les Siciliens. Toutefois son administration a �t� assez prudente et n'a donn� lieu � aucune plainte. Les Siciliens paraissant plus attach�s que les Napolitains � ce syst�me de demi-autonomie que leur faisait la lieutenance, M. Ricasoli ne crut pas devoir la supprimer en m�me temps que dans les provinces de terre ferme; mais, en annon�ant � l'avance son dessein de le faire avant peu, il y pr�para les esprits, et cette grande mesure, acheminement n�cessaire vers l'unit� italienne, put �tre accomplie sans inconv�nients dans les premiers mois de l'ann�e 1862.


III. — LE ROYAUME D'ITALIE A LA FIN DE 1861.


Situation critique du minist�re. — Activit� de M. Ricasoli. — �tat de l'arm�e. — R�union des chambres. — Projet do n�gociations avec Rome. — D�bats parlementaires. — Incertitudes de la majorit�. — Discussion des articles sur Rome ou capitolato (2 d�cembre). — �tat de la marine. — Plan financier de M. Bastogi.


Malgr� le maintien provisoire du r�gime de la lieutenance en Sicile, d�s le mois d'octobre 1861 il n'est plus n�cessaire et peut-�tre m�me n'est-il plus possible de diviser le r�cit suivant les provinces. Si l'on excepte Rome et le patrimoine de Saint-Pierre, dont nous aurons � parler plus bas, il n'y a plus qu'une histoire pour le royaume d'Italie.

A cette �poque, le minist�re italien semblait fort �branl�. Depuis un mois et demi, M. Minghetti avait quitt� le cabinet, et M. Ricasoli restait encore charg� des deux plus importans portefeuilles; la police �tait mal faite; on ne parlait pas sans inqui�tude de Bologne, infest�e par des malfaiteurs qui trouvaient des complices jusque dans les agens subalternes de l'autorit�. On reprochait � M. Miglietti de ne communiquer aucune vigueur � la magistrature, � M. De Sanctis de rester inerte dans un d�partement qui demandait une activit� sans rel�che, ou de donner des chaires aux hommes les plus avanc�s, tels que le philosophe Moleschott et le po�te Herwegh, deux r�fugi�s allemands, � Naples, et le d�put� napolitain Zupetta� Pavie. Quoique le g�n�ral d�lia Rovere se rapproch�t des garibaldiens plus que n'avait fait le g�n�ral Fanti, quoiqu'il e�t remis en vigueur le d�cret d'amnistie du 10 octobre 1860, en faveur de tous les officiers et sous-officiers qui avaient d�sert� les drapeaux pour se joindre � Garibaldi, d�cret si lestement enterr� par M. Farini, l'�ternel antagonisme de l'arm�e m�ridionale et de l'arm�e r�guli�re nuisait � la popularit� du ministre de la guerre. L'Italie avait beau affecter l'ind�pendance vis-�-vis du gouvernement fran�ais, si l'attitude de M. Ricasoli flattait ce penchant, le manque absolu de sympathie de l'empereur Napol�on III, et m�me, disait-on, du roi Victor-Emmanuel pour ce ministre, ne pouvait �tre pour le cabinet une cause de force. On voyait le pr�sident du conseil demander � la France de se faire aupr�s du saint-si�ge l'interm�diaire de nouvelles propositions qui re�urent le nom de capitolato, et la France s'y refuser parce qu'elle les regardait comme inadmissibles; on le voyait encore se plaindre inutilement de la tol�rance, sinon des encouragemens, accord�e au brigandage, dont la dur�e �puisait l'arm�e sans l'instruire et sans l'aguerrir; on sentait enfin qu'apr�s avoir tr�s nettement indiqu� son but, il �tait impuissant � l'atteindre.


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Aussi, M. Rattazzi ayant fait un voyage � Paris, on crut g�n�ralement qu'il y �tait venu s'entendre avec le gouvernement fran�ais sur les moyens d'exercer le pouvoir dans des conditions favorables � la cause italienne.

Toutes ces causes de faiblesse ne troublaient pas, du moins en apparence, M. Ricasoli. Dans le moment o� on le croyait le plus �branl�, il s'installait bravement au minist�re des affaires �trang�res, qu'aucun de ses pr�d�cesseurs n'avait encore habit�; il r�organisait le minist�re de l'int�rieur en rempla�ant le secr�taire g�n�ral, fonctionnaire politique et transitoire, par quatre directeurs qui auraient conserv� les traditions administratives; il r�organisait l'arm�e m�ridionale en quatre divisions, sous les ordres des g�n�raux Ti�rr, Cosenz, Medici, Bixio, avec le g�n�ral Sirtori pour chef sup�rieur apparent, mais destin� � devenir simple chef d'�tat-major lorsque le moment serait venu o� Garibaldi pourrait repara�tre � la t�te de ses compagnons d'armes (1). En m�me temps qu'il supprimait la lieutenance � Naples, M. Ricasoli, poursuivant son œuvre, rempla�ait dans les autres provinces les gouverneurs par des pr�fets; seulement au lieu de nommer � ces fonctions de simples administrateurs, il y maintenait provisoirement, tant que durerait la crise, des hommes politiques. Le retour du g�n�ral Cialdini � Bologne et la nomination d'un pr�fet habile, qui avait fait ses preuves en Savoie et � G�nes, comme intendant g�n�ral, M. Magenta, suffirent pour r�tablir la s�curit� dans la capitale des Romagnes. Cette activit�, cette confiance raffermirent momentan�ment M. Ricasoli au pouvoir; la fiert� italienne �tait d'ailleurs bless�e qu'on e�t pu dire que M. Rattazzi �tait all� prendre le mot d'ordre aux Tuileries. L'attitude de cet homme d'�tat, qui plus qu'aucun autre pouvait passer pour repr�senter l'Italie, puisqu'il �tait pr�sident de la chambre, parut manquer de nettet� et de dignit�. Ce malencontreux voyage rendit aussi tout rapprochement impossible entre MM. Ricasoli et Rattazzi, et l'on pouvait d�j� pr�voir qu'il serait pour ce dernier, quand il reviendrait aux affaires, la cause de vives accusations et de graves embarras.

Dans ces conditions, M. Ricasoli, ne pouvant trouver un coll�gue pour le minist�re de l'int�rieur, se d�cida bravement � para�tre devant les chambres sans avoir compl�t� son cabinet. Il venait du reste de donner une nouvelle preuve de sens et d'�nergie. Voyant qu'il �tait impossible pour le moment, � cause de l'opposition de la France, d'aller � Rome, quelques Hongrois, M. Kossuth entre autres,


(1)A la suite d'une querelle insignifiante avec le ministre de la guerre, le g�n�ral T�rr donna sa d�mission et fut remplac� dans sou commandement par le g�n�ral Sacchi; mais le roi le nomma aussit�t son aide-de-camp.


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avaient voulu persuader aux Italiens de s'attaquer imm�diatement � la V�n�tie et de profiter, pour prendre le quadrilat�re, du concours que les Magyares pouvaient encore leur apporter. Les amis de M. Rattazzi se ralli�rent � l'id�e propos�e par M. Kossuth; mais le bon sens de M. Ricasoli ne s'y laissa point prendre. Si la question de Rome, devant �tre r�solue par les influences morales et de concert avec la France, pouvait �tre trait�e sans retard, la V�n�tie ne pouvait �tre conquise que par la force. Or un simple aper�u sur l'�tat de l'arm�e suffisait � montrer qu'on n'�tait point en �tat d'affronter une �preuve si redoutable. Au lieu de 327,000 hommes dont devait se composer l'arm�e italienne selon les projets du g�n�ral Fanti, elle ne se composait en r�alit� que de 272,000, chiffre manifestement insuffisant pour ouvrir la guerre contre l'Autriche, surtout si l'on consid�re que sur ce chiffre il fallait compter un grand nombre de soldats qui, venant des nouvelles provinces, n'�taient ni exerc�s ni aguerris.

La session, n'ayant �t� que prorog�e, fut reprise sans discours de la couronne. Le 20 novembre, M. Ricasoli d�posa sur le bureau des documents d'une certaine importance: une lettre au pape, un projet d'articles pour l'accord de l'Italie avec Rome, et une lettre au ministre d'Italie � Paris, o�, insistant sur la n�cessit� d'avoir Rome pour capitale, il l'invitait � prier le gouvernement fran�ais de servir d'interm�diaire pour cette n�gociation, � cause de la rupture d�j� ancienne des relations diplomatiques entre le saint-si�ge et Je royaume d'Italie (1). Cette affaire, qui remonte au mois d'ao�t 1861, est celle dont il a �t� parl� plus haut, et pour laquelle le cabinet des Tuileries avait refus� sa m�diation. M. Ricasoli dit � cette occasion que si ce n'�tait pas le roi personnellement qui avait �crit au sainl-p�re, mais le pr�sident du conseil, c'est que Victor-Emmanuel avait �crit d�j� deux fois sans recevoir de r�ponse, ou n'obtenant que des paroles offensantes pour la dignit� royale. Le ministre ajouta: �Nous irons � Rome, mais par une voie s�re et sans que l'Europe ait lieu de nous d�sapprouver en rien ou de s'effrayer de notre marche (2).�


(1) V'oy n \'Appendice.

(2) Quoique le capitolato n'ait eu aucun r�sultat, il est bon de le faire conna�tre, pour qu'on sache quelles conditions le gouvernement de Victor-Emmanuel croyait pouvoir faire et quelles conditions paraissaient inacceptables au gouvernement de Napol�on III:

�Art. 1. Le souverain pontife conserve la dignit�, l'inviolabilit� et toutes les autres pr�rogatives de la souverainet�, et en outre les pr��minences �tablies par les coutumes � l'�gard du roi et des autres souverains. Les cardinaux de la sainte �glise conserveront le titre de prince et les honneurs qui y sont attach�s.

Art. 2. Le gouvernement de sa majest� le roi d'Italie prend l'engagemennt de ne mettre aucun obstacle en aucune occasion aux actes exerc�s par le souverain pontife, en


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Les premi�res s�ances se pass�rent en incidents de m�diocre importance, comme par exemple le scandale caus� par le d�put� napolitain Proto de Maddaloni, qui, apr�s s'�tre fait �lire comme unitaire, venait proposer � la chambre de r�tablir l'autonomie dans le royaume de Naples, et qui fut oblig�, devant l'indignation de ses coll�gues, de donner sa d�mission sans avoir m�me pu d�velopper sa proposition, ou bien encore les interpellations projet�es du d�put� Zupetta, qui amen�rent M. Ricasoli � dire qu'il avait fait pour l'armement de la nation tout ce qui �tait possible, qu'on aurait facilement 500,000 fusils, mais que pour avoir 500,000 hommes il fallait plusieurs lev�es successives, et par cons�quent du temps. La chambre � une grande majorit� vota le projet de loi qui soumettait les provinces napolitaines, apr�s toutes les autres, au d�cime de guerre. La crainte d'une recrudescence du brigandage rendit les d�put�s napolitains plus accommodants qu'on ne pouvait l'attendre. L'ancienne majorit� de M. de Cavour prenait au contraire une attitude de moins en moins favorable au minist�re. Les membres de cette majorit� avaient des r�unions particuli�res sous la pr�sidence de M. Lanza, et ces r�unions �taient le sympt�me pr�curseur d'une regrettable scission. On ne voit point que les anciens amis de M. de


vertu du droit divin comme chef de l'�glise, et en vertu du droit canonique comme patriarche d'Occident et primat d'Italie.

�Art. 3. Le m�me gouvernement reconna�t au souverain pontife le droit d'envoyer des nonces � l'�tranger, et s'engage � les prot�ger tant qu'ils seront sur le territoire de l'�tat.

�Art. 4. Le souverain pontife aura pleine libert� de communiquer avec tous les �voques et les fid�les, et r�ciproquement, sans ing�rence de la part du gouvernement. Il pourra �galement convoquer dans les lieux et dans les formes qu'il jugera convenables les conciles et les synodes eccl�siastiques.

�Art. 5. Les �voques dans leurs dioc�ses et les cur�s dans leurs paroisses seront ind�pendants de toute ing�rence gouvernementale dans l'exercice de leur minist�re.

�Art. 6. Ils demeurent n�anmoins soumis au droit commun dans le cas de d�lits punis par les lois du royaume.

�Art. 7. Sa majest� renonce � tout droit de patronage sur les b�n�fices eccl�siastiques.

�Art. 8. Le gouvernement italien renonce � toute ing�rence dans la nomination des �v�ques.

�Art. 9. Le m�me gouvernement s'oblige � fournir au saint-si�ge une dotation file et insaisissable, dont la somme sera r�gl�e d'un commun accord.

�Art. 10. Le gouvernement de sa majest� le roi d'Italie, afin que  toutes les puissances et tous les peuples catholiques puissent concourir � l'entretien du saint-si�ge, ouvrira avec ces puissances les n�gociations opportunes pour d�terminer la quote-part de chacune d'elles dans la dotation dont il est parl� � l'article pr�c�dent.

�Art. H. Les n�gociation� auront aussi pour objet d'obtenir les garanties de ce qui est �tabli dans les articles pr�c�dons.

�Art. 12. D'apr�s ces conditions, le souverain pontife et le gouvernement de sa majest� le roi d'Italie en viendront & un accord par le moyen de commissaires d�sign�s � cet effet.�


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Cavour aient accus� cependant le cabinet de rester en arri�re, ils lui reprochaient seulement de manquer de consistance et de fermet�. Un incident assez curieux mit � nu ces dispositions. Le g�n�ral Cialdini, d�put� et membre jusqu'� ce jour de la majorit�, n'avait point �t� convoqu� � ces r�unions; il s'y rendit toutefois, et se plaignit m�me de n'avoir pas �t� appel�. On s'excusa comme on put, et assez maladroitement sans doute, car le g�n�ral �couta un instant la discussion, puis, se levant avec sa brusquerie naturelle, il d�clara que puisque la majorit� en �tait l�, il n'avait plus qu'� se retirer, et de ce pas il se rendit � la r�union des d�put�s de la gauche. Il y fut accueilli avec des applaudissements enthousiastes; on le pla�a aussit�t au fauteuil de la pr�sidence, et l'opposition se flattait d�j� d'avoir trouv� ce qui lui manquait, un chef parlementaire, lorsque le g�n�ral tomba malade ou pr�tendit l'�tre, et disparut pendant toute la discussion qui allait s'ouvrir et pour laquelle on s'�tait trop h�t� de compter sur lui.

Cette discussion, qui portait sur les documents d�pos�s et sur les d�marches faites � Paris, au sujet de Rome, par M. Ricasoli, commen�a le 2 d�cembre Elle s'ouvrit, comme toutes les pr�c�dentes, par un discours assez �loquent, mais encore plus bizarre, de M. Ferrari, qui revenait d'un voyage dans les provinces napolitaines et en Sicile. Il pr�tendait, que la guerre civile r�gnait dans le midi, ce qui lui valut quelques jours apr�s, de la part des Napolitains, un d�menti non moins v�h�ment que la protestation qu'ils avaient oppos�e � la sortie du d�put� Proto de Maddaloni. Apr�s M. Ferrari, le neveu de M. de Cavour, M. Alfieri, membre du nouveau parti pi�montais, manifesta des vell�it�s d'opposition; M. Massari d�fendit faiblement le minist�re; M. Brofferio l'attaqua avec une �loquence sans port�e. Vint ensuite M. Rattazzi, dont la parole nette et facile est toujours �cout�e, et � qui sa position de successeur pr�sum� de M. Ricasoli et son r�cent voyag� donnaient en ce moment une importance toute particuli�re. Son discours fut, comme sa conduite, moiti� pour, moiti� contre le cabinet. Il le justifia au sujet des embarras de la situation � Rome et � Naples. — Nul ne pouvait savoir, dit-il, quand finirait l'occupation fran�aise; mais tout le monde d�sirait qu'elle fin�t, m�me le pape, qui, prot�g� par la France, ne demande de conseils qu'� l'Autriche. La non-intervention maintenue les armes � la main et la reconnaissance du royaume d'Italie apr�s que les chambres ont d�clar� Rome capitale prouvent que la France veut d�sormais sinc�rement l'unit� italienne. La France veut les Italiens forts pour les avoir � c�t� d'elle au jour du danger. Elle ne retirera ses troupes de Rome que lorsque l'opinion sera plus g�n�ralement admise que le pouvoir spirituel ne souffrira en rien de la perte du temporel.


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En attendant, l'Italie n'a rien de mieux � faire que de s'occuper de son organisation int�rieure. A cet �gard, on a d�j� beaucoup fait. La Lombardie, qui, suivant l'Autriche, devait �tre une plaie aux flancs de l'Italie, supporte toutes les charges qui lui sont impos�es avec une abn�gation parfaite. La Toscane et la Sicile donnent un excellent exemple; Naples est unitaire; Fran�ois II est tomb� si bas qu'aucun de ses g�n�raux n'a voulu se mettre � la t�te des bandes insurrectionnelles, et qu'il a d� remettre sa cause dans les mains de l'Espagnol Borges. Il faut cependant que le gouvernement emploie tous les moyens en son pouvoir pour pacifier les provinces m�ridionales, sans quoi il n'obtiendra jamais la confiance de l'Europe. La pr�sence du g�n�ral de La Marmora � Naples ne suffit pas; il faut administrer habilement, faire ex�cuter les lois, organiser les finances, pr�senter le budget de 1862, organiser et augmenter l'arm�e, enfin ne pas �loigner les hommes avanc�s, car ce serait priver l'Italie d'une de ses plus pr�cieuses ressources.,

Ou cette derni�re partie du discours de M. Rattazzi ne signifiait rien, ou elle signifiait que rien n'�tait fait de ce qu'il fallait faire. Ainsi, apr�s avoir commenc� en minist�riel, il terminait en opposant; il donnait en quelque sorte son programme de candidat �ventuel au pouvoir, mais avec tout le vague habituel des programmes. On n'aurait pas trouv� sur les bancs de la chambre un d�put� qui, en devenant chef de cabinet, n'e�t sign� des deux mains ces d�clarations; elles n'apprenaient donc rien � personne, elles ne pouvaient gu�re augmenter le d�sir de voir M. Rattazzi remplacer M. Ricasoli. La seule partie qui e�t quelque importance dans ce discours est celle o� M. Rattazzi parlait des intentions de la France en homme qui avait pu les conna�tre ou du moins les pressentir dans ses entrevues avec Napol�on III.

Ce fut seulement le 6 d�cembre, apr�s avoir laiss� parler encore les d�put�s Boncompagni et Zuppetta, que M. Ricasoli se d�cida enfin � prendre la parole. Il tenait � r�pondre � tousses adversaires � la fois en homme qui n'aime pas � parler souvent. On disait autrefois que l'importance de la position faisait toute l'�loquence de M. de Cavour; on voyait bien le contraire depuis que ce grand ministre �tait remplac� par M. Ricasoli, � qui ses partisans ne trouvaient d'autre m�rite, comme orateur, que �la franchise superbe, la rigidit� bienveillante, la simplicit� des id�es et le calme dans la volont�.� II protesta d'abord contre les paroles du d�put� Musolino si hostiles � la France, contre les accusations de servilit� envers la France qu'on lui adressait � lui-m�me, et qui contrastaient avec le reproche qu'on lui faisait aussi de montrer trop de t�nacit� et de hauteur. Il continuait l'œuvre de M. de Cavour, et s'occupait de l'organisation int�rieure


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en m�me temps que de la question romaine. Si la s�ret� publique, qui n'existait pas, m�me en germe, avant l'annexion, dans les provinces perdues par le pape et par le roi de Naples, n'y �tait point encore compl�tement assur�e, c'est que deux ans ne suffisaient pas � cette rude t�che. Le corps consacr� � l'accomplir, les carabiniers, �tait d�j� au nombre de 13,000, et il devait �tre bient�t port� � 19,000. La situation des provinces napolitaines �tait au demeurant satisfaisante; M. Peruzzi, dans le r�cent voyage qu'il y avait fait, avait activ� les travaux publics; le brigandage, limit� � la Basilicate et � la Terre de Labour, aurait compl�tement disparu, s'il ne trouvait encore derri�re la fronti�re pontificale un abri inviolable et toutes les ressources n�cessaires pour se perp�tuer, pour se renouveler. M. Ricasoli termina par quelques mots sur sa conduite � l'�gard de Rome, et il demanda � la chambre une d�claration nette qui lui perm�t de savoir s'il avait ou non son approbation.

Les autres ministres donn�rent ensuite des explications sur les affaires de leurs d�partements respectifs. Le ministre de la guerre essaya d'�tablir que l'arm�e de Garibaldi s'�tait dissoute d'elle m�me apr�s la guerre, comme toute arm�e de volontaires, mais que rien n'�tait perdu de ce c�t�, puisque les cadres avaient �t� maintenus; il ajouta que ce n'�tait pas la faute du gouvernement si, apr�s leurs deux mois de cong�, les soldats bourboniens n'�taient pas revenus sous les drapeaux; que l'arm�e se composait de 272,000 hommes, non pas tous pr�sents et aguerris, mais qui le seraient bient�t; que dans un an on aurait 300,000 hommes et 120, 000 gardes nationaux, et que d�j� on avait un mat�riel d'armement et d'�quipement pour une ann�e beaucoup plus nombreuse. M. Peruzzi, qui revenait de Naples et de la Sicile, int�ressa beaucoup la chambre en racontant avec une �loquence simple et naturelle, � la mani�re anglaise, ses actes dans ces provinces et ses impressions de voyage. Il parla des sacrifices immenses que Naples avait faits � l'unit� nationale; il dit qu'il avait parcouru deux fois le pays dans toute son �tendue sans courir aucun danger, mais qu'il avait trouv� partout la mis�re, l'ignorance, sans ports ni �chelles nulle part, les conseils provinciaux remplissant bien leur devoir, mais partout la d�fiance contre le gouvernement, non parce qu'il administrait mal, mais parce qu'il �tait gouvernement. Les populations, si souvent tromp�es, ne croient plus � rien; elles ne disent pas: �Quand nous aurons le chemin de fer,� mais: �Si nous l'avons!� Elles se plaignent de l'envahissement des ouvriers pi�montais pour les travaux relatifs aux voies ferr�es en construction; tout compte fait cependant, il y avait � peine 200 ouvriers des anciennes provinces sur 8,000.


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Plus de 33,000 ouvriers �taient employ�s aux travaux de diff�rente sorte en cours d'ex�cution dans l'ancien royaume des Deux-Siciles, ports, bassins de radoub, etc. La Sicile �tait plus arri�r�e; cependant bient�t Messine serait li�e � Catane par un chemin de fer. M. Peruzzi annon�a m�me que, dans le courant de 1862, il n'y aurait plus que quarante heures de route entre Turin et Naples, et qu'au printemps cette derni�re ville serait reli�e � Rome.

Ces discours n'�puis�rent point la discussion, comme on aurait d� s'y attendre; il fallut encore laisser prendre la parole aux d�put�s Petruccelli, Dondes-Reggio, Mellana, Miceli, Sandonato, Grispi, et � M. Bertani, qui aurait voulu se poser en chef de parti. On peut juger de la l�gitimit� de ses pr�tentions � ce titre par la pens�e suivante, qu'il ne craignit pas d'exprimer, et qui caract�rise assez bien les d�clamations d'un grand nombre des membres du parti avanc�: �Pour aller � Rome, dit M. Bertani, il suffit d'y envoyer une ambassade lire au pape le capitolato de M. Ricasoli. Le pape �coutera, parce que ce sera la voix de Dieu; Rome sera proclam�e capitale, et Napol�on III sera contraint de retirer ses troupes, chass�es par l'ombre vengeresse de Locatelli.� Or M. Bertani n'�tait pas une exception pour l'excentricit�; M. Ferrari �tait-il beaucoup plus s�rieux, beaucoup plus pratique, quand il recommandait pour aller � Rome �les voies d'amour?� Que penser du paradoxal M. Petruccelli, lorsque, renouvelant bien mal � propos, dans la p�riode o� les affaires d'Italie sont entr�es, le mot c�l�bre de Manin, il recommandait d'agiter et de s'agiter, et d'aller � Rome �par les voies de la r�volution?� En somme, parmi tant d'orateurs, personne ne put indiquer une ligne de conduite autre que celle que le minist�re avait suivie; il �tait m�me d�montr� qu'en laissant de c�t� les deux questions o� l'Italie n'a pas sa libert� d'action, ce pays avait fait des progr�s importants dans le sens de l'organisation int�rieure, de l'unification, de l'am�lioration �conomique et financi�re Le vote ne fut point ce que M. Ricasoli avait demand�, �une d�claration nette.� Le minist�re eut bien 232 suffrages contre 79; mais entre l'ordre du jour de M. Boncompagni, qui semblait incliner trop � droite, et celui de M. Macchi, qui inclinait trop � gauche, il fallut, pour obtenir la majorit�, que le gouvernement se ralli�t � l'ordre du jour du centre gauche, pr�sent� par M. Conforti, qui soutenait le minist�re en consid�ration de ses promesses plut�t que de ses actes, et qui �tait ainsi con�u: �La chambre confirme le vote du 27 mars, qui d�clare Rome capitale de l'Italie, et elle a la confiance que le gouvernement aura soin de compl�ter activement l'armement national et l'organisation du royaume. La chambre prend acte aussi des d�clarations du minist�re sur la s�ret� publique,


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sur le choix d'un personnel sinc�rement honn�te et patriote, la r�organisation de la magistrature, le plus grand d�veloppement des travaux publics et de la garde nationale, ainsi que sur toutes les mesures capables de donner le bien-�tre aux provinces m�ridionales, et elle passe � l'ordre du jour.� Une telle r�daction permettait � M. Rattazzi et � ses amis de ne point voter contre le minist�re. M. Depretis, le plus anim� d'entre eux, fut le seul qui resta fid�le � l'opposition. Personne au fond n'avait lieu d'�tre bien satisfait; mais l'importance que paraissait avoir acquise le centre gauche obligeait M. Ricasoli � tenter encore une l'ois de s'adjoindre M. Rattazzi en lui offrant le portefeuille de l'int�rieur. Cet homme d'�tat pas plus qu'aucun autre ne voulut pr�ter son appui � un cabinet que tout le monde regardait comme pr�s de tomber. Il se laissa m�me entra�ner dans un sens tout contraire par ceux qui voulaient faire de lui le chef de l'opposition: sur leur conseil et sous pr�texte de maladie, il donna sa d�mission de pr�sident de la chambre; mais, sur un vœu de celle-ci, provoqu� par M. Minghetti, qui semblait depuis quelque temps prendre la t�che honorable de pr�venir tout ce qui pouvait amener un d�chirement de la majorit�, M. Rattazzi consentit � rester � son poste jusqu'� la fin de la session.

Le cabinet essaya donc de continuer, quoique incomplet, � gouverner la chose publique. Tout lui r�ussissait au dehors dans son cercle d'action: la s�curit� publique �tait r�tablie � Bologne; la suppression des deux lieutenances de Naples et de Sicile ne causait aucune difficult�, aucun embarras. Il donnait � toute occasion sur ses actes des explications auxquelles les chambres ne pouvaient qu'accorder leurs suffrages. Le g�n�ral Menabrea, ministre de la marine, apprenait au parlement que l'Italie avait 81 navires de guerre, dont 21 � voiles, 29 � h�lice, 31 � aubes, sans compter 18 b�timents en construction, dont 14 sur les chantiers de l'�tat et 4 � New-York, en tout 1,331 canons et 19,140 chevaux, tandis que l'Autriche n'avait que 957 canons pour 144 navires. Ce terme de comparaison, qui n'appartient point au ministre de la marine, mais aux statisticiens de l'Italie, n'est que provisoirement acceptable. Une fois l'Italie d�finitivement constitu�e, avec son admirable d�veloppement de c�tes, elle devra aspirer � une puissance maritime bien autre que celle de l'Autriche, et on ne saurait voir, m�me pour le moment, un grand m�rite � la balancer en r�unissant les forces de l'ancien Pi�mont et de Naples. Dans la s�ance du 21 d�cembre, M. Bastogi fit son expos� financier, qui fut et devait �tre favorablement accueilli, car il donnait lieu d'esp�rer que le cr�dit national ne tarderait pas � se relever, et garantissait qu'avec les lois d'imp�t,


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que sans doute le parlement ne refuserait point de voter, on pourrait faire face au d�ficit en recourant aux bons du tr�sor dont la circulation ne montait encore qu'� 37 millions. Le d�ficit pour 1861, qui, � l'�poque de la discussion de l'emprunt, �tait �valu� � 314 millions, s'�tait accru de 77 millions, gr�ce aux cr�dits suppl�mentaires. Le d�ficit pr�vu pour 1862 �tait de 317 millions, dont 210 pour les recettes et les d�penses ordinaires, et 147 pour les extraordinaires. Ces deux exercices r�unis donnent donc l'�norme d�ficit de 717 millions; mais, pour y faire face, M. Bastogi comptait sur 58,880,000 francs provenant de l'ali�nation des rentes napolitaines et siciliennes, dont la cr�ation avait �t� approuv�e par la loi relative � l'unification de la dette publique et sur l'emprunt de 500 millions. Le d�ficit effectif des deux ann�es se trouvait donc ainsi r�duit � 158 millions. Le ministre esp�rait obtenir 139 millions par' de nouveaux imp�ts sur l'enregistrement, le timbre, les boissons, etc., en sorte que, sauf des circonstances nouvelles qu'on ne pouvait pr�voir, le d�couvert r�el ne devait �tre que de 20 millions.

M.Bastogi ne devait pas �tre appel� � appliquer ce syst�me. La situation pr�caire du cabinet permettait depuis longtemps d'en pr�voir la chute. Assur�ment, comme on ne pouvait suivre d'autre politique que celle de M. de Cavour, et que M. Ricasoli la suivait avec toute la t�nacit� de son caract�re, il n'y avait pas de raison s�rieuse pour que la majorit� qui soutenait le grand ministre renvers�t son successeur; mais on reprochait a ce successeur de ne point le remplacer assez compl�tement, et il est probable que ce reproche f�t retomb� sur tout homme, quel qu'il f�t, qui aurait eu l'abn�gation d'accepter un tel h�ritage. L'opposition, ne pouvant �tre politique, s'�tait faite en quelque sorte personnelle. D'une humeur hautaine et difficile, absolu et obstin� dans ses id�es, M. Ricasoli n'avait su se faire d'amis nulle part, ni � l'int�rieur, ni � l'�tranger, ni dans le palais du roi, ni aux Tuileries, ni dans les chambres, ni dans la presse. Son caract�re n'aurait pu convenir qu'� un ministre disposant d'une grande force mat�rielle, et pouvant aller, par le seul effet de sa volont�, � Rome et � Venise. Dans une situation qui demandait des atermoiements, de la souplesse, un grand esprit de conciliation, une grande f�condit� de ressources et d'invention, AI. Ricasoli, port� au pouvoir par l'opinion publique bien plus que par son ambition, �tait le ministre le moins opportun qu'on p�t imaginer. En se retirant de lui, l'opinion lui �tait sa seule force et lui rendait l'exercice du pouvoir impossible. Deux mois � peine s'�taient �coul�s de l'ann�e 1862, qu'il dut se retirer et c�der la place � un nouveau cabinet, pr�sid� par M. Rattazzi. La majorit�, dans ses r�unions particuli�res, avait pr�par� cette substitution, et l'avait rendue in�vitable sans la r�clamer bien nettement.


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Quoi qu'il en soit, depuis le mois de juin 1861, M. Ricasoli n'avait point mal conduit les affaires. S'il n'avait r�solu aucun probl�me, il n'avait rien compromis; il avait m�me fait l'aire un grand pas � l'Italie vers les voies de l'unit�, en supprimant les lieutenances, les gouvernements g�n�raux, en refusant d'adopter le r�gime r�gional recommand� par M. Minghetti. Les progr�s du parti de l'action n'avaient point pour cause la faiblesse du cabinet, mais les difficult�s d'une situation qu'il n'appartenait pas aux pouvoirs italiens de changer. Pendant l'ann�e 1861, l'Italie, si elle n'avait pas beaucoup acquis, n'avait rien perdu; si, par suite de pr�occupations graves, elle avait peu fait pour l'administration int�rieure, elle avait vu ses adversaires abandonner au moins une partie de leurs esp�rances, et, pour tout dire d'un mot, malgr� le d�ficit et le mauvais �tat des finances, malgr� le brigandage, malgr� les puissances �trang�res qui feignaient toujours d'ignorer son existence, elle avait dur�. Aux yeux des juges impartiaux, c'�tait avoir fait beaucoup pour le succ�s d�finitif.


IV. — ROME ET LE POUVOIR TEMPOREL (1).


Anarchie � Rome. — D�monstrations pontificales. — Mauvaises dispositions du pape envers le gouvernement fran�ais. — Manifestations populaires au th��tre et a l'�glise. — Activit� de M. do M�rode. — Conflits avec les troupes italiennes. — Le comit� national. — Fran�ois II � Rome. — Exc�s des troupes pontificales. — Note du cardinal Antonelli (26 f�vrier). — Consistoire secret (18 mars). — Troubles � l'universit� (avril). — Meurtre du gendarme Velluti. — Adresses i Napol�on III et � Victor-Emmanuel. — Brochures eccl�siastiques: MM. Liverani, Passaglia, Reali, Perfetti. — Nouveau consistoire (30 septembre). — Complicit� du saint-si�ge dans les troubles napolitains. — Intervention tardive des troupes fran�aises. — M. de Lavalelte ambassadeur de Franco � Rome. — Statistique des employ�.


L� pape r�gne � Rome, et tout le monde y gouverne. Il serait difficile de dire, par exemple, dans quelle mesure M. de M�rode est d�pendant ou ind�pendant du cardinal Antonelli, � qui la police doit adresser et � qui elle adresse ses rapports. A c�t� de M8r Matteucci, gouverneur de Rome, et � ce titre charg� de la police, n'y a-t-il pas un pr�fet de police fran�ais, M. Mangin? Le g�n�ral de Goyon n'avait-il pas une grande part dans la conduite des affaires pontificales, en ce sens du moins que ses conseils pratiques et imm�diats �taient � peu pr�s des ordres? Enfin le comit� national, malgr� l'obscurit� qui l'enveloppe, n'est-il pas � peu pr�s le seul r�gulateur des d�marches, des cris, des manifestations de tout genre du peuple romain?


(1)Pie IX, pape depuis le 6 juin 1846, n� � Sinigaglia le 13 mai 1792.


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Il y a sans doute une minorit� d�vou�e au pouvoir temporel, et qui suppl�e au nombre par le bruit. C'est elle qui se presse sur les pas du souverain pontife toutes les fois qu'il sort du Vatican et se dirige vers une �glise pour quelque sagra funzione; c'est elle qui crie sur son passage: Vive le pape-roi! Une d�monstration de ce genre avait �t� organis�e pour le 31 d�cembre 1800, jour o� il est d'usage que le pape se rende � l'�glise du Ges�. Le comit� national adressa au peuple romain une proclamation pour l'inviter � ne pas se laisser prendre au pi�ce, � ne pas r�pondre aux acclamations cl�ricales par des acclamations nationales qui auraient pu amener une r�pression s�v�re; mais en m�me temps il adressait au g�n�ral de Goyon une protestation fond�e sur ce fait, que puisqu'il avait �t� d�fendu aux patriotes de manifester leur joie � l'occasion des �v�nemens favorables � la cause italienne, les manifestations contraires devraient aussi �tre d�fendues. Cette conclusion n'�tait pas fort logique, et il aurait pu para�tre singulier d'emp�cher des sujets d'acclamer leur souverain; mais, en pr�vision de quelques troubles, le g�n�ral fran�ais crut devoir faire un d�ploiement de forces suffisant pour emp�cher, de la part des pontificaux, toute provocation.

Ces mesures furent-elles pour quelque chose dans la r�ception que Pie IX fit le lendemain � M. de Goyon � l'occasion du nouvel an? Ce qu'il y a de certain, c'est que le saint-p�re se contenta de lui dire qu'il priait pour toutes les familles en France, depuis la plus �lev�e jusqu'� la plus infime; mais il se refusa absolument � faire aucune mention plus directe de Napol�on III. Les infortunes de Pie IX excusaient dans une certaine mesure son aigreur; il venait d'apprendre que, le 25 d�cembre, les habitants de la principaut� de Ponte-Corvo, appel�s � se prononcer sur leur annexion au royaume d'Italie, l'avaient vot�e par 2, 197 voix contre 197, auxquelles il faut ajouter 175 abstentions. Il ne se passait pas de jour que la police ne f�t, avec une rare maladresse, toute une affaire des manifestations pu�riles auxquelles, dans l'impuissance de montrer ses sentiments d'une fa�on plus s�rieuse, la population romaine se laissait entra�ner. Msr Matteucci faisait fermer le th��tre d'Apollon, parce que, � un vers du Trovatore, o� il est question d'assaillir des cr�neaux, la population romaine avait applaudi, en souvenir du si�ge de Ga�te, et aussi parce que le mot qui signifie cr�neaux (merli) veut dire en m�me temps merles, oiseaux noirs, et �par cons�quent� pr�tres ou abb�s. Ce m�me th��tre ayant �t� rouvert, une phrase de La Traviata donna presque aussit�t lieu � de nouvelles manifestations. �La phthisie ne lui laisse que quelques heures � vivre,� dit le po�me, et l'auditoire,


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l'entendant du pouvoir temporel, applaudit � tout rompre, ce qui fit de nouveau suspendre le cours des repr�sentations. A l'�glise m�me, les Romains trouvaient moyen de faire conna�tre leurs sentiments. Eux qui ne vont gu�re aux offices, ils y allaient en foule le jour o� ils �taient avertis que la liturgie portait ces mots: Emmanuel, rex et legifer noster. L� du moins leurs acclamations restaient impunies, car on ne pouvait songer � fermer les �glises; on ne pouvait que les faire �vacuer, et c'�tait le proc�d� que recommandait le g�n�ral de Goyon. Qu'un peuple soit r�duit � t�moigner ses aspirations et ses r�pugnances par de pareils moyens, cela en dit sur sa situation plus que bien des paroles.

Cette activit� st�rile et m�me funeste de la police n'�tait rien aupr�s de celle de M. de M�rode. Il essayait de r�organiser l'arm�e pontificale, qui avait pourtant montr� � Castelfidardo son impuissance. Il donnait pompeusement le nom de zouaves aux tirailleurs franco-belges, en portait le nombre � 2,000, et mettait � leur t�te le colonel de Becdeli�vre, qui avait d�j� servi sous les ordres du g�n�ral de Pimodan. En m�me temps le ministre des armes fomentait les troubles des Abruzzes. Dans les derniers jours de janvier, il mettait tous ses soins � organiser des exp�ditions. Deux d'entre elles furent arr�t�es par le g�n�ral de Goyon; la troisi�me aboutit � un conflit de quelque gravit�. La petite bourgade de Passo di Correse, sur les fronti�res de la Sabine, est dans une situation telle que les Italiens et les pontificaux peuvent pr�tendre �galement � la poss�der. Un bataillon de zouaves pontificaux, envoy� sur ce point avec une batterie, attaqua un d�tachement italien, compos� seulement, suivant le rapport du colonel Becdeli�vre (28 janvier), de 200 hommes. L'attaque eut lieu, selon le m�me rapport, parce que les Italiens embauchaient � la fronti�re les sujets du pape. Les Italiens, inf�rieurs en nombre, furent battus, mis en fuite, et laiss�rent entre les mains de l'ennemi cinquante des leurs, qui furent conduits � Rome et promen�s triomphalement. L'irritation fut grande dans le parti lib�ral. Les Italiens, s'�tant empar�s de Mgr Grispini, �v�que de Poggio-Mirteto, et de plusieurs pr�tres de cette ville, les emmen�rent comme otages � Rieti, et ne les rendirent que lorsqu'on eut rel�ch� leurs prisonniers. M. Mastricola, intendant de Rieti, et lui-m�me �migr� romain, fit occuper Frosinone et organisa une exp�dition pour r�parer l'�chec de Passo di Correse;. mais le g�n�ral de Goyon s'interposa pour arr�ter les cons�quences de ce conflit en priant Pie IX d'ordonner le rappel de ses zouaves, ce que le pape lit aussit�t malgr� l'opposition de M. de M�rode. En m�me temps M. Mastricola recevait l'invitation d'�vacuer Frosinone et de ne pas donner suite � l'exp�dition projet�e.


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M. de Goyon autorisa les Italiens � reprendre, tambour eh t�te, les positions perdues, apr�s les avoir fait occuper par quatre hussards fran�ais. Cette affaire n'�tait point un fait isol�; il ne pouvait manquer de s'en pr�senter souvent de semblables sur une fronti�re si r�cemment et si mal d�termin�e. Par m�garde ou autrement, le g�n�ral de Sonnaz ayant mis le pied sur le territoire pontifical, les papalins entr�rent dans l'Ombrie, qui �tait d�garnie de troupes; mais il suffit des gardes nationales et des volontaires de Masi pour pr�venir un coup de main contre P�rouse et forcer les assaillans battus � se replier sur Rome, o� ils durent rentrer sur les r�clamations des autorit�s fran�aises.

M. de M�rode ne s'occupait point seul de fomenter des troubles dans l'ancien royaume de Naples; il �tait aid� dans cette t�che par deux anciens compagnons du partisan Passatore, nomm�s Giorgi et Baldini, et surtout par un comit� sanf�diste, qui changea plusieurs fois de forme et de constitution, mais qui, en f�vrier 1861, comptait parmi ses membres les repr�sentants des princes d�poss�d�s: M. Bargagli pour le grand-duc de Toscane, M. Sciarra pour Fran�ois II, Mgr Nardi pour le duc de Mod�ne. Ce comit� avait une caisse toujours bien garnie, et � ses ordres des chefs militaires: Luvera, Lagrange, ce M. de Christen qui se fit arr�ter � Naples au mois de septembre, et les chefs de bandes Chiavone et autres, sans compter l'abb� romagnol Ricci, l'homme le plus actif, le plus infatigable du parti.

Ces men�es souterraines, si puissantes qu'elles fussent, �taient entrav�es par l'action, souterraine aussi, du comit� national, dont la vigilance �tait rarement en d�faut. Dans le principe, il faisait savoir � M. de Goyon tout ce qu'on avait d�couvert, sur les projets de la r�action; mais, voyant que le g�n�ral se renfermait dans son r�le de protecteur du pape et de ses domaines, sans tenir aucun compte des communications qui lui �taient faites, le comit� ne les envoya bient�t plus qu'aux fronti�res, o� les autorit�s italiennes en faisaient leur profit. Pour entretenir les sentiments patriotiques dans la population romaine, deux journaux clandestins furent cr��s, Italia e Roma et l'Eco del Tevere. En outre, de temps � autre, et ne f�t-ce que pour emp�cher la diplomatie de dire que les Romains �taient satisfaits, puisqu'ils ne protestaient pas, on organisait diverses manifestations. Une des plus remarquables eut lieu � l'occasion de la prise de Ga�te: le Corso fut illumin�; la foule. se r�pandit dans les rues, sauf � se disperser d�s que les troupes arrivaient. Des pr�tres m�me prirent part � cette manifestation patriotique jusque sous les fen�tres du Vatican. M. Odo Russell, envoy� anglais, avait d�j� depuis longtemps signal� dans, ses d�p�ches les tendances lib�rales


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 d'une partie du clerg� romain. La m�me nuit, Fran�ois II arrivait au Quirinal, que le pape lui offrait pour asile; le s�jour du jeune prince devait co�ter 150 �cus par jour. Une certaine quantit� de personnes se press�rent sur son passage: mais c'�taient presque tous des Napolitains r�fugi�s et des Allemands. Le roi et la reine ne se content�rent pas de baiser les pieds du pape, ils bais�rent aussi la main du cardinal Antonelli, marquant ainsi la persistance des convictions exag�r�es qui leur auraient rendu si difficile l'exercice d'un pouvoir constitutionnel, national et ind�pendant. Le g�n�ral de Goyon traita ces majest�s d�tr�n�es avec tous les �gards dus au malheur. Il t�moignait moins d'�gards � la population de Rome: le 2i f�vrier, dans un ordre du jour r�dig� en termes violents, il condamnait les proclamations du comit� national et repoussait les f�licitations adress�es par lui � l'arm�e fran�aise. Il est vrai que le g�n�ral ne m�nageait pas beaucoup plus les soldats du pape. Leurs exc�s for�aient quelquefois les autorit�s fran�aises � protester, et notre arm�e � sortir de son inaction; les habitants des provinces laiss�es au saint-si�ge se plaignaient vivement de leurs d�fenseurs officiels: un des chefs de ceux-ci, le major Piccioni, dans un ordre du jour publi� � San-Gregorio le M janvier, se voyait oblig� d'admonester ses soldats, de leur reprocher �des ivrogneries, des bestialit�s, des conversations m�disantes et impudiques;� il ajouta qu'ils ne respectaient pas toujours �la sainte �glise et les ministres de Dieu.� Ces exc�s d�termin�rent le g�n�ral de Goyon � occuper Frosinone et plusieurs points de la fronti�re napolitaine. C'est pour payer de pareilles troupes que les fid�les catholiques envoyaient des subsides consid�rables, �sans compter les pri�res,� disait le Journal de Rome, et que M. de M�rode faisait vendre des tableaux! On avait vu du reste, la veille de No�l, les zouaves et autres soldats pontificaux communier de la main m�me du pape � la chapelle Sixtine. Le ministre des armes ne vivait pas cependant en bonne intelligence avec leurs chefs: le colonel Becdeli�vre avait la conviction de son impuissance pour toute autre t�che que la d�fense de Rome: le ministre ayant voulu le forcer d'aller en avant, M. Becdeli�vre en r�f�rait au pape, qui lui donnait raison; mais cela n'emp�chait pas M. de M�rode de le mettre aux arr�ts. Des bandes d'aventuriers que conduisaient M. de Christen et consorts engageaient tant�t avec les Italiens r�guliers, tant�t avec les volontaires de Masi, des combats qui tournaient le plus souvent � l'honneur du parti national, comme par exemple � Carsoli le 22 f�vrier.

Ce sont ces mis�res et ces luttes qui constituent l'histoire des �tats pontificaux pendant une grande partie de l'ann�e 1861.


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De temps � autre toutefois lu chancellerie du Vatican sortait de son silence pour protester contre ce qui se passait au dehors et maintenir l'attitude inflexible qu'affectait le saint-si�ge. Une brochure de M. de La Gu�ronni�re, publi�e � Paris sous ce titre: la France, Rome et l'Italie, parut au cardinal Antonelli m�riter une r�ponse; il la fit (26 f�vrier) longue, d�taill�e, sous la forme d'une d�p�che � Mgr Meglia, charg� d'affaires en France. Il y avait beaucoup de force, on ne saurait le nier, dans l'argumentation du cardinal Antonelli, surtout quand il attaquait une politique qu'il regarde comme hostile au saint-si�ge. On ne pouvait m�conna�tre dans ces refus obstin�s et motiv�s, malgr� une inexcusable violence d'expression, je ne sais quelle grandeur. Moins politique, mais plus absolu encore �tait le langage de Pie IX dans le consistoire secret du 18 mars: il s'en prenait � la civilisation m�me et d�clarait ne la pouvoir suivre dans les voies o� elle marchait. Sollicit� dans cette r�union par des pr�lats fran�ais, bavarois et autrichiens de quitter Rome, il s'y refusait � cause de son �ge, de ses infirmit�s et d'un certain sentiment du devoir qui le poussait non-seulement � rester dans sa capitale, mais � s'y d�fendre, et le faisait pr�sider lui-m�me � l'exercice du tir � canon. Quoi qu'on puisse penser de ces pr�occupations militaires, dont l'impuissance est si manifeste � des yeux non pr�venus, on pouvait regretter que Pie IX ne f�t pas des visites dans ses prisons aussi bien qu'au camp de Tor-di-Valle; il y aurait vu par ses yeux les abus qu'un lamentable rapport de M. Pepoli, commissaire royal pour les Marches et l'Ombrie, r�v�lait en ce moment-l� m�me � l'Europe: la d�lation, les coups, la folie, de longs intervalles entre la condamnation et le ch�timent, les conditions hygi�niques les plus d�plorables, l'accouplement immoral des criminels vulgaires avec les d�tenus politiques, tel �tait le sombre tableau que tra�ait M. Pepoli, et auquel le gouvernement pontifical affecta de ne donner aucune attention, parce qu'il �manait d'un ennemi (12 mars).

Ce nom d'ennemi �tait la plus s�rieuse raison qu'on oppos�t d'ordinaire � ceux qui signalaient la mauvaise administration du pouvoir temporel, ou qui par leur conduite t�moignaient leur m�contentement. C'�taient des ennemis que ces jeunes �tudiants de l'universit� de Rome qui, � propos de l'arrestation peu justifi�e de quelques-uns de leurs camarades, arboraient le drapeau tricolore, poussaient des cris patriotiques jusque devant les gendarmes, et adressaient (20 avril) une protestation au cardinal Altieri, dans laquelle ils se d�claraient tr�s d�vou�s au pape comme catholiques, mais tr�s oppos�s � son gouvernement comme citoyens. Ils n'eussent point �t� ennemis, ils eussent �t� simplement opposants,


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si la moindre objection ne passait pour preuve d'inimiti� sous un pouvoir qui ne parvient pas ais�ment � ne pas �tendre jusqu'au temporel l'infaillibilit� � laquelle il pr�tend pour le spirituel. C'est l'intervention brutale des gendarmes, dont la conduite fait un si frappant contraste � Rome avec celle des gendarmes fran�ais, qui pousse les Romains � des actes regrettables, criminels quelquefois. Ainsi il se passa, le jour de la f�te de saint Pierre, un �v�nement qui a fait trop de bruit dans toute l'Europe, et trop de mal moralement au saint-si�ge, pour qu'il ne convienne pas d'en dire un mot. La foule revenait de la Place du Peuple, o� l'on avait tir� un feu d'artifice; en passant, elle aper�oit quelques transparents o� se lisaient des paroles patriotiques; ces paroles sont r�p�t�es sous forme d'acclamations, les gendarmes accourent et frappent � droite et � gauche sur des gens inoffensifs. Ceux-ci, se croyant en droit de l�gitime d�fense, ripostent; un d'eux, nomm� Locatelli, frappe de son couteau le gendarme Vellutt, qui tombe mort presque aussit�t. Le coupable est arr�t�, on lui fait son proc�s. Rien au monde ne prouvait qu'il e�t �t� l'agresseur, et les rapports de la police fran�aise donnaient m�me � penser le contraire; les d�positions des t�moins n'�taient pas concluantes, elles �taient pour la plupart contradictoires, pu�riles, invraisemblables. Pour ne parler que de celle sur laquelle s'appuyait surtout l'accusation, le cuisinier du g�n�ral de Goyon pr�tendait avoir vu d'une fen�tre du second �tage, au palais Ruspoli, � la lueur du gaz, au milieu d'une foule compacte, que Locatelli avait frapp� sans avoir lui-m�me re�u aucun coup auparavant. Dans tous les cas, les conditions o� ce meurtre s'�tait accompli semblaient r�clamer une sentence adoucie; par z�le ou par crainte, le tribunal pronon�a un arr�t de mort. Il est juste de dire toutefois que le pr�sident, Mgr Sagreti, crut devoir pr�senter au souverain pontife les consid�rations qui militaient pour une commutation de peine; Pie IX fut inflexible, et Locatelli p�rit sur l'�chafaud. Ce qui aggrava encore cette d�plorable affaire, c'est que, peu de jours avant l'ex�cution de la sentence, un Romain nomm� Castrucci, r�fugi� depuis peu � Florence, se d�clara l'auteur du meurtre reproch� � Locatelli. Il fournit aux autorit�s italiennes des preuves qu'on a pu regarder comme peu concluantes. M. de Gramont, notre ambassadeur, et le g�n�ral de Goyon se d�clar�rent m�me convaincus de la culpabilit� de Locatelli; l'Europe civilis�e n'en accueillit pas moins avec une certaine stupeur la nouvelle d'une ex�cution qu'aucun gouvernement la�que n'e�t ordonn�e dans de pareilles circonstances.

Comment s'�tonner, apr�s de pareils actes, que les Romains aient sign� des adresses �. Napol�on III et � Victor-Emmanuel? En deux mois, malgr� un prix de 300 �cus promis aux d�nonciateurs,


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malgr� la n�cessit� d'agir en secret, on recueillit 9,588 signatures, obtenues dans toutes les classes. A ce chiffre, d�j� consid�rable, puisqu'il supposait chez les signataires un certain courage civil, il aurait fallu ajouter 1,500 exil�s, d�tenus politiques ou volontaires engag�s dans l'arm�e italienne, pour se faire une id�e des sentiments vrais de la population virile dans la seule ville de Rome. Les adresses signalaient l'�tat d�plorable du commerce et de l'industrie. Le Journal de Rome donna en vain un d�menti � ces assertions, dont tout �tranger pouvait constater la v�rit�.

Mais l'heure �tait venue d'attaques plus sensibles au saint-si�ge, parce qu'elles venaient d'eccl�siastiques qui semblaient ses d�fenseurs naturels. Mpr Liverani, protonotaire apostolique et pr�lat domestique, ouvrit le feu. Retir� � Florence, il y publia an �crit intitul� la Papaut�* l'Empire et le royaume d'Italie. Œuvre d'un esprit difficile, peu capable de m�nagements et de conciliation, qui passait aux yeux de ses sup�rieurs, dit-il lui-m�me, pour un homme turbulent, �trange, versatile, fou, ce livre �tait une attaque violente contre le pouvoir temporel, une accusation en r�gle contre le clerg� romain. Mgr Liverani combattait le cardinal Antonelli et se rattachait en th�orie, comme M. Ferrari, � la monarchie de Dante. Seulement les partisans actuels de cette doctrine prennent un moyen terme entre les guelfes et les gibelins en r�unissant l'unit� gibeline et la nationalit� guelfe par cette formule: unit� et d�centralisation sous un prince national. La nouveaut� introduite par Mer Liverani �tait de vouloir que la royaut� de Victor-Emmanuel, prince national, se transform�t en empire, c'est-�-dire en pouvoir lointain et vague qui laisserait au pape son domaine, ce qui est, selon l'auteur, tr�s canonique, mais ce qui semble tr�s peu praticable.

Cette audace d'un pr�lat domestique fut punie de la destitution, comme on pouvait le pr�voir. Ce qui parut plus extraordinaire, ce fut la sommation adress�e au p�re Jacques, qui avait os� donner les derniers sacrements � M. de Cavour, d'avoir � se rendre � Rome, pour y rendre compte de sa conduite, incrimin�e pour ce fait grave de n'avoir pas exig� du mourant une r�tractation formelle. On craignait g�n�ralement pour le p�re Jacques une punition s�v�re; les protestations universelles auxquelles cette �ventualit� donna lieu emp�ch�rent le Saint-Si�ge de commettre cette nouvelle imprudence: la cour de Rome se borna � priver l'inculp� de l'administration d'une paroisse de Turin, celle de la Madone des Anges, dont il �tait charg� depuis 1852.

Un coup plus terrible allait frapper le pouvoir temporel: il �tait dirig� par une main plus s�re et plus habile que celle de Mgr Liverani.


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Le p�re Passaglia avait une grande r�putation � Rome et dans le monde eccl�siastique, comme un des principaux docteurs qui soutinrent devant la catholicit� le dogme de l'immacul�e conception, quand Pie IX jugea � propos de le d�cr�ter. J�suite, il avait abandonn� son ordre par suite de quelques discussions th�ologiques, dans lesquelles il avait refus� de se soumettre. Les souvenirs des services qu'il avait rendus dans l'affaire du dogme nouveau le prot�g�rent aupr�s du pape, qui lui donna une chaire de philosophie � l'universit�. Ainsi ce n'�tait ni un homme d'un caract�re difficile, ni un ambitieux m�content, ni un pr�tre pers�cut� qui allait �lever la voix contre le pouvoir temporel. Le p�re Passaglia publia une longue lettre sous ce titre: Pro caussa italien ad episcopos catholicos auctore presbytero catholico. En �crivant dans la langue latine, en s'adressant exclusivement aux �v�ques, l'auteur montrait bien qu'il ne cherchait pas le scandale, mais seulement l'exposition et le triomphe d'id�es qu'il regardait comme v�ritables et qui lui �taient ch�res. L'intention ne paraissait pas seulement par le titre; le langage th�ologique, les innombrables citations tir�es des p�res et des docteurs prouvaient �videmment que c'�tait dans l'esprit des �v�ques et du clerg� que le p�re Passaglia cherchait � porter la conviction. C'�tait l�, on ne saurait le dissimuler, une entreprise de grande cons�quence, et s'il est vrai, comme on l'a pr�tendu, qu'elle e�t �t� concert�e avec M. de Cavour dans une entrevue qui avait eu lieu en effet quelque temps auparavant, on ne saurait s'�tonner de cette parole qu'on pr�te � l'illustre ministre: �Vous verrez bient�t ce qu'on peut faire avec la th�ologie.�

Quoi qu'il en soit de ces assertions, qui paraissent assez peu croyables, le p�re Passaglia entreprenait d'�tablir que le pouvoir temporel n'est pas de dogme, et que le pape doit se rapprocher de l'Italie pour �viter un schisme. Il partait de ce principe, que la r�volution italienne, bien qu'elle ne porte pas les signes manifestes d� la justice, n'est pas cependant injuste d'une mani�re certaine, et qu'en cons�quence, th�ologiquement, les �voques et le pape pouvaient s'y rallier: in dubiis libertas. Trois choses jusqu'� ce jour se sont oppos�es � un arrangement: 1� la solennit�, la multiplicit� des refus du pape; 2� le serment du pape de ne point ali�ner les domaines de l'�glise; 3� la crainte qu'a le pape de n'�tre plus libre quand Rome sera la capitale de l'Italie. C'est � ces trois difficult�s que le p�re Passaglia r�pondait avec tout l'arsenal de son �rudition scolastique. Ses r�ponses peuvent se r�sumer en peu de mots: 1� parce que le pape a dit non jusqu'� ce jour, ce n'est pas une raison pour que le sentiment de la justice ou celui des n�cessit�s de l'�glise ne lui fasse pas maintenant dire oui; 2� le serment qu'il a pr�t� avait pour objet, dans son origine, au XVIe si�cle,


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de pr�venir l'ali�nation d'une partie des domaines de l'�glise au profit des neveux et fils l�gitimes ou naturels des papes; 3� la libert� ne manquera point au successeur de saint Pierre: elle lui a �t� promise, elle lui sera garantie, elle sera plus grande que par le pass�. Ce qui frappe surtout dans cette lettre, c'est la menace d'un schisme, dont elle l'ait un �pouvantail. Au point de vue moderne, le p�re Passaglia venait de publier une œuvre de peu de port�e, de m�diocre int�r�t: c'est par d'autres raisons que les textes de saint Thomas d'Aquin qu'on �tablira les droits des Romains � avoir le gouvernement qu'ils veulent, et ceux des Italiens � ne plus former qu'une seule famille et � �tablir leur parlement dans la seule ville devant laquelle se taisent toutes les rivalit�s; mais comme moyen d'action sur une classe d'hommes qui restent inaccessibles aux arguments de la raison, le travail du p�re Passaglia �tait un auxiliaire qui n'�tait point � d�daigner. La cour de Rome en comprit la port�e; l'auteur pers�cut� dut se cacher d'abord, s'enfuir ensuite dans des circonstances assez romanesques, et se retirer � Turin, o� il re�ut, comme partout sur son passage, le plus brillant accueil. L'ouvrage ayant �t� condamn�, le p�re Passaglia se soumit de fuit � la sentence; mais il n'y voulut pas donner son acquiescement, pour �viter que les juges pussent dire, suivant la formule usit�e: auctor laudabiliter se snbjecit. M. Ricasoli lui confia bient�t apr�s une chaire du haut enseignement.

Le bruit que fit cette affaire mit la plume � la main � d'autres eccl�siastiques, qui ne craignirent plus alors de dire leur sentiment. Le chanoine Reali, de Ravenne, encourut les censures eccl�siastiques pour un �crit intitul�: De la libert� de conscience dans ses rapports avec le pouvoir temporel des Papes, quoiqu'il se d�clar�t parfaitement soumis aux d�cisions de l'�glise et ne s'�lev�t que �contre les influences impures qui dominent actuellement � Rome.� Les bons pr�tres en souffrent, ajoutait-il; mais ils plient devant la curie romaine, de peur d'�tre chass�s du sanctuaire. Bient�t parut une nouvelle brochure, intitul�e la Curie romaine et les Jesuites. Elle contenait d'abord la controverse survenue entre l'�v�que de Bruges et les professeurs de l'universit� catholique de Louvain sur une question th�ologique de nul int�r�t pour les la�ques, mais qui avait amen� le p�re Passaglia � sortir de la compagnie de J�sus et le cardinal d'Andr�a � donner sa d�mission de pr�sident de la congr�gation de l'index (1). La brochure contenait en outre des lettres,

(1)La querelle de Louvain portait sur la valeur respective de la raison et de la tradition. Les professeurs de l'universit� �taient traditionalistes avec Lamennais, et l'abb� Hautain, Mgr Malou, �v�que de Bruges et les j�suites de l'index d�fendaient la raison, mais, sur le� instances du p�re Perrone, Pie IX avait r�solu de faire d�battre � nouveau la question par la congr�gation de l'index unie � celle du saint-office. C'est cette d�cision qui avait amen� la d�mission du cardinal d'Andr�a.


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des �crits relatifs aux censures prononc�es contre le pr�lat Liverani et le chanoine Reali. Ces documents n'�taient de nature � produire quelque bruit que parmi les eccl�siastiques. Enfin parut un dernier opuscule qui du moins portait la trace d'un certain talent; l'auteur �tait l'abb� Perfetti, qui avait �t� secr�taire du cardinal Marini et biblioth�caire de l'universit� de Rome. Dans ce court travail, intitul� Delle nuove condizioni del Papato, l'abb� Perfetti montrait que ce n'�tait pas le royaume d'Italie qui avait soulev� la question romaine, mais qu'il en avait seulement rendu la solution plus urgente. Les troupes de la France et de l'Autriche, en effet, occupaient les �tats du pape avant qu'�clat�t le mouvement unitaire en Italie. La th�ocratie, poursuivait l'auteur, est incompatible avec la civilisation moderne; il faut donc que le tr�ne pontifical tombe, et le plus t�t ne sera que le mieux. La soci�t� la�que ne veut plus du droit divin et ne peut faire une exception pour le pape. Dans la pratique, tout s'arrangerait facilement � Rome apr�s le d�part des troupes fran�aises. Ceux qui soutiennent le pouvoir temporel, en le voyant tomber, s'empresseraient de se rallier au royaume d'Italie. Le pape resterait inviolable, libre dans son action spirituelle; une libert� absolue serait assur�e aussi � tous les chefs de corps religieux qui croiraient devoir vivre aupr�s de lui, et cette libert� s'�tendrait m�me � des choses contraires aux lois. La question d'honneurs et d'argent, tr�s secondaire du reste, serait r�solue d'une mani�re encore plus large par les incr�dules que par les croyants. Qu'on ne dise pas que Rome appartient aux catholiques de l'univers entier: les monuments religieux, soit, et l'on donnera au pape de quoi les entretenir; mais le corps et l'�me des Romains ne peuvent appartenir � tout le monde. Les violences des rois contre le pape ne seront pas plus � craindre apr�s la chute du pouvoir temporel qu'elles ne l'�taient, qu'elles ne le sont depuis que dure ce pouvoir impuissant � rien prot�ger. Ne sait-on point, par l'histoire de Napol�on et de Pie VII, que la faiblesse pontificale triomphe de la force? Surveill� par tous les gouvernements catholiques, le gouvernement italien sera plus int�ress� que tout autre � s'abstenir de la violence. D'autre part, il n'est pas � craindre qu'il se fasse l'instrument de la papaut�. La vraie objection, celle qu'on ne dit pas, c'est que la diplomatie aime � voir le pape embarrass� du temporel, parce que pour soutenir ce temporel on ne saurait se passer d'elle, tandis que, r�duit au spirituel, il serait ind�pendant de tout le monde. On peut voir en effet � quel point il est d�pendant aujourd'hui: l'Autriche d�chire les concordats, Rome ne souffle mot, parce que le temporel a besoin de l'amiti� de l'Autriche: la Russie pers�cute le clerg� polonais, Rome ne se brouillera pas avec elle, pour pouvoir compter sur l'appui de ses protestations dans les questions temporelles.


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Serait-ce que Gr�goire XVI et Pie IX ont �t� des hommes faibles? Sixte Quint, qui fut fort, a trembl� tout son r�gne, pour le temporel, devant les Espagnols. Enfin quelques personnes affectent de craindre un pape r�volutionnaire; mais pourquoi un pape sans �tats serait-il plut�t r�volutionnaire qu'un pape possesseur d'un petit �tat? Il faudrait d'ailleurs qu'il entra�n�t avec lui les cardinaux et les pr�lats, qu'il comprom�t son infaillibilit� avec les passions du jour. Pr�cis�ment la soci�t� a besoin d'un pape non-roi dont l'influence catholique balance les emportements r�volutionnaires des peuples. L'Europe a besoin de redevenir chr�tienne; rendons-lui un pape qui ne soit plus un petit prince italien. Un pape qui ne sera ni sujet ni ma�tre, partout pr�sent et partout �tranger, sera la plus pure repr�sentation de Dieu.

Ainsi parle l'abb� Perfetti, dont le m�rite est d'envisager, dans un travail assez court et dans un langage tr�s mod�r�, toutes les faces de la question. La cour de Rome ne pourra bient�t plus pr�tendre que tous les eccl�siastiques qui se tournent contre elle sont des hommes perdus d'ambition et de vices; ils quittent quelquefois une position honorable pour dire tout haut leur sentiment, et ils le disent avec une mod�ration de paroles qui permet de croire qu'ils sont anim�s de sinc�res convictions.

En dehors de ces publications, qui portaient le trouble dans l'entourage du souverain pontife, la papaut� ne se manifeste directement que par les d�p�ches du cardinal Antonelli et les allocutions de Pie IX en consistoire secret. Nous avons d�j� parl� d'un remarquable document du secr�taire d'�tat; le 9 juillet, il protestait aupr�s des puissances contre l'emprunt des 500 millions, contract� par le royaume d'Italie, pour la part aff�rente aux provinces jadis d�pendantes du Saint-si�ge. Le 22 du m�me mois, dans un consistoire secret, le pape s'exprimait avec amertume contre ses ennemis; il signalait entre autres le clerg� de Milan, une coll�giale du duch� de Mod�ne, un �v�que du royaume de Naples et plusieurs eccl�siastiques de ces provinces* et il se plaignait des puissances qui avaient reconnu le royaume d'Italie. Le 30 septembre, autre consistoire secret o� furent nomm�s membres du sacr� coll�ge Mgr Billiet, archev�que de Ghamb�ry, Mgr Sacconi, nonce � Paris, Mgr Cuesta, archev�que de Gompostelle, Mgr Bedini, �v�que de Viterbe, Mgr Lapuente, archev�que de Burgos, Mgr Guaglia, secr�taire de la sacr�e congr�gation du concile, et le p�re Pauebianco, des mineurs conventuels, consulteur du saint-office. Dans la harangue qu'il pronon�a � cette occasion, Pie IX avait accueilli les bruits si r�pandus, dans le parti hostile � l'Italie, d'actes de brutalit� et de f�rocit� reproch�s aux soldats italiens.


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Cinq pr�tres de Teramo avaient �t�, disait-on, arrach�s de l'autel avec leurs habits pontificaux et fouett�s jusqu'au sang. Le chanoine Fabbri, secr�taire de l'�v�que Milella, avait �t� fusill�. La premi�re de ces deux assertions avait �t� publiquement d�mentie par l'archidiacre, douze chanoines et quatre cur�s de Teramo, la seconde par le cur� Spinozzi, qui avait �t� constamment aux c�t�s de l'�v�que (lettres des 25 et 28 septembre). On peut juger par l� � quel point le pape est dupe des assertions int�ress�es et peu v�ridiques de ceux qui l'entourent.

Indirectement le gouvernement avait la main dans les troubles qui agitaient l'ancien royaume des Deux-Siciles. Depuis le mois de mai, Fran�ois II agissait ouvertement � Rome, laissait faire en son nom des enr�lements au palais Farn�se, qui est sa propri�t�, et au Quirinal, qu'il habitait. Il donnait des signes de ralliement (une bague de fer ou de plomb), il envoyait son argenterie � la Monnaie pour y faire fabriquer des pi�ces fausses � son effigie. Le gouvernement pontifical �tait complice d'abord en permettant ces men�es, puis en laissant sa fronti�re ouverte pour donner refuge aux partisans, en tol�rant leur d�part comme leur retour, les convois d'armes, d'habits, d'argent, en acceptant que les embaucheurs eussent un papier qui les d�clarait recruteurs pour les arm�es de sa saintet�, en fournissant m�me sous main des armes aux bandes ainsi recrut�es. A cet �gard, il faut distinguer soigneusement entre le cardinal Antonelli, qui feignait de ne rien savoir, qui protestait de son ignorance et de son innocence devant les r�clamations de la diplomatie fran�aise, et M. de M�rode, qui secondait � peu pr�s au grand jour les projets de Fran�ois II, et avait m�me avec le g�n�ral de Goyon de violentes altercations qui allaient jusqu'aux injures d'une part et aux menaces de l'autre. C'est fort tard seulement, et sur des ordres expr�s venus de Paris, que le g�n�ral se d�cida � faire opposer par nos troupes quelque r�sistance, sur divers points, � l'entr�e et � la sortie des champions de Fran�ois II. Vers la fin de l'ann�e, M. de Lavalette, �tant venu � Rome remplacer M. de Gramont en qualit� d'ambassadeur, avait, para�t-il, mission d'inviter l'ex-roi de Naples � faire choix d'une autre r�sidence. Fran�ois II r�pondit nettement qu'il ne s'en irait que si on le chassait, qu'� Rome il �tait chez lui, les propri�t�s qu'il y avait le faisant prince romain, qu'ailleurs il serait � charge � ceux qui le recevraient, et qu'il leur donnerait des embarras politiques bien plus grands. L'expulsion d'un souverain d�chu ne pouvant �tre dans les desseins de la France, il fallut tol�rer la pr�sence du jeune roi � Rome, o�, quoi qu'il en p�t dire, les embarras qu'il causait �taient et sont encore plus grands que ceux qu'il pourrait causer partout ailleurs.


240

L'ann�e se termina, comme elle avait commenc�, par des d�monstrations populaires. Au th��tre Alibert, il y avait un acteur nomm� Savoia: on en profita pour crier viva Savoia! La police fit des arrestations nombreuses et ferma le th��tre. Pour le rouvrir, l'assesseur de police Pasqualoni imposa au directeur la condition de payer une amende de 500 ducats chaque fois qu'il y aurait du bruit dans l'auditoire. Cette surveillance rigoureuse pour les moindres manifestations ayant une apparence politique a pour contrepoids une n�gligence ou une indulgence sans bornes pour les crimes et d�lits communs. Le plus souvent on refuse de les voir, de les poursuivre, ou si on les poursuit, le ch�timent est vraiment digne d'un gouvernement paternel; c'est, on ne l'ignore pas, le nom auquel pr�tend le saint-si�ge. Depuis bien des ann�es, l'�chafaud ne s'est dress� � Rome que pour des condamn�s politiques.

C'est encore une des pr�tentions du gouvernement pontifical d'�tablir que les eccl�siastiques ne sont qu'une minorit� dans le nombre des employ�s. Celle-l� du moins est fond�e, sous cette r�serve que les eccl�siastiques occupent les gros emplois. On verra peut �tre avec int�r�t quelques chiffres pr�cis � ce sujet.

 


EMPLOYES

TRAITENMENT


Eccl�siastiques


S�culiers.

des Eccl�siastiques

des

S�culiers.

Affaires �trangeres

17

30

68,486

11,468

Int�rieur                         

156

1,411

52,123

254,160

Instructiou publique   

3

11

1,400

3,444

Finances                         

3

2,017

5,680

514,172

Gr�ce et justice             

59

927

56,311

246,674

Commerce et beaux-art

1

61

2

13,136

Travaux publics               

2

100

426

34,515

Armes                             


98


34,151

Police                               

2

404

4,119

75,072


243

5,059

190,575

1,186,192


On peut voir par ce tableau que les eccl�siastiques, de beaucoup les moins nombreux, ont les plus gros traitements dans une proportion de 783 contre 234. Nous constatons le fait pour r�pondre � des assertions contraires, mais nous ne le bl�mons pas, et rien ne semble plus naturel que de voir un gouvernement eccl�siastique donner la principale part de sa confiance � des pr�tres.


241

L'avenir n'est pour aucune puissance au monde plus sombre, plus charg� d'orages que pour le pouvoir temporel du saint-si�ge. Comme il est impossible d'admettre que les provinces �chapp�es au joug y soient de nouveau soumises, l'affranchissement de 2,400,000 de ses sujets laisse peu d'espoir au souverain pontife de persuader aux 600,000 qui lui restent qu'ils doivent s'estimer heureux de leur sort. Toute son esp�rance doit donc �tre dans le maintien du statu quo, puisqu'il est manifeste que, les troupes fran�aises une fois retir�es, le gouvernement pontifical ne tiendrait pas vingt-quatre heures devant l'explosion populaire. Or, si r�solu que soit Napol�on ITI � rester � Rome, il suffit de rappeler ce qu'a dit publiquement un ministre-orateur, M. Billault, que nous n'y restions qu'en violant le droit positif, incontestable des Romains, pour �tre amen� � cette conclusion, que cette violation doit avoir un terme, et qu'il est n�cessaire de rechercher d�s � pr�sent par quels moyens on pourra la faire cesser. A cet �gard, le m�me ministre s'en est r�f�r� � la Providence; mais peut-�tre d'autres parties de ses discours au s�nat et au corps l�gislatif permettent-elles de croire que la solution entrevue est celle-ci: le gouvernement fran�ais retirera ses troupes de Rome lorsque l'opinion sera assez g�n�ralement r�pandue que le pouvoir spirituel du saint-si�ge n'a rien � redouter de la perte (possible dans le cas d'une �vacuation) du pouvoir temporel.









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