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Testo interessante e ben documentato. Peccato sia in francese!

Zenone di Elea – 7 Dicembre 2012

HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1860 EN SICILE.

DE SES CAUSES ET DE SES EFFETS DANS LA RÉVOLUTION GÉNÉRALE DE L'ITALIE
PAR

l'Abbè Paul Bottalla.

ÉDITION ORIGINALE FRANÇAISE

Par M. J. GAVARD.

Ouvre la bouche

Et ne cache pas ce que je ne cache pas moimême.

 (Dante, Paradis, Ch. XXVII. )

TOME PREMIER.

BRUXELLES

H. GOEMAERE, IMPRIMEUR ÉDITEUR

RUE DE LA MONTAGNE, 52.

1861

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Histoire de la révolution de 1860 en Sicile. De ses causes et de ses effets

dans la révolution générale de l’Italie par l'abbè Paul Bottalla..............................HTML__01_01

Histoire de la révolution de 1860 en Sicile. De ses causes et de ses effets

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Histoire de la révolution de 1860 en Sicile. De ses causes et de ses effets

dans la révolution générale de l’Italie par l'abbè Paul Bottalla..............................HTML__02_02

CHAPITRE I.  - Condition politique de la Sicile depuis 1849, jusqu'à la mort de Ferdinand II.

1

CHAPITRE II.  - État moral et religieux de la Sicile avant la révolution de 1860 

14

CHAPITRE III. - Les Jésuites en Sicile avant la révolution de 1860 

28

CHAPITRE IV.  - Premiers symptômes de la révolution et commencement du règne de François II. 

28

CHAPITRE V.  - La pais de Villafranca et la révolution italienne 

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CHAPITRE VI.  - Caractère politique de la révolution italienne. Le royaume de Naples entre la diplomatie et l'insurrection. Nouvelle phase de la révolution en Italie

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CHAPITRE VII.  - Caractère tyrannique et antireligieux de la révolution italienne

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 CHAPITRE VIII.  -Suite du précédent. Les Jesuites devant la révolution italienne. 

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CHAPITRE IX.  - Caractère de la révolution sicilienne. — Manœuvres du parti révolutionnaire dans le royaume de Naples et de Sicile. — Premiers événements du mois d'avril à Palerme

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CHAPITRE X.  - Suite du précédent. Mouvement dans le reste de la Sicile. Démonstration 5 Palerme

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CHAPITRE XI.  - Expédition de Garibaldi en Sicile. — Remontrances des grandes puissances.— Complicité manifeste du gouvernement de Cavour

173

HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1860 EN SICILE.

TOME I.

«Je suis pour l'autorité contre la révolte, pour la conservation contre la destruction, pour la société contre le socialisme, pour la liberté possible, du bien contre la liberté certaine du mal; et dans la grande lutte entre les deux forces qui se partagent le monde, je crois, en agissant ainsi, être encore, aujourd'hui comme toujours, pour le catholicisme contre la révolution.»

(C. te de Montalembert, Lettre à M. Veuillot. )

INTRODUCTION. AUX LECTEURS.

Nous ne méconnaissons pas la difficulté de l'œuvre que nous avons entreprise, en voulant publier l'histoire d'événements qui n'ont pas encore eu leur dernier développement, et la publier dans un temps où les passions sont encore frémissantes et avant l'entière production de tous les documents propres à nous initier plus avant aux desseins les plus cachés et aux menées les plus secrètes de la révolution. Nous savons, sans nous faire la moindre illusion à cet égard, que notre livre heurtera des opinions et des préjugés, devenus l'objet de vifs applaudissements et des sympathies d'un grand nombre; nous nous attendons à recevoir le blâme et l'injure d'un parti dont la puissance prévaut encore au sein de la Péninsule. Notre intention toutefois n'a pas été d'offrir à nos lecteurs un travail complet d'histoire contemporaine, mais de faire entendre hautement et librement le langage de la vérité et de la justice, en faisant de bonne foi et avec tous les documents qu'il nous a été possible de réunir, le récit des faits qui, altérés et défigurés par la dissimulation ou par le mensonge, ont pris un aspect et revêtu de formes tout à fait différentes de leur physionomie véritable.

— II —

Nous n'avons pas mis la main à la plume pour défendre un parti, pour faire l'apologie d'un système, pour réhabiliter dans l'opinion tel ou tel personnage; nous n'avons pas agi non plus par motif de haine ou de vengeance, ni par besoin de dénigrer des hommes en réputation de valeur, de patriotisme ou de sagesse politique; notre voie est celle de la justice, notre drapeau celui de la vérité: les injures et les reproches de quiconque se fait le bouclier du mensonge et l'appui de l'illégalité, ne sauraient nous émouvoir, ni étouffer le cri de notre conscience, ni nous faire dévier du chemin qu'elle nous a tracé; insultes et outrages tomberont avec le mensonge et l'injustice; mais le droit et la vérité subsisteront et, glorieusement revendiqués par l'histoire, ils seront transmis comme un précieux dépôt aux générations futures.

Assurément, les études historiques, remises depuis un certain nombre d'années dans les voies de la droiture et de l'impartialité, ont reconquis l'estime publique en faveur d'hommes et d'institutions qui, depuis des siècles, avaient été en butte au dénigrement et à la calomnie. Les études historiques, bien qu'en général peu estimées ou méprisées par les ignorants et redoutées des méchants, avaient inauguré en histoire une époque nouvelle, caractérisée par le vrai savoir et fécondée par les plus belles traditions. Mais la révolution, continuant de marcher dans ses voies, se mit à faire tous ses efforts pour arrêter ce progrès équitable et conforme à la raison; ne pouvant supprimer les documents ni rejeter dans l'ombre d'éclatantes révélations destinées à la réhabilitation de personnes et d'institutions trop longtemps calomniées, elle s'efforça de pervertir les principes et les idées pour altérer les jugements sur les hommes et sur les choses.

— III —

C'est pourquoi elle se mit à forger un vocabulaire spécial prêtant de nouvelles significations à des mots qui jusqu'alors avaient exprimé les principes les plus justes et les plus vénérés, ou plutôt, revêtant de noblesse et d'éclat des maximes jadis l'objet de l'horreur universelle. L'ambition dominatrice fut appelée rectification de frontières; l’œuvre de la conquête la plus éhontée reçut le nom d'annexion par voie de suffrage populaire; l'agrandissement territorial devint une nécessité géographique; les traités, qui sont les anneaux de la grande famille des nations, furent présentés comme les chaînes et les entraves de la tyrannie, l'équilibre des États comme une invention du despotisme, le code des lois internationales, comme un art d'opprimer les peuples, qui devra céder aux grands principes de l’équité naturelle. De la nationalité on fît le droit que possède un parti de détruire lois, gouvernements et dynasties, d'humilier, d'avilir de riches et splendides royaumes jusqu'alors indépendants, et cela par la fraude, par la trahison, par la corruption et par le poignard: l'emploi de tels moyens destinés à l'asservissement de la patrie à un futur tyran, c'est du patriotisme. Et quant à la liberté, l'éternel objet de l'amour des peuples qui en tout temps virent dans ses traits je ne sais quoi de céleste, elle s'est transformée aujourd'hui en génie du mal affranchi de toute entrave, abandonné à ses malfaisantes inspirations, autorisé à tout bouleverser, à tout abattre, pour soumettre les nations à un parti de despotes qui leur imposeraient violemment leurs pensées:

— IV —

les ennemis de cette nouvelle Mégère, baptisée du saint nom de liberté, on les désigne à la haine, à l'outrage, à la persécution, on les condamne à l'exil, il faut les emprisonner, les fusilier, les poignarder.

Dans un tel système d'idées, quel rang pouvait occuper la religion, sinon le rang d'une superstition populaire; quels titres les catholiques pouvaientils obtenir autres que ceux d'obscurantistes, de rétrogrades, de cléricaux, d'ultramontains, d'amis de la servitude autrichienne, d'ennemis de la liberté et de l'indépendance? Conséquemment, les biens de l’Église ne pouvaient être que des fonds de l’État, destinés à paver les dettes et les largesses de la révolution; les religieux traités comme gens de mainmorte, seraient déclarés incapables de toute action sociale, exposés à l'exil, à l'emprisonnement, condamnés à vivre d'herbes seulement (1) ou à mourir de faim, au gré d'un gouverneur ou d'un ministre. Que fallaitil entendre par clergé? Un tas d'insectes venimeux, corrupteurs des grands principes humanitaires, ennemis de toute liberté, ministres du despotisme, gens détestables qu'il faut à tout prix, ou asservir ou exterminer.

Et par évêques? Les bâillons du pouvoir civil, les soutiens du vieux parti rétrograde, les promoteurs de l'avilissement des peuples, des dignitaires néfastes qu'il est urgent de dompter,en les dépouillant de toute influence de fortune ou d'autorité, et en les réduisant à la condition d’employés de l’État.

(1) Les religieuses de Pérouse, de l'aveu même des journaux révolutionnaire, furent réduites a cet état de détresse extrême.

— V —

Et par Souverain Pontife? Le comble de tous les maux; car nous ne pourrions résumer autrement l'infinie multitude des mensonges, des calomnies, des outrages, des reproches dont la révolution a chargé le Vicaire de JésusChrist.

Il est vrai que les maximes funestes et les principes calomnieux, propagés par la révolution, avaient été, même de nos jours, démasqués dans plusieurs ouvrages, dus à la plumeó les plus illustres écrivains, dans les pays les plus cultivés de l'Europe. Mais la révolution, toujours ennemie de toute culture et de toute civilisation, d'une part couvrit de mépris et d'oubli ces lumineux travaux, et d'autre part habituales esprits à une légèreté prodigieuse; puis elle exalta les esprits jusqu'au fanatisme par l'usage de mots sonores et d'éblouissantes images. Ainsi fortifiée de la faiblesse des hommes de notre temps, elle les domina comme ses esclaves et les força à marcher sur ses pas dans les chemins les plus ruineux et jusqu'au terme de ses plus détestables entreprises.

Cette mission de propagande corruptrice a été confiée à la presse qui, vendue aux volontés et aux caprices de la révolution, est devenue le plus fidèle interprète de ses idées et l'écho le plus retetissant de son langage. Et ceci ne doit pas s'entendre uniquement de la Péninsule italienne, où cette école de corruption et de mensonge s'est principalement intronisée aujourd'hui; mais de tous les pays de l'Europe, et même de la lointaine Amérique, où la révolution a ses organes dociles et obéissants, à qui chaque jour elle donne ses mots d'ordre.

— VI —

Le Times,le Daily News en Angleterre, le Siècle, l'opinion Nationale en France, l'Indépendance en Belgique, et d'autres feuilles de même nature dans le reste de l'Europe, ne sont que de vils portevoix de la révolution et ils ne reçoivent pas d'ailleurs la pensée et la parole que de ses chefs et de ses centres principaux. De là l'empire et la force que le parti révolutionnaire semble avoir acquis sur ??'opinion publique, dont ces journaux se proclamaient les représentants, quand ils n'étaient que les photographies d'un même modèle. De là, non seulement la rapide et large diffusion de certaines maximes et de certains principes pervers,propagés avec la rapidité de l'éclair; mais, ce qui est plus surprenant pour qui n'en sait pas le mystère, la prodigieuse ressemblance de certains journaux européens dans leurs appréciations et l'identité des mensonges, des suppositions, des calomnies, des fraudes, des déclamations, des griefs, des plaintes que nous leur avons entendu et leur entendons reproduire jusqu'au dégoût, sous les mêmes formes et avec les mêmes phrases traduites et réchauffées en toute langue et à toute destination. Nous n'aurions certainement pas besoin d'accumuler ici à ce propos des preuves et des éclaircissements, quand les faits sont devenus manifestes comme la lumière du jour. La révolution imposa aux organes de son bord de déclamer contre la tyrannie des gouvernements italiens et surtout contre celle du roi de Naples et du Souverain Pontife: et les journaux vomirent à l'envi contre le roi de Naples et le Souverain Pontife les plus impudentes calomnies, les plus absurdes mensonges.

— VII —

Mais quel est donc jusqu'à présent celui des journaux très libéraux qui a élevé la voix pour réclamer contre la tyrannie et la cruauté du nouveau gouvernement d'Italie? Quel est plutôt celui qui n'en a pas fait de ridicules apologies? La révolution imposa d'abasourdir le monde de lamentables descriptions des massacres imaginaires de Pérouse et des quelques personnes fusillées à Palerme, après les mouvements du mois d'avril dernier; et les journaux répétèrent avec la fidélité de l'écho: Meurtres, massacres de Pérouse et de Palerme. Mais laquelle de ces feuilles si humanitaires proféra un seul cri de pitié contre la barbarie avec laquelle les soldats de Sardaigne égorgent, comme de vils troupeaux, les populations napolitaines, brûlent leurs villes et leurs villages, et répandent partout la désolation et la terreur? Mais quoi ! de cette affreuse barbarie on a pris la défense, on en a fait un mérite à ses auteurs! Ce fut la révolution qui décréta l'apothéose de Garibaldi et ordonna de raconter ses entreprises comme celles d'un nouvel Hercule, accomplissant des travaux impossibles et pouvant écrire son nec plus ultra: et le journalisme ne faillit point à sa tâche et Garibaldi prit place dans le calendrier des héros et des dieux: (héros de commande et dieux de paganisme!) Mais laquelle de tant de feuilles vouées à cette étrange déification, a fait mention des immenses sommes expédiées de Turin et par les comités d'Angleterre, pour solder les traîtres qui lui livrèrent sans combat la Sicile et Naples?

— VIII —

Ce fut la révolution qui enjoignit à la presse de crier à tout rompre sur le bombardement de Palerme (que cependant la même révolution avait prescrit au général Lanza): mais lequel parmi ces journaux vendus, trouva une seule parole de réprobation pour les cruels bombardements d'Ancône, de Mola, de Capoue et surtout de Gaëte, effectués par les Piémontais? Ensuite le mot d'ordre de la révolution fut de calomnier le Gouvernement français pour le maintien de sa flotte à Gaëte, et de se plaindre à grand fracas que le royaume de Naples et toute l'Italie ne pourraient jamais s'organiser, tant que les vaisseaux de la France empêcheraient le blocus de ce port. Gaëte tombé, la révolution tourna ses regards vers Rome; le mot d'ordre fut d'affirmer qu'aussi longtemps que Rome resterait sous le pouvoir du Pape et que François Il ne serait pas forcé de quitter la Péninsule, les affaires italiennes ne recevraient pas leur solution; de là ces histoires de réactions, organisées et pavées à Rome par le Pape et par les cardinaux ou par François II; de bandes armées,dirigées par eux sur le royaume de Naples; de sommes d'argent expédiées de cette capitale et surprises à mi chemin; et autres lieux communs dont l'usage immodéré a rendu impossible, même à la révolution, l'art de trouver encore de nouveaux mensonges. Si Rome était jamais tombée au pouvoir du Piémont, la presse révolutionnaire appliquerait le système à la Vénétie, à la Dalmatie et à l'Istrie que les Autrichiens occupent;

— IX —

ces pays une fois réduits sous la domination sarde, toutes les forces de la presse dite avancée, se réuniraient pour la destruction du catholicisme, comme le comble de la régénération italienne et le dernier mot de la révolution.

C'est d'après le même procédé que l'on dispensa le blâme et la louange, qu'on traîna dans la boue et qu'on porta aux nues la réputation d'une quantité de personnages, qu'on falsifia les faits les plus clairs pour vanter les œuvres du parti;qu'on voulut flétrir du nom de brigands et d'assassins les braves qui, dans les Abruzzes, dans la Terre de Labour, dans la Basilicate et dans les Calabres, s'exposèrent aux baïonnettes des nouveaux Druses Européens, pour la défense de leur prince et pour la cause de leur indépendance; qu'on accabla à son tour le peuple de Naples des qualifications de stupide, de corrompu, de sauvage, d'incapable de liberté, d'efféminé, de superstitieux, etc. etc., parce qu'il réclamait son autonomie et ses souverains; au contraire, on inscrivit dans le catalogue des héros et l'on entoura d'une auréole les traîtres, les usurpateurs et jusqu'aux meurtriers, pour avoir coopéré, par toutes les ressources du crime, à l'asservissement des contrées de l'Italie.

Qui ne voit à cela, combien est malheureux l'état présent de la société dans laquelle a prévalu cette école d'iniquité et de mensonge, et combien terrible est pour l'Italie un temps où les principes d'ordre sont foulés aux pieds, la souveraineté du but hautement professée ainsi que l'honnêteté des moyens qui y conduisent;

— X —

un temps où la marche de l’État est soumise aux passions les plus effrénées, que surexcite la haine la plus profonde contre le Pontificat et contre l’Église? Une société qui s'avance hors de la lumière de ces astres bienfaisants, guides providentiels des États, s'avance vers un abîme épouvantable dont ne la sauvera certainement pas le progrès matériel, si rapide et si étendu qu'il puisse être. La démagogie, libre d'entraves, détruira tout reste d'autorité que défendraient seules les baïonnettes et enveloppera la société d'un tourbillon de maux indicibles. L’Amérique semble toucher à ce fatal moment, et peut être l'Italie n'en est pas éloignée. (Keller, Discours de MaiJuin. )

Certes, nous désirons les progrès sociaux; mais nous les voudrions animés par des principes et des vertus qui en forment l'élément vital. Nous désirons aussi les progrès matériels; mais nous les voudrions tempérés et conduits par le progrès moral, sans lequel il n'y a que ruine pour les nations. Nous ne sommes pas contraires au principe général des nationalités; mais nous le voudrions fondé sur les bases de l'ordre et de la justice, sans lequel tout bien public, quelque brillante qu'en soit la surface, ne pourra avoir qu'une malheureuse et courte durée. Nous aimons l'unité du l'Italie; mais celle qui protège les droits des princes et des peuples et qui respecte la souveraineté temporelle des Papes; nous sommes de chauds partisans delà grandeur et des gloires de la Péninsule; mais de celles qu'inspirent les principes religieux et traditionnels qui ont toujours été pour elle des astres bienfaisants.

— XI —

Nous approuvons les libertés données aux peuples; mais les libertés modérées qui ont leur contrepoids dans une forte et sage autorité et qui s'harmonisent avec les droits de toutes les classes de la société. Voilà le programme de nos convictions. Mais nous abhorrons, au contraire, une révolution formée par la trahison, par la fraude, par l'ambition, par l'iniquité et nous avons la douleur de voir que tel est le mouvement qui agite aujourd'hui l'Italie et l'Europe. Nous avons en horreur une révolution qui a pour but de décatholiser l'Italie, pour l'entraîner ensuite plus facilement dans les voies du plus honteux rationalisme. Or, en entreprenant le pénible travail que nous mettons au jour, nous nous sommes justement proposé de donner raison à ces principes importants, en prenant occasion pour cela du récit que nous allons faire des péripéties de la révolution italienne qui dure encore.

Assurément, quoique notre ouvrage soit avant tout l'histoire de la révolution de Sicile, nous n'avons pas pu envisager cette révolution comme un fait partiel, isolé et distinct des grands événements de la Péninsule et de l'Europe: parce qu'elle se lie intimement d'une part au mouvement commencé dans l'Italie septentrionale, comme elle se lie de l'autre aux changements politiques des provinces méridionales; il nous a donc été impossible d'exposer la révolution sicilienne sans rechercher en même temps les diverses causes qui l'ont produite, et sans considérer les événements qui la suivirent. En faisant l'histoire de la révolution de 1860 en Sicile, nous devions retracer, dans ses parties les plus vitales, l'histoire du mouvement italien dont elle est comme un anneau dans la grande chaîne des bouleversements de la Péninsule.

— XII —

— Ceci soit dit pour l'explication de notre titre et à la fois de notre plan. Cependant, comme nous voulions signaler le caractère propre et spécial des mouvements de Sicile, altéré par le parti unitaire de Sardaigne et de la révolution en général, nous avons fait précéder notre récit d'une esquisse rapide des conditions religieuses et civiles de l'île dans la période de 1848 à 1860. —Après quoi nous avons écrit l'histoire de la révolution de cette île, des réformes politiques du royaume de Naples, des tentatives d'alliance entre ce royaume et le Piémont, de l'occupation garibaldienne des provinces de Naples, des invasions des Piémontais dans les États du Pape et dans les Deux Siciles, du plébiscite populaire, des réactions qui l'ont suivi, du siège et de la chute de Gaëte, de l'ouverture du parlement italien jusqu'au décret de l'unité de l'Italie sous le sceptre du roi de Sardaigne. Là nous nous sommes arrêté comme au terme de la première période de la révolution italienne,à laquelle nous avons limité notre travail.

En racontant ces événements et ces catastrophes, nous n'avons pas laissé parler de la diplomatie européenne, considérée dans ses rapports avec la révolution d'Italie et avec les annexions effectuées par le Piémont; et nous n'avons pas manqué non plus de traiter des questions les plus importantes de nos jours concernant la souveraineté temporelle des Papes et la réorganisation de la Péninsule. Dans ce dessein, nous n'avons épargné ni peine ni fatigue pour donner à notre œuvre toute la solidité et toute la perfection dont nous étions capable;

— XIII —

nous avons, par exemple, recueilli le plus de documents que nous avons pu pour en éclaircir et en appuyer notre récit et nos raisonnements. En ce qui regarde la Sicile, nous avons été en grande partie témoin oculaire de ce que nous rapportons; où nous n'avons pas été nous même, nous avons utilisé les souvenirs de personnes dont la véracité ne nous est point suspecte. — Quant aux faits qui se sont passés au delà du détroit, nous les avons tirés, autant que possible, des documents officiels confrontés avec les articles des journaux les plus accrédités, avec les correspondances les plus sûres. Nous voulions, avant tout, être exact et bien informé. A propos des journaux, nous ferons remarquer que mainte fois nous avons préféré citer les feuilles au service de la révolution, les feuilles surtout de l'Angleterre, et plus encore que tout autre le Times, qui, en sa qualité d'admirateur fanatique des faits et gestes de la révolution, ne sera pas accusé d'exagération dans ce qu'il rapporte de défavorable au parti. Nous n'avons pas peu profité non plus des correspondances sur les affaires d'Italie présentées aux Chambres d'Angleterre et de France, et de celles qui ont été publiées dans la suite par la presse de toutes les couleurs. Ces documents et pièces justificatives, officiels ou non officiels, nous nous sommes quelquefois contenté de les citer avec les indications voulues; les plus importants nous les avons ou intercalés dans le courant du récit, ou renvoyés à la fin du volume.

Quel que soit le jugement que le public portera sur notre histoire, nous sommes persuadé d'avoir fait, en la publiant, chose utile aux peuples d'Italie.

— X IV —

Les faits que nous y exposons pourront être éclaircis, confirmés par de nouveaux documents, rectifiés même en quelques détails; ils ne seront point contredits ni démentis dans leur substance. Ils fourniront cependant une grande leçon aux Italiens et dessilleront les veux à bien des gens, en faisant connaître par quelles voies la révolution a marché, avec le projet de transformer la Péninsule en pays protestant, d'y nover la foi dans les intérêts matériels et d'y étouffer le sentiment religieux.

Oh! si nos compatriotes savaient ce que c'est qu'un pays protestant au point de vue moral, s'ils savaient tout ce que souffre un cœur catholique en parcourant les villes de ces malheureuses contrées où le torrent de la réforme renversa les autels, abattit les croix, dispersa les saintes images, détruisit tout rite sacramentel et toute cérémonie ecclésiastique, anéantit les lois les plus fondamentales de l’Église, en réduisit les ministres à la condition de fonctionnaires publics, asservit la religion à l'arbitre d'un prince ou d'une princesse sans consécration ni juridiction, et plongea les esprits dans le ténébreux enfer du rationalisme et de l'incrédulité! Si les Italiens pouvaient contempler ce triste spectacle, il n'en faudrait pas davantage pour leur faire maudire le jour où ils ont plié sous le joug de la révolution.

S'il restait un peu de foi dans le cœur des Italiens, s'ils brûlent encore d'un sincère amour de la patrie, il devrait leur suffire de savoir que la révolution sape les fondements des croyances du catholicisme et fait crouler en même temps le temple de la religion et l’édifice de la liberté,

— XV —

pour que toute âme généreuse se sentît animée d'un saint zèle et se levât indignée contre cette race d'imposteurs qui, sous le prétexte de remèdes salutaires, nous apportent le plus mortel poison.

Sans aucun doute, aux veux de tout homme honnête et sincère partisan des intérêts et des gloires de la patrie italienne, cette terre infortunée ne peut apparaître aujourd'hui sous un autre aspect qu'entourée de vils flatteurs qui, par toute sorte de caresses et d'appâts mensongers, brûlent de lui arracher du front l'illustre diadème de la foi, de souiller son royal manteau des hontes les plus ignominieuses, pour l'accoutumer, elle si tendre et si généreuse, aux scènes horribles du meurtre, du pillage et de l'incendie, pour étouffer ses nobles instincts et la jeter en proie aux passions abominables de l'orgueil, de l'ambition, de la volupté, de la haine et de la vengeance. Quel est donc celui des enfants de l'Italie qui, devant ee tableau réel et véritable de son état présent, ne l'avertirait pas que ceux qui l'enivrent de flatteuses paroles, sont ses ennemis, ses traîtres et ses bourreaux? Qui pourrait, en ces tristes conjonctures, ne pas se lever pour défendre l'Italie, pour la délivrer de l'oppression où elle gémit et pour la remettre dans les voies de liberté et de grandeur? Ce mouvement que la révolution appelle par mépris réactionnaire est le mouvement régénérateur de l'Italie.

— XVI —

Par ce travail nous ne voulons que faire écho au cri généreux des peuples d'Italie et leur montrer le droit chemin de la liberté et de l'honneur. Serait ce un crime à nous qui avons eu notre berceau en Italie? Et mériterions nous d'être compté parmi les ennemis de notre patrie? Ah! nous avons la conscience d'aimer du fond du cœur cette noble terre si rudement éprouvée et rien ne nous est plus cher que la gloire dont elle est digne. Cette tendresse de patriotisme est en nous profonde et ardente, mais nos forces n'y répondent qu'imparfaitement.

Avertissement.

La traduction de ce livre était à peine commencée, que nous recevions la nouvelle de la mort du comte Camille de Cavour. Nous ne pouvions assurément pas prévoir l'événement, quand nous écrivions ces pages: en plus d'un endroit nous parlions de ce ministre comme d'un homme vivant et en pleine possession du pouvoir. — Il n'en résultera dans notre histoire que de légères et insignifiantes modifications dont notre traducteur a bien voulu se charger. Le nom de M. de Cavour, quoique mort, n'en représente pas moins un parti et un gouvernement dont il fut le chef et l'arbitre pendant plusieurs années et auquel il a laissé son système politique en héritage. Nous ne l'avons du reste, envisagé que sous ce rapport.

Dieu a jugé l'homme qui a tant bouleversé et corrompu l'Italie, l'homme qui a fait tant de mal à l’Église et qui lui préparait de plus rudes épreuves. Nous aimons à espérer qu'à l'heure suprême des désenchantements terrestres, il a reconnu et déploré la perversité de ses plans et que le souverain Juge les couvrira du voile de sa miséricorde; nous aimons à espérer que Je coup terrible qui l'a abattu aura été pour lui un bienfait de la Providence et qu'un vrai repentir aura changé l'esprit et les désirs du mourant.

— XVIII —

Dieu l'a jugé et il est défendu à nos regards de pénétrer dans les conseils de l'éternelle sagesse.

Mais l'homme public, celui qui a présidé aux destinées des peuples pour leur malheur, appartient à l'histoire, et le rôle qu'il joua sur la scène politique est dans le domaine de nos appréciations.


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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE SICILE EN 1860.

Chapitre I.
CONDITION POLITIQUE DE LA SICILE DEPUIS 1849,JUSQU'À LA MORT DE FERDINAND II.

La révolution de 1848 avait ébranlé les fondements de l'ordre civil et religieux; commencée au bruit des acclamations les plus retetissantes en l'honneur du roi et du Pontife, elle avait fini par vomir l'injure contre tous deux et par les renverser tous deux de leurs trônes.

La Sicile, qui avait été la première à lever le drapeau de l'insurrection, souffrait des maux si considérables qu'elle n'avait rien connu de pareil sous le plus dur des gouvernements de ses anciens maîtres. Pouvaitil en être autrement?

Le génie de la secte la plus licencieuse et des passions les plus effrénées s'était insinué dans le mouvement populaire et l'avait manifestement détourné du but dont ces dangereux auxiliaires ne poursuivaient que les apparences? Quand l'île une fois rentrée dans les voies d'une administration régulière ses habitants eurent vu s'en aller en fumée tant de promesses fallacieuses, ils maudirent les fauteurs de désordre qui les avaient conduits au bord de l'abîme et tournèrent leur esprit vers d'autres pensées.

— 2 —

Je neveux pas dire que les Siciliens aient renoncé dès lors au désir toujours vivaee en leurs cœurs d'obtenir les améliorations propres à guérir les plaies invétérées de leur pays: mais dès lors ils mirent plus volontiers leur espoir dans la restauration monarchique et se préoccupèrent surtout des avantages de la paix et de la sécurité publique.

Telles furent du moins, en général, les vues du peuple Sicilien, dont il ne faut pas confondre ni même comparer les prétentions raisonnables avec la révolution: ce dernier parti ne se composa jamais que d'une turbulente minorité, poussée par des principes et animée d'intentions tout à fait contraires à ce que voulait le grand nombre.

Cependant les concessions du Gouvernement rétabli ne contentèrent pas entièrement le peuple de Sicile. Bien que, depuis 1849, un décret royal eût séparé l'administration de l'Ile d'avec celle de Naples, aboli la promiscuité des emplois dans ces deux parties si différentes du même royaume, constitué à Naples un ministre spécial des affaires de Sicile et créé à Palerme, pour les besoins de l'île, une consulte distincte et indépendante, les Siciliens n'en déploraient pas moins un manque absolu d'indépendance dans l'administration des communes, où tout le pouvoir était concentré entre les mains des Intendants des provinces, qui les gouvernaient d'une façon trop absolue; ils se plaignaient aussi que leur commerce du dehors ne reçût ni impulsion ni développement, et qu'à l'intérieur, dans un siècle de mouvement et d'activité universelle, leur industrie demeurât soumise aux empêchements qui provenaient de la rareté des voies de transports et de la pénurie des ponts sur les routes mêmes qu'ils avaient ouvertes après tant de fatigues et à tant de frais; ils protestaient contre le poids des impôts qui, tout en étant inférieurs à ceux du royaume Sarde, paraissaient trop lourds à la population, surtout l'impôt des moutures qui frappait la masse en ce qu'il y a de plus nécessaire à la vie.

— 3 —

Et à ce propos, les Siciliens faisaient un grief au gouvernement de ce que bon nombre de taxes, imposées pour les besoins particuliers du pays, n'étaient pas supprimées, quand ces besoins n'existaient plus, et de ce que de nouveaux besoins donnaient naissance à de nouvelles impositions sans diminution des anciennes. Il leur était encore plus pénible de n'être pas gouvernés séparément par un prince du sang royal, muni de pouvoirs étendus et entouré d'un ministère spécial; ils souffraient de voir leur pays traité comme un fief de Naples, suivant l'expression méprisante dont s'étaient servis quelquesuns des hauts employés de ce royaume. Eux qui avaient présents à l'esprit les plus beaux souvenirs d'histoire nationale, ils ne pouvaient supporter le spectacle de l'inertie et de la négligence qui, paralysant leur industrie, produisaient partout la pauvreté et laissaient se multiplier le nombre des malheureux auxquels le gouvernement ne pouvait donner du pain.

L'argent, il est vrai, n'était pas rare en Sicile:

Sans parler de plusieurs autres matières à exportation, les soufres seuls faisaient entrer plusieurs millions par an dans le pays: on y comptait de riches capitalistes qui avaient réalisé leur fortune par des spéculations industrielles. Mais l'industrie et la spéculation n'étaient le fait que d'un bien petit nombre d'habitants et croissaient, en Sicile, comme une plante en terre étrangère. La plupart des propriétaires ne savaient ni où ni comment employer leurs capitaux; le peuple à son tour manquait de travail et, avec le travail, des choses dont il avait besoin pour vivre.

Un autre sujet de vives récriminations était l'instruction publique. Peu estimée, d'un côté, par tant de gens qui demandaient du pain et qui ne voyaient dans la culture intellectuelle aucun moyen facile de subsistance;

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et, d'un autre côté, peu ou point encouragée par les administrateurs de la chose publique, elle restait, dans certaines parties de l'île, à l'état vraiment cadavérique, et là où elle florissait encore, c'était en opposition avec tous les éléments conjurés pour la frapper de stérilité.

Voilà quels étaient les principaux objets des réformes que sollicitait le peuple de Sicile. Or, comme un peuple vit de ses traditions et qu'aux veux des Siciliens les annales historiques représentaient leur île sous un aspect de richesse et de bonheur pendant tout le temps qu'ils avaient gardé intact le statut Normand Aragonais, ils se persuadaient sans peine que la base de toutes leurs améliorations civiles était le rétablissement de leur ancienne constitution, réformée en 1812; ils n'espérèrent plus voir renaître sans elle leur prospérité d'autrefois. La constitution de 1812 devint donc pour les Siciliens l'idéal du meilleur Gouvernement, du Gouvernement qui leur rendrait à la fois tous les biens et toutes les garanties du régime politique.

En 1849, le prince de Satriano, Général Filangieri, était venu gouverner l'île en qualité de Lieutenant du Roi. Aussi apte au maniement des affaires qu'il était habile dans le commandement des armées, il étudia à fond les besoins réels de la Sicile et se proposa d'y remédier efficacement avec la pensée de montrer aux Siciliens que, même sans avoir un Parlement annuel à Palerme, l'île pourrait recouvrer son éclat et sa grandeur. Il commença donc à promettre au peuple, par un manifeste publie et au nom du Roi, que l'héritier de la couronne actuellement François II établirait avec deux ministres son siège dans la capitale de la Sicile, afin de répandre tout autour de lui les bienfaits de sa présence.

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De telles paroles avaient rempli de consolation le cœur des Siciliens. Fatigués des effets désastreux d'une terrible révolution, ils voyaient dans les promesses royales un gage assuré de toutes leurs espérances et le principe de leur vraie prospérité. Devons nous dire, après cela, que leur douleur fut immense, quand ils se virent frustrés de tout ce qu'ils attendaient?

Quelle qu'ait été la raison pour laquelle le ministère de Naples décida le roi Ferdinand à ne pas donner suite aux promesses de Filangieri, un fait est certain, c'est que dans la période de 1849 à 1859, la Sicile n'eut à sa tête aucun membre de la famille régnante. Les Siciliens s'en plaignirent hautement; un grand nombre d'entr'eux auraient désiré en effet que la dynastie des Bourbons, en satisfaisant les besoins de leur île, se conciliât le parti de la majorité, pour chasser, avec son appui, la faction révolutionnaire. Ils ne croyaient pas qu'il fût possible au prince de trouver un moment plus propice pour organiser dans l'île un très fort parti en faveur du trône et de la monarchie. Le peuple frémissait encore d'indignation à la vue des plaies saignantes que la révolution lui avait faites. Aux illusions avait succédé le désenchantement, les hypocrisies étaient démasquées, les fraudes mises à nu et les vaines promesses démenties; si le gouvernement du Roi, au moment où, après la victoire, il faisait sentir à ses peuples le poids de sa force, leur avait accordé des réformes généreuses et opportunes, il aurait donné une force immense à son autorité et inspiré une confiance illimitée aux populations reconnaissantes.

Ainsi raisonnaient les Siciliens; mais ce ne fut pas l'avis du gouvernement Napolitain.

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Néanmoins le Prince Filangieri n'abdiqua pas la pensée de faire droit, dans la mesure de son pouvoir, aux besoins de la Sicile, et le peuple lui en témoigna sincèrement son estime et son affection. Filangieri ne se contentait pas d'accueillir avec les procédés d'une aimable courtoisie, tous reux qui se présentaient à lui, quelle que fût leur couleur politique; il voulut encore donner des marques effectives de sa bienveillance à ceux mêmes qui avaient trempé dans la révolution de 1848; il en admit plusieurs aux emplois publics et les honora de charges lucratives et importantes. Ensuite, grâce à l'organisation de compagnies d'armes responsables des vols qui se commettaient dans leurs districts respectifs et avec l'aide de l'infatigable directeur de la police, le commandeur Maniscalco, il purgea si bien de rapines et de brigandage les villes et les campagnes de l'île qu'on n'aurait pu désirer un succès plus complet. 11 s'étudia en outre à donner une vigoureuse impulsion au commerce et à l'industrie; et, à cette fin, il avait formé et soumis au gouvernement des projets de routes et de chemins de fer qui auraient mis en communication les parties les plus lointaines du pays et favorisé le mouvement commercial.

Pour encourager l'agriculture, il agrandit l’Établissement de Castelnuovo et y rassembla de tous les districts des jeunes gens qui, élevés et instruits dans l'art agronomique, en devraient répandre les connaissances par toute la Sicile. 11 réintégra, de plus, les tribunaux; activa la circulation des capitaux en facilitant les opérations du crédit public; abolit le vil trafic des emplois en instituant, au moins pour les plus honorables, des concours sérieux et impartiaux. De cette manière il fit beaucoup pour le développement d'une contrée, féconde en hommes d'énergie et d'intelligence.

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C'est dans le même but qu'il avait relevé la commission d'instruction publique et l'avait émancipée de toute dépendance visàvis de l'université de Palerme; il y avait préposé en même temps des maîtres capables de remplir leurs fonctions, pour former dans toute la Sicile un système d'enseignement, conforme aux exigences du siècle et du pays. Il ôta également à la presse plus d'une entrave et lui accorda de fait assez de liberté pour que mainte publication, interdite à Naples, fût permise en Sicile.

Ces mesures et beaucoup d'autres dont cet homme généreux dota la Sicile, au moyen des plus grands efforts, le rendirent populaire auprès des Siciliens, qui allèrent jusqu'à lui donner le nom de Père de la Patrie; mais sa conduite le mit d'autre part aux prises avec l'opposition vive et persistante de M. Cassisi, ministre des affaires de Sicile à Naples. Tant que le roi Ferdinand soutint de son autorité le lieutenant qui le représentait si heureusement, celuici ne se déconcerta point des obstacles que l'on mettait sur ses pas, et il poursuivit courageusement sa marche bienfaisante, sans ignorer quelles mains ennemies venaient briser dans les siennes les desseins que lui inspirait l'amour du bien public. Mais quand le roi de Naples commença à hésiter entre les deux rivaux, Filangieri, poussé à bout, jugea sa position trop difficile, se démit de son gouvernement et se retira à Naples pour y passer tranquillement le reste de ses jours.

On devine sans peine quelles conséquences allait produire dans l'île la retraite d'un si noble personnage.

Les Siciliens, sous l'administration de Filangieri, avaient reconnu dans ses bienfaits, un esprit élevé et un cœur magnanime, tandis que l'opposition du gouvernement Napolitain à ses plans et l'acceptation de sa démission par le roi semblaient les avertir de renoncer à toute espérance de réformes et d'amélioration.

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Les rancunes s'envenimèrent donc de plus en plus; la défiance contre le gouvernement ne connut bientôt plus de bornes; et, par suite, le sentiment d'une nouvelle insurrection, semblable à celle de 1648, commença a trouver place et faveur dans la multitude. L'arrivée du prince de Castelcicala, nommé à la lieutenance générale de Sicile, ne fit qu'aigrir davantage les esprits.

D'abord, le prince de Castelcicala ne réunissait point les nobles et rares qualités de son prédécesseur, et ensuite, à ses premiers actes, on put voir que sa politique serait celle de laisser faire le ministre des affaires de Sicile à Naples. La Sicile commença, dès ce moment, à être gouvernée de Naples par Cassisi, sans contrôle quelconque: il en résulta le renversement d'une quantité d'excellentes mesures, dont l'île était redevable au prince de Satriano, et la suppression de toutes celles qui n'étaient encore que projetées; tout commença à décliner dans la malheureuse Sicile, tout fit craindre dès lors un retour aux idées de révolte et de sang. Aussi bien le parti révolutionnaire n'était point mort. Domptée par la force des armes de Filangieri, à Messine et à Catanc,et tenue en respect par l'autorité de ce Prince et par la vigilance du directeur de la police, Maniscalco, la révolution se tenait dans l'ombre, mais non dans l'inaction. Les comités insurrectionnels étaient partout, dans les villes principales de l'île, en relation continuelle avec le comité central de Palerme, toujours attentifs à aigrir le mécontentement public, à dénigrer les projets des représentants de l'autorité, à semer la défiance, à propager les maximes des sectes italiennes, à se fortifier des recrues de nouveaux prosélytes et à maintenir dans leur ardeur les espérances d'une heureuse révolution.

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D'autre part, ils s'aidaient des excitations et des encouragements par lesquels les émigrés de Sicile et les sociétés secrètes, dont les villes de la Péninsule sont depuis longtemps enveloppées, attisaient, sans relâche, les flammes assoupies de l'émeute sicilienne. De là les proclamations incendiaires, que l'on faisait pénétrer au sein des populations tranquilles, pour y jeter l'alarme et l'effroi; de là les conjurations secrètes, qui se combinaient sur divers points de l'île, pour saper les bases de l'ordre public; de là enfin, les tentatives réitérées de quelques audacieux, pour soulever les habitants contre l'armée Napolitaine. Au même but tendaient les contributions d'argent, fournies par les membres les plus riches des sociétés secrètes, lesquelles expédiaient des sommes importantes aux grands centres de la révolution italienne, soldaient les agents de la rébellion dans l'île et encourageaient, moyennant finances, le mouvement des masses.

Pendant l'administration de Filangieri, la parole révolutionnaire n'avait rendu qu'un son creux à l'oreille des Siciliens; les agitateurs systématiques n'avaient mené à bon terme aucun de leurs essais d'insurrection. Les complots avaient été éventés avant l'heure et les manifestes révolutionnaires saisis; plusieurs conspirateurs s'étaient vus arrêtés et traduits devant les tribunaux, d'autres bannis ou dispersés parla force armée; le peuple réprouvait chaudement et publiquement ces attentats à la sécurité du pays et il traitait leurs auteurs d'insensés. Mais la retraite du Prince de Satriano et la mauvaise humeur toujours croissante de populations changèrent peu à peu l'état des choses.

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Le parti mazzinien ne s'était point endormi; la trame de la révolution, ourdie par le grand agitateur, était achevée. Livourne, Gènes, les Calabres et la Sicile devaient être les centres où éclaterait la révolution italienne.

Dans cette dernière île le baron Bentivegna, qui, peu auparavant, avait obtenu du roi Ferdinand la fin de son exil, après s être concerté à Gènes avec les promoteurs et les chefs de la révolution, se mettait à la tête d'une bande armée et faisait du district de Termini un foyer d'agitation.

Cependant le peuple, tout mécontent qu'il était du gouvernement, ne se décidait pas à affronter de nouveau les désastres d'une insurrection, et c'est pourquoi il ne répondit pas à l'appel qu'on lui faisait; il soutint même de son appui les troupes royales,qui mirent facilement en déroute les partisans de Bentivegna; bon nombre de ceuxci furent arrêtés, parmi lesquels le chef même de la bande, qui fut jugé par une commission militaire et condamné à mort.

En cet état de choses, il est aisé de comprendre quel besoin la Sicile avait alors d'une vigilance publique, afin de prévenir le mouvement que préparaient les sociétés secrètes, de l'étouffer dans ses commencements et doter le plus possible aux mains de ce parti les moyens et les prétextes de nature à fomenter la révolte. Ce rôle ingrat et difficile était confié aux soins du commandeur Maniscalco.

Constitué dans l'obligation de protéger l'ordre, menacé d'une terrible commotion, Maniscalco s'appliqua, depuis i8 j0, à organiser le corps de la police, en le composant de personnes qui n'abusassent pas de la force et qui, sous le masque de leurs fonctions, ne prêtassent pas un dangereux concours aux perturbateurs.

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Il éleva, dans cette intention, la solde des employés de la police, les soumit à des règlements sévères, et les disciplina militairement. 11 réussit par là à former un noyau d'hommes capables d'arrêter la révolution, d'en rechercher les mouvements et d'en paralyser les efforts les plus audacieux. Il n'y eut dès lors aucune trame révolutionnaire qui ne fut découverte, aucune correspondance qui ne fût surprise, aucune réunion qui ne fût empêchée. Nous devons donc avouer que,. si la révolution en Sicile tarda si longtemps d'éclater, et si les chefs mêmes de la révolte en étaient arrivés à la persuasion de ne pouvoir vaincre, comme en 1848, ce fut entièrement l'oeuvre du directeur Maniscalco et de ses agents. Aussi des calomnies de tout genre ne lui manquèrent pas; les sociétés secrètes en imaginèrent à plaisir, et les feuilles du parti vomirent le mensonge contre Maniscalco et la police de Palerme. Un poète, Victor Hugo, y ajouta les couleurs de sa folle imagination. —Nous ne contestons pas que la Sicile se soit trouvée, plusieurs années de suite, sous une tension terrible et violente qui pesait même aux ennemis de la révolution; nous ne nions pas davantage que cette tension extrême eût pu se réduire de plusieurs degrés, si le Gouvernement napolitain, par son adhésion aux plans de Filangieri, s'était employé à gagner la confiance de la majeure partie des Siciliens; nous admettons enfin quelques unes des tristes conséquences d'un tel état de choses, entre autres, les erreurs que le soupçon, la fourberie ou la mauvaise foi d'agents subalternes, (qui tous n'étaient pas d'une conduite irréprochable), firent commettre de temps en temps. Toutefois en fin de compte, quiconque aura l'esprit libre de faux préjugés devra convenir que Maniscalco,

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dans les conditions qui lui étaient faites nie pouvait suivre une autre direction; et nous ajoutons que, sans la chute de Filangieri et les mouvements de la Haute Italie, il n'aurait pas perdu de sitôt l'estime du peuple, pour devenir l'objet de sa haine et de son antipathie. En effet, tant que Filangieri resta au pouvoir, le peuple qui avait mis en lui ses meilleures espérances, et qui commençait à goûter les douceurs de la tranquillité publique, n'avait vu en Maniscalco que le juste et sévère conservateur de l'ordre nécessaire à la prospérité des États; et tout inflexible qu'il s'était toujours montré contre le parti des agitateurs, Maniscalco jouissait d'une grande considération. Mais quand le départ de Filangieri eut emporté les communes espérances, le peuple redevenu docile aux flatteries de la révolution, se mit à voir en Maniscalco et en ses satellites des ennemis redoutables qui opposaient une injuste barrière aux projets de nouveau caressés.

Il ne restait alors au directeur Maniscalco d'autre parti à suivre que d'imiter le prince de Satriano en demandant une honorable retraite, ou de sacrifier son honneur, sa renommée et jusqu'à sa vie au devoir que lui imposait la charge dont il était revêtu. Maniscalco s'en tint à ce dernier parti et demeura à son poste avec l'intention de combattre la révolution tant qu'il vivrait. — En conséquence, on vit s'accroître les rigueurs de la presse et les difficultés pour l'introduction des livres et des journaux étrangers. Il n'y eut pas jusqu'au journal officiel, dont les colonnes ne devinssent plus arides en se faisant inaccessibles à tout ce qui aurait pu le moins du monde échauffer l'imagination du peuple.

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En même temps, les arrestations de personnes suspectes ou manifestement coupables de conspiration politique se multiplièrent; dans les masjws le mécontentement augmentait, le commerce et l'industrie dépérissaient de langueur, la pauvreté se faisait sentir plus cruelle que jamais. De tout cela résultait une tension de plus en plus violente et la bombe était sur le point d'éclater. — Ainsi allèrent les choses jusqu'à la mort de Ferdinand II.


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Chapitre II.
ÉTAT MORAL ET RELIGIEUX DE LA SICILE AVANT LA RÉVOLUTION DE 1860.

La Sicile, avec les beaux temples dont elle est converte, avec les innombrables monastères et couvents qui y déploient partout leur majestueuse grandeur, avec la multitude surprenante de ses confréries, de ses congrégations spirituelles et de ses pieux établissements, et surtout avec la richesse et l'importance des revenus consacrés chez elle au culte divin et à la subsistance des ministres du sanctuaire, la Sicile, disje, témoigne hautement que la religion catholique y repose sur des bases solides, d'autant plus profondes qu'elles sont plus anciennes et d'autant mieux établies qu'il n'en sortit jamais, dans les siècles passés, une secte quelconque d'hérésiarques ou de dissidents. La révolution française n'avait pas réussi à passer le détroit et à semer dans les populations de l'île les funestes principes de l'incrédulité; la Sicile était demeurée fidèle à la religion de ses pères et jalouse d'en conserver les croyances.

Néanmoins, dans les quarante dernières années, par la propagation de la secte infâme des Carbonari d'abord et ensuite des Mazziniens, la foi et les mœurs perdirent beaucoup en Sicile et diminuèrent de vivacité et de force. Il est vrai que la population des campagnes, à peu d'exceptions près, se conserva tout entière de cœur et d'esprit bonne et religieuse, les sociétés secrètes n'étant point parvenues à infecter ces âmes simples de leurs maximes diaboliques. Mais il n'en fut pas de même dans les villes, surtout dans les plus riches et les plus populeuses.

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Les classes ouvrières y sont en grande partie et presque généralement très corrompues de mœurs et par là même toutes disposées à mal faire. La noblesse, déchue de l'état de puissance et de splendeur où vivaient ses ancêtres, semble être déchue pareillement des sentiments généreux et chrétiens qui la distinguaient jadis. Les capitales et les cités principales de la Sicile, et particulièrement la ville de Catane, offrent, il est vrai, le consolant spectacle de grandes familles dont la noblesse et la fortune marchent de pair avec les maximes évangéliques et avec la piété chrétienne; mais nous devons avouer qu'une notable partie des nobles Siciliens ont abandonné les voies de la droiture et de la justice; et, tandis qu'ils s'efforcent encore de maintenir le point d'honneur en ce qui touche leur nom, ils ne se soucient guère de respecter au même degré les droits de la morale et de la religion; c'est ce qui fait d'eux le scandale et la honte de leur pays. La classe moyenne, quoiqu'on puisse dire que, surtout dans les grandes villes, le bien y balance le mal, n'en renferme pas moins, comme dans le reste de l'Italie, la partie la plus gangrenée du royaume, la classe dans laquelle les sociétés secrètes ont toujours trouvé un terrain facile et spacieux. Les universités principalement ont été la source funeste de la perversion de cette classe, qui est de toutes la plus importante. Les universités, voilà les écueils où tant de jeunes gens ont vu se briser l'innocence et la simplicité qu'ils avaient apportées de la terre natale; c'est là qu'on leur apprit la corruption la plus effrénée, le mépris des pratiques religieuses dans lesquelles on avait élevé leur enfance, le dégoût de la fréquentation des sacrements, l'éloignement des maîtres vertueux dont les conseils les auraient préservés;

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c'est là, en un mot, qu'ils trouvèrent l'école de l'indifférence et de l'impiété. Là le vice osa se produire au grand jour, embelli et honoré; là le vice eut une organisation systématique; il eut des chefs et des sous chefs pour présider à l'observance des lois infâmes auxquelles devaient se conformer d'abominables sociétés. On alla quelque part jusqu'à ouvrir une école secrète pour les Accoltellatori,

qui, sous la direction de maîtres, qu'ils pavaient par souscription, apprenaient à lancer de loin ou de près leur poignard avec tant d'adresse qu'ils pouvaient tuer du coup leurs victimes. Souvent ces nouveaux sociétaires venaient s'exercer à frapper sur quelque cadavre qu'ils se procuraient en secret; et de l'exercice ils passaient quelquefois à la pratique de l'assassinat réel, en s'attaquant l'un l'autre au couteau pour des motifs plus honteux que le crime luimême. Ces horreurs et d'autres non moins détestables, avaient transformé les universités de Sicile en véritables lieux de perdition; que dis-je? en succursales de l'enfer. Les maximes et les vérités de la foi y étaient maltraitées parfois jusque dans la chaire du professeur, dont la vie servait de triste modèle à la vie des élèves. Les pratiques de piété et les exercices spirituels du carême, imposés aux universités de cette île, s'étaient transformés en cérémonies civiles qui donnaient lieu aux plus grands scandales. L'étude des sciences était devenue quelque chose de trop relevé pour ces esprits avilis et elle ne servait souvent qu'à ouvrir un champ libre aux plus pauvres objections contre les dogmes impérissables du christianisme. — Faut il s'étonner, après cela, que les sociétés secrètes eussent pénétré si avant dans ces nids de corruption pour y détruire tout bon principe, et y rendre le mal irréparable?

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Si, dans les dernières années, des sectes diaboliques sont parvenues, en Italie et en Hongrie, à infiltrer leur venin dans l'esprit d'enfants âgés de moins de 15 ans et à les lier par des serments sanguinaires, quelle facilité n'aurontelles p. as eue à pervertir ces étudiants corrompus et dégénérés?

Disons maintenant notre pensée du clergé sicilien. — Les ecclésiastiques sont les guides, les maîtres, les médiateurs du peuple, qui tient ses regards fixés sur eux, comme sur un miroir, pour recevoir le reflet de leurs actions; c'est à eux qu'ont été confiées les diverses classes de la société qu'ils devraient précéder dans la voie du bien par leur exemple, par leur parole et par leur science; leurs vertus sont pour tous un stimulant et un appui, comme leurs prévarications influent d'une manière terrible sur le peuple, qui y trouve une excuse pour ses vices et une sorte d'encouragement. Il n'y a donc pas de plus grand fléau pour une ville ou pour un pays que d'avoir un clergé pervers et corrompu. — En Sicile, les prêtres ne sont pas rares qui se montrent dignes du caractère qu'ils portent et brillent aux veux des fidèles de tout l'éclat d'une vie exemplaire et d'un zèle ardent pour le bien. Nous pourrions, en énumérant bon nombre de villes, telles que Catane, Caltagirone, Caltanissetta, Montréal, Salemi, etc., louer en masse le clergé qui, formé aux maximes de la vie ecclésiastique, remplit exactement les devoirs de son ministère. Dans les autres villes plus populeuses de la Sicile, les bons prêtres sont en nombre suffisant pour contrebalancer les égarements d'une fraction moins régulière. Nulle part ne font complètement défaut quelques vénérables ministres de l'autel où le peuple puisse admirer le modèle de la vie sacerdotale.

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En général cependant on peut dire que le clergé sicilien a peu cultivé les sciences, celle surtout qui touche de plus près à son état, la science du droit ecclésiastique. Non pas que nous devions frustrer d'un juste tribut d'éloges les prêtres de Sicile qui se sont signalés par leur éminent savoir, tel nue le chanoine Grégoire Ugdulena, l'une de? plus grandes lumières des sciences ecclésiastiques en Italie et en Europe; mais, il faut l'avouer, la science de ces doctes personnages ne s'est pas répandue dans tous les rangs du clergé de Sicile. —Ce manque d'instruction est plus saillant dans l'intérieur de l'île, surtout hors des chefs-lieux des diocèses, et il atteint ses dernières limites chez quelques prêtres défroqués qui n'avaient pris le capuchon et la cuculle que pour s'introduire dans l'enceinte du sanctuaire, sans réunir les conditions nécessaires de science et de vertu.

On s'étonne pourtant de voir souvent des hommes de cette trempe occuper les stalles collégiales et posséder les plus riches bénéfices de l'Église. Comment excuser la négligence de ceux auxquels incombe le rigoureux devoir d'exclure les indignes des charges ecclésiastiques? Une des raisons de l'inconduite de quelques membres du clergé en Sicile, comme d'ailleurs dans toute l'Italie, c'est précisément le peu de vocation qui a présidé à leur entrée dans le sacerdoce. Effectivement la générosité de pieux ancêtres avant établi sur tous les points de l'île quantité de gros bénéfices, de chapelles et de prébendes, et les moyens de s'enrichir par l'industrie et le commerce étant au contraire difficiles et clairsemés, la tentation est venue naturellement à quelques-uns de regarder le saint ministère comme une profession quelconque acheminant parfois les élus sur la route de la fortune.

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Or quelle sollicitude pour l'acquisition des vertus et des connaissances nécessaires à la sainteté et à la grandeur de leur état pouvait-on supposer chez ceux qui ne l'embrassaient que comme un moyen de subsistance, une occasion facile de profits avantageux? Il en résultait souvent que le clergé Sicilien se signalait par l'oisiveté, par la«dissipation et même par l'indiscipline.

A ces maux, il est vrai, remédiaient en partie les séminaires, pour l'institution desquels le plus grand nombre des évêques ont montre beaucoup de zèle; mais nous devons encore avouer que ces établissements ne sont pas tout à fait modelés sur le type proposé par le Concile de Trente et que plusieurs ont dégénéré du rang élevé qu'ils occupaient dans l'Église Sicilienne; c'est ce qui en a fait mainte fois pour leurs supérieurs la source des plus graves afflictions.

En parlant du clergé Sicilien, nous croyons qu'il ne sera peut être pas désagréable à nos lecteurs de leur donner ici un résumé historique du tribunal que l'on a appelé Monarchie Sicilienne, du fameux privilège de l'Exequatur et du Placet regium, qui ont imprimé un chachet tout particulier au droit ecclésiastique de la Sicile. — Depuis le temps des Normands, Urbain II avait accordé au comte Roger de Sicile et à ses successeurs les droits de la légation apostolique en ce qui regarde la juridiction ecclésiastique à l'exercice de laquelle le souverain pontife les autorisait en son nom. Luca II avait confirmé ce privilège (1).

(1) V. Guerra Pont. Constitut. Epitom. t. II, p. 219. — Baronius a nié l'aullienlicilé delà bulle d'Urbain M. V. sa dissertation dans les Ann. t. XI, an. 1097.

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Ensuite, Adrien V, dans le traité de paix avec le roi Guillaume 1er réduisit à quatre les privilèges concédés aux rois Normands, savoir: la légation, la nomination aux dignités ecclésiastiques, les appels et la translation des évêques (1) Clément 111 sanctionna ces privilèges en faveur de Guillaume II, dit le Bon, quoiqu'il lui en demandât la renonciation pour la partie de la Calabre qui avait été la propriété du comte Roger. Enfin le comte Tancrède obtint du pape Célestin III la confirmation des mêmes privilèges, sauf que le pape se réserva le droit d’envoyer tous les cinq ans des légats en Sicile (2).

Mais après l'extinction de la dynastie Normande, l'île étant dévolue, selon le droit féodal de cette époque, au pape Innocent III, celui-ci ne voulut l'inféodation de l'île à Frédéric II, le Suève, que sous la condition qu'il renoncerait aux privilèges ecclésiastiques dont avaient joui ses prédécesseurs. Frédéric II, parvenu à sa majorité, accepta formellement les conditions imposées dans deux diplômes, de 4213 et de 1219 adressés l'un à Innocent III, l'autre à Honoré II, diplômes portant tous deux la signature des princes d'Allemagne (3). Lorsque Frédéric II eut été déposé, Clément IV, en inféodant l'île à Charles d'Anjou, y mit la clause expresse de l'entière abolition de tous les privilèges concédés aux rois Normands (1). Après la paix signée par Frédéric II d'Aragon à la suite des longues guerres de la Sicile contre la maison d'Anjou, Boniface VIII, tout en réservant la liberté de l'Église dans l'acte d'inféodation de la Sicile à ce prince,

(1) V. Guerra Op. cit. p. 220.

(2) Gregorio. Considerazioni sulla storia di Sicilia, t. II e III, § 77.

(3) Lunig. Codex Italia diplomaticus l. Il, p. 2, sect. 1, p. 710, 714.

(4) Lïmig. op. cit. t. 1 sect. 2a p. 946 seq. — Guerra op. cit. p. 226.

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ne parle cependant pas de ces privilèges qu'il regardait comme absolument tombés en désuétude (1). Mais Grégoire XI, voulut que Frédéric III y renonçât formellement et il fit de cela une condition sine qua non du traité conclu avec lui en 1374. Frédéric III accepta la condition et jura d'observer le traité ainsi conclu dans le palais royal de Messine (2). Toutefois à l'époque du grand schisme d'Occident, le roi Martin 1er s'étant déclaré pour l'Antipape à l'instigation de la Cour Aragonaise, reprit de son autorité personnelle les privilèges abolis et exerça de nouveau l'ancienne juridiction des souverains rois Normands (3). Mais quand le roi Alphonse se soumit au pape légitime Eugène IV et qu'il se sépara du Concile de Bâle, ainsi que de l'antipape Félix V, avec le serment de vasselage qu'il prêta au souverain Pontife, il abdiqua l'exercice de cette juridiction et respecta les lois de l'Église (4).

Plus tard, la possession de la Sicile par les Espagnols réveilla de nouveau la question des privilèges. Les courtisans de Ferdinand le Catholique firent tout leur possible pour lui persuader qu'il était légatné du SaintSiège, et qu'il pouvait exercer en Sicile la juridiction papale. Barberio avant tiré des vieilles archives de la Sicile un exemplaire du diplôme d'Urbain II, le publia dans son Caput Brevium ex regiofum Sicilice Archiviorum scripturis compilatum. Le viceroi Moncada insinua à Ferdinand que ce privilège devait être interprété de la manière la plus large, conformément aux anciennes coutumes de Sicile, et il le fit pratiquer ainsi aux juges (le la Monarchie.

(1) V. surtout la bulle de Boniface VIII. Lunig op. cit. t. IV, p. 157. — Guerra op. cit. p. 252.

(2) Lunig op. cit. t. II ?? 89, p. 1123. — Guerra p. 23354.

(5) V. l'histoire de Sicile, surtout les Considérations de Gregorio.

(4) V. Baronius ann. eccl. t. XI, an. 1097. n. 116 seq.

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Mais sous Charles V, ces privilèges furent proclamés encore plus solennellement par la Chancellerie Sicilienne; on publia dans le livre De Monarchia la bulle d'Urbain II, avec les pandectes Siciliennes; on décida, de par autorité souveraine, que tous les rois de Sicile, depuis Roger, étaient légats nés du siège apostolique et pouvaient en conséquence créer des juges de la monarchie avant l'autorité d'appeler à leur tribunal les ecclésiastiques de tout ordre et dignité, soit d'évêque, soit de cardinal, d'empêcher que les appels ne fussent portés à Rome et d'en refuser les légats (1).

Le saint pontife Pie y dépêcha deux cardinaux au roi Philippe II, successeur de Charles V, afin d'abolir cette légation monarchique. Mais la mesure n'eut pas lieu, le souverain Pontife avant rencontré la plus forte opposition de la part de cette cour, et n'avant pas voulu cependant fulminer contre ces injustes prétentions, dans des circonstances si critiques pour l’Église (2). C'est pourquoi les rois espagnols, tant qu'ils occupèrent la Sicile, y exercèrent cette juridiction que l’Église toléra, sans l'avoir jamais reconnue; et, quand le cardinal Baronius publia dans le tome XI de ses annales ecclésiastiques, une longue dissertation contre les privilèges de la Monarchie Sicilienne, on fit brûler l'ouvrage en Espagne, comme injurieux pour la Cour.

Après la guerre de la succession d'Espagne, dans le traité de paix d’Utrecht, la Sicile avant passé aux mains d'Amédéo II de Savoie, la contestation des privilèges monarchiques ne tarda pas à recommencer. Le roi Amédée avait dépassé de beaucoup les limites de la juridiction royale. C'est pourquoi Clément XI, après divers monitoires, fulmina l'interdit contre la Sicile,

(1) Guerra op. cil. p. 23l.

(2) Annales B. iron. l. Il, an. 157! n° V. — Guerra op. c. 1. c.

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et finalement par deux bulles de 1714 et de 1715, il abolit la Monarchie Sicilienne, et par une autre de la même année, il déclara nul l'édit de la Junte de Sicile, qui avait décrété qu'on ne donnerait pas suite aux rescrits de Rome sans l'exequatur royal (1). Mais, en 1720, à la suite de nouvelles guerres et de nouvelles combinaisons politiques, Charles VI d'Autriche, devenu maître de la Sicile, fit des démarches auprès du pape Benoît XIII,»pour éteindre la cause de ces longs différends du saint Siège avec le royaume de Sicile, et pour définir nettement les prérogatives de l’État et de l’Église. Benoît XIII, désireux de contribuer à la pacification de cette île, publia, en 1728,1a constitution Fideli ac prudenti, où sans faire mention des antiques privilèges de la légation apostolique, dont Charles VI demandait la confirmation, et sans annuler la bulle de Clément XI, il rétablissait le tribunal ecclésiastique de la Monarchie Sicilienne, et en réglait la juridiction par de sages ordonnances (2). Plus tard, le concordat de 1819, modifia un peu ces concessions et laissa libre l'appel à Rome dans toutes les causes ecclésiastiques que les parties voudraient déférer au tribunal suprême de l’Église (3).

Il n'en est pas moins vrai qu'en vertu de ces privilèges et de celui du Placet royal introduit de fait dans les attributions du Roi, l'Église de Sicile en était venue peu à peu à être soumise à l'autorité civile et à voir se multiplier les obstacles et les entraves à la liberté et à l'indépendance de son autorité.

(1) V. ces Irois bulles dans le Bullar. roui. Pont. t. XXV, p. 36 sqq. — p. 39... p. iô... Pourles monitoires v. Guerraop. cit. p. 237 sqq.

(2) V. Bullar. rom. t. XXVI, p. 291... Guerra op. cit. p. 241.

(3) Ce concordat a été publié au IIIe vol. du Codice diplomatico sicolo de Gallo. Le droit d'appel h Rome est établi par l'art. XXII. — Ce concordat fut publié en 1821.

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Les évêques se virent souvent appelés et jugés par ce tribunal qui représentait le prince plus que le Chef suprême de l’Église; l'administration ecclésiastique devint contre eux une source d'accusation et de griefs à l'usage des mauvais prêtres de leurs diocèses, lesquels, tantôt avec le tribunal de la Monarchie et tantôt avec les ministères rovaux intriguaient pour obtenir la mise à néant des décrets publiés par leurs supérieurs. On voit sans peine quelles difficultés et quelles tracasseries ce régime suscitait au pouvoir des évêques. Si les pasteurs les plus fermes et les plus courageux parvenaient à dégager leur autorité de telles entraves, (non sans s'exposer à toute sorte d'injures et de mépris dans la bureaucratie ministérielle), il n'en était pas ainsi pour les pasteurs les plus faibles et les plus timides. Ceux-ci, une fois débarrassés des premiers obstacles, avaient grand soin de n'en pas faire naître de nouveaux et, par excès de prudence, restreignaient aux plus étroites limites leur action épiscopale.

D'ailleurs, il n'était pas donné aux évêques de réclamer dans les Synodes provinciaux contre les désordres de leurs diocèses et d'y établir des règlements capables de remettre en vigueur la discipline ecclésiastique. On ne leur reconnaissait pas la liberté de convoquer des synodes provinciaux et d'y publier des lois, avant que la convocation et les nouveaux canons eussent reçu le visa du gouvernement. Il ne servait à rien de se tourner vers Rome en appel des décisions du tribunal de la Monarchie, parce que l'appel même était jugé illégal par le droit public ecclésiastique introduit de fait dans la Sicile. Cela est si vrai qu'en 1855 le souverain Pontife avant requis d'autorité d'être instruit de la procédure suivie en Sicile pour deux œuvres ecclésiastiques d'une importance majeure,

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le ministère de Naples s'y refusa en répondant catégoriquement, que ce qu'il pourrait faire en cette matière par voie officieuse lui était impossible par voie juridique et diplomatique. — Il n'y avait pas davantage à espérer des décrets et des ordres du Souverain Pontife: toute décision émanée de Rome était soumise à l'examen et à la critique du ministère et parfois de quelque officiai ignorant et pervers, qui avait pour mission d'en juger et d'y refuser, suivant son bon plaisir, le Placet royal. On alla, dans ces dernières années, jusqu'à menacer d'emprisonnement un évêque pour avoir publié dans son diocèse un rescrit pontifical qui frappait de nullité certaines dispenses matrimoniales, accordées par le tribunal de la Monarchie, quand le ministère avait prononcé sa condamnation contre le rescrit et s'était déclaré en légitime possession d'un droit de juridiction que le Souverain Pontife déclarait ne pas lui appartenir.

Des mêmes institutions découlaient les graves difficultés que rencontraient en Sicile les supérieurs des ordres réguliers dans le gouvernement de leurs couvents et de leurs provinces. Car les religieux les moins forts en intrigue savaient manœuvrer tantôt avec le tribunal de Monarchie et tantôt directement avec les ministères de façon à paralyser l'action de leurs supérieurs dans le régime intérieur de leurs ordres. D'un autre côté, les réformes décrétées par Rome au profit des communautés religieuses restaient inefficaces faute de la sanction gouvernementale, et les mêmes moyens mis à la disposition des couvents leur servaient également à repousser les mesures salutaires qu'aurait voulu prendre leur général ou leur chapitre. Ça été là une des principales raisons pour les quelles certains ordre religieux de la Sicile sont tombés dans un état de relâchement et de mollesse où l'on aurait peine

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à retrouver les vestiges de l'admirable vigueur avec laquelle ces ordres avaient fleuri autrefois sur le même sol. (1).

Les principes de discipline ecclésiastique, dont nous venons de parler, ont amené en Sicile une sorte d'affaiblissement de l'esprit catholique et de l'amour respectueux qui est du à la suprématie du Souverain Pontife. Et ces dispositions funestes se sont révélées par des signes de plus en plus visibles dans le clergé et dans le peuple. Qui aurait cru, en effet, que des professeurs de telle Université de l'île oseraient enseigner publiquement des maximes de droit canon cent fois condamnées par l'Église? Qui aurait cru que le Gerofilo, journal religieux de la Sicile, où écrivait la partie la plus éclairée du clergé, mériterait d'être mis à l'index pour avoir émis des doctrines contraires à l'union catholique? Qui aurait cru qu'en présence des adresses si affectueuses envoyées naguère de toutes les parties de la chrétienté, et en particulier des provinces du royaume de Naples, au Père commun des fidèles,

(1) Parmi les nombreuses maisons religieuses qui se distinguent le plus par leur régularité, outre celles des Cruciferi, des Théatins, des Vicenzini, des Capueius, des Liguoricns, etc, nous devons line mention spéciale aux Dominicains réformés de Noto, la seule communauté de cet ordre qui existe dans l'ile. Ces religieux, sans aucune exception, sont de vrais modèles de la vie la plus exemplaire et du zèle le pins évangélique. Fidèles à l'esprit de leur vocation, ils ont bien montré dans la révolution combien doivent rester étrangers aux mouvements politiques ceux qui sont chargés du ministère des âmes. — Sommés par les factieux d'arborer sur leur maison le drapeau tricolore, ils répondirent courageusement que leur drapeau était la croix qui apparaissait au faite de leur église. Invités ensuite îi prendre la cocarde italienne et il illuminer leurs fenêtres pour l'entrée de Garibaldi à Palerme, ils ne craignirent pas de répondre que leur cocarde était le chapelet qui leur pendait au côté et qu'ils n'avaient coutume d'illuminer que le sanctuaire. Leur courage était égal a leur vertu.

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en présence des collectes et des prières publiques ordonnées dans chaque diocèse, tant était vive la sollicitude qu'inspiraient à tous les cœurs les épreuves du Saint-Siège, qui aurait cru, dis-je, que la Sicile resterait seule indifférente à de telles afflictions, la Sicile, cette terre que les Souverains Pontifes ont comblée de bienfaits, et qui porte sur tous les points des marques éclatantes de leur bonté et de leur munificence? L'excellent chanoine Turano, nous ne l'ignorons pas, rédigea et publia alors, au nom de l'archevêque de Palerme, une des adresses les plus nobles et les plus touchantes qui soient arrivées au eœur de Pie IX. Mais on sait de quels outrages et de quels dégoûts fut abreuvé ce prêtre vertueux et plein de zèle; on n'a pas oublié la persécution que lui attira cette généreuse initiative. Une part de ces indignités revient de droit à la révolution qui avait déjà repris faveur en Sicile; mais on ne peut se refuser d'y voir aussi le peu de force du sentiment catholique.

Le roi Ferdinand, ému des fortes réclamations du Pontifie régnant, après une entrevue qu'il eut avec lui en 1856, à Porto d'Anzo, avait mis un frein aux préfentions exorbitantes de son ministère dans ses rapports avec l’Église; il avait publié ensuite certaines dispositions dénaturé à apporter quelque tempérament aux maximes de droit ecclésiastique pratiquées dans ses états; mais il ne fut appliqué à la Sicile qu'une faible partie de ces modifications. Du reste leur caractère de pures et simples concessions du Prince, empêcha qu'elles fussent reconnues et enregistrées avec l'agrément de la Cour Romaine, et que par conséquent elles servissent de point de départ à des règlements catholiques.


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Chapitre III.
LES JÉSUITES EX SICILE AVANT LA RÉVOLUTION DE 1860.

La Sicile, qui avait été la première à rappeler les Jésuites après la fatale abolition de l'Ordre en 1773, voulut être la dernière à les perdre, dans la révolution de 1848. En cette occasion, quoique sollicités par ce qui se passait dans l'Italie Continentale à spolier les Jésuites de leurs maisons, les Siciliens ne prêtèrent point l'oreille aux instances de Michel Amari, qui plaidait leur expulsion de la manière la plus indigne.

Les deux Chambres parlementaires du royaume, en consentant à ce que les Jésuites fussent dispersés, résolurent d'accorder à chacun d'eux une pension mensuelle convenable; puis, quand M. Cordova, avec ses ministériels, tenta de rendre inutile cette partie (lu décret, le parlement renouvela sa décision et enjoignit au ministère de paver immédiatement. Ajoutons que celte première dispersion fut tempérée et adoucie d'une façon toute spéciale par l'estime et l'affection dont les Pères reçurent maint témoignage de toutes les classes de la population. Les plus riches familles du pays s'efforçaient à l'envi d'avoir des Jésuites parmi elles pour les préposer à l'éducation de leurs enfants et même pour le seul plaisir de les entendre. Conséquemment, le décret du 3 août 1848 contre la Compagnie de Jésus en Sicile servit beaucoup à faire connaître jusqu'à quel point les Jésuites étaient alors estimés et aimés dans toutes les parties de l'île et spécialement dans la capitale.

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Après la chute de la révolution et grâce à la restauration delà famille royale, qui annula tous les actes du Parlement do Sicile, les Jésuites furent libres de rentrer dans leurs maisons et d'exercer le nouveau leurs fonctions. Il n'en résulta pourtant aucune altération dans les bons sentiments des Siciliens à l'égard de leur Ordre. Nous pouvons même affirmer avec certitude que depuis ce temps leur popularité ne fit que s'accroître jusqu'en 1860. Et les hommes les plus hostiles à la Compagnie, et les affiliés des sociétés secrètes perdirent l'espérance de pouvoir alors inspirer au peuple la haine et la défiance du Jésuite.

Les Pères ne laissaient pas de faire leur possible pour répondre à l'amour et aux espérances de la population. Ils aidèrent à améliorer l'enseignement public en y introduisant quelques unes des réformes qui convenaient le mieux au progrès des lettres et des sciences, et qui répondaient le mieux aux besoins du pays. Puis, quand le prince de Satriano forma le projet de rendre l'enseignement plus efficace, plus avantageux et plus uniforme dans toute l'île, les Jésuites, dont il demanda le concours, présentèrent à la commission de l'instruction un système complet d'enseignement gradué, adapté aux progrès des temps et à la condition des différentes villes de la Sicile. Ce système, reconnu utile au pays, aurait certainement été mis en pratique dans toutes les écoles du pays, si le ministère de Naples s'était montré plus favorable au gouvernement de Filangieri.

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Cependant élèves externe du collège de Palerme, malgré la multitude des maisons d'éducation de cette capitale, s'élevèrent, jusqu'à l'année de la révolution, au chiffre de 1500. L’affluence en était si grande qu'à chaque rentrée on devait, faute de place, en refuser un certain nombre qui sollicitaient vainement leur admission. Parmi ces élèves se trouvait la fleur des familles de Palerme et, on peut le dire, ceux qui faisaient la plus haute espérance de la patrie. Connue le local de leur établissement était insuffisant pour y instruire toutes les classes de la société, les Jésuites consacrèrent une somme énorme à l'appropriation du collège royal Ferdinand, qui, dès son ouverture, reçut environ une centaine de jeunes gens choisis, et qui en eût reçu bien davantage si l'exiguïté de la maison n'y avait mis obstacle. Cependant les demandes des meilleures familles de la Sicile augmentant de jour en jour et les Jésuites n'y suffisant pas même avec leurs succursales de Noto et de Caltanissetta, ils résolurent de construire à Palerme un établissement de premier ordre qui, outre l'espace et la grandeur, réunit tout ce qu'il y a de mieux dans les Pensionnats de l'Italie et de l'Europe. A cette fin le P. Galvagno, alors recteur du collège Ferdinand, obtint du roi, non sans avoir eu à triompher des plus graves difficultés de la part du conseil militaire des fortifications, obtint, disje, la superficie de l'ancien noviciat des Jésuites de Palerme, détruit dans la révolution de 1848. Une commission d'architectes fut appelée à dresser les devis de l'immense maison qui devait s'élever sur cet emplacement: l'entreprise fut évaluée à 750,000 francs, somme trop forte, à vrai dire, pour cette province, mais qui, malgré les lourds sacrifices qu'elle imposait, aurait certainement été consacrée au monument projeté, si les temps ne fussent devenus pleins de troubles et de menaces.

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Néanmoins les progrès merveilleux de l'enseignement et du pensionnat des Jésuites, à Palerme, déterminèrent la noble cité de Catane, à peine inférieure à Palerme pour la culture intellectuelle et pour la générosité, à confier aux mêmes Pères son magnifique collège Cutelli. Ce fut là un nouveau et éclatant témoignage de l'estime publique dont jouissaient les Jésuites dans la Sicile. On put alors aisément reconnaître que la ville de Catane qui, jusqu'en 1848, avait prêté trop complaisamment l'oreille aux griefs articulés contre les enfants de St Ignace, faisant preuve de la loyauté qui la distingue, renonçait à tout préjugé de ce genre, puisqu'elle les appelait à former aux bonnes mœurs et aux belles lettres la partie la plus illustre de sa population. En dépit de la secrète opposition du ministre Cassisi et d'une de ses créatures employée à la secrétaire royale de Palerme, les habitants de Catane avaient souscrit sans réserve aux conditions proposées par les Pères; et toutes les difficultés du ministre ne les avaient pas empêchés de voir enfin leurs vœux accomplis. Dès leur arrivée à Catane, les Jésuites reçurent de telles marques d'affection que jamais, crovons nous, ils ne perdront le souvenir du 9 février 1859. Ce fut le jour solennel où ils remirent enfin le pied sur une terre longtemps interdite à leur zèle. Le peuple se porta en foule au devant d'eux, et la plage tout entière se couvrit d'une masse compacte et empressée. Chacun voulait être témoin de leur débarquement. Amenés à bord sur une barque préparée à cet effet, ils furent accueillis par les autorités et par les premiers personnages du pays, qui se disputaient l'honneur de les transporter en voiture au nouveau collège Cutelli.

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Ces démonstrations d'estime et de confiance étaient données aux Jésuites par les habitants de Catane, à la veille de la guerre de Lombardie et de la révolution italienne.

Le nouveau collège était à peine restauré et embelli, que le nombre des élèves, qui n'était alors que de 13, fut bientôt porté à 90, tous enfants de 8 à 12 ans, choisis parmi les meilleures familles de cette province. Mais, comme bien d'autres parents sollicitaient l'admission tle leurs fils, on reconnut la nécessité d'agrandir ce collège d'un nouveau corps de bâtiment, dont la révolution empêcha toutefois la construction. Cependant les habitants de Catane n'étaient pas encore satisfaits de la réparation faite aux Jésuites, tant qu'on ne leur avait pas rendu leur ancien collège et pourvu par là, d'une manière plus complète, à l'éducation et à l'enseignement littéraire de leur jeunesse. Ils redoublaient donc d'instances auprès du gouvernement de Naples et on leur faisait augurer la prochaine réussite d'une démarche si bien fondée.

Après Catane, d'autres villes, comme Acireale, Caltagirone, etc., établissaient de généreuses dotations pour des collèges et des communautés à confier aux Jésuites, et ils en faisaient le sujet de nombreuses pétitions adressées au roi et ensuite à la consulte royale de Palerme, suivant les règlements civils en vigueur dans la Sicile. Le provincial des Jésuites à Palerme était à son tour accablé de demandes du même genre.

Ainsi, au commencement de 1860, les 308 Jésuites, répandus dans l'île, ne suffisaient plus à toutes les villes qui réclamaient l'exercice de leurs ministères; et,jusqu'à l'explosion révolutionnaire, ils n'auraient pu souhaiter un temps plus heureux et pl»s favorable, ni s'attendre à plus de marques d'estime et de confiance.

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Leurs ennemis systématiques eux mêmes, soit qu'ils fussent à leur tour convaincus de leur mérite ou de la régularité de leur conduite, soit qu'ils n'osassent pas braver le sentiment général du pays, ou gardaient le silence à l'égard des témoignages flatteurs qui leur étaient partout prodigués, ou affectaient d'y faire écho. Au reste, l'action des Jésuites ne se bornait pas à la culture morale et littéraire de la jeunesse dans les maisons d'éducation; ils se rendaient utiles à presque toutes les classes de la société, qu'ils s'efforçaient d'embrasser dans la multiplicité de leurs fonctions. Toutes leurs maisons renfermaient des congrégations spirituelles pour les nobles, pour les ouvriers, pour les gens de la campagne et même pour les jeunes clercs. — Au moyen de missions périodiques, ils travaillaient à renouveler dans l'une ou dans l'autre partie de l'île les maximes et les sentiments du christianisme. Nous aurions de la peine à décrire les travaux et les fatigues dont le zèle apostolique leur inspirait le courage pendant les jours de carême. Dans la capitale seulement, ils donnaient plus de 70 retraites, ou séries d'exercices spirituels, à toutes les classes de la population. Leur nombre si restreint, en comparaison de l'étendue des besoins, réduisait alors quelques uns d’entre-deux à prêcher jusqu'à cinq ou six fois par jour. Il y en avait plusieurs qui allaient, soit à l'intérieur soit au dehors de l'île, prêcher des stations de carême. Naples, Rome, Palerme et Messine n'ont pas oublié les prédications du P. Ferrara et d'autres Jésuites siciliens, qui annoncèrent si éloquemment la parole évangélique du haut des chaires de ces villes et recueillirent une si abondante moisson dans le champ du Seigneur.

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Au milieu des fonctions si importantes et si diverses qu'ils remplissaient dans l'enseignement, dans la prédication, dans la confession, etc., etc., les Jésuites, qui avaient alors quinze maisons en Sicile, ne laissaient pas d'y travailler à des livres d'utilité publique. Sans parler des ouvrages publiés par eux avant 1849, ils avaient, dans l'intervalle de 1849 à 1860, mis au jour tant d'excellents ouvrages que cela seul suffirait pour affirmer qu'ils ont bien mérité de la Sicile et acquis des droits à la reconnaissance du monde savant. Le. P. Alexis Narbone, homme érudit, s'il en fut, et auteur de tant de publications, qui l'ont fait connaître dans toute l'Italie et à l'étranger, fit paraître, pendant cette période, six gros volumes de la Bibliographie Sicilienne, qui furent suivis de douze autres volumes de l'Histoire littéraire de la Sicile, immense travail que la tempête révolutionnaire le força d'interrompre (1). Le P. Joseph Romano qui, avant cette époque, avait publié en trois gros volumes la Science de l'homme intérieur et de ses rapports avec la nature et avec Bien, ne donna pas seulement une seconde édition de cet ouvrage corrigé et refondu; mais il publia en deux volumes ses Éléments de philosophie, ouvrage qui à l'originalité joint une telle solidité de doctrine, que c'est un des livres peu nombreux où les jeunes gens peuvent approfondir cette science, en nos temps d'extrême légèreté pour les études philosophiques.

(1) Il est mort le 12 Décembre 1860, laissant en manuscrit le teste de l'ouvrage tout prêt a être publié.

(2) Nous avons entendu, dernièrement, un étranger, connu dans le monde savant par des ouvrages d'une vaste érudition, s'exprimer en ces termes sur le travail du P. Narbone: «Aucun pays ne possède une pareille encyclopédie nationale. La jalousie, xxxx aux Italiens, ne leur permettra pas de rendre justice à l'auteur. En deçà des Alpes son Histoire littéraire, quand elle sera connue, excitera l'admiration.»

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A la même époque furent imprimés les deux volumes qui contiennent l'Arithmétique et l'Algèbre, du P. Guillaume Turner, un des mathématiciens les plus renommés de l'Italie, connu déjà antérieurement par son cours de Géométrieet enlevé à la science avant d'avoir eu le temps de mettre la dernière main à ses excellents travaux de mathématiques et de calcul. A ces ouvrages considérables, on pourrait ajouter les beaux Mémoires scientifiques de numismatique et d'histoire naturelle, publiés par les PP. Romano et Libassi, sans compter les nombreux cours, dictés dans les écoles et adoptés pour l'enseignement des collèges de la Sicile, cours de grammaire latine, grecque et française, cours de belles lettres et de poésie, d'histoire naturelle et de géographie, etc., sans compter non plus, maint ouvrage réimprimé, annoté ou traduit, bon nombre d'anthologies destinées à l'enseignement de plusieurs langues, des cours complets d'instruction religieuse, quantités d'opuscules de piété et de dévotion, etc. J'observerai seulement que, lorsqu'on ne connaissait pas encore dans les collèges d'Italie des cours d'histoire universelle, écrits par des auteurs italiens, et qu'ainsi l'on mettait entre les mains de la jeunesse, de méchantes traductions d'ouvrages historiques, édités en France ou en Allemagne, les Jésuites de Sicile se livrèrent, dès 1850, à la publication de cours d'histoire universelle, italiens d'origine et de style. D'autres livres, et peut être de plus longue haleine, étaient en voie de préparation dans les maisons des Pères de cette province; mais les fureurs de la révolution ne leur permirent pas de mener l’œuvre à bonne fin.

Avant touché superficiellement la question des travaux apostoliques et littéraires où se sont distingués les Jésuites de Sicile, nous ne voulons pas oubli! de dire deux mots de leurs revenus.

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Les déceptions de 1848, n'ont pas empêché de faire courir toute sorte de bruits à cet égard, et l'on n'a pas ménagé les allusions aux richesses fabuleuses et aux fonds immenses qu'auraient possédés les Pères de cette île. Or, M. l'avocat Calvi, auteur non suspect de partialité en leur faveur, démontre clairement dans son Histoire de la révolution de 1848, en Sicile, que les revenus des Jésuites ne suffisaient pas alors aux dépenses de l'administration de leurs biens et au paiement de la modique pension de 34 sols, par jour, que le parlement de Sicile avait allouée aux Jésuites dispersés. Il ne restait rien, ajoute Calvi, pour maintenir tant d'établissements que la Compagnie avait possédés dans l'île. L'aveu est précieux à recueillir et il est fondé en raison: Car les revenus annuels des Jésuites dans l'île, déduction faite des charges ordinaires, n'allaient pas au delà de 187,500 francs qui, divisés entre 308 personnes, ne donnaient à chaque Père qu'un peu plus de 600 francs, somme inférieure à ce que pourrait gagner un artisan par un travail manuel. De cette somme même il fallait retrancher les frais d'administration et les dépenses exigées par l'entretien des collèges, des écoles, des bibliothèques, des cabinets de phvsique, etc. indépendamment de toutes les aumônes faites par les Pères à tant de pauvres et s'élevant, chaque année, à plusieurs milliers de francs. Et cependant, au moyen d'une gestion économique, de la frugalité dans les repas et de la modestie dans le. s vêtements que comporte l'état religieux, les Jésuites de Sicile, dans le seul espace de dix années, à partir de 49, sont parvenus, sans grever leur communauté d'une obole, non seulement à trouver l'argent des réparations et des embellissements qu'ils y faisaient, mais à construire plusieurs nouvelles maisons, surtout des maisons de campagne pour la villégiature de leurs élèves pendant l'automne.

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C'est de ce fait que les gens malintentionnés ou non initiés aux règles d'économie domestique, ont conclu à l'immense richesse des Pères Jésuites de Sicile, et pourtant leurs revenus, tout compte fait, ne dépassaient pas ceux de plusieurs ordres religieux de l'île. La nouvelle administration de leurs biens auratelle d'aussi heureux résultats?

Avant de clore le chapitre relatif aux Jésuites siciliens, nous devons dire quelques mots des rapports qu'ils ont eus, pendant les dix dernières années, avec le gouvernement de Naples. Ce gouvernement, par le rappel des Jésuites de l'île, en 1850, avait accompli un acte que lui imposaient la logique et la justice; on aurait tort de voir dans cette mesure un signe de prédilection particulière. Dès que l'autorité légitime annulait tous les aetc. du parlement de Sicile, les Jésuites rentraient de plein droit en possession de leurs biens et de leurs maisons, et ils n'avaient pas besoin d'un nouveau décret pour récupérer ce qu'ils n'avaient jamais perdu aux veux du gouvernement de Ferdinand. Du reste, le roi de Naples, aussi bien que ses ministres, regardait la Compagnie comme un Ordre actif, laborieux, tout appliqué à des ministères d'utilité publique, zélé pour les progrès de la morale chrétienne, respectueux envers l'autorité de son gouvernement, comme il l'était envers l'autorité républicaine aux États Unis 011 l'autorité constitutionnelle en Belgique. Le roi de Naples se garda bien de molester les Jésuites et, souvent, il les favorisa des marques de sa bienveillance.

Cependant, quelques articles publiés par la Civiltà cattolica, journal écrit depuis dix ans(par les Jésuites italiens, et dévoué au Saint Siège, avaient commencé à jeter un peu d'ombrage dans l'esprit du roi de Naples

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et à lui faire soupçonner que, pour le moins les rédacteurs de cette publication, étaient sympathiques à certains principes de la révolution italienne, qui, propagés dans ses États, pourraient mettre la monarchie en danger. La police de Naples se crut aussi malmenée par des articles de la Civiltà et surtout par les révélations insérées, en 1854, dans des Mémoires de cette revue, sur les intrigues que cette police avait employées à Naples, dans le but de nuire à la prospérité du journal, et sur les sentiments que le roi avait laissé paraître en certaine occasion au sujet de sa police. Celle ci excita donc contre les Pères la plus vive persécution, et usa de tous les moyens pour les perdre dans l'esprit du monarque; elle lui représenta que son autorité courrait les plus graves dangers si on laissait libre cours aux doctrines de cette feuille périodique, doctrines qui étaient celles de l'Ordre tout entier; qu'il était donc urgent de détruire l'influence exercée par les Jésuites dans les diverses parties du royaume, de leur enlever la direction du grand séminaire de Naples, de les surveiller, de les resserrer dans le cercle de leur action, de les forcer à se déclarer d'une manière absolue en faveur de la forme de son gouvernement et, s'ils refusaient, de s'en débarrasser. Tels étaient les conseils que donnaient au prince courroucé les traîtres de la dynastie bourbonnienne. Leurs suggestions furent malheureusement exécutées en partie envers les Jésuites de Naples. On dispersa le séminaire clérical que les évêques leur avaient confié; on lit souscrire de force, au Provincial et aux Pères de cette capitale, la protestation la plus ridicule et la moins grammaticale qu'un agent de police eût pu rédiger en pareille circonstance;

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on soumit à un redoublement de surveillance et les fonctions de leur ministère et leurs communautés; on multiplia les obstacles et les entraves à la liberté de leur enseignement; on mit à l'index de la police, outre les volumes de la Civiltà, quelques uns des cours de Droit naturel, des PP. Taparelli et Liberatore; on fit reconduire trois Pères à la frontière, comme suspects' au gouvernement, et on tint l'Ordre entier sous le coup de la menace d'une expulsion qui semblait d'heure en heure imminente et probable. Les Jésuites de Sicile devaient être enveloppés dans l'orage qui éclatait contre les leurs à Naples; mais, grâce au bon sens et à la droiture de MM. les commandeurs Maniscalco et Celesti et de M«r Planeta, président de la commission d'instruction publique, ils échappèrent à cette persécution. Le ministère sicilien avait cependant reçu communication des mesures, prises à Naples, et il était enjoint au président de l'instruction publique de surveiller avec soin leur enseignement.

Même après que, dans la suite, la colère du monarque se fut calmée et que son esprit eut perdu de l'aigreur qui l'avait animé contre les Jésuites, la police de Naples ne renonça pas à la pensée de l'entretenir dans des soupçons continuels sur le compte de leur ordre et de leurs maximes. Les Jésuites, à qui était commis le soin des prisons, étaient parvenus, avec le concours de la bienfaisante sollicitude du commandeur Murena, alors ministre des finances et des travaux publics, à faire de ces prisons tant calomniées, un sujet d'admiration pour les visiteurs impartiaux (1). Or la police souffrait avec peine de les voir contrôler vigoureusement le pouvoir absolu qu'elle avait exercé autrefois dans cette partie de ses attributions. A force d'artifices, elle contraignit les Pères à se décharger du service de la prison des condamnés politiques, en les menaçant, en cas de refus, d'obtenir un ordre du roi.

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Les intrigues contre les Jésuites ne s'arrêtèrent pas en si bon chemin. Lorsque le roi Ferdinand publia les concessions, rappelées plus haut, en faveur de la liberté ecclésiastique et accorda aux évêques de Naples la faculté de rouvrir le séminaire provincial de la capitale, on remarqua, dans la crainte peut être que cet établissement ne fût confié de nouveau à ses anciens supérieurs, qu'il réserva au gouvernement l'approbation des maîtres que les évêques y voudraient préposer à la direction et à l'enseignement des jeunes clercs.

(1) Il y a trois ans, M. Garnier, après avoir tout vu et examiné, fit la description des prisons de Naples dans une série d'articles publiés par la Gazette de Lyon. Les impostures des journaux révolutionnaires sur ce point sont vraiment rebutantes. Par bonheur, bon nombre d'étrangers de tout pays ont, dans ces dernières années, visité ces prisons, surtout de Naples et d'Aversa et jusqu'aux bagnes de Procida, et quelques uns d'entre eux, avant pu s'assurer de visu comment le travail y est organisé et par quelles attentions l'on a pourvu à la culture morale des prisonniers, n'ont pu s'empêcher de dire: «Estil possible que Sir Gladstone ait accumulé tant de calomnies?» Que. i dans le vieux château de St Elme, il se trouve des espèces de tanières et nous dirons même des sépultures vivantes destinées à servir de prisons, nous feront remarquer: 1, que ces lieux de captivité remontent à une époque où l'on ne faisait pas mieux, 2, qu'elles ne servaient point de prisons ordinaires pour les délits communs ou politiques, 3, qu'on trouve de pareils tombeaux partout et jusque dans l’État modèle du Piémont, et que de plus ce très libéral royaume y ensevelit souvent tardent patriotes, sans, parler des prêtres et des religieux qui ne lui plaisent pas. Zambianchi nous a appris que les prisons du Piémont sont les plus mauvaises de l'Italie; le gouvernement piémontais le sait et ne s'en inquiète pas autant que de faire abover contre les prisons de Rome et de Naples. «J know, ainsi parla Zambianchi a un anglais qui le visitait, the prisons in the Pope's dominions. During 1848, i had good opportunity of examinating ail the prisons at Rome uken my party was in power. J songht to know something of Italian prisons: and, sir, belive me the very worst are the prisons oft he king of Sardinia. Count Cavorrr knows this too, etc.» V. la correspondance de Gènes du 21 novemb. 1860 dans le Tablet, 8 décemb.

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Plus d'une fuis aussi, l'influence de la police éloigna des collèges des Jésuites de Naples quelque enfant de grande famille: nous tenons do la bouche même du prince Sicilien X... qu'avant placé un jeune homme de naissance dans leur pensionnat de Naples, il en fut blâmé par un haut fonctionnaire de cette cité, qui lui dit en propres termes «Je ne m'occuperai en aucune façon de votre protégé, parce que les Jésuites ne jouissent pas de la conte fiance du gouvernement.»

Ces faits, et d'autres semblables, étaient assez connus en Sicile, pour que les ennemis des Jésuites eussent renoncé à l'espérance de les montrer au peuple comme les auxiliaires de la police et les soutiens du gouvernement des Bourbons. C'est ainsi pourtant qu'avec son autorité de dictateur, Garibaldi s'exprima sur leur compte; une accusation de sa part aurait, pensa-t-il, plus de poids pour éxlaver la calomnie, que l'évidence des faits, pour la démasquer et la détruire. La persuasion contraire était cependant générale. Eu faut-il d'autre preuve que la confiance illimitée qu'ils inspiraient aux prisonniers et surtout aux prisonniers politiques? Plusieurs des Pères leur prodiguaient les offices les plus charitables, employaient toute leur sollicitude à les pourvoir du nécessaire, les consolaient par leur conversation et allégeaient par tous les moyens possibles le fardeau de la captivité. On a observé que, jusqu'aux premiers jours de l'année 1860, la conduite des prisonniers politiques resta absolument la même à l'égard des Jésuites: on a même observé que la multitude des prisonniers politiques qui, dans le cours de 1859, furent envoyés à Palerme de tous les points de l'île et surtout de Messine, tout en prenant à tâche de cacher à la police des intentions qui pouvaient les compromettre, n'en faisaient point mystère dans leurs rapports avec les Pères.

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Bien plus, pendant leur incarcération et après, ils leur confièrent ouvertement, sous la foi du secret, quel était le but de leur révolution et à quel terme très rapproché elle éclaterait; ils leur révélèrent encore mainte circonstance que l'événement vérifia dans la suite. Quelques uns d'entre eux, issus des plus nobles familles, reconnaissants de toutes les preuves d'attachement qu'ils avaient reçues des Pères, s'empressèrent, aussitôt rendus à la liberté, et avant de retourner dans leur patrie, de venir les remercier, leur assurer qu'ils publieraient partout leur bienfaisante sollicitude et leur charité même, et que, s'ils avaient une part quelconque au prochain gouvernement de la révolution, ils feraient tout pour empêcher leur dispersion, et tâcheraient, en tous cas, de la leur rendre plus douce et plus supportable.

Nous en avons dit assez pour montrer de quel degré d'estime et de confiance les Jésuites jouissaient en Sicile jusqu'au moment de l'arrivée de Garibaldi; le dictateur luimême ne put dissimuler sa surprise de voir leur ordre si avant dans les bonnes grâces des Siciliens.


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Chapitre IV.
PREMIERS SYMPTÔMES DE LA RÉVOLUTION ET COMMENCEMENT DU RÈGNE DE FRANÇOIS 11.

La cause de l'indépendance italienne qui avait formé durant tant de siècles, (quoiqu'en des circonstances et par des moyens tout différents), le but de tant d'efforts et d'agitations, n'était pas tombée en oubli après la défaite de Novare et l'abdication de Charles Albert. Cette grande question fut de nouveau agitée en 1856, dans les conférences de Paris, et soutenue par l'influence du Gouvernement anglais, que Lord Clarendon y représentait. Or la France assumait alors la mission de coopérer avec le cabinet de St James à la pacification de l'Italie, en proposant des réformes libérales qu'il entendait faire accepter par les souverains de la Péninsule. Mais le courageux refus opposé par le roi Ferdinand aux propositions de la France et de l'Angleterre, donnait lieu à la rupture diplomatique de ces deux puissances avec le royaume de Naples et au rappel de leurs ambassadeurs respectifs. D'un autre côté, le projet de réformes semblables soumis au St Père, pour ce qui concernait l'administration de ses États, devenait comme la pierre d'attente de la guerre qui éclata peu après contre l'Autriche et le principe de l'extension que prit la révolution en Italie. Et en effet, l’Autriche invitée à appuyer de son autorité les reformes proposées par la France aux États de l’Église, exigeaittelles modifications qui ne satisfaisaient point le gouvernement français.

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Ensuite, le peu de disposition qu'elle montrait à abdiquer l'influence exercée par elle, depuis des siècles, sur les destinées de l'Italie et à mettre à néant les traités secrets conclus de longue date avec plusieurs des Princes de la Péninsule, excitait d'une part la jalousie de la France, qui n'avait pas encore oublié les projets d'Henri IV, réveillait, de l'autre, les colères non encore apaisées dans le royaume de Sardaigne, et fournissait un prétexte aux Piémontais, pour faire des armements et mettre en feu les populations italiennes.

En attendant, les paroles adressées par l'Empereur Napoléon à l'ambassadeur d'Autriche à la réception du 1er Janvier 1859, malgré les explications postérieures du journal officiel, faisaient connaître à l'Europe l'imminence delà lutte et donnaient le signal des armements gigantesques dans tous les États de l'Europe. Vainement l'Empereur des Français déclarait-il au Sénat que l'Empire est la paix; qu'il n'y avait entre son gouvernement et celui de l'Autriche qu'une légère différence de principes; que l'état anormal de l'Italie avait mis en émoi la diplomatie, mais n'était pas une raison suffisante pour s'attendre à une guerre; personne ne douta plus des prochaines hostilités, surtout après la publication de la brochure intitulée Napoléon III et l'Italie, qui fut attribuée à l'inspiration de l'Empereur et regardée comme une déclaration insérée au Moniteur. Cette brochure exposait les torts de l'Autriche envers l'Italie et la France, et mettait en relief les bonnes intentions de cette dernière puissance, relativement à la liberté de la Péninsule et à sa nationalité, qui avait été préparée par le premier Napoléon; elle ajoutait qu'il ne serait possible de rendre à l'Italie sa nationalité qu'a moyen d'une confédération;

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elle indiquait enfin, comme le grand obstacle à la réalisation de cette idée, la position que l'Autriche avait prise en Italie avec sa politique, et insinuait la nécessité d'une guerre. On y donnait pourtant à espérer que la diplomatie parviendrait à faire, à la veille d'une grande lutte, ce qu'elle ferait le lendemain de la victoire.

Un sentiment, très répandu en Europe, était que l'empereur Napoléon, qui avait fait refleurir en France les biens de la paix, n'aurait pas rouvert le champ des combats, en faveur de l'indépendance italienne, s'il n'y avait pas été forcé par le poignard des conspirateurs. Voilà pourquoi, disait-on, le MoniteurUnione de Turin, qui affirmait sans détour, au nom de la secte Mazzinienne, que l'Empereur Napoléon, exécuteur des dernières volontés d'Orsini, devrait en observer les serments et que s'il tardait à le faire, les bombes ou les poignards accompliraient leur mission (1).

avait publié le fameux testament de l'assassin Orsini, et pourquoi le gouvernement français avait laissé librement circuler en France un numéro de l'

Provisoirement un pacte était conclu entre la France et le roi de Sardaigne, en même temps que le prince Napoléon demandait la main de la princesse Clotilde de Savoie. Mais les cabinets d'Europe ne souffraient pas volontiers qu'il s'allumât entre deux grandes puissances une guerre meurtrière, dont la diplomatie ne pouvait mesurer les conséquences. La Roussie proposait donc un congrès où devrait être réglée la question italienne. L'Autriche acceptait le principe du congrès sous le condition que les puissant désarmeraient.

(1) V. à ce sujet l'article du Rambler du mois de juillet 1859, p. 247.

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A la proposition de désarmement qui lui fut faite, le Piémont répondit par la demande de prendre une part active au congrès. La France déclarait dans le Moniteur du 19 Avril, qu'elle amènerait le Piémont à désarmer, moyennant la promesse que tous les États de l'Italie seraient représentés au congrès européen. Mais à cette proposition le jeune empereur d'Autriche sentit bouillonner en son cœur une indignation dont il ne fut pas maître, et avant fait avancer 80,000 hommes sur le Tessin, il envoya au roi de Piémont un ultimatum qui, en cas de refus, devrait être suivi d'une déclaration de guerre, après trois jours. La médiation qu'offrit l’Angleterre ne put arrêter le mouvement des Autrichiens et, le 27 Avril, le général Giulay passa le Tessin à la tête de 120,000 hommes. Le ministère Derby, rebelle aux instances que lui faisait le gouvernement français, pour l'entraîner avec lui dans la guerre de l'indépendance, répondit d'une manière conforme aux vœux de la nation anglaise et se renferma dans une neutralité armée. Cependant battu au vote, provoqué le 11 Juin, par une majorité libérale de 12 voix, il dut se retirer devant un nouveau ministère. Lord Palmerston et lord John Russell devinrent les chefs du cabinet anglais, mais ne purent adopter publiquement une politique autre que celle de la neutralité proposée par lord Derby. La Russie parut incliner vers l'alliance franco-sarde, sans vouloir néanmoins contracter aucun engagement. La Prusse et l'Allemagne s'armèrent, afin de surveiller le cours des événements. L'Autriche demeura donc seule sur le champ de bataille contre la Sardaigne et la France, qui fit marcher 130,000 hommes au secours du Piémont.

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Le roi Ferdinand avait pressenti l’orage redoutable qui allait se déchaîner sur le sol italien et ravager ensuite ses propres états. La police d’Angleterre et de France l'avait déjà averti d'un grand soulèvement organisé depuis le mois de Décembre dans la capitale du royaume, soulèvement qui serait protégé et soutenu par un débarquement d'émigrés; le gouvernement sicilien l'avait également averti de l'élan que le cri de guerre donnerait à la révolution de l'île; et la révolte de Toscane, suivie de la fuite du Grand-Duc, avait été pour lui un présage suffisant de ce qui menaçait sa propre autorité. Il employa donc tous ses soins à augmenter le nombre de ses troupes, en appelant sous les armes une nouvelle réserve de 30,000 hommes; il mit aussi en grande activité les arsenaux du royaume; il arma la flotte en guerre et se tint prêt pour les événements, tout en avant déclaré aux puissances belligérantes qu'il observerait la plus stricte neutralité. C'est pourquoi il refusa d'accorder à la France les trois ports qu'elle lui demandait, l'un en Sicile, et les deux autres sur le continent, et il protesta de ne vouloir les céder que sous le coup d'une violence ouverte; il enjoignit pourtant aux provinces de Naples et de Sicile de ne mettre aucun obstacle d'aucune sorte à ceux qui demanderaient des passeports pour coopérer à la guerre d'Italie. Sa conduite en ces difficiles conjonctures eût été assurément toute différente de vigueur et de précautions pour la conservation de son royaume, si une infirmité mortelle et un principe de désorganisation n'avaient complètement abattu ses forces et détruit toute son énergie. Le mal l'avait frappé à Bari, où il s'était transporté pour aller recevoir la princesse de Bavière, qui venait à Naples, en qualité d'épouse du duc de Calabre, l'héritier de la couronne.

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Il s'était assez bien remis pour pouvoir voyager jusques à Caserte, et l'on espéra d'abord que la maladie céderait à des remèdes énergiques, mais ce fut en vain; le mal s'aggrava rapidement et le conduisit en peu de jours à la dernière extrémité. A ce moment solennel, il voulut recommander son fils aîné aux conseils du prince Filangieri, qu'il manda à Caserte; puis, muni de tous les sacrements de l’Église, il expira le 22 Mai, deux jours après que la bataille de Montebello avait inauguré les victoires des alliés en Italie. L'histoire, si elle n'approuve pas toutes les maximes gouvernementales dont se prévalut le roi Ferdinand, devra certainement admirer la vigueur de ce souverain qui sut se maintenir pendant 30 ans sur un trône miné parla révolution et ébranlé par la diplomatie.

Le jour suivant, François II fut salué roi de Naples et de Sicile et reçut de ses troupes le serment de fidélité. Une petite manifestation en faveur du prince Louis, comte de Trapani, frère cadet du nouveau roi, eut lieu vers cette même date à Bari, à Reggio et à Foggia; à Naples, un membre de la haute police voulut exciter un mouvement semblable. Même en Sicile, ce faible parti, dont on n'a jamais bien connu l'origine, avait quelque ramification et y propageait des bruits calomnieux sur l'impuissance physique et morale de François II, et sur la nécessité de faire monter au trône le second fils du roi défunt. Quoi qu'il en soit, le peuple napolitain qui voyait dans l'aîné des princes du sang le fils de la reine sainte et italienne, ferma l'oreille à ces insinuations et se prononça hautement pour François. Ce jeune prince avait hérité des mérites et des vertus de sa mère; d'un naturel aimable et doux, de mœurs irréprochables, son cœur était affectueux et sensible aux maux d'autrui.

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Il n'était encore qu un enfant lorsqu'un jour, profondément ému à la vue d'un pauvre et ne trouvant pas dans sa bourse une monnaie quelconque à lui donner, il lui offrit son propre carrosse et ses chevaux. Tels étaient les principes et les sentiments qu'il avait puisés dès sou bas âge dans cette divine religion, où l'avaient élevé les soins des deux pieux généraux Spina et Ferrari, que sa mère lui avait laissés pour gouverneurs. Mais les vertus et la piété chrétienne ne l'avaient pas empêché de nourrir dans les exercices militaires le courage et la grandeur d'âme dont il a donné des preuves si éclatantes h Capoue et à Gaête.

La France et l’Angleterre voulurent immédiatement rétablir avec le nouveau prince leurs relations diplomatiques et lui envoyèrent leurs plénipotentiaires à Naples. Ses peuples, en le voyant sur le trône, espérèrent de lui des améliorations et des réformes administratives, et tel était son caractère et son amour du bien que, si la révolution ne su fut mise en travers de sa volonté, il aurait pleinement satisfait les désirs de ses sujets et inauguré pour son royaume une ère de prospérité et de paix. Mais le malheureux monarque était appelé à s'asseoir sur un trône chancelant et placé au bord d'un précipice. — A peine ceint du diadème royal, il adressait à ses peuples la proclamation suivante:

«Par le triste événement de la mort de notre auguste et bien aimé père Ferdinand II, le Très Haut nous appelle à occuper le trône de nos ancêtres. En adorant profondément ses impénétrables desseins, nous le prions avec confiance de daigner, dans sa miséricorde, nous prêter son appui spécial et son inaltérable assistance, afin que nous puissions remplir les nouveaux devoirs qu'il nous impose, devoirs d'autant plus graves et plus difficiles pour nous,

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que nous succédons à un grand et pieux monarque, dont les héroïques vertus et le mérite sublime ne seront jamais assez loués. Si cependant le Tout Puissant nous vient en aide, comme nous l'espérons, nous serons capables de maintenir et de développer le respect qui est dû à notre sainte religion, l'observance des lois, langoureuse et impartiale administration de la justice, la prospérité du royaume et le bonheur de nos bien-aimés «sujets...»

La proclamation confirmait ensuite provisoirement toutes les autorités dans l'exercice de leurs fonctions. Écrite le jour même où expirait le roi Ferdinand, elle ne pouvait être que la notification du nouveau règne et il ne fallait pas s'attendre à y trouver exposé dans toutes ses parties le système delà politique future du jeune roi. 11 devait cependant suffire aux amis de l'ordre eL de la prospérité publique que François II promît de faire respecter la religion, observer les lois, rendre impartialement la justice et fonder le bien général sur les bases qui servent de soutien et d'appui au bonheur des nations. Toutes les institutions libérales, à les bien considérer, ne sont que des moyens pour assurer l'accomplissement de ces grandes lois que les gouvernants ne doivent jamais perdre de vue; hors de là, ils ne sont que des instruments de licence et de despotisme. François II indiquait dans sa proclamation le but suprême vers lequel tout prince doit diriger sa sollicitude, mais sans déterminer les moyens nécessaires et opportuns pour y atteindre. — Le choix de ces moyens devait être le fruit de mûres réflexions et se régler sur la profonde connaissance des besoins du peuple et du siècle, et il n'était alors qu'à peine monté sur le trône. Mais le parti révolutionnaire italien et étranger qui avait pour unique mission de dénaturer se pensées et ses intentions,

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ne vit dans cette proclamation,ou feignit de n'y voir, qu'une adresse monacale, rédigée dans un couvent, et il s'étudia de plus en plus à envenimer les esprits et à les pousser à la révolte.

Néanmoins la majorité des Siciliens n'avaient pas encore perdu la confiance qu'ils avaient mise en leur nouveau Souverain. Dans toutes les parties de l'île se formèrent des commissions qui devaient venir le féliciter de son heureux avènement et lui demander des grâces. Et même le nombre de ces commissions alla nttoujours croissant par la prétention que chaque ville et même chaque village manifestait de lui envoyer sa députation,le nouveau Roi, tout en exprimant la plus vive reconnaissance pour l'affection de ses sujets, n'accorda qu'aux chefs lieux de district la faculté de députer à Naples une commission officielle. En cette circonstance la douceur, l'affabilité et la bonté avec laquelle François II accueillit les représentants de la Sicile et leur montra combien il prenait à coeur les intérêts de l'île et la satisfaction de ses besoins légitimes, ne pouvait qu'inspirer au peuple de l'estime et de la confiance pour le jeune monarque. Il avait même donné l'ordre d'accorder dans les audiences ordinaires la préférence aux Siciliens et aux Calabrais, et il les recevait, nous le répétons, avec tous les témoignages d'une sincère affection et d'une vive sollicitude. Il n'épargnait rien non plus pour que prompte justice leur fût rendue et il veillait à la juste réparation de leurs griefs. Du reste François II, malgré les difficultés de la situation, n'avait pas tardé à ouvrir les veux sur les réformes qui seraient de nature à contribuer au bonheur de ses peuples. C'est pourquoi, aussitôt couronné roi, il appela le commandeur Maniscalco et voulut Su faire rendre compte du l'état réel de la Sicile.

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La réponse du commandeur fut que la Sicile était divisée en deux partis: l'un, qui était celui du plus grand nombre, voulait des réformes et il fallait le satisfaire; l'autre, qui était celui des agitateurs systématiques, voulait la ruine de la monarchie et on ne pourrait lui répondre que par la force.

Le nouveau Souverain se proposant donc d'inaugurer l'époque des réformes utiles et modérées, ne s'était pas contenté d'établir un conseil spécial de trois hommes de mérite et d'expérience dans la diplomatie, comme étaient les princes Filangieri, Cassaro et le duc Serra Capriola; le 10 juin il nomma le même prince Filangieri à la présidence d'un nouveau ministère et à la réorganisation de l’État, en même temps qu'il éloignait du ministère de la Sicile M. Cassisi et lui substituait l'excellent chevalier Cumbo. Mais, pour procéder avec réserve et à propos, il fallait rétablir dans un meilleur mode d'organisation la hiérarchie des employés publics et l'armée, qui sont comme les deux colonnes sur lesquelles roule l'administration de l’État. Ce fut à cette œuvre que Filangieri appliqua tous ses soins, conformément aux désirs du jeune roi. Le cours des événements en Italie exigeait d'ailleurs que l'armée napolitaine fût mise sur le pied de guerre. On donna donc leur retraite à tous les officiers de l'armée que leur âge avait rendus incapables d'un service actif; il en résulta de nombreuses promotions pour des hommes plus jeunes et plus instruits; on encouragea les enrôlements de volontaires qui de toutes les classes de la population, et en Sicile et dans le royaume de Naples, accoururent d’eux mêmes sous la bannière du roi et relevèrent ainsi la profession militaire aux veux de la nation.

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On accorda également un repos honorable aux employés déjà fatigués du long exercice de leurs fonctions, et on les remplaça par des personnes plus énergiques et plus aptes au travail. Les tribunaux et les ministères publics furent réorganisés, le mérite obtint une plus large part, de plus grands avantages furent alloués aux charges importantes et de nouvelles places servirent à contenter une multitude d'aspirants. Le terrain nu si préparé, le nouveau ministère aurait certainement, avec prudence et circonspection, mis la main aux sages réformes que les temps conseillaient; mais la révolution se glissait sur ses pas, pour fermer la voie aux réformes et pour rendre chaque jour plus odieuse la monarchie des Bourbons.

La révolution veillait dans les rangs de l'armée piémontaise et dans les volontaires de Garibaldi, et comptant sur l'appui des armes de la France, elle marchait à l'accomplissement final de ses desseins. Les victoires remportées à Palestro et à Turbigo, et, dans de plus grandes proportions, à Magenta et à Marignan, avaient fait tomber le Milanais au pouvoir des alliés et leur avaient laissé libre le passage de l'Adda et de l'Oglio jusqu'aux bords du Mincio. Les Autrichiens se retiraient de partout: ils abandonnaient les forteresses de Plaisance, de Pizzighettone et de Lodi; ils abandonnaient en outre Ancône, Bologne et Ferrare et se concentraient dans le fameux quadrilatère. La révolution encouragée par d'aussi beaux succès, s'élança alors vigoureusement dans les Romagnes, dans la Toscane, dans les duchés de Modène et de Parme et couvrit d'éléments incendiaires les États de Naples et de Sicile. Dans cette dernière contrée, depuis le commencement de la guerre de la Lombardie. le parti révolutionnaire avait manifesté la plus grande vigueur et l'audace la plus déterminée.

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La vigilance de la police et l'arrestation de plusieurs émissaires ne suffirent pas à comprimer son ardeur; l'agitation ne faisait que s'accroître, en s'étendant de Palerme et de Messine, comme centres principaux, et en se ramifiant dans toutes les parties de l'île. Les plus exaltés voulaient sans retard courir aux armes et faire appel aux populations aigries. On s'arrêta cependant à la résolution d'attendre l'issue de la guerre d'Italie, et on se contenta pour lors d'une démonstration publique.

A l'occasion de la bataille de Magenta, le comité révolutionnaire secret ordonna des illuminations publiques pour fêler l'entrée des alliés à Milan. Mais les familles privées ne répondirent pas à cette prescription, et parmi les maisons servant de local à des sociétés, une seule réussit à placer quelques lampions sur la rue, parce que la police s'y opposait. Le directeur Maniscalco fit même fermer pendant quelques semaines les établissements publics qui avaient tenté d'illuminer, au mépris des ordonnances qu'il leur avait communiquées. Ce fut là une des raisons pour lesquelles il se prépara une plus forte démonstration contre le gouvernement de Sicile. Dans la soirée du 2 au 'â juillet, la rue de Tolède à Palerme, depuis le palais des finances jusqu'à la place de Bologne, fut encombrée d'une foule immense. Maniscalco s'y était rendu en personne pour adresser des paroles conciliantes au peuple et l'amener tout doucement à se retirer, mais il fut accueilli par des sifflets et des injures et menacé de quelque chose de pis. Un pareil outrage infligé à l'autorité d'un représentant du gouvernement ne pouvait ni ne devait rester impuni. Le directeur revenant sur ses pas donna l'ordre aux chasseurs qui stationnaient sur la place de Bologne de marcher, la baïonnette en avant et de forcer le peuple à évacuer la rue de Tolède.

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Il courut donner le même ordre au corps de Suisses qui se trouvait au palais des Finances. Il n'en fallut pas davantage pour qu'avant tout usage de la force le rassemblement se dissipât, en menaçant toutefois de renouveler le lendemain une démonstration plus nombreuse et armée. Mais le jour suivant, après quelques arrestations et grâce aux patrouilles qui parcoururent la rue de Tolède, il ne s'y passa rien qui mît en péril la tranquillité publique. Le directeur Maniscalco réussit de cette manière à comprimer l'audace révolutionnaire, qui s'était manifestée cette fois par de graves atteintes à l'ordre et à l'autorité. Les injures dont avait été l'objet le haut fonctionnaire, qui recommandait à la police le calme et la douceur dans ses procédés, demandaient cependant une réparation, et le gouvernement de Naples aurait été blâmable s'il avait négligé les moyens de l'obtenir. — C'est notre réponse à ceux qui ont tant crié contre l'emprisonnement de quelques habitants de Palerme qui furent reconnus coupables en cette occasion. Sans vouloir nous prononcer ici sur la cause qu'ils défendaient alors, nous soutenons qu'un outrage public et scandaleux infligé au suprême magistrat de la justice, mérite en tout temps et en tout lieu, et quel que soit le rang des coupables, une satisfaction, un châtiment. Le directeur Maniscalco n'en adopta pas moins, en cette circonstance, des tempéraments d'une telle douceur que la réparation dut paraître facile et le châtiment léger. De nobles jeunes gens furent, à la vérité, conduits en prison; mais chacun sait que la liberté de leurs mouvements ne fut pas du tout circonscrite à la cellule et à l'étroit espace qui leur avaient été assignés: chacun sait que durant les quelques jours de leur détention ils pouvaient, depuis le matin jusqu'à une heure avancée de la nuit,

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passer leur temps dans la grande cour de la prison même et festoyer à l'aise avec leurs parents et amis. — Cet emprisonnement ne ressembla pas, on en conviendra, à celui auquel le très libéral

comte de Cavour condamna, il n'y a pas encore une année, le R. P. Sapetti ainsi que trois autres Pères de la Compagnie de Jésus et plusieurs excellents prêtres ou religieux d'autres Ordres, bien qu'ils n'eussent insulté à l'autorité d'aucun fonctionnaire, et tout exempte de culpabilité que fût leur conduite. Le tribunal de Turin se vit forcé d'en convenir. Mais on pardonnera tout, même les actes du plus atroce despotisme, au comte de Cavour, parce qu'il fut un ennemi déclaré de la Papauté et de l’Église, et l'indulgence au contraire n'existe pas pour les représentants de l'autorité des Bourbons, quelque conformes qu'aient été leurs actions aux prescriptions du code de la justice et de la conscience.

Palerme ne fut pas seule alors à entrer dans la voie des démonstrations publiques; d'autres villes de l'île suivirent cet exemple et Messine en particulier n'épargna pas l'éclat et le bruit à l'occasion des quelques bâtiments de la marine Sarde qui relâchèrent dans le port. Vivats et bravos, guirlandes de fleurs, bannières déployées, tout fut mis en œuvre pour démontrer aux officiers piémontais quels étaient les sentiments de ce peuple relativement à la guerre de Lombardie. Une adresse fut rédigée, et couverte de plusieurs centaines de signatures. Remise à l'amiral, elle lui témoignait hautement de la volonté qu'avaient les habitants de Messine de s'insurger au nom de la liberté contre le gouvernement Napolitain... «Que le Piémont leur envoyât, y disait-on, des armes et des chefs; ils accourraient en foule au cri de guerre sous le drapeau italien.»

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L'amiral Sarde répondait le 24 juin, à cette adresse, par une proclamation dans laquelle, dépassant les limites de la discipline militaire, il s'exprimait ainsi: «Habitants de Messine, l'accueil plein d'enthousiasme et de cordialité que nous avons reçu hier de vous en mettant le pied sur le sol Sicilien, nous a comblé le cœur de joie, de reconnaissance et d'orgueil, à nous qui appartenons à la famille italienne dont Victor Emmanuel, qui en est le chef, revendique maintenant les droits, en se mettant à la tête de l'armée de l'Italie, comme le premier soldat de son indépendance. Ces témoignages n'étaient certes pas nécessaires pour nous convaincre de votre attachement à notre cheire et commune patrie, et de votre sympathie pour la glorieuse maison de Savoie, qui vous compte déjà pour ses enfants de coeur et de pensée. Habitants de Messine, souvenons nous de la parole prononcée par Napoléon III, quand, après la glorieuse bataille de Magenta et à son entrée dans la ville de Milan, en compagnie du courageux Victor Emmanuel il a dit: «Aujourd'hui soyez tous soldats.» contre ceux qui le soutiennent. Mais cette heure ne tardera pas à sonner, et nous sommes certains de vous voir alors courir sous la bannière du roi galant-homme (1).»

Avons ces mots toujours présents à la pensée; ils sont sortis de la bouche du vengeur des droits des peuples et du Sauveur des nations. Siciliens, vos devoirs, comme soldats Italiens, sont pour le moment la tranquillité, la prudence, l'ordre, l'union, la sagesse. L'heure n'est pas encore venue pour vous de marcher contre l'ennemi commun c!

L'amiral Sarde pouvait-il énoncer plus clairement son intention d'encourager la révolution et l'annexion de la Sicile au royaume piémontais.

(1) V. les journaux piémontais et le Tablet du 9 juillet 1859.

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Faut-il s'étonner, après cela, que le parti révolutionnaire de l'île, se fortifiant des bonnes grâces d'un gouvernement dont la puissance grandissait en Italie, osât dès lors marcher le front haut, le regard audacieux et en venir jusqu'à faire briller le poignard de l'assassinat aux regards de son souverain légitime? Nos lecteurs vont voir en effet de quelle manière la révolution s'exprimait dans une adresse envoyée pendant le mois de juin au roi François II: «Sire, dans ce moment solennel où les cœur de vingt-un millions d'hommes palpitent d'espérance et de joie pour la résurrection de notre commune patrie, c'est à vous, jeune monarque, que s'adressent les paroles des Napolitains. Les trônes de la péninsule sont sur le point de passer à l'état de souvenirs; plusieurs sont déjà tombés pour ne plus se relever. Le vôtre tremble sous vos pieds. Mais il lui reste un appui, non plus dans le despote abhorré du Nord, mais dans nos vœux qui sont plus forts que des milliers de Croates. Le rétablissement de la constitution,jurée aux pieds des autels du Dieu de la vengeance par votre père défunt, est la seule planche de salut qui s'offre à vous au milieu des Ilots orageux du sang de nos frères. Fermerez-vous l'oreille à la grande voix de votre peuple? Malheur aux rois qui dorment sur leurs canons! Quand une idée est générale, quand elle est devenue dominante, elle se rit de la mitraille, et méprise les baïonnettes du despotisme, leste quelles se retournent contre ceux qui les mettent en mouvement. Rappelez-vous l'histoire de votre dynastie. Le poignard de la patrie frappa Henri IV, Louis XVI, le duc de Berri, Philippe d'Orléans, le duc de Parme et votre père. La semence des Ravaillac et des Milano serait-elle inféconde?Que ces tristes augures s'éloignent de vous; mais combien de fois ils sont devenus des faits historiques?

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La constitution remise en vigueur; un ministère qui ne soit plus de diverses couleurs, immoral, oppressif; une police vigilante, mais non tyrannique et despotique; une armée nationale vigoureuse et patriotique; tels sont les moyens infaillibles d'affermir votre dynastie...» Le factum révolutionnaire poursuivait en rappelant au roi qu'il a dans les veines du sang de Savoie, que son père vécut onze années d'exil et d'angoisses, que le sang des innocents appelle la vengeance céleste sur sa tête, que le monde applaudit au vainqueur de Sébastopol et de Magenta, et il conclut en ces termes: «la seule pensée que nous sommes Italiens nous fera venger les outrages de notre patrie et laver nos blessures dans le sang des traîtres. Considérez et agissez» (1). Ainsi, c'était parla menace d'un régicide qu'on espérait obtenir du nouveau roi une constitution libérale en faveur du peuple! «En vérité, observe à ce propos le journal le Globe, dans un état où l'on ose écrire une pareille proclamation, la corruption doit être à son comble. Mais d'une telle corruption verra-t-on jamais surgir des hommes libres et des citoyens indépendants?»

Le roi François II, malgré les insultes et les menaces, continua à mettre la main aux réformes qui convenaient à ses peuples. Il avait l'intention de déléguer aussitôt en Sicile un prince de sang royal; mais il n'avait pu décider son oncle Louis II comte d'Aquila, à prendre la lieutenance de l'île: lorsque ensuite le ministre Cumbo, usait de tous les moyens de persuasion, parvint à obtenir le consentement du prince,

(1) V. Le Tablet 1. e. et des journaux du Piémont qui ont reproduit cette pièce.

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le jeune roi en fut ravi et, pour témoigner à son oncle la joie sincère qu'il en éprouvait, il alla de sa personne lui porter ses félicitations et lui témoigner son contentement. Mais, comme le prince Louis se disposait à partir, la révolution lit l'impossible pour entraver ce projet qui aurait apaisé les colères du peuple Sicilien: fausses nouvelles, bruits alarmants de révolte dans l'île, démonstrations, menaces; tout fut mis en usage pour empêcher ce départ. Le but de la révolution n'avait rien de commun en effet avec les réformes et les concessions tempérées par l'autorité du Souverain. La révolution était radicalement opposée à la dynastie des Bourbons et au pouvoir de tous les princes de la péninsule. Le cours des événements que nous exposerons dans les chapitres suivants, et que nous avons encore sous les veux, établit clairement cette vérité et met dans tout son jour le vrai caractère de la révolution Sicilienne.


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Chapitre V.
LA PAIX DE VILLAFRANCA ET LA RÉVOLUTION ITALIENNE.

Les victoires désarmés français en Italie, avaient éveillé les jalousies et les craintes de l'Allemagne, que n'avaient pu apaiser ni rassurer les déclarations et les protestations diplomatiques de l'empereur Napoléon. On mettait sur le pied de guerre les contingents fédéraux et d'importants corps de Prussiens prenaient position sur le Rhin. Cependant le régent de Prusse attendait que les alliés touchassent au Mincio pour leur imposer des conditions de paix. L'intention de l'armée francosarde n'était vraiment pas de s'arrêter devant le fameux quadrilatère, surtout après la grande bataille de Solferino; la proclamation de Napoléon h Milan, en date du 8 juin, exprimait des vues toutes différentes. Il aurait voulu franchir le Mincio; et, si Klaptkaet Kossut avaient été pourvus par l'argent des alliés des moyens d’exciter en Hongrie le feu de l'insurrection, c'était pour seconder le plan convenu entre Napoléon et Victor Emmanuel; c'était aussi pour la même raison qu'une proclamation approuvée, disait-on, par l'Empereur, allait être adressée à la nation hongroise. Mais Napoléon ne voulait pas engager la France dans une guerre formidable avec l'Allemagne, que la Russie refusait de tenir en échec; ensuite, vainqueur à Magenta et à Solferino, ce n'était pas de la Prusse qu'il entendait recevoir les condition de la paix.

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L'empereur d'Autriche, de son côté, abandonné dans le cours de la guerre par les Gouvernements d'Allemagne, malgré les vœux de la Confédération germanique en sa faveur, comprenait que les conditions dont la Prusse aurait l'initiative lui seraient plus onéreuses que celles qu'il pouvait attendre delà générosité de son adversaire. De cette situation résulta, sur la demande de l'Empereur des Français, l'armistice du 1er juillet, et l'entrevue de Villafranca où furent posées les bases générales d'une paix inattendue.

La cession faite par l'Autriche de la Lombardie à la France et par la France au Piémont, l'établissement d'une confédération italienne sous la présidence honoraire du Pape, la restauration des ducs de Toscane et de Modène; et la stipulation de réformes à accorder à la Vénétie, sous la condition de les étendre à Rome et à Naples, tels furent les articles posés dans cette entrevue. Un congrès des puissances aurait mis la dernière main à la réorganisation de la Péninsule et raffermi sur ces bases une paix durable.

La nouvelle du traité de Villafranca réjouit les amis de l'ordre et fit briller à leurs veux une ère de paix et de tranquillité. Ils crurent aisément ce qu'ils désiraient, et la chute du ministère Cavour qui suivit bientôt, les confirma dans leur persuasion. En Sicile notamment, la plupart des autorités civiles et ecclésiastiques s'abandonnèrent à cette douce illusion et n'eurent pas le moindre soupçon de l'horrible catastrophe dont nous sommes encore les témoins. Pour nous, au risque d'avoir l'air de prophétiser après coup, nous oserons dire que notre erreur n'alla pas si loin. La paix de Villafranca, eu égard à l'ébranlement communiqué à la péninsule et aux projets formés par la révolution, ne pouvait que développer une insurrection plus impétueuse et préparer une guerre plus terrible.

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De fait, l'annonce de cette paix excita outre mesure et rendit furieux les fauteurs de la révolte; leur haine contre l'empereur Napoléon n'en devint que plus ardente et plus implacable. A Turin, l'on osa faire disparaître les portraits de ce souverain et y substituer ceux de Brutus et d'Orsini; à Gênes fut sifflé, assailli d'une grêle d'oranges pourries et couvert d'avanies de tout genre un acteur qui représentait sur la scène le personnage de Napoléon. L'Indipendente de Turin parut avec une bordure noire, en signe de deuil; les journaux de Florence qui annonçaient la paix furent tous déchirés et brûlés; à Milan on fil d'abord passer pour controuvée la nouvelle de la paix de Villafranca et, quand elle fut confirmée officiellement, plusieurs personnes en perdirent la tête. La police de Turin eut à saisir à Gênes jusqu'à 60 machines infernales que les sectes mazziniennes destinaient à l'empereur des Français.

En présence de cet état de choses, la révolution ne rabattit absolument rien de ses entreprises. Le nouveau ministère de Ratazzi était tout entier composé des amis et des complices de M. de Cavour; quant à celui-ci, il renonçait à son portefeuille pour pouvoir, libre d'engagement quelconque, colorer les desseins de la révolution, détruire les effets de la politique française et préparer l'Italie à se passer, comme il le dit dans le dernier conseil présidé par lui avant sa démission, de Vaillance de cette nation qui voulait imposer des choses contraires à la dignité du Piémont (1).

C'était assurément avant la campagne de Lombardie que

(1) V. la corresp. de Turin du 1 décemb. 1859 dans l'Union et du 5 décemb. dans l'Univers.

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s'était formé lçjvid dessein de la résolution italienne (1). Garibaldi devenu le centre et le promoteur de la cause de l'émancipation et de la régénération de l'Italie, avait réussi à persuader les chefs des sociétés secrètes du besoin d'adopter la base du système politique de Cavour et de lui promettre assistance, afin que celuici jurât à son tour d'exécuter leurs projets et de leur accorder son appui. Garibaldi et les principaux membres des sociétés acceptèrent donc le concours de l'armée sarde et de l'armée française, pour la délivrance de l'Italie et pour la soumission de l'Italie à la Maison de Savoie; en revanche le comte de Cavour adopta les plans discutés et formulés par Garibaldi et par ses amis dans plusieurs séances qui eurent lieu à Turin (2). Il avait été réglé dans ces entrevues que, pendant que l'armée française occuperait le Piémont et la Lombardie, les sociétés secrètes prendraient dans toutes les parties de la péninsule les rênes du gouvernement, dès l'instant même où les princes effrayés par la révolution quitteraient leurs propres États; que, s'ils résistaient à la force du mouvement populaire, on devait les amener à des actes qui les compromettraient aux veux des populations, après quoi, l'on coopérerait de concert à leur renversement et à leur expulsion. Si l'annexion rencontrait quelque difficulté, 011 proclamerait pour le moment la dictature de Victor Emmanuel (3).

(1) V. surtout la corresp. de Turin du 17 août 1859 dans l'Union, corresp. insérée dans VU mi»ers du 21 août. Nous pouvons attester la vérité de celte corresp. qui, indépendamment de sa conformité avec d'antres récits non publiés, lions est confirmée par les faits de la révolution de 1860.

(2) D’après le même correspondant, les séances eurent lieu rue de l'Archevêché, n° 13.

(3) Outre les révélations du correspondant précité, ces instructions étaient connues dans toute la péninsule et l'on n'en faisait pas mystère. Les princes seuls n'y voyaient pas clair, trompés qu'ils étaient parleurs propres confidents.

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Ces résolutions et d'autres plus détaillées, mais ayant toutes pour fondement la fusion italienne sous le sceptre du roi de Piémont, furent entièrement acceptées par le comte de Cavour, et ce ministre qui avait l'air de se conformer à la politique de la France, s'étudiait d'accord avec la révolution à voiler le programme de Garibaldi. Dans ce but il créait L'assemblée nationale d'Italie (1) qu'il dirigeait en président occulte, tandis que Garibaldi en remplissait les fonctions et que la Farina, homme vendu à Cavour, faisait l'office de secrétaire. Cette société qui était composée de 94 membres, avait pour objet d'organiser et de développer l'insurrection italienne, d'expédier partout des agents secrets qui concerteraient le mouvement général dans les différentes villes, de leur fournir des secours en armes et en argent, de lancer dans toutes les directions des correspondances révolutionnaires et d'amener à son terme la fusion de tous les États de la péninsule. Par là, le ministère de Cavour, avec la coopération de Garibaldi et des sociétés secrètes, préparait dans tous les royaumes de l'Italie les mines souterraines de la révolution, tandis qu'au moyen d’hypocrites déclarations, il masquait aux veux des cours étrangères ses sentiments et ses funestes intentions. Il ne voulut rien entendre aux vives remontrances que d'importants personnages lui firent alors parvenir: assuré du puissant concours des sociétés secrètes et enivré du prochain accomplissement de tous ses rêves ambitieux, il marchait au terme désiré, incapable de reculer après les serments qu'il avait échangés naguère, incapable aussi de modifier son programme secret de politique, dont partout tes Mazziniens ou Garibaldiens poursuivaient eux mêmes l'exécution.

(1) Corresp. de l'Union du 17 août et du 22 octob. 1859. — V. aussi l'ouvrage du colonel Pianciani: de L'andamento delle cose in Italia. p. 56.

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Avant le commencement des hostilités contre l'Autriche, l'assemblée nationale avait communiqué aux agents de la révolution certaines instructions signées par Garibaldi, viceprésident, et par La Farina, secrétaire de cette société. Elles étaient formulées dans les articles suivants, que publia la Gazette de Cologne et ensuite tous les journaux de France et d’Angleterre.

«Art. 1 et 2. Aussitôt les hostilités commencées entre «le Piémont et l'Autriche, vous vous insurgerez au cri de: «Italie et Victor Emmanuel! A bas les Autrichiens!

«Art. 3. Si dans votre ville l'insurrection n'est pas possible, les jeunes gens en état de porter les armes devront se rendre dans la province la plus proche où l'insurrection aura été couronnée de succès ou sera sur le point de l'être. Vous choisirez cependant de préférence les villes les plus voisines du Piémont.

«Art. 4. Les adhérents à la société ne doivent pas être les premiers à faire feu sur les soldats italiens ou hongrois; ils doivent au contraire user île tous les moyens pour les gagner à la cause nationale, et accueillir, comme frères, ceux qui consentiront à déserter.

«Art. 5. Une cour martiale sera établie en permanence pour juger dans les 24 heures les individus coupables d'actes contraires à la cause nationale.»

Pendant la guerre contre l'Autriche, l'assemblée nationale, instrument de M. de Cavour, fomenta, excita et accomplit la révolution de l'Italie centrale, y compris le soulèvement de Pérouse (1). Cette société en effet expédia les armes et les munitions de guerre aux corps de rebelles rassemblés dans la direction de Bologne, de Pérouse, de Forli et de Faenza.

(1) Pianciani, 1. c.

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Et ce furent ces bandes révolutionnaires qui, par leur présence menaçante, déterminèrent les Autrichiens à abandonner les Romagnes considérées comme neutres, et qui, aussitôt après leur départ, firent éclater l'insurrection dans ces provinces. Or, n'était ce pas le ministère de Cavour, qui par le moyen de ses agents de l'assemblée nationale affermit les insurgés, les soutint, les poussa à ravir au Saint-Père ses possessions (1)? Dans les rangs de ces corps francs qui obéissaient au comte de Cavour et de ses agents, il y avait fort peu de Romagnols; cela n'empêchait pas les journaux de Turin, organes du ministère, d'avancer que les populations de ces contrées s'étaient levées en masse contre le gouvernement du Pape (2). Ce fut ensuite le même M. de Cavour qui, immédiatement après la révolte de l'Italie centrale, envoya ses représentants dans les capitales des provinces rebelles: d'Azeglio à Bologne, Palieri à Parme, Farini à Modène, Buoncompagni à Florence. Ce fut lui qui s'opposa par tous les moyens à ce que le Souverain-Pontife comprimât l'insurrection; il avait fait expédier par Buoncompagni 400 fusils à Pérouse, tandis que le général Schmidt marchait pour l'occuper militairement; et n’ayant pas réussi de cette manière à préserver Pérouse de l'occupation, il ameutait tous ses journaux contre les horreurs imaginaires commises par les troupes pontificales. Hypocrite! (:) Plus tard, il envoyait, avec d'Azeglio à Bologne deux regiments de bersaglieri, suivis de nombreuses bandes de volontaires, afin de repousser les troupes pontificales qui se disposaient

(1) V. à ce propos l'authentique et important document publié parle Tablet fax 1er octob. 1859.

(2) Correspdu Times du mois de novemb. 1859.

(3) C'est le cri qui échappe, malgré lui, au colonel Pianciani dans l'endroit de son livre où il passe en revue ces viles impostures.

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à ramener dans le devoir la capitale des Romagnes (1). Ces actes, entièrement contraires aux lois internationales et à tout principe de droiture et de justice, s'accomplissaient, tandis que le gouvernement d'où ils émanaient, usant de la fourberie la plus éhontée et la plus perverse, envoyait des messagers au Saint-Père, pour lui affirmer qu'il n'avait rien à craindre de la guerre de l'indépendance italienne.

Pourtant le traité de Villafranca venait élever un mur de division entre la politique légale de la France et celle de la révolution, appuyée et mise en jeu par le comte de Cavour. Il aurait été en effet très difficile au rusé ministre de tromper plus longtemps l'Europe sur ses desseins réels et de paraître respecter le traité de Villafranca lorsqu'il s'efforcerait en secret d'en ruiner les bases. De là pour le comte la nécessité absolue de se retirer du ministère; mais sa démission devenait le moyen le plus efficace et le plus opportun pour exciter le mouvement révolutionnaire en Italie et pour frustrer la diplomatie du succès de ses démarches.

Des montagnes de la Suisse, où il avait transporté ses loisirs, il continua de tenir en main et de faire jouer les fils de cette trame funeste; en même temps Farini,son principal confident, faisait exécuter dans l'Italie centrale les volontés du ministre, et Garibaldi, l'instrument actif de la révolution, allait dans les Romagnes prêter force et secours à la propagande et renverser ce qui restait de trônes encore debout.

Ainsi, malgré le traité de Villafranca, la révolution italienne faisait son chemin: et les deux politiques de la France et du Piémont commencèrent à suivre une double direction contraire:

(1) V. la protestation du pape publiée le 12 juillet 1859.

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Ratazzi qui avait pris la place de Cavour, n'osait incliner vers le programme français lorsque Cavour et Garibaldi, à la tète du mouvement italien, poussaient les choses dans un tout autre sens et disposaient de toutes les forces de la révolution. Quant au roi Victor Emmanuel, alléché d'un côté par un avenir d'apparences extrêmement flatteuses pour la maison de Savoie, eî menacé de l'autre côté du poignard des nouveaux Brutus, craignait de s'opposer aux projets dont il devait bénéficier. Cependant, comme à raison des entraves dont l'enchaînait la politique française, il ne pouvait rompre les négociations de Zurich ni violer les articles signés à Villafranca, il se rabattait sur des tergiversations diplomatiques et laissait, en attendant, la révolution gagner de plus en plus. Durant tout ce laps de temps, en effet, les agents piémontais dans les quatre États de l'Italie centrale s’employèrent, grâce aux promesses et aux menaces habilement distribuées, à former le parti de l'annexion et à préparer les votes. Les Gouvernements de Rome et d'Autriche affirmèrent hautement d'avoir entre les mains des pièces démontrant à l'évidence que la révolution des Légations et des Duchés était due entièrement au Piémont qui, après l'avoir fait naître et grandir, s'efforçait delà conduire au terme final des annexions. Gallenga écrivait, le 25 avril, au Times, qu'à l'exception d'une centaine de personnes, le peuple toscan ne comprenait pas même pourquoi on proclamerait un nouveau prince ni pourquoi l'on déposerait le Grand Duc. Le comte Reiset, prince Poniatowski, le même qui fut envoyé par Napoléon à Florence pour négocier restauration des Ducs, déclara solennellement à Paris que rien ne serait facile, comme le retour des Ducs, si l'on parvenait à éloigner les agents piémontais et à paralyser leur influence.

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Mais la chose fut impossible, parce que le comte de Cavour s'y opposait avec son Assemblée Nationale et que les agents n'obéissaient qu'à lui ou à ses délégués (1).

A mesure cependant que M. de Cavour, avec le parti de la révolution, se dégageait de l'influence de la France et de sa politique de Villafranca, il se rapprochait du gouvernement britannique et se plaçait sous ce nouveau patronage. Certes le ministère Palmerston-Russel, avait vu d'un mauvaisoeil la France, par son intervention victorieuse en Italie contre l'empire Autrichien, acquérir une si grande influence sur la péninsule et en régler les destinées; aussi ne manqua-t-il pas l'occasion du traité de Villafranca pour désarçonner le rival qui avait répandu en faveur de l'Italie le sang de 50,000 hommes, et pour mettre le pied dans les étriers de cette pauvre Italie, destinée à porter toujours un maître et à servir toujours ou victorieuse ou vaincue. Sir James Hudson, ambassadeur d’Angleterre à Turin, accepta sans réserve le programme de Garibaldi et de Cavour, et il mit tant de zèle à en poursuivre l'accomplissement, que le Times ne put s'empêcher de lui attribuer, après M. de Cavour, l'heureuse réussite du mouvement italien (t). Le ministère libéral Palmerston-Russel, qui avait déclaré ne pas avoir un Schelling ni un homme à dépenser pour la cause de la Péninsule, se prononça alors si passionnément en faveur de la révolution de l'Italie et de son entière émancipation,

(1) Corresp. De l'Union du 1er décemb. 1859; ou dans l'Univers du 5 décemb.

(2) Voici les paroles du Times dans sou n° du 15 novemb. 1860 Next and only next lo count Cavour we believe that sir James Hudson deserves the credit of having directed the great Italian movement to its present wonderful and unexpected success.

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que le Times, après avoir vainement essayé d'échapper à cet aveu, se vit enfin obligé d'en convenir (1). 11 y consacra luimême tant d'efforts et de persévérance que, suivant les propres expressions de ce journal, les combattants eux mêmes avaient moins fait pour l'indépendance italienne (2). La France, liée par un traité solennel en face de l'Autriche et de toute l'Europe, ne put se déclarer diplomatiquement favorable à la révolution et à ses idées; stimulée pourtant par le ministère anglais, elle prit le parti de ne point s'opposer au mouvement de la Sardaigne et de se mettre d'accord avec l’Angleterre sur la solution à donner à la question italienne. Par là le gouvernement se voyait en quelque façon dépossédé de son influence qui passait aux mains de l'Angleterre, dont les hommes d’État s'appliquaient à profiler d'une situation devenue équivoque pour la France (5). Garibaldi alla jusqu'à dire que l’Angleterre était la seule puissance amie et alliée de l'Italie. Tel est le point de vue sous lequel il faut considérer la note du 9 septembre, insérée par l'Empereur Napoléon au Moniteur,

note qui déclarait hautement que la mission de la France par rapport à l'Italie avait pris fin. La politique de la France voyant ses desseins trompés et les manoeuvres de ses agents rendues stériles, et vovant en outre le gouvernement britannique devenu maître du terrain de la révolution italienne, le lui abandonnait pour ne pas perdre son alliance, pas plus qu'elle ne voulait se compromettre d'autre part avec les puissances du Nord.

(1) Whatever partiality we may naturally feel for our own Government we can scarcely deny that its conduct in Italy has been strongly tinged with at least the appearance of very decided partisanship. Times 8 décemb. 1860.

(2) With a pertinacity not exceeded by the combatants themselves, 1. c.

(3) Corresp. de l'Union du 22 octob. 1839.

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La révolution interpréta la déclaration officielle comme un abandon de la politique de Villafranca et comme une permission absolue de marcher en avant dans son travail de destruction. Les journaux révolutionnaires annoncèrent bruyamment que désormais les entraves de la diplomatie française étaient rompues; ils se réjouirent du principe de non-intervention que l'Angleterre avait fait accepter par la France, principe nouveau en vertu duquel l'insurrection italienne ne se trouvait pas seulement rassurée du côté de toute puissance étrangère, mais du côté même du roi de Naples à qui était imposé l'article de la neutralité, dont le Piémont était dispensé de fait, au mépris des droits de la justice, de la religion et de l'humanité. Les traités qui se concluaient alors à Zurich n'étaient plus qu'une barrière élevée contre l'Autriche; l'acceptation et la signature du roi de Sardaigne et de ses plénipotentiaires servaient à couvrir aux veux des aveugles les atteintes portées à la liberté et à la véritable indépendance des États, sans mettre un frein au parti de la révolution et sans en arrêter les ravages. Victor Emmanuel oubliant les promesses de Villafranca, et ne prenant conseil que, comme il ledit, de sa conscience, acceptait l'offre qu'une députation de l'Italie centrale venait lui faire des Duchés et des Légations; la seule réserve mise par le roi de Sardaigne h son acceptation était qu'il s'emploierait à obtenir le consentement de l'Europe. Cet acte inaugurait l'époque des annexions qui étaient un des principaux points de la transformation à laquelle aspiraient les Unitaires de la Péninsule.


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Chapitre VI.
CARACTÈRE POLITIQUE DE LA RÉVOLUTION ITALIENNE. — LE ROYAUME DE NAPLES ENTRE 
LA DIPLOMATIE ET L'INSURRECTION. — NOUVELLE PHASE DE LA RÉVOLUTION EN ITALIE.

La fusion italienne avait été, sans nul doute, un des principaux objets que s'étaient proposé les Carbonari en Italie. Depuis que Maghella, avant gagné l'estime de Joachim Murât, fut substitué par lui à Salicati dans le ministère de la police et devint le Fouché de Naples, les loges qu'il inaugura et multiplia dans la péninsule avec leur million d'affiliés, proclamèrent dans leurs mystérieux conciliabules la destruction de tous les gouvernements de l'Italie et la fusion de tous ses États en une seule république libre et indépendante. C'est à quoi tendait la révolution tentée depuis 1817 à 1820 et surtout en 1830 (1). Cette sanguinaire fédération de sectaires aspirait à dominer dans quelque Etat de la péninsule, pour en faire le foyer d'un système général d'insurrection (2). Joseph Mazzini, en fondant la Jeune Italie n'eut pas même mérite de l'invention, avant copia les principes et les maximes des Carbonari ou plutôt avant continué la même secte.

(1) V. les Mémoires de Mariotti sur les Carbonari. — V. aussi le rapport présenté le 8 oct. 1828 par l'avocat Liggieri à la Cour de Rome sur la cause des Carbonari et publié par ordre de ce gouvernement. On en trouve plusieurs extraits dans l'ouvrage de John Murrav: Memoirs of the secret societies of the south of Italy. London 1821.

(2) Ce sont les expressions de Mariotti dans ses mémoires, qui lui échappèrent des mains au détriment de sa secte, dont il découvrait ainsi les nombreux mystères.

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S'il en simplifia les cérémonies d'affiliation, il en conserva toutes les maximes subversives et sanguinaires (1).

Or, le premier article de la Jeune Italie est celui-ci «La «Société est constituée pour détruire complètement tous les gouvernements de la péninsule et pour former un seul État sous le régime républicain (2).» Mazzinine déclara pas. seulement la guerre aux gouvernements absolus, mais aussi bien a ceux qui étaient constitutionnels, et dont il affirme au 2° article, que les vices sont encore plus grands que dans les monarchies non tempérées. Mais avec l’hypocrisie, qui fut dans tous les temps particulière aux hommes de cette trempe, et suivant les instructions du Carbonarisme, lui et ses agents poussèrent partout à des réformes libérales et à l'établissement de régimes constitutionnels sous l'autorité de leurs souverains légitimes; c'était pour lui, comme pour ses devanciers, un premier acheminement à la destruction des monarchies. «Laissez, écrivait-il de Paris en octobre 1846, laissez le pape entrer dans la voie des réformes par principe 011 par nécessité; laissez le roi de Piémont le suivre par ambition de la couronne d'Italie, le duc de Toscane par inclination et par esprit d'imitation, le roi de Naples par force... Associez même le clergé à ce travail les réformes sont le vestibule obligé du temple de l'égalité; sans le vestibule le sanctuaire restera fermé, g Ai si les réformes que les chefs du mouvement réclamèrent si fort en Italie étaient pour eux le plus puissant instrument de la démagogie la plus effrénée. Le poignard des républicains devait ensuite frapper les soutiens des constitutions libéralement octroyées par les princes; les parlements devaient se transformer en assemblées constituantes,

(1) V. Italy, Past and Present v. II, p. 18.

(2 V. le Monde. 17 Mai 1800.

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où l'on proclamerait la déchéance du roi et du pontife, et l'armée Sarde devait être immolée à la fureur des Autrichiens, puisqu'il fallut que Ramorino, par ordre du chef de la démagogie, se portât sur Gênes pour y proclamer la république. Le même Mazzini, en 1831, dans une lettre à Charles Albert, comme en 1848, tout en se déclarant républicain, était allé jusqu'à offrir la couronne d'Italie à la maison de Savoie (1).

Telle est l'histoire de 1848, qui montra aux plus aveugles où aboutiraient les constitutions d'Italie, et comment le roi et le pontife acclamés si haut dans les mascarades de la révolution, verraient bientôt le toile du crucifiement succéder à l'hosanna du triomphe.

Toutefois, avant 1848, et plus encore après cette époque, le parti de la révolution avait compris que sans l'épée d'un prince, il serait impossible de tenter un mouvement contre la puissance Autrichienne; c'était là un des articles fondamentaux de la régénération de l'Italie. II se mit par conséquent à flatter l'ambition traditionnelle de la chevaleresque maison de Savoie et fit espérer à ses princes la couronne de toute la péninsule. Ce projet de fonder l'Italie sous le sceptre de la Sardaigne se révéla jusque dans un écrit de Gioberti, qui cependant avait tant travaillé à répandre le système de la confédération Italienne.

Cette idée monarchico-unitaire commença, après 1849, à gagner du terrain; elle acquit de nombreux partisans et vit chaque jour accroître son influence, surtout depuis qu'avant été adoptée et encouragée elle forma

(1) V. Times 25 janv. 1861. — Corrcsp. do l'Italie septentrionale.

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la devise de ce très libéral Gouvernement (1). Le parti des unitaires se composa de deux grandes fractions; la première, de ceux qui tenaient pour la monarchie constitutionnelle de Savoie et avaient à leur tête le comte de Cavour; la seconde, de ceux qui aspiraient à la création d'une république d'Italie et qui demeurèrent sous la direction de Mazzini. Le comte de Cavour s'apercevait bien qu'en dépit de l'accroissement de forces qu'avait pris le parti sarde, les Mazziniens susciteraient de graves difficultés à l'accomplissement de ses desseins; il désirait donc les gagnera sa politique, laquelle ne différait de la leur que par la forme gouvernementale à donner à l'Italie unifiée. Il essaya d'une réconciliation et en 1856 il envoya au célèbre agitateur une commission secrète de députés turinais, qu'il avait chargés de lui offrir un traité d'alliance. Mais le chef de la Jeune Italie dédaigna toute transaction avec le comte de Cavour et ne voulut souscrire à aucune de ses vues (2). Il poursuivit cependant ses menées républicaines; soutenu par Ratazzi, il tenta d'allumer le feu de la révolte à Gènes et à Livourne, et par l'intermédiaire de Pisacane et de Bentivegna, dans le royaume des Deux Siciles. Mais cette fois encore il manqua son coup et y perdit sa peine et son argent.

(1) Le cri emblématique de Vive Verdi qui voulait dire: vive Victor Emmanuel Roi d Italie, devint alors un cri favori dans la péninsule. I. e ministère de Turin, surtout après la guerre de Lombardie, prétendait introduire le titre de roi d’Italie dans tous les actes du roi du Piémont.

(2) Mazzini luimême révéla ces faits par la presse, qui menaçait M. de Cavour, au cas où il les révoquerait en doute, de donner les noms des députés que certains égards conseillaient de ne pas livrer la publicité. Mais le comte de Cavour, malgré les interpellations directes et les defis de l'Armonia, observa le plus profond silence, confirmant ainsi la réalité des assertions de Mazzini.

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— Après ces tentatives avortées, les Mazziniens se rapprochèrent chaque jour davantage du parti sarde; ce fut Garibaldi qui les conquit à la cause de l'unification italienne, en servant comme de trait d'union entre les deux partis et en proposant aux uns comme aux autres son programme d'insurrection. Mazzini avait certainement confiance en Garibaldi qui avait été à Rome un des plus vigoureux défenseurs de sa dictature et des plus chauds partisans de ses idées: il voyait en lui le grand et aventureux champion de ses principes sur l'unité et la régénération de l'Italie, dont il passait (à tort) pour l'inventeur. Il se flattait toutefois, comme on le devine à ses proclamations, que la nouvelle forme de Gouvernement qui serait donnée à l'Italie réunie servirait aisément de «vestibule au temple de l'égalité républicaine.» C'est pourquoi, lorsque Garibaldi invita tous les Italiens à souscrire pour l'achat d'un million de fusils, Mazzini lui adressa deux cents francs de sa bourse avec la lettre suivante: «J'envoie 200 francs, comme contribution aux fonds du général Garibaldi, persuadé qu'il y aura le même empressement à souscrire chez tous ceux qui partagent ma foi politique. Le nom de Garibaldi m'est un sûr garant que ces armes ne seront pas seulement employées à la défense de la Cattolica et du Mincio. La sainte unité de notre patrie, à laquelle est contraire toute idée qui n'embrasse pas l’Italie entière depuis les cimes du Tyrol jusqu'à la mer de Sicile, est un article de foi qui nous est commun à lui et à nous. Ces armes serviront donc notre cause. Il est cependant essentiel qu'en se hâtant de prendre part à cette souscription, les Italiens déploient une résolution virile et se séparent enfin de cette classe méprisable de lâches optimistes, qui se promettent liberté et nationalité a de conférences hypothétique entre Souverains étrangers (1).

«Joseph Mazzini.»

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On voit par cette lettre que Mazzini faisait cause commune avec Garibaldi et approuvait ses allures; et voilà pourquoi il poussait les siens à lui prêter leur concours. Cette solidarité de projets et d'efforts a été mise dans tout son jour par un important document publié naguère dans le Morning Star. Je veux parler des statuts d'une société politique non secrète établie par Mazzini à Naples et répandue dans toute l'Italie, société qui a son ministère, ses finances et son journal officiel sous le titre: l'Italie et le peuple. Or, à l'article 1er de ces statuts, Mazzini dit expressément: «L'association de l'Unité nationale a pour but d'arriver à l'unité nationale en contribuant de toutes ses y forces à la pratique et à l'entière réalisation du programme du général Garibaldi, qui est l'unité de la nation avec Rome pour centre» (2). L'article 10 consacre un paragraphe à recommander l’œuvre de l'unité conformément au programme de Garibaldi. Il était donc naturel que M. Ashurst, secrétaire du comité garibaldien à Londres, écrivant à Garibaldi, l'appelât l'heureux champion de l'idée de Mazzini, et manifestât l'espoir que sa valeur et son activité réaliseraient ces grands principes (3).

De leur côté les représentants du parti sarde aspiraient à se mettre en accord direct avec le puissant chef de la Jeune Italie et à contracter avec lui une alliance de pensées et d'intérêts.

(1) Les journaux italiens et étrangers onl publié celte lettre au mois d'octobre 1860.

(2) V. Morning Star du 12 décemb. 1860; le Monde 16 décemb. etc.

(3) «Honest and thinking men have recognised the fact that Mazzini is the founder of the great modem Italian idea, the Unity of Italy, of which you are the great successful champion.» Voyez celle lettre dans le Times àu 21 novemb. 1860.

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Silvestrelli et les autres membres du comité sarde à Rome, chassés des États pontificaux, s'efforcèrent d'entrer dans les bonnes grâces de Mazzini. Le marquis Ricasoli le lit prier par Dolfi de vouloir bien venir lui accorder une entrevue, dans le temps qu'il demeurait à Florence; mais n'avant pu y réussir, il lui transmit l'assurance de la sincère estime qu'il professait pour sa personne (., Fari ni obtint davantage pendant sa dictature à Modène. Confident et représentant de la politique de Cavour, Farini avait manifesté la plus vive admiration pour ce chef démagogue, en disant de lui qu'il ne l'avait jamais trouvé aussi grand qu'alors (2). Par l'intermédiaire de Nicolas Fabrizzi, il entama avec lui des négociations d'alliance, et le superbe agitateur promit de marcher avec le gouvernement de Piémont, à condition qu'on lui permettrait d'envahir les États pontificaux. L'accord eut lieu sur cette base et Farini fut transporté de joie d'avoir gagné au parti de l'insurrection un homme dont l'influence pourrait lui être si utile (3). De cette façon la cause du ministère Sarde se liait à celle de Mazzini. Mazzini mettait l'organisation de sa société dans les bras du Piémont, et le Piémont, d'autre part, s’appuyait du concours de Mazzini pour la réalisation de ses plans (4). En faut il une preuve manifeste? qu'on relise la lettre adressée par Mazzini à Victor Emmanuel, le 22 septembre. Cette lettre, ainsi qu'une autre, restée secrète, ce fut Brofferio qui la remit au roi de Turin, suivant les révélations de Brofferio même dans son récent ouvrage intitulé Rome et Venise.

(1) V. l'ouvrage déjà cité du colonel Pianciani, p. 26.

(2) Pianciani,p. 17.

(3) Id. ??8.

(4) Corresp. du 22 oct. à 'Union. — Pianciani, p. 153 nous apprend que Farini voulait tenir cachée l'entente de Mazzini avec le gouvernement piémontais. Il en faisait ainsi la prière à Pianciani luimême: «Engagez les journaux qui sont en relation avec. Mazzini à continuer leur opposition contre nous.»

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Le roi lut avec plaisir les deux lettres; il dit à Brofferio qu'il y avait du vrai dans leur contenu; qu'envoyer Garibaldi en Sicile ne serait rien; mais qu'il serait difficile de l'y maintenir: le roi lui ordonna ensuite d'assurer à Mazzini qu'?7 avait lu ses lettres avec plaisir et apprécié ses bonnes intentions. Enfin, à la demande faite par Brofferio de pouvoir conférer avec Mazzini à Verbanella, dans le canton du Tessin, pour établir les bases de la paix entre la république et la monarchie, le roi répondit: «pourvu que l'avocat fiscal ne le sache pas.»

Mais Mazzini, avant cette entrevue, adressa à Brofferio une longue lettre qu'il faut lire à l'appendice de ce chapitre. Elle est importante en ce qu'elle nous fait clairement connaître les desseins de la révolution (1).

Dans sa lettre au roi, Mazzini, après avoir parlé un peu de sa personne, en prodiguant modestement les louanges les plus menteuses, reprochait non moins modestement au Souverain d'avoir cherché l'appui des troupes étrangères et de s'être laissé conduire par des ministres de médiocre habileté «lesquels ne peuvent comprendre, dit-il, pas plus que leur roi, que la vie du peuple Italien est dans l'unité et à Rome son centre... Trente-six millions d'hommes, continue Mazzini, accourraient autour de leur roi, s'il osait proclamer l'unité italienne.» Il ajoute que le roi n'a besoin pour cela que du concours des Italiens; que la paix de Villafranca est une insulte et un fardeau ignominieux placé sur ses épaules. A propos de quoi il dit: «Vous cessâtes en ce moment d'être notre maître et vous devîntes le vassal de la France impériale: avant de répondre aux Italiens, vous vous êtes engagé à chercher vos inspirations à Paris:

(1) V. le Monde du 21 janvier 1860.

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Sire, au nom de l'honneur et de l'orgueil Italiens, rompez ce pacte odieux. Ne craignez vous pas que l'histoire dise de vous: il trafiqua de l'enthousiasme des Italiens pour élargir ses domaines?» Mazzini exhorte ensuite le roi à se dégager de la foule des pygmées, conseillers de couardise; il lui promet une armée et l'insurrection de tous les peuples d'Italie. Il conclut en disant que peu importe si dans la nouvelle Italie le roi est un président à vie de la république italienne ou son roi; qu'il lui faut oublier pour quelque temps d'être roi et devenir le premier citoyen et l'apôtre armé de la nation. «Président ou roi, Dieu bénira «la nation pour laquelle vous avez osé et combattu (1)»

La lettre de Mazzini met en parfaite évidence de l'agitateur et les sentiments du républicain. Cependant il affectait de soutenir le drapeau Piémontais et de rétracter devant le peuple sa foi républicaine. «Écrivons, disait-il dans sa proclamation aux Siciliens, avant l'invasion de Garibaldi, écrivons sur nos étendards: Annexion. Avant d'être républicain, j'étais unitaire; il me semblait que la république seule pourrait mener à l'unité: Ainsi je fais le sacrifice d'idées anciennes à un ancien principe.» Or les événements qui se précipitent actuellement en Italie démontrent clairement que le sacrifice de Mazzini et de ses partisans n'était que temporaire et qu'ils ne devaient respecter le nom de Victor Emmanuel qu'autant qu'ils jugeraient ce nom nécessaire à l’accomplissement de leurs projets. — Est-ce qu'en effet, dans sa lettre à Brofferio,

(1) Celle lettre fut imprimée en octob. 1859 dans tous les journaux, excepté, remarquait le correspondant de l'Union, dans la presse officielle du Gouvernement.

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Mazzini ne se prononce pas suffisamment dans ce sens, quand il expose ses sentiments républicains et qu'il trace sa future ligne de conduite à partir des derniers jours de 1859? Et cependant les Mazziniens de Naples déclaraient, dans le mois de décembre dernier, par la bouche de Boni, de Saffi, de Nicotera et de Libertini, qu'ils désapprouvaient le cri de: Vive la république! non pas qu'elle ne fût l'objet du plus ardent désir de leur âme, mais parce que pour le quart d'heure un tel cri serait dangereux, en fractionnant la volonté populaire et en donnant occasion aux ennemis de l'unité italienne de retarder l'achévement de la tâche que la nation s'était imposée en face de Rome et de Venise (1). En résumé, ce fut la fédération de ces deux partis qui donna sa puissance à l'insurrection de la Péninsule.

Garibaldi cependant s'étant mis à la tète du mouvement d'opération de toute l'Italie Méridionale, organisait dans les Romagnes le corps de ses volontaires; il recueillait des armes et de l'argent; il adressait des proclamations incendiaires aux Suisses du Pape et aux troupes de Naples (2); il encourageait les uns et les autres au parjure et allait jusqu'à annoncer à ses soldats que l'heure était venue de tomber sur les ennemis. Son plan était de tenter un débarquement à Ancône, pour y déterminer l'insurrection, de déboucher ensuite dans les marches et de se jeter dans le royaume de Naples. Aussi bien, grâce au concours des agents et émissaires Piémontais, ainsi que du parti Mazzinien, tout était préparé à Naples et en Sicile

(1) V. le Monde 16 déc. 1860

(2) V. L'Univers du 29 octob. 1859.

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pour l'explosion e la révolte (1). On y avait mis en  circulation des portraits d'Agésilas Milano; une souscription en faveur de Garibaldi y obtenait de nombreuses signatures; des journaux et des manifestes y étaient imprimés secrètement dans le but d'échauffer l'imagination du peuple; une adresse envoyée aux autorités municipales, au nom du comité de Palerme, d'accord avec celui de Naples, leur enjoignait de se tenir prêtes au mouvement qui allait éclater, et de prendre, aussitôt après, le gouvernement de la ville, en exhortant la population à imiter les vertus patriotiques des Modenais, des Toscans et des Bolonais. Plusieurs lettres étaient en même temps expédiées de Naples en Sicile, et de Palerme dans toutes les parties de la péninsule, lettres où l'on disait que le renversement de la dynastie des Bourbons et la proclamation de Victor Emmanuel pour roi, formaient la profession de foi de l'insurrection tout à fait imminente. «nous ne craignons rien des troupes,» disaient ces manifestes; «les troupes sont avec nous.» Ce fait était vrai, paree que la révolution, artificieuse, avait commencé à enlever au roi de Naples tous les moyens de résistance, avant de l'abattre définitivement.

En effet, depuis le mois de Juillet, un esprit d'insubordination et de révolte s'était révélé dans le corps des Suisses, dont la fidélité envers les Bourbons ne s'était jamais démentie. Le gouvernement Napolitain se voyait contraint d'en libérer du service près de 3000 et deles renvoyerdans leur patrie. Or toutes les correspondances de Naples, et une surtout, qui fut insérée dans le journal des Débats,

mirent hors de cloute la coopération d'une main secrète à ce mouvement et la participation du Piémont

(1) V. la lettre de Mazzini aux Appendices.

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à ces premiers symptômes d'action (1). Au mois d'Octobre, des marques d'indiscipline se produisaient dans l'armée des frontières commandée par le général Pianelli, et le bruit courut, non sans apparence de vérité, que les officiers de cette armée pactisaient avec Garibaldi. Ce qu'il y a de certain, c'est que des officiers de ce régiment nous ont assuré, avant de marcher vers les frontières, qu'un grand nombre des leurs ne se battraient pas contre les volontaires de Garibaldi. On savait également à Paris et à Londres que chaque ville des États du roi de Naples avait son novau d'insurgés et que l'armée elle-même en comptait jusqu'à deux cents parmi les officiers (2). Les faits survenus depuis n'ont que trop confirmé la réalité de tous ces bruits. Le parti révolutionnaire ne s'était pas endormi et un grand nombre de généraux et d'officiers avaient écouté ses propositions.

Après avoir ainsi privé l'armée napolitaine de son corps le plus sûr et le plus redoutable, et l'avoir réduite à l'impuissance par la défection, la révolution se persuadait qu'en mettant la Sicile en mouvement, tandis que Garibaldi se jetterait dans les Abruzzes, elle aurait presque assuré le succès de son plan. Tout avait donc été disposé au mois d'Octobre 1859 pour effectuer un mouvement armé des campagnes sur la ville de Palerme, afin que la révolte allumée dans la capitale pût se propager aisément dans l'île tout entière. Trois bandes considérables devaient tomber sur Palerme, l'une du pays des Colli, l'autre du Parco, la troisième de la Bagheria. Mais le directeur Maniscalco pénétra cette conspiration et déployant, en cette occasion, l'activité la plus extraordinaire, il empêcha les deux premières bandes de se rejoindre;

(1) Débats du 27 août 1859. — Univers du 21 août 1859.

(2) Corresp. de Paris au Nord du 17 mars 1860.

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puis, avec les seules forces des gardes nationales et de la police, il battit la troisième qui avait tenté un mouvement sur la Bagheria et la dispersa complètement. Le directeur s'apercevait cependant que cette victoire n'était pas définitive, que les forces de la révolution avaient pris trop de vigueur pour qu'un éclat ne fût pas inévitable. Le parti de l'insurrection comprenait de son côté que Maniscalco serait un tel obstacle à ses projets qu'il réussirait difficilement à en triompher: de là l'horrible résolution prise dans ses conciliabules de s'en débarrasser par le poignard; un journal Suisse en donnait la nouvelle anticipée. En effet, le 47 novembre, comme le directeur entrait dans la Cathédrale de Palerme, avec sa jeune épouse et ses deux petits enfants, un sicaire de la secte impie lui enfonçait un poignard sous l'épaule et s'enfuvait. La blessure heureusement ne fut pas mortelle; mais, avant même d'en être guéri, Maniscalco recevait un billet anonyme portant ces mots:«que s par malheur e premier coupavait «manqué, le second ne manquerait pas.» Celte menace de meurtre n'ébranla point le courage du généreux directeur; il n'en devint ni traître ni lâche. Fallait-il un plus grand crime pour le désigner à toutes les attaques de la révolution?

Telle était la situation de Naples et de la Sicile, quand les ambassadeurs de France proposèrent au roi François II un régime libéral représentatif et la confédération Italienne établie à Villafranca et à Zurich. Ce jeune souverain avait, depuis le mois de juillet, (comme on peut le voir par toutes les correspondances de cette date) fait annoncer à la Cour de Vienne qu'il ne voyait aucune raison, pour refuser d'entrer, comme membre, dans une confédération nationale: il répondait plus ouvertement encore aux représentants de la France qu'il concourrait volontiers à la formation d'une ligue Italienne,

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à condition toutefois qu'elle serait fondée sur des bases solides; qu'elle garantirait l'ordre public et affranchirait l'Italie de la propagande et des attentats de la révolution. François Il se montra moins docile au projet d'un gouvernement constitutionnel, bien qu'il eût promis toute réforme de nature à améliorer chaque partie de l'administration civile.

Ces déterminations de la cour de Naples ne pouvaient en apparence convenir au parti révolutionnaire, et ce fut pour lui néanmoins l'occasion d'une joie immense, il s'en applaudit comme d'une victoire signalée. Les Mazziniens et les Piémontais nous ont affirmé sans détour, qu'ils avaient tremblé plusieurs jours d'appréhension que le jeune monarque ne cédât aux instances du ministre plénipotentiaire Brénier et plus tard du général Pioguet, envoyé extraordinaire de l'Empereur des Français. Quelques personnages, plus initiés aux machinations du parti, ont révélé que des sommes importantes sont venues alors de Turin récompenser un membre influent de la cour Napolitaine, de ce qu'il avait contribué à maintenir le roi dans la négative au sujet d'une constitution. Tout cela nous fait croire qu'il eût été préférable d'accéder en ce moment aux bons offices de la France, de rétablir l'ancienne constitution de Sicile et de remettre en vigueur, à Naples, celle de 1848; c'était du moins alors un moment plus opportun pour faire des concessions, que la terrible époque du mois de juin, quand la révolution était triomphante. Le gouvernement aurait eu alors une force suffisante pour comprimer le parti du désordre, et il aurait eu de meilleures raisons pour le faire.

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Un parlement convoqué sous l'influencée d'un Souverain qui n'avait encore essuyé aucune défaite et qui commandait une armée de 150 mille hommes, n'aurait certainement pas été annexionniste ni composé de gens hostiles à la couronne; peut être la monarchie des Bourbons aurait elle pu, au contraire, recevoir un appui de la représentation nationale, qui n'aurait point pactisé pour la perte de son indépendance territoriale.

Nous devons pourtant l'avouer; bien des motifs se présentent en justification de la conduite que tint le ministère de Naples avec son souverain. Celui-ci acceptàit d'une part la confédération italienne qui, fondée sur l'ordre et la justice, eût rendu d'immenses services à l'Italie. Mais la constitution, quoique conseillée par la France, lui était imposée en ce moment par un parti qui, non content de plaider cette cause avec le poignard complice de l'émeute, avait juré sa ruine totale et la fusion de ses États dans le royaume italico-piémontais. Évidemment ce parti ne voulait des réformes et des constitutions que pour s'acheminer plus vite à son but antipatriotique. La masse du peuple, il est vrai, aurait bénéficié des concessions demandées; mais, les radicaux plus familiarisés avec le désordre et malheureusement plus audacieux que les honnêtes gens, auraient crié victoire et des concessions du roi auraient conclu à sa faiblesse. S'estimant plus forts en proportion de ce qu'ils obtenaient, ils auraient osé davantage, et des fleurs mêmes offertes au généreux monarque par la reconnaissance du grand nombre, ils eussent tressé la couronne funèbre du tombeau de la monarchie. Le roi de Naples et son ministère avaient la profonde conviction, manifestée en d'autres temps par le fameux Castlereagh (1), que celui-là ne mérite pas le nom d'homme d’État qui ne sait-pas

(1) Capefigue. Les diplomates européens. Milan 1844, p. 249.

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comprimer les mouvements révolutionnaires de son pays; parce que les concessions ne doivent se faire qu'aux peuples qui, pour conjurer leurs gouvernants de faire droit à de légitimes griefs, n'en continuent pas moins de marcher dans les voies de l'ordre et du devoir. Qui pourrait blâmer le roi de Naples d'avoir adopté en pareil cas la même politique qu'avait suivie lord Castlereagh et le ministre Pitt envers l'Irlande?

Ces deux personnages n'avaient en effet répondu que par des mesures répressives aux Irlandais, lorsque ceux-ci s'abandonnant à la révolte, faisaient appel aux armes françaises pour secouer le joug de l'Angleterre (1)? Peut être les nouvelles théories de la révolution auront-elles peine à s'accommoder de ces principes; elles ne détruiront pourtant pas ce fait constant que la ruine des princes menacés par l'émeute dériva presque toujours de leurs faiblesses.

Les monarques, je le sais, doivent respecter les droits et les franchises des peuples soumis à leur sceptre; le catholicisme n'a jamais dispensé les rois de l'obligation d'observer leurs serments, comme le Times, dans son ignorance doublée de haine antipapiste, n'a pas craint de l'affirmer dans un article, du 25 octobre 1860; mais pour quiconque a lu l'histoire, il est hors de doute que les concessions faites sous la pression d'une révolte radicale annoncent l'heure de la chute des princes.

Cependant, après l'insuccès de la mission du prince Poniatowski, après le vote annexionniste des assemblées nationales des duchés et des légations, la fédération italienne était devenue impossible. Déjà ce nouveau principe que le fait de semblable annexions venait introduire

(1) Capefigue I. c. c. Flanagan. Mannal of British and Irish history c. XXXVIII, London 1847, p. 82.

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dans le droit public européen, ombrageait l'esprit des souverains: l'horizon politique redevenait sombre et l'on craignait de nouveau le choc des armées.

La convocation d'un congrès semblait l'unique moyen de mettre fin cà l'état anormal de la péninsule et de jeter les bases d'une pacification durable. Ce parti une fois adopté par les souverains de l'Europe et par le souverain pontife luimême, le gouvernement piémontais se serait vu forcé de rappeler Garibaldi des Romagnes et ensuite tous ses principaux représentants des Duchés et des Légations, pour ne pas paraître apporter aux discussions du congrès un fait accompli. Or, Garibaldi qui, dans une entrevue avec le roi de Turin, sur la fin d'octobre, avait déclaré qu'il ne déposerait point les armes tant que la révolution n'aurait pas embrasé l'Italie d'une extrémité à l'autre, Garibaldi s’étant retiré à Nice, sa patrie, proclamait dans un manifeste qu'il n'avait quitté le service militaire que momentanément; il réprouvait la politique misérable et tortueuse qui suspendait la marche grandiose de ses entreprises, et il en déduisait la nécessité pour les Italiens de se serrer tous autour du brave et loyal soldat de l'indépendance italienne (Victor Emmanuel),incapable, lui, de revenir sur ses pas dans l'accomplissement de l’œuvre sublime et généreuse (1).

Par une autre proclamation publiée dans le Corriere mercantile, Garibaldi avertissait ses compagnons d'armes que son absence était temporaire et que bientôt il serait au milieu d'eux pour conquérir par la force les droits que la diplomatie leur refusait (2). Il s'agissait donc ici d'une seconde trêve que des égards dus à la diplomatie-exigeaient de l'Italie, et l'Italie devait la subir comme la paix de Villafranca, que Garibaldi avait qualifiée d'une suspension d'armes.

(1) Gazette de Nice, 19 nov. 1859.

(2) Univers 29 nov. 1859.

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Au fait, les classes les plus éclairées de la société prévoyaient les difficultés insurmontables qui allaient se mettre en travers de la convocation du congrès, quoiqu'on eût déjà désigné les diplomates qui interviendraient à cette assemblée. Les journaux les plus importants commencèrent à annoncer que le projet du congrès se dissiperait en fumée: et ils avaient raison. D'un côté, la diplomatie, qui poursuivait chaudement la rénovation radicale de la Péninsule, ne voulait pas la réunion d'un congrès des Puissances avant d'avoir ourdi la trame convenue dans les séances des sociétés secrètes. D'un autre côté, l'Autriche et les Puissances conservatrices ne pouvaient se prêter à la convocation d'un congrès qui aurait pour objet de détruire les traités de Villafranca et de Zurich. Enfin la publication de la brochure française Le Pape et le Congrès, dont on fit le programme officiel du gouvernement de Napoléon, les protestations solennelles faites contre cet écrit par le souverain Pontife et l'universelle réprobation qu'il excita dans tout le monde catholique, toutes ces raisons, et d'autres encore, donnèrent le coup de grâce au projet d'un congrès européen. Les Puissances avaient en effet, comme l'annonçait l'Opinione de Turin, la persuasion que la France se proposait de faire servir la diplomatie à l’achèvement de ce qu'elle avait commencé sur les champs de bataille.

Une ère nouvelle s'ouvrait donc à la révolution italienne. Tandis qu'à Paris le comte Walewski renonçait au portefeuille des affaires étrangères qui passait aux mains de M Thouvenel, à Turin le roi de Piémont appelait (le 17 Janvier) le comte Cavour à former un nouveau ministère. Cette nouvelle de la réinstallation du comte Cavour au fauteuil de la présidence ministérielle, révéla clairement l'influence de l'Angleterre;

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M. Hudson, l'ambassadeur britannique, renversait le ministère Rattazzi, pour introniser d'une manière plus éclatante la révolution italienne, dégagée enfin des entraves de la politique et autorisée à ne plus reculer devant rien (1). Au reste, l'exécution des plans révolutionnaires ne pouvait plus manquer.

Le premier acte de M. de Cavour au pouvoir fut précisément de faire connaître que la révolution avait obtenu un triomphe complet: sa circulaire emphatique du 17 Janvier annonçait l'ajournement indéfini du congrès, et en donnait pour principale raison l'apparition de la brochure le Pape et le Congrès. Chacun se rendra compte après cela, de la liberté d'allure, dont jouit dès lors la révolution, tant par le fameux principe de non-intervention, que par l'audace et la perversité des chefs du parti. M. de Cavour ordonna ensuite le plébiscite dans les duchés et dans les légations, et cela sur le désir de lord John Russell, auquel cependant la diplomatie européenne n'avait point souscrit.

M. Thouvenel, dans une note adressée peu après aux Puissances, déclara le gouvernement piémontais entièrement responsable de cet acte et de l'annexion de l'Italie centrale, qui en serait la conséquence. M. de Cavour ne s'en inquiéta pas plus qu'il ne fallait: il accéda de son chef (avec le despotisme qui lui était propre et saris avoir auparavant consulté les chambres) aux demandes de l'empereur, réclamant Nice et la Savoie; il consentit à ce que l'armée française évacuât la Lombardie; mais il ne rabattit rien du projet d'annexer les duchés et les légations.

(1) V. Corresp. du 23 janvier 1860 adressée de Turin à la Presse. — Univers, 27 janvier.

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 C'est pourquoi le 17 Mars, il donnait l'ordre aux troupes piémontaises d'occuper l'Italie centrale au nom de Victor Emmanuel.

De cette manière la révolution était laissée à ses inspirations. Le rappel de Garibaldi qui survint ensuite, les ovations qu'il reçut à Turin et sa nomination d'Inspecteur général de la garde nationale en Lombardie, faisaient iisez prévoir la catastrophe qui se préparait pour l'Italie et pour l'Europe.


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Chapitre VII.
CARACTÈRE TYRANNIQUE ET ANTIRELIGIEUX DE LA RÉVOLUTION ITALIENNE.

Quiconque s'est donné la peine de lire dans les documents de l'histoire, ne pourra ignorer que la liberté de l'Italie germa et grandit à la faveur des bienfaits de la Papauté et de l’Église. Les communes italiennes avaient pris naissance et développement sous l'influence paternelle de Grégoire VII, et leur indépendance fut protégée et défendue contre le plus cruel des empereurs d'Allemagne par Alexandre III. C'est ce Pape, dont les peuples affranchis voulurent éterniser la mémoire par la fondation d'une ville qui portât son nom. Ses successeurs luttèrent contre Frédéric II, pour soutenir la liberté des provinces italiennes; et jusqu'au XVe siècle les souverains pontifes passèrent pour honorés, bénis, les tuteurs les plus zélés de l'indépendance et de la liberté de la Péninsule, qu'ils regardaient comme spécialement confiée à leur sollicitude. Or, n’étaient-ils pas splendides et glorieux ces temps où toute la nation soumise et dévouée aux enseignements catholiques, plaçait sous l'égide du Pontife son indépendance et sa liberté, et ne devait-ce pas être une immense joie pour les Italiens de voir leurs plus puissants ennemis courbés à ses pieds ou frappés des foudres de son autorité?

Cependant l’Église, suivant l'inaltérable impartialité qui lui est propre, associe également tous ses enfants à la douceur de son coeur maternel et, de même qu'elle ne s'incline pas vers les peuples au détriment de leurs maîtres,

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elle ne flatte pas les maîtres au détriment de leurs peuples. Aussi, comme une suprême modératrice de forces contraires, elle employa toujours son autorité à tempérer les extrêmes et à les rapprocher d'un juste milieu d'harmonie et de concorde, sur lequel repose le bonheur et la perfection des États. Lorsqu'il arriva aux rois et aux empereurs d'attaquer la religion et la liberté des nations, elle se déclara pour les peuples et combattit vigoureusement pendant des siècles en faveur de ces principes sacrés. Mais quand les erreurs semées par les impériaux et les royalistes du XV siècle et fécondées par le protestantisme, eurent infecté les racines mêmes de la vraie civilisation et répandu à travers l'Europe les maximes d'une liberté impie et licencieuse, sanguinairement mêlée à la révolution et à l'anarchie, l’Église fit les plus grands efforts pour ranimer et défendre l'autorité sociale; elle lutta pour l'extermination de l'hvdre épouvantable, qui menaçait de détruire jusqu'à l'existence des États européens. L’Église et son premier Pontife, comme l'a remarqué un auteur non suspect aux unitaires italiens (1) «protégeaient avec la même fermeté éclairée le principe souverain du droit et de l'équité, et combattaient l'anarchie et la violence, quel que fût leur manteau.... En résumé, Rome eut toujours dans l'ordre civil un seul ennemi, la barbarie, et un seul but, la civilisation; celle-là, inséparable du despotisme royal, de l'anarchie populaire, des doctrines fausses et impies; celle-ci, inséparable de l'autorité légitime, de la liberté modérée, de la profession du vrai en philosophie ou en religion.»

(1) Gioberti. Primato morale e civile degli Italiani, t. I, c. II, édition de 1826 à Capolago, p. 156.

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Par malheur, les Italiens ont puisé l'histoire de leur pays aux sources les plus empoisonnées; bon nombre d'ent'reux n'ont connu l'action sociale de la religion que d'après les ouvrages publiés dans le dernier siècle par les anticatholiques de France et d'Angleterre, et de nos temps par les ennemis de la foi en Italie. Les maximes de la révolution française, répandues en Italie, n'ont fait qu'augmenter les causes de perversion et que rendre les esprits toujours plus accessibles aux funestes insinuations des sociétés secrètes. Ces sociétés furent pour l'Italie une importation étrangère; mais le germe s'en développa de luimême avec, une effrayante rapidité. Les sociétés du Carbonarisme, et ensuite de la Jeune Italie, s'introduisant et se ramifiant à l'infini dans la Péninsule, usurpèrent sans raison l'honneur de représenter toute la nation, et firent traîtreusement croire que les peuples d'Italie étaient hostiles à l’Église et au Pontife. Mais l’Église et le Pontife ne confondirent point la nation qui marche toujours dans les voies du catholicisme avec ce parti infernal, dont tous les efforts tendent à décatholiser l'Italie, et à effacer d'un coup les dix-huit siècles de ses grandeurs passées.

En fulminant leurs anathèmes contre de telles sectes et contre leurs affiliés, l’Église et le souverain Pontife ne se proposèrent pas autre chose que d'arracher l'Italie à leur aveugle violence et à leurs atrocités.

Quelles sont en effet les maximes sociales et civiles de ces nouveaux coryphées de la liberté et de l’indépendance italienne? Les Carbonari d'Italie, comme on peut le voir par les documents recueillis dans le Mémoire cité de M. Murrav et dans le Rapport romain, ainsi que parles Souvenirs mêmes de Mariotti, entendaient faire table rase de l'Italie et de la Sicile, pour tout ce qui concerne les gouvernements les plus légitimes, les institutions les plus respectables, les lois, les principes, etc.;

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or, Mazzini, le chef de la Jeune Italie, se vantait naguère que l'édifice social s'écroulerait à un signal donné et serait réduit en pièces par l’œuvre des sociétés secrètes, qui en avaient investi toutes les parties les plus vitales (1). Et dans une des proclamations adressées à ses affidés, il s'exprimait ainsi: «Quand un grand nombre d'associés seront capables d'organiser un mouvement, le vieil édifice vermoulu de toutes parts tombera, comme par miracle, au premier pas que fera le progrès. Tout le monde sera stupéfait de voir fuir devant la seule force de l'opinion et rois et seigneurs, et riches et prêtres, qui avaient jadis formé la charpente du vieil édifice social» (2).

Ainsi Mazzini avec les siens et avec les Carbonari, qui n'en diffèrent pas, nous prédit la destruction de la société du sein de laquelle devront bientôt disparaître les rois, les nobles, les prêtres et les propriétaires, c’est-à-dire toute institution et toute autorité religieuse et sociale. Mais pourquoi une pareille destruction? Les Carbonari voulaient établir ensuite une république sur le modèle païen, une république où régnât le patriotisme dans le sens absolu du paganisme, ou plutôt la domination d'une faction qui aurait le privilège de tyranniser les nobles et le peuple, les hom

(1) Voir à cet égard l'importante corresp. publiée dans le Tablet le 16 avril 1859, p. 217.

(2) V. Dublin Keview, mai 1860, p. 188.

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mes de science et les gens de commerce (1). Les radicaux modernes d'Italie n'oublièrent pas ce principe emprunté à la tyrannie antique. Le sieur Ricciardi, secrétaire de l'association mazzinienne et ami inséparable de Garibaldi, nous a clairement expliqué la pensée du président à ce sujet-là. Dans un manifeste publié par lui dans la révolution de 1848, inséré alors dans les journaux et reproduit au mois de Mai dernier par M. Hennessv, devant le parlement de Londres, Ricciardi faisait savoir que la révolution de l'indépendance «ne doit avoir aucun égard quelconque pour les progrès de la science, de la culture intellectuelle et morale, de l'industrie, de la richesse et de la prospérité publique.» Mais quel gouvernement donnerat-on à une société ainsi bouleversée de fond en comble? «Plus d'assemblée, continue Ricciardi, plus d'assemblée flottante, incertaine et lente à délibérer, nous avons besoin d'une main de fer qui gouverne un peuple accoutumé jusqu'à présent à la divergence des opinions et énervé par l'esclavage.»

Ainsi se terminaient tant de promesses de liberté et d'indépendance: la destruction de tout système social et l'abolition de toute autorité devait apporter aux peuples émancipés le singulier bénéfice d'être gouvernés par la main de fer de quelques féroces sectaires armée du poignard et du stylet. C'est là en effet, un des principaux points des statuts de nos sociétés secrètes, et ce point leur est commun avec les anciens assassins de Svrie, que commandait le Vieux de la montagne. Les serments des Carbonari étaient des serments de sang; on scellait avec le poignard l'affiliation des adeptes; le poignard était leur insigne, et à périr de la pointe du poignard étaient condamnée ceux qui révélaient les secrets de la secte

(1) V. surtout les courts mais importants Mémoires de Mariotti.

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ou qui s'éloignaient de ses conciliabules ou qui, de façon ou d'autre, passaient pour un obstacle à ses progrès (1). Les règlements de la Jeune Italie sont les mêmes: On lit aux articles 3, 31, 33 du statut: «Les membres qui n'obéiront pas aux ordres de la société ou qui en dévoileront les mystères seront poignardés. — Chaque tribunal sera compétent, non seulement pour juger les coupables, mais encore pour ôter la vie à toutes les personnes qui auront été condamnées à mort. — Que si la victime réussissait à s'enfuir, elle sera percée par une main invisible, quand elle se cacherait dans le sein de sa mère ou dans le tabernacle du Christ!!!

Ainsi l'enseigne du nouveau gouvernement de la liberté serait la main de fer d'un despote jugeant sans défense, condamnant sans appel, frappant dans les ténèbres quiconque serait coupable seulement de n'être pas favorable à son gouvernement ou de vouloir se dégager d'un lien d'assassinat et d'impiété.

Que dirons nous de plus? Mazzini nous apprend que «l'Italie est à présent ce que fut la France avant la révolution et qu'il lui faut des Mirabeau, des La Favette et tant d'autres (2).» Si quelqu'un ne trouve pas ces paroles suffisamment claires, qu'il en cherche l'explication dans les statuts des Carbonari et dans l'histoire de la révolution française. Tous les documents que nous possédons sur la secte Carbonaro-mazzinienne et toutes les dispositions faites en justice par les coupables découverts, nous font savoir en premier lieu que les affiliés se regardaient comme les descendants des représentants de la révolution française,

(1) V. les Mémoires de Mariotti, p. 172 et seq., ainsi que le rapport cité par Murrav delà p. 172 à 195.

(2) Dublin Review, 1. c.

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qu'ils appelaient leurs ancêtres (1); en second lieu que le peuple en avait une peur horrible et que les membres de la société eux mêmes n'en secondaient les plans qu'avec un sentiment d'indicible épouvante. Le vrai caractère de la secte était le terrorisme. L'original de leurs écrits officiels portait quelques initiales teintes de sang qui indiquaient: Malheur. Mort. Terreur. Deuil; entre ces mots se trouvaient représentés des foudres tombant des nues sur les couronnes, les sceptres et les tiares. — Ces symboles et d'autres du même genre illustrés des énormités de cette secte, nous disent assez que son règne devait être le règne du terrorisme (2).

Mazzini, laissant les emblèmes à ses prédécesseurs, va nous indiquer plus directement la nature de la chose, en rappelant à notre pensée les temps sanguinaires de la révolution française. D'un seul mot, Mazzini nous fait savoir que la régénération de l'Italie, ou mieux, la substitution du républicanisme aux gouvernements monarchiques et du socialisme au droit de la propriété (3), exige que l'on renouvelle en Italie les temps de la révolution française avec les Mirabeau.... et les autres: (il voulait dire les Marat, les Danton, les Robespierre); exige encore que nous voyions se répéter les fureurs de l'assemblée nationale et législative, les horreurs de la convention et du directoire et les iniquités du jacobinisme; le meurtre des princes, les massacres des septembriseurs et le terrorisme de Robespierre;

(1) V. la lettre publiée parnousà l'append. du présent ch. VJI.

(2) Mémoires cités p. 27-50.

(3) We know by a year's experience that the object of the leaders was to substitute republicanism f(ir monarchical government, and socialista for the rights of property. — Ainsi s'exprime le corresp. du Times sur la révolution de 1848-49. V. le Times du 3 janv. 1850.

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exige enfin que l'Italie s'engloutisse dans une mer de sang et de ruines et se régénère par le naufrage de toutes ses grandeurs passées.

Au reste, Mazzini nous a donné en 1848 un premier essai de ce genre de gouvernement, grâce au magnanime concours du général Garibaldi: La république romaine de 1848 ne fut autre chose qu'un gouvernement de destruction, de mort et d'épouvante; la liberté n'y fut que l’hypocrisie couvrant de mots fallacieux la violence la plus barbare; la défense de la propriété publique et privée n'y fut elle même qu'un nom sous lequel on cherchait à justifier des spoliations de tout genre, et l'emprisonnement, l'exil et le meurtre pratiqués d'une manière atroce.

Le triumvirat romain et Manara et Millara et Garibaldi appesantirent sur la tète des Romains la tyrannie la plus terrible; ils détruisirent et saccagèrent, par les mains de leurs adhérents, tout ce qu'il y avait de plus beau et de plus précieux dans la ville éternelle, et firent égorger par Zambianchi, à St Calliste et ailleurs, jusqu'à 150 prêtres (1). Le correspondant du Times écrivait à cette époque «qu'il serait difficile de donner une juste idée de l'état de terreur dans lequel se trouvaient les Romains jusqu'au jour de l'entrée des Français à Rome, terreur produite par le «gouvernement du triumvirat

(2)..»

(1) V. les derniers 69 jours de la république romaine. — Dans cet intervalle de temps les Garibaldiens saccagèrent et détruisirent les villas Panfili, Corsini, Ilorgbesi, Valentini, Spada, Barberini, Patrizi... en; une seule nuit, ils brûlèrent 50 carrosses princiers; ils mirent au pillage le jardin du Valiean, les églises de S. Jacques, de Jésus et Marie, de S' Charles au Corso, de S. Laurenl, à Lueina, sans parler de celle de Falestrina et de bien d'antres. V. l'ouvrage cité et les correspondances de ce temps. —

(2) Times du 14 juillet 1819.

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Sur le témoignage de lord Mount-Edgeumbe et de ses propres correspondants, le même journal écrivait au commencement de 1860: «Partout en Italie la révolution de 184849 «fut une tyrannie dans sa forme la plus odieuse, la tyrannie y d'une bande de conspirateurs et d'étrangers  exerçant sur des masses timides et remplies d'épouvante. Les Assemblées qui prétendaient au souverain pouvoir dérivé du suffrage universel, n'étaient que le produit delà faction révolutionnaire: les peureux furent entraînés à voter par des menaces; les ignorants par des pièges de séduction; les militaires par le ton du commandement; et l'on observa que maintes fois les meilleurs citoyens se trouvaient, grâce à la fraude, avoir voté pour la tyrannie (1).» Le Times ne s'en tint pas là: après la correspondance de Constantinople du 10 Décembre 1849, où l'on disait que la majeure partie des Italiens réfugiés dans cette ville à la suite de la victoire des armes françaises, avaient renié leur foi, le Times ajoutait éloquemment: «Ces misérables apostats sont de ceux qui, il y a peu de temps, se déchaînèrent contre le despotisme des prêtres, de ceux qui chassèrent Pie IX et l'exilèrent de Rome, de ceux qui remplirent Rome de pleurs et de deuil; de ceux qui profanèrent les églises et saccagèrent les trésors de la capitale du monde chrétien; de ceux qui s'étudièrent à cacher la faiblesse de leurs membres sous l'enseigne du lion de l'antique liberté, et à couvrir d'un vernis classique l'horreur de la licence et du sang versé; ces régénérateurs de l'Italie, ces illuminés, ennemis de la superstition, se sont faits maintenant les sujets d'un monarque absolu et ont embrassé une relîgion qui exige une aveugle

(1) Times du 7 janv. 1850. Le Times, pour réformer ses idées sur la révolution actuelle, n'aurait qu'à lire ce qu'il écrivait il y a dix ans.

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obéissance au chef de l’État» (1). Ainsi apparaissait dans tout son jour l'imposture de ces ennemis masqués de la liberté.

Les armes françaises avant arraché le triomphe aux mains de la révolution, le pouvoir de celle-ci, qui était un pouvoir sanguinaire, n'en fut pas détruit: innombrables furent les victimes de tout rang immolées à ses fureurs au dedans et au-dehors de Rome, dans toutes les parties de l'Italie; le poignard des sicaires se leva contre la vie des princes, des empereurs, des cardinaux et du souverain pontife luimême; et, vu l'insuffisance du poignard et du pistolet, la révolution employa les machines infernales connues, en inventa de nouvelles; et, n’ayant pu réussir dans ses projets diaboliques, elle fit l'apologie du régicide, et écrivit en lettres d'or dans ses journaux les noms de ses assassins, publia leurs panégyriques, leur fit des apothéoses, et encouragea les Italiens à user, comme eux, du poignard, pour la conquête de leur liberté (2). La révolution concentra son action dans le Piémont qui, au moyen de ses institutions conservées après 1848, put devenir le foyer d'un système général d'insurrection. Bientôt cependant ce royaume riche et splendide fut chargé de dettes immenses; ses habitants eurent à paver des impôts si énormes, que les Lombards n'en avaient pas connu de pareils sous le gouvernement autrichien.

(1) V. le Times I. c. Thèse regenerators of Italy, these enlightened opponents of superstition have now become the subjects of an absolute monarch, and have embraced a religion which inculcates a blind obedience to the head of the state.

(2) Gallenga, un des membres de la Jeune Italie, suivant l'affirmation de Mazzini, réclama, il y a peu d'années, contre ce grand conspirateur, parce qu'il encourageait les Italiens à se servir du poignard pour la cause de leur liberté. Dirait-on que le même Gallenga s'était spontanément offert quelques années plus tôt pour assassiner Charles Albert et qu'il avait reçu alors de Mazzini de l'argent et des armes pour l'exécution de ce crime?

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La spoliation arbitraire et despotique des couvents, des monastères et des églises ne suffisait pas à combler le vide des caisses publiques, et les populations durent souffrir la misère et les privations; leur argent était consacré à solder les troupes, qui allaient porter la ruine dans les États voisins, et à récompenser des traîtres, qui méditaient le renversement de leurs souverains (1).

Pour ce qui regarde la liberté dont ce royaume a joui, il n'est besoin que de prendre en main la statistique des assassinats que chaque jour y a commis le poignard, devenu sacré aux veux des sectaires, ou d'écouter au moins le jugement qu'en a porté l'ami de Mazzini et de Garibaldi, le fameux Zambianchi. Voici ce qu'il disait cà un Anglais qui alla le voir dans sa prison. «Monsieur, tout le bien qui «se dit du Piémont en Angleterre est un leurre. On appelle «ce pays un pays de liberté, et de liberté, il n'y en a pas. «Les personnes y sont arrêtées et jetées en prison sans «accusation et sans jugement. C'est un pays tyrannique, «un pays de grande hypocrisie et de grande tyrannie (2).» Rien n'est plus vrai. L'évidence des faits avait désillusionné Zambianchi; il connaissait h ses dépens la pesanteur du joug de fer que lui et les siens voulaient imposer à l'Italie.

Quelle liberté existerait-il en Piémont, quand ni la propriété ni les personnes ne s'y trouvent en sécurité? Quelle liberté, quand, par les intrigues et les cabales de Cavour et des hommes de son parti, le Parlement y est devenu un troupeau docile à son service? Quelle liberté, quand le masque d'institutions libérales y recouvre l'anarchie et le despotisme? La liberté de ce gouvernement est de pouvoir impunément persécuter l’Église, supprimer les monastères, confisquer les propriétés ecclésiastiques,

(1) V. l;i corresp. du 25 nov. 1860 adressée de Spezia au Tablet du 25 décembre.

(2) V. la lettre publiée là-dessus par Mazzini dans le Tablet du 3 mars 1860, p. 158.

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entraver les vocations, bannir ou emprisonner les évêques, bâillonner la presse catholique, se soulever contre la voix même de Dieu (1).

La révolution a réussi dernièrement à se montrer victorieuse après les campagnes de Lombardie; et le plein pouvoir qu'elle a possédé dans les Duchés et dans les Romagnes, elle l'a exercé par le despotisme et parle poignard. Toutes les correspondances de ces malheureuses contrées nous disent qu'on y voit se promener à travers les villes des hommes inconnus, mais dont le visage laisse une impression ineffaçable, tant leur front est chargé de pensées sombres et mystérieuses, tant leur regard a une expression cruelle et cynique, tant leur souffle exhale de venin et d'impudeur. Ces hommes épient et recherchent tout dans l'ombre et le silence, ils notent le temps et le lieu favorable pour frapper les victimes de la nouvelle liberté; ils portent gravé sur tout leur être le cachet d'assassins; ces hommes, ce sont les résolus du parti Carbonaro-Mazzinien, prompts à donner la mort au moindre signe du tribunal invisible qui les dirige. Les correspondances du Times, du Daily News, de la Gazette de Liège, du journal des Débats et d'autres organes importants de la publicité européenne, se sont accordés à nous dire que dans les Duchés et dans les Légations il n'y a que le gouvernement le plus despotique du terrorisme; que tout y est soumis à la tyrannie, la liberté de la presse, l'inviolabilité du domicile et des personnes, le secret des lettres, le

(1) V. Dublin Review. nov. 1860, p. 151 et la magnifique lettre du comte de Montalembert à M. de Cavour dans le Correspondant d'octob. 1860.

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scrutin public et jusqu'à la pensée et la parole (1).N'est-ce pas le comble de la plus atroce barbarie qu'en plein jour, et sous les veux de toute une population, un corps de Garibaldiens, après avoir tué un officier qui s'opposait généreusement au plus inique attentat, ait osé, par entraînement d'aveugle passion, assaillir à main armée un couvent de pieuses filles de Ste Claire et y commettre des excès sacrilèges dont l'humanité ne peut que frémir? Et cependant ces faits s'accomplissaient en août 1859 à Verrucchio près de Rimini (2). Pour avoir ensuite une idée du despotisme qui s'exerce dans les Marches et dans l'Ombrie, il faudrait lire les correspondances journalières de ces malheureuses provinces et les décrets arbitraires qui émanent des Valerio et des Pepoli.

Dans l'Italie Méridionale la dictature de Garibaldi fut de même inaugurée par le poignard, dont la pointe perfide détruisit sommairement toute liberté de parler et d'écrire, et menaça de mort quiconque refusait de courber la tête sous le poids des chaînes du parti (3). Dix-sept personnes furent poignardées en un seul jour à Naples pour n'avoir pas voulu crier: Vive Garibaldi! Qui pourrait ensuite compter le nombre des infortunés qui, dans les derniers mois, furent victimes du poignard dans tout le royaume des Deux Siciles? Ce nombre est considérable, et au dire même

(1) V. la corresp. (le Toscane adressée au Times du 17 sept. 1859 et celle du 3 sept, de la même année dans le Daily-News.

(2) Corresp. de l'Union, de l'Univers, du Journal de Bruxelles, de la Gazette du Midi, rapportées parle Tablet du 10 déc. 1859.

(3) Le correspondant du Times (11 sept. 1860) rapportait qu'un des principaux seigneurs de Sicile, après s'être plaint hautement à lui des mesures gouvernementatales de Garibaldi, ajoutait: «Mais actuellement ces choses ne peuvent point se dire, parce que le stylet nous a ôté la liberté de la parole.»

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correspondants du Times, il se croit de jour en jour (1). Qui pourrait énumérer tant de condamnations, tant de sentences d'exil rendues sans forme de procès et sans discussion; les spoliations manifestes et les attentais publics à la propriété, couverts des noms mensongers de nation, de liberté, d'indépendance; les amendes et les emprisonnements infligés surtout aux ecclésiastiques assez courageux pour témoigner quelque improbation des lois et des sentiments du dictateur (2)? Ne suffirait-il pas, pour caractériser la violence de la dictature Garibaldienne, de ce décret du 28 septembre 1860 accordant une pension viagère aux parents du régicide Milano? Les titres de cet homme à la reconnaissance publique étaient d'avoir attenté à la vie de son propre Souverain, à qui il avait prêté un serment solennel de fidélité. Et Garibaldi osait déclarer la personne d'un tel assassin, sacrée pour la patrie. Certes, comme le déclarait dans une circulaire le ministre du roi, Casella, tous les sentiments de l'humanité, de l'honneur et de la religion avaient droit de protester hautement contre ce décret tyrannique, surtout lorsque, en conséquence du même décret et par détermination du gouvernement dictatorial, toute la garde nationale de Naples, se couvrant elle-même de honte et d'opprobre, alla solennellement couronner par les mains d'Ayala, son commandant, la tombe de cet assassin public! Ce fut là une des preuves les plus évidentes de ce qu'avait proclamé Hennessy dans le parlement d'Angleterre, à savoir que la cause du parti de Garibaldi n'était pas seulement la cause de l'anarchie, mais encore de l'assassinat et de la violence. Mais y a-t-il là de quoi nous émerveiller? N'est-ce pas un Carbonaro Mazzinien que Garibaldi? N’appartient-il pas, corps et âme, à la société de l'infatigable agitateur?

(1) V. entre mille autres sources, le Times du 22 déc. 1860 et du J3 janv. 1861.

(2) V. le Times du oct. 1800 et la lettre de Cordova à Garibaldi publiée encore dans le Times du 6 oct.

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Mazzini, dans une lettre du 7 janvier de cette année 1861, écrite de Londres à un de ses amis, met Garibaldi sur la même ligne que lui et son parti, et ajoute que le mouvement actuel de l'Italie est leur ouvrage commun (1). Et pourtant ces mêmes principes, ces mêmes maximes, cette même tyrannie, ces mêmes personnages que le Times condamnait en 1849 et en 1850, il les applaudit en 1860 et en 1861. Comme si les trois promoteurs les plus ardents du mouvement actuel et les trois libéraux les plus passionnés de l'Italie présente n'étaient pas identiquement ceux qui en 1849 abjurèrent leur foi pour se faire les sujets du despote de Constantinople?Et on appellera un règne de liberté, que de substituer ainsi le caprice à la conscience, la violence à la persuasion, le poignard à la loi, et une race sacrilège et renégate aux honnêtes gens? N'est-ce pas au contraire un règne essentiellement destructif de liberté, un règne qui la déshonore et la rend suspecte à tout noble cœur?«Savez-vous», disait le comte de Montalembert, en apostrophant ces agitateurs (2), «Savez-vous quel est devant le monde le plus grand de tous vos crimes? Ce n'est, pas seulement le sang innocent que vous avez versé, quoiqu'il crie vengeance au ciel contre vous; ce n'est pas seulement d'avoir semé à pleines mains la ruine dans l'Europe entière, quoique ce soit le plus formidable argument contre vos doctrines. Non! c'est d'avoir désenchanté le monde de la liberté.

«C'est d'avoir en quelque sorte désorienté le monde! C'est d'avoir compromis, ou ébranlé, ou anéanti dans tous les cœurs honnêtes cette noble croyance. C'est d'avoir refoulé vers sa source le torrent des destinées humaines!»

(1) V. celte lettre de Mazzini dans le Monde du 15 janv. 1861.

(2) Dans son discours sur la Question romaine, discours qui fut suivi de l'expédition de Rome et qui, au témoignage des Débats, valut à l'orateur des applaudissements inconnus dans les assemblées délibérantes.

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Encore ce gouvernement de fer que l'on veut imposer au peuple d'Italie, n’est-il pas le but suprême et final de la révolution italienne. Ce but si élevé est enveloppé de ténèbres, et constitue la science du secret des socialistes modernes comme des Carbonari (1). Il y en a plusieurs,» disait naguère Mazzini à ses fidèles, «il y en a plusieurs qui «voudraient connaître le dernier terme où tend le mouve«ment actuel. Mais il n'y a rien de plus essentiel que de tenir caché le but suprême delà grande révolution: nous ne devons en révéler que le premier pas (2).» Toutefois, Mazzini se persuadait que le terrible secret serait violé de temps à autre, et il ajoutait: «Tant mieux; une certaine transparence est nécessaire pour enflammer les stationnaires (2).» Or cette fois la transparence est allée au point de faire connaître à fond les desseins du parti du désordre. Il n'est pas nécessaire aujourd'hui d'être entaché de bigotisme ou de sentir le froc pour comprendre que l'objet principal de la révolution italienne est théoriquement et pratiquement la destruction totale du catholicisme et du christianisme même. Dans un document important, publié par Crétineau-Jolv, les chefs de la révolution s'expriment ainsi sans contrainte «Notre objet final est le même que celui de Voltaire et de la révolution française: anéantir à jamais, non seulement le catholicisme; mais jusqu'à l'idée chrétienne.

(1) V. sur les Carbonari les Mémoires de Mariotti, p. 2750 et history of the papal states vol. III, Bool; VIII, c. IV. — London 1850, p. 592...

(2) V. Dublin Review lettre déjà citée.

(3) lbid.

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Si celle-ci reste parmi les ruines de Rome, la ville éternelle trouvera certainement en quelque temps «le principe d'une nouvelle vie à perpétuité (1).

La suite du document est consacrée à communiquer aux sociétés secrètes d'Italie les instructions les plus impies et les plus perfides pour marcher à la conquêtede ce but final et suprême. La révolution italienne est aujourd'hui gouvernée par ces principes subversifs de toute société. Assurément, les socialistes modernes, successeurs, comme ils s'en vantent, de leurs ancêtres de 89 et de 93, ne sont plus un mvstèrè pour l'Europe, et le même Mazzini a suffisamment tracé dans ses écrits sa doctrine religieuse. Il s'éleva maintefois contre ceux qui prétendaient chasser de l'esprit de l'homme la notion de Dieu, en qui ils avaient l'absurdité devoir l'origine et l'essence du mal; il se récria contre la mesquinerie de ces nouveaux réformateurs; il protesta de toutes ses forces que la négation de Dieu ne vaudrait rien pour régénérer la nation et affermir les bases de la société; il affirma qu'on devait restaurer le culte de la Divinité pour permettre aux peuples de s'avancer vers le dernier degré de la perfection. Mais, quelle fut plus tard la notion que nous apporta sur la Divinité cet apôtre de la révolution? La Divinité n'est, selon Mazzini, que l'humanité divinisée, que l'homme élevé par sa raison sur les autels dé

(1) V. Crétineau-Jolv. L’Église romaine en face de la révolution, vol. II, p. 83 sqq. Nous nous réjouissons que ce but de la révolution italienne soit si bieu connu eu France. V. le court mais éloquent opuscule de 16 pages publié en janv. par le Marquis de la Rochejaquelain: Un schisme et l'honneur.

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fruits alu christianisme (1). p£rai#??«là le but final de la grande révolution (2)? Mazzini ne l'a pas dit clairement jusqu'à ce jour, ni personne de son éeole, mais le caractère du mouvement actuel porte visiblement cette empreinte épouvantable qui nous montre la révolution d'Italie, comme une dérivation et un rejeton de la révolution française.

Au fait, disait l'impie Quinet, pour détruire le christianisme, il faut jeter dans la boue la papauté et l’Église (3), et Quinet avait raison. — Aussi le protestantisme, poussé par la logique inexorable du progrès, manifeste une puissance destructive de toutes les parties du christianisme. La même chose est arrivée aux rationalistes de ce siècle; en voulant faire passer au creuset du raisonnement toutes les vérités révélées, ils ont détruit l'essence de la révélation et ouvert sous leurs pieds le gouffre épouvantable du nullisme ou de l'absolue négation. Eh bien! dans les labyrinthes des sociétés secrètes d'Italie, a été résolue l'extermination du catholicisme, comme un moyen sûr d'arriver au rationalisme. Cette destruction est donc devenue l'objet immédiat et direct de la révolution Carbonaro-Mazzinienne (4), Or, les porte-drapeaux de l'impiété s'apercevaient bien que le domaine temporel du pape en Italie aurait été un obstacle infranchissable à l'exécution de leurs desseins; parce que le pape-roi aurait toujours, par tous les moyens qu'offre le pouvoir civil, tenu loin de Rome et de trois millions d'Italiens, l’infection du socialisme;

(1) V. surtout récrit mazzinien ayant pour titre : Les devoirs de l'homme.

(2) La Revue de Dublin dit que la révolution ne s'arrêtera pas avant d'avoir détruit le temple de Dieu. V. le XCV, p. 187

(3) Univers 16 nov. 1858.

(4) Tout dénoie clairement ce but chez les Carbonari, leurs symboles et leurs maximes et leurs dépositions. V. Mémoires I. c. et Miley Irriccodi d'Italia. V. la lettre publiée à l'appendice de ce chapitre

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parce qu'il aurait aussi continué d'alimenter au centre de la Péninsule le feu du catholicisme, pour en faire pénétrer dans tout le corps de la nation les rayons lumineux qui dissipent les ténèbres de l'erreur et brisent la glace de l'incrédulité.

Le pape-roi représente pour l'Italie un gage certain et une garantie certaine qu'elle ne perdra pas la foi de ses pères. Les mazziniens comprenaient d'autre part qu'une fois dépouillé de son domaine temporel et devenu la proie et la victime de la révolution, le pape serait bientôt privé-de sa liberté d'action et de l'exereice de ses droits spirituels; qu'il serait dès lors plus facile d'exciter dans la Péninsule un schisme de fait qui aboutirait au protestantisme. En un mot, comme le prouve le document que nous publions à l’appendice de ce chapitre, les révolutionnaires entendaient combattre dans leur foyer central les forces du catholicisme. Voilà pourquoi leurs coups les plus terribles furent portés contre les États de l’Église. Les premières loges ouvertes par Maghella et par ses agents, le furent à Spolète, à Foligno, dans les Marches et dans les Légations. Aussi, comme l'a très bien remarqué Murrav, les Carbonari des États pontificaux furent toujours les plus sanguinaires et les plus violents. Ce fut là qu'en 1817, en 1825, en 1830 et en 1846 s'organisa le système de l'insurrection générale de l'Italie. Carbonari et Mazziniens réclamèrent du Souverain Pontife des améliorations et des réformes, et ils ne différaient point de but; ce but était clairement indiqué dans les symboles des Carbonari par une tiare renversée. Ce système d’hypocrisie fut celui de Mazzini, surtout dans les années qui précédèrent 1848. Il écrivait de Paris dans le cours de l'année 1846: «Gardez-vous d'attaquer le clergé dans ses biens e dans ses croyances; promettez-lui la liberté, et vous le verrez marcher avec vous. Il nous faut, ajoutait-il, suffoquer Pie IX dans sa propre gloire.»

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Et c'est à quoi ces hommes pervers ne réussirent que trop. Rome frappée de terreur, le ministre Rossi barbarement assassiné, pendant qu'il se consacrait à affermir le gouvernement constitutionnel; le pape assailli au Quirinal par la plus vile populace, ses plus fidèles serviteurs égorgés dans son propre palais, luimême menacé de mort et mis en état d'arrestation jusqu'à l'heure de sa fuite, sa déchéance décrétée, la république romaine proclamée; c'était plus qu'il n'en fallait sans doute pour que l'entreprise des Italianissimes parût complètement achevée? — On le croirait en vain. La révolution commençait seulement, après tout ce que nous venons de dire, à mieux dessiner les plans ébauchés depuis un demi-siècle. A Rome et hors de Rome, se renouvelèrent alors les excès consommés dans la France en 89 et en 93. Les biens de l’Église et des pieuses institutions furent usurpés; tous les Ordres religieux furent abolis et leurs vœux déclarés nuls. On vit les ministres du sanctuaire fugitifs, bannis, travestis, cachés, jetés dans les fers, fusillés, frappés de stylets, taillés en morceaux, ensevelis vivants ou affamés jusqu'à mourir d'inanition par l'affreux Zambianchi. Les églises furent ensuite livrées au pillage d'une' soldatesque effrénée; les vases les plus précieux vendus ou jetés dans le trésor de la révolution, cinquante-deux confessionaux brisés et brûlés en quatre heures seulement et les chaires sacrées arrachées de leurs temples au milieu d'horribles blasphèmes et parmi les risées et les acclamations stupides de la lie du peuple. Conformément à ce qui arriva dans le sac de Rome dont Guicciardini nous a légué le récit, F&s partisans de Mazzini et de Garibaldi, affublés des insignes sacrés, se mirent à parodier la procession de la Fête-Dieu et l'auguste sacrifice de la messe: dans les églises suburbaines ils renversèrent les autels, brisèrent les pierres consacrées,

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arrachèrent de leurs châsses les corps des Saints et en firent l'objet de profanations et d'obscénités dont pareils scélérats étaient seuls capables. Les vases du sanctuaire furent employés par cette plèbe impie et par ses chefs à des usages vulgaires,et dégoûtants. Dans les églises de Palestrina, les hosties consacrées elles mêmes furent arrachées des saints ciboires et livrées à des outrages, à des moqueries abominables (1). Et si les armes de la France eussent accordé plus de temps à cette faction sacrilège, elle aurait répété dans toute l'Italie cette œuvre de destruction et fondé la religion de l'athéisme ou du Peuple-dieu.

Les populations ramenées dans les voies de l'ordre, la révolution élut domicile à Turin, et, tout en affectant les manières d'un gouvernement raisonnable et régulier, elle ne dissimula pas son caractère et, pendant dix années elle a médité lentement, mais efficacement la ruine du catholicisme. Que si le ministère Subalpin n'avait pas rencontré en Piémont, ainsi qu'en Savoie et en Sardaigne, une population sincèrement catholique, et plus encore un clergé et un épiscopat généreusement fidèles aux devoirs de leur état, il serait arrivé à cette partie de l'Italie ce qui est arrivé dans le XVIe siècle à l'Angleterre et à plusieurs contrées de l'Allemagne, envahies par la réforme protestante. De là les efforts démesures de ce gouvernement pour abattre cette puissante barrière, dont la chute laisserait un libre coursa la plus abjecte des apostasies.

(1) Pour ces faits et d'autres encore pires à charge de la république romaine de 1818, V. l'Histoire des États Romains de Farini: les 60 derniers jours de la république romaine.

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Depuis 4848, il ne s'est pas écoulé une seule année qui ne nous offre les preuves les plus évidentes de ce travail du gouvernement piémontais, attentif à saper les bases du pouvoir et de l'enseignement catholique. L'épiscopat surtout a été en butte aux outrages, aux mépris, h la persécution la plus féroce et la plus obstinée.

Avec quelle insolence leurs Seigneuries s'accoutumèrent à parler et à écrire aux pasteurs de l’Église, à ne point tenir compte et même à se moquer de leurs réclamations; à les traduire sans nul égard en justice, comme coupables d'avoir exercé leurs droits légitimes, soit en excluant du lieu saint les excommuniés publics, soit en refusant les leçons de théologie que prétendait leur donner le ministère, soit en instruisant le peuple dans ses devoirs et dans ses croyances, soit simplement en avant accordé un induit quarésimal! De quel acharnement ne fit-on pas preuve ensuite dans la persécution des évêques qui se montraient forts et inébranlables pour la défense de la cause catholique! On les jugeait, on les condamnait, on les retenait des mois entiers dans la citadelle de Turin, on les dépouillait de toutes leurs possessions et on s'obstinait à les exiler, malgré les supplications de 40,000 des principaux habitants de Turin, qui sollicitaient leur mise en liberté.

Que dirons nous ensuite, non seulement de tant de prêtres exemplaires et pleins de zèle, mais encore de tant de pasteurs d'esprit vraiment évangélique, injuriés, calomniés, mis en jugement, emprisonnés, soumis à la plus rigoureuse surveillai des intendants et des syndics? Que dirons nous de toutes les lois et de toutes les mesures prises par ce gouvernement avec l'intention bien arrêtée de ruiner et d'éteindre la doctrine catholique?

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Ainsi la loi Siccardi foula aux pieds d'un seul coup tous les concordats qui existaient entre le Piémont et le Saint-Siège, abolit le for ecclésiastique, entrava la libre communication du Pontife avec son clergé, et mit celui-ci dans une servile dépendance vis-à-vis de l’État. Ainsi encore fut envahie toute propriété de l’Église, et les ecclésiastiques se virent réduits à la triste condition d'être rétribués par le gouvernement qui est maître de les faire mourir de faim, dès que, suivant les ordres de Ratazzi, ils ne se conformeraient pas aux vues du ministère. Ainsi fut ravie aux évêques toute surveillance quelconque sur l'enseignement, désormais privé d'instruction religieuse et chrétienne; les universités et les lycées furent remplis de professeurs hostiles à l’Église, on y enseigna les doctrines les plus contraires à la foi catholique, au point que dans le collège d'Aoste un professeur put défendre publiquement l'athéisme. Ainsi la presse la plus impie et la plus immorale fut protégée par des représentants du pouvoir, et les journaux anticatholiques jouirent de leur faveur, quand les organes de la vérité se trouvaient persécutés, condamnés à l'amende et parfois supprimés; on encouragea des hommes sans foi ni loi à écrire des livres contre le pouvoir du pape, contre la bonne harmonie de l’Église avec l’État, contre les principes du droit ecclésiastique; tandis que, pour avoir en même temps publié un savant ouvrage contre le mariage civil, le Comte de Latour était condamné à deux mois de prison et à 2,000 livres d'amende, et de plus, dépouillé de la chaire qu'il occupait. Dans le même but de saper les fondements de l’Église, on permettait l'érection d'un temple vaudois jusque dans la capitale du royaume, en même temps qu'on supprimait l'Académie catholique de Soperga;

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on chassait des universités et des collèges les prêtres vraiment orthodoxes et on leur en substituait de scandaleux, de suspects et d'excommuniés qui, en récompense de leurs fautes, furent pourvus de pensions et élevés à l'honneur d'instruire la jeunesse piémontaise. Plusieurs fois le comte Cavour ne craignit pas, en plein Parlement, de se moquer impudemment du saint Père et de ses Bulles, et de déclarer impossible tout accord avec l’Église, et il favorisa en même temps la pauvre institution de l’Église nationale de Turin avec sa messe en italien et avec son journal le Révélateur auquel collaboraient la lie et le rebut de ce clergé éminemment catholique. On manipulait d'autres lois non moins détestables aux veux d'un véritable enfant de l’Église; on proposait le mariage civil, la liberté de l'usure, l'invalidité des voeux religieux et jusqu'à l'entière suppression de l'enseignement catholique en Piémont. Pour-ôter ensuite tout appui à l’Église, on supprima, à peu d'exceptions près, tous les Ordres religieux des deux sexes, en commençant par les plus riches, comme l'exprimait ironiquement l'opulent Mr de Cavour, et l'on ne voulait rien entendre à l'offre que fit l'Episcopat piémontais de 928,412 livres, pour sauver ces institutions qui font l'ornement et la variété de l’Église. — Une loi de fer frappa ainsi 8000 personnes, auxquelles on refusa, dans un pays libre et modèle de liberté civile, la faculté de vivre librement dans leurs maisons, de leur travail et des bienfaits de charitables donateurs, qui les avaient faits leurs dépositaires ou leurs héritiers. Voilà comment l’État modèle inaugurait l'époque d'une. splendeur inouïe et d'une gloire incomparable dans les fastes des nations.

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C'est là l’œuvre de destruction à laquelle le Piémont s'est appliqué depuis 42 ans, n’ayant rien négligé pour favoriser et répandre dans les masses le protestantisme, que les ministres anglicans se sont efforcés d'implanter en Italie par la diffusion de leurs Bibles et d'autres petits livres inspirés du même génie, qui est celui de Satan. Le préjudice qui en est résulté pour les provinces subalpines est incalculable. Les catholiques qui ont parcouru depuis peu ces contrées et surtout le pays de Gênes, ont dû avouer que parfois ils se sont pris à douter s'ils étaient ou non en pays protestant. Dans les campagnes qui s'étendent de Gênes à Nice, les pauvres villageois pâlis de faim et de misère et dévorés de besoins de tout genre, ne peuvent avoir un prêtre qui les console dans leurs profondes afflictions, et ils ont eu la douleur de voir, malgré eux, détruire par le gouvernement très libéral de Piémont un couvent et une maison de religieux, auprès desquels ils trouvaient souvent le soulagement à leurs peines et du pain pour leurs enfants. De plus d'une ville on dirait que la foi est complètement bannie; tant sont épouvantables les blasphèmes qui à chaque pas vous déchirent les oreilles; tant sont affreuses les malédictions qui retissent de toutes parts contre les prêtres, contre le pape, contre les dogmes de la foi, contre les principes les plus essentiels du catholicisme, contre la divinité même de la révélation. «Païens ou mahométans ou autre chose, «c'est tout un, pourvu qu'on croie en Dieu,» telle est la maxime fondamentale de la Jeune Italie. Dans la rivière de Gênes, on dirait qu'une invasion d'Iconoclastes a passé par là, en voyant, sans bras ni tête, les images en marbre ou en bois de la Vierge et de son divin Fils, qui se trouvaient le long des chemins;

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en voyant dégradées ou effacées au dessus de Chiavera les stations delà Passion de Jésus Christ, quand on n'a respecté que les statues de Garibaldi et d'Hugo Bassi dans une villa située près de Gênes... Tels sont les fruits de la guerre que le gouvernement piémontais a déclarée à l’Église. «La liberté en Piémont, écrivait de Gênes un voyageur anglais, n'existe que pour les profanateurs du temple et pour les révolutionnaires. Le poignard est béni dans cette contrée, où l'assassin est regardé comme un héros. Il n'y a qu'en Italie que l'on puisse croire à une liberté qui détruit la religion et qui se glorifie des assassinats (1).»

(1) V. une corresp. de Gènes dans le Tablet du 16 avril 1859.


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Chapitre VIII.
SUITE DU PRÉCÉDENT. LES JÉSUITES DEVANT LA RÉVOLUTION ITALIENNE.

Après l'époque de la guerre de Lombardie, la révolution italienne, soutenue et protégée par le gouvernement piémontais, marcha à pas de géant dans son travail de destruction contre le Souverain Pontife et contre l’Église.

De quels actes déplorables l'évêque de Bergame ne fut-il pas l'objet sous les veux mêmes des Français! Quelles impies et exécrables caricatures ne furent pas publiées à Milan, afin d'inspirer la haine la plus infernale de l’Église et de son chef! Quelles proclamations schismatiques n'y furent pas répandues pour la formation d'une église protestante qui aurait eu son centre dans la capitale de la Lombardie! Que de livres et que de journaux qui, semblables à des insectes vénéneux, se multiplièrent de jour en jour pour épuiser toute vie catholique dans cette malheureuse population soumise depuis peu à la domination subalpine! Mais reportons notre attention sur l'Italie centrale et particulièrement sur les Romagnes, où l'esprit de la révolution put développer tout son essor et répandre d'autant plus terriblement ses flammes incendiaires qu'elle entendait anéantir ici jusqu'au dernier vestige du gouvernement ecclésiastique.

Dès le commencement de la révolution, on mit en œuvre toutes les intrigues et tous les artifices pour faire pénétrer la propagande protestante dans ces nouvelles provinces et y détruire tout élément de catholicisme.

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Déjà au mois de février 1860, à Pise, à Florence, à Livourne, à Bologne, on avait ouvert en grande pompe et à grands frais quatorze écoles protestantes, afin que la jeunesse italienne y fût gâtée dans son germe et élevée dès le premier âge dans la haine de la Papauté et de l’Église. A la tête des universités, Cavour eut soin de placer des professeurs hostiles à l'unité catholique, en privant de leurs chaires ceux qui défendaient renseignement de l’Église, et en novembre dernier, le même ministre fit honneur de la chaire de philosophie morale dans l'université de Bologne, au fameux Bonaventure Mazzarella, connu pour chef de l'église italienne libre. A Florence et dans d’autres villes principales du centre, plusieurs salles furent ouvertes à l'usage des ministres protestants, venus d'Angleterre, pour pouvoir y annoncer la bornie nouvelle des évangiles; et par la suite le nombre s'en accrut, à l'instar de ce qui avait déjà eu lieu à Turin, à Gênes, à Nice, à Casale, à Voghera, à Courmaveur, à Pignerole, à Chambérv et jusqu'à Milan. De toutes parts se répandirent des milliers de bibles altérées par Diodati (1) dans toutes les villes s'organisèrent des sociétés pour la propagation des principes du protestantisme (2); partout on souffla l'esprit de l'apostasie, et, si la révolution parvenait à courber le clergé sous le joug de sa violence, l'Italie entendrait sonner l'heure terrible de l'extermination de l’Église de Jésus Christ.

(1) V. les corresp. publiées dans le Monde le 21 et le 22 Février; le 13 mars elle 14 nov. 1860, cl reproduites par l'Union, la Gazeth de Lyon et le Messager du Midi. La bible de Diodati fut condamnée par le pape Grégoire XVI. — Eneyel du 8 mai 1920.

(2) V. une importante correspondance dans la Free-Press de Glasgow du 1er déc. 1860.

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Voilà pourquoi la révolution en Italie déclara la guerre principalement au clergé. La persécution contre les ministres de l'Evangile fut si féroce, surtout dans les Romagnes, où les ecclésiastiques se montrèrent les plus courageux, qu'ils durent presque tous émigrer, au point que dans plusieurs villes il n'y avait pas de prêtres pour célébrer la messe le dimanche. Ceux qui restèrent à leur poste furent brutalement insultés par les agents du Piémont et par les bandes garibaldiennes. Quelques uns parurent dans les chemins publics avant les menottes aux mains comme des assassins et furent traînés dans les prisons; d'autres furent chassés à coups de fouet vers la frontière; il ven eut enfin qui tombèrent sous les coups sacrilèges de l'assassinat. On eut la barbarie d'arrêter, parmi les rumeurs insultantes et le cliquetis des armes, le vicaire de l'archevêque de Bologne, dans la chambre voisine de celle où le saint prélat était à l'agonie. Que dirons-nous ensuite des propriétés de l’Église confisquées; des congrégations religieuses dispersées et bannies; des vierges licencieusement menacées de traitements semblables aux cruels scandales de Verucchio? Que dirons-nous des évêques, archevêques et cardinaux outragés, dépouillés de leur patrimoine, mis en arrestation, exilés de leurs diocèses (1)? Et qu'on ne cherche pas à donner ces faits pour exceptionnels; ils portent le caractère d'un système gouvernemental qui ne reculera dans cette voie impie qu'après avoir détruit tout sentiment catholique dans le cœur des Italiens. Que pouvaient donc espérer les évêques de l'Italie centrale, quand se tournant vers les nouveaux maîtres de l’État, ils élevaient courageusement la voix contre la violation des droits de l’Église,

(1) Il serait inutile de citer des corresp. et des documents sur des faits publics et connus de tous. On peut en voir la collection dans l'Armonia de Turin.

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la suppression des ordres religieux, la confiscation des biens ecclésiastiques, l'emprisonnement des prêtres, contre l'introduction du mariage civil, la propagation des plus mauvaises doctrines par le moyen d'une presse sans frein ni retenue; contre l'obscénité et l'impiété des peintures et des statues exposées à la vue du public, l'immoralité flagrante des pièces de théâtre, le mépris le plus effronté et le plus calomnieux des cérémonies et des personnes sacrées (1)? C'étaient là les moyens par lesquels la révolution devait réaliser son plan delà destruction du catholicisme. «La persécution organisée contre «l’Église, dit le docteur Henri Léo, quoique protestant, «s'est d'abord attaquée à ce qui regarde sa forme extérieure, c’est-à-dire la propriété ecclésiastique et le pouvoir temporel du Pape. Mais en réalité, les coups doivent porter atteinte à l'autorité spirituelle. Car dans le monde catholique le Pape est vicaire de Jésus-Christ. C'est donc contre le royaume du Christ que les catholiques de nos jours se révoltent, quand ils s'insurgent contre le pouvoir du pontife romain» (2). Nous en avons d'ailleurs une preuve manifeste dans la guerre déclarée aujourd'hui contre la hiérarchie et l'autorité de l’Église. C'est pourquoi le mot d'ordre de la présente révolution a été: Guerre et mort aux prêtres! «Les diables sont déchaînés, la vie du prêtre ne vaudra plus un sou. En cas d'intervention étrangère nous donnerons preuves

(1) V. la notification de l’évêque de Bologne du 29 août 1859; les Pastorales du même prélat et de l’évêque de Ferrara du 8 déc. 1839; cl le Mémorial adressé à Farini par les évoques de Modène, de Reggio, etc.

(2) V. cet article du docteur Léo dans le Volksblatt de Halla reproduit dans le Tablet du 17 nov. 1860.

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de notre vigueur et nous ouvrirons contre les prêtres une guerre d'extermination» (1). Ainsi parlaient les Garibaldiens et les Mazziniens, dans les Romagnes; telle était leur pensée de prédilection: massacrer tous les prêtres. Et si le massacre s'effectuait, la diplomatie sarde, procédant de la même manière que ces journaux qui ont excusé les affreux meurtriers du colonel Anviti, accepterait une semblable extrémité comme fait accompli et se contenterait de le déplorer avec hypocrisie (2).

Les choses ne pouvaient se passer différemment, puisqu'elles étaient conformes au programme de Garibaldi, l'actif représentant delà révolution italienne, l'exécuteur confidentiel des volontés de Mazzini et de Cavour. Garibaldi l'avait dit sans détour dans sa proclamation d'Octobre 1859, adressée aux Suisses du Pape, proclamation où, après les avoir excités à la désertion de la bannière déshonorée des prêtres, il terminait en disant: «Si les prêtres désirent nous gouverner, comme ils y ont réussi dans les siècles passés, je ne puis pas leur cacher qu'il se déchaînera contre eux une guerre d'extermination, qui sera notre dernière ressource» (3). Il l'avait répété à Turin, dans ses allocutions de tribun, parlant au peuple sur la place Castello, et plus tard à Bologne, quand il s'écriait; il faut triompher de la canaille des prêtres; mort aux prêtres (4) Il avait prêché la même chose «à ses amis publics et particuliers dans plusieurs Villes d'Italie. Et dans son infâme discours â la jeunesse de Pise et de Pavie, n’avait-il pas inculpé le clergé catholique des fautes les plus monstrueuses et ne l’avait-il pas signalé comme le pire des ennemis à la vengeance des Italiens?

(1) V. la corresp. du Tablet du 22 oct. 1859, p. 678.

(2) L'Ombrie et les Marches eurent à endurer les mêmes maux qui pesaient sur les Romagnes. Voyez les protestations des évêques dans le supplément au n° 293 du Journal de Rome.

(3) V. le Weekly Revister du 28 oct. 1859 et le Tablet du 3 nov.

(4) V. l'Univers du 16 janv. 1800 et une correspondance de la Civiltà Cattolica dans les livraisons du même mois.

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«Il y a, disait-il, un ennemi... le plus redoutable... redoutable, parce qu'il a aisément prise sur les masses ignorantes des populations et qu'il les domine parle mensonge; redoutable, parce qu'il s'est couvert sacrilégement du manteau de la religion, et qu'il se rit de vous, du rire de Satan, tandis qu'il rampe autour de vous,  comme une vipère quand elle veut mordre... Cet ennemi redoutable... si redoutable, ô jeunes gens, c'est e prêtre! à peu d'exceptions près et sous quelque forme qu'il se présente à vous»(1)! Ce langage n'a rien qui doive nous étonner chez Garibaldi, l'ami de la première jeunesse de De Andreis (2), qui fut le compagnon inséparable du massacreur des prêtres, du principal membre de la ligue de sang, de l'infâme Zambianchi (3), chez Garibaldi, le carbonaro de 1834 (4), l'affilié le plus actif de la Jeune Italie (5), le général de la république mazzinienne de 1849.

Or, c'est bien à l'autorité spirituelle de l’Église, comme nous en avertit le docteur Léo, que ce parti impie a déclaré une guerre à outrance.

(1) Cette proclamation fut publiée dans le Pungolo et transmise en date du 10 janv. 1860, de Rome à VUmvers qui la reproduisit le 16.

(2) V. The Life of general Garibaldi written by Himself. Translated by Théodore Dwighl. London 1859. — Le 7 fév. 1848, tandis que le souverain Pontife prononça du haut des fenêtres du Quirinal ces paroles: «Grand Dieu, bénissez l'Italie,» De Andreis cria: «A bas le ministère des prêtres! Vive la république!» Et il fut arrêté.

(3) Zambianchi accompagna Garibaldi dans son expédition de Sicile; mais il s'en sépara pour tenter un mouvement sur les États Romains, où il fut défait le juillet par les carabiniers pontificaux.

(4) Garibaldi nous apprend dans sa vie, qu'il émigra et fut frappé d'une sentence de mort.

(5) Cette affirmation fut prouvée par Hennesv dans le parlement de Londres le 17 mai 1860. Au reste quelqu'un pourrait-il encore en douter?

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«Le clergé,» disait Mazzini, «prêche, comme nous, la fraternité, qu'il appelle charité. Mais sa hiérarchie et ses habitudes nous représentent le démon de l'autorité, qui n'est autre que le despotisme... Essayez d'insinuer dans l’Église l'esprit de l'égalité et tout progressera» (1). Le parti révolutionnaire appelle donc despotisme l'autorité spirituelle de l’Église, et conséquemment mère du despotisme, la papauté qui en est le principe et le soutien: la logique force donc les partisans de Mazzini de désigner la papauté aux baïonnettes et aux poignards des Italiens, comme un obstacle insurmontable à leur liberté et à leur indépendance. Les mots liberté et indépendance étant diamétralement contraires au despotisme (autorité religieuse), ne signifient autre chose dans le sens de la révolution que l'affranchissement absolu de toute autorité spirituelle de l’Église et du Pontife. Quand donc Mazzini, alors à Lugano, (c'était au commencement de 1860) exhortait la jeunesse italienne h prendre les armes et à courir sous la conduite de Garibaldi, en criant: «Rome, Rome est le mot d'ordre,» il proclamait la destruction du catholicisme en Italie. Le même mot d'ordre avait été proféré à Turin, sous le voile de l’imposture et du mensonge; et, tandis que Cavour, avec son hypocrite diplomatie, dirigeait au but convenu les forces de la révolution, l'assemblée nationale de Turin, qui la représentait et la dirigeait manifestement, choisissait un chef qui avait juré de renouveler la propagande révolutionnaire dans la Péninsule, et de ne remettre l'épée au fourreau, qu'après avoir entièrement abattu l'autorité de l’Église (1). Garibaldi était l'homme qu'il fallait pour cela; Garibaldi pouvait très bien représenter le parti sarde et le parti mazzinien, dont l'accord était parfait relativement

(1) Lettre cit. de 1846 de Paris.

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à la destruction de l'autorité pontificale (2). Et en effet, n'était-ce pas ce que d'Azeglio avait voulu dire, lorsque, parlant en qualité de commissaire de Victor Emmanuel, il annonçait dans le manifeste adressé aux Bolonais, que «Dieu a créé l'homme libre, en ce qui regarde les opinions tant religieuses que politiques?» Ne reniait-il pas ainsi toute autorité établie de Dieu sur la terre (3)?

Garibaldi, lui, avait dès longtemps renié cette autorité, ou peut être ne l’avait-il jamais reconnue (4); en tout cas, il avait fait son possible, par les sociétés secrètes et par l'emploi de la force ouverte, pour la déraciner complètement du cœur des hommes. En 1850, dans une conversation qu'il eut à New York avec M. Dwight, il déclara quels étaient les principes et les maximes de la révolution italienne. Il dépeignit dans un langage coloré et énergique, nous dit M. Dwight, la cruauté de la papauté, ses tendances dégradantes, sa duplicité et son hypocrisie, son idolâtrie, son atrocité; il en esquissa l'histoire à grands traits, il en montra la condition désespérée, l'inévitable ruine (5) !!!

Or, en 1859, il ne se montra pas différent de ce qu'il avait été en 1850. Dans sa fameuse proclamation aux jeunes gens de Pise et de Pavie, après avoir représenté le clergé catholique en masse comme falsificateur de la doctrine du Christ, comme auteur de l'esclavage et de toute espèce de tyrannie; comme disposé à renouveler les autodafé en Italie, comme coupable des tortures infligées à Galilée (!!!)

(1) V. la corresp. de Milan insérée dans le Tablet du 5 nov. 1859.

(2) Corresp. du Tablet du 22 oct. 1859.

(3) Ce sentiment fut exprimé par le Pontife dans une allocution qu'il prononça au sujet de l'invasion de ses États.

(4) On ne voit pas dans sa vie que le principe religieux ait eu aucune part; il n'en lit jamais cas.

(5) Voyez la Conclusion de l'ouvrage cil. de Dyiglil.

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 etc., etc. il poursuivit en disant que e Victor Emmanuel, anathématisé par le clergé, ne peut encore racheté. l'Italie, parce qu'au centre de celte Italie, au cœur même de cette Italie il y a un chancre papauté, l'imposture appelée la papauté (1)» Il ne s'exprima pas autrement sur les placet. de Turin ou de Bologne, quand il proclamait que l'Italie ne pourrait être libre, tant qu'elle ne se serait pas guérie de la gangrène de la papauté (2). Il faut donc entendre, dans la double signification de l'autorité spirituelle de l’Église et de son autorité temporelle, la déclaration de guerre qu'il a faite plus tard (mars 1860), à la papauté, au nom de la révolution italienne. Dans cette proclamation, il accumula tant de blasphèmes contre les choses saintes et contre l'autorité du Souverain Pontife, que le Monde s'abstint de la reproduire en entier (3).

appelé la

Après son invasion dans la Sicile et dans le royaume de Naples, Garibaldi ne put cacher longtemps ses projets diaboliques, qui d'ailleurs se révélaient d’eux mêmes dans les résolutions de son gouvernement (4). Plus d'une fois,en parlant au peuple napolitain, il s'efforça de lui persuader que le Pape n'était point nécessaire à l'Italie (1). Mais le 1er novembre 1860, il le fit plus solennellement, à l'occasion de la remise des drapeaux nationaux au bataillon hongrois, qui stationnait sur la place du palais royal.

(1) V. cette proclamation dans l'Univers du 16 janv. 1860 et dans le Tablet du '28 janv.

(2) Ceci a été confirmé par plusieurs correspondances, dont l'une se trouve dans la Civiltà Cattolica

du mois de janv. 1860. C'a été d'ailleurs le langage ordinaire de Garibaldi.

(3) V. le Monde du 25 mars 1860. La proclamation se vendait il Milan depuis le 15 et fut publiée dans le Movimento.

(4) Nous en parlerons dans le cours de cet ouvrage.

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«Le chancre, disait-il, et la ruine de notre patrie, c'est l'ambition personnelle qui aveugle le pape-roi et qui le pousse «à arrêter le mouvement national si noble, si spontané et si pur qu'on n'en trouverait pas un seul à lui comparer dans l'histoire du monde (2). C'est le Pape qui retarde le mouvement de la complète délivrance de l'Italie; c'est lui qui en fait l'unique obstacle (5).» Jusque là, on pourrait dire que Garibaldi ne faisait allusion qu'au domaine temporel du Saint-Père; mais pourquoi ajoutait-il que le Pape-roi ne connaît pas le Christ; qu'il ment à sa propre religion, qu'il est pour les italiens le génie du mal? Pourquoi, adressant la parole aux Hongrois, leur disait-il: «Avant de combattre les ennemis du dehors, vous avez à abattre ceux du dedans, à la tête desquels se trouve le Pape... votre ennemi capital est le Pape... le Pape qui opprime ses sujets; et qui est l'ennemi de l'indépendance chrétienne n'est pas chrétien; il abjure les vrais principes du christianisme; il est l'antechrist (4)?» Est-ce que par hasard les Hongrois subissaient le joug du pouvoir temporel de la papauté, ou leur émancipation dépendrait-elle de la perte que la papauté ferait de son gouvernement temporel? Garibaldi pouvait-il te révéler plus ouvertement? La délivrance dont parle ce fanatique, c'est l'apostasie de l'autorité catholique, dont les Hongrois auraient à s'affranchir l'extermination de leur clergé et parle renversement du Siège apostolique. Tel est le but formel et définitif de ce condottiere de la révolution italienne et de tous les adeptes de la Jeune Italie, qui rongent maintenant et déchirent jusqu'aux entrailles la malheureuse péninsule.

(1) Times du 8 nov. 1860.

(2) On ne trouvera pas, en effet, dans l'histoire de mouvement comparable à celui-là en irréligion, en perfidie, en violation de toute loi divine et humaine.

(3) Times, 8 nov. cit.

(4) Times du 9 nov.

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En veut-on une preuve encore plus manifeste et plus récente? On la trouvera dans la lettre suivante écrite par Garibaldi à un Irlandais, qui s'était appliqué à défendre la majorité de la nation irlandaise contre les quelques centaines de ses compatriotes enrôlés sous les drapeaux de Lamoricière. Cette lettre, exposant merveilleusement le dernier but de la révolution italienne, nous la consignerons ici tout entière (1).

Caprera 10 novembre 1860.

«Qui a jamais pu croire que vos concitoyens n'aient pas été trompés, quand ils servaient la cause du Pape sous Lamoricière? Tout le monde sait en Italie quel lourd fardeau accable votre nation comme la nôtre. La papauté, ce produit d'ignorance et de fraude, s'appesantit sur les puissants par l’hypocrisie et sur les pauvres par tous les maux qui accompagnent la pauvreté, par le découragement, par la dégradation, par le besoin.

«L’Angleterre devint grande et heureuse, quand elle retrancha du milieu d'elle chancre funeste. Rome cessa d'être grande, s'abaissa progressivement et aujourd'hui encore croupit dans cette sentine d'impureté, parce qu'il a plu au Tout Puissant de visiter la reine du monde par ce fléau. Nous prenons en pitié les quelques égarés d'Irlande, d'Italie ou d'ailleurs; mais nous savons positivement que des millions de cœurs dans votre patrie et en tout pays, battent à l'unisson des nôtres pour la liberté des nations.

(1) Cette lettre fut publiée dans le Tablet qui la traduisit fidèlement le 15 déc. 1860, p. 800.

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Nous n'ignorons point que si 400 jeunes gens se sont laissés persuader par erreur de prendre du service sous le plus méprisable des gouvernements, ils n'ont pas emporté l'adhésion de la brave et généreuse nation irlandaise, avec laquelle nous sommes attachés par des liens de fraternité, avant les mêmes malheurs à endurer et le même ennemi à combattre.

«Mais le temps n'est pas loin où ce peuple donnera le dernier coup aux bourreaux et aux tyrans. Dans ce combat solennel, non seulement nous déciderons de notre existence nationale; mais nous inaugurerons le réveil des nations qui sont sœurs de la nôtre. Alors les Italiens, en compagnie des Hongrois, des Anglais et des autres frères, verront avec joie et reconnaissance les Irlandais conduits par vous au banquet sacré.»

Agréez, etc.

G. Garibaldi.

Le malheur de l'Irlande, d'après Garibaldi, vient donc de ce qu'elle est catholique; l'Angleterre ne commença à être grande qu'en renonçant à la catholicité, comme Rome perdit sa grandeur pour se papaliser, quand elle devint le Siège du catholicisme. La nouvelle guerre d'Italie tend au renversement de la papauté et par conséquent du catholicisme, afin de ramener l'Italie à sa grandeur et de relever avec elle de leur avilissement les nations courbées sous le joug de l'autorité de l’Église. Ce sont là les doctrines du chef actif de In révolution italienne et c'est là le nœud de tous les mystères de la secte la plus perfide qui fut jamais.

Quelle hardiesse n'a-t-il donc fallu aux journaux cavouriens et au Siècle, entre autres, pour déclamer contre ceux qui signalent dans le mouvement actuel de l'Italie une guerre à outrance contre le principe catholique;

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ou bien, nous prennent-ils pour des enfants en voulant nous faire croire à la possibilité du catholicisme sans pape et sans Église?

Au fait, Garibaldi, dans l'une et l'autre de ses allocutions aux Hongrois et au peuple napolitain, se glorifia d'être chrétien et bon chrétien; mais il n'osa jamais s'appeler catholique, ne l'avant jamais été. Pour chrétien, il croit l'être, en vénérant la religion du Christ; mais quelle religion et quel Christ? Écoutez: «Le Christ vint en ce monde pour «affranchir l'humanité de l'esclavage pour lequel Dieu ne «l'avait pas créée» (1). Voilà le Christ de Garibaldi et de la Jeune Italie. Non, ce Christ garibaldien n'est pas J. C., le Verbe de Dieu fait chair, qui vint racheté. les hommes de l'esclavage du péché et de l'enfer, qui vint déclarer la guerre aux passions désordonnées et rebelles de l'homme, qui vint prêcher le respect et la soumission à l'autorité établie, qui ordonna de rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu, qui inculqua obéissance et respect même au pouvoir sacerdotal des Scribes et des Pharisiens, quoiqu'il eût défendu d'imiter leurs œuvres. Le Christ de Garibaldi et de la Jeune Italie n'a pas à ramener l'humanité dans les voies de l'ordre et de la justice; son rôle est d'affranchir les hommes de toute autorité divine et humaine: voilà à quoi revient en dernière analyse et en quoi se résume le caractère et la mission de ce personnage idéal; voilà leur seule rédemption, le reste n'est qu'un nuage léger qui se dissipe au premier rayon de la lumière du progrès.

L’hypocrisie s'est elle même démasquée et le plus monstrueux rationalisme a montré son visage hors des mystères et des enveloppes d'une secte aussi cruelle que trompeuse.

(1) Times, 8 nov. cit.

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Ricciardi, l'ami des pensées et des sentiments de Garibaldi, celui dont le nom figurait à côté du sien au bas des manifestes adressés aux Napolitains (1), Ricciardi, le secrétaire de l'Association Unitaire,Cette erreur, qui s'enracina parmi les hommes, parvint au faîte de sa grandeur par la vitalité qu'elle puisa dans des flots de sang répandus à son occasion. Mais une ère nouvelle commencera pour les hommes, l'ère glorieuse d'une rédemption bien différente de celle du Christ» (3). Nous venons de mettre dans les mains du lecteur la clef de tous les secrets de la secte; nous venons de lui exposer le but qui dans les instructions communiquées aux sociétés secrètes d'Italie était proposé à la grande révolution (4), et la fin suprême que Mazzini avait voulu à tout prix tenir cachée.

qui avait reçu du dictateur tant de marques d'affection par l'organe de Mazzini le directeur de l'association (2), Ricciardi avait, depuis 1848, dans la proclamation rapportée ci-dessus, mis en évidence cette doctrine et ces vues: «La plante fatale du christianisme, dit-il, naquit en Judée.

Il ne s'agit plus de nos jours de fonder en Italie un État séparé de l’Église, un protestantisme social, une église luthérienne et évangélique; il s'agit de la destruction totale du christianisme, pour édifier la société sur les bases de l'incrédulité et de l'égoïsme qui adore la raison divinisée.

(1) Il le dit luimême dans la lettre du S mai insérée dans le Siècle, journal bien digue de la communication.

(2) V. l'adresse de l'Association môme à Garibaldi. — Times du 18 oct. 1860.

(3) Proclamation aux Romains déjà citée.

(4) V. à la fin de ce volume le document publié dans l'ouvrage cité de Crétineau Jolv.

 

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Avant maintenant sous les veux la vraie physionomie de la révolution italienne, il nous est facile de comprendre la cause des applaudissements ridicules et des non moins ridicules apothéoses que la presse protestante a prodiguées à Garibaldi, à de Cavour et à tout le parti, soi disant Italien. On comprend pourquoi le Piémont est représenté comme l'Etat-modèle et pourquoi l'époque de la révolution actuelle est qualifiée d'époque glorieuse et héroïque, digne, entre toutes, des éloges de tous les peuples et de tous les cages; pourquoi la presse protestante ne s'est jamais attaquée au roi de Naples, sans mêler à ses insultes des traits empoisonnés contre le catholicisme et sans blcâiner l'hospitalité donnée à Gaëte au Saint-Pontife, Pie IX, ainsi que le dévouement dont cette cour a toujours donné tant de preuves à la cause de la papauté; pourquoi la révolution des États des Bourbons a été si fort prônée, encouragée, défendue parla presse et par la diplomatie del'Angleterre protestante.

«La révolution des Deux Siciles, disait l'année dernière, au sein du Parlement de Londres, l'éloquent Maguire, reçoit de si vifs encouragements de la part de l'Angleterre, parce que le gouvernement du roi de Naples est un gouvernement catholique» (1). La révolution italienne actuelle est aux veux des protestants aurore de plus beaux jours pour cette contrée enveloppée de ténèbres, où cesseront bientôt les fraudes des prêtres et les ténèbres spirituelles. C'est pourquoi un parti dont la plus douce ambition serait d'abolir toute doctrine catholique, le parti Wigh, démentant son histoire de tant de siècles, qui nous le représente toujours comme antilibéral, s'est mis aujourd'hui à soutenir la cause de la liberté et de l'indépendance Italienne.

(1) V. Moquent discours de Maguire dans la séance de la Chambre des Communes du 17 mai 1860.

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A ses veux, en effet, il s'agit d'abattre les gouvernements catholiques et de délivrer l'Italie et le monde des langes de l'autorité papale. Et pourtant, les hommes qui réussiraient à enlever à l'Italie la papauté, comme le remarque M. Bowyer, deviendraient l'objet de l'exécration de la majeure partie des Italiens, pour avoir dépouillé la nation de la plus belle de ses gloires, pour lui avoir arraché toute sa force morale et pour avoir enlevé à Rome sa vitalité et son existence (2). Bien plus, la ruine du pontificat en Italie y serait la ruine du Christianisme et marquerait un pas décisif dans la propagation du plus grossier rationalisme. Voilà les tendances que la révolution Italienne a mises en parfaite évidence.

Cela étant, l'on comprend sans peine, pour quels motifs l'Ordre des Jésuites est devenu le point de mire des fureurs de la révolution. Les Jésuites, qui avaient été dans le siècle précédent victime des sectes franc-maçonniques, avaient connu et signalé dès sa naissance, la nature fatale du mouvement que la société secrète organisait en Italie, mouvement redoutable qui prenait chaque jour de nouvelles forces, qui pénétrait dans tous les rangs, s'infiltrait au sein des masses et préparait les plus terribles catastrophes. Si le mouvement italien avait matché dans les voies de l'ordre et que, se fortifiant de l'opinion publique, il se fût contenté d'aspirer à des réformes politiques et. nationales de la part des princes de la Péninsule, les Jésuites d'Italie,

(1) Ainsi parla M. Walter Duchanan on sa qualité de président, aux membres du comité de Glasgow pour les secours à Garibaldi. Voyez sou discours dans le Times du 24 déc. 1860.

(2) V. la belle correspondance de Bowyer dans le Tablet du 25 fev? 1859.

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loin de s'y opposer, se seraient réjouis des avantages généraux et auraient dit, avec le comte de Montalembert, qu'un gouvernement véritablement libre est favorable aux progrès de la religion. Le grand et saint pontife Pie IX, enflammé d'un amour sincère pour l'Italie et désireux de contribuer à son bien-être temporel et spirituel, s'était mis, depuis 1847, à la tête du mouvement réformateur de la Péninsule et s'était appliqué à le sanctifier par l'union des maximes évangéliques. Après cette malheureuse époque, il avait mainte fois déclaré qu'il n'était en rien contraire aux vraies améliorations de ses États. Mais le mouvement italien, commencé et dirigé par les sectes les plus perverses, était de sa nature insurrectionnel, irréligieux, subversif de la papauté et de l’Église, destructeur de tout principe, non seulement catholique, mais social; il avait tous les caractères d'un mouvement communiste.

Les Jésuites pouvaient-ils, eux qui l'avaient connu dès son berceau et suivi dans toutes les phases de son développement, pouvaient-ils, dis-je, l'approuver, le favoriser, le répandre, l'encourager? Ils n'avaient jamais combattu la vraie liberté de l'Italie; ils déploraient que des factions impies rendissent cette liberté chaque jour plus suspecte aux honnêtes gens. Mais, lorsque le mouvement d'Italie, en proclamant la liberté, a partait la tyrannie; qu'en annonçant la régénération, il semait l’anarchie et le désordre, que tout en appelant à son aide les lois éternelles de la justice, il les foulait aux pieds, qu'en promettant de restaurer les vrais principes du christianisme défigurés par les ennemis de l’Italie, il traînait dans la boue l’Église et la papauté, qu'en émancipant la raison, il la livrait aux erreurs les plus monstrueuses, les Jésuites devaient,

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par esprit même de patriotisme, joindre leurs efforts à ceux du Souverain Pontife, pour comprimer un semblable mouvement et en prévenir les funestes conséquences. La Civiltà Cattolica, sans être l'organe autorisé de la Compagnie de Jésus, était rédigée par quelques Pères Jésuites et soutenait vigoureusement la réaction catholique. Ensuite, les membres de cette même Compagnie employaient quantité de livres, d'opuscules, de publications de tout genre, de discours et de conférences publiques à l'unique intention d'arrêter dans son cours le flot d'impiété qui s'avançait furieux contre l’Église de Jésus Christ.

En outre, dans les collèges, dans les écoles, dans les congrégations spirituelles, les Jésuites travaillaient activement à inculquer à la jeunesse et aux masses les vrais principes de l'enseignement catholique. En un mot, la Compagnie de Jésus en Italie était une barrière aux desseins de la révolution. Ces infernales sociétés d'insurrections avaient tenté de prendre des Jésuites dans leurs filets; mais tous leurs expédients ne leur avaient pas gagné un seul des enfants d'Ignace (1).

Elles s'aperçurent donc de bonne heure qu'elles auraient à les combattre comme un obstacle qui, bon gré malgré elles, se trouverait toujours en travers de leur chemin.

Mazzini, dans sa proclamation de 1848, avait appelé les Jésuites «l'obstacle le plus formidable à leurs desseins;» et il en avait luimême donné la raison dans sa lettre de 4846 que nous avons plusieurs fois citée.

Après y avoir dit que la hiérarchie et les habitudes du clergé signifient autorité et despotisme, après avoir exhorté les siens à propager l'égalité dans l’Église, il ajoute:

(1) V. à la lin de ce volume, l'important document inséré dans l'appendice du chapitre VIII.

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 «La puissance cléricale est personnifiée dans les Jésuites. La haine de ce nom est déjà un grand levier pour les socialistes; servez-vous en.» Il voulait dire par là que le corps le plus prompt, le plus habile, le plus indomptable dans la défense du catholicisme, c'étaient les Jésuites; et que pour ce motif, les Jésuites opposaient à la société l'obstacle le plus formidable. Cette dernière expression du porte-drapeau de la révolution Italienne serait fort ridicule, entendue dans le sens des réformes politiques ou de l'unification de l'Italie; Mazzini comprenait certainement que l'obstacle le plus formidable à pareils projets serait plutôt les baïonnettes autrichiennes et la diplomatie de l'Europe.

Mais les nouveaux ennemis de la papauté et de l’Église savaient bien que l'Ordre des Jésuites avait été fondé dans le but de préparer à la papauté et à l’Église un corps d'hommes exclusivement consacrés à la défense de cette cause; ils savaient qu'au temps de la réforme protestante ce furent les Jésuites qui avaient préparé en Allemagne la grande réaction catholique et, qu'en se répandant des trois capitales, Vienne, Cologne et Mayence, ils avaient de mille manières entravé les progrès du Luthéranisme et l'avaient investi sur le terrain même qu'il occupait. Ils n'ignoraient pas ce qu'avaient écrit des Jésuites, en ces derniers temps, des protestants eux mêmes qui, en parlant de cette époque, n'ont pas craint d'affirmer que c'est dans l'ordre des Jésuites que l'esprit du catholicisme parut alors concentré comme Vêtait dans leurs efforts la grande réaction de l’Église catholique contre la réforme; qu'ils agissaient comme auraient pu faire des croisés de la papauté contre la réforme protestante, et qu'avec eux l'Europe Romaine semblait intervenir dans l'Europe Germanique;

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que leur courage était intrépide, leur constance à l'épreuve des privations, des souffrances, des maladies, des épidémies, des prisons, des tortures, du dernier supplice tu. Or l’œuvre actuelle des sociétés secrètes ne différant pas beaucoup des vues de l'Allemagne et de l'Angleterre au XVI siècle, on ne l'ut pas longtemps a comprendre qu'il fallait commencer par abattre cet obstacle, pour avoir le champ libre et en éloigner les adversaires les plus obstinés, les plus exercés à la lutte. Un des personnages remarquables de la révolution de Sicile (dont nous devons taire le nom) parlait ainsi à un des Pères de cette province:

(1) V. Ranke. Hist. of the popes, p. I. Book filth c. II, III, IV. etc. La revue d’Édimbourg a publié sur les Jésuites un article qui a été traduit en français dans la Revue Britannique sous le titre: Les premiers Jésuites. Nous reproduirons ici quelques passages de cet article:

«Toutes les pages des annales Européennes, durant grand nombre de générations, témoignent de la véhémence, de la discipline parfaite, du courage intrépide, de l'abnégation, de l'oubli des liens les plus chers à l'homme privé, du profond et opiniâtre dévouement a atteindre le but proposé, de la prudence infinie dans l'emploi des moyens, qui distinguèrent les Jésuites dans la lutte pour leur Église. L'esprit catholique s'était concentré dans le sein de l'Ordre de Jésus, et son histoire est l'histoire de la grande réaction catholique. Celte société s'empara de la direction de toutes les institutions qui agissent le plus puissamment dans l'esprit, la chaire, la presse, le confessionnal, les académiesLa littérature et les sciences, compagnes jusque-là de l'incrédulité et de l'hérésie, se montrèrent les alliées de la foi orthodoxe — S'inquiétant peu des Océans et des déserts, de la faim, de la peste, des espions et des lois pénales, des prisons et des tourments, des gibets et des haches, les Jésuites apparurent sous toutes les formes, dans tous les «pays; écoliers, médecins, marchands, serviteurs, on les vit à la cour hostile de Suède, dans les vieux châteaux du comté de Chester. au milieu des campagnes de Connaugt; ils disputaient, instruisaient, consolaient, attirant à eux les cœurs de h la jeunesse, ranimant le courage des timides, et portant le crucifix aux lèvres de agonisants.» Livraison de nov. 1842.

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 «J'ai été un des plus grands ennemis des Jésuites; j'ai poussé de tout mon pouvoir à leur expulsion de la terre Sicilienne et j'ai blâmé le ministère d'avoir été lent à porter ce coup. Ne croyez pas cependant que nous chassions les Jésuites, parce qu'ils sont ennemis de la liberté et amis des Bourbons... Ces bruits sont mis en circulation pour exciter contre eux la colère du peuple. Nous n'en sommes pas moins persuadés que leur institut s'accommode aisément de la liberté, qu'ils se prêtent à toute forme de gouvernement, constitutionnel en Belgique et républicain aux États-Unis. Mais ils sont à nos veux l'appui le plus fort et de la secte catholique et des impostures des doctrines de l’Église; pourrions-nous donc, sans nous défaire des Jésuites, nous affranchir de l’Église et de ses impostures?»

Cette déclaration ne manquait pas de netteté et de précision. Cependant l'exposé des faits de la révolution de 1860 ne nous édifiera pas moins à cet égard. Nous nous persuaderons de plus en plus que le but final et secret de la révolution d'Italie est de détruire le catholicisme dans toute la péninsule, ainsi que dans la Sicile, et que la dispersion et l'exil des Jésuites en fut l'inévitable conséquence.

 


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Chapitre IX.
CARACTÈRE DE LA RÉVOLUTION SICILIENNE. — MANOEUVRES DU PARTI RÉVOLUTIONNAIRE DANS 
LE ROYAUME DE NAPLES ET DE SICILE. — PREMIERS ÉVÉNEMENTS DÛ MOIS D’AVRIL A PALERME.

Nous avons consacré les trois premiers chapitres de notre travail à faire connaître la condition de la Sicile entre 1849 et 1860. Les quatre chapitres suivants nous ont servi à déterminer, au point de vue politique et religieux, le caractère propre de la révolution italienne. Nous avons encore donné un aperçu des mouvements d'insurrection qui agitèrent la Sicile dans le cours de l'année 1859, concurremment avec ce qui se passait en Italie. Il nous est possible maintenant de nous former une juste idée de la révolution sicilienne, ainsi que d'envisager et de distinguer tant les éléments qui lui furent communs et identiques avec la révolution générale de la péninsule, que ceux par lesquels elle s'en sépare et s'en éloigne.

Etablissons d'abord que le mouvement populaire en Sicile ne fut pas annexioniste. La révolution de cette île, bien que combinée et conduite presque toujours par des personnages ineptes ou pervers,était depuis près d'un demi-siècle devenue comme traditionelle pour le peuple sicilien. La Sicile, depuis l'époque de l'invasion normande, avait joui de sa représentation nationale qui, à travers les vicissitudes des temps et des peuples, avait toujours gardé son caractère aristocratique. La domination espagnole n'avait nullement altéré la constitution sicilienne; pas plus que la révolution française n'était parvenue à y faire prévaloir l'élément démocratique;

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parce que cette partie de l'Italie, protégée alors par les troupes anglaises, fut la seule qui échappa à l'invasion de la France, et conséquemment aux maximes politiques et religieuses de ses démocrates licencieux. C'est alors que, par l'influence de lord William Bentinck, ministre anglais, la constitution de Sicile fut renouvelée sur le modèle de la charte britannique. Mais ces réformes de 1812, loin de favoriser les idées démagogiques, renforcèrent plutôt le caractère mônarchico-aristocratique du statut sicilien. — D'autre part, le roi de Naples, Ferdinand I, n'approuva pas les changements introduits; et, lorsque au temps de la restauration, il reconquit ses états de terre ferme, il publia (1er mai 1815), un manifeste libéral, dans lequel il qualifiait son peuple de souverain et s'appelait luimême le dépositaire des lois; il promettait ensuite la plus efficace et la plus désirable des constitutions.

Cependant, par réaction contre la démagogie passée, la restauration des anciennes maisons régnantes avait fait prévaloir en Europe le système de la centralisation bureaucratique; aussi, quand Ferdinand I fit son entrée à Naples, il trouva son royaume organisé d'après ce principe, il oublia donc ses promesses exagérées et s'en tint aux maximes de la politique alors dominante; bien plus, afin d'assimiler le gouvernement de l'île à celui de Naples, il abolit par un acte souverain l'ancienne constitution de Sicile et prononça la clôture définitive du parlement sicilien.

Telle fut l'occasion et le prétexte de toutes les révolutions qui éclatèrent adapte dans l’île, pendant la première moitié de ce siècle. La prétention de la Sicile était d'être réintégrée dans ses anciens droits, par son émancipation du pouvoir de Naples et par la concession d'un parlement national.

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En 1820, elle ne demanda pas autre chose au gouvernement napolitain; mais celui-ci, effrayé alors du carbonarisme qui aspirait au système unitaire, n'accueillit point les plaintes du peuple sicilien; il envoya une armée soumettre l'île, et Palerme avant capitulé avec le général Pepe, le gouvernement refusa de ratifier la capitulation. Le triomphe des armes autrichiennes en Italie, qui survint ensuite, comprima les tendances constitutionnelles dans la péninsule et fit, par conséquent, perdre à la Sicile l'espérance de se voir restituer ses anciens privilèges.

En 1848, le mouvement de Sicile ne fut certainement pas unitaire; tout favorable qu'elle était à la cause de l'indépendance italienne, elle n'aspirait de nouveau qu'à obtenir sa constitution et sa séparation administrative de Naples. Le choix d'un roi qui lui appartînt et le gouvernât, fut une preuve évidente du fait que nous avançons. Mazzini eut beau réprouver et condamner la Sicile au sujet de la séparation qu'elle se proposait d'établir entre elle et Naples; on ne l'écouta pas.

Après cette époque, l'influence de la secte italienne commença à se faire sentir plus fortement dans l'île par l'organe de l'émigration sicilienne, qui se concentra principalement en Piémont. L'idée de la fusion italienne, sous la bannière de Savoie, jurée dans les assemblées révolutionnaires d'Italie et acceptée par les principaux émigrés siciliens, fut imposée aux affiliés de la Sicile, qui s'étaient multipliés à l'infini dans l'espace de dix ans. Le principe de l'annexion fut donc accueilli dans ce pays par le fanatisme de sociétés secrètes, qui se trompaient l'une l'autre pour obéir aveuglément aux meneurs du parti unitaire et qui étaient trompées à leur tour parles plus magnifiques promesses d'indépendance et de liberté.

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Mazzini, dans ses lettres, que la police sicilienne surprit en partie, avait déclaré à ses amis de Sicile qu'il adhérait pleinement à la politique du Piémont et il les excitait à la révolte (1). Toutefois la plupart étaient persuadés qu'il n'arriverait qu'un changement de dynastie qui rendrait à l’Île sa constitution et son indépendance. Or, cette parole magique qui se liait au système des idées et des traditions nationales, on la fit de nouveau retentir aux oreilles du peuple, on lui dit que cette fois le roi Victor Emmanuel relèverait les Siciliens de l'esclavage du roi de Naples, qu'il leur rendrait leurs privilèges et leur autonomie. On suggéra au peuple que le règne du roi piémontais serait le siècle d'or; plus d'impôts, plus de gabelles, plus de douanes, plus de contributions ni de corvées, etc., toutes choses en abondance et l'argent et les vivres. Dans le même but, on portait jusqu'au ciel la valeur et le patriotisme, non seulement du roi, mais encore de son ministre Cavour et du général Garibaldi; on faisait de ce dernier un Roland ou un Rodomont, afin de frapper l'imagination du peuple et de l'armée et de leur ôter toute pensée de résistance.

Pour ce qui touche à la question religieuse, depuis le commencement de la guerre contre l'Autriche, on fit courir le bruit en Sicile que cette fois la guerre de la liberté et de l'indépendance serait fondée sur les bases solides du principe catholique et que la religion serait l'étendard de l’affranchissement national. On tint secrètes les proclamations impies de Garibaldi; on cria à la calomnie, quand les journaux catholiques fie l'Italie et de l'étranger parlaient du général comme le demandaient la vérité et la justice; on n'épargna rien pour cacher la terrible persécution que le Piémont avait soulevée depuis plusieurs années contre l’Église.

(1) V. la corresp. de Turin du 18 avril insérée le 28 dans le Tablet et dans divers journaux français.

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Puis, lorsque les Romagnes se révoltaient contre le Pape, on eut soin d'insinuer au peuple la persuasion que le Pape n'avait que faire de son domaine temporel; que c'était là un grand embarras pour l'exercice de ses droits spirituels; que sa suprématie sur l’Église et sur les fidèles n'avait aucun besoin de son autorité dans les questions de l'ordre temporel. — Après quoi, faisant un nouveau pas dans la voie des calomnies, on alla jusqu'à vouloir inspirer une haine mortelle contre le Père des fidèles. On fit à l'égard du Pape ce qui avait été fait contre les Jésuites; on le dépeignit aux veux du peuple comme un despote; on représenta ses sujets comme trois millions d'opprimés qui sollicitaient leur délivrance. On ajouta que le Pape était ennemi des franchises populaires, qu'il soutenait de ses raisonnements les baïonnettes des Bourbons et des Autrichiens qui menaçaient constamment les populations malheureuses. Ensuite dans les classes les plus éclairées, et surtout parmi les jeunes gens des universités, on murmurait à l'oreille, mais tout bas, jusqu'à l'explosion révolutionnaire, que les gouvernements catholiques (c’est-à-dire ceux qui reconnaissent l'autorité spirituelle du Pape) ne peuvent qu'être tyranniques, cruels et hostiles aux intérêts de l'humanité (1).

Avec des maximes semblables, on sapait les bases du catholicisme et l'on préparait le peuple à accepter sans regret des lois et des maximes toutes contraires à sa religion. Malheureusement l'illusion devint peu à peu générale; même elle fascina les veux à un assez grand nombre de prêtres et de moines de la capitale

(1) Poério et les autres émigrés napolitains, qui étaient avec lui, s'étant transportés en Irlande dans le cours de l'année 1859, annonçaient publiquement cette maxime impie qui est commune aux sociétés secrètes. V, corresp. du Tablet du 13 mars 1859, communiquée par Bowyer.

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 et de l'intérieur de l'île, qui, sans avoir pressenti le venin du principe que leur insinuait la révolution, trahirent leur caractère, s'élevèrent audacieusement contre le Paperoi, condamnèrent sa conduite, le qualifièrent sans retenue d'ennemi de l'Italie; et allèrent (quelques uns du moins) jusqu'à prêcher, au début. de la révolution, une nouvelle croisade contre lui!!!

De ce qui précède il est facile d'inférer que la révolution sicilienne, même cette fois, se distingua par plus d'un point de celle qui remuait l'Italie supérieure, et qu'elle renferma l'élément de l'indépendance municipale de l'île et la restauration de la constitution propre, bien qu'elle ait accepté l'intervention piémontaise, choisi pour son roi celui de Sardaigne et consenti à prendre parti pour la délivrance delà Vénétie. De plus, dans la révolution de 1860, le sentiment des Siciliens envers les Napolitains subit quelque modification, car les chefs de la révolte avaient identifié les intérêts des deux peuples en imposant à l'un et à l'autre un but commun et immédiat, le renversement de la dynastie Bourbonienne, comme le premier pas vers une époque de grandeur et de félicité!! Pour ce qui est de l'élément religieux, la révolution ne trouva pas en Sicile les masses aussi disposées à la rébellion contre l'Église, et elle eut besoin de simuler des principes religieux peut obtenir aide et faveur.

Cependant l'assemblée nationale de Turin qui, depuis le mois d'octobre avait choisi Garibaldi pour son président (dans l'intention peut être d'en ôter la responsabilité au gouvernement du Piémont qui le dirigeait de fait), commençait à prendre un aspect belliqueux et représentait la nation armée. M. le ministre Hudson, qui avait tant contribué aux projets de M. de Cavour et de ses adhérents, non moins qu'à son rappel au ministère,

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se félicitait avec Garibaldi d'une œuvre qu'il faisait sienne et de la création d'un pouvoir devenu supérieur même au Gouvernement légal; il écrivait ce qui suit au président de la société: «Monsieur le général, en voyant qu'une nation armée surgit à côté de l'armée royale et un comité constituant à côté du ministère du roi, j'aimerais à savoir auquel des deux gouvernements l'ambassadeur anglais doit s'adresser (1).» En vérité, Sir Hudson aurait dû, dans les formes diplomatiques, adresser sa demande aussi ridicule qu'absurde, au gouvernement du roi, et non au général Garibaldi. Sa démarche nous fait d'autant mieux connaître que l'assemblée nationale était une partie du gouvernement piémontais et une force puissante qu'il manœuvrait afin de bouleverser les Gouvernements d'Italie (2). Les protestations et les réclamations faites par les grandes Puissances, et les déclarations de dissolution données par Garibaldi demeurèrent sans effet (3); depuis surtout que le comte de Cavour eut récupéré le pouvoir.

Les agents piémontais souffla il partout le feu de l'insurrection on Sicile et dans le royaume de Naples, ils gagnaient chaque jour un plus grand nombre de prosélytes, notamment parmi les officiers du roi.

Corresp. tic la Presse publiée par l'Univers du 27 janv. 1860.

C'est ce que Pianciani confirme expressément dans son livre, p. 50.

L'Univers du 6 janv. 1860. — Garibaldi publiait alors cette déclaration: «Mi par le désir de concilier les partis, j'avais accepté la présidence de la Nation armée; 4 mais puisqu'elle fait peur aux gens déloyaux, corrompus, tyranniques et à toute la séquelle des Jésuites modernes, je la dissous pour ne pas compromettre le gouvernement.» Garibaldi invite ensuite à souscrire pour le million de fusils.

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 M. de Cavour avait des relations et des correspondances avec plusieurs généraux et même avec des princes du sang, et il faisait dans ce royaume des opérations financières de grande importance (1). Ainsi croissait dans les provinces de Naples et de Sicile le parti des annexionistes qui espéraient par là indépendance et liberté. En février, le bruit courait dans les Deux Siciles que le gouvernement de Turin soutenait la révolution de l'Italie méridionale. Le fait est que le gouvernement avait promis aux chefs du mouvement qu'il aurait couronné l'œuvre de la révolution par une expédition armée et par l'incorporation des provinces insurgées; or donc l'agitation grandissait de toutes parts; elle s'était manifestée à Acerra, près de Naples; elle s'était manifestée dans les Abruzzes et sur les confins du royaume, au cri de: «Vive Victor Emmanuel!» La Sicile était menaçante, surtout la capitale; des adresses et des proclamations de comités secrets et invisibles étaient imprimées et distribuées publiquement, malgré la vigilance de la police et malgré les mesures de rigueur adoptées contre les conspirateurs découverts. Tout semblait annoncer, et plus encore à Palerme qu'ailleurs, une explosion prochaine et redoutable.

Ce fut alors que le ministère Filangieri et celui de Cumbo, chargé des affaires de Sicile, renoncèrent à leurs portefeuilles, peut être parce qu'ils jugeaient imminent ou nécessaire un changement de politique dans le gouvernement de Naples. Le prince Cassaro était appelé à composer le nouveau ministère, qui adoptait pour le moment des mesures répressives.

(1) Pianciani op. cit. p. 117 et 119.

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On fit donc venir les troupes des frontières romaines; on renonça au projet d'occuper les Marches, qui avait donné quelque ombrage au ministère de Turin; on augmenta les garnisons de Sicile et de Naples; on forma des corps de réserve; on remit à une autre époque les réformes gouvernementales. Par malheur la discorde se glissait en ce moment parmi les membres de la famille royale, quand ils auraient dû réunir leurs efforts pour faire face à l'orage qui allait fondre sur la monarchie des Bourbons. Le prince Louis, comte d'Aquila, quel qu'ait été son parti politique, ne fit certainement pas grand chose pour conserver sur le trône de Naples l'héritier des Bourbons, son neveu; dans sa charge d'amiral d'une flotte qui était la première d'Italie et non certes la dernière de la Méditerranée, il aurait dû se conduire différemment; et s'il l'avait fait, nous n'aurions pas vu la marine napolitaine se rendre coupable devant l'Europe de la plus lâche trahison. Plus indigne encore fut la conduite du prince Léopold, comte de Syracuse. Si ce dernier avait sincèrement voulu proposer à son neveu un programme de politique libérale, conforme à ses convictions, il n'aurait pas choisi pour cela la veille de l'insurrection, quand déjà le programme d'un gouvernement constitutionnel et d'une alliance avec le Piémont, le désignait au peuple comme le chef du parti de l'opposition (1). Qu'il faille ou non s'en rapporter à la correspondance de Turin, publiée dans 1 Indépendance Belge et reproduite par le Monde, qu'il ait eu ou non des rapports d'intimité avec les agitateurs politiques qu'il ait  sincèrement ou non promis, dans une lettre au prince de Carignan, d'offrir son épée an roi Sarde et de combattre à côté de lui (même contre le trône des Bourbons);

(1) V. la lettre écrite par lui au roi François dans la Perseveranza de. Milan et reproduite par le Monde

du 22 avril 1860.

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assurément, il devait assez connaître, le 3 avril 1860, le programme inflexible de la révolution italienne. L'ignorer en de telles conjonctures eut prouvé chez le comte de Syracuse une ingénuité par trop grande; s'y prêter comme il le fit ouvertement, en écrivant de Paris au roi François II, «d'imiter la duchesse de Parme, de délier ses sujets du serment de fidélité et de se jeter dans les bras du Piémont,» c'était assez dire quelles étaient ses vues à cette date du 3 avril (1).

Ainsi, le cœur ulcéré par la conduite de ses plus proches parents, et découragé par le soupçon d'un horrible tissu de trahisons tramé dans toutes les classes de son royaume, le jeune monarque se trouvait au moment d'une terrible révolution. A Palerme personne ne doutait plus de l'imminence d'un soulèvement général. Au mois' de mars, on trouva presque tous les jours, sur les murs de cette ville, des proclamations, des décrets, des dispositions provisoires sortant de la presse clandestine d'un comité invisible qui s'était levé en face du gouvernement, qui ordonnait et exigeait l'obéissance à ses ordres et qui, sans force apparente, obtenait cette soumission, bien mieux que les autorités de Palerme et du royaume. Ces proclamations dispensaient largement les promesses et les menaces; elles imposaient de rigoureuses conditions aux membres de la police, s'ils voulaient obtenir leur pardon; elles annonçaient le départ de Garibaldi et de ses compagnons, le concours promis par le gouvernement de Sardaigne, l'annexion à cet État, l'unité italienne et le mot d'ordre de la révolte: «Italie et Victor Emmanuel.»

A la vérité, les chefs qui dirigeaient le mouvement ne voulaient pas se risquer avant que Garibaldi mît le pied sur l'île; mais, outre que les plus jeunes et les plus ardents ne souffraient plus de retard et qu'ils craignaient

(1) V. le Monde (lu 21 et du 22 avril et l'Indép. Belge citée par le Monde.

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 que les actives perquisitions de la police n'atteignissent le chef du complot, et que de nouvelles arrestations ne lui enlevassent ses auxiliaires les plus audacieux et ses ouvriers les plus adroits; Mazzini qui avait tout dirigé et mis en train, venait d'envoyer dans l'île son affidé, Rosolino Pilo, pour l'exciter et l'enflammer (1). Tout était donc prêt, on n'attendait que le signal de la révolte.

L'exécution en avait été confiée, à Palerme, à un certain Riso, un fontainier qui, par l'achat de quelques cours d'eaux, était arrivé à l'opulence et passait pour un des plus riches citoyens de la capitale. Les têtes influentes qui devaient le plus efficacement coopérer à la révolution et qui appartenaient aux classes les plus aisées et les plus cultivées de la cité, n'étaient connues que de lui seul; en conséquence les forces armées pour l'insurrection ne reconnaissaient que lui comme pouvoir exécutif et comme centre principal d'où ks coups devaient partir. Quelque temps avant le 4 Avril, Riso avait pris à bail un grand magasin appartenant au couvent de la Gancia, et se trouvant ainsi, par le moyen d'une porte, invisible à quiconque pourrait venir inspecter les lieux, en communication directe avec le couvent lui-même. Dans ce magasin, Riso avait fait transporter en secret deux canons de fer à moitié rouilles, quantité de fusils et de lances, ainsi que des provisions de poudre et de balles. Dans d'autres magasins, dont l'un était à la Magione, il avait de même réuni des armes destinées à être distribuées au peuple, quand le moment serait venu.

(1) V. le document publié par Brofferio dans Roma e Venezia, inséré dans le Monde du 21 janv. 1860.


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En outre, plusieurs bandes avaient été organisées en silence dans toutes les campagnes de Palerme, qui s'étendent à la Bagheria, au Parco, au Borgetto et à Carini, et depuis le mois d'Octobre 1859, ces bandes avaient reçu une solde journalière, pour se tenir prêtes au premier signe de leurs chefs. D'autres bandes devaient descendre d'Alcamo, de Trapani et de Marsala sur Palerme, dès que la révolution aurait réussi à s'y déchaîner: enfin il avait été réglé que toute la Sicile enverrait des secours à la capitale, dont la victoire devait déterminer celle de l'île. Cette organisation reposait comme condition importante, sur le débarquement de Garibaldi en Sicile, qui devait servir de prélude à l'insurrection générale. Mais les jeunes gens de Palerme avant voulu en devancer le terme, ce plan général ne pouvait s’accomplir dans le reste de la Sicile, qu'après que la révolte aurait triomphé dans la capitale. — On avait done fixé à l'émeute l'aube du 4 Avril; au son de la cloche du couvent de la Gancia on commencerait le feu sur tous les points de la ville, pendant que les bandes des campagnes se jetteraient dans Palerme et mettraient en pleine déroute les troupes napolitaines. On avait choisi ce couvent pour quartier général, d'abord, parce qu'il était le plus éloigné des corps de troupe, ensuite parce qu'il était grand et facile à défendre; et enfin, parce qu'il était pourvu de plusieurs sorties sur des chemins peu en vue et très rapprochés des portes de la ville qui, en cas d’insuccès, pourraient aisément assurer la retraite des combattants dans les campagnes de Palerme. An contraire, si le mouvement réussissait, les mêmes portes parmettiaient de recevoir de l'intérieur de l'île des secours en hommes et en armes.

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Cependant le directeur Maniscalco avait, un jour avant l'insurrection, reçu la nouvelle du moment précis où elle devait éclater: il envoya donc une escouade de police faire la plus sévère et la plus scrupuleuse perquisition dans tout le couvent de la Gancia. Mais, quelque inattendue que fût cette visite, et minutieux l'examen de tous les coins et recoins de ce vaste édifice, on n'aperçut pas la porte qui conduisait au magasin susdit, et l'on ne découvrit absolument rien de suspect. Néanmoins Maniscalco ne pouvant douter de la vérité du renseignement qu'on lui avait transmis, fît loger dans les abords de la Gancia une forte patrouille composée de sbires et de compagnons d'armes, pour surveiller l'entrée du couvent. Le 8 Avril, et principalement vers le soir, l'agitation de la ville était très grande; l'attitude du peuple était pleine de menaces; le calme superficiel présageait la tempête. Afin d'inspirer de la terreur à la police, on disait publiquement qu'à l'aurore du lendemain, et au son des cloches, comme anciennement pour les Vêpres Siciliennes, on donnerait la chasse aux Bourbons que le vulgaire appelait du nom de Sorci (rats); qu'enfin, au mépris des soldats et des sbires, on dresserait la bannière de la liberté. Les chemins étaient encombrés de fortes patrouilles, qui rendaient difficile la circulation des habitants; mais la troupe était épuisée de fatigue; la crainte d'un mouvement l'avant tenue constamment sous les armes pendant plusieurs jours. Son irritation contre les Palermitains était à son comble et elle n'attendait que le moment de pouvoir y donner libre cours.

Un peu avant le 4 Avril, Riso avait introduit environ deux cents des siens dans le magasin susdit, afin que, débouchant de là dans le couvent à l'heure convenue, ils donnassent le signal de l'insurrection générale.

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A la même heure et de divers côtés, devaient entrer à Palerme les escouades enrôlées dans les campagnes pour diviser la troupe et faciliter l'insurrection. Mais le directeur, qui avait eu connaissance de tout le plan de l'insurrection, donna secrètement l'ordre, que deux heures avant le moment tixé pour l'explosion et avant les premières lueurs du jour, la patrouille de la Gancia fît feu du côté du couvent. Ce fut cette manœuvre qui rompit la trame insurrectionnelle. Les compagnons de Riso croyant l'heure devancée dans les autres parties de la cité, et les bandes villageoises déjà venues, sortirent de leur cachette et répondirent au feu de la patrouille. Leur chef courut au clocher pour donner le signal convenu à l'entrée des paysans et au soulèvement de la cité.

Il s'engagea alors un combat opiniâtre sur toute la ligne du couvent, entre les agents de police au dehors, et au dedans les émeutiers, qui des fenêtres, du clocher et des toits mêmes du couvent, tiraient sur les premiers. Cependant les paysans n'arrivaient pas, et Palerme ne courait pas aux armes; tandis que le commandant des troupes royales détachait un bataillon de chasseurs vers le lieu du combat. La porte du couvent fut bientôt enfoncée, et les factieux, craignant d'être écrasés par le nombre, s'enfuirent par la porte opposée et sortirent de la ville. Quelques-uns d'entre eux furent atteints et blessés, parmi lesquels deux frères lais du couvent, qui avaient, paraît-il, pris part au feu. D'autres tombèrent dans les mains de la police, avec Riso luimême et son fils, qui mourut ensuite de ses blessures. Les religieux de la Gancia, sur lesquels pesait le soupçon de complicité, furent tous arrêtés et conduits en lieu sûr.

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Mais leur couvent fut malheureusement envahi par les sbires et par la populace, qui le mirent au pillage; et réalise même du couvent aurait eu le même sort, si les troupes royales ne l'avaient protégée. Ainsi commencèrent les sacrilèges blâmables, qui aidèrent tant au triomphe de la révolution et rendirent odieuse aux citoyens la main qui la combattait.

Cette manœuvre hardiment exécutée contre les rebelles de la Gancia, comprima pour le moment l'insurrection générale de l'île. Le général Salzano, alors commandant de la place, mit Palerme en état de siège et se hâta d'expédier hors de la ville, quelques colonnes de soldats pour disperser les bandes armées, qui de toutes les montagnes se portaient en grand nombre sur la capitale. Les fugitifs de la Gancia furent rejoints sur le pont dit delle Teste et, après avoir échangé quelques coups de fusil, se jetèrent sur la Bagheria, où s'étaient concentrés bon nombre de combattants. Là furent assaillies les deux compagnies de ligne, qui avaient leur quartier dans le palais Cattolica; mais elles firent une admirable résistance de plusieurs jours, jusqu'à ce que le prince Castelcicala, lieutenant de Sicile, arrivé à Palerme, donna l'ordre d'occuper militairement cette commune et d'en retirer les deux compagnies qui étaient en danger d'être réduites par la famine. A cette intention, il dirigea de ce côté une colonne militaire qui, protégée par les canons d'une frégate, mit les rebelles en déroute et ramena à Palerme cette petite garnison. Les bandes de partisans essayèrent donc vainement de surprendre l'entrée de Palerme, dans cette direction, et elles tournèrent leurs efforts du côté de Monreale et des Colli. Hors de Monreale, le feu dura plusieurs jours entre les bandes, qui s'étaient formées dans cette contrée, et un corps de chasseurs commandés par le major Bosco.

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Bosco commença dès lors à devenir redoutable aux insurgés, qui se virent dans plusieurs rencontres investis avec vigueur, battus et mis en déroute, après des pertes considérables. Dans la contrée des Colli, les montagnards qui s'y étaient dispersés, opposèrent de même une résistance énergique; plusieurs fois, trompant la vigilance des troupes royales, ils s'approchérent de la ville de Palerme; mais à chaque tentative, les royaux les reçurent par un feu bien nourri et les rejetèrent dans la campagne. Le prince Castelcicala résolu d'en finir avec un ramassis de gens qui fatiguaient les soldats et entretenaient dans la ville l'espérance d'un nouveau soulèvement, ordonna à deux colonnes, l'une débarquant à Mondello et l'autre s'avançant de Palerme, de balayer cette contrée des rebelles qui l'infestaient. Beaucoup de petites maisons de campagne, que les bandes rebelles avaient transformées en lieux de défense, furent alors saccagées et brûlées. Le village de S. Lorenzo, où s'était réfugiée et fortifiée une de ces bandes, fut en partie détruit et incendié par le feu de l'artillerie. — Alors cette contrée se vit entièrement débarrassée des villageois enrôlés au compte de l'insurrection; les uns s'en retournèrent chez eux; un grand nombre se retirèrent parmi les rochers des montagnes, ou se dispersèrent dans l'intérieur de l'île. C'est pourquoi l'on chargea deux grosses colonnes mobiles, que guidaient et protégeaient deux compagnies d'armes, expérimentées dans la connaissance des lieux, de poursuivre les restes de ces bandes et de rétablir l'ordre dans les communes soulevées. Traqués dans leurs nouvelles retraite les insurgés résolurent de se concentrer sur un des points les plus forts du pays, de battre les troupes royales et de fondre ensuite sur Palerme, pour y rallumer le feu de la révolte.

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C'est dans ce but qu'ils choisirent la commune de Carini, comme devant offrir par sa position les plus grands obstacles à la marche d'une troupe régulière.

Carini est une petite ville très-ancienne, renfermant une population d'environ 11,000 âmes. Située à 27 milles de Palerme, elle s'élève sur une haute colline, environnée d'une plaine aussi étendue qu'agréable qui se trouve elle même de tous côtés limitée par des chaînes de montagnes. Ce fut là que se réunirent plusieurs milliers de rebelles déterminés à vaincre ou à périr. Cette concentration de bandes armées fit craindre une prochaine insurrection dans la province de Palerme; on donna donc l'ordre aux deux colonnes mobiles de se porter dans cette direction avec tous leurs moyens d'attaque et d'assurer la soumission de cette commune. Après plusieurs rencontres, l'assaut général de Carini eut lieu le 18 avril. — Des deux côtés, on se battit avec un courage désespéré et les pertes furent considérables. Mais la valeur personnelle des bandes irrégulières retranchées dans les maisons des habitants céda à la discipline des troupes que soutenait l'artillerie; les chasseurs royaux, malgré une grêle de balles qui tombait sur eux de tous les coins des rues, des fenêtres, des terrasses, pénétrèrent dans la malheureuse ville; ils chargèrent à la baïonnette les rebelles mis en fuite, et les chassèrent des maisons, en mettant le feu à un quartier de la ville et en la menaçant d'une destruction totale. La majeure partie des rebelles s'enfuirent par la voie de mer demeurée ouverte, à cause de l'impossibilité où s'était trouvée d'approcher du rivage une frégate royale, dont les instructions étaient de mitrailler les rebelles qui voudraient échapper de ce côté.

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Bon nombre de bandes se retirèrent à Partinico; mais elles en furent de nouveau chassées en désordre. Après cette déconfiture, elles s'éloignèrent des abords de Palerme et devinrent plus semblables à des assassins qu'à des rebelles. Elles se mirent donc à rançonner et à saccager les communes les plus petites et les plus incapables de résistance, et signalèrent partout leur passage par des assassinats et des brigandages. Elles infestèrent la Plaine dite des Grecs et menacèrent Corleone. Une bande surprit le 28 Ciminna, dans la commune de Termini, et y mit à feu et à sac plusieurs maisons; mais les troupes royales arrivées à temps la dispersèrent. Une autre assaillit le lendemain Petralia dans le district de Cefalù, y assassina le syndic et plusieurs autres citoyens; mais les gens du pays en eurent également raison. En somme, quoique diminuées de nombre, persécutées et mises en déroute par la troupe régulière, par les compagnies d'armes et par les habitants mêmes de diverses communes, les bandes révolutionnaires ne furent jamais entièrement détruites pendant tout le mois d'avril; elles se montrèrent dans la province de Palerme tantôt sur un point, tantôt sur un autre, et, quand elles se voyaient menacées par les royaux, elles se réfugiaient dans les bois et parmi les rochers des montagnes, attendant toujours le moment de pouvoir tomber sur la capitale.

Ce n'était certes pas l'amour de la patrie ni aucune autre passion politique qui touchait le cœur de cette race ignorante, grossière et adonnée à toute sorte de vices; mais l'argent et l'espérance de faire du butin dans la capitale et au dehors étaient leur puissant mobile.

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Quelques uns d'entre eux qui en public parlaient la phraséologie du temps, avouèrent plus tard en particulier, qu'ils n'aimaient d'autre patrie que leurs bourses; et qu'ils n'étaient descendus à Palerme que pour les garnir d'argent. La plupart n'aspiraient qu'à s'enrichir par le vol, et ils n'avaient pas de plus grand reproche à faire à leurs compagnons que celui de ne pas savoir voler ou de s'abaisser au vol de choses insignifiantes. Tels étaient les hommes qui représentaient la nation armée pour la conquête de son indépendance.


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Chapitre X.
SUITE DU PRÉCÉDENT. MOUVEMENTS DANS LE RESTE DE LA SICILE. DÉMONSTRATIONS A PALERME.

Après le 4 avril, Palerme prit un aspect lamentable et sinistre. Les rues étaient désertes ou sillonnées par des patrouilles de soldats et d'agents de police; les boutiques et les églises étaient fermées, le commerce tout à fait suspendu, de façon que la classe des artisans surtout, qui depuis un mois avait peu ou point travaillé, commençait à sentir les atteintes de la faim. La noblesse et les professions libérales, et en particulier tout ce qui tenait au barreau, ne se trouvaient guère en meilleure condition. Une tristesse de plus, c'était le silence de toutes les cloches de la ville, auxquelles un ordre de la police avait fait enlever les battants: Palerme avait l'air d'un tombeau. Il y eut tels districts où des familles entières auraient certainement péri de misère, si la munificence souveraine ne fût venue à leur secours. Mais François II n'avait pas oublié son peuple; il fit remettre des sommes considérables aux curés de la ville, pour être distribuées par eux aux pauvres gens, privés de tout moyen de subsistance: ces malheureux commencèrent alors à respirer et bénirent, dans le secret de leurs maisons, la main qui les arrachait au trépas. La révolution n'apprécia point ces faits et elle sut encorna moins les imiter.

Après huit jours d'un rigoureux état de siège, quand déjà les bandes d'invasion étaient repoussées du territoire de Palerme et qu'on ne craignait plus que l'arrivée d'un vaisseau Piémontais rallumât l'incendie encore fumant, le général Salzano, commandant de la place,

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annonçait dans une proclamation adressée au peuple Palermitain, la fin du gouvernement militaire; il louait et, au nom du roi, il remerciait les habitants de leur contenance pacifique des derniers jours; il signalait l'entière défaite des rebelles et exhortait tout le monde à reprendre les occupations ordinaires, en garantissant le pardon aux coupables, si dans le délai de huit jours ils avaient consigné leurs armes entre les mains du gouvernement (1). Mais avant que l'état de siège eût pris fin, la police de Palerme arrêta chez le duc de Monteleone le Baron Riso, le prince de Sciare, le duc de Monteleone, le duc Niscemi et le marquis Giardinelli, accusés par la voix publique d'avoir formé un comité secret dirigeant la révolution, qu'ils entretenaient de leurs propres deniers. Conduits dans le fort, ils y restèrent jusqu'à la capitulation avec Garibaldi.

En attendant, le tribunal militaire poursuivait ses procédures; il déclarait innocents tous les religieux de la Gancia et les remettait en liberté; mais il condamnait au dernier supplice 13 des nombreux détenus qu'on avait pris les armes à la main; parmi ces infortunés se trouvait le fontainier Riso; chacun des douze autres appartenait à la condition d'artisan ou de villageois. Leur jugement fit pousser les hauts cris au parti de la révolution et aux journaux, organes du désordre. Mais le général en chef du très libéral gouvernement Piémontais, Cialdini n'a-t-il pas ordonné de fusiller tout citoyen des Abruzzes qu'on surprendrait armé

(1) Ce délai fut ensuite prolongé pour faciliter la soumission des coupables.

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pour la défense de son Souverain (1)? Ne s'est-il pas ensuite glorifié sans pudeur dans ses dépêches, d'exterminer ces misérables dont le seul crime était d'avoir voulu rester fidèles à leur prince légitime? Le gouvernement du roi galant-homme n'a-t-il pas autorisé les gouverneurs des provinces Napolitaines à inaugurer le règne du terrorisme à la Robespierre, et ne leur a-t-il pas donné plein pouvoir de mettre à mort les réactionnaires? Le général Pinelli; digne collègue de Cialdini, n'a-t-il pas décrété que l'on fusillerait clans les Abruzzes non seulement quiconque aurait pris les armes contre la fusion Italienne, mais quiconque aurait outragé le drapeau de la Sardaigne (2)? M. Farini, le représentant de Cavour et du roi de Turin à Naples, n'a-t-il pas fusillé sans miséricorde à Caserta, à Aversa et dans beaucoup d'autres villes, les réactionnaires toujours coupables du crime d'avoir redemandé leur prince (3)? Le général Sonnaz, en campagne dans les Abruzzes, n'a-t-il pas ordonné de ne faire quartier à personne, soldat ou non, et, suivant ce que rapporte le correspondant du Times, n'a-t-il pas fait fusiller des centaines de ces malheureux qui combattent pour le droit sacré de leur légitime indépendance (4)? Pourquoi ces faits ne sont-ils pas taxés, comme ils le mériteraient, d'atroce inhumanité?

(1) «Sachez que je fusille tous les paysans armés que j’arrête.» Dépêche de Cialdini du 20 oct. 1860, envoyée de Sulmona.

(2) V. le Télégramme du 27 novemb. de Naples et le Times du 20 nov. 1860 qui disait à ce propos «The Governor of Teramo has been compelled to publish a terrific proclamation (!!)» V. la circul. de Casella envoyée de Gaëte le 12 nov. 1860.

(3) Corresp. du Times du 6 déc. 1800 et les dépêches envoyées de Naples.

(4) «Sonnaz has issued orders to give no quarter, but to shoot every man that is taken, and I am already assured that several hundred taken in arms have been thus treated.» Corresp. de Naples du 19.

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Pourquoi tant d’invectives contre la mise à mort des 13 émeutiers de Palerme et ce silence sur les centaines de personnes massacrées par les Piémontais, sur les 39 que Garibaldi a fait fusillera Milazzo, sur les nombreuses victimes que les usurpateurs de Savoie font encore aujourd'hui dans les provinces Napolitaines? Pourquoi le très humain Times, qui a tant aboyé contre la cruauté du roi de Naples, pour avoir condamné les 13 habitants de Palerme, surpris en flagrant délit de rébellion armée, vient-il maintenant blanchir la conduite du Piémont par le prétexte de la dure nécessité qui l'oblige à procéder vigoureusement? N'était-ce pas la dure nécessité qui obligeait les Bourbons à condamner au dernier supplice les promoteurs de l'insurrection, suivant les lois de toutes les nations civilisées? Est-ce que par hasard le Times, dictateur impitoyable, quand il s'agit des intérêts de son pays, ne nous a pas appris que, si l'Irlande, par la mise en pratique des principes de lord Russell, s'obstinait à défendre le droit de se révolter et de s'émanciper, le Gouvernement Anglais ne mettrait pas moins d'obstination dans la défense du droit qui lui appartient de s'opposer à la révolte, de fusiller, de pendre et de bannir tous ceux qui voudraient s'insurger sans avoir la force suffisante (1)? Le Times patriotique indien, Tantia Topée, qui fut arrêté et pendu dans les Indes, soit contre Walker, que l'Angleterre a fait fusiller dans l’État du Honduras, bien qu'il se fut rendu au représentant de la Grande Bretagne,

aurait pu nous rappeler aussi l'usage que l'Angleterre a fait de son droit de répression, soit contre les pauvres Indiens, qu'on attachait, pour en finir plus vite, à la gueule de canons chargés à mitraille, soit contre le chef

(1) Times, 8 déc. 1860.

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après en avoir reçu les promesses les plus séduisantes (1), etc. On croirait, en présence de ces théories et de ces faits, que l'exécution des 13 insurgés de Palerme n'aurait plus aucune importance, mais la rigoureuse logique du Times ne l'entend pas ainsi, et la mémoire sanguinaire des Bourbons lui fait tous les jours enfourcher ses grands chevaux de déclamation.

La révolution du 4 avril ne produisit pas dans le reste de l'île les effets d'insurrection générale que le parti aurait souhaités. La Sicile n'était pas encore disposée à tenter une révolution avec toutes les conséquences endurées en 1848; et assurément, elle n'eût pas pris ce parti sans les encouragements et les promesses du Piémont, ni sans les machinations des sociétés secrètes. Dans la province de Palerme, les autorités et la garnison du chef lieu de Termini se renfermèrent dans le fort, au premier mouvement insurrectionnel de la capitale; mais la ville resta tranquille et la majorité des habitants tinrent en respect la populace toujours désireuse de pêcher en eau trouble, et repoussèrent les bandes qui voulaient faire de Termini un centre de révolution.

A Trapani, l'intendant de la province et le commandant de la place montrèrent eu de fermeté et de courage en face des menaces de la révolution. Le premier, intimidé, tira de la prison le chevalier Coppola et le fit déclarer, par sentence du tribunal, innocent de fautes manifestes et notoires.

(1) V. sa protestation du 5 sept. 1860 à bord de l'Icarus, dans la lettre du correspondant du New York Herald qui était présent (janv. 1861), dans le Times du 26 janv. Ce correspondant britannique excuse cette barbarie commandée par la nécessité «still it is a necessity.» El c'est le môme correspondant qui dans sa lettre du 7 janv. avait tant frémi d'indignation contre le roi Ferdinand, au sujet de tant de criminels d’État que durant trente ans de règne, il avait laissé mourir en exil ou en prison ou sur le gibet, pauvres victimes dont Avala lui avait remis le catalogue. Mais le roi Ferdinand ne pourrait-il pas dire qu'il obéissait, lui aussi, à la dure nécessité? Mais ces messieurs n'ont pas d'autre logique que celle de la révolution.

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Le second accepta inconsidérément la demande que lui faisaient quelques factieux de confier la ville à leur garde et de s'enfermer, lui, dans la forteresse. Le gouvernement royal de Sicile leur retira à tous deux les charges dont ils étaient revêtus. A Mazzara, chef lieu du district de la même province, aussitôt qu'on eut connaissance du soulèvement de Palerme, les factieux menacèrent de mort les autorités civiles et ils auraient sans doute assassiné le sousintendant s'il ne leur avait échappé par la fuite. Le SamediSaint, ils levèrent l'étendard tricolore, le portèrent au milieu d'une tempête de vivats et de bravo dans la cathédrale même et demandèrent à l'évêque de bénir le nouveau drapeau; c'est ce que, du haut de son trône pontifical, le prélat crut devoir faire pour les contenter. Mais la nouvelle que le coup était manqué à Palerme,fit plus pour amortir l'ardeur des insurgés de cet endroit que n'aurait fait une colonne de soldats. Il n'en arriva pas autrement à Marsala, où se révéla tout à fait l'élément piémontais qui venait en aide à l'insurrection sicilienne.

Aussitôt la nouvelle de l'émeute de Palerme communiquée par le télégraphe aux chefs du parti, avant d'être annoncée aux autorités, les plus turbulents voulaient se soulever immédiatement; mais on résolut, après délibération, de différer le mouvement jusqu'au Samedi Saint, 7 avril. L'âme de tous les conciliabules était Lipari, consul piémontais, à l'avis duquel se rangeaient volontiers les chefs du parti Marsalais. En effet, le 7 avril, on vit Lipari, en costume de consul de Sardaigne,

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parcourir le Corso de cette ville (1), en agitant l’étendard piémontais; il le remit ensuite à d'autres meneurs, qui le portèrent à tour de rôle dans les rues, avec accompagnement de cris enthousiastes et séditieux. Le même jour fut organisée une bande qui devait courir au secours de Palermo sous la conduite des chevaliers Damiani et d'Anna; on força le receveur royal à fournir à ces auxiliaires de l'émeute l'argent nécessaire pour leur procurer des armes et des munitions de guerre. Et à ce propos, nous ne saurions omettre une anecdote que son ridicule et sa bizarrerie méritent de ranger dans la partie comique de la révolution. Quelqu'un qui arrivait de Trapani, avait répandu dans le peuple de xMarsala l'étrange et inconsistante nouvelle que les Jésuites de Palerme avaient apprêté à la révolte 4,000 fusils qu'ils tenaient cachés dans leur propre collège. Cette énormité admise, on ne vit rien de mieux que le collège des RR. PP. pour trouver des armes; on envoya donc au Recteur une commission chargée de persuader au patriotisme des Jésuites de livrer leurs fusils à la cause de la révolution. On devine si le P. Recteur tomba des nues à pareille requête: il répondit franchement que les armes des Jésuites étaient le crucifix et la prédication de l'Evangile, deux choses qui ne pouvaient servir à l'insurrection.

On se procura par d'autres moyens les armes dont avaient besoin les combattants, et le signal du départ était proche, quand, le dimanche de Pâques, le courrier venant de Trapani, fit bientôt changer la scène et les décors; il annonçait le rétablissement de l'ordre à Palerme, ainsi que la dispersion des bandes insurgées; en même temps il montrait une circulaire du lieutenant de Sicile très menaçante pour les communes qui se soulèveraient!

(1) Eu Italie, on donne communément le nom de Corso a la rue principale d'une ville.

(Note du traducteur.)

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Ce courrier fut de l'eau glacée qui tombait sur l'ardeur des rebelles; en un clin d’œil disparurent cocardes et bannières tricolores; la colonne mobilisée s'évanouit; le pouvoir fut rendu à ses représentants légitimes, et le parti, transformé au dehors par les derniers événements de la capitale, substitua à son ardeur momentanée force prostrations et force avilissements. Plus tard, un juge fut envoyé de Trapani pour instruire le procès des coupables; plusieurs s'enfuirent dans l'île de Malte, les autres adoptèrent soudain le rôle de flatteurs du royal gouvernement et quelques uns se firent les accusateurs zélés de leurs propres camarades. En attendant, le général Letizia amenait à Marsala une colonne militaire avec mission de rétablir l'ordre dans toute la province de Trapani; le peuple fit aux soldats un accueil si chaleureux et proféra en leur honneur de tels Vivats au roi et à son gouvernement, que les troupes n'auraient pu désirer mieux. Une part de ces démonstrations fraternelles doit s'attribuer, il est vrai, à la crainte, efficace conseillère de soumission; mais il est certain que les vœux de la plupart des habitants de Marsala n'étaient pas avec le parti de l'émeute.

Dans le reste de la Sicile, quelque inquiétude, quelque agitation qu'y eût excitée le soulèvement de Palerme, le feu de la révolte ne s'y enflamma pas; et les classes nobles et aisées de la société manifestèrent partout en général, et plus encore dans les villes les plus peuplées, un ferme désir de protéger l'ordre public et d'empêcher toute démonstration insurrectionnelle. Aussi partout, les autorités civiles, avec le concours des bons citoyens, réussirent à maintenir la tranquillité et la paix.

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Ce sentiment d'ordre public se révéla principalement dans la villa de Catane. Catane et toute la province de ce nom se trouvaient alors dans un état plus florissant qu'aucune autre partie de l'île. Le roi Ferdinand leur avait accordé la libre irrigation du Simeto, source féconde de richesse pour le pays. A son tour, François II leur avait donné de nouvelles facilités pour l'irrigation du Simeto; il leur avait assigné de nouveaux fonds pour la construction du port; il avait érigé à Catane un tribunal de commerce, institué une caisse d'escompte et fait de l’évêché de cette ville un archevêché. Heureux de ces bienfaits, les habitants de Catane, dans la prospérité de leur riche pays, ne se souciaient pas de mouvements politiques qui auraient épuisé leur province et l'auraient réduite à la misère. C'est pourquoi, lorsque certains personnages tristement fameux par leurs assassinats et leurs brigandages de 1848, essayèrent de se mettre à la tète de la populace et de la soulever contre les troupes royales, les bons habitants de Catane s'opposèrent vigoureusement à leurs desseins et, par leur autorité retinrent le peuple dans le devoir; puis, quand ils se virent à bout d'efforts et de patience, pour rompre les filets de ces assassins qui ne respiraient que sang et rapine, ils les signalèrent aux autorités civiles et militaires. Ces méchants mis en arrestation, la ville demeura entièrement tranquille; les paysans retournèrent à leurs travaux et le peuple à sa besogne journalière. Cependant, le roi François avant connu, par le prince Fitalia, intendant, et par le général Gary, commandant de cette place, la conduite exemplaire des habitants de Catane, n'eut pas seulement à cœur de leur adresser des louanges et des remercîments, mais il leur fit de nouvelles concessions rédigées en onze articles.

Il décréta l’achèvement du port de cette ville aux frais du trésor royal, qui devaient être considérables;

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 le prélèvement immédiat sur les impôts des sommes nécessaires pour la construction du nouveau théâtre et d'une villa, sommes et dépenses qui seraient remboursées peu à peu par la commune; la fondation à Catane d'une banque publique et d'un nouveau tribunal criminel; l'augmentation du nombre des conseillers et des officiers de l'intendance; l'autonomie et l'indépendance de l'administration de Catane, etc. En même temps, le généreux monarque envoyait une adresse aux chefs-lieux de districts de cette province, afin de les engager à lui signaler sans retard les faveurs dont ils avaient besoin, promettant de les satisfaire. Ainsi s'affermissait de plus en plus dans la province de Catane la résolution de ne rien tenter contre la dynastie des Bourbons; le commerce y redoubla d'activité, la confiance publique y redevint générale, et, entre autres avantages, le collège Cutelli put se repeupler des nombreux élèves qu'il avait vus se disperser tout à coup dans les jours d'agitation populaire.

La province de Messine, quoique plus ardente pour la cause de la révolution, ne tenta aucun mouvement à cette occasion. Si on en excepte l'assassinat que des scélérats commirent par trahison sur deux sentinelles royales, il ne se passa là rien qui troublât l'ordre public. Après ce fait atroce, que les journaux italiens et étrangers dénaturèrent beaucoup, sur les faux rapports des passagers du Méandre, quelques mesures de précaution, prises par le général delà place, empêchèrent la reproduction de pareils attentats destinés à exciter le sentiment de la révolte.

En conséquence, tout bien considéré, nous pouvons affirmer que depuis le 4 avril, l'ordre public fut réellement rétabli dans la Sicile tout entière, et que de nouvelles insurrections n'y auraient pas eu plus de succès, sans l'appoint donné à la l'évolution par le débarquement des Piémontais.

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L'amiral sarde, dans sa dépêche d'alors au ministère de Turin, ne put dissimuler que la tranquillité eût recommencé de régner en Sicile, et s'il en exceptait Marsala, (qui de fait était l'endroit le plus tranquille), c'était pour fournira Lord Russell un prétexte d'envoyer sur ce point quatre vaisseaux de guerre et pour indiquer à son gouvernement le lieu où il devrait diriger Garibaldi. Néanmoins, il ne plaisait pas à M. de Cavour d'annoncer au parlement de Turin la répression de l'insurrection sicilienne. Interrogé le 10 avril à la Chambre des Députés, sur cette question, il répondit avec une diplomatie nuageuse que pareille discussion lui semblait inutile et dangereuse; il ajoutait que le gouvernement napolitain était fort préoccupé de l'intérieur de ses États et concluait par ces mots: «Nos compatriotes continuent la lutte (1).» Cette façon de parler du comte de Cavour est expressive, malgré ses réticences; elle nous fait comprendre quels ferments de révolte étaient partis de Turin vers la Sicile, quels encouragements les insurgés continuaient d'en recevoir, et quel accord le parti cavourien avait conclu avec le parti mazzinien, dans l'intention surtout de soulever la Sicile.

Tout le mois d'avril se passa sans nouveaux troubles pour l'île, non pas que le parti révolutionnaire se fût endormi, mais parce qu'il comprenait que sans appui du dehors et avec les seules forces du peuple, il lui était impossible de faire aboutir aucune tentative. Toutefois, pour maintenir dans une inquiète agitation la police et la population le comité secret de Palerme publiait, par le moyen d'une presse clandestine, des bulletins, des avis et des instructions qui se distribuaient publiquement dans la capitale, qui s'expédiaient dans l'intérieur de l'île et s'adressaient, pour comble d'audace, jusqu'aux représentants de l'autorité.

(1) Parlement de Turin, 15 avril 1860.

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 Ces factums ajournaient toute démonstration armée au moment où débarquerait Garibaldi; indiquaient l'arrivée prochaine du général comme devant être le signal d'un soulèvement universel; imposaient quelquefois des démonstrations partielles et tacites; ordonnaient à tout le monde de porter des vêtements de deuil, le jour de l'exécution des 13 insurgés; tantôt, grâce aux meneurs et à leurs ordres, il se trouvait des bannières tricolores sur divers points de la ville,ou entre les mains d'enfants |ui les promenaient le long des rues; tantôt on semait de fausses alarmes et des terreurs inusitées parmi la population, en faisant éclater des pétards et des bombes au milieu de la nuit; en un mot, on s'efforçait d'agiter les habitants de Palerme et d’effrayer les autorités. — Le commerce allait s'affaiblissant chaque jour; une panique involontaire gagnait peu à peu tout le monde; les écoles et les collèges repaient fermés; les magasins, et un petit nombre seulement, n'ouvraient que pendant quelques heures; pour la voie publique, elle ressemblait, surtout dans la soirée, à une caverne de voleurs. — Vers la fin d'avril et au commencement de mai, les démonstrations publiques se renouvelèrent au mépris des ordres donnés par la police. Ces démonstrations étaient le plus souvent capricieuses et bizarres, destinées seulement à mettre en évidence le pouvoir que le comité secret révolutionnaire exerçait sur la population. Une fois on ordonnait, de par une autorité invisible, que personne ne se montrât tel jour déterminé dans la rue de Tolède, ou dans une autre des principales rues de la cité: et ce jour là on ne voyait dans la rue prohibée, que des soldats et des agents de police, personne n'osant contrevenir aux ordres secrets; le soin de les faire exécuter était confié à certaines personnes députées à cet effet, le plus souvent de jeunes personnes fanatisées qui notaient quiconque oserait braver l'interdiction.

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D'autres fois c'était un ordre tout contraire: à l'heure dite, de tous les points de la ville des flots de population affluaient vers la rue ou sur la place désignée. Ces rassemblements furent d'abord pacifiques et semblables à des promenades solennelles; peu à peu elles prirent un caractère menaçant et un aspect séditieux; on eriait:«Vive l'Italie! Vive Victor Emmanuel! etc.» Le gouvernement de Sicile essava d'abord de disperser ces rassemblements par la seule présence de la police et des troupes; mais quand la foule commença à résister à l'injonction de se séparer, à charger d'insultes la police et la troupe, à les menacer de violences ouvertes, il fallut employer la force. Quelques démonstrations trop bruyantes, dont les meneurs répondirent par l'outrage à l'ordre de se retirer, donnèrent lieu à des charges qui firent des victimes parmi le peuple. Oneria naturellement à la barbarie du gouvernement; on décrivit sous des couleurs de rhétorique larmoyante, les scènes de deuil et de carnage, auxquelles s'étaient livrés les ministres des Bourbons, et ces déclamations ne tardèrent pas à s'étaler dans les feuilles étrangères, faisant écho au parti révolutionnaire de Sicile.

Pareilles démonstrations ne firent que croître en nombre et en force à mesure que s'approchait le moment de l'expédition de Garibaldi; et elles continuèrent de plus belle, jusqu'à ce que celui ci fut aux portes de Palerme. Les officiers de marine piémontais qui se trouvaient en rade, ne laissaient pas de les encourager par leur présence. C'est dans ce but qu'ils se montraient souvent dans la rue de Tolède et dans les autres rues principales de la ville où on leur jetait, de plus d'une fenêtre, des fleurs et des bouquets tricolores. Ils applaudissaient ensuite sans aucune réserve, et aussi bien en public qu'en particulier, aux agitateurs de la population, et les encourageaient par la promesse des puissants renforts que leur donnerait le Piémont.

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Et ce n'était pas seulement à Palerme que se produisait la marine sarde; elle apparaissait en même temps à Syracuse, à Catane, à Messine et sur tout le littoral de l'île avec l'intention d'organiser et de fomenter la révolte. On vit aussi à cette époque des agents du Piémont vovager dans l'île, sous un déguisement qui leur permettait d'épier et de connaître à fond les conditions du pays, ainsi que les moyens de s'assurer les sympathies des habitants.

Tout cela ne faisait qu'exciter la vigilance du gouvernement sicilien. Soupçonnant que Garibaldi mettrait pied sur le rivage en inconnu, il avait fait distribuer son portrait tà tous les chefs de police du pays; il avait de plus promis une large récompense à qui l'arrêterait. Les bâtiments de la flotte napolitaine avaient été en outre disposés en croisière autour de l'île et surtout du côté du canal de Malte, d'où l'on croyait devoir attendre un débarquement; quelques compagnies d'armes avaient été postées sur les bords de la mer, dans les lieux les plus suspects et les plus isolés. Le gouvernement croyait ainsi avoir mis la Sicile en sûreté contre la menace de toute bande de flibustiers, qui auraient pu tenter une descente; et les choses ne seraient pas allées autrement, si les trahisons de l'intérieur et les machinations du dehors n'avaient, conspiré à rendre inutiles toutes les mesures de précaution.


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Chapitre XI.
EXPÉDITION DE GARIBALDI EX SICILE. — REMONTRANCES DES GRANDES PUISSANCES. 
— COMPLICITÉ MANIFESTE DU GOUVERNEMENT DE CAVOUR.

Le nom de Garibaldi ne se prononce plus sans l'admiration que mériterait un héros. C'est merveille de voir des ministres, des diplomates, des législateurs, des hommes cultivés et instruits, surtout chez les nations protestantes, exalter en chœur cet heureux pirate, ce chef de flibustiers fanatiques; tandis qu'ils condamnent le général Walker, qui soutenait dans l'Amérique centrale une cause semblable à celle de Garibaldi, si elle n'est pas meilleure (1); ils portent ce dernier aux nues et l'accablent de louanges immodérées, en le comparant au prince d'Orange et au magnanime Washington (2). Mais l'aventurier de Montevideo, le général de la république romaine de 1848, le vainqueur de Varèse et de Côme, cet homme devenu le mot d'ordre de tous ceux qui ne rêvent que troubles et révolutions (3); ce génie inspirateur de violence, d'insurrection et de blasphème, ce révolutionnaire de tous le plus audacieux,

(1) Le général Walker, dans sa proclamation du 7 août 1860, avait déclaré qu'il allait venger la liberté du peuple de Nicaragua contre le gouvernement despotique du Honduras; il promettait a ce peuple de détendre ses droits, les personnes elles propriétés, l'ourtant deux vaisseaux anglais se portèrent rapidement à Alvarez pour arrêter ce général sur les bords du Rio Nero et le consigner aux autorités du Honduras, qui le fusillèrent le 12 nov. 1860.

(2) Times du 5 et du 12 nov. 1860.

(3) Ce sont les paroles du Constitutionnel.

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ce blasphémateur de tous le plus éhonté (1), n'aurait pas été prôné si fort et si étrangement surfait; on ne l'aurait pas entouré d'une si brillante auréole, ni jugé digne de telles apothéoses, s'il n'avait pas été l'instrument le plus puissant de l'impiété et de l'hérésie, pour faire la guerre au catholicisme et surtout au père commun des fidèles; s'il n'avait pas été le grand et fortuné champion des principes du Mazzinisme, et destiné par cela même à planter la nationalité italienne sur les ruines du Vatican (2). Pour les hommes qui jugent de la bonté des moyens, en ne les mesurant qu'à la fin et non aux règles éternelles de lia justice et de la conscience; pour les hommes qui voient dans le catholicisme une plaie sociale et qui regardent sa destruction comme une nouvelle ère de régénération; pour les hommes qui apprécient les actions humaines par le succès seulement et non par les principes auxquels il faut les conformer, il ne pouvait y avoir au monde un personnage comparable à Garibaldi, et ce tvpe devait leur apparaître unique dans notre siècle. Nous ne refuserons certes pas au condottière en chef de la révolution italienne le courage, l'audace, la fermeté et même la perspicacité militaire, sans la science toutefois; nous 11e lui refuserons pas le don d'inspirer à ses partisans l'enthousiasme et la confiance en son commandement et de'  les entraîner comme par une fascination à travers le feu et la mitraille; mais ces qualités lui sont communes avec les grands perturbateurs des nations, communes avec Assan, le Vieux de la montagne, le fondateur

(1) V. la lettre adressée de Nice au Tablet du 26 nov. 1859.

(2) V. la lettre déjà citée de W. U. Ashurt k Garibaldi, dans le Times du 21 nov. 1860.

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de la secte des assassins, qui du château d'Alamut faisait trembler sur leurs trônes les souverains d'Europe. Que, si notre Europe avait beaucoup d'hommes de ce genre, nous verrions refleurir, non pas l'âge d'or, mais le temps des Gothes et des Vandales.

La révolution ne pouvait choisir un homme plus capable que Garibaldi d'exécuter ses desseins. Garibaldi, dès le mois de mars 1860, avait poussé le cri de guerre en s'adressant dans ses proclamations à tous les peuples d'Italie. En même temps, la Farina, devenu président de l'Assemblée nationale, qui avait pour but l'insurrection de l'Italie méridionale, publiait un manifeste incendiaire, dans lequel il exhortait les troupes du roi de Naples et du Pape à courir sous les drapeaux de la révolte. «Nous savons, disait-il, qu'un «grand nombre de vous sentent dans leur poitrine les palpitations d'un cœur Italien; nous connaissons leurs noms comme leurs sentiments» (1).

Pouvait-il plus clairement annoncer que le serment de la trahison avait déjà été obtenu de plusieurs des officiers de Naples et de Rome? Mazzini luimême qui comptait dans les Deux Siciles bon nombre de partisans, voulut à cette époque adresser sa proclamation aux habitants de Sicile, pour leur annoncer l'heure de la révolte et les appeler aux armes (2). Cependant Garibaldi, après la séance orageuse des débats du Parlement de Turin sur l'annexion de Nice et de la Savoie à la France, exaspéré contre Cavour, ou affectant de l'être, se retira à Nice afin d'y ourdir ses machinations; c'est dans ce but qu'il renonça au grade de général et au mandat de député; il passa ensuite à Gênes et y demeura quelque temps invisible, pour renouer les fils de d'insurrection Sicilienne.

(1) Ce manifeste fut publié le 22 mars 1860.

(2) La proclamation de Mazzini a été publiée par l'Armonia, le Monde et beaucoup d'autres journaux.

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Les journaux italiens et étrangers annonçaient dès le mois d'avril qu'on recrutait publiquement des volontaires Lombards, Toscans et Génois pour l'expédition de Sicile. La Gazette de Milan publiait le 26 du même mois, que les volontaires qui désireraient partir pour la Sicile, pourraient se présenter à l'office du journal et y recevoir les instructions utiles. — Partout, en Italie, s'ouvraient des souscriptions avant pour objet de coopérer à l'expédition proposée. Après le Dritto de Turin, le Pungolo de Milan et la Sentinella de Breseia, tous les journaux révolutionnaires d'Italie faisaient, dans leurs bureaux, des collectes pour l'insurrection de Sicile. Même en France, par l'organe de l'Opinion nationale (1), et en Angleterre, par le Ti?nes et les comités Garibaldiens (2), on établissait des commissions chargées de recueillir des sommes d'argent en faveur des champions de l'indépendance. L'association nationale expédiait ensuite des lettres à tous les amis au dehors et au dedans de l'Italie, afin d'encourager leur zèle à être généreux pour la cause de la révolution italienne. Ce mouvement était soutenu et favorisé h Turin par l'ambassadeur d'Angleterre, qui avait approuvé les plans et les préparatifs de Garibaldi et qui lui donna de ses sympathies un témoignage indubitable en invitant à diner, au mois d'avril, le général et les émigrés les plus influents de Sicile et de Naples (3). Cependant Garibaldi prenait son logement dans le palais Passano, à Quarto, village voisin de Gênes; et !à il rassemblait les bandes de volontaires dont plusieurs avaient fait partie de la légion des chasseurs des Alpes, pendant la guerre de Lombardie.

(1) Ce journal fit connaître le 16 mai qu'il avait reçu du ministère l'ordre de ne pas publier les noms des souscripteurs.

(2) L'avis de cette souscription publiée dans le Tintes le 9 mai, donna lieu à une longue et vive discussion dans la Chambre des Communes de Londres du 17 mai.

(3) V. lettre de Turin du 11 avril au Constitutionnel.

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Des armes et des munitions s'accumulaient au même endroit sans mystère et sans entraves, et le palais fut bientôt transformé en arsenal. Chaque jour, par terre et par mer, il arrivait à Gênes des Lombards, des Romagnols et des émigrés Siciliens, qui ensuite se rendaient au palais Passano pour former le corps de l'expédition. Les volontaires comptaient dans leurs rangs 500 braves soldats qui avaient fait toute la campagne de Lombardie, et dont 200 environ appartenaient à la société du tir national de Gênes; il se trouvait ensuite parmi eux des gens de toute condition et de différentes professions, des nobles, des médecins, des architectes, des artisans, des étudiants, tous cependant, de constitution robuste et vigoureuse, tous, à peu d'exceptions près, jeunes gens. âgés de moins de trente ans, sans femme ni enfants: bon nombre d'entre eux n'avaient pas atteint leur vingtième année. Au nombre de 1200 environ, ils n'étaient pas tous destinés pour la Sicile: ils avaient voyagé du lieu de leur résidence jusqu'à Gênes, sans avoir rien pavé; leur vêtement, si on en excepte quelques officiers, était celui du simple bourgeois, parce qu'aussitôt à bord des vaisseaux, ils devaient endosser la chemise rouge, ancienne livrée des partisans de Garibaldi. Leur passage par Gênes avait produit un tel enthousiasme qu'il avait fallu consigner les soldats dans leurs quartiers pour les empêcher de déserter et de se mêler à l'expédition. Le but de ces préparatifs n'était pas un mystère en Italie.

Dès le 28 avril, le correspondant du Times écrivait de Naples quels etoient les projets d» Garibaldi e|j affirmait que ees projets étaient généralement connus. En Piémont notamment, la chose était aussi manifeste que la lumière en plein midi; on l'annonçait par des proclamations, par des souscriptions, par des représentations théâtrales et on y donnait la même publicité qu'au transport

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des armes et des munitions de guerre (1).

Les bateaux à vapeur qui devaient embarquer cette expédition révolutionnaire, étaient le Piémont et le Lombard, appartenant tous deux à la Compagnie Rubbattini, la même qui avait fourni le Cagliari. Le premier de ces bâtiments était revenu de Tunis le 4 mai; l'autre aurait dû repartir le 9 par la ligne d'Italie. Quand tout fut prêt pour l'embarquement, le 5 avril, après midi, une bande de cent hommes armés se mit en mer dans deux barques, et du port intérieur de Gênes se rendit à bord du Piémont et du Lombard qui avaient été abondamment pourvus de vivres et de charbon: l'un des deux manquant de machiniste, on lui substitua l'émigré palermitain, Joseph Orlando, propriétaire d'une fonderie à Gênes. On mit les machines en mouvement et, sortant du port, on alla jeter l'ancre à une portée de fusil des quartiers de la Foce.

Un grand concours de peuple les attendait de ce eôté, ainsi que le reste des volontaires qui appartenaient au corps de l'expédition. C'était en plein jour que se faisait l'embarquement du matériel de guerre et des hommes, en partie dans le port même de Gênes, et en partie le long du littoral, sur une étendue de cinq milles. Chacun des volontaires arrivait en voiture, accompagné de ses amis et de gens du parti ultralibéral qui accouraient saluer de leurs applaudissements une expédition inouïe dans les siècles civilisés.

(1) V. le rapport officiel du ministre des affaires étrangères de Naples, inséré dans la protestation contre l'expédition de Garibaldi; les télégrammes du 5 au 12 mai, de Turin, Gênes, etc.; la lettre du 5 mai d'un Garibaldien à un ami de Garibaldi à Newcastle; la lettre de Ricciardi du 8 mai dans le Siècle Times. Ces documents ont été publiés par les principaux journaux de France et d'Angleterre.

et celle du 10 de Turin dans le

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Garibaldi dirigeait tout en personne et procédait d'autorité à l'embarquement. À 4 heures de l’après midi, les apprêts étant terminés, le général rejoignit l'expédition à bord du Piémont qui transportait une cargaison d'armes et de munitions. On mit sur les deux bâtiments six canons rayés, embarqués à la plage de Nervi: un navire grec se trouvait encore là rempli de provisions de guerre qui en faisaient une espèce d'arsenal militaire. — L'un des deux vapeurs vint le prendre à la remorque (1).

Au moment de mettre à la voile, Garibaldi publia l'ordre de jour suivant: «Au corps des chasseurs des Alpes. — La mission de ce corps sera accomplie, comme elle l'a été jusqu'à présent, par la plus complète abnégation et«par la volonté de régénérer notre patrie. Les braves chasseurs des Alpes ont servi et serviront leur pays avec plus de discipline et d'ardeur que les meilleures troupes du monde, sans espérer d'autre récompense (pie celle d'une conscience intacte. Ce ne sont ni les grades, ni les honneurs, ni la solde qui les encouragent au métier des armes. Quand le danger sera passé, ils retourneront à leur vie privée: mais à présent que l'heure du combat est venue, l'Italie doit les contempler au premier rang, joyeux, résolus et prompts à verser leur sang. Le cri de guerre des chasseurs des Alpes est le même qui retentissait sur les rives du Tessin: «Italie et Victor Emmanuel.» Ce cri proféré par nous inspirera la terreur

(1) V. les documents cités dans la note précédente.

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 à tous les ennemis de l'Italie» (1). Garibaldi avait déjà adressé d'autres proclamations de Gènes aux peuples d'Italie, afin que des insurrections partielles, éclatant dans l'Ombrie, dans les Marches, dans la Sabine, dans la Campagne de Rome et dans le royaume de Naples, divisassent les forces de l'ennemi et rendissent plus certain le triomphe de l'expédition de Sicile. Aux Romains il adressa le manifeste tout particulier que voici: «Romains, leur disait-il, demain les prêtres de «Lamoricière vous diront que votre territoire a été envahi par des Musulmans. Ces Musulmans sont les mêmes qui ont combattu à Montevideo, à Rome, en Lombardie, et dont les noms seront répétés avec orgueil par vos petits enfants, quand la destruction de la double tyrannie de a l'étranger et du prêtre vous permettra de les leur rappeler, etc.» (3).

A ce langage, on comprend que c'est Garibaldi qui parle. Il avait lancé cette proclamation en vue de l'expédition insurrectionnelle des États romains qu'il avait confiée au sanguinaire Zambianchi; expédition pour laquelle il avait fait débarquer à Montalto, dans la Maremme romaine, 400 des siens. Ceux ci se dirigeant du côté de Corneto et de Toscanella, dans la province d'Orvieto, devaient former dans les districts les plus montagneux un premier noyau d'insurrection. Mais quatre-vingts gendarmes pontificaux les chargèrent vaillamment, les battirent à Montefiascone et les rejetèrent en désordre dans l'intérieur de la Toscane (3).

(1) Cette proclamation de Garibaldi el les autres du même général se trouvent, dans les feuilles» principales d'Italie, de France et d'Angleterre.

(2) Ce document établit que les promoteurs de la révolte de 1860 sont les mêmes qui soutinrent en 1848 l'infâme guerre de la république romaine.

(3) V. les dépêches de Home du 19 et 20 mai 1860: la relation du général Pimodan et la protestation du cardinal Antonelli, outre les correspondances de Rome du 11 et du 16 mai, publiées dans le Tablet du 26 mai 1860.

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Revenons à l’expédition de Sicile.

Sur les sept heures du matin, les trois bâtiments pavoisés, suivis d'un vapeur de commerce anglais, partirent du golfe de la Spezia, capturèrent en roule le Giglio, petit aviso de guerre toscan, qui était à l'ancre dans le port de Livourne; puis avant embarqué les volontaires qui attendaient là pour faire partie de l'expédition, ils naviguèrent par Piombino, Talamone, Port S. Étienne, etc. anciens forts et petits ports qui formaient dans le temps l'État des Presidii.

L'expédition s'y approvisionna de charbon de terre, d'armes et de munitions, et déposa, comme nous le disions plus haut, des hommes et du matériel de guerre à Montalto; ensuite les deux vapeurs, le Piémont et le Lombard, qui avaient à bord 800 hommes et Garibaldi luimême, naviguèrent vers la Sicile dans la direction de Marsala; les autres se dirigèrent vers d'autres points de l'île pour y introduire des gens armés et des munitions de guerre (1).

Aussitôt que l'on connut en France les apprêts et les intentions de Garibaldi, le ministre, M. Thouvenel, en donna avis au comte de Cavour qui, naturellement, tit la sourde oreille (2). De Naples partirent aussi pour Turin maintes réclamations contre ces préparatifs de Garibaldi à Gênes, à Turin, à Milan, à Livourne et à Sienne, préparatifs évidemment hostiles à l'État des Deux Siciles. Mais Ml de Cavour répondit d'abord d'une manière évasive; puis il sembla promettre d'empêcher l'expédition: mais il n'en fit rien. Garibaldi put donc accomplir tranquillement toutes

(1) Outre les documents cités, V. la corresp. de Turin du 11 mai dans le Times.

(2) V. la corresp. de Naples du 12 mai dans le Times.

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ses opérations, sans que personne vint le troubler ni le contrarier (1). A peine cependant eut-on la nouvelle de l'expédition garibaldienne à Marsala, que le chevalier Caraffa, ministre des affaires étrangères à Naples, adressa la protestation suivante, dont nous croyons devoir citer la partie la plus importante:

Naples, 12 mai 1860.

«Un fait de la plus sauvage piraterie vient d'être consommé par une horde de brigands publiquement enrôlés, organisés, armés clans un État non ennemi, sous les veux du gouvernement de cet État, malgré les promesses que celui ci avait faites de l'empêcher. Le gouvernement du roi, mon maître, avant été informé des préparatifs qui se poursuivaient avec l'audace la plus impudente, à Gênes, à Turin, à Milan, à Livourne et à Sienne pour une expédition contre ses États, ne tarda pas à appeler l'attention du gouvernement piémontais sur l'attentat qui se commettait contre le droit des gens et les obligations internationales. Ses réponses furent d'abord évasives, puis il finit par promettre d'empêcher cette expédition. Le gouverne m eut royal se fit un devoir de ne pas mettre en doute. la sincérité des déclarations portant le caractère des rapports de bonne intelligence et d'abstention réciproque de toute intervention, que nous avons l'intention de maintenir. Néanmoins, le gouvernement du roi continua à surveiller les projets de ces factions qui s'étaient réunies à Gènes et à Livourne dans un but bien connu, et il suivit toutes leurs opérations dont cette protestation renferme un récit abrégé.

(1) V. plus bas la protestation du chevalier Caraffa ministre des affaires étrangères, à Naples.

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«Mais, tandis que nous nous flattions de l'espérance de voir empêcher le départ de ces pirates, leur embarquement s’effectua à Gênes et à Livourne sur trois bâtiments de commerce, deux piémontais et un anglais et ils prirent la direction de Marsala...» Le ministre poursuit l'historique de ce qui s'est passé tant à Gênes qu'à l'arrivée à Marsala, puis il conclut en disant: «quelles que soient les conséquences futures d'un pareil attentat accompli au mépris de tous les droits et en violation de toutes les lois internationales, d'où résultera peut être pour l'Italie entière une sanglante anarchie et pour toute l'Europe une longue perturbation, la responsabilité en pèsera sur les auteurs, les promoteurs et les complices de la plus barbare des invasions, etc. (1).

Les puissances étrangères, par le moyen de leurs ambassadeurs à Turin, présentèrent aussi au comte de Cavour leurs protestations contre l'expédition de Sicile. La Russie parla haut, en qualifiant cette expédition d'une infraction manifeste à la neutralité du royaume (2). La France, sans avoir précisément mis à la charge du cabinet de Turin la responsabilité directe du fait, ne laissa pas d'accuser sa négligence inouïe et peu justifiable et d'exposer les tristes résultats qui s'ensuivraient (3). Quant à la protestation du ministère de John Russell, la couleur en est toute différente. On peut dire que le cabinet britannique ne fit autre chose que de conseiller plus de prudence au comte de Cavour (4). Cependant, suivant le contenu des deux dépêches du 22 et du 26 mai adressée par Lord Russell Hudson, Turin et de la note qu'il envoya au comte de Cavour avec sa dépêche du 26, le noble lord recommanda au noble comte de s'abstenir de toute agression contre l'Autriche et contre le royaume de Naples;

(1) Ce document fut publié par la plupart des organes de la presse.

(2) V. la corresp. de Turin du 11 mai 1800 dans l'Express.

(3) V. le Courrier du dimanche et le corresp. de Paris du 12 mai au Times.

(4) V. la corresp. de Turin à l'Express, déjà citée, et celles qui furent adressées au Times le 11 elle 12 mai.

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 et il enjoignit à son ambassadeur d'avoir à lui envoyer une déclaration formelle sur ce point et sur d'autres qu'il lui recommandait dans la susdite note (1). Le gouvernement de Turin, assiégé de tant de protestations, n'en fut pas déconcerté; travaillant à son ordinaire avec l'art de l’hypocrisie et du mensonge, il ordonna au marquis de Villamarina, ambassadeur à la cour de Naples, de protester solennellement, au nom de la Sardaigne, contre l'accusation de complicité que M. Caraffa avait lancée au Piémont, et la qualifia de fausse et injurieuse (2). A M. Thouvenel, il fut répondu que le gouvernement piémontais, comme celui de France, réprouvait l'acte de Garibaldi, que ee gouvernement avait été surpris de son départ, quand Garibaldi lui avait promis de le différer; il promettait ensuite de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher le départ d'une seconde expédition (3). 11 fit en outre publier dans la Gazette piémontaise, un article qui fait honneur à l’hypocrisie du comte de Cavour. Le 30 mai il déclara au gouvernement britannique qu'il s'abstiendrait de tout acte d'agression tant que le principe de non-intervention serait maintenu; mais qu'il ne pourrait empêcher les manifestations de sympathie pour le peuple des Deux Siciles (1).

Voici l'article en question: «Le gouvernement a désapprouvé l'expédition de Garibaldi et s'est efforcé d'en empêcher le départ, en faisant usage des moyens que suggéraient la prudence et les lois.

(1) Les dépêches oui été déposées par John Russell dans les Chambres de Londres en Février 1861,

(2) V. la dépêche de Naples du 15 mai 1800.

(3) V. le Courrier du Dimanche, 1. c. le Times, 1. c. et les Débats h la même date du 12 mai.

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Les bâtiments de guerre Sardes avaient reçu l'ordre d'empêcher le débarquement; mais ils n'y avaient pas mieux réussi que la flotte napolitaine qui croisait dans les eaux de Sicile. L’Europe sait que le gouvernement du roi ne cache point sa sollicitude pour la commune patrie; mais en même temps il comprend et respecte le principe du droit international et il croit que c'est son devoir de le faire respecter dans l'État, de la sécurité duquel il est responsable (2).» Conformément à cette déclaration, M. de Cavour fit transmettre les instructions opportunes aux consuls de Sicile, qui de ce moment changèrent, au moins en apparence, leur conduite et leur langage.

En vérité, nous ne concevons pas l'impudence inouïe avec laquelle le comte de Cavour osa dire et faire dire ces mensonges solennels dans ses instructions diplomatiques, mensonges dont l'évidence ne peut servir qu'à mieux démontrer à l'Europe l'imposture et la perversité de sa politique. Comment M. de Cavour pouvait-il blâmer sincèrement un fait qui était la conséquence nécessaire des actes de son gouvernement, et un des points du grand projet de la fusion italienne qu'il avait fait serment de favoriser? A qui donc voulait-il persuader que Garibaldi, en cédant à des instances (qui ne lui furent jamais faites), eût promis de différer son départ? Et d'ailleurs, supposera-t-on M. de Cavour assez simple pour s'en rapporter aux promesses dilatoires de Garibaldi, quand les faits prouvaient manifestement le contraire? Ne continuait-on pas à transporter publiquement par Gênes les armes destinées à l'expédition de Sicile?

(1) Celle dépêche fui aussi communiquée officiellement aux chambres britanniques par John Russell.

(2) Gazette piémontaise du 18 mai 1860.

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N'y voyait-on pas arriver à la face du soleil les aventuriers qui en devaient faire partie? Ne circulaient-ils pas armés dans la ville, sans appartenir d’ailleurs à un corps militaire quelconque? Le jour du départ fut différé, en effet, plusieurs fois, à défaut de pouvoir disposer à temps des bâtiments de transport et parce que tout n'était pas prêt. Mais M. de Cavour prétend avoir été surpris par le départ de Garibaldi. L’entendrez-vous sans rire? Risum teneatis, amici? Tout Gênes, bien plus, tout le Piémont connaissait le jour définitif du départ; il se fit avec solennité, les volontaires, comme nous l'avons dit, s'étant rendus à Gênes, en compagnie d'une foule de parents et d'amis; le bon M. de Cavour était seul à l'ignorer. Quelle ingénuité d'enfant! En outre, l'embarquement ne s'effectua pas en un clin d’œil: on mit, pour charger les bâtiments, depuis 3 heures de l’après midi jusqu'à 4 heures du lendemain matin; il s'écoula trois autres heures avant que les bâtiments levassent l'ancre; est-il croyable qu'en 16 heures il ne soit arrivé à M. de Cavour aucune dépêche de Gênes avant rapport à l'embarquement du corps de Garibaldi? Et si M. le comte reçut quelque dépêche de ce genre, comment s'expliquer que l'exécution du départ l'ait surpris? Ou pourquoi n'ordonna-t-il pas immédiatement de retenir les volontaires, au besoin par la force, comme il l'avait plus d'une fois promis au gouvernement de Naples? Pourquoi n'envoya-t-il le vaisseau de guerre la Sardaigne, Foce menaçassent de les coulera fond, s'ils osaient lever l'anere? S'il ne reçut pas celte dépêche, supposition à peine admissible, il aurait dû,

s'opposer au départ qu'après que les bâtiments s'étaient éloignés du golfe de la Spezia? pourquoi ne commanda-t-il pas plutôt que les batteries de la

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longtemps à l'avance, donner les ordres convenables aux autorités civiles cl militaires de Gênes, les rendre entièrement responsables du fait et les soumettre à un jugement sévère, pour avoir manqué si gravement à leurs devoirs. M. de Cavour ne lit rien de semblable.

Mais pouvait il le faire, lui qui était complice de l'expédition? Aussi les cent premiers volontaires armés qui montaient les deux bâtiments affrétés pour eux, s'embarquèrent dans le port même de Gênes, en passant sous le nez des sentinelles et en face des vaisseaux de guerre piémontais. Est-il possible que M. de Cavour, qui affirme devant l'Europe n'avoir rien épargné pour empêcher l'expédition, n'ait donné dans une affaire de cette importance aucune instruction aux autorités de ce port et de cette place? Que si ces autorités ne bougèrent ni ne soufflèrent mot contre Garibaldi, c'est un signe évident qu'elles avaient reçu ordre de ne s'opposer ni à rembarquement ni au départ de l'expédition. Et n'est-ce pas ce qu'ont dit, bien qu'à demi-mot, les volontaires mêmes de Garibaldi? «L'embarquement, écrivait l'un d'eux, le 5 juin, à un des amis de Garibaldi en Angleterre, l'embarquement couvre l'espace de presque cinq milles de longueur sur la plage. Cela nous a donné des embarras interminables, mais nous ne pouvions faire autrement par la raison que, tout en étant à demi consentant à nos opérations, le gouvernement ne peut nous permettre ouvertement de nous embarquer, sans encourir le reproche de complicité.» Mais que pouvait faire de plus M. de Cavour pour aller jusqu'à une permission formelle? Il n'y manquait qu'un décret. Une autre lettre de Turin, datée«lu 10 et insérée dans le Times, porte ce qui suit:

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«Quelles qu'aient pu être les appréciations du gouvernement Sarde en ce qui concerne l'opportunité de l'entreprise, il ne peut, ni ne veut mettre aucun obstacle soit à l'enrôlement des volontaires, soit à la préparation des moyens nécessaires à notre succès (1).»

Sans cela, comment Garibaldi se serait-il procuré, des forts de l'ancien État des Presidii, des armes et des munitions? Ne lui fallait-il pas pour cela l'autorisation du gouvernement? Nous savons que l'ambassadeur russe à Turin, pour ôter toute réplique à M. de Cavour, lui mit sous les veux un écrit signé de deux ministres piémontais, par lequel on enjoignait au commandant du fort d'Orbitello de donner au colonel Tùrr, chef d’état-major de Garibaldi, les armes et les munitions qui lui seraient nécessaires. Nous savons que M. le ministre, en se voyant montrer ce papier, demeura un instant sans parole(2). Et puis, de qui Garibaldi obtint-il les canons qu'il embarqua à Gênes? Ces instruments de guerre auraient-ils été par hasard abandonnés sur la plage pour servir au premier venu qui voudrait les transporter? Qu'on nous dise donc quels moyens aura employés M. de Cavour pour s'opposer aux apprêts et au départ de l'expédition? Qu'ensuite les vaisseaux de la flotte piémontaise aient reçu ordre d'empêcher Garibaldi de s'embarquer, voilà ce qui reste à prouver. Le fait est que deux ou trois vaisseaux delà marine militaire du Piémont, envoyés en Sicile au mois d'avril 1860, amarrèrent dans le port de Palerme pour affermir et encourager la révolution, et que, si quelqu'un de ces vaisseaux se mit en mouvement le long du littoral de cette île, ce fut manifestement pour communiquer

(1) Times. Lettre déjà citée. D'autres lettres du Times et de l'Opinion nationale,s'exprimaient dans le même sens.

(2) Corresp. du 15 mai de Turin à l'Union, qui affirma la vérité du fait, celte corresp. fui reproduite par d’autres journaux. V. le Monde du 20 mai 1800.

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les instructions convenables aux agents sardes et pour exciter l'esprit des populations. Et c'est de quoi eurent fort à se plaindre les autorités de Sicile. On aura beau nous dire que la flotte napolitaine elle même n'empêcha pas le débarquement des volontaires garibaldiens. Outre (pie les raisons de ce fait n'ont rien d'honorable pour le Piémont, cela n'excuserait pas le gouvernement de M. de Cavour, à moins qu'il ne fût démontré que la flotte sarde a reçu les instructions conformes aux allégations justificatives du noble comte et qu'elle a fait son possible pour les exécuter. En outre, l'expédition de Garibaldi aurait dû, au moins, ouvrir les veux à M. de Cavour; il aurait dû prendre à temps des mesures efficaces pour prévenir la seconde expédition que le colonel Medici préparait à Gênes; et cela d'autant plus que le même M. de Cavour s'était engagé d'honneur avec la France. Mais que fit-il pour empêcher le second envoi de volontaires? Que fit-il pour arrêter mainte autre expédition semblable qui de Gênes, de Livourne, de Cagliari allait rejoindre Garibaldi en Sicile? Du mois de mai au mois de septembre, il partit de ces différents ports jusqu'à 25,000 hommes,destinés à guerroyer en Sicile et commandés par des officiers de l'armée sarde et par plusieurs membres du parlement de Turin (1).

Mais à quoi bon insister sur ce point? Le Piémont, heureux maintenant du butin acquis, non seulement avoue lui même; il exagère les secours de tout genre donnés à Garibaldi

(1) V. la note expédiée de Gaëte le 10 sept. 1860 aux représentants des cours étrangères.

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et s'arroge le mérite de l'expédition (1).

Excessive nous paraît donc avoir été la simplicité de M. Grandguillot, lors-qu’avant assumé en ce tempslà la mission d'excuser la conduite de M. de Cavour, il crut pouvoir le disculper, en disant que l'expédition de Garibaldi était contraire aux intérêts du Piémont; mais qu'elle avait pour chef un homme qui, représentant un grand parti populaire, n'aurait pu être empêché par la force du gouvernement piémontais (2). M. Grandguillot écrivait avant que les desseins de M. de Cavour se fussent produits sous des contours arrêtés; cependant il était facile de comprendre dès lors que les intérêts du Piémont n'auraient pas trop à souffrir d'un accroissement de 10 millions d'habitants, et de trouver là par dessus le marché un prétexte pour incorporer le reste de l'Italie. Comment M. Grandguillot voudrait-il nous faire croire que le Piémont ne pouvait comprimer de force Garibaldi, quand M. de Cavour, pour justifier l'invasion du royaume de Naples, en donnait cette grande et principale raison que le Piémont seul serait capable de soumettre la révolution? N’avons-nous pas vu que, du jour où Garibaldi prétendit retarder l'annexion de l'Italie méridionale et aller ainsi à rencontre des plans de VI. de Cavour, M. de Cavour lui ferma la source des secours d'hommes, d'armes et d'argent qu'il lui avait ouverte dans les États sardes et le contraignit à céder la dictature? Lorsque ensuite le Piémont fut maître de Naples, AI. de Cavour ne désarma-t-il pas d'un seul coup l'armée garibaldienne, qui certainement ne se composait pas alors de ce millier d'hommes qui se trouvaient le o mai autour du palais Passano?

(1) Corresp. du 10 janv. 1861 de Turin au journal des Débats.

(2) Constit., du 11 mai 1860.

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M. de Cavour eut il peur en ce moment d'affronter les réclamations et les colères, et ne se crut-il pas de force à tout mépriser? Nous pensons, nous, qu'en 1861 le comte Cavour n'aurait pas accepté la défense que M. Grandguillot lui consacrait en 1860; et l'orgueil de M. le ministre se serait mal accommodé du compliment d'avoir été à la queue et non à la tête de l'entreprise de Garibaldi.







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