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Invitiamo gli amici e i naviganti che masticano un po' di francese a leggersi questo testo: si tratta di un reportage in presa diretta dall'ex Regno delle Due Sicilie, scritto nel 1865 da Oscar De Poli. Si tratta ovviamente di un legittimista, l'autore sta dalla parte dei Borbone e non lo nega.  

Per il Sud gli anni descritti sono terribili, sono gli anni che crearono la questione meridionale, gli anni in cui i meridionali devono decidere da che parte stare: o carcerati o carcerieri.

Si chiudono o si svendono gli opifici, si razziano attraverso meccanismi perfettamente"legali" le nostre riserve monetarie drenandole verso il nord. Il neonato esercito italiano si comporta come un esercito di occupazione, migliaia di fucilazioni senza processo o con processi sommari, carcerazioni illegali, deportazioni.

Una pagina nera ignota ai più, le cui conseguenze sono davanti ai nostri occhi ancora oggi: un paese di avventurieri senza rispetto per la cosa pubblica, una classe politica meridionale serva di interessi stranieri, una magisatratura imbelle allora selezionata fra incapaci e arrivisti.

Abbiamo letto tanti libri ma questo testo ci ha profondamente colpiti, vi abbiamo ritrovato tutti i difetti di questa Italia che si avvicina ad una celebrazione - il centocinquantenario - che non entusiasma nessuno.

Buona lettura e tornate a trovarci.



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VTE OSCAR DE POLI
DE
NAPLES A PALERME
(1863-1864)

(1)

PARIS

LIBRAIRIE   PARISIENNE
DUPRAY   DE  LA   MAHÉRIE, ÉDITEUR
6   RUE   DE MEDICIS

1865
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos
Religion
Armée
Justice
Finances
Presse
Moralepublique
Prisons
Les Brigands
Unité et autonomie
Les lieutenants piémontais
Conclusion
page

AVANT-PROPOS

C'est la seconde fois, depuis deux années, que j'accomplis ce douloureux pèlerinage, cachant mon nom, mon passé, ma nationalité même, allant de la chaumière au château, du palais à la mansarde, du foyer intime aux centres publics, interrogeant le pauvre et le riche, le commerçant et le gentilhomme, écoutant le prêtre, le soldat, l'artiste, et, pour la seconde fois, avec l’énergie de l'homme d'honneur convaincu, j'affirme que de Naples à Palerme, dans les villes comme dans les villages, la Voix du peuple ne fait entendre qu'un long cri de haine et de réprobation.

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Il serait trop commode, en vérité, d'escamoter brutalement un trône, une nationalité, l'histoire et le bonheur d'un peuple, si ce peuple ne devait, de la plume et de l'épée, protester contre la plus odieuse des usurpations. Il serait trop aisé de lui nier son droit et son devoir— la justice et la religion — si le châtiment ne suivait les triomphes impudents, si l'ovation soudoyée ne devait finir aux gémonies.

J'ai prononcé le mot de religion. En admettant que le piémontisme eut véritablement. en vue le bonheur de la péninsule italique, que devait-il faire pour l'assurer? L'unité étant le principe admis et le but à atteindre, il fallait, de première nécessité, ménager, fortifier, encourager, dans les populations, le seul sentiment commun qui les unit depuis les Alpes jusqu'à l'Adriatique; il fallait fonder l'unité sur le terrain de la religion catholique, apostolique et Romaine. Au lieu de cela qu'a fait le piémontisme? Il a payé des journaux pour insulter à tant par ligne la religion du Christ et son représentant sur la terre; il a honteusement annexé, en dépit de toutes lois et de tous traités, les plus riches provinces du domaine pontifical; il a emprisonné les prêtres et les évêques; il les a brutalisés, spoliés, chas ses; il a décoré et pensionné les prêtres athées; il a changé en casernes, en prisons, en écuries, et parfois en maison de débauche, les couvents, les hospices et les églises; enfin, pour comble d'audace et d'injure, il a mis, dit-on, sa croix d'honneur sur la poitrine du

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sacrilège auteur de la Vie de Jésus!... — En admettant la possibilité de l'unité, ne peut-on dire que les hommes du Piémont ont brisé le seul lien qui la rendit possible entre des populations si divisées d'origine, de traditions et de mœurs? Aujourd'hui, en effet, grâce à ce système révolutionnaire, c'est-à-dire anti-catholique, grâce à ce terrorisme sans précédent en Italie, le Piémont en est arrivé à n'avoir plus aucun point de contact avec les provinces annexées au nom de l'unité; en dehors de ses sbires, de ses séides et de ses mercenaires, il ne trouve plus une sympathie; la solitude se fait partout autour de ses dignes lieutenants; le nom Piémontais a endossé, dans les Deux-Sicilies, une ignoble signification et rien n'y égale d'ailleurs la somme de ses méfaits, si ce n'est la somme de haines sourdes et de vengeances impatientes qui mine le fragile édifice de son unité.

Que disait le roi Victor-Emmanuel, dans cette fallacieuse proclamation qu'il adressait d'Ancône aux hommes de Naples et de Palerme? Il promettait de restaurer chez eux la morale et la liberté. Un mois plus tard, la mémoire du régicide Milano était réhabilitée au nom de Victor-Emmanuel môme; et, pour ce qui est de la liberté, l'Europe entière le sait, depuis trois ans les prisons piémontaises sont encombrées à ce point que le typhus y fait plus de ravages qu'une légion de bourreaux, fussent-ils même Pinelli, Fumel ou Cialdini. — On promettait aux États annexés une sensible et durable diminution des impôts, découlant tout naturellement

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de l'unité d'administration à l'intérieur et de représentation à l'extérieur. Or, la somme les impôts que paye actuellement le royaume d'Italie, sans parler de son effroyable déficit, est le double de ce que payaient avant 1860, les États annexés, et le roi d'Italie, à lui seul, louche annuellement quatre ou cinq millions de plus que ne touchaient ensemble tous les souverains italiens. Ajouterai-je que la révolution, en jetant ses hommes sur le pavois, néglige trop souvent de leur inculquer la probité? Il faut voir ces tristes parvenus à la curée! Le seul d'entre eux qui voulait mourir pauvre a perdu la raison, mais il a gagné plus de cent mille livres de rente dans ce bienheureux royaume d'Italie! Combien donc ont gagné ceux qui ne voulaient pas mourir pauvres?

Les seules économies qu'ait importées le Piémont, je ne lui ferai pas la grâce de les taire; en réalité ses économies sont des infamies; car elles ne portent en général que sur d'anciens soldats napolitains, d'anciens employés, des infirmes, des vieillards, naguère pensionnés par les Bourbons,, et réduits, sous te régime régénérateur, à mendier ou bien à mourir de misère.

Le piémontisme s'est trouvé en face de populations religieuses et morales dont l'esprit était sa condamnation suprême. Alors il a frappé la religion dans ses prêtres et dans ses biens; il a donné des primes à l'impudeur et à la débauche. Du fond des officines impures de la haute Italie, il a écoulé un torrent de livres

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infâmes, de gravures obscènes, et surtout de photographies d'une grossière immoralité. Il avait décoré Renan; il a fait pis: le photographe de ces ordures a reçu la croix des Saints Maurice et Lazare.

«Nous de serons maîtres de l'Italie méridionale, a dit un député piémontais, qu'à la condition de détruire la génération actuelle.»

Ce funèbre et cynique propos éclaire, dans son vrai jour, la conduite des conquérants subalpins; il explique comment et pourquoi leurs ministres ont érigé en système de gouvernement les arrestations et les déportations en masse, les conspirations salariées, l'incendie, la ruine, la fusillade, les massacres en un mot le despotisme du sabre; et de quoi n'est capable le sabre qui a peur?— C'est un 93 à petit feu.

«Faites fusiller, écrivait le comte Cavour à l'amiral Persano, le 22 octobre 1860, faites fusiller! Le temps des grandes mesures est arrivé!»

C'est là le seul article que les successeurs du trop fameux homme d'État piémontais nient retenu de son testament politique; ils fusillent pour faire l'unité, et ils ne voient pas qu'elle glisse et se noiera dans le sang. Après tout, que leur importe que l'Italie soit ruinée, s'ils peuvent asseoir leur fortune sur les ruines de l'Italie? Qu'importent aux Tartufes et aux Turcarets politiques les souffrances du peuple qui les engraisse? Le tumulte des fêtes officielles étouffe longtemps la voix du juste qui maudit et menace; mais vient l'heure

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inévitable où se réalise l'aphorisme prophétique qu'on lit au préambule de la constitution des États-Unis: «Le peuple endure l'oppression jusqu'à ce qu'elle devienne insupportable, et la révolte est toujours le dernier terme de ses souffrances!»

Enfin quel est-il, le bilan des félicités morales et politiques apportées par les régénérateurs au peuple des Deux-Sicilies? Car, une fois pour toutes, il nous faut bien regarder en face ce rare amas de monstrueuses dilapidations et de meurtres sauvages

Quarante millions de ducats soustraits au trésor et partagés entre les héros et les martyrs de contrebande;

La perte de la flotte nationale, la plus nombreuse et la plus florissante de l'Italie;

Cinquante millions de ducats de matériel de guerre et de munitions soustraits des forteresses;

Les palais royaux, ou, pour mieux dire, nationaux de Naples, Portici, Caserte et CapodiMonte, pillés ou prostitués;

Les ateliers de Pietrarsa vendus a un Piémontais;

Les lieux de piété impudemment spoliés, et leurs revenus gaspillés;

La fortune privée diminuée de moitié par l'abaissement de la rente de 120 à 69;

Les impôts absorbant 80 pour 100 de la propriété;

Des milliers d'employés publics réduits à la mendicité par suite d'injustes destituions;

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Plus de 80,000 prisonniers politiques, au dire même de lord Cockrane;

Dix mille hommes et femmes fusillés ou tombés dans les combats;

Une police tyrannique, tracassière, imbécile et voleuse;

Une presse vendue ou bâillonnée;

Le secret de toutes les lettres effrontément violé;

L'odieux triumvirat de Rodolphe d'Afflitto, de Joseph Colonna et de Nicolas Damore, devenus grands propriétaires par la grâced'État;

La sûreté publique anéantie, l'agriculture abandon née, le commerce abattu;

Cent vingt mille baïonnettes, sans compter des nuées de sbires visibles ou secrets;

Un incalculable déficit;

Vingt-huit villes ou villages mis à feu et à sac par les libérateurs;

L'irréligion et l'obscénité mises à l'ordre du jour;

Des lois d'exception, lois draconiennes, sauvage, barbares, approuvées et votées par un parlement plus odieux encore que stupide;

Une magistrature ignare et vendue;

L'instruction publique confiée à des hommes mm foi ni science;

Le régicide glorifié et pensionné héréditairement.

Ah! je pourrais grossir encore ce lugubre catalogua des hontes et des crimes de l'invasion piémontaise;

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mais en vérité la plume s'y refuse, lasse de dégoût et d'horreur.

Ce n'est pas encore assez, pour ces hercules de la morale et de la liberté, ce n'est pas assez d'emprisonner les suspects, de leur river au pied et au poing la chaîne et le boulet, ce n'est pas assez de faire la chasse aux brigands, c'est-à-dire aux Napolitains fidèles à leur patrie, et de les fusiller par milliers! Il faut que le piémontisme descende aux plus infâmes stratagèmes et raffine la calomnie jusqu'à inventer des pièges ignorés, — de fausses conspirations de Serracante, — à moins toutefois, qu'il ne les ait renouvelés de Vidocq! Il faut soumettre les consciences mêmes à l'interrogatoire, à l'aide de ruses ignominieuses; il faut avilir, anéantir tout ce qui n'a pas l'impudeur d'arborer la cocarde du civisme unitariste; il faut, ne l'a-t-on pas crié de Turin, il fait absolument, si l'on veut régner de Naples à Palerme, y détruire la génération actuelle!

Les lieutenants subalpins ont raison de le proclamer: N'être pas contre le brigandage c'est être contre eux.— Mais ils ont beau multiplier les placards insultants et les exécutions sommaires, ils ont beau semer les pensions ministérielles et les décorations piémontaises, les populations sont unanimement avec les brigands, de cœur au moins sinon de corps. L'hiver même ne ralentît pas la lutte, et, tandis que des factionnaires sardes meurent de froid la nuit, dans les guérites de flapies, des enfants de la patrie campent fièrement,

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autour du drapeau national, sur le Vésuve et le Taburne. Dans un seul jour du mois de janvier, vingt et une rencontres avec les bandes sont signalées télégraphiquement au commandant général de Naples, et de colère, il brise sur son bureau dictatorial cette plume burlesque qui, hier encore, déclarait au parlement qu'il n'existait dans les Deux-Sicilies que quatre cent trente-neuf brigands.

La rapidité du succès a certainement tourné la tète aux hommes de la révolution italienne; car, depuis leur apogée, ils ne cessent d'entasser faute sur sottise, crime sur maladresse, honte sur honte. Ainsi, diminuer systématiquement le nombre des généreux défenseurs de l'autonomie, n'est-ce pas démontrer l'impuissance et la couardise de l'armée d'occupation, ou se donner bien gratuitement un brevet de mensonge? Le lecteur hausse les épaules, en se rappelant que, depuis trois ans, les journaux piémontistes ont annoncé triomphalement à l'Europe la capture ou la mort de deux cent quatre-vingt-deux célèbres chefs de bandes, famigerati capibande. Encore cette lugubre statistique est-elle assurément incomplète!

Sait-on bien qui sont les hommes que des bouchers déguisés en généraux, et des apothicaires déguisés en préfets, osent traiter de lâches assassins, de misérables voleurs, de gibier de potence? — Car le Piémont, quand il ne fusille pas, le Piémont pend, à l'instar de l'Angleterre.— J'ai vu les bandes, je les ai étudiées

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surplace, d'après nature, et je veux dire sans partialité ce que je sais, tout ce que je sais, le mal comme le bien.

Les brigands ont écrit sur leur drapeau: religion, légitimité, nationalité comme nos pères les Vendéens, ils combattent et meurent donc pour Dieu, le roi et la patrie. Leurs chefs Chiavone, Schiavone, Caruso, Picciocchi, Romano, sont, pour la plupart, des officiers ou sous-officiers de l'ancienne armée royale napolitaine. Les bandes sont composées de paysans, de déserteurs et de réfractaires. Dans une bande de la Basilicate, j'ai trouvé trois femmes, épouses fidèles et courageuses qui partageront jusqu'à la mort les dangers de leurs maris! Sauf de rares exceptions, les bandes sont organisées militairement, avec clairons et grades. La maraude et toute violence avérées sont le plus souvent punies de mort, sur la décision rapide d'un conseil de guerre improvisé. Les réquisitions deviennent de moins en moins fréquentes, surtout depuis que la rançon des piémontistes grossit périodiquement la sacoche des bandes; et d'ailleurs les paysans fournissent abondamment à tous leurs besoins, sans réclamer la moindre rétribution. Je me souviens que, dans une auberge de Popoli, des paysans attablés près de moi racontaient que les brigands avaient enlevé toutes les provisions d'une ferme du voisinage.

Eh! que voulez-vous qu'ils fassent? s'écria l'un d'eux. Faut-il qu'ils meurent de faim? Après tout, ce

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sont des Napolitains comme nous, et il vaut mieux que ce soient eux qui en aient profité.

— C'est vrai, dit un autre, ou nous fait bien donner de l'argent pour les soldats piémontais!

Le peuple ne considère donc en réalité les brigande que comme les soldats de l'indépendance nationale. Il n'est pas jusqu'au chef de bande Manfra - le seul, je l'affirme, qui n'ait aucun mobile politique et ne tienne la campagne que pour détrousser — qui n'ait la sympathie du paysan; parce que Manfra ne s'attaque qu'aux riches, et principalement parce qu'il a tué plus de Piémontais qu'il n'a de bandits. — Je recommande aux touristes d'éviter les environs de Mercogliano et de Monteforte, dans la Principauté ultérieure; c'est là qu'il rôde constamment, arrêtant, maltraitant, dévalisant, et quelquefois fusillant, tout comme un Piémontais.

En regard de ce chef de bandits, il est consolant do placer ceux des chefs de brigands qui se sont fait un nom dans l'histoire contemporaine, et ne mourront peut-être pas dans l'avenir. Noble victime de l'invasion étrangère, Caruso est tombé sous les balles piémontaises en criant une dernière fois: «Vive Dieu! Vive le roi! Vive Naples!» Avant lui, le sergent Romane avait été sabré, haché, sur la route de Mottolâ, pal la cavalerie piémontaise. A Gioja, dans la Terre de Labour, un vieux paysan mè montra l'endroit ou les vainqueurs exposèrent orgueilleusement, pendant trois jour, ce

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cadavre en lambeaux. Tous les habitants du pays voulurent contempler une dernière fois ces restes méconnaissables de l'héroïque brigand; on venait là comme à un pèlerinage sanctifié par le martyre; les hommes se découvraient, les femmes s'agenouillaient, presque tous pleuraient. Pas une accusation ne s'éleva contre la mémoire du mort, pas un-cri de réprobation ne se fit entendre; il emportait dans la tombe les regrets et l'admiration de ses compatriotes.

— Quelque jour, ajouta le vieux paysan, dans des temps meilleurs, quand vous repasserez par notre pauvre Terre de Labour, vous saluerez une croix de bois placée au bord de la route, et vous y lirez cette inscription: «Le sergent Romano, mort pour Dieu, le roi et la patrie!»

Il me semblait écouter une page ignorée des lettres vendéennes!

Caruso et Romano ne sont plus; mais ils ne manquent pas, les chefs modèles qui ont abdiqué d'avance la vie plutôt que d'abdiquer la patrie et l'honneur; rien ne leur coûte pour échapper au joug de l'oppresseur étranger; soldats obscurs et trop souvent méconnus, ils n'ont rien pour eux de ce qui encourage et récompense les soldats des nations indépendantes; la mort dans un combat inégal, tel est le sort qui les attend, si le malheur ne veut pas qu'ils tombent hachés de blessures et soient fusillés ensuite...—Au fait, c'est la mort du soldat, et c'est la justice suprême

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que rend involontairement le Piémont aux Vendéens des Deux-Sicilies.

Il en est un que son courage, son abnégation et sa droiture ont fait élire pour chef.—J'ai nommé Picciocchi. — Entouré d'une centaine d'hommes résolus, l'héroïque capobanda livre aux Piémontais des combats journaliers; il les déroute, les harcèle, les lasse, les décime; il a juré de combattre jusqu'à l'expulsion du dernier d'entre eux; point de vengeances personnelles, point de rapines; il n'impose ses rançons qu'à ces prétendus libéraux qui, après s'être enrichis dans le royaume, l'ont vendu et livré aux bouffons et aux bourreaux.— Le peuple aime Picciocchi, parce qu'il représente et honore le peuple. Les Piémontais le redoutent, mais ils n'ont pas encore osé le calomnier, et, de peur que la renommée de ce vertueux chef de brigands ne donne le coup de grâce à leurs mensongères allégations, ils ont organisé autour de lui la conspiration du silence. La réputation de Chiavone, de Pilone, est européenne; mais qui connaît Picciocchi? Je l'ai rencontré dans la Principauté ultérieure Les monts Vergine et Taburno lui offrent d'impénétrables refuges; il respire en liberté sur ces cimes napolitaines, à l'ombre du drapeau blanc, et, sous le soleil, à l'horizon bleu, ses yeux découvrent avec une joie amère la ville déchue pour laquelle il mourra peut-être!...

Tels sont les hommes que les affidés du Re-Galantuomo qualifiaient de brigands, comme si le premier

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devoir de tout citoyen n'était pas de défendre, au péril de ses jours, le sol qui Ta vu naître! On leur reproche d'imposer des rançons, des ricatti; mais, je le répète, ils ne frappent que les Piémontais et les Napolitains traîtres à leur patrie. N'est-ce pas le droit du soldat, de vivre aux dépens de l'ennemi? Quoi! vous auriez tout pris à ces hommes, leur pain, leur religion, leur pays, leur liberté, leur honneur, et ils seraient infâmes de vous faire payer les frais de votre odieuse occupation?

Mais, après tout, en rançonnant, les brigands ne font que copier les Piémontais. Qu'on en juge plutôt par les faits suivants:

J'arrivai à Cerignola, en Capitanata, un jour de marché. Une certaine émotion venait de se produire à la nouvelle d'une razzia de réactionnaires, non de ceux qu'on tue, mais de ceux qu'on rançonne. J'appris que dette mesure de salut public était due au patriotisme éclairé du préfet de Foggia.

—Ce n'est plus seulement la vie qu'il demande, me dit l'oncle d'une des victimes, c'est la bourse et la vie!

Un paysan de Stornarella ajouta à voix basse:

—Aujourd'hui nous ne connaissons que trois choses: les impôts, la prison, la fusillade!

A San-Michele de Monte Sant'Angelo, également en Capitanata, on m'indiqua le rez-de-chaussée de la mairie comme servant de prison spéciale pour les

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parents des réfractaires et des réactionnaires en bonne position de fortune.

— Ceux-là, me dit mon guide, recouvreront la liberté, mais à la condition de se laisser impitoyablement rançonner; car le gouvernement, lui aussi, a ses ricatti.

Voilà le gouvernement qui devait restaurer la morale et la liberté! Le dernier de ses syndics joue au César, et pille à l'instar de ses chefs de file. Dans les Abruzzes, a Polistena, le maire menace de faire arrêter comme bourboniennes tous les électeurs qui ne voteront pas pour le candidat du gouvernement; et qui ne sait qu'être bourbonien, c'est être hors la loi, puis bientôt hors la vie? Emprisonner, confisquer, fusiller, tels sont les trois articles principaux du code de la régénération piémontaise.

Il ne serait donc pas trop aisé de tracer le parallèle entre les héros subalpins et les brigands napolitains; qu'un seul trait suffise pour le dessiner. — J'ai visité Auletta, je pourrais dire les ruines d'Auletta. Les brigands occupèrent, pendant trois jours, cette petite ville, sans commettre un seul acte de violence.

Les Piémontais y entrèrent à leur tour, sans rencontrer de résistance, Sans brûler une amorce, et la traitèrent avec une sauvage barbarie. — Il n'est pas une famille d'Auletta qui n'ait à déplorer quelque attentat de la soldatesque...

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vai su


A Barletta, dans la terre de Bari, pendant que j'attendais à la sous-préfecture qu'il plût à quelque montais de viser mon passe-port,—car on doit le faire viser partout, jusque dans les plus petites localités qu'on traverse, — j'eus occasion d'assister à l'interrogatoire d'une vieille femme. — Elle était pâle sous ses cheveux blancs, et courbée sous les années; mais le regard avait encore des étincelles, et je devinais, dans ce corps caduc, une fierté, une énergie indomptables.

Où est allé ton fils? lui demanda brutalement le délégué de police.

Je n'en sais rien, monsieur.

Nous allons écrire au préfet de Potenza, qui saura bien le retrouver dans les bois de Monticchio ou de Lagopesole; car c'est là qu'ils sont tous.

La vieille paysanne gardait le silence.

Quelle est la profession de ton mari? lui demanda le Piémontais.

Vigneron.

— Eh bien! on vendra sa vigne pour payer le remplacement du réfractaire!

Le Piémontais tourna le dos en se frottant les mains, et la vieille Napolitaine sortit, calme et pâle toujours, sans proférer une seule parole.

Je veux rapporter encore le fait incroyable dont je fus témoin à Tarente, dans la terre d'Otrante. — Le recrutement avait pris déjà le fils aine d'un honnête ouvrier de cette ville; son autre fils était au séminaire. — Dans la nuit du 21 au 22 mai, ce jeune homme en

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fut brutalement enlevé, et conduit à bord d'un bâtiment d'État qui appareillait pour Gênes. A la pointe du jour, le supérieur se présenta chez le père, et lui fit part de la fatale nouvelle. Le pauvre ouvrier d'abord refusa d'y croire, et, quand il y crut, il en perdit la raison. Il courait par la ville, en demandant aux passants des nouvelles de son fils. Les uns pleuraient en l'écoutant; les autres cherchaient à le ramener chez lui, mais sans y réussir. L'autorité intervint alors. Des soldats piémontais, la baïonnette au canon, furent chargés d'arrêter ce père infortuné, coupable d'attendrir le peuple. J'ai vu cette chasse.

C'était révoltant! — Puis, vers le milieu du jour, sous un soleil ardent, j'ai revu ce pauvre homme, là tête nue^ menotte, garrotté, attaché sur une charrette qui se dirigeait vers la porte de la ville, et que suivait une foule silencieuse et triste. — J'appris que l'autorité piémontaise l'envoyait à Aversa. Il sera mort en route.

De telles atrocités n'expliquent-elles pas l'ardeur que je mets à stigmatiser l'occupation des Deux-Sicilies par les soldats du roi galant homme, et comment veut-on que je ne sympathise pas avec les martyrs napolitains, avec les brigands, plutôt qu'avec les fauteurs et les auteurs de ces monstruosités?

Pour un instant, j'admettrai même jusqu'à la réalité des crimes imputés aux frères La Gala. Eh bien! quoi qu'ils aient fait, ont-ils jamais poussé l'infamie et la cruauté jusqu'à cribler de cent cinquante-deux

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blessures un jeune homme suspect de feindre le sourd et muet pour s'échapper à leur recrutement?— Les Piémontais ont fait cela à Palerme, et la vieille Europe a dû tressaillir de honte et d'horreur en lisant le récit des tortures infligées à l'infortuné Capello par les régénérateurs de la morale et de la liberté italiennes!

Non, les brigands ne sont pas les vils bandits que nous dépeignent les diffamateurs à gages. Aucun outrage, aucun supplice, mais aussi aucun héroïsme n'a manqué aux petits-fils de Masaniello. — Allez à Ariano, dans la Principauté ultérieure; on vous dira qu'en un seul jour, au mois d'août 1863, les Piémontais fusillèrent sept Napolitains accusés de réaction Parmi eux se trouvait un jeune réfractaire connu et estimé de tous les habitants. Le commandant piémontais, non par pitié sans doute, mais pour obéir au vœu de la population, lui dit d'adresser au roi d'Italie une supplique, dans laquelle il abjurerait son passé et s'engagerait à servir le nouvel ordre de choses; à ce prix, on lui promettait la vie sauve. — Que croyez-vous que fit le briganti. Il refusa d'un seul mot, sans un signe d'hésitation.

—Jamais! s'écria-t-il fièrement. Et quelques instants après, on le fusilla avec les autres.

Quand j'entrai dans Ariano, la population était en deuil par suite de ces sanguinaires exécutions.

—Sept brigands fusillés! me dit un homme du peuple.

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Demain, pour les venger, il en naîtra soixante dix.

Dans la Basilicate, aussi bien que dans le val de Bovino, je trouvais des villages déserts, des fermes abandonnées, des champs incultes. Une fois, mon guide me dit d'une voix triste:

Il n'y a plus d'hommes dans le pays!

Et que sont-ils devenus? demandai-je.

Ils sont morts, ou ils sont en prison, ou ils sont avec les brigands!...

On m'a demandé quel genre de guerre les bandes nationales font aux troupes de l'annexion. Je pourrais rappeler quelques-unes des plus belles pages de la grande épopée vendéenne; mais je préfère emprunter la réponse à l'un de nos adversaires politiques, M. Eugène Pelletan, qui, dans sa lettre à M. de la Forge, intitulée la Tragédie italienne, résout ta question en ces termes:

«... La guerre nationale est de sa nature une guerre spontanée, capricieuse, au hasard de l'imprévu et de l'inspiration. Partout où il y a un homme debout, il y a un soldat, partout où il y a place pour un canon de fusil, il y a une balle tirée. L'ennemi parait-il quelque paît, le tocsin l'annonce de clocher en clocher, et de tous les carrefours de la campagne, et de toutes les haies, et de toutes les bruyères, et de toutes les maisons, et de toutes les futaies, la fusillade pétille à droite, à gauche,

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en avant, en arrière, ne s'éteint ici que pour se rallumer d'un autre côté: cercle mobile de feu qui s'élargit toujours devant l'ennemi lorsqu'il s'avance et se resserre sur lui lorsqu'il se retire. Chaque province n'est plus qu'une immense forteresse à ciel ouvert. Pas une touffe d'herbe qui ne soit une redoute; pas un repli de terrain qui ne soit un retranchement. Le soi est partout miné, partout chargé, l'ennemi n'y peut faire un pas qu'une détonation ne parte sous son pied ou à son oreille. Il erre ainsi à l'aventure, au milieu d'une féerie terrible, où la nature semble armée contre lui pour le repousser du territoire. Le tronc d'arbre, la pointe du rocher est une sentinelle perdue, un tirailleur mystérieux, qui fait toujours feu à bout portant. Il marche dans la fumée de cette perpétuelle embuscade, trouvant la mort à chaque minute sans pouvoir trouver l'ennemi.

«Si un soldat s'écarte pour aller au fourrage, il est tué; si un autre s'arrête un moment pour se reposer, il est mort. L'armée ennemie disparaît ainsi, dévorée homme par homme, au feu d'une perpétuelle bataille prolongée à l'infini, sans trêve ni armistice. Bataille au guet, à l'affût, de détail, de coin de bois, de chaque jour, de chaque minute. Bataille sinistre pour le conquérant, qui traîne mélancoliquement à sa suite toutes ses pièces de calibre, sans pouvoir une minute les mettre en batterie. Bataille laissée en blanc dans tous tes traités de stratégie, bataille de l'inspiration contre la science, mais où la science est toujours prise au dé

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pourvu et le génie dérouté, fût-ce le génie de Turenne. Il n'y a aucun moyen humain de soumettre de vive force un peuple qui entend garder sa patrie.»

Et voilà pourquoi, depuis trois ans, les Piémontais ont perdu plus de quinze mille hommes dans les Deux-Sicilies. Les régiments rentrent décimés, et d'un bataillon tout entier il ne revient souvent que quelques pauvres diables éclopés, tristes débris abandonnés par la pitié des brigands.

Dans les villages dégarnis de troupes ou de sbires, le brigandage se passe absolument comme en famille. Là, tout le monde est brigand, c'est-à-dire anti-piémontais; hommes, femmes et enfants, vieillards, prêtres, gardes nationaux, tous nourrissent la haine de l'étranger et hâtent de leurs vœux la restauration de l'indépendance et de l'autonomie.

Dans une auberge de la Basilicate, je me trouvais assis à côté d'une dizaine de paysans, aux visages énergiques, aux allures martiales. Dans le fond de la salle, il y avait encore cinq ou six étrangers attendant leur voiturin.

Un des paysans, grand jeune homme aux longs cheveux noirs, se leva, mit son chapeau à la main et le tendit successivement aux étrangers, puis à moi-même, en demandant;

— Pour les âmes du purgatoire!

J'avais besoin de me rendre ces hommes favorables; je jetai un ducat dans le chapeau du paysan.

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Il me regarde avec étonnement; puis, se penchant à mon oreille,, il me dit tout bas en riant:

— Vous savez donc ce que c'est? Merci pour nos frères, monsieur!

Que d'esprit, n'est-ce pas, dans ce pieux et Criste surnom des brigands,  les âmes du purgatoire!

En fait de surnoms, on m'a dit que la pauvre Basilicate, à diverses époques, porta celui de «la Terre des Morts.» Les Remontais ont-ils donc juré de lui faire reprendre ce funèbre surnom? — Ah! c'est en vain qu'ils inondent de sang et de ruines ces généreuses campagnes des Deux-Sicilies; le peuple n'est pas avec eux; s'il n'a pas eu, pour les repousser, l'énergie de la première heure, il a du moins aujourd'hui celle d'invincibles espérances. Dans les villes, quand les conquérants lui jettent comme une insulte l'hymne delà maison de Savoie, il répond par le chant des Bourbons ou la Tarentelle de Masaniello. Dans les campagnes, le paysan porte sur la poitrine, avec quelque médaille sainte, une pièce de monnaie à l'effigie de François II. Dans la plupart des chaumières, écartez le rideau du lit, et vous découvrez un portrait, une modeste gravure coloriée; au bas, vous lirez ces mots en italien: «Sainte Marie-Christine de Savoie.»

— C'est sa mère! vous dira le paysan avec un coup d'œil d'intelligence.

Je me souviens que, passant à Naples devant le palais Royal, je demandai à mon cicérone:

Le roi est-il au palais?

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Je n'oublierai jamais l'air ébahi que prit la physionomie du pauvre Napolitain:

—Le roi?... le roi?... répéta-t-il plusieurs fois en baissant la voix. Eh! signorino, ne savez-vous pas que le roi est à Rome?

Oui, François II est le seul roi du peuple; c'est en lui qu'on espère de Naples à Palerme, et déjà combien de brebis égarées sont rentrées au bercail! Plus de 70,000 signatures couvraient, cette année, les adresses d'hommage et de fidélité envoyées au roi lors de l'anniversaire de sa naissance. J'ai vu à Rome l'adresse de Pontelandolfo, la ville saccagée par les régénérateurs; l'adresse de Torre del Greco, la ville saccagée par le Vésuve et secourue par François II; l'adresse de la garde nationale de Naples, signée d'environ 4,000 noms... En faut-il davantage pour éclairer l'opinion sur lés sympathies et la volonté du peuple des Deux-Sicilies, annexé aux Allobroges, à la suite d'une odieuse invasion et d'un burlesque plébiscite?

Vingt-cinq mille électeurs, à en croire les chiffres officiels, ont voté l'annexion du royaume des Deux-Sicilies au royaume de Sardaigne. Or, depuis quatre ans, dix mille Napolitains ont été fusillés ou sont tombés dans les rangs du brigandage; plus de quatre-vingt mille individus gémissent dans les cachots des libérateurs; dix-sept mille Napolitains ont émigré à Rome; trente mille dans le reste de l'Europe;

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de l'aveu même du ministre delà guerre de Turin, la presque totalité des soldais de l'ancienne armée royale des Deux-Sicilies ont refusé de s'enrôler sous le harnais de l'annexion. — Est-ce la voix du peuple, c'est-à-dire la majorité qu'on écoute en tout cela? Eh bien! voilà près de deux cent cinquante mille voix qui protestent, de la prison, de l'exil ou de la tombe, contre la confiscation de l'indépendance et de la monarchie nationales! — Que répondront à ces chiffres les organes du piémontisme? — Ils ne répondront pas.

La rage des lieutenants subalpins atteindra bientôt son paroxysme; ils sentent glisser entre leurs mains cette riche conquête, qui leur a fait verser tant de sang; ils s'épuisent en vains efforts; en crimes inutiles; le glas des Vêpres siciliennes bourdonne sinistrement à leurs oreilles; les proconsuls, autres Damoclès, ne trouvent pas le sommeil dans les palais royaux qu'ils ont accaparés; les cœurs appellent et pressentent l'écroulement de l'édifice infâme que mille Cavour même seraient impuissants à couronner. La Réfection décime les rangs piémontistes à mesure que la confiance s'évanouit et que renaît la conscience. — Un de ces hommes d'État repentis, qui ont contribué le plus directement à la révolution de 1860, me disait, à Naples; «Quand je considère la situation du Piémont chez nous, je pense à la domination turque: elle est morte, mais elle n'est pas enterrée!»

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Ce qu'un ministre piémontais, Massimo d'Azeglio, écrivait, en 1861, au sénateur Maleucci, est plus que jamais vérité:

«Nous avons chassé de Naples un souverain pour y établir un gouvernement basé sur le suffrage universel; mais, hélas! il non faut soixante régiments pour garder ce royaume, et encore ne suffisent-ils pas. Il est désormais évident que, brigands et non-brigands, personne ne veut de nous par là; et je ne crois pris que nous ayons le droit de tirer des coups de fusil à ceux qui ne veulent pas être unis avec nous».

Dans un endroit publie, à Caserte, le hasard me fît lier conversation avec un jeune homme, qui parlait fort le français. Nous en vînmes bientôt à la politique et j'entendis mon l'interlocuteur critiquer avec une sanglante amertume le Piémont et le piémontisme. Voyant que je gardais une certaine réserve, il ajouta:

—Vous êtes étonné de mon langage; vous le serez bien plus en apprenant que je suis Hongrois et que j'ai été garibaldien. Je cherchais les combats et la gloire: je n'ai assisté qu'à des triomphes préparés par la trahison. Je voulais la liberté: j'ai dû river des fers. Je voulais le bonheur du peuple: j'ai contribué à le ruiner et à l'avilir. Enfin, mes compagnons et moi, nous nous attendions à quelque reconnaissance de la part des populations: elles sympathisaient avec les brigands, et nous avons été reçus à coups de fusil. Alors pleinement désillusionnés, nous avions résolu, les uns de repasser en Sicile, les autres d'entrer clans les bandes, quand survint l'ordre de nous licencier.

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On me désigna Caserte pour résidence, avec un subside de deux carlins et... la surveillance de la police. Je pourrais retourner dans mon pays; mais je ne suis juré de réparer le mal que j'ai fait; vienne l'occasion, et je me battrai pour François II.

Je le demande, comment douter de l'avenir en présence de telles manifestations, et surtout eu regard de ce  jeune roi, héros avant l'age, si chevaleresque, si bienveillant, et par dessus tout, si intelligent! Je sais que la partie la plus vile delà presse piémontaise et ses mercenaires échos, obéissant à un mot d'ordre dicte par de justes pressentiment ont essayé, depuis trois ans, détromper l'opinion européenne aussi bien sur la monarchie napolitaine que sur le monarque même. A en croire ces valets, intéressés, François II ne serait rien qu'un prince fainéant, incapable, inerte, inepte, digne par son insouciance même de tous les malheurs et parfaitement indigne de la plus vulgaire sympathie.

François II, dès ses plus jeunes années, laissa percer un caractère précocement réfléchi, naturellement réservé, mais en même temps une énergie intelligente et une intarissable bonté.

La bonté, la bienveillance, sont en effet le fond du caractère du roi; mais aussi, il est peu d'hommes plus généreusement doués, sous le rapport de l'intelligence. J'en appelle à tous ceux qui ont eu l'honneur de l'approcher et d'écouter sa parole douce mais nette,

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bienveillante mais juste, appréciant l'avenir plus intelligemment encore que le passé, et ne laissant au visiteur, parfois défavorablement prévenu, que le droit de l'étonnement et du silence admiratifs.

D'illustres pèlerins, de vieux diplomates, des orateurs renommés, des hommes d'État français ou anglais, amis ou ennemis, sont venus à Rome, et, guidés par cette curiosité qui pousse vers les grandeurs vivantes ou déchues, ils ont brigué l'honneur d'être reçus par le héros de Gaête. Il n'en est pas un qui n'entrât au palais Farnèse avec le sentiment de sa propre valeur, exagéré ou non, avec le sentiment de sa supériorité intellectuelle; il n'en est pas un qui ne soit sorti du palais Farnèse ému, stupéfait, humilié peut-être en secret d'avoir rencontré tant d'élévation et tant de justesse, dans la pensée et l'expression, chez un prince à peine sorti de cet âge où les autres hommes sont encore des enfants, et pas un qui n'ait déploré l'erreur où l'avait mis et entretenu la presse mercenaire ou malveillante.

C'est que le malheur est la meilleure école d'expérience, et c'est à l'école du malheur qu'à grandi le roi François II. Il ne croyait qu'au bien quand Dieu l'appela au trône, ou du moins il ne pouvait croire à là lâcheté, au parjure, à la trahison, il avait foi dans le serment d'un Nunziante, comblé de bienfaits par la maison de Bourbon, et dans la baiser de ce Liborio Romano, que Judas même renierait pour frère! Gaête a fait la gloire de François II;

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mais ce qui a précédé et amené la chuté de l'indépendance et de la monarchie napolitaines, a fait l'expérience précoce du jeune roi.

Abandonné, trahi, vendu par la plupart de ceux que ses pères et lui-même avaient cru s'attacher sans retour par la multiplicité des bienfaits, François II a vite appris à connaître les hommes; il méprise les uns et il blâme les autres; cette nature d'élite, nature royale par excellence, s'est repliée sur elle-même; sa défiance, hélas! trop tôt justifiée, a remplacé dans ce cœur de roi la bienveillance, la loyale crédulité héréditaire chez les princes de Bourbon; calme, fier et se sentant deux fois le droit de l'être, réservé souvent jusqu'à la froideur, esprit scrutateur et perspicace, intelligence féconde, mais désillusionnée, tel est François II.

Le malheur refroidit l'âme, mais il l'élève et l'épure; il calme l'esprit, mais il l'agrandit; il attriste le cœur, mais il lui donne une énergie patiente et raisonnée. Un tel prince est sûr du triomphe, parce qu'il est sûr de sa cause et de lui-même: patient sans faiblesse, il ne jettera pas étourdiment son épée dans la balance, mais aussi il ne l'y jettera pas en vain.

Je plains plus encore qtïe je ne blâme les princes qui jettent étourdiment leur épée dans la balance; je suis de ceux qui, dès l'enfance, ont appris à respecter les maisons royales, alors même qu'elles s'écartent de la voie traditionnelle; je l'ai dit ailleurs déjà, quand la légitimité aura chassé le roi Victor-Emmanuel des duchés et du royaume usurpés,

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et que la révolution voudra le chasser de Turin même, peut-être alors serai-je l'un des volontaires du vainqueur puni de Gaête et de Castelfidardo!

Le chef de la maison de Savoie gagnerait à méditer les lignes suivantes, que j'extrais de la Revue des Deux-Mondes et dont la justesse m'a singulièrement frappé:

«L'habileté des modernes révolutionnaires, pour se moquer de la royauté, ne rappelle pas mal la politique de cet rebelles de l'Orient, qui laissent au peuple ses rois, mais en les plongeant dans la mollesse, qui les entourant d'un vain hommage et d'un cérémonial innocent et en les livrant à la plus entière inertie, ont le double avantage de n'avoir rien à craindre et de paraître pourtant respecter leur personne et leur majesté royale.»

Non, Victor-Emmanuel n'a pu prêter la main à la glorification du régicide!

Il n'a pu accepter, sans révolte intérieure, la présence au parlement piémontais de Gallenga, qui tenta d'assassiner le roi son père!

Il n'a pu frayer sans dégoût avec toute cette lie de f Italie, que ses ministres, la plupart sortis d'aussi bas, ont décorée de ses titres et de ses croix!

Il n'a pu toucher sans mépris la main de Nunziante ou de Liborio Romano!

Il n'a pu mettre sans horreur son seing royal au bas de l'atroce loi Pica, ce chef-d'œuvre de monstrueuse barbarie, ce type de l'assassinat social!

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C'est à la suite de ses cent mille baïonnettes et de la loi Pica que ses ministres l'ont conduit à Naples. Il y a passé la revue de ses flottes,—de ses galères, a-t-on dit.

— Passez maintenant la revue de vos caisses! lui criait un spirituel diplomate.

Oui, il y manquait tout fraîchement cinq millions de francs, gaspillés à susciter un enthousiasme factice; mais, derrière celte double haie de policiers et de filles battant des mains, Victor-Emmanuel a-t-il vu ce peuple de muets, cette foule aux regards moqueurs ou sinistres, et s'est-il rappelé que le silence des peuples est la leçon des rois? — Cette comédie ministérielle renouvelée de Potèmkin, menaçait d'ailleurs de se dénouer fort piteusement, faute de ducats; alors les ministres ont renvoyé Victor-Emmanuel dans le Nord, entre quatre régiments et une batterie de canons rayés... Ils n'ont pas osé lui demander d'aller en Sicile tant l'exaspération populaire y est grande, tant le joug subalpin y est insupportable, tant ils craignaient que l'Europe ne découvrît le secret de la comédie!

Si le chef de la maison de Savoie veut prendre un glorieux poste dans l'histoire, qu'il se délivre de cette populace de traîtres, d'assassins et de dilapidateurs, qu'il rende aux rois Légitimes ce qui est à eux, qu'il appelle à lui ce parti si puissant, le plus nombreux en Italie, qui aime l'ordre, la religion, la légitimité, — et l'on verra disparaître dans la tourmente vengeresse jusqu'au souvenir même des fautes premières.

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En dehors de cette solution radicale, il en est une autre que, depuis longtemps déjà, nous a signalée l'illustre évêque d'Orléans: «La force et la volonté de la France, appuyée en Europe de tout ce qui n'a pas abjuré la justice, suffirait pour réparer le passé, sauver le présent et assurer l'avenir.»

Je n'ai plus maintenant qu'à entrer dans le détail des hontes et des douleurs, qui forment l'histoire du royaume des Deux-Sicilies pendant l'année 1863. Mes renseignements sont pris aux sources les moins contestables, officielles ou officieuses. — Je laisse désormais la parole aux autres, c'est-à-dire aux faits.

OSCAR DE POLI

RELIGION(1)

L'Église libre dans l'État libre!

En 1861, le gouvernement piémontais supprima 721 couvents, dispersa 12,000 moines et religieuses, supprima les biens de 104 églises collégiales, et chassa

(1) Un certain nombre de personnes, après avoir parcouru mon Voyage au royaume de Naples, en 1862,— librairie Dupiay de la Mahérie, 6, rue de Médicis, — m'ont fait l'honneur de m'écrire pour me reprocher d'avoir publié un volume sec comme un document; sans récits, sans anecdote», sans autre intérêt que celui de la cause même — A cela je répondrai que les ouvrages de ce genre sont en effet des documents, des réquisitoires, si l'on veut; ils ne s'adressent ni aux auteurs de romans, ni aux chercheurs d'anecdotes, mais aux hommes sérieux de tous les partis. Ils ne doivent au lecteur que la vérité, et lui laissent en-Suite tout le mérite de la réflexion.

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et emprisonna 54 des 65 évêques des Deux-Sicilies (1).— En 1862, près de 60 couvents furent confisqués, et 5 autres évêques furent emprisonnés ou exilés.—En 1863, le gouvernement piémontais a continué à violer le statut fondamental, qui garantit à l'Église et au prêtre, comme à toute association et à tout citoyen, la pleine et paisible jouissance de ses biens. — En 1845, la statistique établissait qu'il y avait, dans les Deux-Sicilies, 22 archevêques, 78 évêques, 3,766 curés, 10,220 églises, 784 écoles gratuites pour le peuple, 14,870 institutions ecclésiastiques, hôpitaux, asiles ou écoles, et que le clergé napolitain possédait environ 160 millions de ducats (2). — Le Piémont a tout confisqué. — N'est-il pas, après cela, aussi burlesque qu'attristant d'entendre un député piémontais s'écrier: a Nos ennemis sont encore en Italie; je veux parler d'une cinquantaine d'évêques que vous payez (3)!»

—Dans les premiers jours du mois de janvier, le gouvernement expulse de les monastère les bénédictins des Saints-Severino et Sossio, à Naples. Leur-abbé, le père Anselme Fava, avant de le quitter, proteste en ces termes contre l'inique confiscation: «Moi et ma communauté, fidèles aux principes de justice et aux droits sacrés de l'Église, nous protestons, en abandonnant ce monastère et cette église, qui sont nôtres, que nous ne cédons qu'à la violence.»

— Dans la nuit du 9 au 10 janvier, les Piémontais ex

(1) Atti officiali della Camera, 1862, n.768, p. 2964, col. 3

(2) Consultes Pecchia et Quattromani. — Motion du député Ricciardi. Atti officiali della Camera. Séance du 18 mai 1661, n° 134.

(3) Séance parlementaire du 26 mars.

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puisent les frères Mineurs observantins de leur couvent de San-Severo, au Pendino, quartier populeux de Naples. Une foule immense s'oppose à leur expulsion aux cris de: «Vive la religion! vive François II, notre roi!»

Le curé de San Giorgio Maggiore, don Gaspard de Luise, accourt à ces cris, et, désireux d'éviter un conflit qui menaçait d'être sanglant, il parle au peuple et lui persuade de se retirer. Survient le délégué officiel de là Caisse ecclésiastique entre les mains de qui sont consignées ces deux protestations:

1° «Au nom de l'Église catholique, apostolique et romaine, et en vertu des saints canons, je soussigné, curé de San Giorgio Maggiore, à la défense des droits du Saint-Siège, à qui il appartient d'approuver pu dissoudre les ordres religieux, dont le chef suprême est le chef du catholicisme, lequel a, par conséquent, un droit exclusif sur les biens consacrés au culte, auxquels ne peu toucher le pouvoir civil, je proteste formellement... etc.

2° «En mon nom et au nom de mes confrères, jç soussigné, supérieur du couvent des Mineurs observantins, déclare céder à la force, et proteste contre notre expulsion, comme ne possédant qu'en vertu du Saint-Siège. Je proteste contre la nomination du recteur, coût traire aux saints canons, à notre règle et aux bulles pontificales.»

— Sont supprimés et confisqués successivement: à Foggia, le couvent de l'Annonciation des Clarisses, le couvent des Pères d'Alcantara, celui des Capucins, celui des Mineurs-Observantins; — à Messine, les couvents des Augustins déchaussés, des Théatins et de Sainte-Agathe; — à Girgenti, le couvent des Franciscains de San Vito; — à Castellammare-del-Golfo, le couvent des Crociferi,  l'hospice de Sainte-Marie, l'hôpital des Capucins; — à Mistretta, province de Messine, le couvent des Capucins;

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— à Giojosa, le couvent de Saint-Philippe de Néri; — à Spaccaforno, province de Noto, le couvent des Capucins: — à A vola, môme province, le couvent des Dominicains; — à Ferla, môme province, le couvent des Dominicains; — à Naro, Sicile, le couvent des Dominicains; — à Gibellina, province de Trapani, le couvent del Carminé;—le couvant de Canicatti, province de Girgenti; — à Francoforte, province de Noto, le couvent des Mineurs réformés de Sainte-Anne; —à Termini, province de Palerme, le couvent de Sainte-Marie de Jésus, aux Mineurs observantins; — à Palerme, les couvents de Saint-François de Paule, aux Minimes, de Saint-François d'Assise, aux Mineurs conventuels, de la Sainte-Trinité et du Carminello, aux Carmélites; — à Alexandria délia Rocca di Girgenti, le couvent des Mineurs réformés; — à Monterosco, province de Noto, le couvent des Franciscains réformés de Sainte-Anne; —à Scicli, même province, le couvent des Carmes; — à Nicotera, Calabre, le couvent des Mineurs conventuels; — à Aversa, le couvent et l'église de Saint-Antoine; — à Sciacca, le couvent des Carmes; — à Carignano, province de Teramo, le couvent des Mineurs; — à Chieti, les couvents des Mineurs conventuels, des Capucins, des Clarisses, et deux autres couvents d'hommes; — à Vasto, Abruzzes, le couvent des pères Mineurs réformés; — à Modica, le couvent des Franciscains de Sainte-Marie de Jésus; — à Corleone, le couvent des Grâces; — et à Naples, le couvent neuf des Capucins de Saint-Ephrem.

A Foggia, les capucins sont expulsés et leur église est changée en écurie.

A Palerme, l'église de Santa-Cila, dont une seule chapelle, celle de la bienheureuse Vierge du rosaire

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avait coûté 60,000 ducats, est enlevée aux Dominicains et convertie en hôpital militaire.

—L'église de Sainte-Marie de la Victoire, admirée de tout temps à Palerme pour son admirable architecture, est d'abord changée en caserne, puis en écurie pour les mules du train.

— On démolit, à Palerme, l'église de Saint-Jacques, pour en employer les matériaux à la construction d'un bâtiment civil.

Sans tenir compte de l'opposition du municipe, le préfet Luca fait démolir l'église contiguë au palais de la préfecture d'Avellino, garce qu'elle gênait sa vue.

L'autorité impose aux Dominicains d'Avellino d'évacuer leur couvent, pour y caserner le 32 de ligne. Lors du départ des troupes, un soldat piémontais, s'inspirant sans aucun doute de l'esprit de son gouvernement, met le feu au couvent.

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II

Le monastère des Clarisses, à Aversa, est brusque ment supprimé, malgré la loi d'exception en faveur des corps moraux enseignants, et malgré le vœu du municipe, qui déclare ce monastère d'utilité publique, comme élevant gratuitement les filles du peuple, donnant des remèdes aux indigents, dotant les filles pauvres, secourant les familles réduites à la misère, et enfin comme ayant toujours déployé le plus grand zèle pour le bien public; spécialement, ajoutait le municipe, en soignant les garibaldiens blessés devant Capoue et au Volturne. — Le parlement et le ministre garde des sceaux repoussent la pétition municipale en la ridiculisant.

—A Naples, les religieuses de Jésus-Marie sont brutalement expulsées, en quelques heures, de leur couvent,qu'on destine à une administration publique. Peu de jours après, on reconnaît qu'il est impossible de lui donner cette destination.

—Il est question de convertir en prison la chartreuse de Saint-Laurent de Padula, province d'Avellino, monument historique de premier ordre.

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Un député déclare qu'on pourrait l'utiliser, en y renfermant quatre ou cinq cents condamnés (1).

—On viole la clôture du monastère des Clarisses de Cosenza. Sept heures durant, plusieurs hommes parcourent le cloître en tous sens, sous prétexte de fixer la distribution des bureaux du Domaine, que l'autorité a l'intention d'y établir.

— N'osant pas froisser ouvertement la vénération générale qui s'attache au célébré sanctuaire et au courent del Carminé Maggiore, à Naples, l'autorité piémontaise s'ingénie à trouver un moyen de suppression indirecte. Ainsi, depuis trois ans, elle en assujettit les religieux aux plus incroyables péripéties. Un jour, le couvent est changé en hôpital de garibaldiens; un autre jour, en hôpital militaire; bientôt on en fait un quartier de garde nationale, puis une caserne de police; quelques semaines après, il devient une prison, et ensuite, sans doute par contraste, une salle de concerts publics; alors le couvent est tout naturellement converti par l'autorité en école de clairons et de tambours; aujourd'hui enfin, elle y a placé les bureaux de l'inspection de police.

—Le 5 novembre, à Naples, les Capucins de Saint-Ephrem-le-Neuf sont violemment expulsés de leur couvent au nombre de 400; ce chiffre ne surprend pas, si l'on remarque que les Capucins récemment expulsés de Saint-Ephrem4e-Vieux, de Salerne, de Sorrente et de Nocéra, s'étaient réfugiés à Saint-Ephrem-le-Neuf; ils y vivaient dans les privations, mais heureux encore d'avoir trouvé ce saint asile, la plupart étant fort âgés, infirmes, sans parents, étrangers et sans ressources.

(1)Séance parlementaire du 9 avril. Atti officiali della Caméra; n° 1155.

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Cette odieuse mesure frappe d'autant plus vivement le public, qu'on se rappelle avec quelle charité, en 1860, les pères accueillirent les nombreux blessés garibaldiens qui revenaient du Volturne, et convertirent leur couvent en un hôpital de blessés. Le gouvernement piémontais les appelait alors «de bons religieux animés de la charité chrétienne, les bons pères Capucins, qui ont au besoin cédé la majeure partie de leurs cellules (1).»

— Aujourd'hui le couvent est une prison.

— Parmi tant de violations dont souffre l'Église, il faut noter aussi celle de la promesse officielle contenue dans un document, émané du gouvernement, au mois de mars 1861:

«C'est sans aucun doute, une très-heureuse nouvelle qu'ensuite de la considération distinguée que le clergé séculier et régulier de la Sicile a méritée de la part du gouvernement de S. M. Victor-Emmanuel, il n'a pas à redouter des changements tendant à supprimer dans ces provinces les ordres monastiques de l'un et de l'autre sexe. Étant donc bien informé de de bienfaisant et ferme dessein de qui nous gouverne, j'obéis à un ordre supérieur en en informant les très-révérends supérieurs des ordres monastiques, pour détruire de cette manière tout soupçon contraire, réparer les inconvénients qui se sont déjà produits, et prévenir tout ce qui pourrait aliéner l'estime du gouvernement et provoquer des mesures de répression.

«Le juge de la monarchie royale et de la légation apostolique.


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Chanoine Cirino Rinaldi.»

(1)Journal officiel de Naples, 19 octobre 1860; n. 37

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Le ministre garde des sceaux annonce au parlement (1) la suppression totale et l'abolition de tous les ordres religieux dans le nouveau royaume d'Italie. Il assure qu'une commission créée par lui a très-activement élaboré d'abord la réorganisation de l'administration ecclésiastique, en rapport avec les lois de suppression des communautés religieuses et des établissements de piété,et ensuite un règlement commun à tous les économats généraux des bénéfices ecclésiastiques.

Le 17 novembre, à Cassano, en Calabre, sans qu'aucun ordre leur ait été signifié ou seulement exhibé,les Capucins sont violemment expulsés, et tout aussitôt les agens de la caisse ecclésiastique piémontaise font main basse sur leurs provisions de bouche, les aumônes recueillies, les laines et jusque sur un métier servant à tisser le drap nécessaire aux Capucins de la province entière. — La population témoigne hautement son indignation (2).

Les religieuses de Sainte-Catherine de Palerme adressent une pétition au roi Victor-Emmanuel, dans la confiance «qu'il empêchera ses ministres de présenter au parlement la loi de suppression des couvents et la confiscation de leurs biens; cette loi violant les vraies lois et foulant aux pieds les principes fondamentaux du statut et les droits les plus précieux de la liberté civile... L'existence des corporations monastiques n'est pas seulement une question religieuse, mais encore et essentiellement une question de liberté civile et politique.». Dans le Code civil promulgué en Piémont par le roi Charles-Albert, il est formellement et solennellement déclaré que l'Eglise a le droit de posséder ses.

(1) Séance du 15 avril.

(2) Le journal la Borsa, 24 décembre.

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biens et d'en être propriétaire, comme la Couronne Test de ses propres biens,» — La pétition est rapportée par plusieurs journaux catholiques; mais elle demeure sans réponse.

Comme si ce n'était pas assez de confisquer les immeubles, on confisque également les meubles. Ainsi, à Torre del Greco, le gouvernement dépouille les saints frères Camaldules de leurs fonds, met sous les scellés leur bibliothèque et les tableaux de leur église, et fait emporter on ne sait où... les ustensiles de leur cuisine.

Contrairement aux vœux unanimes du conseil municipal, de la garde nationale et de toute la province de Salerne, le préfet chasse de leur monastère de Nocera les Pères de la Rédemption, gardiens du corps de saint Alphonse de Liguori, objet de l'amour et de la vénération du peuple napolitain.

A Cosenza, en Calabre, le gouvernement chasse les Dominicains et menace les Capucins du même sort

«—Les expulsions et les confiscations indignent et irritent tellement les populations que plusieurs députés des Deux-Sicilies élèvent la voix au parlement contre la mode illégal et brutal avec lequel elles sont accomplies, et réclament une enquête. «Dans le royaume de Naples, dit l'un d'eux, il existe des palais, des édifices, des casernes des quartiers militaires qui suffisaient comme habitations royales, pour les administrations publiques, pour loger une armée de cent mille hommes, qui suffisaient, en somme, pour l'administration du royaume tout entier. Et aujourd'hui on dit que le local manque, et le service militaire réclame journellement et toujours de nouveaux bâtiments 1 (1)» — Le ministre répond en esquivant l'enquête demandée.

(1) Séance parlementaire du 15 décembre

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III

Dans la commune de Cancellara (Basilicale), un boucher et un prête apostat ameutent la populace, assaillent le courent des Franciscains, en brisent les portes et en chassent violemment les vénérables religieux. Ces deux forcenés se faisaient forts d'agir au nom de l'autorité; mais celle-ci, devant les protestations énergiques de la population, se voit forcée de rappeler les Pères, de les protéger et de menacer d'arrestation les coupables.

Dans la ville de Naples, les Piémontais suppriment les monastères des pères Dominicains, de Saint-Pierre-Martyr et de Pausilippe; des Bénédictins de San-Severino; des Crociferi de la Porte Saint-Janvier; des religieuses franciscaines de l'Arco-Mirelli; des Dominicains de Saint-Jean-Baptiste, dans la rue de Constantinople,sous prétexte d'ouvrir une voie reconnue inutile; de9Augustines de Saint-André délie Monache; et enfin le couvent le plus ancien et le plus monumental de l'Italie,celui des religieuses de Saint-Patrizia.

Le préfet de Naples se met en mesure de procédera d'autres confiscations. Il commence par s'arroger le

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pouvoir suprême en matière religieuse, et ordonne à toutes les abbesses, nonobstant la clôture de faire entrer dans l'intérieur des cloîtres de femmes les commissions municipales et les architectes (1). — Les religieuses de Naples et celles de Sainte-Claire de Rossano opposent à ces grossières violations une admirable fermeté chrétienne (2).

— Le rapport du directeur de la caisse ecclésiastique, ministérielle établit que, dans le seul royaume de Naples, ont été supprimés 1,107 couvents, dans lesquels vivaient 16,099 religieux ou religieuses, et dont les revenus s'élevaient à 3,200,000 francs (3). En outre, ont été supprimés 38 collégiales, 369 bénéfices de chapellenies ou abbayes, et les quatre conférences des missions de Naples, possédant en tout un revenu d'environ 300,000 francs. — Le rapport expose ensuite que, depuis la suppression des couvents et ordres religieux jusqu'au mois d'avril 1863, le total des revenus de la caisse s'est élevé à 4,827, 338 francs, et, chose incroyable! le total des dépenses à 5,010,140 francs. Ainsi, non-seulement les populations n'ont plus le bénéfice des aumônes, des fêtes religieuses, des dotations données aux jeunes filles pauvres, et de tant d'autres œuvres méritoires qu'accomplissaient naguère les religieux et les religieuses expulsés et dépouillés; mais encore les dépenses de la caisse ^spoliatrice dépassent d'environ un million de francs le chiffre des revenus qui suffisaient autrefois à tous les besoins. Où se sont engouffrés ces monceaux d'or? Ils ont servi à payer grassement d'abord les commissaires

(1) Le journal le Monitore, $1 novembre.

(2) Le môme, 6 juin.

(3) Ce qui fait moins de 200 francs de revenu par tète.

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chargés de procéder à la dilapidation des biens ecclésiastiques, les prédicateurs apostats, les moines athées, les journaux qui encouragent et applaudissent ces odieuses spoliations et même les histrions et les danseuses qui accompagnent à Naples les princes de la maison de Savoie.

Sept employés sont envoyés de Turin avec le chevalier Castelli pour opérer le transfert au domaine des biens ecclésiastiques. Outre ses appointements déjà considérables, chacun d'eux reçoit une indemnité quotidienne de douze francs pendant son séjour à Naples. Quant au chevalier Castelli, on lui donne carte blanche.

«La caisse ecclésiastique est dans un état déplorable, s'écrie un député; c'est un immense gaspillage des deniers publics; dans les provinces méridionales, il surgit des réclamations partout; les monastères n'ont pas été exactement payés des fonds que leur assigne la loi. Le pire est que, pour aucun monastère, on n'a liquidé les comptes de 1860, et l'on n'a, par conséquent, arrêté aucun des budgets de l'année; de là, le mécontentement général dans le pays. Le directeur de la caisse reconnaître grave défaut de donner de petits à-comptes trimestriels; il en résulte de la confusion et des retards dans les payements; car il devient impossible de discerner ce qui doit revenir à l'État et ce qui doit revenir aux individus des corporations religieuses. Le fait est plus grave encore au point de vue politique qu'au point de vue financier.  Le ministre ne s'est pas même occupé de savoir quelles mesures a prises le susdit directeur pour faire cesser cette situation exceptionnelle (1).»

Le garde des sceaux propose de confisquer sans

(1)Séance parlementaire du 11 décembre.

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distinction tous les biens ecclésiastiques, et d'en servir aux évoques, abbés et religieux la rente à 5 p, 100, inscrite au grand-livre de l'État. A l'extinction des ordres religieux par la mort des individus, l'État se trouverait propriétaire de ces revenus (1). — Mais un État peut-il se permettre impunément ce qui déshonorerait un citoyen? Appelez cette mesure incamération, confiscation, ou autrement: le mot ne fait rien à la chose, et la chose n'en est pas moins un vol.

La loi du 10 août 1862 autorise le gouvernement à donner, par petites portions et par bail emphytéotique,les biens ecclésiastiques de la Sicile. La presse officieuse (2) ne croit pas qu'il réussisse dans l'application de la loi: 1° à cause de l'influence dont jouit le clergé sicilien, qui y fera certainement opposition; 2° par suite du refus des évêques et des bénificiers de faire les déclarations exigées par la loi; 3° à cause des questions litigieuses qui surgiront et seront déférées aux tribunaux; 4° par suite de la crainte qu'inspirent encore dans le pays l'excommunication et les censures ecclésiastiques qui frappent les détenteurs de biens  appartenant à l'Église; 5° à cause de la déclaration d'incompétence en ces matières que feront certainement le barreau et la magistrature; et 6° à cause de l'effervescence des passions politiques. — Le gouvernement piémontais doit-il donc s'attendre à l'hostilité, non-seulement du clergé, mais de la magistrature et des populations?

Il ne suffit point, paraît-il, de dépouiller brutalement les évêques; il faut"encore les calomnier, même à l'aide d'allégations évidemment stupides.

(1)Voir, à ce propos le journal ministériel la Stampa, octobre 1863.

(2)Voir l'Opinione de Turin, 24 septembre.

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Le ministre de l'intérieur, pour convaincre la Chambre de l'utilité de la confiscation des biens ecclésiastiques (1), ne rougit pas de raconter qu'en Sicile il s'était trouvé des évêques assez fous pour empêcher l'exploitation des mines de soufre sises dans leurs domaines épiscopaux, et se priver ainsi de revenus importants. — Pour réfuter cette bourde du ministre piémontais, il suffît d'ouvrir l'opuscule d'un de ses préfets (2) et d'en extraire ce passage:

«Dans les biens ecclésiastiques sont comprises plusieurs riches solfatares ouvertes sous l'administration des derniers évêques; si l'on y observe quelques détériorations, elles sont imputables soit à l'absence de ces évêques, soit à la direction du domaine, qui les administre depuis la révolution»

— A. Naples, à Palerme, et dans les principaux centres des Deux-Sicilies, l'autorité piémontaise fait enlever des rues les images saintes qu'y avait placées la piété des fidèles. Des attroupements et des rixes nocturnes ont lieu à ce sujet avec la troupe chargée d'assurer l'exécution de cette mesure irréligieuse.

(1)Séance parlementaire du 17 avril.

(2)Falconcini, p. 143.

IV

Quand l'exemple part de haut, il ne tarde pas à être suivi aux plus bas degrés de l'échelle sociale. On remarque avec douleur, mais sans étonnement, une recrudescence d'annexions commises impunément au détriment des églises.

—A Naples, dans les nuits du 12 au 15 janvier, des voleurs s'introduissent dans les églises de Saint Ephrem le Neuf, de Sainte-Thérèse Degli Scalzi, de Saint-Antoine, et en dérobent les objets précieux offerts par la piété des fidèles.

—A Castellamare de Sicile, on dépouille de leurs plus riches ex-voto les statues de la Vierge et de plusieurs saints; on force le tabernacle, on vole le saint ciboire,après avoir sacrilègement disséminé les hosties consacrées.

—A Minuri, diocèse d'Amalfi, on vole de nuit les vases et les ornements sacrés de l'église paroissiale.

Dans la sacristie de l'église de Sainte-Catherine de Sienne, à Naples, on vole le calice d'argent, quelque

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minutes après que le prêtre s'en était servi pour le saint sacrifice (1).

Des vases sacrés de grand prix sont volés à Fragneto, diocèse d'Avellino, et à Torre-Annunziata, province de Naples.

Bans l'église de Notre-Dame des Grâces, à Tremesseri, près Catane, on vole le saint ciboire, après avoir dispersé sur le sol les hosties consacrées.

D'autres méfaits sacrilèges se produisent à Paierie,à Avellino, Foggia, Catanzaro et San-Marco.

— La caisse ecclésiastique piémontaise, se mettant au niveau des annexionnistes privés dont on vient de lire les exploits, emploie la calomnie contre les moines de l'Église royale de Sainte-Claire de Naples, et les accuse   de n'avoir  refusé les   soixante   ducats   que leur offrait le gouvernement, pour la célébration de la fête du Corpus Domini, qu'a fin d'en obtenir mille,comme au temps des Bourbons. La caisse ecclésiastique n'ignorait pas que cette somme de mille ducats était payée annuellement depuis des siècles aux moines de Sainte-Claire, et qu'ils refuseraient d'accepter une somme véritablement ridicule en regard des dépenses qu'entraîne la célébration déjà f$te. De cette manière, la caisse a eu tout bénéfice.

(1)Le journal la Borsa, 10 novembre.

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V

En Calabre, le piémontais Fumel ordonne l'arrestation du prêtre Joseph Gribrari, de Falconara, qui est tué à coups de fusil par son escorte, sous prétexte qu'il cherchait à se sauver.

A la suite de la démonstration populaire qui se produit dans la rue de Sainte-Lucie, à Naples, sur le passage du saint viatique, on emprisonne, entre autres personnes, les évoques d'Anglona et de Cerreto, Mgr Àcciardi, Mgr godo, les curés de l'Ospedaletto et de Sainte-Lucie, les prêtres Cinque, Pelella, Ascante, Pirro,Trama, le père Borghi et le chanoine Musto.

A Lecce, l'abbé César de Pasçalis, curé de Sainte-Marie délia Porta, est arrêté comme suspect d'encourager la désertion militaire.

Le curé de Boscotrecase, près Naples, est emprisonné pour avoir tenu son église ouverte jusqu'à huit heures du soir; ce qui, dans la pensée de l'autorité piémontaise, démontre jusqu'à l'évidence sa connivence avec le brigandage.

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La police opère de rigoureuses visites domiciliaires,à Naples, chez Mgr l'archevêque Taglialatela et Mgr l'évêque Carbonelli.

Un commandant de là garde nationale de Naples procède à des perquisitions arbitraires chez les prêtres Carminé de Bisogno, Vincent Gargiulo et Jérôme Milona, rédacteurs de journaux catholiques.

À la suite d'une visite domiciliaire de la police de Naples, les prêtres de Cusatis et Barletta sont mis en état d'arrestation.

—La cour de cassation rejette le pourvoi de Mgr Té-que de Nardo et du chanoine Siciliani, condamnés à la prison et à l'amende pour avoir omis, le vendredi saint,de réciter l'oraison Prorege.


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Pour la même omission, le chanoine pénitencier Ghirello et Mgr Vévé que de Foggia sont condamnés à deux années de prison et 450 francs d'amende. Exoutre pour aggraver la peine, on envoie le vénérable prélat à l'autre extrémité de l'Italie, sous la garde de soldats piémontais qui l'écrouent dans la prison de Corne.

— Mgr. André Gigli, vicaire du diocèse d'Ugento, province de Lecce, est depuis plusieurs mois en prison, sans qu'on s'inquiète de lui apprendre pourquoi, ni de le mettre en jugement.

—Le vieux père gardien des Mineurs-Observantins,est en prison avec l'archiprêtre André Giannelli, l'abbé Anastase de Baconi-Sauli et   l'économe-curé André Spondello, pour avoir refusé de chanter le Te Deum le 14 mars, anniversaire de la naissance de Victor-Emmanuel.

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La police de Naples opère une longue et minutieuse perquisition, d'ailleurs sans résultat, chez le savant curé de Saint-Georges Majeur, l'abbé de Luise.

—Le vicaire de Scafati et Mgr l'archevêque d'Otrante sont poursuivis pour avoir prononcé dans l'oraison Proregno l'ancienne formule Utruisque Siciliœ.

À Nocera, le commandant de la garde nationale fait conduire en prison le vicaire capitulaire du diocèse,sur la simple dénonciation d'un misérable.

—A Castellamare, le chapitre entier des chanoines de la cathédrale et plusieurs prêtres de la commune voisine de Vico sont poursuivis pour avoir omis l'oraison Pro-rege.

—A Civita-Ducale (Abruzzes), dans la soirée du 14 mars, une bande de policiers déguisés et armés assaillent le palais épiscopal à coups de pierres, en poussant des clameurs féroces et obscènes; ils en font autant à l'habitation de l'archiprêtre, des chanoines et des autres prêtres du pays, brisant les vitres, fracassant portes et fenêtres, pour punir le clergé d'avoir refusé de chanter le Te Deum officiel. Les autorités locales, les gendarmes et les gardes de sûreté publique assistent à ces violences les bras croisés, avec une scandaleuse indifférence.

—Il est à remarquer que le clergé, en refusant de chanter soit l'oraison Pro-rege soit le Te Deum, ne fait que se conformer, d'une part, au décret supérieur de la sacrée Congrégation des rites, en date du 5 mars 1863,par lequel, dans le but d'éviter des tracasseries et des immixtions politiques, elle supprime dans les Deux-Sicilies l'oraison Pro-rege, et, d'autre part, au décret du 23mai de la même année, qui ne permet pas, à moins d'une autorisation spéciale de l'évêque, d'assister au Te Deum le jour de la fête de la soi-disant unité italienne, par la-quelle on prétend rendre grâces à Dieu d'un crime sacrilège commis contre toutes les lois de justice.

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Le ministre des cultes de Turin feint d'abord de vouloir se conformer lui-même à cette liturgie, et prescrit aux magistrats de ne pas molester le clergé; mais en réalité les vexations n'en continuent pas moins, et l'on cite, entre autres victimes, le chanoine Margiotti, de Palmi (Calabre), arrêté dans sa sacristie pour avoir omis de prier pour le souverain spoliateur de l'Église.

—Dans toutes les églises de Messine, un ramas de goujats parodient impunément le chant du Te Deum, sans que l'autorité fasse autre chose que les applaudir tacitement, et forcent quelques prêtres, par des menaces de mort, à assister à cette comédie sacrilège.

—A Monreale, le clergé refusant le Te Deum, la populace, protégée par la garde nationale, enfonce les portes de l'Église, et alors l'aumônier du bataillon, prêtre apostat, y officie de sa pleine autorité.

Mêmes refus à Trapani, à Lecce, à Palerme. Dans cette dernière ville, un seul prêtre, intimidé déjà par un emprisonnement de trois mois, se rend à la requête et aux menaces des révolutionnaires. — À Catanzaro, le clergé tout entier s'abstient, et le préfet a recours à unmoine apostat expulsé de l'ordre. Pendant la cérémonie,le directeur des gabelles soufflette, en pleine église, un employé de la préfecture.

—A Magnano (Terre de Labour), les gardes nationaux insultent les sœurs françaises de la charité, pénètrent avec violence dans le célèbre sanctuaire de Sainte-Philomène, forcent les armoires de la sacristie, et chantent le Te Deum avec un Passaglia.

Sur le refus unanime du clergé de Procida, une bande de révolutionnaires, la lie de la population, envahit l'église pour célébrer la fête du Statut. Un notaire y fait l'office de prêtre.

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On punit de son refus le chapitre des chanoines de Polata, comté de Molise, en lui confisquant un revenu annuel de 49 ducats, servi de temps immémorial par la commune.

—Pour le même motif, on persécute odieusement le prêtre Jean Baptiste Narra, de Specchia, diocèse de Lecce, et, pour avoir omis l'oraison Pro-rege, on destitue le chapelain de l'hôpital militaire de la Concorde, à Naples. — Il serait d'ailleurs fastidieux de relater toutes les persécutions dont les hommes de «l'Église libre dans l'État libre» ont abreuvé le clergé des Deux-Sicilies.

Le ministère menace des peines les plus graves quiconque se conformera à une circulaire du général de l'ordre des Prédicateurs, concernant la discipline de l'ordre; mêmes menaces au sujet d'une bulle du Saint-Siège,prorogeant à l'archiépiscopat de Naples les fonctions de commissaire général des indulgences

— Mgr Polidoro Cieri, vicaire de l'archidiocèse de Manfredonia, Mgr de Angelis, vicaire de Termoli, l'archiprêtre français Valente, et trois curés des communes de Guarinesi et de Civita-Camporano, sont mis en prison. —Le prêtre Raphaël Grosso, vice-recteur de l'hôpital de la Vie, à Naples, est arrêté pour la seconde fois.

—A Vico, ou arrête, avec un grand déploiement de forces, et l'on conduit dans les prisons de Naples sept prêtres accusés d'avoir confessé et assisté un brigand qui allait être fusillé.

Le gouvernement ordonne l'incarcération du gardien des Capucins de Nola et du prêtre Julien Scala.

—Le premier est immédiatement emprisonné; le second, accablé d'infirmités, est gardé à vue 4ans sa chambre par des soldats piémontais, la baïonnette, au fusil, et il meurt sous leurs yeux trois jours après.

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VI

Des agens de police et des soldats envahissent de nuit le couvent des Capucins de Sorrente (1), sous prétexte d'y arrêter des réfractaires et des brigands, commettent les plus scandaleuses perquisitions, après avoir enfermé les Pères dans leurs cellules, ainsi que leur hôte, Mgr d'Ambrosio de Nuro, mettent au pillage les provisions, et se» retirent en état d'ivresse, sans avoir naturellement découvert ni réactionnaires ni brigands. — Cette odieuse et brutale violation de domicile, excite l'indignation générale.

Le curé de Massa,   Diego Mignano, est arrêté comme prévenu d'avoir censuré les institutions de l'État en expliquant l'Evangile au prône.

Le couvent de Pressiez, diocèse de Lecce, est envahi par la police. Les moines sont forcés de se soumettre aux plus inconvenantes investigations, jusqu'à se dépouiller complètement de leurs vêtements. Leur gardien, frère, Talamo, et trois Mineurs-Observantins

(1)Dans la nuit du 29 au 30 mai.

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sont ensuite emmenés à Gallipoli, entre une double haie de soldats, clairons en tête. Arrivés à Gallipoli, les malheureux moines, épuisés de fatigue et de douleur, sont mis en liberté par le sous-préfet, qui les reconnaît innocents.

—Le P. Ignace d'Aquin, des Pii Operai, de Naples, et l'abbé Crayone, curé de la Pietra-Santa, sont emprisonnés pour avoir demandé à un mourant qu'ils confessaient la rétractation des fautes qu'il avait commises au détriment de l'Église. Ils sont mis en liberté provisoirement, moyennant une caution de sept mille francs fournie par les fidèles. — Le prêtre Gabriel Giancotti, de Serra San-Bruno (Calabre), est arrêté sous la même prévention.

Le, P. Louis de Calandrino est arrêté à la requête du procureur du roi, à Naples, «comme prévenu d'abus répétés dans l'exercice des saintes fonctions.» On lui refuse jusqu'à la liberté provisoire, à laquelle la loi lui donne droit.

—Trois religieux Liguoristes, après un an de prison, à Salerne, sont reconnus innocents de la complicité dont on les accusait avec la réaction, et mis en liberté.

Le gardien des Capucins de Caivano est arrêté sans qu'on lui en dise le motif, et conduit en prison.

—Le curé de San-Biagio, à Catane, est poursuivi «comme prévenu d'avoir ému jusqu'aux larmes son auditoire dans un sermon contre la Vie de Jésus.» —Le vice-curé de Barletta (Pouille), est arrêté pour avoir prêché contre le même livre.

L'archiprêtre de Campobasso, Paul-Antoine de Zinno, accusé d'excitations à la désertion, est reconnu innocent et mis en liberté, après six mois de la prison la plus rigoureuse dans la province de Molise, puis au château de l'Œuf, à Naples.

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Le P. Charles Rossi, de la Société de Jésus, est mis en liberté sur une ordonnance du tribunal d'arrondissement de Naples, en date du 18 novembre, rendue àla requête du procureur du roi, et reconnaissant que c'est injustement que le P. Rossi a été arrêté, que les imputations dont on le chargeait étaient purement calomnieuses, et qu'il n'avait fait qu'accomplir un des actes les plus éminents de la charité chrétienne.

Le 29 juin, Mgr l'évoque de Mileto est arrêté sans motif dans le couvent des Mineurs-Observantins de Santa-Maria, à Naples. Le 19 juillet, ces mêmes religieux sont soumis par la police à une longue et rigoureuse perquisition qui n'amène aucun résultat.

Mgr Cioffi, doyen des théologiens, et ensuite les ermites Camaldules subissent une longue et minutieuse perquisition, également sans résultat.

Le curé de Reggio (Calabre), Dom Louis Truci, au scandale de la population, est conduit en prison, les menottes aux mains, par des gendarmes piémontais, comme coupable d'avoir fait enlever d'une chambre où il administrait le baptême des tableaux obscènes   que l'on avait dit être des portraits de Victor-Emmanuel.

Au mois d'octobre, Mgr l'archevêque de Bari est arrêté et mis en jugement devant la cour de Trani, pour avoir exécuté des brefs pontificaux n'ayant pas reçu l'exéquatur royal.

—La police piémontaise envahit le palais archiépiscopal de Gaête, et, après de longues et infructueuses investigations, sans doute pour ne pas revenir les mains vides, elle arrête le chanoine Jannaccone, sous prétexte que, pendant la fête du Corpus Domini, il n'avait pas béni la garde nationale.

A Salve (Terre d'Otrante), le capitaine de la garde nationale, Philippe Nutricati, met l'épée à la gorge du prêtre Ignace Zocchi, qui portait processionnellement le Saint-Sacrement, et lui intime, sous peine de mort, l'ordre de bénir la garde nationale.

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La foule se disperse aussitôt, muette de surprise et d'horreur.

Sur une simple dénonciation anonyme, le tribunal militaire de Potenza fait emprisonner pendant plusieurs mois les prêtres Jérôme Sassano, Vincent Bianchini,chanoine pénitencier, Michel Btanchini, son frère, Don Alphonse, leur neveu, et deux autres jeunes eoclôsks-tiques.

A la suite d'une minutieuse, mais infructueuse perquisition domiciliaire, le frère Martone, prieur des Dominicains du Vomero, à Naples, est arrêté et conduit au dépôt de police.

—Le curé de Viggiano (Basilicate), est soumis à un procès criminel, comme ayant reçu d'une bande de brigands la somme de 70 piastres pour célébrer des messes. Le juge commence naturellement par mettre la main sur les piastres.

Dom Barthélémy, des comtes Capasso archidiacre de l'église métropolitaine de Bénévent, est traîné en prison comme coupable d'avoir reçu d'un inconnu, dans l'église, trois billets imprimés en caractères mystérieux dont lui-même proteste d'ailleurs ne pas connaître le sens. La population attribue à la police piémontaise cette odieuse machination.

A la suite d'une visite domiciliaire, le vicaire deProcida est arrêté et conduit dans la prison de Pozzuoli.

—Le 27 octobre, le général piémontais Franzini arrive à Sant-Agata de' Goti (Terre de Labour), et demande au syndic: «Combien avez-vous de prêtres en prison? —Aucun, général. — C'est un tort! Arrêtez-en immédiatement le plus possible, pour donner un peu de ton à la chose (1)!»

— Dans une visite domiciliaire chez le prêtre napolitain Antoine Cappettella, la police saisit son chapeau, comme étant un objet criminel, parce qu'il est doublé de blanc, «indice de tendances séditieuses.»

(1)Ces paroles du digne lieutenant piémontais ont été rapportées par la plupart des journaux.

VII

A la su^te de nombreuses surprises domiciliaires,sans résultat autre que l'arrestation arbitraire de beaucoup de membres du clergé, le sieur Assanti, préfet de Bari, fait saisir, dans les presbytères et les paroisses, le calendrier diocésain, publié sous les auspices de Mgr l'archevêque Pedicini, alors en exil; déclare nul et comme non avenu l'indult ecclésiastique pour le jeûne quarésimal, — comme ne portant pas l'exéquatur royal, — et,de sa préfectorale autorité, prescrit la manière de se régler en cette, matière (1).

—Le chef de police de Rossano (Calabre), saisit, dans chaque église de la ville, tous les missels imprimés à Naples à là typographie de Bonis, sous la direction du feu chanoine Jean Gallo, — sous prétexte que, dans le canon de la messe, il n'avait pas trouvé l'oraison Et pro-rege nostro N.: Ainsi, de l'autorité d'un simple policier piémontais, s'il ne se fût pas trouvé d'autres missels à Rossano, tous les prêtres de la ville eussent été

(1)Circulaire du préfet de Bari, 28 février.

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comme frappés d'interdit» et la ville elle-même, par conséquent.

Dans la province de Teramo (Abruzzes), l'autorité se laisse aller à de violentes menaces contre quiconquese conformera à une bulle non munie de l'exéquatur royal (1).

Par ordonnance ministérielle, approuvée par le roi, le garde des sceaux, usurpant les droits du général des Franciscains, confirme et maintient le père Salvatore de Magazino dans la charge de provincial des Mineurs réformés, bien que, d'après les règles de l'ordre,son mandat religieux soit expiré et non renouvelable. —La presse révolutionnaire même tourne en ridicule cette audacieuse usurpation  du garde des sceaux piémontais.

Des agents de police envahissent la cathédrale de Manfredonia (Pouille), pendant que les chanoines célèbrent l'office divin.  Les agents piémontais se répandent en injures contre les fidèles présents, et les menacent de la prison, où se trouve déjà le vicaire général dû diocèse; puis ils saisissent dans la sacristie, comme objets criminels, deux tableaux représentant l'ancien roi Ferdinand II et la vénérable reine Marie-Christine de Savoie, mère de S. M. le roi François II.

Le gouvernement solde différents organes pour tourner en dérision la discipline ecclésiastique et déterminer certains membres du clergé, naguère trop comblés de bienfaits par les Bourbons, à autoriser l'ingérence du gouvernement dans les affaires ecclésiastiques (2).

(1)Circulaire du préfet Attanasio, 24 février.

(2)Le journal le Monitore, 1874, n»36.

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—Le   gouvernement   viole    scandaleusement   le règlement de Tordre des Capucins, lors de l'élection du provincial de Salerne, et  impose une de ses créatures.

—Par un décret en date du 5 mars, le garde des sceaux oblige à l'exéquatur royal toute provision provenant d'autorités ne résidant pas dans le royaume. DeC6lte manière, le ministère soustrait la presque totalité de l'Italie à la juridiction du Saint-Siège, l'accomplissement de ses règlements dépendant de l'arbitraire du premier employé venu.

— Un certain nombre de journaux publient à ce propos une protestation énergique de l'épiscopat napolitain, signée de soixante-neuf archevêques, évêques ou vicaires capitulaires du royaume, à laquelle déclarent adhérer, par lettres, les évêques exilés. La protestation expose au roi Victor-Emmanuel toute l'énormité de cette usurpation, l'injure qu'elle fait à l'Église et le poids des chaînes qu'elle lui impose.


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—L'horreur qu'inspirent tant d'odieuses persécutions s'étend jusqu'au Nouveau-Monde. Dix évêques du Canada, réunis en concile provincial a Québec, adressent dès paroles d'encouragement et d'admiration aux évêques des Deux-Sicilies victimes de la révolution, et l'archevêque de Naples, cardinal de Riario-Sforza, une lettre en date du 21 mai, dans lamelle ils louent «le courage et l'invincible constance de l'épiscopat napolitain, exilé de sa patrie, séparé violemment de son troupeau, et douloureusement contraint à laisser sans appui spirituel les fidèles exposés à tant de dangers. L'épiscopat des Deux-Sicilies apparaît au monde comme le modèle des hommes qui combattent le combat légitime. Dieu veuille mettre bientôt fin à tant de souffrances, et rende, à leurs fils bien-aimés, pour le bien de la patrie

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et de l'Église dont ils sont l'honneur, les pasteurs exilés qui souffrent pour la foi du peuple.»

D'augustes encouragements sont adressés par les ouverain Pontife au clergé napolitain, dans l'encyclique du 10 août, par laquelle il condamne les impiétés dont-il souffre, et loue sa fermeté et son zèle.

A la suite de la publication de l'encyclique et de la lettre des évêques du Canada, les persécutions redoublent à Naples contre tous les membres du clergé. Les ecclésiastiques français deviennent particulièrement le point de mire des vexations de la police.

Un journal napolitain (1) publie la protestation qui lui est adressée par Mgr Caspro, évoque de Gallipoli; elle confirme le public dans l'opinion que le gouvernement avait suscité et très-probablement soudoyé les manifestations populacières, dont un certain nombre de prélats eurent à souffrir.

«Le Monitore rapporte, d'après une correspondance turinoise, que le ministre garde des sceaux a écrit à beaucoup d'évêques exilés de leurs diocèses, pour les prier d'y retourner et de rouvrir les séminaires, leur promettant d'employer tous les moyens justes et licites pour qu'ils ne soient pas troublés par la canaille révolutionnaire (2), lorsqu'ils seront rentrés à leurs postes, comme a fait l'archevêque de Tram, ensuite d'une invitation ministérielle.»

Je laisse de côté les sages réflexions du correspondant pour lui signifier que sa nouvelle est fausse, ou au moins inexacte, et qu'elle pourrait confirmer dans leur erreur ceux qui, de bonne ou de mauvaise foi,

(1)Le Monitore, 25 juin.

(2)Non fossero disturbati della Ciurmaglia rivoluzionaria.

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se permettent de blâmer l'absence des évoques, comme s'il était en leur pouvoir de retourner dans les diocèses auxquels ils sont attachés par tant de liens de devoir et d'affection. Le garde des sceaux n'a jamais adressé aux évoques une pareille invitation, ni, je le sais de source certaine, au louable archevêque de Trani. Le ministre, au contraire, jouit des revenus des menses épiscopales illégalement saisies, et rien n'en est appliqué selon le vœu des bienfaiteurs et les lois canoniques. Eh! qu'ont donc fait les pauvres de l'Italie pour être ainsi dépouillés de leur patrimoine? La véritable et principale cause de leur absence forcée, c'est qu'ils ne veulent pas se trouver abandonnés au pouvoir d'une poignée de misérables, sans que le gouvernement garantisse aux évêques les droits et la protection que tout gouvernement se croirait obligé de garantir au dernier des citoyens. Les prélats se trouveraient donc de nouveau dans cette dure alternative, ou de voir impunément insulter leur dignité, c'est-à-dire plus que leurs personnes, ou de mettre en péril le vrai peuple, qui prendrait certainement leur défense contre la populace. Quant aux séminaires, il est vrai que M. le ministre, à la suite des remontrances de l'épiscopat napolitain, publia sa circulaire du 20 mars dernier; mais il est vrai aussi que l'on en attend encore le sincère accomplissement.

VALÉRIO.

Évêque de Gallipoli.

— Le député Boncompagni déclare que ce n'est qu'en affamant le clergé supérieur et en lui enlevant ses biens qu'on fera cesser sa pression sur le clergé inférieur (1).

(1)Séance parlementaire du 1 décembre.

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— Un journal de Turin (1) conseille au gouvernement de «dompter le prêtre par la faim, qui dompte jusqu'aux bêtes féroces.»

(1)Le Diritto, 30 septembre.

VIII

Dans une relation, officielle, le préfet de Chieti (Àbruzzes)-affirme que «l'archevêque de cette ville a été obligé de s'en éloigner et de se retirer à Foggia, dans son pays, parce que le^gouvernement n'était pas assez fort pour le protéger contre la canaille qui voulait donner l'assaut au palais archiépiscopal (1);» le préfet ajoute que «la population est très-dévouée a ce prélat, à l'exception de quelques membres du conseil municipal, irrités de ce qu'il ait puni trois prêtres pour avoir chanté le Te Deum de la fête nationale, en désobéissance aux instructions ecclésiastiques; ces conseillers vont même jusqu'à demander la confiscation de la mense archiépiscopale, basée sur l'absence du titulaire.» — Le gouvernement se contente de donner d'autres appointements aux trois prêtres coupables.

(2)Perché il governo mancava di forza per proteggerlo contro la canaglia, che voleva dare la scalata al palazzo arcivescovile.

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—Un conflit éclate entre le préfet de Chieti et l'archevêché sur les mesures à prendre relativement au séminaire. Le préfet,- n'ayant pas pour lui la force du droit, se rejette sur le droit delà force pour vaincre l'énergique fermeté de l'archevêché; ce qui ressort clairement des deux documents qui suivent:

Le ministre de l'instruction publique au préfet de Chieti.

«Turin, 8 octobre 1863.

Les choses que contient votre lettre font voir au ministère avec quelle obstination la cour archiépiscopale continue à contrarier nos ordonnances sur les école. Tout document examiné, aucun accord possible ne reste à espérer. Puisque l'autorité a épuisé tous les moyens pour amener le séminaire à accepter Tes conditions établies par le conseil général le 19 septembre dernier, il faut fermer ledit séminaire

Le ministre de l'instruction publique.

Amari.»

L'économe général à M. le préfet de Chieti.

«Naples, 6 octobre 1863.

En réponse à votre note du 28 septembre dernier, m° 1426, je vous fais connaître que, le 2 du courant, j'ai communiqué au sous-économe du diocèse de Chieti les instructions nécessaires pour la prise de possession du séminaire et la saisie de ses revenus, aux termes de la circulaire ministérielle du 20 mars.»

—Les adresses et les hommages les plus affectueux sont envoyés aux évêques napolitains exilés,

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par les fidèles populations, qui ne cessent de demander leur retour; mais Turin fait la sourde oreille à tant d'éclatantes protestations. — On ne saurait décrire la joie enthousiaste avec laquelle Mgr l'archevêque de Conza est accueilli à sa rentrée dans son diocèse. — Pendant que l'évêque d'Avellino est en prison, le peuple lui envoie une croix et une chaîne d'or, et adresse au roi Victor-Emmanuel une protestation demeurée sans résultat. Personne n'ignore que Mgr d'Avellino n'est emprisonné que pour s'être attiré l'inimitié du despotique préfet, M. de Luca. Son despotisme dépassant toutes bornes, la population indignée réclame son expulsion, et va jusqu'à le menacer (1).

—Les populations emploient tous les moyens qui leur permettent de protester contre l'invasion piémontaise et les doctrines qu'elle représente. Ainsi, dans toutes les provinces, on célèbre avec une pompe extraordinaire les Triduum, en réparation des impiétés contenues dans le livre sacrilège de M. Renan.

—L'indignation publique éclate sans réserve alorsque, dans une église de Naples, un homme, reconnu plus tard pour être un agent de police déguisé, pousse un vivat en l'honneur de l'auteur de la Vie de Jésus^sans doute pour devenir à son instar chevalier des Saints-Maurice-et-Lazare; — quand la police piémontaise veut empêcher le peuple, selon la vieille et pieuse coutume,d'allumer des feux de joie sur le passage nocturne du^saint viatique; —quand, dans le but le plus impie,d'odieux outrages sont faits à l'image vénérée de la Madone placée dans la rue de Tolède, non loin du poste de la garde nationale, et que ces exécrables attentats se

(1)Le journal le Popolo d'Italia, 11 décembre

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renouvellent successivement sur d'autres images saintes disséminées dans la capitale; —enfin, quand le Journal officiel, avec une laconique indifférence bien digne des modernes iconoclastes, annonce que «le municipe a décidé que, pour la dignité de la religion, toutes les images de saints et de madones seront enlevées des rues.»

—A l'heure où le clergé était, sans aucun doute, endroit de s'attendre à quelque réparation, il paraît une circulaire ministérielle, ordonnant aux procureurs-généraux de dresser une statistique, non des atrocités dont le clergé, depuis quatre ans, n'a cessé d'être victime, mais au contraire des déltis pour lesquels il a subi des condamnations. Voici d'ailleurs la teneur même de ce document:

Ministère de grâce et justice et des cultes
«Turin, 15 janvier 1864.

Il est utile au ministère de se former promptement une statistique exacte des crimes prévus par les articles 268 et 271 du Code pénal, et semblables, commis par des ecclésiastiques de quelque ordre et de quelque rang que ce soit, depuis que le royaume d'Italie se trouve constitué. De là, le besoin de demander les éléments nécessaires pour compiler ce travail. Vous êtes donc prié de fournir au ministère les extraits des sentences de condamnation.»

—Le gouvernement piémontais gagnerait à méditer ces paroles d'un homme qui ne saurait être suspect à ses yeux, M. Nicolas Tommases:

«L'Italie doit penser qu'il est une unité plus intime et plus large que celle de l'Italie; je parle de l'unité catholique....

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Que le gouvernement remercie celui qui diffère pour lui la terrible épreuve de Rome: Rome est un nom qui écrase (1).»

—Le fameux   défroqué  Pantaleo monte  dans   la chaire d'une église de Palerme, et demande avec furie la suppression totale des couvents, des évêchés, de la papauté, et l'abolition du célibat des prêtres: «Marie-toi,et ne nous ennuie pas de tes sottises!» lui crie une voix; et les personnes présentes se retirent en retenant difficilement leurs rires, malgré les déclamations forcenées du pauvre diable.

—Un vendeur de bibles protestantes, du nom de Bernotto, s'improvise évangélisateur et, avec la permission de l'autorité, prêche publiquement à Chieti contre le catholicisme. La foule l'interrompt à coups de sifflet et le reconduit aux cris de: «Vive la religion de Jésus-Christ!»

—Les missionnaires de toutes les sectes ennemies de l'Église et de la véritable grandeur de l'Italie reçoivent de l'autorité la plus patente protection, et, tandis qu'on ferme brutalement les séminaires et les écoles catholiques, de nombreuses écoles protestantes reçoivent l'autorisation de s'ouvrir dans les villes du royaume. Tandis qu'on saisit les missels et les paroissiens catholique sur le plus futile prétexte, on laisse les sectes anticatholiques  et démoralisatrices répandre à profusion l'argent, les promesses et les livres impurs.

—En la présence même de S. A. R. Madame la duchesse^ Gênes, de graves scandales sont commis par

(1)Lettre à M. Cenno auteur d'un live  Sur les conditions présentes de l'Italie. ~ Lucques, 1863.

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l'autorité dans l'église royale de Saint-François de Paule, à Naples pendant la semaine sainte (1).

—En dépit de tous les efforts contraires, le gentiment catholique reste inébranlable dans les populations. En plusieurs endroits, comme par exemple à Sânt1 Elia-Pienise, province de Campobasso, le 19 août, la population achète tous les livres d'un colporteur, protestante ou obscènes, et les brûle sur la place publique, en criant:»Nous sommes catholiques!

—En vertu d'une simple circulaire Ministérielle (2),est ordonnée l'admission, légale dans les registres dé l'état civil des mariages de tous les cultes; ce qui viole la législation en vigueur et l'ancien règlement ecclésiastiques du royaume (3).

—Soixante-dix-sept archevêques, évêques et vicaires capitulaires des Deux-Sicilies adressent à ce sujet, au roi Victor-Emmanuel une protestation où se trouve ce passage: «Maintenances sectes anti-catholiques, qui jusqu'alors avaient été inconnues en Italie, sont comblées de faveurs par le gouvernement qui, à son tour, reçoit des journaux, leurs organes, de telles actions de grâces qu'elles ne semblent plus seulement tolérées, mais protégées par lui.»

—L'église de Corigliano (Calabre) est envahie par une poignée d'ivrognes escortés de musiciens,  qui entonnent l'hymne révolutionnaire, et empêchent le curé de continuer le sermon qu'il faisait à l'occasion de la fête du 8 septembre. Loin de punir les auteurs de cette

(1) Journal officiel de Naples, 3 avril, n» 76.

(2) Circulaire du garde des sceaux, en date du 3 juin.

(3) Rescrit royal du 26 septembre 1824. — Articles 67 et 150 du Code civil.

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violation sacrilège, le gouvernement fait, au contraire, un procès au pauvre curé, sous prétexte qu'il a omis de chanter l'oraison Pro-rege (1).

— Le conseil municipal de Chieti prive de leur pension les religieuses de la Charité, «comme se montrant, dans leur conduite, étrangères à la politique des annexions.»

(1  Le Monitore di Napoli, 30 septembre.

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IX

Les réfractaires emprisonnés au fort du Carmen, à Naples, sont mis aux fers pour avoir célébré, avec un pieux empressement, la Nativité du Sauveur, pour avoir aligné des cierges et chanté le Te Deum devant une image de Jésus enfant.

—Des menaces directes ou indirectes, publiques ou anonymes, sont adressées aux prêtres fidèles, pour les intimider dans l'accomplissement de leur devoir.  La presse révolutionnaire flétrit cyniquement «l'avarice des prêtres, des moines, des religieuses, qui ont donné peu ou rien à la souscription contre le brigandage» elle traite de parasites de la société ces mêmes hommes que la société piémontaise vient de dépouiller de tous leurs biens. Enfin, elle descend jusqu'à injurier personnellement certains prêtres et à les désigner à la vindicte de la populace (1).

La presse révolutionnaire applaudit ensuite   les maires ou les conseils municipaux qui confisquent

(1)Le Precursore de Palerme, 20 janvier

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les revenus des prêtres qui, pendant le carême, ont omis de bénir le roi, le parlement et la garde nationale. Voilà un trait burlesque! — Elle se réjouit également des persécutions qui atteignent les prélats les plus distingués, tels que Mgr Tipaldi, vicaire de la cour archiépiscopale de Naples, condamné à trois mois d'exil pour avoir suspendu a divinis le chanoine Palumbo, devenu député piémontais, et avoir refusé sa sanction à la nomination irrégulière des recteurs intrus de l'église interdite de Sainte-Brigitte.

—La même presse, oublieuse de toute dignité, pousse l'autorité à sévir contre les curés qui refusent l'absolution H li sépulture ecclésiastiques aux impénitents. L'excellent curé (le San-Giovanni-Maggiore, de Naples, apprenant que le praire apostat Antoine Niele, d'Ândretta d'Avellino, était mourant, Recourt à sa demeure pou lui demander la réparation suprême, la rétractation de ses erreurs; mais il est chassé parles amis du moribond. Néanmoins, la police piémontaise lance contre le digne curé un mandat d'arrestation.

—Ainsi les hommes de l'Église libre dans l'État libre refusent à l'Église jusqu'à la liberté de conscience. — Je ne serais pas étonné, après cela, de trouver un matin,an tête de la Gazette officielle, du royaume d'Italie, un ukase ministériel décrétant l'absolution de tous les italianissimes décédés dans l'impénitence finale. Cène serait pour tu ut pus le trait le plus burlesque de cette funèbre comédie unitariste.

—L'autorité ecclésiastique ayant interdit l'église du Gesù-Nuovo, la police y nomme d'office deux prêtres apostats, partisans enthousiastes du commandeur Passaglia, Gesualdo Caso et Gabriel Viareggio. Peu de temps après, la police demande à l'ancien curé, l'abbé de Carlo, démissionnaire, un catalogue des objets qui existaient

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dans l'église et y appartenaient lors de sa retraite. On s'aperçoit alors de la disparition d'un grand nombre de tableaux et objets précieux, que s'étaient annexés, pour les vendre, les deux partisans du R. P. Passaglia.

Circulaire du procureur général Ferretti aux divers parquets judiciaires:

«Turin, 16 janvier 1863.

On parle d'une encyclique pontificale adressée à tous les Ordinaires d'Italie, pas laquelle on leur ferait une loi d'enlever ou de refuser la pouvoir de confesser à tous les prêtres qui ont souscrit J'adresse au Saint-Père de l'abbé Charles Passaglia. J'invite un procureur de roi à donner aux jugea d'arrondissement les instructions nécessaires, afin que, si jamais l'encyclique entrait d'une manière quelconque dans le royaume, ils en, empechent l'exécution et procèdent contre, ceux qui voudraient l'introduire ou l'exécuter»

— Le 8 janvier, le ministre garde des sceaux demande au directeur de la caisse ecclésiastique, de Naples de lui dresser le tableau des églises vacantes, et de lui proposer «comme curés des prêtres qui sachent unir la charité chrétienne è l'amour de la patrie, en y joignant les indications nécessaires pour faire avancer et avantager les membres du clergé dévoués à la cause nationale (1)» Le ministre demande encore un compte exaet des dîmes et revenus des paroisses.

Ordonnance du garde des sceaux, ministres des cultes:

(1)C'est-à-dire schismatiques.

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«Turin, 21 février 1863.

Voulant assurer que la provision des bénéfices et chapelleries de droit royal s'effectue à l'avantage des ecclésiastiques signalés par leur dévouement à la cause nationale (1), — et voulant également leur épargner la perte de temps qu'entraînent les démarches en usage, — nous ordonnons:

1° Il est établi pour les provinces siciliennes une commission qui prendra le nom de Commission des provisions ecclésiastiques, et  siégera à Palerme, composée du juge royal, président, du procureur général à la cour de cassation, et du directeur général des contributions

2 La commission aura pour charge principale d'examiner tous les titres en vertu desquels les impétrants, ou ceux qui ont droit de les proposer ou de les nommer, demandent au roi la provision d'un bénéfice, ou d'une chapellenie, ou de toute autre institution ecclésiastique (2).»

— Le gouvernement invite l'apostat Louis Prota, dominicain défroqué, président de l'association clerico-liberale émancipatrice, à se rendre à Turin, avec le P. Jean de Pescopagano, provincial des Capucins de

(1)Même observation.

(2)Ainsi voilà un directeur des contributions qui peut mettre on veto à toute nomination ou promotion ecclésiastique faite par lès évêques!

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Salerne (1), pour faire approuver un mémoire rempli d'injures contre le clergé rétrograde et contre le pouvoir temporel du Saint-Siège. Bientôt un décret royal, en date du 8 février, confère audit Prota la croix de chevalier des saints Maurice et Lazare.

—Le député napolitain Maresca interpelle le garde des Sceaux (2) pour exprimer son étonnement de ce que «le gouvernement s'immisce dans les affaires de religion, et se mette à protéger une société de prêtres,tandis qu'il a fulminé la suppression des autres sociétés émancipatrices (3), sans savoir de qui ces prêtres entendent s'émanciper.» — Du pape des évêques! Répondent plusieurs députés. — Le garde des sceaux prend alors la parole pour faire un brillant panégyrique du défroqué Prota, qu'il représente «comme sincèrement chrétien et dévoué à la cause nationale, dans l'intérêt de laquelle il a publié des écrits catholiques.»— Un journal de Paris (4) fait observer à ce propos que le ministre Pisanelli a fait là une réponse déplorable, puisqu'il se crée juge du dogme, et conclut que bientôt il suffira qu'un prêtre libéral fasse condamner un de ses écrits par la congrégation de l'Index pour recevoir la croix des saints Maurice et Lazare.

Un mot sur la Société émancipatrice du défroqué Prota. Elle débuta par adresser aux membres du clergé

(1)Le général de l'ordre des Capucins a adressé au P. Jean,de Pescopagano,  une  lettre par laquelle il réprouve sa conduite, et déclare usurpé le titre qu'il prétend de Provincial de l'ordre, et arbitraires, comme illégitimes, ses prétendus comices provinciaux. — Giornale di Roma, 12 février 1864.

(2)Séance parlementaire du 23 février 1863.

(3)Décret du 10 août 1862.

(4)La Presse, 1 mars 1863.

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des Deux-Sicilies, pour obtenir leur adhésion, une adresse captieuse, au fend purement sacrilège; puis elle publia une nombreuse liste de prêtres qu'elle présentait comme ses prosélytes. Ce n'était encore qu'une comédie calomnieuse, qui amena la contre-publication, dans la plu part des feuilles catholiques (1), d'une longue série de protestations et de dénégations, de la part de l'immense majorité des prêtres impudemment désignés comme coreligionnaires du commandeur Passaglia et du chevalier Prota.

—Un député sicilien prononce au parlement les paroles suivantes (2):

«La cause principale du mécontentement en Sicile est que les intérêts les plus sacrés y sont lésés. Là, les populations sont profondément catholiques; elles sont donc contrariées de la suppression des congrégations religieuses. Gela est très-vrai» Je connais la Sicile, tandis qu'il y a ici des gens qui ne savent même pas si elle est He ou continent. A présent, en Sicile, il est un petit nombre de personnes qui applaudissent à la suppression des corporations religieuses, vous comprenez aisément pourquoi Je suis sincère.»

—Paroles du député Boggio au parlement piémontais (3):

«La Caisse ecclésiastique mérite d'être gravement censurée: elle n1a jamais donné un centime aux curés pauvres, et, qui plus est, elle nous a offert le triste spectacle de religieuses et de moines, incapables de se procurer le nécessaire, ne recevant pour vivre que huit sous par jour...

(1)Particulièrement dans l'Armonia et l'Unità Cattolica de Turin.

(2)Séance du 17 avril.

(3)Séance du 21 avril.

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Le ministère a tort de protéger les prêtres suspendus a divinis; ils ont perdu tout crédit et toute autorité sur les fidèles, et ne sont d'aucun appui pour le gouvernement; au contraire, ils l'entravent et lui font du tort. En les ayant sur les bras, il n'acquerra aucune autorité morale; il aura une armée de combattants, c'est vrai, mais sans savoir contre qui les /aire combattre. Ces hommes ne peuvent lui être d'aucune utilité morale ou politique, tandis qu'au contraire ils nous causent de graves dommages financiers.»

— Le préfet d'Avellino fait amener en sa présence, par quatre sbires, le vieux moine F. Antonio Barletti, et le menace de le faire emprisonner pour le reste de ses jours s'il ne lui remet immédiatement une médaille quil porte, dit-on, sur lui, à l'effigie de la vénérable Marie-Christine de Savoie, mère de S. M. le roi François II.

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X

Le plus éclatant hommage qui ait été adressé au clergé des Deux-Sicilies se trouve dans les Circulaires des agents piémontais mêmes. Après avoir dépouillé brutalement le Chef de l'Église; après avoir spolié le clergé de tous ses biens, après avoir usurpé honteusement le royaume les restaurateurs de la morale et de la liberté en sont réduits au plus complet aveu d'impuissance et font simultanément appel à l'intervention du clergé.

Circulaire du préfet de Foggia, adressée aux prêtres et spécialement aux curés de la province:

«Foggia, 6 mars 1863.

Le soussigné vous prie de répéter continuellement, en exhortant le public, que le premier devoir imposé par la religion au chrétien est de respecter le prochain et la propriété d'autrui; que l'offense aux personnes ou aux choses, la violence et la rapine sont des péchés (1) et des délits très-graves, condamnés parles lois divines et humaines. Le clergé doit enseigner ces

(1)Peccati e delitti gravissimi.

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vérités, et il est certain qu'il réussira à tes faire pénétrer dans l'esprit de tous, parce que, en parlant au nom de Dieu, on trouve ouvert le chemin de la conscience, et non-seul ornent on persuade, mais on impose. Les curés et les prêtres, par l'exercice des vertus chrétiennes, ont su acquérir sur le peuple ce salutaire ascendant que donnent la supériorité morale et l'honnêteté de la conduite(2).»

Circulaire du ministre de Grâce et Justice et des Cultes, adressée aux Révérendissimes Ordinaires des diocèses et à MM. les curés des Provinces méridionales:

«Turin, 22 août 1863.

...Le soussigné s'adresse, avec les plus instantes prières, aux Révérendissimes Ordinaires des diocèses, et principalement aux curés, en somme à tout le clergé, — qui a tant de facilités de se mêler à toutes les classes de citoyens, tant de moyens de donner de l'autorité à sa parole, comme maître de l'enseignement de cette religion qu'on appelle la religion de la charité, du pardon et de la paix, -— pour concourir à la répression du brigandage; les prêtres devant se faire les hérauts de la concorde, prêcher le respect des autorités constituées et l'observation des lois, encourager les timides, et insinuer à tous que c'est une sacrilège profanation des noms les plus saints que font les brigands et leurs fauteurs, quand ils osent se dire les soutiens de la religion, du droit et de Tordre, et mettent criminellement la main sur les biens des pacifiques citoyens, et tuent des hommes sans

(1)Je n'en pouvais croire mes yeux: j'ai relu deux fois, ayant de le traduire, ce singulier document» qui m'a rappelé le du Renard prêchant

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défense, j'ai pleine confiance que les Révérendissimes Ordinaires diocésains, s'inspirant de l'amour delà religion sauront trouver, dans leurs instructions au clergé, une vigueur de parole suffisante pour en obtenir le plus prompt concours dans une œuvre qui sera un nouvel honneur pour le sacerdoce catholique (1).»

—Au mois de décembre, le municipe de Messine s'adresse officiellement au clergé, afin qu'il  s'entremette auprès des nombreux réfractaires de la Sicile et les détermine a se présenter au recrutement.

—Par circulaire (2) en date du 30 janvier, le préfet dé là Terré dé Labour imposé une souscription volontaire à l'administration des œuvres de charité, la forçant à donner à la caisse des souscriptions pour la répression du brigandage les fonds destinés à la bienfaisance publique;

Dans une commune de la Sicile, un gros de populace fond sur le prêtre qui portait processionnellement une statuette de la sainte Vierge et la met en pièces à coups de hache.

Dans une autre commune on allume des cierges devant une image du diable. — Le ministre de l'intérieur proclame, du haut de la tribune parlementaire (3),que dans le premier cas, c'est un grand acte patriotique d'un peuple doué des meilleures qualités, et) dans le second cas, que l'acte est bien naturel puisque assurément le diable a été plus propice à l'Italie que tout saint

Le ministre des finances confesse au parlement (4)

(1)Cette homélie ministérielle n'a certes rien k envier à l'encyclique préfectorale de Foggia.

(2)Circulaire n° 19.

(3)Séance parlementaire du 7 décembre.

(4)Séance du 12 décembre.

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que «beaucoup de difficultés, et aussi l'opposition politique, ont rendue impossible la vente des biens ecclésiastique et des corps charitables, lesquels, en dehors de ce qu'on a déjà vendu produisent un revenu annuel de 164 millions.» Le ministre ne voit «d'autre moyen de sortir d'embarras qu'en offrant à une riche compagnie étrangère de lui vendre ces biens.» — N'est-ce pas avouer que les populations des Deux-Sicilies sont hostiles au dépouillement des corps de charité, et ne veulent pas s'associer à l'usurpation sacrilège du Piémont?

— Une circulaire du ministre dé l'intérieur (1) décrète que «les fonds et les biens des œuvres de charité ont été négligés, mal administrés et dilapidés par les mauvais gouvernements passés (2),» et qu'il réparera le mal. en appliquant la loi sanctionnée à turin le 3 août 1882.

— Il ne sera donc pas sans utilité de placer sous les yeux du public un tableau succinct des institutions charitables du royaume des Deux-Sicilies et de l'administration de leurs fonds sous les Bourbons. — Ces institutions étaient au nombre de 8,589, jouissant d'un revenu annuel de 3 millions de ducats, représentant un capital de 60 millions de ducats (3). Rien qu'à Naples, on trouvait 571 établissements, avec un revenu d'environ un million et demi de ducats. Turin, sous ce rapport comme sous tant d'autres, était donc inférieur à Naples, et l'exposé de ces chiffres fait clairement ressortir l'outrecuidance du ministre subalpin; — Parmi lés établissements dignes d'une attention particulière, nous citerons:

(1)Publiée dans la Gazette officielle du 3 janvier 1863.

(2)Neglette, male amministrate e distratte dà cattivi governi passati.

(3)Journal officiel de Naples, 9 octobre 1861.

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1° L'hôtel royal des Pauvres, fondé par Charles III de Bourbon, abritant cinq mille orphelins des deux sexes, et jouissant d'un revenu de 300,000 ducats. Cet établissement était pour les Napolitains un objet d'admiration et d'envie pour les étrangers. Son administration était irréprochable. Des milliers d'enfants pauvres y recevaient l'instruction gratuite. Ceux de la succursale de Saint-Laurent d'Aversa étaient renommés pour leurs succès dans les différentes branches des arts et métiers.

2° La maison de l'Annonciation, entretenant plus de 2,000 enfants trouvés, avec un revenu d'environ 100,000 ducats.

3° Le grand hôpital des Incurables, abritant environ 1,300 infirmes, et jouissant d'un revenu de 150,000 ducats, sur lequel il devait en outre entretenir 200 jeunes filles au conservatoire de Maddalenella et de Sant'Antoniello.

4° Le Monte-de-Miséricorde, ayant 100,000 ducats de rente, qu'il dépensait en aumônes, en donnant des vêtements aux indigents, en dotant les filles pauvres, en soignant les malades à domicile ou les entretenant aux bains minéraux des îles, en délivrant les pères de famille prisonniers pour dettes, etc.

— Outre les nombreux établissements de charité ecclésiastiques ou laïques nommés parle député Ricciardi (1), il y avait encore à Naples, selon l'exposé du député Pétruccelli délla Gattina (2), il y avait, dis-je, sous les Bourbons, des caisses de secours qui, outre les aumônes quotidiennes des fidèles, possédaient un capital de 180,000 ducats, et, dans le royaume, 1,121 greniers de secours pour les agriculteurs pauvres, contenant une valeur de près de 600,000

(1)Séance parlementaire du 18 mai 1861.

(2)Séance du 4 avril 1861.

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ducats de blés.—Enfin, un député sicilien (1), en s'opposant à l'emphytéose perpétuelle des biens ecclésiastiques, rendit cet hommage peu suspect à l'ancienne administration: «Nous avons l'expérience du passé. Sous les Bourbons, en Sicile, nous avions à la tête du gouvernement des hommes dont les idées politiques différaient des nôtres, mais qui pourtant, dans la partie pratique de l'administration des biens du domaine et des lieux de charité, nous rendirent de grands services pendant plusieurs années.»


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Il existait à Naples un asile de la Madeleine dont le nom seul indique l'objet. Les femmes qui y entraient tout volontairement, rachetaient leurs désordres passés par la pratique de la charité chrétienne; elles devenaient infirmières dans les hôpitaux. Quoique jouissant de revenus personnels, fournis par la charité privée et par le travail des femmes, l'asile de la Madeleine a été victime aussi de la politique piémontaise, et annexé arbitrairement à l'hôtel des Pauvres, dont l'administration est le modèle de tous les désordres.

L'hôpital des Incurables, naguère si riche, est tellement appauvri aujourd'hui, que les administrateurs actuels ont adopté l'expédient de vendre le premier bouillon des viandes de l'hôpital, et de ne donner aux infirmes que le second, qui n'est presque que de l'eau chaude (2).

Un journal napolitain s'exprime en ces termes sur l'administration de l'hôtel royal des Pauvres (3):

«Déplorable est l'administration de cet établissement.

(1)Séance parlementaire du 15 avril 1861.

(2)Le journal le Corriere d'Italia, 22 février 1863.

(3) La Campana del popolo, n° 121, août 1863.

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unique en Italie et qui a peu d'émulés en Europe. La charité privée, toujours vive dans les cœurs napolitains, l'enrichissait d'une, rente annuelle d'environ 300,000 ducats; et pourtant, qui le croirait? les pauvres enfants du peuple qui y sont recueillis aujourd'hui gémissent dans la vermine sur la paille, avec quelques onces de pain et de pâtes cuites à l'eau pour toute nourriture. Ce revenu important sert à un autre usage$ que nous ne voulons pas indiquer pour ne pas faire de personnalités. On gaspille 24,000 ducats pour une nouvelle cuisine à vapeur, bien qu'il y en eût déjà deux; 6,300 autres ducats pour mettre de l'asphalte dans un endroit inutile; et tant d'autres milliers de ducats dépensés en superfluités, pour ne pas dire en gaspillages, qui rapportent 80 p. 0/0 aux poches de la camorra administrative et 45,000 ducats par an au petit nombre des bureaucrates, sans compter les pensions qu'on paye aux employés mis à la retraite sans motifs. Aucun art, aucune institution, aucune manufacture pour améliorer le sort de tant d'enfants des deux sexes, déjeunes gens et même de vieillards, qui dorment, dans Naples, sur la terre nue, et qui mériteraient bien cependant d'être recueillis dans un établissement charitable!— O chère mémoire de l'ancien administrateur Antoine Sancio, toi qui appartenais au gouvernement de la négation de Dieu, toi qui dirigeais si saintement ces malheureux et dépensais leur revenu avec économie, sois la condamnation tacite des tyrans actuels! Ils ne voient pas l'enfant gisant affaissé, lé jeune homme exténué qui n'a aucun espoir d'améliorer son sort par quelque industrie (1), lie sourd

(1)Le papier administratif dé Naples, pour ne citer qu'une chose, est envoyé de Turin. — Le Piémont fait faire ses sceaux et fies timbres-poste en Angleterre.

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muet qui regarde le ciel en protestant contre les oppresseurs, les vieillards, les boiteux, les aveugles, les infirmes qui meurent de faim, privés de secours... En regard de faits aussi irrécusables, hommes du gouvernement de Turin, continuerez-vous à mentir et à persister dans votre obstination de régir les destinées de ce pays?»

Deux malheureux jeunes gens sont tirés de l'hôtel des Pauvres et traînés en prison, pour avoir brisé un buste de Victor-Emmanuel exposé dans une des salles de l'hôtel.

Par la négligence de l'administration, un enfant est trouvé mort d'inanition dans l'hôtel royal des Pauvres (1).

(1)Gazette de Naples, avril 1863

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XI

Le gouvernement des Bourbons donnait un asile aux mendiants. Le gouvernement des libérateurs met les mendiants en prison, où on les trouve souvent morts de faim par la négligence des administrateurs (1).

L'archiconfrérie de Saint-Joseph, à Naples, donnait des vêtements aux indigents. Le gouvernement l'a imposée de 400 ducats, taxe exorbitante qui a forcé l'Archiconfrérie à distribuer cent vêtements de moins par année.

Les impôts dont elle est surchargée forcent la confrérie des Pèlerins à supprimer six des lits qu'elle entretient à l'hospice des blessés.

Dans la discussion du projet de loi pour l'affranchissement des cens, dîmes et autres prestations dues aux corps de charité et aux œuvres de bienfaisance, un député fait remarquer que «ces biens sont le patrimoine du peuple (2),» — «Il y a des faits qui révoltent la conscience; le silence est impossible devant une flagrante

(1)Séance parlementaire du 24 janvier 1862.

(2) Séance du 30 novembre 1863.

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injusticeIl ne s'agit pas ici de frères, de ceux que vous appelez ilotes parce qu'ils ne pensent pas comme vous, mais des hôpitaux et autres lieux semblables où les pauvres trouvent un abri. Autorisez un particulier qui doit cinq francs de rente, à titre emphytéotique, à un corps charitable, à s'en libérer en lui donnant cinq francs de rente italienne, au capital de 70, qui représente cent francs. S'il arrivait, comme au commencement de ce siècle, que les gouvernements fissent Banqueroute, ou que le payement des fonds fût suspendu longtemps, comme il est arrivé de nos jours en Espagne, les malades et les pauvres mourraient donc de faim. Je rougis en pensant ce que diraient nos pères s'ils sortaient de la tombe. Nous devrions de honte nous cacher le visage, nous qui détruisons les œuvres de la civilisation. Oui, ce sont les œuvres de la civilisation, ces hôpitaux et tant d'autres établissements semblables, fondés avec les épargnes et les dons généreux de nos pères! Vous voulez, avec cette loi, obtenir une augmentation de valeur des fonds publics; mais ce ne sera qu'une augmentation fictive, dont ne profiteront qu'un petit nombre de spéculateurs, et ensuite nos fonds retomberont plus bas encore qu'auparavant. Messieurs les ministres, vous êtes socialistes, vous amenez le socialisme... (1).»

—Les Piémontais chassent brutalement les sœurs de Jésus-Marie de leur monastère, édifice en ruines qui leur appartenait en pleine et légitime propriété, et, quelques heures après, l'inaugurent comme hôpital civil.

Si l'on veut se faire une juste appréciation des hommes du clergé qui se sont alliés au Piémont, il faut savoir que la plupart d'entre eux affichent une hideuse licence de mœurs. Moines et prêtres se montrent dans tous

(1)Séance parlementaire du 1 décembre

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les lieux publics, dans les cafés, dans les théâtres mémés, et ailleurs encore. Ils jouent, ils fument, ils boivent, et font, à chaque table de tabagie, un cours complet de réforme politique et religieuse. Je laisse à deviner le salmigondis, le pathos de projets incohérents qu'émettent triomphalement ces dignes acolytes de la régénération piémontaise. — A Bari, j'eus occasion d'entrer en conversation avez un prêtre suffisamment nuancé de libéralisme, mais dont la nuance résultait plutôt de ses dires que de ses actes; il recevait à ce prix trois ou quatre mille francs du Piémont, et c'était trois ou quatre milles bonnes raisons —- pour lui comme pour tant d'autres — de ne point parler comme il pensait. Je lui demandai ce qui avait pu jeter ces hommes dans un tel désordre «C'est l'ignorance et l'ambition, me répondit-il, qui ont causé tout ce mal. Il n'est pas un de ces fous qui ne compte arriver à l'épiscopat; car on a promis plus d'évêchés qu'il n'y a de parasites dans le royaume. Tous attendent de la révolution ce que leur médiocrité ne leur eût jamais valu. Quant à ces moines, s'ils conservent encore l'habit religieux et demeurent dans leurs couvents c'est parce qu'ils ne sauraient se procurer une existence ailleurs; mais que demain on leur offre une place d'agent de police vite ils jetteront le froc aux orties pour endosser la veste au sbire. Leur dévergondage publie vous choque; que ce serait-ce donc si vous étiez témoin de leurs dissensions intestines? Qu'il vous suffise de savoir qu'il ne se passe pas de semaine sans que le chef de la police et la force armée n'aient à intervenir dans leurs querelles pour empêcher qu'elles ne dégénèrent en rixes sanglantes. Le nouvel ordre dé choses a limité l'existence des couvents; mais si elle devait se prolonger, ce ne pourrait être qu'à la condition d'une réforme radicale des ordres monastiques.

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et je ne sais pas si même un saint Thomas d'Aquin suffirait à cette tâche».

— Le gouvernement piémontais, depuis l'annexion, a supprimé et confisqué, dans les Deux-Sicilies, 1,107 maisons religieuses, et mis sur le pavé 16,099 religieux des deux sexes.

Au mois de juillet, le curé Louis Turci est arrêté à Reggio comme suspect de favoriser la réaction.

Le 3 février, à Falconara, lei Piémontais fusillent le prêtre Joseph Gribari.

— Au mois d'avril, arrestation du vicaire capitulaire de Nocera.

—Le 4 janvier, arrestation à Sania-Lucia dé plusieurs ecclésiastiques et de quinze habitants.

—Le 8 janvier à Naples, arrestation de vingt-huit citoyens, dont douze ecclésiastiques - Arrestation de Mgr Trama. — Le 10, arrestation de Mgr Sola -- Le 10 arrestation du chanoine Musto, du père Borghi, du curé Mancinelli et du clergé de Santa-Lucia.

— Au moins de mats, arrestation de Mgr Tipaîdi, vicâîte apostolique de Naples, du père Ignace d'Àquin, du curè de Pietro-Sànta, du prêtre Carmine Bisogni, directeur du Difensore Cattolico, du gérant de l'Àpe Cattolica, du père directeur des Pii Opérai et du curè Don Joseph Cravone.

— Le 6 octobre, le tribunal militaire de Salerne condamne aux galères à perpétuité le prêtre Oristanio d'Àlfonso et quatre autres prêtées, convaincus d'avoir donné du pain aux brigands.

Onze prêtres de San Stefano di Bova sont arrêtés arbitrairement comme prévenus d'être suspecte d'avoir

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poussé des recrues à se faire réfractaires et de jeunes soldats à déserter (1).

Au mois d'avril, arrestation de six curés et d'un ecclésiastique de Vico-Equense.

Au mois de juin, arrestation du curé de Massa, don Diego Mignano.

Au mois de septembre, arrestation du B. P. Victor Foraneo, à Procida. — Le prêtre Vincent Luini meurt de misère dans les prisons de Potenza.

Au mois d'octobre, nouvelle arrestation du R. P. Borghi.

—Dans le courant du mois de juillet, Mgr l'archevêque de Chieti est obligé de prendre la fuite pour échapper aux grossiers traitements des policiers piémontais.

Le prêtre Felice Filippi est fusillé à un mille de Montescaglioso.

Mais il est temps de fermer ce douloureux chapitre de l'Église libre dans l'État libre, et je ne saurais mieux le faire qu'en publiant les lignes suivantes extraites d'un organe semi-officiel (2) du Piémont; elles serviront mieux que tout commentaire à montrer quel est le but véritable où tend la révolution italienne, et à ramener dans notre camp les hommes politiques qui ne considèrent pas comme indispensable au progrès humain la rupture complète avec le catholicisme:

«Quand même tous les hommes qui ont autorité dans les choses d'Italie et tous les partis qui les secondent s'accorderaient, au mépris de la civilisation, à vouloir maintenir intact l'édifice de l'Église catholique, notre révolution tend à le détruire, et elle doit le détruire, et elle ne peut pas ne pas le détruire sans périr»

(1)Le journal Il Leone di San Marco,  9 septembre.

(2)Le Diritto  11 août, m 221.

ARMÉE

Il y a des peuples qui avalent
les baïonnettes.
I

Ce n'est pas seulement le cri des populations, mais les débats du parlement piémontais lui-même, et les réclamations impérieuses des feuilles de toute nuance? qui nous révèlent les incroyables excès de la soldatesque dans les Deux-Sicilies. La justice n'y est plus qu'un mot, de même que la liberté. La vie des citoyens dépend du simple caprice d'un soudard ivre ou en colère. Ainsi que l'a dit le député Bixio, général garibaldien devenu royaliste piémontais, il suffit qu'un homme ait sur le dos une capote de caporal pour qu'il se croie le droit de se mettre au-dessus de toute loi. Et puis, que penser d'une armée composée de généraux improvises et sans autre relief que celui d'avoir fusillé quelques pauvres diables, suspects ou non; d'officiers qui, hier encore, portaient à tant par mois une autre cocarde, honnête ou

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non; de soldats raccolés pour la plupart dans les bas-fonds des mauvaises nations européennes, et d'anciens réfractaires qu'on parque peureusement dans les îles ou dans les citadelles du nord; d'une armée, en un mot, qui, à part d'honorables mais rares exceptions, semble avoir rompu sans retour avec tous les principes, fors les mauvais?

Tantôt c'est qui commandant de gendarmerie qui, dans une lettre à l'un des procureurs du roi en Sicile, exige impérieusement l'impunité pour le soldat Sanzone, qui, en croyant tuer un réfractaire, a tué le citoyen Joseph Fantazzo (1); tantôt des soldats s'unissent aux gendarmes pour molester la garde nationale, qui représente, en somme, la population (2) , le général piémontais répond avec insolence aux remontrances qui lui sont faites par l'autorité civile, et la milice citoyenne se démet en masse, attendant avec plus d'impatience encore le jour de la résurrection nationale. Une autre fois, la troupe, par partie de plaisir, veut chasser du théâtre le publie inoffensif qui s'y trouve (3); mais au dehors on bat la générale, le peuple se prépare à la lutte, et sans l'arrivée d'un gros de gardes nationaux, qui peut prévoir où se fut arrêtée la vengeance du peuple? Ou bien c'est un capitaine qui, avec l'aide d'une douzaine de ses braves, bâtonne avec fureur dans la pue un citoyen (4), pour avoir affirmé que les troupes ne pouvaient arriver à la répression du brigandage.

(1) Document produit dans la séance parlementaire du 9 décembre, n. 285 p. 1089.

(2) Ce fait s'est produit, entre autres lieux, à Catanzaro, où le 57 blessa un certain nombre dé gardes nationaux parmi lesquels l'adjudant-major Ignace Franco et un autre officier.

(3) A Catane.

(4) A Palerme. La victime était un sieur Cataldo, de Palma.

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Ici c'est un général qui absout de sa pleine science et autorité un Napolitain accusé d'homicide, et qui part de là pour marier de force la fille,de ce misérable (1). Là, c'est un commandant de compagnie qui, trouvant chez le maire une énergique opposition à ses actes arbitraires, le fait arrêter, enfermer pendant plusieurs jours dans la salle de police de la caserne,et ne le remet en liberté que sur les ordres réitérés du préfet et les vives instances du conseil municipal (2).C'est l'état-major d'un régiment qui se rue tout entier dans les bureaux d'un journal indépendant pour mettre le rédacteur à la raison (3). C'est un chef de colonne qui, avec deux mille hommes, bloque la ville de Marsala, naguère si renommée pour son dévouement de la veille; sourd à toute prière, à toute intercession, et même irrité outre mesure par les protestations du municipe, l'officier piémontais procède brusquement à l'arrestation de trois mille paisibles citoyens, parents, allié sou amis de réfractaires, vieillards, femmes, enfants, et les enferme pêle-mêle dans une salle humide, sombre et fétide (4).

Mais je remplirais des chapitres à relater, ne fût-ce que sommairement, tous les excès auxquels se livre.


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(1)Le général Serpi. L'accusé se nommait Tito Buonmarito,de Favarotta, alors en prison. Sa fille s'étant refusée à cette odieuse union, le général Serpi la fit renfermer dans le couvent de la Magione.

(2)Le capitaine Maxime Barberil, commandant la 7 compagnie du 3 régiment, en garnison à Recalmuto, province de Girgenti.

(3)Voir le Movimento de Gênes, 21 septembre.

(4)L'état-major du 33e régiment, contre le rédacteur du journal de Palerme, l'Aspromonte.

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avec l'insolence de l'arbitraire impuni, Tannée d'occupation dans les Deux-Sicilies. Menaces, injures, brutalités, rien n'est épargné aux vaincus (1); mais aussi la naine déborde visiblement de ces cœurs ulcérés, et j'ose dire, sans redouter le démenti de l'avenir, que les nouvelles Vêpres-Siciliennes seront entonnées un jour par dix millions de voix, sinon par l'Italie tout entière (2).

(1) Le Diritto, de Turin, 28 février.

(2)  Voir le chapitre: Les lieutenants piémontais.

II

Le ministre de la guerre disait au parlement, en célébrant pompeusement l'institution de la garde nationale, qu'elle avait pour mission première de «surveiller l'armée régulière.» Ne doit-on pas attribuer à cette étrange mission la rivalité haineuse qui divise l'armée et la garde nationale? On cite de nombreux duels, et la presse officieuse, dans son émoi, laisse échapper ces paroles significatives: «Le peuple regarde, morne et soupçonneux, ce même drapeau qu'hier encore il contemplait avec une joie orgueilleuse (1).»

—A Palerme surtout, le mécontentement de la population ne cesse de se traduire contre la troupe, et chaque jour ne fait que l'accroître; une trentaine d'officiers sont ordinairement aux arrêts; le préfet demande enfin le changement de la garnison, mais ce remède tardif ne calme qu'imparfaitement l'irritation populaire.

—Le ministre de la guerre se voit dans la nécessité d'enjoindre aux officiers de refuser toute provocation et

(1)Persevoranza de Milan, 18 mars.

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tout duel, leur ordonnant de recourir aux autorités judiciaires si on les menace ou si on les outrage (1).

Le 21 octobre, à Messine, duel au sabre entre un ancien officier garibaldien, le sieur Gazorra, et le lieutenant piémontais Pratella, qui est blessé au bras.

Le 14 décembre, à Monreal, le sieur Meloni, capitaine commandant au 34 de ligne, perçoit militairement les impôts, après avoir menacé de la prison tous ceux qui ne les payeront pas immédiatement, et quiconque donnerait de mauvais matelas aux soldats logés par réquisition (2).

Pour diminuer l'indignation générale produite par les excès de la troupe, le gouvernement décrète l'installation solennelle (2) à Naples d'un tribunal militaire qui, du premier jour, rend 61 jugements. Parmi ces juges improvisés, on remarque avec une surprise douloureuse tes noms de deux officiers généraux de l'ancienne armée royale napolitaine, MM. Letizia et Pianelli, qui, sans doute, jalousaient les lauriers infâmes des Nunziante et des Benedictis.

— Les arbitraires du soldat dans les provinces méridionales ont suscité souvent de sévères censures de la part des députés des Deux-Sicilies, où «capitaines et lieutenants piémontais s'arrogent le droit de vie et de mort et commettent des actes horribles. Dans le Matese, non loin de Piedimonte d'Àlife, une compagnie de bersagliers poursuivant les brigands, arrêta cinq charbonniers parmi lesquels deux pères de famille, et les fusilla comme brigands un quart d'heure après. Eh bien! ils étaient tous innocents! Je passe sous silence d'autres

(1)Circulaire ministérielle en date du 5 juillet.

(2)Voir le chapitre: Les lieutenants piémontais.

(3)Le 2 mars.

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faits pour ne pas attrister davantage. Parions du colonel Fumel, de ce Fumel qui s'arroge des pouvoirs véritablement extraordinaires, des pouvoirs énormes, et se vante d'avoir fait fusiller environ 350 brigands et non brigands; de Fumel, enfin, qui se permet d'enfermer les citoyens arrêtés par ses ordres, non pas dans les prisons communes, mais dans des prisons particulières qu'il a fait construire pour son usage particulier, l'une à Montalto, l'autre à Sanfili... Un journal officiel faisait monter à 7,151 le nombre des brigands fusillés! Il faut mettre un terme à ces exterminations qui ne font que semer dans le pays des haines irréconciliables (1).» — «Depuis trois ans, on commet d'innombrables excès; aucun fonctionnaire coupable n'a été puni, pas même ce commandant (2) militaire qui fut convaincu d'avoir fusillé huit innocents, ni l'auteur des cruautés qui désolent la Calabre et qui cependant ont été dénoncées dans cette enceinte. Ne nous dites pas que quelques conseils municipaux ont approuvé ces excès et ont envoyé au gouvernement des adresses de remercîment... Le sénat romain, lui aussi, votait des remercîments à Néron, qui avait tué sa mère et brûlé Borne (3),»

— Un journal unitariste de Turin, rapportant de nombreux actes d'arbitraire, de véritables énormités, criait au gouvernement; «Dans les provinces méridionales, vous faites regretter les Bourbons (4).

(1)Séance parlementaire du 18 avril, Actes officiels fa la Chambre, n° 1193.

(2)Voir le détail des excès commis à Castellamare del Golfo, qui donnèrent lieu à une interpellation de la part de plusieurs députés siciliens dans la séance du 15 janvier 1862

(3)Séance parlementaire du 5 décembre.

(4)Le Diritto, n. 960.

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—Protestation adressée au ministère piémontais, le 10 novembre, par les députés des Deux-Sicilies:

«Les soussignés.

— Déplorant les énormités qui se succèdent depuis quelque temps, s'enchaînent dans l'esprit de populations ardentes, et, par une fatale nécessité, les détachent du nouvel ordre de choses, les entraînent à de douloureuses comparaisons entre les gouvernements déchus et le gouvernement actuel, et leur font blâmer jusqu'à l'armée nationale;

— Considérant que, sur le fait de Pietrarsa il n'a été donné que la stérile satisfaction d'une enquête dont on n'a pu encore savoir le résultat; —que, pour le fait de Petralia, la punition ne fut pas aussi publique et aussi prompte que l'exigeait la gravité de la faute; que rien n'indique qu'il soit dans l'intention du gouvernement de repousser toute solidarité dans l'acte très-inique de l'homme qui, dernièrement, soumit à la torture un sourd-muet de Palerme;

Vous témoignent, monsieur le Ministre, la douleur que leur causent de pareilles horreurs, indignes de notre temps, plus indignes encore de notre pays, et demandent que des explications officielles viennent tranquilliser les esprits, révoltés de ces nouvelles, et que des mesures de prévoyance, basées sur le respect le plus rigoureux des lois et des règlements en vigueur, empêchent la possibilité du retour de tels abus, lesquels violent toute justice et toute humanité (1).»

Incroyable abus  du   despotisme militaire —Sous ce titre, les journaux siciliens racontent que, le 5 mai, le brigadier de gendarmerie de Vintimiglia, s'étant rendu chez le vieux Philippe Fumefreddo, âgé de 98 ans, natif de Bancina,

(1)Voir, entre autres journaux, le Diritto du 11 novembre.

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pour instruire sur un vol commis à son préjudice, invita le fils du vieillard, nommé Pietro, à le suivre au bureau de la secrétairerie communale. Pietro y alla, suivi de son frère Fortunato. Arrivés là, le brigadier les déclara tous les deux en état d'arrestation. Ils crurent d'abord à une plaisanterie; mais quand ils se virent les menotes, ils comprirent la vérité et protestèrent hautement contre cet acte d'injustice. Alors le brigadier déchargea sa carabiné dans le flanc de Pietro, qui tomba baigné dans son sang. Fortunato, redoutant le même sort, saisit et détourna l'arme qu'un autre gendarme appuyait contre sa poitrine, et, profitant de la venue d'un grand nombre de citoyens, accourus au bruit de la détonation, il put se livrer à la fuite. Le malheureux Pietro expira sur le sol, sans secours, parce que les féroces gendarmes, le pistolet au poing, ne permirent à personne, prêtre ni médecin, d'approcher de la victime. Le père inconsolable introduisit une action judiciaire, mais en vain (1).

L'irritation populaire répond à ces actes de férocité par des actes de sang. Plusieurs officiers sont assassinés aux portes de Palerme. Un d'eux, le lieutenant Opici, blessé à terre, demande grâce à ses meurtriers en leur disant: «Je suis Sicilien, moi!» Sur quoi ces hommes se retirent immédiatement en disant: «C'est différent, nous ne tuons que le§ Piémontais(2)!».

— Le ministre de la guerre déclare qu'en Sicile, dans un laps de quelques mois, 16 gendarmes ont été tués et 64 blessés (3).

(1)Le Diritto, 29 mai.

(2)Le journal l'Unità politica, dé Palerme, 25 mai.

(3) Séance parlementaire du 5 décembre.

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III

«La manie inhumaine de toujours fusilier les malheureux ou les méchants tombés entre les mains des troupes ou des gardes nationaux, dans laquelle il semble que le gouvernement place toute espérance de salut, est un système qui nous fait perdre l'estime de l'Europe; car elle voit que, chez nous, il suffit d'être soupçonné de favoriser le brigandage pour être puni de mort...Un des commandants des gardes mobiles ne se contenta pas de donner la chasse aux brigands, mais il déclara par un ordre du jour, dans tous les pays qu'il parcourait, que: «si les brigands de la commune né se présentaient pas dans, les vingt-quatre heures, il ferait abattre leurs maisons, arrêter tous leurs parents, saisir et vendre leurs propriétés, et les fusiller eux-mêmes sur-le-champ dès qu'il les aura pris.» Les plus acharnés persécuteurs des brigands croyaient eux-mêmes que ce n'était qu'une simple menace destinée à inspirer la peur. Aussi ce fut avec horreur qu'ils la virent mettre à exécution avec une barbarie effrénée; les brigands ne s'étant pas présentés dans les vingt-quatre

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heures, an détruisit, on incendia effectivement leurs maisons, leurs meubles; on brûla jusqu'aux pommes de terre et aux châtaignes qui devaient nourrir leurs familles; des femmes, des vieillards, des enfants jetés de misère sur la voie publique et exposés à toutes les insultes de la police. Quel lamentable tableau! — Et quelle n'est pas l'indigence de ces malheureux fusillés! Pendant qu'ils montent au dernier supplice avec un merveilleux courage, un d'eux ôte ses souliers et les donne à un spectateur de ses amis en lui disant: «Porte-les à mon pauvre père» — Un autre se dépouille de sa veste et l'envoie à son jeune fils... Dans une province, un brigand, ou du moins un homme qui passait pour tel, était tourmenté de la faim. Sa vieille mère, qui lui portait, un morceau de pain, fut rencontrée dans la campagne par un peloton déjeunes libéralissimes; elle fut prise et garrottée; on la fit mettre à genoux et on la fusilla... Nous avons le tableau des personnes fusillées, sans ombre de jugement, pour des fautes légères; nous savons la chiffre des maisons abattues, des maisons mises en sac; nous avons l'indication du jour des exécutons, des pays qui les ont vues, et jusqu'aux noms de ceux qui ont muré ou détruit ces habitations (1).»

Après que les orageuses séances de la Chambre ont mis en lumière une infinité d'abus de pouvoir et d'actes de despotisme militaire, un journal ministériel de Turin écrit avec un cynique sang-froid: «S'il y a un motif de s'étonner, c'est que les abus qu'on dit avoir été commis ne soient pas plus nombreux (2).»

—La publication de la loi d'exception sur le brigandage et immédiatement suivie d'un redoublement de despotisme militaire.

(1)Séance parlementaire du 31 juillet.

(2) Le journal la Discussione 8 Dicembre.

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Les tribunaux militaires émettent, avec une implacable férocité, des milliers de condamnations. Celui d'Avellino condamne aux travaux forcés toute la famille Arienzo: père, mère, jeune fille, et jusqu'à un petit enfant. Celui de Chieti, usant de bienveillance (1), condamne à quinze ans de travaux forcés au lieu de le faire fusiller, un tout jeune homme du nom de Vincent de Tommasis, qui s'était présenté spontanément aux autorités, avouant avoir été pendant quelque temps aux bandes.

A Girifalco (Calabre ultérieure), le maréchal des logis de gendarmerie casse les épaules à coups de bâton à quelques gardes nationaux suspects de tiédeur à regard de l'unitarisme. Le capitaine des bersagliers menace plusieurs conseillers municipaux de les faire passer par les armes; dans un ordre du jour affiché dans diverses communes, le même officier piémontais menace du même sort quiconque sera trouvé en possession d'une arme. C'est à la suite de cet ordre du jour sauvage que les soldats piémontais fusillent sans pitié comme sans maison un jeune homme de 18 ans, Joseph Signorelli; et sans l'énergique opposition du sieur Ramoaldo Giampa et d'autres honorables citoyens, combien d'exécutions sommaires n'eût- on pas eu à regretter!— A Maida, la troupe charge à la baïonnette le peuple et la garde nationale; plusieurs citoyens sont souffletés par les soldats, et l'un-des frères Brunini est blessé de plusieurs coups de baïonnette (2).

L'aveuglement avec lequel le pouvoir militaire accueille toute dénonciation engendre la terreur dans les populations. Chaque citoyen passe pour un ennemi

(1)Come atto di benignità.

(2)Le journal l'Unità Italiana, 30 août.

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caché aux yeux de son ami même et redoute d'être dénoncé comme fauteur de brigandage, et par suite soumis à l'arbitraire du soldat. Les rues sont désertes, chacun a peur de faire un pas hors de sa maison, le commerce est nul (1).

— L'arbitraire est tel que lorsqu'on ne parvient pas, à arrêter un citoyen suspect de relations avec les brigands, on met en prison toute sa famille. C'est ainsi qu'au lieu du commandant de la garde nationale de Marsicovetere (Basilicate), on incarcère son frère, Dominique Piccinini; — au lieu de Dominique Cininelli, de Francavilla, sa femme Luigia (2). A. Monreale (Sicile), le père est arrêté pour le fils, dont la sœur, alors en -ceinte, meurt de l'effroi et de la douleur que lui avaient causés cette inique arrestation (3). Benedetto Rini femme de Léonard Panseca, de Caccamo, arrondissement de Termini, est arrachée aux tendres étreintes de ses jeunes enfants, et, bien qu'elle se trouve alors dans le huitième mois de sa grossesse, est traînée en prison en remplacement de son mari. A la suite d'énergiques protestations de la part de la famille, le commandant militaire la renvoie à son domicile, où elle meurt des suites de son effroi, dans les convulsions d'un accouchement prématuré (4).

(1)Le journal la Compana del Popolo, 16 septembre.

(2)Le journal la Patria, 27 septembre.

(3)Le journal L'Arlecchino oppositore, 26 septembre.

(4) Le journal l'Amico del popolo, 1 décembre. — Séance parlementaire du 5 décembre. — Actes officiels, n° 285.

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IV

On ne^aurait nous taxer d'exagération quand nous disions que le Piémont emploie plus de 200,000 hommes à maintenir les Deux-Sicilies en son pouvoir. Je laisse de côté, pour un instant, l'armée régulière, et ne m'occupe que de ce que j'appellerai l'armée irrégulière; je parle des hommes de police. Là où naguère, sous le sceptre tyrannique des Bourbons, il suffisait d'un commissaire de police et de trente-deux agents, sous le sceptre paternel et bien-aimé de la Maison de Savoie, outre une garnison exorbitante, il faut quatre commissaires de police, aux appointements quintuplés, et trois cents quatre-vingts agents (1). — Une autre tactique du Piémont, destinée celle-là à tromper l'opinion européenne, consiste à ne mettre dans un grand centre qu'une garnison minime et à quintupler Ie3 forces de la police visible ou secrète (2).

(1) A Lecce, ville de 20,000 âmes.

(2) Gomme à Naples, par exemple, où l'on fait monter à dix-huit mille le chiffre des policiers embrigadés.


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Dans mon excursion au royaume des Deux-Sicilies, j'ai été à même de remarquer que les troupes piémontaises s'éloignent à peine des coûtes royales; cela tient à leur peu d'aptitude pour la guerre de montagne, aux ' difficultés locales et à la nécessité de s'appuyer fréquemment sur d'autres détachements. T'ai su que les régiments sont loin d'être au complet, et que plusieurs corps, au dire même des officiers, n'ont pas la moitié de leur effectif. La raison en est que le contingentée l'Italie septentrionale n'est pas inépuisable, et qua celui du midi, comme on 6ait, est à peu près nul.

On ne doutera pas de la sûreté de mes renseignements et de mes appréciations en parcourant les tableaux suiTants, établissant, province par province, sur des données secrètes que je tiens de source officielle (1), l'effectif des troupes régulières employées par le Piémont dans te seul royaume de Naples.

TERRE   DE  LABOUR

Arce, 1 bataillon d'infanterie..................................400 hommes.

Poste entre San-Germano et Arce.............................30......»

San-Germano, 1 bataillon d'infanterie....................400......»

Trois postes entre San-Germano et Presenzano.......60......»

Capoue, infanterie....................................................400......»

».............cavalerie et artillerie..................................120......»

Santa-Maria, 2 escadrons........................................120......»

(1) Voir le paragraphe V du chapitre de l'Armée.

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Caserte, infanterie et bersagliers.............................700......»

»...........artillerie, 4 batteries....................................240......»

»...........cavalerie, 4 escadrons..................................210......»

Maddaloni, infanterie..............................................140......»

Acerra, infanterie.......................................................40......»

Gendarmes, brigades et stations.............................150......»

Total des troupes d'Acerra à Arce........................3,000 hommes.

De ces 3,000 hommes, il faut défalquer la garnison de Caserte, tout à fait exceptionnelle à cause de sa proximité de Naples et de son importance comme capitale de province, et aussi comme centre des opérations contre le Bénévent, Molise, les Abruzzes et la frontière romaine.

Je ferai donc preuve d'impartialité en n'accusant qu'une garnison de 1850 hommes sur la route d'Acerra à Arce.

Les routes d'Aversa à Terracine, de Traetto à Sora, de Carinola à Venafro, de Venafro à Sora, de Caserte à Santa-Agatha de Gothi, à Guardia et à Piedimonte, ont une étendue totale quadruple de celle de Acerra à Arce et sont gardées par 6,800 hommes d'infanterie, cavalerie et artillerie, et 350 gendarmes. Ainsi 10,000 hommes environ sont dispersés dans la seule province de Labour, la plus importante, il est vrai, du royaume par sa population, le nombre de ses communes, et surtout par sa situation géographique entre la capitale et la frontière. — Quant aux mouvements des troupes en dehors des voies de communication, ils n'ont lieu que sur les indications précises de quelque traître alléché par l'appât d'une prime d'infamie: car le Piémont décore et prime la trahison. Encore, dans ce cas la garde nationale est-elle forcée de se mettre de la partie, et c'est ce qui explique la rareté des rencontres entre soldats et brigands;

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car les bandes seraient obligées de quitter leurs retraites pour devenir agressives, ou bien les troupes sortiraient imprudemment de la défensive. — Cette observation ne s'applique pas seulement à la Terre de Labour, mais à toutes les provinces des Deux-Sicilies.

PRINCIPAUTÉ  ULTÉRIEURE

Monte forte, bersagliers.......................................60 hommes.

Avellino, infanterie, cavalerie et artillerie.........500......»

Montefusco, infanterie.........................................40......»

Mirabelle, infanterie.............................................60......»

Grotta-Minarda, bersagliers..............................100......»

Ariano, infanterie et cavalerie............................300......»

Ainsi 1,060 hommes sont échelonnés sur la route de Monteforte à Ariano. — Les routes d'Avellino à Rochetta-Sant'Antonio, d'Avellino à San-Marco de Gallotti, du Bénévent à Casalbore, et quelques autres de peu d'étendue, sont défendues par 3,710 hommes et 330 gendarmes. — La Principauté ultérieure est donc occupée par un peu plus de 5,000 hommes.

CAPITANATE

Sept postes entre Greci et le Giardinetto...................175 hommes.

Trois petits détachements dans les fermes qui avoisinent le pont de Bovino...............................................................25......»

Orsara.........................................................................40......»

Bovino........................................................................120......»

Castelluccio di Sauri...................................................20......»

Troja............................................................................40......»

110-

Foggia, infanterie....................................................360......»

»..........bersagliers...................................................300......»

»..........cavalerie.......................................................100......»

»..........artillerie.........................................................50......»

Manfredonia.............................................................85......»

Montes antangelo.....................................................30......»

La route d'Ariano à Montesantangelo et les localités voisines sont donc occupées par 1,340 hommes. La route de Chieti à Casaltrinità, passant par San-Severo, la route de Candela à Serra-Capriolâ par Lucera, celle de Candela à Vico (Gargano) par Ascoli, Delicetto, Bovino, Troja, Biccari, Allierona, Gastelnuovo, Castelvecchio, Torre-Maggiore, Apricena, San-Nicândro, et Cagnano,— itinéraire que suivait ordinairement Caruso, — et quelques autres routes de moindre étendue, sont gardées par 4160 hommes et 800 gendarmes. — Près de 6,000 tommes occupent donc la Capitanate.

TERRE  DE BARI

Barletta, 4 Compagnies d'infanterie.......................260 hommes

Trani, une demi-compagnie......................................30......»  

Bisceglie.....................................................................80......»

Bari, 1 bataillon.......................................................300......»

Casamassima, détachement.....................................15......»

La route de Canosa à Noci, par Andria, Coralto, Ruvo, Terlizzi, Sitonto, Palo, Modugno, Rutigliano, Conversano, Castellano et Pulignano; la route de Minervino à Luogorotando par Spinozzola, Gravina, Altamura, Santeramo et Noci; celle de Bari à Fasano, par Mola et Monopoli, et quelques routes intérieures qui sont gardées par 1,200 hommes et 275 gendarmes. Le total des troupes dans la province de Bari est donc d'un peu plus de 2,000 hommes.

—111 —

TERRE   DURANTE

Tarente.....................................................................250 hommes.

Massafra..................................................................250......»

Mottola......................................................................20......»

Castellaneta...............................................................60......»

Ginosa........................................................................60......»

Martina....................................................................120......»

Grottaglie...................................................................30......»

San-Giorgio...............................................................30......»

Sava...........................................................................30......»

Manduria...................................................................60......»

Ainsi, le district le plus grand et le plus peuplé de la terre d'Otrante, touchant par ses montagnes et ses forêts à la Basilicate et à la terre de Bari, est gardé par environ 600 hommes. Les trois autres districts, Brindisi, Lecce et Gallipoli sont occupés par 1,400 hommes et 220 gendarmes.

CALABRES

Il m'a été impossible de recueillir des renseignements indubitables sur la force militaire dans les trois Calabres. On croit dans le pays qu'elle est de 5,000 hommes; à Naples, où Ton exagère à dessein, on la porte à 8,000.

BASILICATE

Lagonegro.........................................................300 hommes.

Moliterno..................................................................180......»

Santarcangelo............................................................60......»

Tursi............................................................................30......»

Bollita..........................................................................40......»

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Çhiatamonte.................................................................60......»

Latronico......................................................................90......»

San-Severino.................................................................60......»

Castelsaraceno............................................................120......»

Viggianello....................................................................30......»

Rotonda.........................................................................30......»

Trecchina.......................................................................30......»

Maratea.......................................................................180......»

Les trois autres districts sont occupés par environ 3,500 hommes. En comptant les 400 gendarmes de la province, on aura donc un total d'environ 5,000 hommes de troupes en Basilicate.

PRINCIPAUTÉ    CITÉRIEURE

Padula.....................................................................25 hommes.

Sala........................................................................130......»

La Duchessa, détachement le cavalerie...................15......»

Auletta.....................................................................60......»

Eboli.........................................................................20......»

Salerne.................................................................1000......»

Cava.......................................................................180......»

Nocera...................................................................200......»

Pagani...................................................................150......»

Angri......................................................................120......»

Les routes de Sala à Eboli, par Sant-Angiolo di Fusanella. d'Eboli à la Basilicate par Laviano, d'Eboli à Vallo par Frignano, et quelques tronçons de routes intérieures sont gardés par environ 2,000 hommes. Salerne a de plus 150 gendarmes et le reste de la province 350.

À Salerne, les Piémontais font courir le bruit que la province est occupée par 7.000 des leurs. Ce chiffre est systématiquement mensonger.

-113 —

PROVINCE   DE NAPLES

Pour Naples et les localités qui l'avoisinent, il n'est guère possible de préciser le chiffre de la force d'occupation, chiffre nécessairement variable et subordonné aux circonstances. Cependant, me basant sur des renseignements presque ofûciels, je crois ne pas m'éloigner de la vérité en le fixant à environ 15,000 hommes.

COMTÉ   DE   MOLISE

Borné pat l'Adriatique, la grande chaîne des Apennins, le Fortore et le Trignio, traversé dans toute sa longueur par le Biferno et entouré d'immenses forêts, le comté de Molise est favorable par excellence à la guerre de partisans; aussi les bandes poursuivies par des forces supérieures s'y réfugient-elles comme dans une position inexpugnable; mais ce pays offre un élément plus précieux encore: c'est l'excellent esprit de la population.

— Je n'ai parcouru que l'un des coins du comté, celui où se trouvent Isernia, Campochiaro, Guardaregia, Pontelandolfo, Casalduni, localités dont les ruines attestent un énergique dévouement à la cause de l'indépendance et de la monarchie nationale, et si ce que j'ai vu et entendu dans le district d'Isernia se voit et s'entend dans les districts de Larino et de Campobasso, le comté de Molise est sans contredit le premier champion de la légitimité napolitaine.

Sans tenir compte de la nouvelle circonscription territoriale, qui ajoute Venafro au territoire de Molise, je considère cette province dans ses anciennes limites, qui sont d'ailleurs celles de l'avenir.

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Isernia.................................................................400  hommes

Carpinone..............................................................30 ......»

Frosolone............................................................180......»

Cantalupo............................................................60......»

Bojano.................................................................120......»

Roccamandolfi.....................................................60......»

Forli......................................................................30......»

Carovilli...............................................................30......»

Rionero.................................................................50......»

Caprocotta..........................................................60......»

Agnone................................................................180......»

Détachements dans  le district d'Isernia............200......»     

Les districts de Campobasso et de Larino sont occupés par environ 2,800 hommes. En y joignant pour le comté 800 gendarmes, nous obtenons un total d'environ 4,000 hommes (1).

ABRUZZES

Castel di Sangro...............................................50  hommes

Poste en avant de Roccaraso.............................15......»

Revisondoli.........................................................50......»

Piano di cinque miglia, cavalerie.....................50......»

Roccavalloscura................................................30......»

Solmona............................................................120......»

Popoli.................................................................90......»

Aquila...............................................................450......»

Sassa....................................................................5......»

Poste a Colle di Corno.......................................40......»

Città-ducale......................................................60......»

Gendarmes.....................................................340......»

(1)Je tiens ces renseignements d'un délégué d'arrondissement.

— 115 —

La route de Castel-di-Sangro à Citta-Ducale est donc occupée par 1,320 hommes. La force totale dans les Abruzzes est de 6,900 hommes (1).

En additionnant les totaux partiels, on trouve que le corps d'occupation piémontais, dans le seul royaume de Naples, monte à environ 70,000 hommes.


vai su


Cette force même pourrait sembler relativement insuffisante pour contenir les populations napolitaines, si foncièrement hostiles au nouvel ordre de choses; maïs il n'est pas besoin d'être un stratégiste consommé pour remarquer que ces troupes sont échelonnées, disséminées, éparpillées sur tout le sol napolitain, gardant la moindre des routes, commandant le moindre défilé, et toujours prêtes, en cas d'alarme, à se replier sur un centre militaire imposant et désigné à l'avance. — C'est l'école de tirailleurs appliquée à 70,000 hommes.

Et d'ailleurs ce n'est pas seulement la forée matérielle qu'emploie le Piémont pour se maintenir dans su conquête: grâce aux affirmations journellement répétées de ses mille agents, les populations sont convaincues que si elles parvenaient à le chasser des Deux-Sicilies, l'armée française viendrait immédiatement y restaurer la maison de Savoie. — Assurément nous croyons la France bien innocente du fait, mais on n'en voit pas moins clairement que toutes armes sont bonnes aux mains piémontaises, et que les Deux-Sicilies sont dominées par la terreur de l'avenir aussi bien que par les douleurs du présent.

(1)C'est un ancien général garibaldien qui a bien voulu me fournir cet chiffres.

116 —

V

Cent mille hommes de troupes régulières ne suffisant pas au Piémont pour faire régner l'ordre dans les Deux-Sicilies; il a inventé d'abord la garde nationale, cet appendice obligé de toute révolution moderne, — puis les gardes mobiles. Ces derniers sillonnent le pays en tout sens, véritables autocrates flanqués de bourreaux, plus forts que la loi, vainqueurs à cinquante contre un, pillant, murant, détruisant, brûlant, fusillant, dignes enfin sur tous points de ce surnom de cosaques que leur décernent les populations terrorisées (1).

Un ministre piémontais, un ministre delà guerre, lors de la création de la garde nationale, dans un accès d'ineptie commune à trop de coryphées du coup de main piémontiste, — se laissa aller à écrire ces paroles plus naïves encore qu'injurieuses pour l'armée italienne:

(1) «L'institution de la garde nationale est odieuse aux populations» — Paroles prononcées au sein du parlement piémontais dans la séance du 15 avril.

—117 —

«La mission de la garde nationale, est de surveiller l'année régulière (1).»

C'est bien le cas ou jamais de rappeler la pensée du poète latin:

.......Quis custodet ipsos custodes?

Il n'est pas de jour où la Gazette officielle du royaume d'Italie n'enregistre la suppression d'une ou de plusieurs gardes nationales, «blâmables pour leur négligence dans le service» et la tiédeur de leur patriotisme. On a vu des gardes nationaux et jusqu'à des gardes mobiles lancés à la chasse aux brigands, fraterniser avec eux dans quelque village pavoisé aux couleurs bourboniennes, c'est-à-dire véritablement nationales; puis, après avoir semé des cartouches sur le grand chemin ou même les avoir données aux brigands, rentrer au chef-lieu de la province en proclamant une éclatante victoire.

J'ai vu, de mes yeux vu, cette année même, à Rome, une adresse de la garde nationale de Torre del Greco, pauvre ville minée par le Vésuve et secourue par François II. J'ai vu l'adresse de la garde nationale de Naples signée de plus de 4,000 noms, protestant d'un dévouement sans borne avec toute la ferveur d'un repentir sincère. Je n'ignore pas que les journaux payés ou enrubannés par le Piémont ont essayé de nier l'existence de ces manifestations menaçantes et de tant d'autres. Je me contente de placer, en regard de leurs négations hypothétiques, l'affirmation de ma parole.

— A peu de distance de Roccarainola, dans les derniers jours de décembre, le capitaine de la garde nationale

(1)Circulaire secrète du ministre de la guerre. — Voir le Colpo d'Occhio sulle condizioni delle Due Sicilie, nel 1862 page 50.

118 —

de Cosimo et un officier de gendarmerie sont faits prisonniers dans la bande calabraise.

— Les gardes nationales de Roccarainola de San-Lorenzello, district de Nola; d'Arce, d'Arpino, district de Sora; de Sessa, district de Gaête; de Frignano-Piccolo et de Castelvolturno, district de Caserte, sont dissoutes, par décret royal, dans la Terre de Labour.

A Castelbaronia, Principauté ultérieure, un gros de gardes nationaux fraternise avec une partie de la bande Caruso.

Un décret royal dissout successivement, dans la Principauté ultérieure, les gardes nationales de Trevico, Montecalvo, Paterno, Bisaccia, Flumeri, San-Lorenzo, Guardia-Lombardi, et San-Giorgio-Lamolara.

Dans le courant du mois de juillet, un mouvement réactionnaire se produisit aux bords, de l'Ofanto et aux environs de Cerignola. La garde nationale fut appelée aux armes; mais ce fut en vain que les tambours battirent le rappel; de 600 gardes nationaux il ne s'en présenta pas un seul. Ils furent licenciés.

Outre la garde nationale de Cerignola, sont encore dissoutes, dans la province de Capitanate, celles de San-Bartolomeo in Galdo et de Ripatransone.

Le 10 août, Crocco, à la tête d'environ 200 hommes, sort de la Basilicate, pénètre dans le comté de Bari, et s'avance jusqu'à trois milles de Corato. La garde nationale refusant de marcher contre lui, la troupe évite prudemment toute rencontre et se tient sur la défensive.

Le n août, une fraction de la bande Crocco se porte du côté de Trani et occupe la propriété du capitaine de garde nationale Tarentini, qui, le 17 juillet, de sa pleine autorité, avait fait fusiller trois réactionnaires de la Basilicate.

Trois gardes nationales sont dissoutes dans la Terre

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de Bari: celles de Luogorotondo, Castellana et Gravina-, — treize dans la Terre d'Otrante: celles de Rafiale, Tuglie, Monteparano, Leporano, MeUsano, Carosinq, San Cesario, Pallaggiana, Fragagnano, San Giorgio, Cuire-fiano et Castrifrancone;—quatre dans les Calabres; celles de Catanzaro, Serra, Nicastro et San-Mario.

—Au mois de mars, le lieutenant colonel de gardée mobiles Fumel, ancien apothicaire, donne sa démission après avoir emprisonné 3,000 personnes et fusillé 860 brigands ou suspects.

Le 18 novembre, en Basilicate, une bande attaque un détachement de la garde nationale qui conduisait des conscrits à Potenza, et les délivre.

Le 34 décembre un escadron de garde mobile à cheval est attaqué près de Matera et mené vigoureusement jusqu'aux portes de la ville, où il rentre dans un burlesque désarroi.

Le 9 novembre, à Marsico-Nuovo, trois gardes me-biles sont emprisonnés comme suspects.

Extrait d'une lettre d'un voyageur français, datée du commencement de 1863:

«Nous venions de passer à gué le Lao quand nous-vîmes sortir des broussailles de l'autre rive quatre individus porteurs de fusils, et qui nous demandèrent si nous avions de la poudre.

Je leur fis remarquer que nous étions sans armes à feu.

— D'où venez-vous? dit l'un d'eux.

— De Grèce, et nous retournons à Naples, d'où notre consul doit nous rapatrier.

— Et pourquoi voyagez-vous à pied?

Parce que l'argent nous a manqué peur faire autrement.

120 —

Et nous continuâmes à marcher, non sans quelque appréhension de recevoir une balle dans les reins. J'avais jugé prudent de ne rien dire de plus, parce qu'on s'efforçait alors d'organiser un véritable brigandage libéral pour l'opposer à la réaction: c'était la garde mobile, ramassis de tous les mauvais sujets des communes, à qui l'on donnait un franc par jour, avec le butin qu'ils pouvaient faire en sus (1). J'en avais déjà vu quelques-uns de mine peu rassurante, et avec ces gens-là un mot seul pouvait servir de prétexte pour nous dévaliser et nous traiter comme suspects. On a vu jusqu'à des ex-galériens dans leurs rangs.... En vérité, la terre de Naples serait la plus belle et la plus heureuse du monde, si l'on n'y rencontrait que des Napolitains. Les Piémontais se sont fait haïr à plaisir, eux et leurs idées....»

Par décret royal, ont été licenciées, dans la Principauté citérieure, les gardes nationales de Giffoni, Valle-Piano et de Cava, et cinquante et un capitaines se sont démis volontairement ou non.

Au mois de décembre, quarante-neuf commandants de la garde nationale de la Principauté citérieure sont mis en état d'arrestation.

Un grand nombre de gardes nationales ont été successivement licenciées dans la province de Naples, entre autres celles d'Ottaviano,  Piano di Sorento, et Vico-Equense.

Dans le courant de février, le lieutenant Torelli et plusieurs gardes nationaux de Portici sont mis en état d'arrestation.

M. de Luca, capitaine de la garde nationale de Sant'Anastasia, est arrêté le 20 octobre.

(1)Décret royal ordonnant la création de 220 bataillons de gardes-mobiles.

—121 —

Dans les premiers jours du mois de mai, un certain nombre de petites bandes se répandirent tout d'un coup sur les versants que baigne le golfe de Naples, et furent vues à Massa-Lubrense et à Sant'Agata-Sopra-Sorrento, où elles capturèrent le capitaine de la garde-nationale. — D'un autre côté de la province, des partisans de Piciocchi, venant des monts Vergine, pénétrèrent dans Cardito, district de Casoria, et furent rejoints par la troupe près de Qualiano. Dans cette rencontre la bande perdit plusieurs hommes, et Ton reconnut parmi les brigands blessés le fils du capitaine de la garde nationale de San-Pietro à Paterno.

—Vers le milieu du mois d'août,  des ingénieurs,chargés du tracé du chemin de fer qui traverse Lecce, se reposaient un instant sous le portail de la chapelle de Montevergine. Les gardes nationaux de Palmira, alors en tournée, survinrent et les prirent pour des brigands au repos. Aussitôt ces braves de se poster qui derrière une haie, qui derrière un tertre, et de faire feu sur ces malheureux ouvriers, dont l'un reçut une blessure par bonheur assez légère; car MM. les gardes nationaux joignaient à une remarquable couardise, une non moins remarquable maladresse. Le peuple accourut et leur apprit leur déplorable quiproquo; sans quoi, ils étaient décidés à tirer jusqu'à l'extinction du dernier des dormeurs (1).

Dans le comté de Molise, la garde nationale de Salcito est licenciée. Le capitaine et le lieutenant de la garde nationale de Rocca-Mandolfi sont mis en arrestation.

Dans les Abruzzes, sont dissoutes les gardes nationales de Capocciano, Rocca-di-Mezzo, Borghetto, Montazzolli, Gazzano et Lama.

(1)Le journal le Lombardo, de Milan.  Correspondance de Naples, 18 août.

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Dans la seconde quinzaine du mois de novembre, des gardes nationaux du district d'Isernia aident les brigands à abattre et briser les écussonna et les drapeaux piémontais, et fraternisent avec eux de concert avec la population.

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VI

La conscription, ail temps des Bourbons, était inconnue en Sicile, et, dans les provinces de terre ferme, elle ne s'excerçait qu'avec une paternelle modération. Chacun se rappelle à Naples ces longues files de recrues qui se présentaient spontanément au corps, la cocarde royale au chapeau, le drapeau national au milieu d'eux, et traversaient le pays aux cris enthousiastes de Vive le Roi! C'était une gloire d'abord d'être soldat, puis de retourner dans ses foyers avec la médaille d'honneur sur la poitrine.

Aujourd'hui le service militaire est partout en horreur; la conscription bourbonienne prenait à peine 12,000 hommes par an; la conscription piémontaise en prend annuellement 36,000. Impôt de l'argent, impôt du sang, tout est triplé depuis l'invasion des régénérateurs. Les lois mêmes qui ordonnent les levées se succèdent à de courts intervalles avec une sinistre rapidité (1).

(1)La première est du 30 juin 1861; la seconde, du 22 août 1861; la troisième, du 13 juillet 1862, la quatrième, en 27 juillet 1865; la cinquième, du 10 mai 1864.

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Ces mêmes populations qui, pendant les quinze mois que régna François II, lui avaient donné volontiers 72,000 hommes, se révoltent aujourd'hui d'en fournir annuellement 36,000 au Piémont, qui les envoie comme en exil dans les lugubres casernes de Fenestrelle, d'Aqui et de Cuneo. Les nouveaux soldats, comme les anciens, — ceux-là sont rares, il est vrai, — ne manquent pas de comparer le service militaire piémontais au service militaire napolitain, et déplorent amèrement ce sacrifice forcé des onze années les plus belles de la vie, tandis qu'autrefois ils étaient quittes au bout de cinq ans envers la patrie et rentraient libres dans leurs foyers (1). L'armée était bien payée, mieux vêtue et mieux nourrie; car j'ai eu la preuve que, par suite de la dilapidation sans doute, la nourriture de l'armée piémontaise est en général rebutante et peu abondante; en outre le code militaire est d'une implacable sévérité inconnue, naguère aux jours les plus troublés, et enfin le remplacement était de 960 francs au plus, tandis qu'il est aujourd'hui d'un peu moins de 3,000 francs. Ce n'est pas tout, le remplaçant doit avoir la taille d'un mètre soixante centimètres, tandis qu'un mètre cinquante-six centimètres suffit pour être pris par la conscription. Tout jeune homme qui demande un passe-port pour l'étranger doit payer d'abord au gouvernement une caution de 200 fr. de rente inscrits au grand-livre, c'est-à-dire 4,000 francs de capital, destiné à payer son remplaçant au cas où il serait absent à l'époque du tirage. Autrefois les licenciés es sciences ou es lettres, les médaillés de l'Ecole des

(1)La loi qui rendait la conscription piémontaise exécutive dans le royaume de Naples a été déclarée coûteuse, oppressive et impopulaire au sein même du parlement. Séances du 14 juin et du 11 juillet 1861. Actes officiels, n. 189 et 274.

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Beaux-Arts, les fils uniques, les soutiens de famille et les émancipés étaient exempts de la conscription; mais la loi piémontaise n'admet aucune de ces exceptions. Ses communes maritimes n'étaient pas sujettes sous les Bourbons à grossir le contingent de l'armée de terre, et ne fournissaient que des marins; aujourd'hui ces communes sont soumises à un double recrutement.

Ne nous étonnons donc pas de la résistance croissante que la conscription piémontaise rencontre dans les provinces de Naples et particulièrement dans les provinces de Sicile; dans la presque majorité des communes, on peut dire qu'il n'existe annuellement qu'à l'état de projet, et loin de renforcer l'armée de l'unité, l'annonce d'une levée suffit pour peupler les montagnes de jeunes réfractaires et renforcer par conséquent le brigandage.

Le contraste entre le présent et le passé est si flagrant qu'il est relevé au sein même du parlement anglais (1):

«Sous les Bourbons il n'y avait pas de conscription en Sicile, et à Naples elle s'accomplissait avec beaucoup d'indulgence. Les Piémontais l'exécutent de la manière la plus cruelle: les conscrits sont arrachés à leurs foyers et à leurs travaux pour être traînés au service militaire dans le nord de l'Italie, qu'ils ne connaissent pas et qu'ils abhorrent. Des milliers de ces hommes fuient sur les montagnes plutôt que de servir les oppresseurs de leur patrie, et préfèrent être des brigands, ce qui veut dire en réalité résistant au gouvernement usurpateur.»

— Les révélations les plus importantes sur la résistance que rencontre le recrutement et l'invincible aversion qu'elle soulève en Sicile, nous sont fournies par le ministre de la guerre de Turin lui-même:

(1)Séance du 8 mai.

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vai su


«Le recrutement de 1861, pour les jeunes gens nés en 1840, donna 4,891 réfractaires. Le recrutement de 1862, en donna 5,870; celui de 1863, 8.241; ce qui, pour ces trois levées, nous offre le chiffre élevé de 19,298 réfractaires. Après cela il y a les déserteurs, c'est-à-dire les hommes qui étaient inscrits sur les rôles de la deuxième catégorie et qui ayant été appelés ne se sont pas présentés; ceux-là montent à 2,952 pour la classe de 1861 et à 2,656 pour celle de 1862: total 5,608. Enfin, dans divers corps de l'armée 1,419 jeunes soldats qui avaient obéi à la loi du recrutement ont ensuite déserté! En additionnant tous ces chiffres, nous trouvons un total général de 26,225 individus. Or, je le demande, que devait faire le gouvernement en présence d'un état de choses aussi déplorable? Quand les citoyens ne pouvaient plus circuler selon leurs besoins et non-seulement ne pouvaient plus sortir du pays, mais même de leurs maisons sans crainte d'être tués à coups de fusil (1)?

—Une autre révélation aussi importante que celle du ministre de la guerre nous est fournie par le député Bixio et la confirme:

«La liberté de la Sicile est l'œuvre de l'Italie et non l'œuvre de la Sicile, La Sicile, même en des moments solennels, refusa de donner jusqu'à un seul homme pour la liberté de l'Italie. Si toutes les villes italiennes avaient eu autant de réfractaires que la Sicile, l'Italie n'aurait pas d'armée. J'accuse l'opinion publique en Sicile de n'avoir jamais usé de son influence pour induire les réfractaires à faire leur devoir (2).»

—La conscription est haïe en Sicile non-seulement des réfractaires mais encore des conseils municipaux

(1 ) Séance parlementaire du 5 décembre.

(2) Séance parlementaire du 9 décembre

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eux-mêmes; c'est le général Govone, commandant militaire de Sicile, qui le confesse:

«J'ai rencontré toutes les difficultés quand il s'est agi d'arrêter les réfractaires. Je ne pouvais pas même savoir leurs noms des conseils municipaux; aussi voici ce que je faisais: J'enfermais les conseillers dans une chambre, et dans une autre huit des notables de l'endroit. Je montrais aux premiers l'individu arrêté, puis je le montrais aux seconds pour découvrir si les municipes me trompaient: je n'avais pas d'autre moyen pour réussir dans ma mission (1)!»

—Les réfractaires, dans un seul quartier de Naples,la Vicaria, montent cette année au chiffre de 500 (2).

—On arrête 600 réfractaires de la levée de 1863, et on les enferme au fort Carmen, dans les prisons de la Concorde et à la police (3).

—A Palerme, on compte plus de 4,000 réfractaires,1,015 à Catane, et 1,650 dans le seul arrondissement de Girgenti (4).

—Les listes de réfractaires sont dressées par quelques municipes   avec une  telle  incurie  qu'ils y   inscrivent un certain nombre de femmes et de morts dont les Piémontais,  pour  forcer à se présenter ces recrues d'un nouveau genre,  martyrisent les familles, emprisonnent les pères et même les sœurs. Le recrutement arrive ainsi à devenir une véritable traite des blancs. Les salles des conseils de recrutement offrent d'horribles

(1)Séance parlementaire du 5 décembre. — Que d'aveux instructifs et quel froid despotisme! Mourawief a-t-il jamais fait cela?

(2)Le journal l'Azione, 31 octobre.

(3)Le journal la Libertà italiana, 12 décembre.

(4)Séance parlementaire du 17 avril.

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spectacles, des gens entassés comme des bestiaux, pleurant, se lamentant, des familles entières presque agonisantes, des pères infirmes étalant leurs plaies et leur misère pour prouver que les bras de leur enfant leur sont plus nécessaires qu'au Piémont; des scandales, des jugements d'une flagrante iniquité. On a vu des hommes écartés du recrutement l'année précédente, pour une infirmité incurable, condamnés l'année suivante à s'enrôler. D'innombrables fraudes décident le gouvernement à faire arrêter et juger trois fonctionnaires du recrutement, prévenus de corruption. Je le répète, le Piémont a inauguré la traite des blancs.

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VII

Au lendemain de l'annexion, le Piémont sentait le besoin de tromper l'opinion publique pour ne pas se l'aliéner; les recrues, dans les provinces de Naples, n'étaient conduites au corps que drapeaux et musique en tête; mais aujourd'hui le masque est tombé, et ces pauvres jeunes gens sont traînés les menottes aux poings entre deux files de cavalerie piémontaise. Il n'est pas jusqu'aux journaux ministériels qui n'en fassent foi: «Nous voyons chaque jour de jeunes conscrits que l'on conduit aux prisons, enchaînés au milieu d'une escorte de gendarmes; nous voyons beaucoup de conscrits déserter le foyer paternel, abandonner leurs champs ou leur métier, et se jeter dans une vie vagabonde et souvent criminelle; nous voyons des jeunes gens sans ressource préférer la faim à la vie militaire; nous voyons les prisons se peupler au détriment des casernes (1).»

— Un journal de Turin reproduit une proclamation répandue à profusion dans la Sicile et qui est considérée

(1)Le journal le Çorriere siciliano, 1 avril.

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comme l'expression du sentiment général des populations en fait de recrutement:

«30 mars 1863

Siciliens!

Les temps sont proches, ne vous laissez plus séduire. Le désespoir envahit ce gouvernement usurpateur qui vole l'argent partout où il en trouve et qui enlève aux mères leurs fils, aux épouses leurs maris, pour les entraîner à devenir les sbires ou les bourreaux de la sanglante Italie. Ne vous laissez plus séduire, ô Siciliens, car d'un moment à l'autre la réaction se développera plus terrible que jamais. Vous, jeunes gens, espérance de la patrie, qui, sons prétexte de recrutement patriotique, êtes recherchés par nos perfides spoliateurs pour faire partie d'une armée que la désertion décime de jour en jour, ne vous laissez pas prendre au piège, fuyez dans les montagnes, cachez-vous dans les bois, enfin disparaissez de -vos communes, et ne vous rendez pas les victimes volontaires d'un tyran qui persécute les images saintes, profane vos églises et a ruiné votre patrie. L'heure de la punition n'est pas loin. Le mécontentement universel est arrivé à son comble. Méprisez ceux qui vous ont vendus à l'étranger, mais ne craignez pas, ils périront. Courage et constance, et bientôt vous serez heureux (1).

— A Longi, province de Messine, les troupes, sans ombre de légalité, pénètrent dans toutes^les maisons, et au lieu des conscrits fugitifs, arrêtent leurs vieux pères et les traînent dans les prisons de Tortorici,

(1)Le journal la Discussione avril 1864

131 —

en les accablant d'outrages; ce qui n'empêche pas une bande armée d'environ 50 réfractaires, sourds à toutes les insinuations des autorités locales, de camper fièrement sur les montagnes voisines.

—Dans les deux districts de Terranova et de Modica, la majeure partie des conscrits se sauve à Malte.

Le 5 janvier, la ville de Paterno (Sicile) est bloquée par les troupes piémontaises, qui défendent aux habitants de sortir de leurs demeures, s'emparent de quelques réfractaires et emprisonnent les pères et les mères des conscrits absents.

—Le 9 janvier, à Fuorigrotta, dans la banlieue maritime de Naples, les marins se mutinent et tentent de délivrer un réfractaire arrêté par des gendarmes, dont l'un est tué. Des troupes accourent de Naples et emprisonnent sept paysans. — Le même jour, dans le village de Miano, à Capo di Monte, les habitants forcent les gardes de police à laisser en liberté le réfractaire Dantibario.

De 2,000 conscrits de la ville de Naples, il s'en présente à peine une soixantaine, ce qui n'empêche pas les journaux salariés, italiens ou étrangers, de célébrera perte d'haleine les merveilleux résultats du recrutement piémontais.

Le 3 février dans une solfatare voisine de Caltanisetta, la troupe découvre quelques réfractaires, les accable de mauvais traitements et tue de deux coups de feu un jeune homme en haillons qui avait pris la fuite.

Peu de jours après, un événement aussi tragique eut lieu près de Catane: au lieu d'un réfractaire on avait arrêté son frère, qui voulut prendre la fuite et fut tué à Belpasso.

Le 27 février, les troupes cernent la commune de

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Misilmeri; trois réfractaires prennent le parti delà fuite, et aussitôt les Piémontais de leur lancer une grêle de balles. Il en résulta un conflit entre les parents d'environ 200 autres réfractaires et les soldats piémontais. La situation s'aggravant, ils demandèrent du renfort et profitèrent de son arrivée pour jeter en prison une quarantaine de citoyens innocents, parmi lesquels plusieurs conseillers municipaux. La presse sicilienne a été unanime à déplorer ces faits: «A Misilmeri, on bâtonne les femmes, on arrête les pères pour les fils et les frères pour les frères. La force brutale y commande. Il s'y commet des choses à faire frémir ceux qui en sont les témoins. Plus de deux cents habitants se sont sauvés à Palerme pour éviter la possibilité-d'une arrestation (1).»

—«Les actes d'arbitraire militaire consommés  à Misilmeri sont douloureux: par exemple, on a tiré des coups de fusil au prêtre Balletta pendant que de son balcon il répondait à une patrouille qui lui ordonnait d'ouvrir sa porte; puis on Ta arrêté. On a arrêté également un sieur Guastello à la place de son frère (2).»

—Les journaux publient une protestation du maire de Misilmeri, contre les abus de pouvoir qu'y commet le commandant militaire Bessozzi. Elle fait mention d'une femme qui, pour n'avoir pas amené son fils réfractaire, a été tuée par la troupe à coups de baïonnette (3).

—Le réfractaire Joseph Pappalardo n'ayant pu être arrêté, non plus que le vieux Sylvestre son père, on arrête sa mère, Sylvestra di Dio, en même temps qu'un enfant de trois mois qu'elle allaite.

(1)Le journal l'Aspromonte, 3 mars.

(2)Le journal il Precursore, de Palerme, 3 mars.

(3)Séance parlementaire du 5 décembre.

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On la traîne dans les prisons de Troina, puis dans celles de Nicosia, et enfin dans celles de Recalmuti, où elle gémit depuis plusieurs mois (1).

—Le 23 septembre, on voit arriver à Palerme une chaîne de soixante femmes mises en état d'arrestation comme mères et sœurs de réfractaires (2).

—A Cerda (Sicile), le brigadier de gendarmerie Amedeo est tué, à quelques pas de sa caserne, par quatre réfractaires sortis de la maison du sieur Stefano Passafiume. Un sieur Pietro de Naldo-Amatore, que le hasard avait rendu témoin du premier assassinat, homme connu pour son dévouement aux idées antinationales, est également tué par les mêmes réfractaires.

—Peu de jours après, un combat s'engage, près de Monreale, entre les bandes de réfractaires armés, qui parcourent la campagne, et les gendarmes, aux secours desquels on envoie de nombreux renforts.

—A Favara, province de Girgenti, plus de deux cents1 réfractaires vont grossir les bandes. Trois propriétaires

piémontistes, Saverio Franchino, Basilio Lombardi et Angelo Pallara, sont assassinés, des derniers jours de mars aux premiers jours d'avril. Un quatrième, Gaetano Pipo, n'échappe à la mort que par une sorte de miracle.

Dans la province de Caltanisetta, à la suite de perquisitions, le 22 avril, soixante-dix individus sont arrêtés, comme prévenus d'être suspects... d'être des réfractaires.

Dans une des communes messinoises, on arrête une jeune fille de vingt ans comme coupable d'avoir un frère réfractaire.

(1)Séance parlementaire du 12 octobre.

(2)Séance parlementaire du 25 septembre.

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—Le 25 mars, à Naples, les gendarmes se rendent à la caserne municipale des pompiers, pour s'emparer de sept de ces hommes tombés à la conscription. Les pompiers opposent une énergique résistance. — Un des leurs et le brigadier de gendarmerie sont tués dans la lutte, et plusieurs gendarmes sont grièvement blessés. La troupe et les autorités accourent; Tordre tardant à se rétablir,le préfet prononce le licenciement général des pompiers,et, le lendemain, trente d'entre eux sont arrêtés et conduits en prison (1).

—Dans la nuit du 2 au 3 juin, la ville de Monreale est occupée militairement par un bataillon de bersagliers piémontaise, et par deux bataillons du 33e de ligne renflées d'une troupe de gendarmes, d'agents de police et de gardes nationaux. Ils envahissent toutes les maisons et arrêtent indistinctement tous les jeunes gens, en masse, de peur de laisser échapper un seul réfractaire. Un grand nombre de suspects sont également arrêtés. A k même heure, deux bataillons du 41e fouillaient toutes les maisons de campagne des environs, ravageant les moissons, les oliviers et les bois de figuiers.

—Le 8 juillet, la ville de Girgenti, Sicile, est bloquée par 3,000 Piémontais et mise immédiatement en état de siège, avec défense expresse à qui que ce soit de sortir de chez soi. Un ordre du jour du général commandant Govone, ordonne à 330 réfractaires; d'avoir à se présenter sans retard. Les perquisitions domiciliaires n'amènent aucun résultat, pas plus que les instances de M. Govone auprès du municipe, de la garde nationale et des notables de la ville. Les réfractaires avaient été prévenus de l'arrivée des Piémontais et se tenaient dans la campagne.

(1)Journal officiel de Naples, 2 avril.

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Les journaux siciliens représentent la situation du pays comme intolérable: «Girgenti ressemble aux villes où campent des troupes victorieuses à la suite d'une guerre formidable (1).» Toutes les maisons sont fouillées de fond en comble à plusieurs reprises, comme par exemple celles du juge-instructeur Âlliote, de MM. Genuardi, du chevalier Joseph Golisi La Lumia, etc. Ce dernier, entre autres subit successivement dix-sept visites domiciliaires. Une pauvre femme du peuple voulant sortir de la ville avec son âne, les soldais piémontais exercent leur valeur sur l'innocent quadrupède, et le tuent sur place à coups de baïonnette. On arrête cinq et six fois de suite les mêmes jeunes gens; avoir de 16 à 25 ans est un crime qui vaut des semaines entières d'emprisonnement. — La ville souffre bientôt d'un horrible fléau; les fontaines étant hors de la ville, et les Piémontais défendant qu'on en sorte, Girgenti meurt littéralement de soif.

—Le 18 août, le colonel Ebherardt, hongrois garibaldien passé au service du Piémont, cerne la ville de Trapani, la met dans le plus rigoureux état de siège, défend aux habitants d'en sortir, fouille les maisons pour arrêter les réfractaires, et, en leur absence, emprisonne leurs familles (2).

—Du 20 au 26 août, le même traitement est infligé aux communes de Salemi, de Menti et de CastelVetrano,où l'état de siège prive les habitants de leurs moyens d'existence, et les fait souffrir de la soif.

—Dans les premiers jours de septembre; la commune de Partanna est pour ainsi dire prise d'assaut par lés Piémontais qui y commettent d'odieux actes d'arbitraire,et font des arrestations en masse pour forcer

(1)Le journal le Precursore, 15 Juillet.

(2)Le journal sicilien Caprera, 19 août.

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les réfractaires à se présenter: «mais ceux-ci étant dans la campagne, les Piémontais emprisonnent leurs parents et, qui pis est, en foulant aux pieds les droits les plus sacrés, abattent les portes et pénètrent la nuit dans les maisons. De nombreuses familles sont ainsi traînées en prison (1).» En somme, il n'y a pas un coin delà Sicile qui n'ait à souffrir du plus féroce despotisme militaire.

—Aux portes de Palerme, les troupes arrêtent tous les jeunes gens qu'elles voient passer; dans un seul jour on en compte jusqu'à 400 arrêtés de cette manière sans qu'il se trouve ensuite parmi eux un seul réfractaire;et cependant, à en croire l'avis officiel publié par le général Govone, pour la seule ville de Palerme, 4.000 réfractaires manquent à l'appel (2).

A Santa-Margharita, bien que le municipe donne au commandant piémontais l'assurance que les réfractaires se sont déjà présentés au maire, celui-ci n'en discute pas moins l'état de siège, défendant aux habitants de sortir du pays, et plaçant des sentinelles aux puits pour infliger à la commune le tourment de la soif (3).


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On compte jusqu'à 400 villes ou villages de la Sicile bloqués, mis en état de siège, affamés et privés d'eau par les troupes sardes, dans l'espoir de décider par ces rigueurs les réfractaires à se présenter, et leurs parents à dénoncer leur retraite.

Au commencement du mois de décembre, une colonne mobile de 100 hommes arrivent à Altavilla (Sicile), pour arrêter un seul réfractaire; ils défoncent les portes du palais et s'y établissent, aussi bien que dans l'église principale de la commune, qui cependant ne

(1)Le Precursore, 9 septembre.

(2)Le journal le Commercio di Sicilia, 1 octobre.

(3) Le journal Unità et Libéria, de Palerme, 25 septembre.

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manque pas de locaux spacieux; enfin, après d'autres actes d'arbitraires trop longs à énumérer, le commandant piémontais force la maire et le curé à lui remettre des certificats de bonne conduite.

Après quelques mois d'absence, un jeune tailleur de marbre, réfractaire, Antonino Lamonica, se présente spontanément aux autorités sur les instances de son père. Incorporé dans un régiment, il déserta quelque temps après; mais les chefs piémontais s'en prirent à la malheureuse famille du déserteur, y mirent 22 garnis aires qui bivouaquaient dans la modeste demeure, dont les propriétaires étaient obligés de coucher à la belle étoile (1).

Les Piémontais agissent de même envers un ouvrier de Palerme chez qui, pendant près d'un mois, on loge de force cinq soldats, pour l'amener à ce qu'il décide son frère à se présenter. Or celui-ci, accusé d'homicide à tort ou à raison, s'est expatrié avec sa femme depuis un an et n'a plus donné de ses nouvelles. Les soldats défendent à toute personne de la famille de sortir de la maison (2).

Un jeune homme de dix-huit ans, Pasquale Sacca, quoique complètement infirme, est brusquement arrêté par les Piémontais à Rocco, près Messine, et traîné en prison, où il meurt quelques instants après (3).

Le réfractaire Gorgone, de Monreale, ne se présentant pas, et sa famille elle-même se cachant pour échapper aux vexations piémontaises, on arrête en guise

(1)Le Precursore, 20 octobre.

(2)Le Journal l'Amico del popolo, 3 novembre.

(3) Le journal l'Aquila latina.

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d'otages ses deux jeunes sœurs qu'on fait sortir du couvent à cet effet (1).

—Des gendarmes rencontrent dans la rue deux jeunes gens qu'ils prennent pour des réfractaires, les mettent en arrestation. L'un deux, cherchant à se sauver, est tué à coups de fusil par les gendarmes (2).

—Les conscrits se font brigands; c'est ainsi que Michel Pafundi, de Pietragalla, Basilicate, aussitôt après le tirage au sort, se sauve dans la montagne, et loin de servir la révolution italienne, va s'enrôler dans les rangs de la réaction (3).

—Lors de la discussion de la loi sur la compétence des tribunaux militaires dans le jugement des réfractaires, les députés siciliens font entendre ces paroles:» Tous les jours le gouvernement nous propose des lois qui violent ouvertement les lois fondamentales, et celle que l'on nous propose est justement dans ce cas. Le ministère veut enlever à la magistrature civile le jugement des réfractaires pour le conférer aux tribunaux militaires. Cela est contraire au statut:  nous sommes ici au nom de la liberté, et c'est en son nom que l'Italie même s'est faite; or, cette loi est la plus manifeste violation de la liberté (4).» — En dépit de tous les efforts, èe toutes les cruautés, de toutes menaces et de toutes les illégalités, le nombre des réfractaires est loin de diminuer et par contre celui des déserteurs s'augmente dans d'inquiétantes proportions; si bien que les haut set bas agents piémontais se voient forcés d'invoquer te concours préservatif de ce même clergé qu'ils

(1)Le journal l'Arlecchino oppositore, 26 septembre.

(2)Le journal II Leone di San-Marco, 9 septembre.

(3)Le journal le Paese, 1" novembre.

(4)Séance parlementaire du 1»août

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persécutent odieusement (1) démarche qui n'aboutit, comme on devait le prévoir, qu'à témoigner de l'impuissance réelle et de la croissante impopularité du nouveau régime.

(1)Voir, au chapitre Religion, le paragraphe 10.

140 —

VIII

L'armée italienne, telle qu'elle est aujourd'hui composée, n'offre aucun rapport avec l'ancienne armée piémontaise. Le noyau de Grimée et de Lombardie s'est fondu dans les annexions successives de Florence, Parme, Modène, Bologne et les Deux-Sicilies. La vieille et fameuse brigade de Savoie a disparu des cadres piémontais. Enfin l'élément garibaldien a semé dans cette grosse armée péniblement improvisée, armée hybride et rongée au cœur par les divisions politiques, des germes de mécontentement et d'indiscipline qui porteront leurs fruits à la première tourmente. Il est évident que tel officier sarde qui a gagné un à un tous ses grades, glorieusement et justement, doit souffrir et rougir d'avoir à s'incliner devant des colonels de cuisine et des généraux de bohème (1).

(1)Le colonel d'état-major Ferrari était cuisinier de S. A. le duc de Modène; le général Carini rédigeait, à Paris, un petit journal sans abonnés; le général Bixio était bureaucrate; le colonel Fumel était apothicaire; le colonel Cattabene tenait des maisons de jeux, etc.. etc.

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L'armée piémontaise, aussi bien d'ailleurs que l'armée royale napolitaine, ne connaissait la désertion que de nom. Aujourd'hui Ton voit les corps de troupe se mettre en marche, forts de 500 hommes et au bout d'une seule étape être réduits à 200. Quelquefois les officiers refusèrent de continuer la route pour ne pas arriver seuls à destination. Si vous parcourez les routes, dans l'Italie méridionale, vous rencontrez des centaines de déserteurs enchaînés et menés en prison par des soldats qui, le lendemain, déserteront probablement eux-mêmes. Les Piémontais avouent que le soldat napolitain est immuablement attaché à son vieux drapeau. On trouve bien parmi les officiers des divergences d'opinion politique; mais les soldats n'en ont qu'une: ils aiment Naples, Dieu et leurs rois, et l'influence des officiers sur leurs convictions est parfaitement nulle. Aussi n'a-t-on vu en réalité que des officiels, la plupart gagnés d'avance, et mus pas l'intérêt, endosser volontairement le harnais piémontais. La moitié des brigands sont des déserteurs ou d'anciens soldats napolitains, et sauvent des officiers reconnaissent parmi les réactionnaires qu'ils font fusiller, des hommes qui furent naguère sous leurs ordres. C'est ce qui sert à expliquer l'inexpliquable générosité de quelques bandes, chez qui domine toujours le sentiment militaire et qui, victorieuses, se contentent de désarmer leurs prisonniers et les renvoient sains et saufs (1).

(1)En octobre 1862, la bande Tardio renvoie ainsi, dans le Cilento, un gros détachement de gardes nationaux commandes par le capitaine Arona, et un certain nombre de bersaillers. — Au commencement de janvier 1864, en Basilicate, ta bande Masini fait preuve de la môme générosité.

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A la date du 1 février 1863, le corps d'occupation des Deux-Sicilies était composé comme il suit:

6 Régiments de gendarmes;

2 Régiments de grenadiers;

25 Régiments de ligne;

1 Régiment royal-vaisseaux;

24 Bataillons de bersaillers;

41 Quatrièmes bataillons;

8 Dépôts d'infanterie;

1 Dépôt de bersaillers;

5 Régiments de cavalerie;

2 Régiments de lanciers;

1 Régiment de hussards;

9 Dépôts de cavalerie;

2 Régiments d'artillerie;

2 Bataillons de génie;

1 Régiment du train;

Total effectif: 96,000 hommes.

Doublez ce chiffre de celui des policiers, la force réelle du Piémont, et vous comprendrez quelle guerre de géants livre le brigandage à un ennemi pour qui toute victoire est bonne, calomnie ou trahison, et qui ne voit la honte que dans l'insuccès. — Dans l'une des dernières séances secrètes du parlement, en 1862 (1), un député rapporteur évaluait à 15,000 hommes le chiffre des pertes de l'armée dans les Deux-Sicilies, depuis l'annexion (2)

(1) Au mois de décembre.

(2) Les autorités et les journaux piémontais font tous leurs efforts pour dissimuler ou seulement amoindrir les pertes de l'armée. La Gazzetta di Napoli, organe ministériel, n'eut pas honte de chiffrer les pertes de trois années d'occupation à 25 officiers et 200 soldats; par contre, rougissant de la cruauté piémontais,elle ne faisait monter qu'à 2,000 le nombre des brigands tombés dans les combats.

143 —

Ce chiffre s'est encore accru dans le cours de cette année: car j'ai vu des hôpitaux regorgeant de blessés: au mois de juin, j'en ai trouvé 156 dans un seul hôpital de Naples; au mois d'octobre, sur 1,000 soldats, 1103 étaient à l'hôpital, la plupart pour blessures; dans le seul mois de décembre, 18 officiers et 3,816 soldats entrèrent à l'hôpital divisionnaire de Naples, et 45 y moururent (1).

J'ai compté parfois jusqu'à 500 malades ou blessés dans un régiment de 1,800 hommes. Le bataillon d'Aoste, en garnison dans les Pouilles, ne compta un instant que sept hommes valides, de l'aveu même de son commandant; tout le reste était malade (2). J'ai Vu plusieurs fois des musiciens faisant le service de sentinelles, Les compagnies d'infanterie de 120 hommes furent souvent réduites à 50 et même à 45. Il ne restait que 70 chevaux à je ne sais plus quel régiment de cavalerie, en Capitanate (3).

Ces fourberies ne trompent, en Europe même, que ceux qui veulent bien être trompés. A l'époque même où li Gazzetta publiait les chiffres précédents, on avouait au parlement que plus de 7,000 hommes avaient été tués ou fusillés, et, a Naples, en dix-huit mois, la seule brigade Guueo venait de perdre 92 hommes.

(1)C'est à la statistique officielle que j'emprunte le mouvement des hôpitaux militaires de Naples: «Le 1er janvier 1863, 4.208 malades. Dans le courant de l'année, 79,152; en tout: 83,420 malades. — 74,545 hommes sortent des hôpitaux, et 1,064 y meurent. Ainsi 6,811 soldats, gendarmes ou policiers se trouvaient dans les hôpitaux de Naples le 31 décembre 1863. (Journal officiel de Naples.)

(2)Séance parlementaire du 4 janvier 1804. Paroles de député Massari.

(3)Séance parlementaire du 22 novembre 1862.

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Celle dépopulation des troupes piémontaises est autant le fait des fièvres que des brigands. Cette guerre incessante de montagnes, le jour sous un ciel de feu, la nuit dans une atmosphère glaciale, lasse, rebute, décime les chasseurs de brigands. Des détachements entier sont plusieurs fois refusé de marcher. — «Notre vie est très-pénible, écrivait à l'Indipendente un sergent de la garnison de Bénévent; voilà deux nuits que je n'ai pas fermé l'œil, et plusieurs jours que je dors avec ma compagnie à la belle étoile, sub Jove frigido. Nous passons la majeure partie du jour sous un soleil cuisant, cachés dans l'herbe, attendant quelque bande de brigands, s'il en passe une à portée de nos fusils, ou courant les montagnes et les rochers. Nous sommes en haillons, nous sommes sales et noirs; nous nous faisons peur à nous-mêmes (1). Les souliers d'ordonnance ne durent pas quinze jours. Vingt-sept hommes de ma compagnie sont malades en ce moment, et les autres ne vont guère mieux.  — Des journaux siciliens disent que chaque réfractaire, si encore on parvient à l'arrêter, coûte au Piémont une dizaine de soldats, qui tombent épuisés ou victimes de leur devoir. — La position des Piémontais dans,les Deux-Sicilies pourrait donc se résumer ainsi: Dans les villes; on ne les reçoit pas, et -dans les campagnes on les reçoit... à coups de fusil. Martyrs forcés d'une cause perdue, enfants du peuple et bourreaux d'un peuple, ils donnent la mort jusqu'à ce que la mort leur soit donnée, avec l'absolution du prêtre qu'ils injuriaient la veille, et que peut-être ils voulaient fusiller...

Mais cette guerre même, — guerre d'extermination s'il en fut, — épuise l'armée moralement plus encore que matériellement.

(1)C'est déjà quelque chose.

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Les corps de troupe n'étant plus réunis, mais éparpillés en petits détachements, éloignés les uns des autres, n'ayant plus à obéir qu'au caporal ou au sergent, perdent l'habitude des exercices militaires, le sentiment de la subordination, le respect de la discipline. Jeté dans une guerre de tous les jours et de toutes les heures, le soldat croit voir un ennemi dans chaque habitant; il devient peu à peu féroce, et malheur alors aux lieux où il prend garnison, lui, si longuement et si impunément habitué à fusiller quiconque lui paraissait suspect!

Poussant la bêtise jusqu'à l'atrocité, ou l'atrocité jusqu'à la bêtise, la plupart des chefs piémontais choisissent de préférence des Napolitains pour la chasse aux brigands; cette guerre fratricide est de bonne odeur pour ces superbes Allobroges. Mais, qu'en résulte-t-il? Les chasseurs de brigands se font brigands eux-mêmes, ou tout au moins refusent de marcher contre leurs frères. — Au mois d'août dernier, le chef d'escadron des chevaux-légers de Lodi reçut l'ordre d'aller combattre la réaction en Basilicate; il répondit qu'il lui était impossible de l'exécuter; on le mit en disponibilité, mais l'escadron n'alla pas en Basilicate.

On n'a pas oublié quels odieux moyens le Piémont mit naguère en œuvre pour semer la corruption, la trahison, la lâcheté dans les rangs de l'armée royale napolitaine (1); il doit reconnaître, par expérience aujourd'hui.

(1)Voir la Proclamation, adressée de Turin le 22 mars 1860, par M. La Farina, président de la société nationale, aux soldats napolitains, et publiée, entre autres journaux, par l'Indépendance belge; les Proclamations de MM. Médici, Garibaldi et consorts; les Révélations du député Ricciardi, dans la séance parlementaire du 20 mars 1861, sur la propagande révolutionnaire faite à Naples dans las casernes; la Réclamation de plusieurs officier napolitains, publiée par le Nomade, du 97 mars 1861, et particulièrement la Cronaca âegli avvenimenti di Sicilia, publiée en 1863.

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la vérité du proverbe: Qui sème le vent récolte la tempête

Çhi patisce quel che agli altri ha fatto

Alla santa giustizia ha soddisfatto.

Le 19 janvier, le général La Marmora adresse aux chef de corps, dans les provinces méridionales, une circulaire, qui débute en ces termes:

«La faction mazzinienne et spécialement son chef, s'étudient à entamer les solides sentiments de fidélité de Tannée et travaillent surtout à séduire les sous-officiers et caporaux,- leur promettant des grades et des honneurs.» La circulaire recommande, en conséquence, la plus grande surveillance à l'égard des officiers et Sous-officiers, suspects de mazzinisme.

La propagande mazzinienne épouvante le gouvernement, qui met tout en œuvre pour la conjurer A l'époque des inspections générales, tout chef de corps est tenu d'envoyer secrètement, sur le compte de chaque officier sous ses ordres, des renseignements sur;

1° Sa conduite;

2° Ses qualités morales;

3° Son éducation et son caractère;

Ses antécédents et sa réputation;

5° Sa façon d'entendre ses devoirs envers le roi, la patrie et l'armée (1).

En vérité, si la police n'existait pas, le Piémont l'eût

1.Le journal le Diritto, de Turin, 5 mars.

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Ces moyens, apparemment, n'étant pas suffisants, un décret royal ajoute des articles à-l'ancien règlement disciplinaire, pour réprimer et punir la camorra militaire (1). Or, les camorristes et les révolutionnaires, naguère encore, étaient les meilleurs amis du Piémont, parce qu'ils conspiraient à son bénéfice contre la nationalité napolitaine; en ce temps, il n'avait pas assez d'épaulettes, de ducats et de rubans pour ces fauteurs soudoyés de l'irréligion et de la rébellion. Aujourd'hui qu'ils conspirent contre lui, il les emprisonne, les exile, les déporte, et la même poitrine qui, au lendemain de l'annexion, portait la croix des Saints-Maurice-et-Lazare, est recouverte aujourd'hui de la bure du bagne. J'ai vu le texte d'un mandat d'arrêt lancé contre une vingtaine d'anciens garibaldiens, inculpés d'avoir suborné et poussé à la désertion des soldats de l'armée italienne. Un de ces accusés était l'ex-colonel Jean-Baptiste Gattabène, qui avait ouvert à Naples plusieurs maisons de jeu (2). — Mais le Piémont est impuissant à fermer une plaie qu'il a lui-même ouverte; les Napolitains et les Siciliens ne cessent de déserter; ceux qu'on laisse dans le Midi, passent aux réactionnaires; ceux qu'on envoie dans le Nord passent en Vénétie, en Suisse, en France, par bandes de vingt à trente hommes. Les prisons militaires regorgent de ces infortunés; à Naples, 450 sont au fort de l'Œuf, 280 à Saint-Elme, 430 au château del Carminé, et un plus grand nombre encore dans le vaste bâtiment des Granili (3). — A bout d'expédients, le ministre de la guerre  s'adresse à la garde nationale et la charge de

(1)Décret royal, en date du 12 mars. ~- Rapport au roi par le ministre de la guerre.

(2)Voirie journal la Stampa, de Turin, 20 avril.

(3)Le journal la Patria, 18 octobre.

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«surveiller Tannée royale (4).» Nous eussions trouvé plus rationnel de charger Tannée de surveiller la garde nationale.

Il doit être aisé, après la lecture de ce qui précède, de se rendre compte de la situation générale des Deux-Sicilies et en particulier du corps d'occupation. Je laisse au lecteur le soin de prévoir les conséquences immédiates qui en résulteraient pour le Piémont, s'il se trouvait engagé dans une nouvelle guerre.

(4)Circulaire secrète des ministres de la guerre et de l'intérieur. Voir le Colpo d'Occhio su le condizioni delle Due-Sicilie nel 1862. p. 50.

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IX

Cent quatre-vingt-dix-sept cas de désertion se produisent rien que dans le mois d'août (1).

—Dans une auberge de Caserte, au commencement d'avril, trois soldats napolitains du ler de ligne tuent un sergent de bersaillers, après avoir refusé de lui obéir.

—Le général Vomaré fait fusiller un caporal, convaincu d'avoir, étant de garde aux environs de Maddaloni, attaqué et dévalisé des voyageurs.

Au mois de juillet, un certain nombre de soldats napolitains confinés dans File de Ventotène sont mis aux fers, puis passent en conseil de guerre à la suite de divers actes de la plus grave insubordination.

A Mistretta, Sicile, un soldat tue le commandant de place et blesse un autre soldat accouru à l'aide de la victime.

—Le 1 novembre, le soldat napolitain Luigi d'Alessandro est fusillé pour avoir tué un sergent piémontais. Les journaux de Turin s'accordent à vanter l'héroïque sang-froid du condamné, tombé en maudissant les oppresseurs de la patrie.

(1)Giornale dei Dibattimenti, de Turin.

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—Dans la nuit du 12 août, le caporal Gustave Focendon qui, avec d'autres- soldats piémontais était de gardeà la prison de San-Marco in Lamis (Pouille), favorise l'évasion de deux brigands, leur donne des armes et se sauve avec eux.

—Dans la nuit du 2 au 3 novembre, à rentrée de Bonea, Bénévent, une sentinelle du 39e de ligne tue le caporal Carlo Radaeli.

—Le drapeau du 69e de ligne est volé dans le corpsde garde du palais royal, à Turin. Le régiment est immédiatement éloigné de la capitale.

—Douze soldats adressent à leurs supérieurs des plaintes sur la mauvaise qualité des viandes de l'ordinaire. Loin de faire justice à leur réclamation, on les traduit  comme prévenus d'insubordination devant le tribunal militaire, qui les condamne à un an de prison dans le fort de l'Œuf (1).

L'ordinaire préparé dans les casernes pour 600 hommes doit suffire pour 800, et les conscrits sont traités avec la plus cruelle négligence (2).

-—Au commencement du mois de décembre, toutes les garnisons du Mate3e ayant opéré un mouvement de concentration autour du mont Liemo appelé aussi Pizzocli Cereto, sept réactionnaires de la bandé Cosimo Giordano se retirèrent dans la grotte delle Fate, où ils se défendirent pendant plusieurs jours; mais gagnés par la promesse d'avoir la vie sauve, ils se rendirent, et six d'entre eux furent passés parles armes.

—Un détachement arrête un courrier, porteur d'une dépêche officielle du sous-préfet d'Ariane, sans se donner la peine d'ouvrir la dépêche, le sous-officier qui

(1)Le journal le Pensiero, 8 décembre.

(2)Le journal le Dititto! Décembre.

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commande le détachement fait fusiller ce malheureux comme émissaire des brigands. Quelques jours après, la cour d'assises, appelée à vérifier l'authenticité de la dépêche préfectorale, proclamait l'innocence de la victime (1).

Le 3 mars, on répand dans Palerme une proclamation adressée à l'armée d'occupation: «Soldats, montrez-vous supérieurs au mensonge et à la perfidie, vous qui savez bien que ni Dieu, ni le peuple ne veut de l'unité italienne.»

Le mois suivant, des Napolitains adressent aux troupes piémontaises une proclamation, dont voici un passage: «... C'est au nom de l'humanité que, nous tous, Napolitains, à l'exception de quelques misérables traîtres à leur patrie, qui vous font cortège en mendiant les faveurs de Turin, ou qui nourrissent l'espoir de pêcher en eau trouble, grâce à la prolongation du désordre, c'est au nom de l'humanité que nous vous conseillons et que nous vous conjurons de sortir de ce malheureux royaume.» La proclamation finit par des menaces, et des vœux en faveur de la restauration.

—Le 17 décembre, un journal de Naples, la Campana di San-Martino, publie en tête de ses colonnes la proclamation suivante:

«Italiens.

Le colonel Pallavicini, après avoir couvert l'Italie de sang et de honte, a été promu télégraphiquement, parle ministre Rattazzi, au grade de major général et décoré de la médaille d'or de la valeur militaire.

Aujourd'hui le major général Govone, après avoir inondé de sang la Sicile et couvert l'Italie de honte, après

(1)Arrêt de la coût d'assise de Bénévent, 7 juillet 1863.

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avoir semé la haine et la guerre; après avoir foulé aux pieds le Statut et insulté la nation au parlement, est aussitôt promu par le ministère Minghetti au grade de lieutenant-général.

Ce n'est donc pas à tort que le député San-Donato, interrompant Laporta, qui prononçait le nom du tortionnaire Chinnici, disait aux ministres: «Faites-le chevalier des Saints-Maurice-et-Lazare....» Et qu'une voix de la gauche reprenait: «Commandeur!!!»

— Les martyrs. Lettre d'un citoyen des Deux-Sicilies au parlement anglais (1).

«Naples, 1er mai 1864.

Mylords.

Au moment où le général Garibaldi vient d'avouer ingénument en public qu'il n'eût jamais réussi dans son expédition de Marsala, sans le secours et le concours de votre pays; au moment où l'homme qui a le plus contribué à la chute de notre autonomie nationale, reçoit de la libre Angleterre un si enthousiaste accueil; au moment où les ministres de la Grande-Bretagne, à l'envi de l'aristocratie et du peuple, n'ont pas assez de caresses et de louanges pour Termite fugitif de Caprera, qu'il soit permis à un enfant des Deux-Sicilies d'élever la voix au milieu de vos fêtes, et de vous faire voir, sans partialité mais aussi sans réticences, dans quel abîme douloureux est aujourd'hui plongée son infortunée patrie. — Dieu veuille que ces accents loyaux arrivent au cœur de l'illustre parlement anglais et qu'ils amènent quelque allégement aux souffrances de Naples et de Palerme!

Loin de ma pensée, Mylords, la prétention de placer

(1)Ce précieux document est daté de 1864; mais les faits qu'il relate appartiennent à des époques antérieures.

153 —

sous vos yeux une série d'arguments politiques ne sortant pas du domaine des théories et des hypothèses; — il ne s'agit ici ni de notre indépendance perdue, ni de notre roi-gentilhomme déchu, ni de nos finances dévastées, de nos soixante mille prisonniers décimés par le typhus, de nos vingt-huit villes où villages mis à sac, ni de nos dix mille frères fusillés ou massacrés dans des combats héroïquement inégaux; — c'est au nom de l'humanité seulement que j'ai l'honneur de vous parler, au nom des droits les plus sacrés de tout peuple, au nom de la justice et de la liberté impudemment foulées aux pieds, et c'est dans le seul domaine des faits, — de faits, hélas! trop réels et trop horribles, — que je vous prie de vouloir bien me suivre un instant.»

Quelles clameurs d'indignation, Mylords, ne suscitèrent pas naguère, contre, le gouvernement national des Bourbons, les révélations contenues dans l'Extermination de l'honorable Gladstone, et dans quelques autres pamphlets non moins' empreints d'une regrettable légèreté et d'un évident parti pris! Le cœur de l'Angleterre se souleva en faveur de ces mille torturés gémissant au fond d'atroces cachots, et la terrible Coiffe-du-silence fit le tour de l'Europe surprise et indignée. De nos jours, encore, il est sans doute bien des gens convaincus de l'existence de ce funèbre instrument de torture; on les étonnerait donc beaucoup en leur apprenant que c'est en vain que les régénérateurs de l'Italie méridionale, qui furent naguère les auteurs premiers de cette calomnie et de tant d'autres contre la dynastie bourbonienne, — ont tenté de retrouver, je ne dis pas l'instrument de torture, mais un seul torturé.

Mylords, si autrefois le cœur de la libérale Angleterre a trouvé des accents si chaleureux pour des prisons fantastiques, des tortures imaginaires et des martyrs

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qui n'existaient que sur le papier de la révolution, quelle ne va pas être aujourd'hui sa légitime indignation en présence de tortures qui rappellent les plus mauvais âges de l'humanité, en présence de martyrs dont il est trop aisé de prouver l'existence!

Je laisse à d'autres le soin de raconter l'histoire douloureuse de la conscription piémontaise dans les Deux-Sicilies, et de retracer le spectacle annuel de ces milliers de jeunes réfractaires traversant nos rues la chaîne aux poings, de leurs familles emprisonnées jusqu'au retour du conscrit fugitif, de nos villes bloquées de nuit par les troupes piémontaises, à la manière des cosaques recruteurs... Je pourrais m'étendre longuement sur les privations et les brutalités auxquelles sont systématiquement assujettis nos jeunes prisonniers; mais j'ai promis de ne pas sortir du domaine des faits, — et d'ailleurs ils parleront plus éloquemment que moi.

CAPPELLO

L'humble nom de Cappello, l'enfant de Palerme, accusé de feindre le mutisme et la surdité pour échapper au. recrutement piémontais, — ne rappelle-t-il pas à vos esprits, Mylords, le récit des tortures les plus atroces? L'Europe entière a tressailli d'horreur en en lisant l'affreux détail; mais elle n'a que stérilement stigmatisé les bourreaux du pauvre Sicilien torturé avec des révulsifs volants, et moucheté, on peut le dire, de 152 blessures saignantes. J'ai vu, moi, j'ai vu ce corps en lambeaux, ce corps qui n'était qu'une longue plaie, et je n'ai pu retenir mes larmes... Eh bien! qu'a fait le Piémont en face de l'indignation et de l'horreur générales? A-t-il désavoué cet infâme attentat? A-t-il emprisonné et condamné le misérable qui avait imaginé et appliqué   cette   épouvantable torture?

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A-t-il essayé d'offrir à la victime de bien naturels dédommagements? Non, Mylords, le Piémont a tout tenté pour excuser son agent, et il a mis sur la poitrine de l'infâme bourreau sa croix des Saints-Maurice-et-Lazare, sa croix d'honneur, comme il Pavait mise sur celle du photographe qui inonde d'obscénités le jeune royaume d'Italie!

CARMINE DE MARINO

Ver le milieu du mois de décembre dernier  un conscrit de la Principauté citérieure de présenta devant le conseil réuni à Salerne, et produisit un certificat de médecins, constatant qu'il avait de fréquentes attaques d'épilepsie. Sur son observation, on le conduisit à l'hôpital où, au bout de quelques jours, il éprouva une crise de son affreux mal. Lès médecins piémontais voulurent s'assurer qu'elle n'était pas simulée, le garrottèrent sur son lit de douleur et lui appliquèrent des fers rouges aux jambes; les convulsions augmentèrent encore sous Faction des brûlures; mais les bourreaux n'en continuèrent pas moins leur cruelle expérience, et là cessèrent seulement quand ils virent qu'elle mettait en danger la vie de leur malheureuse victime. Les attaques d'épilepsie s'étant plusieurs fois reproduites, on finit par lui rendre la liberté; mais on lui défendit, en lui faisant d'horribles menaces, de parler des tortures qu'on lui avait infligées. Le 7 avril, cet infortuné gisait encore sur son lit de douleur, dans un hôpital de la Principauté citérieure, à trente milles de Naples. Il se nomme Carminé de Marino; il est né, en 1843, dans la Commune de San-Leonardo, même principauté. Depuis lors, ses convulsions sont arrivées à leur paroxysme, par suite des tortures piémontaises, et jusqu'à son dernier moment, il portera les cicatrices douloureuses de ses nombreuses blessures.

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ANTONIO DEL ZIO

Le 17 janvier 1862, un certificat de médecins constatait qu'un jeune conscrit de la terre d'Otrante était atteint d'un asthme, lequel le rendait incontestablement. impropre au service militaire. Les agents piémontais en voulurent des preuves plus certaines; on le surchargea d'armes et de bagages, et on voulut le contraindre à une marche forcée de plus de vingt-cinq milles, c'est-à-dire de Lecce à Tarente. Quand les forces lui manquaient sur la route, les soldats lui donnaient des coups de crosse de fusil et jusqu'à des coups de baïonnette pour le faire avancer; mais, à la moitié du chemin, ce fut en vain qu'ils redoublèrent tes menaces et les mauvais traitements; le malheureux souffrait si atrocement que ces hommes crurent devoir s'arrêter. Le conscrit napolitain se traîna jusqu'à une chaumière, où il expira, neuf heures après. Celui-là se nommait Antonio del Zio, né, en 1844, à Manduria, dans la terre d'Otrante.

Sont-ce là, Mylords, des accusations chimériques, des tortures imaginaires et des martyrs introuvables? N'avez-vous pas frémi à cette pensée que votre patrie a contribué à précipiter la nôtre aux mains des tortionnaires de la haute Italie? Le noble parlement de la Grande-Bretagne n'aura-t-il pas une parole de blâme pour les bourreaux, et une parole de miséricorde pour les victimes? Ah! si, dans un laps de quelques mois, en dépit des menaces de mort, trois de ces atroces attentats sont arrivés à la connaissance du public, combien n'en a-t-il pas été commis qui sont encore ignorés, et peut-être le seront toujours? Mais, permettez moi de le dire.

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se montrer indulgents pour ces monstruosités du prétendu gouvernement régénérateur, en leur accordant le bénéfice du silence, ne serait-ce pas prouver aux Siciliens, aux Napolitains, à l'Europe, combien l'humanité était réellement étrangère aux accusations, de bonne ou mauvaise foi, dont on chargea naguère le gouvernement des Bourbons?

Mylords, c'est au nom de mes infortunés compatriotes que j'ose élever la voix devant vous; c'est au nom de la justice, de la liberté, de l'humanité outragées! Si mon appel demeurait sans résultat, l'histoire jugerait sévèrement plus tard ce déni de pitié, et les peuples des Deux-Sicilies n'auraient plus à compter que sur la Providence pour voir alléger ou finir leurs maux.

Je prie Vos Seigneuries d'agréer l'hommage de mon respect, et de me pardonner mon prudent anonyme, trop motivé, hélas! par les persécutions arbitraires auxquelles nous soumet l'infâme loi-Pica, de la part des plus bas agents piémontais.

AVVOCATO P...»

— Au mois de septembre, des soldats piémontais en patrouille rencontrent dans la forêt de Cervinara, province de Bénévent, trois malheureuses paysannes occupées à ramasser du bois, A l'approche de la troupe, elles prennent la fuite, tremblantes de frayeur; car le pays a été récemment ensanglanté par les chasseurs de brigands. La plus jeune des paysannes, jeune fille de seize ans, est atteinte par les soldats, qui, malgré toutes ses protestations, lui déclarent qu'elle est une brigante, lui font subir les derniers outrages, puis la fusillent,et abandonnent dans la forêt ce cadavre sanglant (1).

(1)Le journal la Campana del Popolo, 12 septembre.

 «En Sicile, tout est désordre et terreur... Une crise est inévitable. Nous dirons une parole dure, mais vraie, qui nous est arrachée malgré nous par la douleur que nous éprouvons comme Italiens, comme amis sincères de la Sicile: Les populations étaient plus heureuses sous les Bourbons (2).»

(1)Enrico Falconcini, p, 24

(2)Le Diritto. de Turin, août 1863.


TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos............................1
Religion..................................38
Armée.....................................98
Justice...................................150
Finances................................183
Presse....................................231
Morale publique....................261
Prisons...................................287
Les Brigands..........................311
Unité et autonomie................415
Les lieutenants piémontais....468
Conclusion.............................487

RdS, dicembre 2008 – https://www.eleaml.org/











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