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VICOMTE OSCAR DE POLI
VOYAGE
AU
ROYAUME DE NAPLES
EN 1862


PARIS
1865

(1)
INTRODUCTION
I — Religion............................................... 1
II — Finances............................................25
III — Armée...............................................47
IV - Justice................................................75
V — Prisons..............................................99
VI — Instruction Publique........................131
VII — Presse............................................147
VIII — L'UNITÉ ITALIENNE........................157
IX — Les Brigands....................................193
X — Les Lieutenants Subalpins................271
XI - FRANÇOIS II.......................................299
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INTRODUCTION

Il y a dans la vie des peuples des phases terribles comme une expiation; sans doute Dieu ne les permet que pour mieux démontrer l'inanité des projets humains, quand ils ne s'appuient pas sur les éternels principes de la justice et du droit; il semble aussi qu'une nation n'ait de ces heures de larmes et de honte sans résignation que comme la lumière a son ombre, et pour qu'au bout du sentier douloureux, le passé renaisse plus compris, plus aimé, plus fort.

II

Était-il naguère un royaume plus florissant que la noble terre des Deux-Siciles? Où le commerce était-il plus riche et plus recherché? où le souverain était-il plus véritablement populaire? oùs approchait-il mieux, sans escorte; des plus humbles de ses sujets, dans les campagnes comme dans les villes? où la liberté de ceux qui respectaient l'autorité fondamentale était-elle plus large et plus complète? où la vie, enfin, était-elle plus belle, plus calme et plus aimée que sous le ciel napolitain?

Le paysan labourait en chantant, et, comme pour bénir perpétuellement le Dieu qui lui donnait un sol si fertile, il n'oubliait jamais de suspendre à sa charrue un rosaire, ou seulement une petite croix d'argent; dans les villes, la misère était inconnue; partout la propriété était respectée à l'égal de la loi.Si des arrestations avaient lieu, politiques ou autres, la détention préventive était de la plus courte durée, et finalement les tribunaux étaient appelés à juger, à condamner ou absoudre.

On n'avait pas encore édicté l'axiome hypocrite qui consiste, d'une part, à proclamer l'Église libre dans l'État libre, et, de l'autre part, à dépouiller l'Église, à changer les temples en casernes ou en écuries à emprisonner, à exiler les prêtres et les évêques.

Il suffisait, au temps des tyrans, de 70,000 soldats pour assurer l'ordre dans ce royaume de dix millions d'individus.

III

On pratiquait le recrutement, mais avec tant de paternité qu'il y avait toujours des exemptions pour la moitié des inscrits.

La magistrature était honorée, non-seulement par le gouvernement, mais aussi par le peuple, qui tous les deux avaient foi dans ses lumières et dans son intégrité.

Les prisons des Deux-Siciles, qui ont donné lieu à tant de dithyrambes anti-bourbonniens, ou, pour mieux dire, anti-napolitains, les prisons ne continrent jamais, dans un même moment, plus de quatre mille infortunés; encore est-il juste de dire que la majeure partie des prisonniers ne devaient pas leur captivité à des causes politiques. Ils avaient, du moins, une nourriture saine et abondante, et quant aux peines corporelles, ils ne les connaissaient que de nom.

La police, cette police si célébrée, si sabrée par les valets de la révolution, la police était si peu despotique, que les ennemis de la nationalité napolitaine purent préparer au grand jour une usurpation si audacieuse qu'elle paraît incroyable.

L'économie régnait dans l'administration des finances de l'État, à ce point que plusieurs budgets se soldèrent successivement en excédant de recettes, et cependant l'impôt n'était que de onze francs et demi par tête.

IV

La liste civile du roi était plutôt, malgré sa modicité, la bourse de toutes les infortunes, et jamais une calamité n'atteignait l'endroit le plus reculé du royaume sans avoir aussitôt dans le cœur du Roi Bourbon un paternel et généreux écho.On a vu un souverain napolitain soigner de ses propres mains et enrichir l'ouvrier que ses chevaux avaient renversé. On a vu, chaque jour pendant vingt ans, le roi, que les aristocrates démocratiques injuriaient du sobriquet de Bomba, se promener comme le plus simple particulier dans les rues de sa capitale, seul, absolument seul, n'ayant pour tout cortège que le respect et l'amour populaires. Le siège de Gaëte est là pour prouver au peuple napolitain que les nobles et touchantes traditions de sa maison royale sont toujours vivantes dans le cœur du chevaleresque fils de ses princes. Que dire, enfin, pour témoigner de l'alliance intime qui unissait le prince et les sujets? L'histoire parle, ou du moins elle parlera victorieusement, quand la sagesse des peuples aura balayé l'hypocrite ambition des minorités turbulentes, et quand la vérité se fera jour sur les pages coupablement obscurcies d'une époque qui n'a qu'à gagner à la comparaison.

Puisque j'ai prononcé ce mot, comparons donc. Je n'ai certainement pas la' prétention de convaincre ceux qui n'aiment et ne défendent que le camp qui les paye ou les galonne; M. Proudhon leur a déjà dit leur fait;

V

ce que je veux, c'est-établir statistiquement, au point de vue de l'intérêt comme au point de vue de la justice, l'immense supériorité de l'ancien gouvernement sur le gouvernement actuel. Quand les chiffres sont vrais, ils ont une éloquence à nulle autre seconde, éloquence brutale mais victorieuse. Ces chiffres, je m'efforcerai de ne les emprunter qu'aux sources officielles, ou au moins aux organes officieux de la prétendue régénération italienne.

Nous démasquerons les comédiens, et nous dirons le secret de la comédie, ou plutôt les chiffres et les faits le diront pour nous. Si l'on m'accuse de ne pas aimer le piémontisme, je répondrai, comme le fit dernièrement ce diplomate français:

Que voulez-vous? Je viens du royaume de Naples, et je rapporte la maladie du pays: j'abhorre les Piémontais.

On ne pourra me taxer d'exagération dans mes récits navrants, puisque je ne les emprunterai d'ordinaire qu'aux feuilles italianissimes; mais avant d'entrer dans le détail des hontes et des douleurs, qui forment l'histoire quotidienne de l'infortuné royaume des Deux-Siciles depuis l'invasion piémontaise, que l'on me permette au moins d'établir brièvement la comparaison dont j'ai parlé plus haut.

Le roi François II, au début de la guerre annexionniste, quittait sa capitale pour lui épargner les horreurs d'un siège.

VI

Les Piémontais ont brûlé vingt-neuf villes ou villages dans le royaume des Deux-Siciles.

Le commerce n'existe plus que de nom dans les ports; l'industrie semble morte pour longtemps; l'agriculture est ruinée, et si les soldats régénérateurs rencontrent par les champs quelque charrue où pende un rosaire, le laboureur est bâtonné, au nom de l'Italie une et de la liberté de conscience. Le paysan ne chante plus, ou s'il chante, c'est tout bas, l'hymne de la haine et de la vengeance.

Dans les villes, la misère est si grande qu'il n'est pas rare de rencontrer des bandes entières de mendiants, hâves, blêmes, décharnés, couverts de haillons indécents, et demandant la charité avec une insistance voisine de la menace.

Les vols et les assassinats se multiplient chaque jour dans d'effroyables proportions, et souvent, quand le juge intègre sonde ces forfaits pour y trouver la vérité, il reconnaît que le coupable esl un des hommes qui devraient au contraire être les piliers de la loi.A-t-on bien vraiment dévoilé le mystère des poignardeurs de Palerme?Non-seulement la magistrature n'est plus respectée du peuple, alors que des avocassiers tarés en occupent les premières charges, alors que, par intimidation ou par vengeance personnelle, se succèdent les condamnations iniques; mais le gouvernement piémontais lui-même semble estimera leur juste valeur les magistrats parjures à la maison de Bourbon,

VII

parjures à l'indépendance nationale, quand la Gazette officielle du royaume d'Italie enregistre souvent jusqu'à des centaines de destitutions ou de démissions forcées.

De l'aveu des commissaires piémontais, plus de trente mille Napolitains gémissent dans les prisons, coupables d'attachement à leur souverain légitime, sans pain, sans air, ne vivant que dans leurs immondices, demandant en vain des juges, la liberté ou la mort, et n'obtenant presque toujours que la plus hideuse séquestration ou la bastonnade.

On a spolié brutalement et maladroitement l'Église de toutes ses possessions; non-seulement on a ruiné cette protectrice naturelle des pauvres, mais on a été jusqu'à chasser les pauvres de leurs asiles jadis inviolables. On a semé la ruine, la misère, la honte; on a dépouillé en avilissant, en cherchant à éteindre le sens moral et jusqu'au bon sens dans les populations violemment annexées. Il s'est trouvé enfin un député du nouveau royaume libérateur, un Pantaleoni pour s'écrier, en montrant le poing à Naples épuisée d'impôts:

Oh! ils faut qu'ils payent, et nous les fusillerons jusqu'à ce qu'ils aient donné le dernier sou!

C'est la terreur qu'on a inaugurée dans cet infortuné royaume, si cruellement puni de n'avoir pas eu l'énergie de la première heure. Là, comme en Lombardie, les impôts sont de 63 p. 100;

VIII

mais, en dépit de cent vingt mille baïonnettes piémontaises, en dépit de soixante mille mouchards, en dépit des ordres sanguinaires de tels bourreaux déguisés en général ou en préfet, les deux tiers des impositions ne rentrent pas au trésor; l'or se cache, la misère s'accroît, et l'abîme d'un déficit incalculable se creuse journellement sous les pas des conquérants du Nord. Où est le temps où les budgets se soldaient en excédant des recettes? Le royaume des Deux-Siciles, formant les deux tiers du royaume d'Italie, lequel, malgré la spoliation des biens religieux ou royaux, accuse un déficit de deux milliards, - la part de déficit de Naples est donc de huit cent millions de francs, et cela deux années seulement après l'usurpation subalpine. D'incroyables dilapidations, d'énormes dépenses de police secrète, l'entretien d'une armée trop nombreuse au point de vue du chiffre de la population, la solde des épées ou des plumes vendues, telles sont, en peu de mots, les. sources de l' épouvantable situation des finances italiennes; si épouvantable, qu'un ministre même, Minghetti, s'est vu contraint delà définir ainsi en plein Parlement, et qu'elle a fait jeter une sorte de cri d'alarme à l'un de nos plus intelligents diplomates, le marquis de Lisle de Siry, à son retour des provinces méridionales. Comme derniers traits au tableau, qu'il nous suffise de rappeler que le roi d'Italie, de l'aveu de son ministre Pepoli,

IX

ne put, un jour, trouver cinq cent mille francs sur sa signature, et, enfin, qu'il n'y a pas un mois, la presse nous révélait l'existence de lettres de change de cinq cents à deux mille francs, tirées par le trésor italien sur la maison Rothschild de Paris, à quatre mois de date. Ce serait risible en vérité, si ce n'était navrant 1

Voilà pour les finances; passons à l'armée. Est ce une armée, les légions que commandent des Nunziante, des Judas galonnés et repus, des renégats sans vergogne qui ont mis leur épée dans la boue plutôt que de la briser, des généraux qui déshonoreraient l'honneur même? Les galons et les crachats des Nunziante ne sont pas faits pour apprendre au soldat la bravoure et la fidélité. La conduite des agents subalpins n'a, d'ailleurs, rien que de logique: puisqu'on fusille l'honneur et le respect de la foi jurée, il faut bien qu'on décore le parjure et la honte. Ils souffrent, les nobles officiers sardes, qui, restés inviolablement attachés à la maison de Savoie, se demandent où est la Savoie, où vont leur prince et leur patrie! Ils ont obéi, mais ils déplorent; ils obéissent, mais ils pleurent dans l'ombre quand leur épée s'est inclinée devant les traîtres et les bourreaux!

On a vu des bataillons, par fatigue ou tout autre motif peut-être moins excusable, refuser de marcher contre les insurgés napolitains, et tirer au sort à qui partirait pour les Abruzzes.

X

On a vu des soldats piller les métairies qu'ils devaient protéger contre les prétendus brigands. En une seule année, quinze cent soixante Napolitains désertèrent des rangs piémontais; d'autres, par milliers, cruellement exilés de leur patrie, gémissent dans les forts de l'Italie septentrionale. On a vu un général piémontais, le marquis de Faverges, cravacher un factionnaire, par cette raison qu'il le savait Napolitain. La conscription enfin provoque tant d'enthousiasme parmi la jeunesse annexée, que les trois quarts des recrues passent à Rome, à Malte ou aux réactionnaires armés.

La révolution italienne devait délivrer le pays du joug autrichien. L'Autriche est encore à Venise, plus tranquille que le Piémont n'est à Turin même; mais les princes italiens ne sont plus à Naples, à Modène, ni à Parme; laissant aux Français la tâche de vaincre les Autrichiens, le Piémont n'a bombardé, fusillé, dépouillé, vaincu que des Italiens! Les régénérateurs annexèrent en promettant la liberté, c'est-à-dire toutes les libertés, individuelle, de presse, de conscience, municipales;j'ai dit que les prisons regorgent; j'ai rappelé ces détentions préventives qui durent depuis deux ans, sans que le motif en soit connu des juges mêmes, et qui menacent de ne finir que par le typhus, comme à Potenza et à Palerme; encore, je passe sous silence les interrogatoires sans fin et sans raison, les arrestations arbitraires sur simple dénonciation anonyme,

XI

les perquisition domiciliaires poussées parfois jusqu'au cynisme de l'immoralité, les bastonnades des sbires déguisés, les vols et les meurtres quotidiens. A Lecce, par exemple, sous les tyrans, il suffisait d'un seul commissaire de police, aux appointements de 1,400 francs, pour assurer la tranquillité des citoyens; aujourd'hui, sous le régime libérateur, Lecce a quatre commissaires de police, qui touchent chacun 4,000 fr. par an, et la ville est inhabitable.

Plus j'étendrai cette impartiale comparaison, plus elle fera honneur au gouvernement des Bourbons.

La liberté de la presse n'existe qu'à la condition de paraphraser les ukases piémontistes. Soyez journaliste indépendant, polémiste catholique, soyez napolitain, chaque jour vous amènera une saisie, et puis, si ce moyen légal ne vous décourage pas, des mouchards, le révolver au poing, viendront bâtonner vos compositeurs, briser vos presses, lacérer vos feuilles, détruire vos caractères;heureux serez-vous, si vous sortez sain et sauf des mains des agents régénérateurs, et si, le lendemain, le procureur du roi Victor-Emmanuel ne vous fait emprisonner et condamner à sept ou huit mille francs d'amende et quelques années de galères, pour écrits hostiles aux lois fondamentales du royaume d'Italie. Tel a été le sort des rédacteurs du Napoli, du Monitore, du Contemporaneo, du Difensore, de l'Ingenuo, de l'Eco, de l a Stella del Sud, et de tant d'autres qu'il est superflu de nommer.

XII

N'avons-nous pas vu des gendarmes piémontais river la chaîne et le boulet au pied d'un gentilhomme français, d'un soldat de Crimée, du noble comte de Christen? C'est au bagne, après un semblant de procédure plus ignoble que dérisoire, que le Piémont jette un officier français,naguère, son loyal et courageux adversaire, et cela, sans doute au souvenir des victoires de Magenta et Solferino, qu'on ne nous pardonnera jamais d'avoir remportées pour d'autres.

L'ingratitude est l'indépendance du cœur. C'est la seule indépendance que pratique le piémontisme.

Le piémontisme est protestant d'essence; la loi catholique étant son éternelle condamnation, il ne peut, malgré toutes les belles théories du feu comte Cavour, que lui faire une guerre de vie ou de mort. La liberté du culte catholique, du seul culte reconnu par le Statut, n'est même plus possible avec les théories et les vues du gouvernement subalpin; il n'est pas un prêtre intelligent et de bonne foi qui ait signé l'adresse du commandeur Passaglia, ou il s'est rétracté. Je suis en cela de l'avis de M. Emile de Girardin. Passaglia, c'est encore un renégat qu'on a affublé d'un cordon Il n'y a d'honneurs là-bas que pour le déshonneur. Donc, on abat les croix, on brise les images saintes, on profane les églises, on dépouille les autels, on dépouille les tabernacles, on exile les prêtres, on emprisonne les évêques, et de ces nobles prélats,

XIII

quelques-uns ne pouvant résister à tant d'ignominies et de mauvais traitements, y succombent dans les cachots des libérateurs.

J'ai eu l'honneur de présenter mes respects à Turin, à S. Em. le Cardinal Archevêque de Fermo, emprisonné depuis deux ans, sans jugement, sans interrogatoire, et, au dire du général Fanti, son premier geôlier, par simple mesure de précaution. Ainsi l'on décore les Passaglia et les Prota, pendant qu'on met les vertus sous les verroux. Voilà comment l'Église est libre dans l'État libre!

Quant à la liberté la plus chère au cœur de tout homme, la liberté du sol, de l'autonomie, l'indépendance nationale, que dis-je? la liberté même de la comparaison, n'est point permise au peuple des Deux-Siciles:

Écoute, lui dit-on, non-seulement tu ne dois ni parler, ni te plaindre; mais tu ne dois pas même te souvenir du passé!

On reprochait aux Bourbons de s'étayer sur les lazzaroni; le Piémont les a faits chevaliers de ses saints. On a chanté, sur tous les tons révolutionnaires, la complainte du martyr Poërio, ce masque de fer créé à trois sous la ligne, qui, de son propre aveu, mangeait dans son cachot des petits pois au mois de mars; - ce martyr saugrenu, aujourd'hui vice-président du Parlement italien, doit bien rire quand il y pense; que ces sortes de gens doivent mépriser les hommes et les peuples!

XIV

Mais, est-ce un conte fantastique que le tableau des prisons de Palerme, par exemple, tableau déroulé hier sous les yeux du Parlement, par le député italianissime Crispi? Tant de cris de douleur, tant de sanglots, tant de larmes ne peuvent que toucher bientôt le Dieu des armées et des peuples, le Dieu de justice et de liberté.

Parlerai-je des Fumel et des Fantoni, des bourreaux et des assassins patentés? Parlerai-je des victimes, de ces prétendus brigands, Vendéens des Siciles, qui tiennent haut toujours le drapeau royal de l'indépendance, de ces paysans dont on mure les chaumières si on ne les brûle pas, et qu'on fusille s'ils ont avec eux plus d'une livre de pain? Bourbonnien et fusillé, dans les campagnes, sont deux mots inséparables; pas de procès, pas de jugement, une poignée de balles, et justice est faite. La Commission parlementaire des brigands établit officiellement que près de dix mille Napolitains ont été fusillés par les Piémontais depuis l'annexion. La vieille Europe, qui a tant de larmes pour la Pologne, sera-t-elle toujours marâtre pour l'infortunée patrie du royal héros de Gaëte?

Quand on considère l'effroyable chiffre de ces exécutions sommaires, et qu'on se rappelle que, sous les Bourbons de 1847 à 1861, il n'y eut pas une exécution capitale, pour faits politiques, dans les Deux-Siciles;

XV

quand on rapproche des sauvages proclamations des Fumel, des Cialdini, des Brignone, des Pinelli, des Fantoni, de toute cette bande de lieutenants subalpins, les loyales et paternelles proclamations du roi François II, si débordantes d'honneur et d'amour;quand on compare à la férocité des chasseurs de brigands la proverbiale clémence du roi tant calomnié Ferdinand II, on se demande si le Piémont n'est point pour Naples, comme un autre fléau de Dieu, et si le châtiment ne frappe point ce peuple de dix millions d'âmes, pour avoir méconnu le calme et le bonheur dont il jouissait; mais en même temps, on reprend espoir et confiance: le roi des Huns mourut vaincu.

La Jeune-Italie, ce clan de poignardeurs qui a fait la révolution actuelle, avait mis à prix la tête de Ferdinand II, promettant au régicide la récompense de cent mille ducats. Le Piémont devait payer plus tard à la mère d'Agésilas Milano la dette de la Jeune-Italie.

Ferdinand II n'avait-il pas le droit de sévir? Et cependant, en vrai Bourbon qu'il était, il ne cessa de pardonner et d'amnistier. - A la suite des événements de 1848, le Parlement sicilien avait proclamé audacieusement la déchéance de la maison de Bourbon; vaincus, les représentants ne furent même pas inquiétés par le roi vainqueur; un d'eux, dont le nom m'échappe, le disait, il y a peu de jours encore, au sein du Parlement italien.

XVI

Rappelez-vous, en regard de cette clémente indifférence, le meurtre du noble colonel Anviti et l'infamante condamnation de l'innocent comte de Christen. L'infamie ne retombe, il est vrai, que sur les juges et les bourreaux. Mais les preuves manquent-elles de la générosité chevaleresque du royal père de François II?

Sire, lui disait en 1848, le prince de San-Giacomo, Naples est en insurrection; il y a des barricades partout; j'étais à Paris en 1830; je vois ici la répétition de juillet; Sire, il faut une énergique défense.

Me conseilleriez-vous donc de faire tirer sur le peuple? interrompit Ferdinand II en fronçant les sourcils.... Non, non, c'est impossible! Jamais!

Le général d'Ischitella, présent à cette conversation, s'écria:

- Sire, en ce cas tout est perdu: plus de couronne et plus de roi!

Ferdinand se tourna avec calme et dignité vers le prince en lui disant:

Vous avez entendu, ce sont de cruelles paroles! Oh! je conçoïs que les hommes de guerre veuillent se battre! Mais, autant il est honorable pour un soldat d'exécuter l'ordre qui, en face de l'ennemi, l'appelle au champ de bataille, autant il est affreux pour un roi, parmi les siens en rébellion, de donner le signal des massacres!...

XVII

Est-ce un cœur sanguinaire qui peut dicter d'aussi nobles paroles?

Le lendemain, quand le bruit de la fusillade frappa les oreilles du roi:

Épargnez mes enfants égarés, s'écria-t-il; faites des prisonniers, mais ne tuez pas!

Pendant le combat, les membres du Corps diplomatique s'étaient rendus auprès de Ferdinand II, afin de l'entourer de la force morale qu'ils représentaient. Ils trouvèrent le roi avec ses frères; sa physionomie était altérée mais non abattue. Le duc de Rivas, ambassadeur d'Espagne, parlant au roi, Ferdinand mit la main sur son cœur et répondit de l'accent le plus profondément ému:

Duc de Rivas, le ciel m'est témoin que tout ce qui se passe me déchire l'âme; c'est malgré moi. je vous le jure! Ah! Dieu seul sait combien je souffre!

Après la victoire, le roi donna cours à son inépuisable clémence. Le colonel Longo, déjà pris et gracié dans une première conspiration, avait de nouveau déserté son drapeau. Fait prisonnier en Sicile, il fut condamné à mort par un conseil de guerre. Le ministre de la guerre insistait pour que la sentence fût exécutée; mais Ferdinand commua la peine, en disant:

Vous voudriez faire un exemple; moi, je fais grâce!

Tel était le cœur de ce roi sur lequel les affiliés de la Jeune-Italie ont épuisé le vocabulaire

XVIII

de leurs injures et de leurs calomnies.

Oui, oui, calomniez: il en reste toujours quelque chose; mais ne croyez-vous donc pas au jugement de Dieu? De quel roi Bomba nous parlez-vous encore! Avez-vous compté les bombes de Gênes, de Gaëte, d'Ancône et de Castellamare? Vous avez eu besoin longtemps de l'état de siège pour garder votre conquête, et le même décret, qui le faisait cesser, confirmait aux préfets et aux généraux leurs pouvoirs exceptionnels. Triste et sanglante comédie, où tout est rouge, depuis le pavé des rues jusqu'aux chemises de vos héros, jusqu'aux fronts de ceux des vôtres qui ont encore du cœur!

Est-ce un Parlement national, que ce groupe de quatre cent cinquante députés nommés par cent mille Italiens sur vingt-cinq millions? Sont-ce les représentants d'une nation, ces coureurs de carnaval, ces paradeurs de corso de gala, qui désertent le Parlement pour la mascarade, à l'heure même où le ministre des finances, déclarant la patrie en danger, avouait un effroyable déficit et proposait un nouvel emprunt de sept cent millions? De quatre cent cinquante, il en vint sept.... les sept sages sans doute. L'Italie n'est-elle donc autre chose qu'un navrant carnaval?

Est-ce un Parlement, un Parlement national, que la Chambre où siègent des renégats et des vendus, des lâches et des meurtriers, Gallenga,

XIX

qui devait assassiner le roi Charles-Albert, Spaventa, l'apostat napolitain, Liborio Romano, «cette rare figure de traître,» et tant d'autres haillons? Est-ce en honorant la lâcheté, la trahison et le régicide, que l'on prétend régénérer les peuples italiens?

Cette monarchie d'hier n'est qu'une constante anarchie; ce volume tout entier est fait pour le démontrer; entre les royalistes napolitains, qui veulent François II, et les héros de la Jeune-Italie qui veulent Mazzini à la tête d'une république, l'unité italienne risque fort, il nous semble, de sombrer demain dans l'un ou dans l'autre abîme. Nous l'avons dit ailleurs: L'Italie s'agite et Mazzini la mène. C'est l'homme de l'idée, de l'idée prêchéepar le meurtre, qui a commencé l'œuvre utopique de la douloureuse unité. Il n'a considéré et ne considère le Piémont que comme un marchepied nécessaire; le Piémont a travaillé pour lui; déjà Mazzini lève audacieusement la tète; il institue, il sacre un État dans l'État, il rompt hautement, lui et les siens, avec la Monarchie; il déclare, dans une de ces lettres sombres et émouvantes qu'il lance de temps à autre comme des bombes d'avertissement, que l'Italie étant infaisable avec la Monarchie, il faut jeter bas la Monarchie et reprendre le sentier douloureux au bout duquel jaillira la régénération glorieuse. On sait ce que Mazzini veut dire: les poignards s'aiguisent!

Le mazzinisme est le cancer de l'avenir; il ronge

XX

intimement l'Italie; il la démoralise, il la gangrène; le mal fait des progrès d'autant plus rapides que les gouvernants semblent aveuglés aussi bien sur le point de départ que sur le but de l'unité. Un jour, un jour qui n'est pas loin peut-être, les hommes qui sauveront la noble terre d'Italie, qui rendront aux peuples foi, respect, amour, indépendance, nationalité, union, ceux qui leur rendront la conscience et la confiance, l'honneur et le bonheur, seront ceux-là même qu'aujourd'hui les Cialdini traquent comme des bêtes fauves, les soldats qui n'auront pas cessé, devant Dieu et devant les hommes, de souffrir et de combattre pour leur religion, pour leur roi, pour leur patrie!

C'est avec intention que je n'ai point encore parlé, dans cette rapide introduction, de ces héroïques et fidèles Napolitains que le Piémont régénérateur qualifie officiellement du titre de brigands.

Étaient-ce des brigands, les Irlandais qui, sur la fin du dernier siècle, tentaient de se soustraire au joug de la Grande-Bretagne? Ëtaient-ce des brigands, nos pères, les Vendéens et les Bretons, qui mouraient en combattant pour leurs foyers et leurs convictions? Sont-ce des brigands ces vaillants Polonais que le nombre n'intimide pas, et qui courent à la victoire ou à la mort?

Non, vous aurez beau multiplier les ukases mensongers et les ordres sanguinaires, vous aurez beau bombarder,

XXI

brûler, murer, fusiller les femmes, les enfants, les vieillards, vous aurez beau perpétuer sous le soleil sicilien la présence de vos cent mille baïonnettes et de -vos soixante mille sbires, vous aurez beau redoubler d'espionnage et de cruauté, vous ne ferez pas que ces dix millions d'habitants courbent humblement la tête sous les fourches subalpines, vous ne ferez pas qu'ils perdent jusqu'au sens de la comparaison, jusqu'au souvenir du calme et de la prospérité passée, et qu'ils oublient enfin le preux fils de leurs rois en faveur de l'ex-duc de Savoie.

Qui donc appelez-vous les brigands? Les soldats de Chiavone, de Pilone, de Cipriani, de Ninco Nanco, de Crocco, de Chiavone et de tant d'autres officiers ou sous-officiers de l'ancienne armée royale napolitaine.

Le Piémont fusille les brigands; il fusille les complices des brigands; il fusille ceux qui sont prévenus d'être suspects de complicité avec les brigands; parfois, il fusille le père pour le fils, ou l'oncle pour le neveu, comme il est arrivé à Bari et à Foggia; il fusille les femmes des brigands, il fusille des pâtres de quinze ans, il fusille les prêtres de Jésus-Christ qui donnent un morceau de pain aux brigands affamés, il fusille les paysans qui ne se font pas dénonciateurs, il fusille les pères des brigands ou des réfractaires, ce qui est synonyme, même quand ils ont plus de soixante-quinze ans, il fusille partout et toujours, sans relâche, sans vergogne, sans pitié,

XXII

et la vie d'une population entière ne dépend que du caprice ou de la mauvaise humeur d'un ivrogne subalpin.

Les gens indifférents ou prévenus n'adressent qu'un reproche à ceux que les héros de l'annexion croient injurier en les traitant de brigands: c'est de rançonner tout ce qui n'est pas royaliste napolitain, et particulièrement tout ce qui tient de près ou de loin au Piémont. Ces honnêtes lecteurs des feuilles piémontistes décorées de vert, apprécient la situation du royaume de Naples, des mêmes yeux que la situation de la France, régie uniformément et sans trouble, sans opposition implacable, sans protestations armées; ils ne se demandent pas ce qu'ils penseraient et ce qu'ils feraient, si demain la France était envahie par des hordes de cosaques et annexée sous je ne sais quel prétexte d'affinité de races, et derrière je ne sais quelle comédie de votation populaire.

Il est beau de combattre pour la pairie, de risquer sa vie pour l'indépendance nationale et de se soustraire au joug infamant de l'étranger. On n'éteint pas les nations avec des décrets, des boulets et des bourreaux: la Pologne le prouve. Le temps qui efface tout n'a pas assez d'un siècle et demi pour effacer dans le cœur d'un noble peuple le sentiment de sa vie et de sa dignité nationales. L'heure de la justice est parfois lente à sonner, mais Dieu permet tôt ou tard qu'elle sonne, surtout quand la protestation ne meurt pas et que des brigands

XXIII

restent l'arme au poing sur le sol qui les a vus naître.

Cette question des brigands mérite d'être approfondie et résolue-; le cadre de cette introduction exige la rapidité; je dois donc dire beaucoup en peu de mots.

Il n'est pas une révolution sociale, pas une révolution politique qui n'ait suscité de plus ou moins violents réactionnaires, soldats loyaux, énergiques, convaincus,et à la fois, comme ombre au tableau, de misérables voleurs de grands chemins qui exploitent la tourmente sociale et ne méritent que le nom de bandits.L'ivraie pousse à côté du meilleur grain, surtout en politique, et les ouragans révolutionnaires suscitent en général plus de turpitudes que de vertus. Mais confondre les voleurs de grands chemins avec les légions royales napolitaines, aussi valeureuses qu'intègres, c'est se faire le complice du piémontisme, l'écho servile de cette ridicule commission parlementaire à qui la peur a dû fermer les yeux.

Les Piémontais, à Sora, ont massacré le père de Chiavone; Chiavone renvoie ses prisonniers sains et saufs. Les Piémontais ont brûlé la chaumière de Pilone; Pilone ne fusille que les Napolitains traîtres à leur patrie et à leur roi. Le frère de Cipriani a été fusillé par les Piémontais; Cipriani renvoie ses prisonniers sans armes, nu-tête, nu-pieds, comme pour leur faire expier ignominieusement le crime de l'invasion et le meurtre de sou frère. - Comparez si vous le voulez, les Chiavone, les Cipriani et les Pilone, aux Pinelli, aux Fantoni et aux Fumel.

XXIV

Quant à la question si délicate des rançons, je ne crois pouvoir mieux la résoudre qu'en rapportant ce passage d'une lettre d'un chef de brigands: «Les Piémontais vous diront que nous sommes des voleurs; la vérité est que nous prenons, à eux et à leurs amis, tout ce que nous pouvons prendre; aux étrangers nous donnons des reçus que nous appelons bons de restauration; aux Napolitains fidèles, comme à tous ceux qui portent quelque passe-port royal en règle, non-seulement nous ne prenons rien, mais nous sommes à leur disposition contre les exactions de la soldatesque piémontaise. Le pays est en guerre, nous sommes en guerre avec les envahisseurs, et en guerre, tout est de bonne prise sur l'ennemi. Les soldats piémontais nous ont dépouillés de tout, de notre capitale, de notre indépendance, de notre personnalité.

Ils ont chassé notre roi, brûlé nos villes, gaspillé nos finances, fusillé nos frères et brutalisé nos filles. Quel citoyen loyal oserait nous blâmer de garder les armes à la main pour l'honneur de notre patrie, et pour dépouiller nos spoliateurs plutôt que d'être à charge aux pays qui nous abritent? Les populations sont toutes à nous, sauf quelques meneurs intéressés, et Dieu aussi est avec nous! Dieu est avec tous les peuples qui ne veulent pas de l'étranger...»

XXV

Je sais le véritable nom de l'auteur de cette lettre si remarquable; oh! ce n'est point un brigand, un misérable voleur, un vulgaire assassin qui peut écrire et parler ainsi. C'est la voix de l'honneur qu'il fait entendre, et celle de la justice. Avec de tels hommes, la résurrection est indubitable.

Comment les Piémontais ont régénéré l'Italie, on vous le dira dans les vingt-neuf villes ou villages qu'ils ont brûlés; mais moi je vous dirai, pour que vous les jugiez sans appel, une de ces histoires si horribles qu'elles paraissent invraisemblables.

Il y a peu de temps, j'ai retrouvé à Venise un jeune Napolitain que j'avais rencontré pour la première fois à Rome. Il a seize ans, une belle et énergique stature, de beaux traits pâles et tristes, un regard sombre et fier.

Comment t'appelles-tu? lui demandai-je avec un intérêt que je ne m'expliquais pas.

- Mariangelo Pergola.

Où es-tu né?

- A Ponte-Landolfo.

Pourquoi n'es-tu pas dans ton pays?

- Ils l'ont brûlé!

Qui?

- Les Piémontais.

Ton père?

- Ils l'ont fusillé.

XXVI

Et ta mère?...

Je vis deux grosses larmes tomber avec un éclair des yeux de l'enfant, et j'entendis rugir un féroce anathème.

Écoutez, me dit Mariangelo, j'ai tué dix-huit Piémontais... je les ai tués dans les Abruzzes... dix-huit! Et savez-vous pourquoi? parce que... dans ma chaumière... sous mes yeux... j'étais attaché au lit... ma mère... ma pauvre mère... ils étaient dix-huit!... elle est morte... j'en ai tué dix-huit!

Savez-vous une scène d'horreur plus émouvante et plus atroce? Comment la malédiction de Dieu ne s'appesantirait-elle pas sur l'idée, quand tels en sont les soldats? Je cite un fait entre mille, un des plus horribles, c'est vrai; mais à lui seul ne suffit-il pas à éclairer l'histoire de l'invasion piémontaise et à stigmatiser sans retour tant de brutalité et tant d'infamie?

Il faut rire au nez du général la Marmora, décrétant qu'il n'y a que quatre cent vingt brigands dans le royaume de Naples; c'est à peine le montant de la bande de Chiavone. 11 faut rire au nez de cette grotesque commission parlementaire qui, renchérissant sur la burlesque assertion du proconsul la Marmora, n'accuse et ne reconnaît l'existence que de cent trente-neuf brigands, - pas un de plus, pas un de moins.

Eh bien! que font donc là-bas vos cent vingt mille baïonnettes, vos gardes nationales mobilisées, vos bandes

XXVII

de sbires et vos canons rayés? Est-ce que les bras de vos soldats sont las de fusiller, ou ces bras

ont-ils_peur? Allons donc! avouez que vous campez dans les Deux-Siciles, que vous avez escamoté l'annexion, que les populations sont unanimement avec les brigands et maudissent les régénérateurs. Partez, rendez à cette noble terre que vous avez inondée de sang, que vous avez semée de ruines, rendez-lui son honneur, sa nationalité, son indépendance, sa vie; rendez-lui son roi, ce jeune héros à qui le monde a fait de sa défaite un immortel piédestal, rendez-lui ce roi Bourbon dont le cœur a tant d'amour, et la parole tant de loyauté.

Ne dites pas que cette crise est nécessaire et transitoire; non, rien ne peut excuser cet état de choses qui n'a de nom dans aucune langue, cette anarchie prêchée, protégée, constante, cet implacable espionnage, ces arrestations arbitraires, ces interminables détentions préventives, les escalades nocturnes, le scandale d'indécentes perquisitions, l'impudence des dilapidations, le despotisme des interrogatoires, l'infamie des fusillades sans jugement, rien ne peut peut excuser le piémontisme dans le royaume des Deux-Siciles.

Après tant de tyrannie, après tant de violences et de sang répandu, de même qu'autrefois en Europe «le Roi» voulait dire le roi de France, de même, aujourd'hui, du nord au midi du royaume de Naples,

XXVIII

pour les gens des villes et ceux des campagnes, dire «le roi» c'est nommer François II.

Rien pourrait-il mieux peindre la situation, et n'est-ce pas le plus bel éloge que puisse adresser ce peuple infortuné au roi-héros avec lequel il est tombé?

Il est temps de terminer cette introduction déjà si longue, et de dire que tout ce qui va suivre ne sera que le détail et la corroboration des pages qu'on vient de lire; à ceux qui me suivront dans ce voyage politique à travers le royaume des Deux-Siciles, à moins qu'ils ne soient ce qu'a dit M. Proudhon, je prédis qu'ils prendront en haine l'utopie sanguinaire de l'unité italienne, et qu'il grossiront les rangs des champions de l'indépendance napolitaine.

J'ajouterai que je dois la majeure partie de ce travail à une remarquable brochure, qui vient de paraître en Italie: Colpo d'occhio su le condizioni del Reame delle Due-Sicilie nel corso dell'anno 1862. Mais j'ai dû faire également quelques emprunts aux trois œuvres ci-dessous désignées:

De l'état des choses à Naples et en Italie, par M. Jules Gondon.

Le suicide de l'Unité et la Confédération en Italie, par M. le marquis de Palomba.

Le roi de Naples, sa vie, ses actes, sa politique, par par M. Albert de Dalmas, aujourd'hui député au Corps législatif.

Ve Oscar De POLI.

RELIGION

l'Église libre d'une État libre


Si l'on pouvait douter de l'impiété des meneurs unitaristes, de leur haine du catholicisme et de leurs visées sacrilèges, il suffirait de placer, en regard de cet axiome de l'hypocrisie révolutionnaire, l'histoire des persécutions infligées à l'Église par les hauts et bas agents de l'unité italienne;mais un gros volume n'y suffirait pas, et d'ailleurs nous ne devons retracer ici qu'une sorte de tableau synoptique des faits honteux et douloureux qui composent la seule année 1862.

Les révolutionnaires sont les mêmes partout, et l'Église, l'ennemie née de toute fraude et de toute injustice, est partout la première victime de ces étranges régénérateurs.

2

Il semble qu'ils ne veuillent pratiquer à son égard que les lugubres et insensées théories formulées naguère par un des leurs (1):

«Il faut déshonorer le catholicisme! Ce n'est pas assez; il faut l'étouffer dans la boue.»

On les voit déposséder les religieux, souiller et spolier les églises, les changer en écuries, changer les couvents en casernes ou en maisons de joie, mettre le clergé hors du droit commun, emprisonner et détenir sans jugement, exiler, fusiller les prêtres, donner cours, en un mot, à l'assouvissement de leur haine plus absurde encore que farouche, et faire envier aux populations catholiques le joug humiliant des sectaires de Mahomet. Et cependant la religion n'est pas qu'un devoir, elle est un droit; c'est le plus puissant rameau de l'arbre de la liberté, et, quand ce rameau dépérit, la vie se tarit aux sources sociales.

Il est consolant, toutefois, de constater que les persécutions n'ont pu que donner une gloire nouvelle au courageux clergé des Deux-Siciles; car, sauf quelques prêtres d'occasion, futurs chevaliers des Saints Maurice et Lazare, l'unanimité du clergé proteste ouvertement contre l'invasion et la spoliation piémontaises. Fidèles à Dieu et au roi, les pasteurs napolitains méritent l'admiration de la catholicité, et leur noble attitude pèsera sans doute

(1) Edgard Quinci

3

beaucoup dans la balance de celui qui permet les défaites et donne les victoires.

Il va sans dire que cet exposé ne contiendra pas tous les incidents douloureux et tous les crimes anti-religieux de la dernière année; mais nous tâcherons d'y grouper, avec preuves à l'appui, tout ce qui peut éclairer le lecteur impartial.

II

Le député Petruccelli della Gattina, dans la séance du 18 juillet, dit que «de la statistique présentée parle» garde-des-sceaux, il résulte que, sur soixante-cinq évêques des provinces méridionales, cinquante-quatre sont n mis au ban de la loi.»

Le même député, dans la séance du 28 novembre, avec une franchise dont il faut lui savoir gré, déclare «fausse, la politique qui veut faire croire qu'il peut y» avoir une Église libre dans l'État libre: Église et liberté» étant deux lignes parallèles, qui ne peuvent s'unir et» qui se prolongent à l'infini.»

Le député Ferrari, séance du 29 novembre, parle de «ce jeu de mots impossible de Cavour: l'Église» libre dans l'État libre.»

-

A deux reprises, l'éminentissime cardinal-archevêque de Naples est brutalement assailli par des agents de police.On sait que son inépuisable charité et son infatigable zèle apostolique lui avaient concilié l'amour du peuple.

4

Les archevêques de Salerne, de Conza. D'Acerenza et de Trani courent les plus graves dangers, dans le sac de leurs palais archiépiscopaux, dont ils sont expulsés par une populace soudoyée. L'évêque de Castellaneta, grièvement blessé, n'échappe à la mort que par miracle.

On incarcère despotiquement et brutalement les archevêques de Reggio, de Sorrente, de Rossant), et les évêques de Capaccio-Vallo, d'Anglona et de Tursi, dont l'innocence et la sainteté sont dans toutes les bouches.

On arrête arbitrairement l'évêque d'Avellino, et on l'envoie entre quatre gendarmes à Turin, où il demeure longtemps prisonnier. Le gouvernement pensant enfin à le mettre en liberté, le trop fameux préfet Nicolas de Luca s'y oppose par cette raison «qu'il a fait appel au» peuple et que le peuple ne veut pas de monseigneur.» Or, le peuple, dont parle ce Nicolas, le peuple consulté n'est rien de plus qu'un misérable trio de défroqués.

-

Les journaux indépendants de Naples, à ce propos, font les remarques suivantes: «Quand les municipes napolitains demandent au gouvernement le rappel des évêques, comme il est arrivé dans plusieurs diocèses, le gouvernement répond que les évêques sont parfaitement libres (1). En même temps il donne aux évêques le conseil de ne pas retourner encore dans leur ville épiscopale, pour n'être pas exposés aux hostilités et aux réactions. En attendant, il les regarde comme absents volontairement, et confisque les menses épiscopales; de plus, il excite le zèle de ses receveurs, en leur accordant une prime de trois à vingt pour cent sur tous les revenus épiscopaux qui entrent au trésor.»

5

Rappelons la mort de monseigneur Dominique Ventura, archevêque d'Amalfi, qui avait été éloigné de son diocèse. Au milieu des larmes et des sanglots de la fidèle population d'Amalfi, le corps du saint prélat fut transporté dans sa cathédrale. La cérémonie funèbre fut troublée par des actes assez indignes pour motiver les interpellations de l'honorable sir G. Bowyer au sein du parlement anglais: «L'église fut envahie par la soldatesque, et de nombreux coups de poignard furent donnés au cadavre de l'archevêque d'Amalfi; ce ne furent même pas les seules indignités commises par les troupes.»

Les évêques d'Aquila, de Castellamare, d'Andria, d'Isernia, de Bovino et de Sora, sont violemment expulsés de leurs sièges épiscopaux. Les trois derniers succombent aux mauvais traitements dont ils ont été victimes.

On déporte brutalement les évêques de Sessa et de Teramo. Monseigneur Celcàa, évéque de Patti, est également relégué à Palerme pendant deux années, au bout desquelles on le force à quitter la Sicile et à s'embarquer pour Livourne.

Pour accomplir le devoir de leur saint ministère, les évêques de Nardo et de Lecce protestent publiquement contre les apostasies de quelques-uns de leurs prêtres dévoyés, et envoient au Souverain-Pontife des adresses de dévotion. Le gouvernement y répond en les expulsant de leurs diocèses sous l'escorte de gendarmes piémontais.

-

Soixante gendarmes se rendent en grand appareil, au palais épiscopal de Foggia, opèrent l'arrestation de monseigneur Frascolla et l'escortent jusqu'à la prison publique de Foggia, où le saint prélat est confondu avec les voleurs et les assassins. Le 30 septembre, la cour d'assises de Foggia le condamne à deux années de prison et 4,500 francs d'amende.

6

L'archevêque d'Otrante et treize prêtres de son diocèse sont condamnés à l'amende. Le chanoine Ciulli est condamné, par la cour d'assises de Foggia, à une année de prison et 2,000 francs d'amende.

-

L'évêque d'Euménie, prélat ordinaire d'Altamura et d'Acquaviva, adresse une lettre d'exhortation aux élèves d'un séminaire créé par lui en 1882, et dirigé avec la plus incontestable habileté. Le préfet prend le prétexte de cette lettre pour enlever brusquement à l'évêque la direction du séminaire et la donner au maire (sic).

III

Comme si les conditions du clergé n'étaient pas encore assez douloureuses, comme s'il n'avait pas été abreuvé d'assez d'outrages, le ministre garde-des-sceaux, Conforti, lance contre lui deux circulaires (1), recommandant aux magistrats «de frapper sans hésitation, et avec la plus grande sévérité, tout acte des prêtres ou des évêques se ressentant de tendances politiques contraires aux intentions du gouvernement, et d'encourager par tous les moyens les prêtres rebelles à leurs évêques et infidèles à leurs devoirs envers l'Église.»

Ce n'était pas encore assez. Le même ministre/ vers la fin du mois de juillet, proposait au parlement d'approuver la loi suivante:

ART. 1er. Ne seront pas admis ni reconnus dans le royaume, et ne pourront avoir civilement effet, encore moins être exécutés au dehors,

(1) 10 avril et 3 juillet.

7

les décrets des évêques diocésains et de leurs tribunaux portant suspensions ou destitutions d'offices ou de fonctions ecclésiastiques, s'ils n'ont pas été signifiés par écrit et ne contiennent l'exposition des raisons et faits qui y ont donné lieu. Le mode de procédure dit ex informatâ conscientiâ, ou tout autre de même nature, n'est pas admis dans le royaume.

ART. 2. Les susdits décrets devront être motivés par des faits qu'on puisse déduire devant les tribunaux; les évoques communiqueront au tribunal compétent les faits qui ont donné lieu à leur décret, afin que le magistrat séculier prononce sur ces faits mêmes; après quoi, l'évêque pourra procéder à l'application de la peine ecclésiastique, que les lois du royaume reconnaissent de sa compétence. Si le fait était assez grave pour encourir l'immédiate application de la peine ecclésiastique, les évêques pourront la décréter en suite du vote du chapitre de la cathédrale; après quoi ils communiqueront au tribunal compétent les motifs du décret avec Je vote par écrit du chapitre.

ART. 3. La peine prononcée par l'évêque contre un bénéficier n'emportera que la privation de l'office. Pour produire la privation ou suspension du temporel du bénéfice, il faudra un décret du gouvernement, que l'évêque devra obtenir par le moyen du ministère de grâce et justice et des cultes.

ART. 4. L'inobservation dos précédents articles, constituant un conflit entre l'autorisé civile et l'auiorité ecclésiastique, sera déférée au Conseil d'État, aux termes de l'article 19 de la loi du 30 octobre 1852.

8

ART. 5. Tous les évêques du royaume devront présenter au ministère de grâce et justice et des cultes, les lettres pastorales, instructions (sic), circulaires, et en général tous les écrits destinés à être publiés dans leurs diocèses ou dans une seule partie des diocèses. Ils ne pourront les publier par voie d'impression ou tonte autre, s'ils n'ont pas d'abord été approuvés par le ministre garde-des-sceaux.

ART. 6. Toute contravention à la précédente disposition sera déférée au tribunal de l'arrondissement, et punie, selon les cas, d'un emprisonnement qui pourra monter à six mois ou d'une amende qui pourra monter à 500 francs.

-

Cette loi sauvage est blâmée de la presse révolutionnaire même, qui déclare que c'est mettre l'Église en état de siège. Le Siècle la qualifie de «tyrannique, inadmissible,» et la déclare semblable à la constitution civile du clergé qui produisit en France de si déplorables effets. Le Temps la désapprouve hautement en la discutant avec une louable habileté. «C'est surtout, dans les temps de révolution, dit-il, qu'il importe de respecter les principes de la justice et de la liberté.» Or, ces principes sont violés par cette loi de la façon la plus grossière. L'État, en substituant ses règlements à ceux de l'Église, se rend coupable d'abus d'autorité. Celte loi est une loi de colère, ce n'est pas ainsi qu'on fonde la liberté. Le gouvernement a confondu la liberté d'un parti avec la liberté d'un pays. Un parti est libre, quand il est au pouvoir, et il gouverne à sa manière; mais le pays n'est pas également libre, au contraire. Un peuple n'est libre que lorsqu'il y a dans son sein liberté pour tous, pour l'opposi

tion comme pour le pouvoir, pour les vaincus comme pour les vainqueurs.

9

Il est juste de noter, pour démontrer plus clairement le but du gouvernement unitariste, que M. Conforti, ministre des cultes du royaume, est en même temps grand maître de la franc-maçonnerie italienne.

Le clergé napolitain, en réponse à l'inique projet de loi Conforti, envoie à son archevêque une adresse de protestation, qu'il se déclare prêt à signer de son sang.

Le pape Pie IX appelant à Rome les évêques de la chrétienté, pour la solennité religieuse de la canonisation des martyrs japonais, le ministre des cultes s'empresse de lancer un édit de prohibition (1): «Le gouvernement du roi a délibéré de ne pas accorder de passe-port aux évêques du royaume qui voudront aller à Home pour la solennité de la canonisation des martyrs japonais. Cette délibération a été prise dans le but de soustraire les évêques aux conséquences auxquelles ils pourraient être exposés de la part de leurs diocésains, s'ils entreprenaient un voyage repoussé par l'opinion publique, etc.»

Devrait-i! être permis d'afficher une aussi impudente hypocrisie?

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Les préfets d'Avellino et de Foggia, par des mesures d'une outrageante rigueur, assujettissent le clergé aux plus injustes traitements et à la surveillance de police la plus vexatoire (2).

(1) 27 avril 1862.

(3) Arrêtés en date des 11 et 23 octobre 1862.

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IV

Le gouvernement met à profit la loi qui lui permet d'occuper à volonté les maisons des corporations religieuses dans toutes les provinces du royaume.

La lieutenance-générale de Naples avait déjà dépouillé et supprimé la presque totalité de ces corporations (1). Celte mesure avait cependant été définie, par la presse démocratique même, comme entachée d'inconstitutionnalité.

Pendant la seule année 1861, dans les provinces des Marches et de l'Ombrie, les régénérateurs italiens ont occupé cent vingt-deux monastères, dispersé huit cent soixante-dix-sept religieux, amalgamé dix-sept corporations, dont deux de religieuses et quinze de frères.

Dans le cours de la même année 1861, il a été détruit en tonte l'Italie sept cent vingt-et-un couvents, et dispersé onze mille huit cents moines ou religieuses.

Toujours en 1861, on a mis la main sur les biens de cent quatre collégiales, d'un revenu total de 524,801 fr.

Deux prêtres octogénaires, dom Joseph Gulfo, de Colubraro, fondateur d'un asile d'orphelins, bienfaiteur des pauvres, généralement vénéré,- et l'archiprêtre Claps, d'Avigliano, traîné à pied comme un malfaiteur d'Avigliano à Potenza, c'est-à-dire pendant près de trois lieues, plusieurs fois menacé de mort par les sbires dans ce douloureux trajet, succombent aux souffrances qu'ils enduraient, dans les prisons de Basilicate, alors comblées de détenus. Dans la crainte d'un mouvement populaire, on défend de célébrer leurs funérailles.

(1) Décret du 17 février 1861.

11

L'église principale de Torre del Grcco, malgré la noble résistance du chanoine Noto, est le théâtre d'une mascarade sacrilège. Les italianissimes habillent d'une chemise rouge la statue de la Vierge Immaculée. Ainsi affublée, on la promène en procession par le pays; mais je Vésuve rugit et vomit, Torre del Greco est enseveli sous les laves, et le peuple des campagnes attribue ce désastre au sacrilège garibaldien.

A Calanzaro, on convertit les églises en prisons; on y entasse les prévenus d'être suspects de connivence avec les brigands, et l'on emploie d'odieux moyens pour leur extorquer des révélations; on va jusqu'à leur dire de se confesser et de se préparer à être fusillés. Après une nuit de ces affreuses angoisses, un pharmacien d'Acri est trouvé mort sur les dalles.

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Le chanoine Tipaldi, vicaire capitulaire de Naples, proteste vainement, avec la plus ferme dignité, auprès du préfet La Marrnora, contre la violation de la clôture des monastères de femmes (1); au mois de mars, il est condamné à trois mois de prison et 1,000 francs d'amende, pour mauvais conseils aux jeunes filles du noble pensionnat royal des Miracles, qui ont refusé de chanter le Te Deum en l'honneur du roi d'Italie. On accumule les persécutions officielles, et la peine de treize mois d'exil et de 1,500 francs d'amende est encore fulminée contre Mgr Tipaldi, parce que ces mêmes élèves ont refusé de prêter serment au susdit roi d'Italie.

(1) La plupart des journaux ont rapporté les lettres échangées entre le vicaire et le préfet, 30 janvier, 5 et 7 février.

12

Le curé de Portici, dom Gennaro Formicola, après différentes persécutions arbitraires, le 25 mars, est condamné à quatre mois de prison et 100 livres d'amende, pour avoir refusé de chanter le Te Deum en l'honneur du roi d'Italie. Dom Gennaro est persécuté, d'autre part, pour avoir refusé de baptiser un nouveau-né sous le nom de Garibaldi.

Dom Giuseppe Cocozza, prêchant à Saint-Séverin de Naples, est insulté grossièrement par des étudiants libertins. Le peuple se soulève contre les sacrilèges insulteurs, les chasse de l'église et les poursuit jusqu'à l'Université; un conflit s'engage; les étudiants, plus nombreux, lâchent quelques volées de coups de revolvers, et se barricadent; la population exaspérée veut mettre le feu à l'Université; il y a des blessés et des morts. Le gouvernement, inaugurant de nouveaux principes de justice, emprisonne le prédicateur outragé et lui fait subir une détention préventive de quatre mois (1), après laquelle la cause étant amenée devant les tribunaux, le malheureux prêtre est déclaré innocent.

Sans motifs connus, au commencement de l'année, les gendarmes piémontais arrêtent, enchaînent et emprisonnant le supérieur et plusieurs moines franciscains d'un couvent de Mirabella, province d'Avellino.

-

La veille de la visite du roi Victor-Emmanuel au grand hôpital des Incurables de Naples, le 28 avril, ou expulse les chapelains de rétablissement, tous coupables du refus de serment au gouvernement nouveau; de manière que les malades et les moribonds sont privés des consolations et des secours de la religion.

(1) Du 15 mars au 16 juillet.

13

Le 26 avril, Dom Antoine Minucci, archi-prêtre de Stignato-Staiti, en Calabre, est condamné à deux ans de prison et 1,500 francs d'amende, pour avoir omis, dans un sermon, de bénir le roi d'Italie. Le même sort était réservé au prêtre Dominique Surace, chapelain de l'église collégiale de Pal mi, en Calabre, arrêté, dans la soirée du samedi saint, pour avoir omis au prône du matin même de bénir le nom de Victor-Emmanuel. D'autres procès s'instruisent contre les confesseurs, qui ont refusé l'absolution aux membres du Cercle national unitaire.

-

Les chanoines de l'archevêché de Naples, sur la dénonciation du ministre Conforti, sont condamnés par le Suprême Conseil administratif à la perte d'une année de leur prébende canonicale, pour ne pas s'être trouvés présents quand le roi Victor-Emmanuel visitait la cathédrale. Une commission extraordinaire est nommée pour examiner la conduite des chapelains du trésor de SaintJanvier, accusés de la même absence.

V

Le 25 mai, à Ruvo, dans les Fouilles, la police piémontaise arrête sans motif légal les deux chanoines dom Pietro et dom Paolo Chicco, et les dominicains Dominique Cassuco et Pierre Caputo et le prêtre Raphaël Pellegrini. Conduits dans la prison de Barletta, ils sont maltraités et frappés jusqu'au sang, surtout ce dernier, par des furieux de Corato, sans que leur escorte cherche même à les défendre.

14

Le couvent des Croisés, à Trapani, est envahi par la gendarmerie, qui aurait cependant pu se loger commodément ailleurs; le couvent des Carmes, à Caltagirone, a bientôt le même sort, aussi bien que le célèbre couvent de Saint-Laurent de Naples, d'où l'on expulse le vénérable nonagénaire, Monseigneur Gigli, qui avait renoncé à l'évéché de Muro, pour vivre dans le calme de son ancien cloître.

En Sicile, le gouvernement chasse les religieux des monastères ci-dessous désignés, et s'empare de leurs biens.

A Patti, le couvent de Sainte-Marie-de-Jésus, des Mineurs-Observantins; à Messine, celui de Saint-Jérôme et des Bénédictins du Mont-Cassin; à Mezzojuso de Palerme, celui de Saint-Basile, du rit grec; à Trapani, celui de Saint-Roch; à Nolo, celui de Saint-Antoine; à Ciminna de Palerme, celui de Saint-Dominique; à Corleone, celui de Saint-Augustin; à Termini, celui des Dominicains; dans les Abruzzes, celui de Cicoli; et en Calabre, celui des Mineurs-Conventuels de Gerace.

Les religieux du célèbre sanctuaire de Sainte-Brigitte, à Naples, sont expulsés, et par décret du préfet La Marmora, qui foule aux pieds les droits de l'administration diocésaine, cette église si populaire est mise à la disposition du municipe.

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On supprime le couvent des capucins de Foggia, et l'on en chasse violemment les religieux, malgré les supplications de la population scandalisée de voir les tableaux, le» statues et les objets sacrés arrachés des autels, profanés, jetés sur des charrettes, et l'église mise à la disposition du préfet.

15

Les Augustins de Salerne, ces bienfaiteurs tant aimés, sont également expulsés; mais avant d'ordonner cette inique mesure, le gouvernement prononce le licenciement de la garde nationale, dont il redoutait l'énergique opposition.

Le 21 juin est encore un jour de deuil pour Salerne; le célèbre monastère de Saint-Grégoire, vieux de plus de treize siècles, respecté par les hordes mêmes des Sarrasins, est changé en caserne, et les vieilles religieuses, une trentaine de squelettes humains, sont expulsées de l'asile saint où elles espéraient mourir.

A Teramo, le 12 août, le curé dom Rocco Sabatini est condamné à 17 ans de travaux forcés, comme prévenu d'avoir donné asile aux bandes réactionnaires.

Malgré les défenses de l'évoque d'Aversa, divers officiers militaires et civils s'introduisent dans les monastères de femmes.

A Bari, les religieuses de Sainte-Thérèse refusent d'abandonner leur couvent, et devant cette courageuse fermeté, aussi bien que devant les marques générales de désapprobation populaire, le préfet se voit contraint de retirer son injuste arrêté.

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Un délégué de police et plusieurs de ses agents brisent les portes du couvent de la Croix-de-Lucque, à Naples, s'y introduisent brutalement et, malgré la résistance de l'abbesse et des sœurs, dressent l'inventaire de tout le mobilier, attendu que le gouvernement entend se l'approprier.

16

Le 21 mai, à Avellino, un juge prend possession du monastère de Sainte-Marie au nom du gouvernement piémontais. Les religieuses protestent contre cette spoliation, d'autant plus injuste qu'elle confisque les dots avancées parleurs familles; l'agent gouvernemental répond froidement qu'il n'agit que par ordre supérieur.

On dépouille les Dominicains de San-Giovaniello et des autres monastères nobles de Naples, et, de plus, on veut les expulser de leurs maisons religieuses.

Nous ne saurions trop louer l'attitude du municipe, représenté par M. Frédéric Persico, qui refuse son assentiment à cette violente infraction de la clôture et donne sa démission en protestant que «de tels ordres du gouvernement sont une violation du domicile de pacifiques citoyennes, déclaré inviolable par le statut constitutionnel, inviolable même si l'on ne veut pas le considérer comme lieu sacré.»

Une nuit de mars, la police piémontaise escalade les murs du couvent de Santa-Maria la Nuova de Naples, parce qu'on hésitait à ouvrir. Il s'agissait de pratiquer une sévère perquisition qui n'amena d'ailleurs aucun résultat.

On arrête à Pastena et l'on enferme dans les prisons de San-Germano les prêtres Antoine Grosso. Philippe Parise et Louis Bartolomucci.

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Le curé de Sainte-Anne est arrêté pour la fermeté qu'il a montrée au chevet de Mgr Michel Caputo, à l'article de la mort. On sait que Mgr Caputo était le seul des évoques catholiques qui eût donné au cœur du Souverainpontife Pie IX la douleur d'une apostasie à déplorer.

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Le 25 septembre, la population de Termoli se soulève contre le gouvernement piémontais à l'occasion du recrutement. Les bersagliers subalpins accourent et n'ont rien de plus pressé que de traîner en prison le curé et le sacristain qui n'avaient pas pris la moindre part au tumulte.

En novembre, on expulse de leur couvent de Naples les religieux exemplaires des Pieux-Ouvriers, ce qui fait perdre à la jeunesse studieuse des professeurs habiles et gratuits, et aux pauvres d'assidus bienfaiteurs.

Le préfet La Marmora, le 28 novembre, chasse du couvent de la Santé les vénérés pères d'Alcantara, en faveur desquels le peuple se révolte. On est obligé, pour assurer l'exécution de la mesure, d'envoyer beaucoup de troupes de ligne, les gardes nationales et les sbires s'étant trouvés impuissants.

Le gouvernement s'est approprié les biens religieux en promettant de servir un revenu à ceux qu'il dépossédait; mais on sait que partout il laisse mourir de faim ses victimes, en ne tenant pas sa promesse; il ne s'empare pas moins de la retraite des religieuses de Sœur-Ursule et du couvent des Augustins de la Madeleine.

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Les religieux de Saint-François-de-Paule sont expulsés de leur maison du quartier Stella, à Naples; les Pères Liguoristes de Tarsia et les Bénédictins de San-Severino ont le même sort.

VI

Dans la matinée du H novembre, un détachement de fantassins, de gendarmes et d'agents de police forcent la porte du monastère de La Piété, à Palerm, et, malgré la défense de l'archevêque, s'y livrent,

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en compagnie d'architectes, à une longue perlustration. Les religieuses épouvantées se réfugient en pleurant dans le chœur. L'indignation populaire stigmatise cet acte de violence inutile. Le Précurseur de Palerme ne trouve pas assez de mots pour le blâmer et le maudire: «Le peuple sicilien est dévot, et des actes qui troublent les consciences ne sont pas justifiables tant qu'ils ne sont pas absolument nécessaires. L'homme le moins porté aux choses de religion ne pourra approuver un procédé aussi inhumain contre de pauvres femmes, élevées loin du monde dans la pratique des vertus chrétiennes, et étrangères à toutes les choses du dehors.»

Au mois de juin, trois cents femmes du peuple, armées de couteaux et de bâtons, envahissent l'église de Modica, en Sicile, où prêchait un Passaglia, et l'en chassent à coups de bâton.

Les journaux même de Turin (1) censurent l'administration de la Caisse ecclésiastique, pour les innombrables abus de ses employés, sa déplorable gestion pécuniaire, et pour avoir réduit les moines et les religieuses à une pension de huit sous par jour, qui n'a pas seulement été payée depuis deux ans. Le Piémont a supprimé les ordres mendiants; est-ce logique, et n'a-t-il pas réduit à la mendicité tous les ordres religieux?

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En plein Parlement (2), le député Benedetto Musolino définit ainsi le programme officiel de la ligne de conduite du gouvernement envers les ecclésiastiques:

(1) Voir la Discussione du 30 décembre.

(2) Dans une des séances du mois de Juin.

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«Nous ne donnerons pas d'autre liberté à l'Église que celle que nous accordons aux vaudois et aux mahométans; quant à lui donner l'indépendance, jamais! L'indépendance du clergé est une hérésie politique: le pape n'y peut prétendre...»

Malgré tant de menaces, d'injures, de persécutions latentes ou patentes, un grand nombre de prêtres rétractent la signature qu'ils ont apposée au bas de la misérable adresse du commandeur Passaglia, déclarant que leur bonne foi a été surprise et protestant de vouloir rester profondément unis en tout point avec l'immortel Pie IX, pape et roi. D'autres prêtres protestent publiquement, par la voie des journaux indépendants, contre l'abus qu'on a fait de leurs noms, déclarant fausse et mensongère la signature qu'on a apposée pour eux sous celle du Passaglia. Ces faux unitaristes forment une des page» les plus instructives de l'histoire italianissime.

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Le préfet de Catane, se moquant des défenses épiscopales, nomme les prêtres qui devront prêcher dans les églises, pendant le carême. De plus, il organise une sorte d'adresse au Pape, pour l'engager à reconnaître Victor-Emmanuel comme roi d'Italie, et a l'audace de la faire présenter à la signature du vicaire capitulaire Gaetan Asmundi. Celui-ci refusant de la signer, le préfet lui décerne un charivari nocturne. Ce n'est pas tout: des sbires installent un bureau sur la place publique; tout prêtre qui passe reçoit l'injonction de signer l'adresse préfectorale, et celui qui s'y refuse est accablés d'outrages par ces fidèles serviteurs de la révolution piémontiste,

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Le ministre de l'instruction publique lance deux circulaires (1) formulant «la crainte que l'enseignement dans les séminaires ne soit pas conforme à l'esprit actuel du gouvernement, et soit plutôt contraire à l'unité italienne.» Le ministre les place donc sous la surveillance de la police (sic), leur appliquant les articles 59, 60 et 61 du décret de la lieutenance générale (2) concernant l'instruction secondaire à la charge de l'État.

On expulse en masse les chapelains de l'Hôtel des Pauvres, et antres maisons de bienfaisance, pour avoir refusé de prêter serment selon la formule de Turin, et on les remplace par des Passaglias.

Les organes officiels, cherchant à déraciner du cœur des séminaristes le sentiment religieux, proclament que «tant de piété est superflue; la messe quotidienne est inutile, et la messe dominicale est tout ce qu'il faut; on doit ne se confesser que fort rarement, et s'affranchir des préjugés cléricaux.»

Un journal ministériel de Turin, suivant le mot d'ordre supérieur, demande qu'on ne fasse pas entendre la messe aux soldats le dimanche, comme on le fait déjà pour les collégiens. Au grand principe de l'Église libre dans l'État libre, dit-il, nous avons ajouté cet autre principe: L'armée libre dans l'Église libre.

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Malgré la Constitution, qui ne reconnaît dans l'État que la religion catholique, on ouvre à Naples un temple protestant. La cérémonie d'inauguration se fait dans le plus grand secret, de peur d'un soulèvement populaire.

(1) 5 septembre et 2 octobre. (3. 10 février 1861.

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A ce propos, le journalisme napolitain s'exprime en ces termes: «Ce n'est pas le protestantisme qui nous menace; ne meurt-il pas dans cette Allemagne même qui lui donna le jour? Ce qui nous menace, c'est l'athéisme tout pur, dont le gouvernement nouveau favorise l'introduction à Naples; c'est le ver rongeur de la funeste indifférence. Voilà les deux gigantesques ennemis de la religion nationale!»

Le comte Ponza de San Martino, un des derniers proconsuls piémontais à Naples, affirme à la commission parlementaire d'enquête sur le brigandage que «les vexations du gouvernement piémontais contre l'Église produisent principalement la réaction, les Napolitains étant foncièrement catholiques et ne voulant qu'un gouvernement catholique.» Précieux aveu! Le piémontisme étant l'antithèse du catholicisme, la conclusion est toute simple: Jamais Naples n'acceptera le joug subalpin.

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Le président du conseil des ministres déclare au parlement (1) qu'un prêtre vient d'être condamné à six mois de prison pour manifestation séditieuse. La manifestation séditieuse c'était une quête pour le denier de saint Pierre.

VII

Le baron Ricasoli, président du conseil des ministres, prononce au parlement (2) le discours suivant: «Messieurs, je ne suis pas habitué à cacher mes opinions. Eh bien! je vous dirai franchement: la question de Rome est résolue.

(1) Séance du 17 janvier.

(2) Séance du 15 janvier.

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Oui, messieurs, la solution de la question ne dépend plus que d'une cause surnaturelle (sic), et qui, très-probablement, à l'heure où je vous parle, existe. Il faut en rendre grâce à la raison et à la civilisation. Vous ne me comprenez pas, messieurs? eh bien! je suis net: dans peu de temps, il n'y aura plus ni roi-pape, ni pape-roi.»

M. Garibaldi adresse de Gênes (1), aux prêtres italiens, une lettre dont nous extrayons ce qui suit: n Je ne vous parlerai pas de vos fautes. Quand je m'adresse aux multitudes, je leur cite les paroles de l'Évangile: «Que celui qui est exempt de fautes jette la première pierre.» La conséquence concorde aussi avec vous autres, si vous le voulez, mais faites le bien. Jusqu'à présent vous avez fait le mal. Vous avez fait de Rome un repaire de bêtes féroces.... Je suis convaincu, malheureusement trop convaincu, que vous ne pouvez arracher les cardinaux à la perdition; mais si vous le pouvez, faites-le.... Que le prêtre italien fasse tonner de la chaire les saintes paroles du rédempteur de la patrie, et de la réprobation pour l'enfer du Vatican....»

Une société ouvrière écrit à M. Garibaldi (2): « Général, vous qui, champion ardent de la liberté, avez toujours disposé de la victoire (?), vous devez, par la force du droit dont l'Italie vous a confié la défense, faire cesser la honte et empêcher qu'à l'ombre du Colisée le Prêtre-Brigand, protégé par l'étranger, puisse aiguiser son couteau

(1) 12 mars.

(2) Au mois d'avril. Société de Soncino,

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Les évêques protestent contre la circulaire Conforti, qui leur interdit le voyage de Rome. Le député Nicotera (1) demande au parlement de répondre à cet exposé si calme et si digne avec des baïonnettes, et non avec des mots.

Fumel fait fusiller un prêtre de Bari, prévenu d'être suspect de complicité avec les bandes royalistes (2).

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Nous pourrions étendre longuement encore cet aperçu des douleurs du clergé des Deux-Siciles; mais n'en avons-nous pas dit assez pour dessiller les yeux des hommes de bonne volonté qui pensent que la révolution piémontaise n'en veut qu'à la royauté temporelle de Rome, et que l'unité n'est pas le masque de l'anti-catholicisme? En regard de tant de hontes, de sacrilèges, de turpitudes, de confiscations, qu'il nous suffise de rappeler la noble protestation de S. M. le roi François H contre le décret piémontais d'expropriation et confiscation des biens religieux. Inébranlable champion de la justice et du droit, le royal vaincu de Gaëte demeure plus grand que son vainqueur, et trouve pour tous ses infortunés sujets des accents qui ne peuvent venir que d'un cœur paternel! Aussi n'est-ce que pour lui que montent toutes les prières.

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FINANCES

Le gouvernement piémontais se conduit a Naples comme ce parasite qui, étant invité a un repas fraternel, en emporte les couverts.

DUC DE MADDALONI.

I.

Est-il besoin de redire une fois de plus que les finances italiennes sont épuisées, à ce point que le mot de banqueroute est dans tous les esprits? Le Piémont a ruiné tout ce qu'il a touché, au contraire du fabuleux Midas, qui pourtant avait des oreilles d'âne; mais en aucun pays plus que dans l'infortuné royaume des Deux-Siciles, il n'a pillé, gaspillé, dilapidé, avec «ne impudence jusqu'alors inconnue.

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On nous montre officiellement un déficit de deux milliards, et cependant où ont passé ces centaines de millions, les épargnes des États annexés, les patrimoines des princes dépossédés, les biens de l'Église et des corporations religieuses, ces impôts augmentés sans mesure, ces contributions volontaires, ces dons extorqués, ces emprunts sans fin renouvelés? Où tant de richesses se sont-elles englouties, et quel est le secret de cet effroyable déficit, qu'on n'avoua qu'à la dernière extrémité?

Le secret en est sans doute dans ces fortunes nées d'hier, si rapides, si étonnantes, qu'on trouve entre les mains d'hommes naguère portant la besace. C'était, il est vrai, la besace révolutionnaire. II fait bon, en Italie, par le temps qui court, de renier tout ce qu'on croit et qu'on aime, pour s'affubler de tricolore et prendre part à la curée. La curée en attendant la banqueroute, telle est la situation exacte des finances italiennes.

Qu'on me permette d'emprunter quelques passages à l'ardente philippique d'un député napolitain, le duc de Maddaloni-Proto, dont j'ai déjà eu l'occasion d'écrire le nom. Les paroles de l'honorable député éclaireront la vérité mieux que je ne le saurais faire:

«Qu'ont fait les hommes d'État du Piémont et les partisans qui se sont formés au milieu de nous? Ils ont corrompu tout ce qui restait de morale; ils ont brisé et dissipé les fortunes et les richesses amassées depuis des siècles; ils ont ravi à ce peuple ses lois, son pain et son honneur; ils lui auraient ravi même son Dieu, s'il était donné à une puissance humaine de lutter contre Dieu. Ils ont ensanglanté tous les coins du royaume, luttant contre une insurrection qu'ils ont rendue très-craelle, et qu'un gouvernement issu du suffrage populaire devrait prendre moins en horreur.

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Le gouvernement pigmentais enlève de la Banque l'argent des particuliers, et prodigue le denier public à l'avidité de ses sycophantes.... il laisse gouverner les provinces par des hommes de parti ou par de féroces voleurs; il emprisonne, il exile, il jette dans la misère la plus affreuse, non-seulement les amis et les serviteurs du gouvernement passé, honnêtes ou non, et plus particulièrement s'ils sont honnêtes, mais aussi leurs parents les plus éloignés, ceux-là mêmes qui n'en portent que le nom.... Que vous dirai-je quant aux finances? En 1860, le royaume de Naples payait une armée de cent mille hommes (1), une marine qui était comptée parmi les meilleures de second ordre, une liste civile et une représentation à l'étranger, et ces quatre branches constituaient une dépense annuelle de 16,203,628 ducats. Aujourd'hui que ces provinces n'ont plus à payer ni armée, ni flotte, ni diplomatie, leurs revenus ne suffisent pas aux dépenses des autres branches du service public! Les revenus du royaume étaient comptés dans le budget de 1860 pour la somme de 30,135,442 ducats.... Ce fait est bien le miroir où se reproduit l'œuvre dévergondée des hommes préposés à la chose publique, et, dans cette dilapidation du trésor napolitain, qui ne reconnaîtrait la véritable cause de nos malheurs? Cette ruine de la fortune publique a-t-elle enrichi le peuple? A-t-il du pain, du travail, nécessité suprême de l'humanité? Des familles entières demandent l'aumône; le commerce est presque anéanti; les ateliers privés se ferment, ne pouvant résister à une concurrence subite et inopportune,

(1) Ce chiffre nous semble exagéré.

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à l'abolition des tarifs protecteurs et à des réformes imprudentes; nous ne voyons en fait de travaux publics que la lente construction de quelque ligne de chemin de fer, ou la pose de la première pierre d'ouvrages que l'on ne fait jamais. En attendant, on fait tout venir du Piémont, jusqu'aux boîtes de la poste et aux papiers pour les administrations publiques. H n'y a pas une seule affaire où un honnête homme pourrait gagner quelques ducats, que l'on n'appelle un Piémontais pour la lui livrer. C'est aux marchands piémontais qu'on donne les fournitures des troupes et des administrations, ou du moins les plus lucratives On nous envoie des ouvriers piémontais même pour la construction des chemins de fer, et on leur donne insolemment le double de ce qu'on paie aux Napolitains. Les portefaix de la douane et les geôliers nous viennent aussi du Piémont.... C'est là une vraie invasion; ce n'est ni une union, ni une annexion. C'est vouloir épuiser notre pays comme un pays conquis!...»

Il serait difficile d'ajouter quelque chose à ces éloquents extraits. Celui qui parle est Napolitain. 11 s'était laissé aller au mirage de l'unité; il vit appliquer le principe et ce fut dans un frémissement de regret et de douleur qu'il jeta ce courageux et patriotique anathème à la face du parlement italien (1).

«On ne gouverne pas avec la vérité!» s'est écrié l'un des champions de la triste unité. La flagrante évidence des faits a cependant arraché de précieux aveux au parlement et à la presse, officielle ou officieuse; le ministère même a publié parfois de douloureuses vérités,

(1) Voir la Gazelle de France des 10, 11 et 12 janvier 1862.

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tant il est vrai que la voix de la justice s'entend malgré tous les bâillons et toutes les dissimulations hypocrites. Nous allons donc profiter de ces diverses révélations.

II.

Le ministre des finances, Quintino Sella, déclare au parlement (1) que le royaume d'Italie dépense neuf cent millions par an et r,'a que quatre cent millions de revenus.

Un journal de Turin, l'Opinione (2), émet à ce propos les observations suivantes: «Le ministre Sella a exposé la situation des finances dans toute sa gravité; il nous a dévoilé un gouffre qui menace de nous engloutir, le gouffre du déficit, qui va s'élargissant d'année en année, bien qu'en 1860-61 l'on ait eu recours au crédit public, avec des emprunts directs ou l'aliénation du reste de la rente des nouvelles provinces; en un mot, la dette publique s'est accrue en deux années de 925 millions, montant ainsi à six milliards.»

L'intérêt de la dette publique coûte annuellement au royaume d'Italie 308 millions, somme énorme, mais destinée à grandir encore à Ja suite du nouvel emprunt de sept cents millions qu'on nous annonce.

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Alors que le déficit de 1862 est d'environ cinq cent millions, la Gazette officielle (3) publie l'autorisation provisoire de nouvelles dépenses montant à la somme de vingt-huit millions.

(1) Séance du 7 juin.

(2) Numéro 159.

(3) 10 novembre.

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Les revenus figurent au budget de 1863, pour 614 millions, et les dépenses pour 936. On y remarque 53 millions d'augmentation pour solde des employés publics; 197 millions d'augmentation pour l'armée; une augmentation enfin pour maintenir les prisonniers qui, d'après les données officielles, étaient plus de trente-deux mille en février 1862, attendant vainement qu'on les mît en jugement.

Le député Scialoja est envoyé en France pour faire de l'argent. Il offre pour cinq cent millions à des banquiers de Paris les propriétés domaniales du royaume, évaluées à huit cent millions par le financier Bastogi.

La Gazette du peuple, de Turin, dit à ce propos que «l'Italie occupe le cinquième rang parmi les grands États européens par le chiffre de son budget passif qui monte à 974,347,398 francs. Quant au revenu, l'Italie ne vient qu'après la Turquie, réputée pour être désormais réduite à une pleine et inévitable ruine.»

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Dans la discussion du budget (1), parlant de l'administration des deniers publics dans les provinces méridionales, le député Ricciardi cite l'exemple du général La Marmora: «Je ne parle pas des appointements qu'il touche comme préfet; je n'ai jamais pu à ce sujet obtenir de réponses précises; mais, outre sa solde de général, il a par an cent vingt mille francs pour frais de représentation, c'est-à-dire pour donner quelques dîners ou quelques bals. Puis, comme le général est homme de guerre, non homme politique et administratif, il a besoin d'un personnage qui fasse réellement le préfet; tel est le rôle de M. Visone, qui reçoit pour cela vingt huit mille francs par an.

(1) Séances parlementaires îles 27, 38 et 29 juin.

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Mais comme M. Visone n'est pas du pays, et n'en connaît ni les hommes ni les choses, il lui faut une sorte d'ange gardien napolitain, et c'est le rôle de M. de Nava, qui reçoit six mille francs par an; de façon qu'on dépense annuellement cent cinquante-quatre mille francs pour l'administration de la seule ville de Naples; de plus, La Marmora ne se trouvant pas assez largement traité au palais de la Foresteria, prend l'autre palais voisin qui rapporte à l'État cent cinquante mille francs par an. Nous dépensons donc annuellement une somme de trois cent quatre mille francs pour le seul préfet de Naples.»

Le journal piémontais le Diritto publie les lignes suivantes: «La façon dont vivent les autorités qui de Turin vont gouverner Naples révolte le sens moral de ce peuple. Je ne vous parlerai pas de La Marmora qui s'est approprié tout le palais et les magnifiques jardins du prince de Salerne. Je ne vous parlerai pas de l'amiral Tolosano qui habite le splendide hôtel du prince de Capoue. Mais je vous dirai que, dernièrement encore, on a payé vingt mille francs de meubles à M. Schmit.»

-

On présente au parlement (1) de nouveaux projets tendait au gaspillage des deniers publics en dépenses presque inutiles: deux millions pour rédiger la carte topographique des provinces méridionales, qui en possèdent déjà de parfaitement exactes; deux millions six cent mille francs pour supplément de dépenses à l'exposition de Florence; un million pour concourir à celle de Londres;

(1) Février 1861.

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un autre million pour magasins de matériel de guerre; vingt-trois millions quatre cent quatre-vingt-quatorze mille cinq cents francs pour augmenter (1) le nombre des fusils de la garde nationale.

L'emprunt de cinq cent millions étant quasi dissipé, le ministre des finances, au commencement de 1862, à la surprise générale, propose à la chambre d'étendre à cent millions de francs l'émission des bons du Trésor, quoique peu de jours auparavant, dans l'exercice provisoire du budget, elle n'eût approuvé qu'une émission de cinquante millions (2).

Le ministère Rattazzi passe pour avoir conclu un excellent marché avec la direction du journal français *** (3), auquel on payera annuellement soixante mille francs, tout en lui prenant mille abonnements à soixante-dix francs, ce qui fait le chiffre rond de cent trente mille francs.

On assure que le commandeur Rattazzi, dans son dernier voyage à Paris a pris quatre mille abonnements qu'il a payés comptant, au journal ***, ce qui fait une somme d'environ deux cent cinquante mille francs.

III

Le seul ministère de l'intérieur compte cinq cent soixante-neuf employés en expectative, c'est-à-dire attendant qu'on les emploie,

(1) Augmentation qui n'a pour ainsi dire existé que sur le papier.

(2) L' Opinione, journal de Turin, 10 avril.

(3) On comprendra les raisons qui nous dictent ces trois étoiles.

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mais qui n'en coûtent pas moins au budget près de quatre cent mille francs par an (1). Ce qui semblera incroyable, mais n'est, bêlas! que trop vrai, c'est que, dans le budget du ministère des finances de 1863, il figure cinq mille trois cent soixante-six employés en expectative. A Turin, les employés du ministère de la guerre sont au nombre de huit cents.

-

Dans les budgets de 1863 présentés à la chambre, entre autres dépenses extraordinaires on trouve les sommes suivantes inscrites pour «solde des employés en expectative, en disponibilité ou hors cadre»:

Ministère des finances 3,300,000

Ministère de grâce et justice 1,154,316

Ministère des affaires étrangères 100,000

Ministère de l'instruction publique 200,000

Ministère de l'intérieur 1,000,000

Ministère des travaux publics 326,000

Ministère de la guerre 1,286,790

Ministère de la marine 179,500

Ministère de l'agriculture et du commerce 197,273

Total: 8,344,684 fr.

- Le municipe de Naples vote cent mille francs pour fêter l'arrivée de Victor-Emmanuel; vingt mille francs sont affectés pour la seule construction du pavillon royal sur le quai de débarquement (2); un seul buste un plâtre de l'empereur Napoléon III, coûte seize cents francs.

Notons en passant plusieurs autres gaspillages du municipe napolitain: quatre mille neuf cents francs

(1) Gazette du Peuple, 40 avril.

(2) Gazette de Milan.

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pour l'érection d'une chapelle au Champ-de-Mars à l'occasion de la bénédiction des drapeaux de la garde nationale; mille neuf cents francs pour les travaux du Foro-Carolino dans les fêtes du 14 et 19 mars;quatre mille sept cents francs pour faire chanter un Te Deum d'anniversaire dans l'église Saint-Vincent-de-Paul; Trente-cinq mille cinq cents francs pour l'anniversaire de l'entrée de M. Garibaldi; trois cent cinquante francs pour l'arrosement d'un jour dans une seule-rue; six mille francs au syndic de Naples pour préparer par anticipation dans l'été de 1862 des fêtes en l'honneur de l'arrivée de Garibaldi, qui en somme n'est pas venu; six mille francs pour deux cent vingt urinoirs dix mille deux cents francs pour deux maigres embellissements à la villa nationale.

Le comité de Palerme, comme on le sait, comité révolutionnaire et secret, déplore ces scandaleux gaspillages dans une proclamation en date du 21 septembre (1), et parle en ces termes au peuple sicilien: «Dès que l'état de siège nous fut imposé, la solde des officiers fut doublée comme s'ils étaient entrés en Vénétie; le seul général Brignone toucha 4,000 francs d'entrée en campagne, et voilà pourquoi lui et les siens ont tant intérêt à prolonger l'état de siège le plus qu'il sera possible.»

Le poète Prati, pour une poésie écrite à l'occasion du mariage de la princesse Pie, reçoit une gratification de 30,000 francs.

-

Il faut lire le rapport (2) de M. Sacchi pour sonder

(1) La Discussione, journal de Turin des 4 et 13 octobre. (2) Secrétariat générai des finances napolitaines, p. 16.

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l'abus qui s'est fait des finances napolitaines laissées par les Bourbons dans un si florissant état: «Le numéraire de la Banque de Naples qui, au 27 août 1860, était de 77,265,180 francs, au 27 septembre, c'est-à-dire après la proclamation de la dictature, était réduit à 31,600,460 francs, et du 2 avril suivant, c'est-à-dire après la venue du roi Victor-Emmanuel, à vingt-quatre millions.»

Malgré la capitulation de Gaëte, malgré les protestations réitérées du Conseil fédéral suisse, le Piémont refuse obstinément de payer l'arriéré de leur pension aux familles des soldats suisses qui, depuis tant d'années, étaient au service du royaume des Deux-Siciles, et qui se trouvent réduits à la plus profonde misère (1).

Le ministère de Turin prend six millions de francs à la caisse de la Banque de Naples; à la suite de cet acte odieux d'arbitraire, le directeur offre sa démission.

Le ministère, sous le prétexte de hûter la fabrication de la monnaie d'argent à Turin, fait enlever les dépôts métalliques existant à la Monnaie de Naples, représentant une valeur de plusieurs millions. La fraude est d'autant plus évidente que trente-deux balanciers sont inoccupés à la Monnaie de Naples où l'on pouvait frapper les pièces en moins de temps qu'à la Monnaie de Turin. Toutes récriminations des Napolitains à cet égard demeurent sans résultat.

La presse de toute nuance (2) est unanime à rapporter les actes de péculat qu'on va lire: pour se rémunérer de ses souffrances politiques passées, le ministre

(1) Journal de Francfort.

(2) La Nazione, de Florence; le Popolo d'Italia; l'Opinione, de Turin, n° 87,etc.

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Conforti (1) s'accorde une somme de près de 300,000 fr. prise sur les deniers de l'État;M. Scialoia, pour les mêmes raisons, accorde à son père près de 75,000 fr.; MM. de Cesare et Ferrigni reçoivent 165,000 fr.; M. Farini qui voulait mourir pauvre et qui mourra fou, 45,000 fr. par mois; le romancier Alexandre Dumas, rédacteur en chef du journal napolitain l'Indipendente, l'énorme somme de 1,600,000 fr. Que donnera-t-on un jour à la pauvre Italie pour tant de honte et tant de souffrances politiques!

Ce matin, il a été enregistré un mandat de plus d'un million de francs, signé du ministre des Finances, en faveur de l'ex-président du conseil Rattazzi, pour dépenses secrètes de basse police (2).

Le 24 décembre 1861, la lieutenance-générale de Naples fait afficher le décret qui soumet les provinces napolitaines au payement du décime de guerre, à partir du 1er janvier 1862. Ce nouvel impôt s'étend à toutes les brandies de la richesse publique et atteint jusqu'aux professions libérales; il pèse sur la propriété foncière, sur les personnes, sur l'industrie, le commerce, le crédit mobilier, les boissons, l'enregistrement, le timbre, les hypothèques, les recettes des chemins de fer, les droits de

(1) Ce fait honteux a donné lieu, dans les journaux, à de scandaleuses polémiques.

(2) Celle noie a été publiée parla plupart des journaux italiens, au commencement du mois de décembre.

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douane, etc. Les avocats, les médecins, les architectes, personne n'en est exempt (1).

Un journal de Naples (-2) a publié un article énergique sur ce qu'il appelle la Babel administrative d'Italie. Un autre s'écrie: «L'Italie n'est pas faite, mais défaite; Naples et le royaume ne sont pas unis au Piémont, mais absorbés et dévorés par lui.»

La lieutenance-générale de Naples décrète une mesure inquisitoriale si odieuse qu'elle paraît incroyable: les négociants ont été invités à déclarer par écrit la quantité des diverses monnaies d'or, d'argent et de cuivre qu'ils possèdent dans leurs caisses particulières. Le prétexte de cette tyrannique investigation est un prétendu projet de réforme monétaire (3).

-

Le Piémont va jusqu'à raffiner l'impôt; le ministère propose au parlement de taxer diverses concessions du gouvernement: le titre de prince à cinquante mille francs, celui de duc à quarante mille; trente mille pour un marquis; vingt mille pour un comte; vicomte, quinze mille; baron, dix mille; pour une addition au nom patronymique, mille francs; mille francs pour les écussons des municipes, et cinq cents pour ceux des particuliers; la moitié du revenu des bénéfices ecclésiastiques et des chapellenies; cent francs pour port de décoration étrangère; de cent à neuf cents francs pour la concession de foires ou marchés, selon le nombre des habitants; trois pour cent sur les pensions viagères des employés civils,

(1) Un impôt de quelques centimes mis sur les fruits par un vice-roi espagnol amena la révolution de Masaniello.

(2) Le Popolo d'ltalia, décembre 1861.

(3) Mars 1862.

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militaires et de leurs veuves; de vingt-cinq à mille francs pour l'approbation des sociétés commerciales, selon leur capital; cent francs pour la confirmation de grades universitaires pris à l'étranger ou pour autoriser un étranger à exercer une profession dans le royaume; cent francs pour être naturalisé; cinquante francs enfin pour la dispense matrimoniale au degré prohibé.

Quelques députés présentent le projet de loi «de faire payer une taxe de cinq centimes pour toute personne entrant dans les théâtres de comédie ou de chant, manèges, gymnases, bals et cirques (1).»

La nouvelle taxe sur l'enregistrement et le timbre produit à Naples la plus grave agitation; le public proteste par des démonstrations menaçantes; la garde nationale accourt, mais le tumulte ne fait que grandir de jour en jour, non-seulement à Naples, mais encore dans les provinces, et de pressants télégrammes se succèdent à ce sujet au ministère de l'intérieur de Turin (2).

L'indignation produite par la nouvelle taxe devient si vive en Sicile que le peuple parcourt les rues de Palerme en poussant des cris de menace. Le gouvernement, intimidé, obéit aux vœux des Siciliens et remet à des temps plus favorables le recouvrement du malencontreux impôt. Heureux Siciliens! car les Napolitains n'en étaient point quittes pour si peu: on doubla chez eux le nombre des soldats et des canons; il fallut payer.

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De nombreuses pétitions au parlement de Turin décèlent l'irritation que produisent ces tyranniques impôts, et amènent d'importantes discussions.

(1) Séance du 17 janvier.

(2) Le Nomade, journal napolitain, numéro du 2 juin.

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Le député Mancini (1) en profite pour exposer le tableau comparatif des-dits impôts sous le gouvernement bourbonien et sous le gouvernement piémontais:

Sotto il governo Borbonico Sotto il governo Piemontese

1. Tasse fiscali su gli atti civili, e contratti lire 2,703,750 18,000,000

2. idem su gli atti giudiziari " 799,000 2,800,000

3. idem su le successioni " nulla 6,000,000

4. idem sul registro, e bollo " 2,863,000 10,800,000

5. idem, so gli atti amministrativi " nulla 884,600

Totale

" 6,365,760 38,434,000

Le député Mancini présente ces autres observations: «Autrefois, avec les lois antérieures en vigueur dans les provinces méridionales, on payait six millions de francs d'enregistrement et de timbre; aujourd'hui, avec les nouvelles lois, les mêmes taxes, c'est effrayant à dire, montent environ à trente-neuf millions. Ainsi, en un instant, elles se sont augmentées de presque sept fois plus.»

Le député Ricciardi (2) affirme «que l'odieuse loi nouvelle sur l'enregistrement et le timbre, au lieu d'augmenter les ressources du Trésor, n'a apporté qu'une diminution de 33 millions.»

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Le ministère envoie de Turin à tous les préfets napolitains des circulaires secrètes, leur insinuant de faire promptement rédiger des délibérations municipales en faveur des nouvelles taxes. Le gouvernement cherche ainsi, comme d'habitude, à tromper l'opinion sur les véritables tendances et les véritables désirs des populations.

(1) Séance parlementaire du 21 juillet.

(2) Séance parlementaire du 15 decembre.

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En dépit du déplorable état de nos finances, le gouvernement propose d'élever à 18 millions de francs la liste civile du roi, qu'une loi de 1860, avant les annexions, fuait à 10,950,000 fr.

Le député napolitain Ricciardi (1).s'oppose en ces termes à cette énorme augmentation: «Alors que nous sommes si chargés d'impôts, je ne crois pas convenable d'accorder au roi cette augmentation; c'est pour ce la que je loue la commission parlementaire qui a repoussé l'article proposé par une très-grande inadvertance du ministère, avec lequel on entendait grever le Trésor de huit cent mille francs de dépenses faites pour le voyage du roi à Naples.»

On parle de mettre un impôt nouveau sur les chats, les perroquets et autres oiseaux de luxe, les pianos, les photographies et les balcons.

Il serait oiseux d'ajouter des commentaires aux faits qu'on vient de lire, ils parlent avec assez d'éloquence; mais en forme de conclusion que l'on me permette de reproduire un important document (2) adressé de Turin à M. Fould, par le marquis de Lisle de Siry, rapport daté du 5 janvier 1863, et ne concernant que la situation des finances du royaume d'Italie.

«De l'ensemble des documents officiels que j'ai eu l'honneur de vous exposer dans ma Note d'hier, il résulte que l'Italie, d'après ses propres calculs, se trouvera, à la flnde l'exercice courant, en présence d'un découvert d'environ 800 millions de francs, et que les dépenses de 1862 ne s'élèveront pas à moins de 900 million?

(1) Séance parlementaire du 2 août.

(2) Extrait de l'Europe, journal de Francfort.

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L'évaluation des recettes effectives étant de 525 millions, et les dépenses du ministère des finances s'élevant à elles seules à 375 millions, il en résulte qu'il ne restera que 150 millions pour faire face à toutes les autres charges de l'État.

» Ces chiffres pourraient encore être discutés; mais par excès d'impartialité, je les ai acceptés comme vrais, me bornant seulement à rectifier ceux qui étaient manifestement faux.

» L'Italie ne pouvant pas se permettre le luxe d'une politique que ne comporte pas sa fortune, il faudrait pour prévenir le mal, qu'elle changeât radicalement de système; mais, comme elle n'en fera rien, il convient que, dès à présent, nous cherchions à sauvegarder nos intérêts beaucoup trop engagé? déjà dans ses affaires.

» M. de Sartiges, conformément à vos instructions particulières, a engagé le gouvernement italien à réorganiser son administration financière, en faisant rendre à l'impôt tout ce qu'il peut donner, et en réduisant son armée et sa marine de manière à obtenir un à-peu-près, d'équilibre budgétaire.

» La réponse fut pleine de promesses sur le premier point et absolument négative sur le second.

» On accepte, en paroles, que des fonctionnaires habiles soient détachés de nos différents services pour aider à la réorganisation financière; mais, en fait, on se gardera bien de profiter de votre offre. Ou aime à se persuader ici que les employés italiens en remontreraient de beaucoup aux nôtres.

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» Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'encourager le gouvernement à l'endroit de cette réorganisation, dont il comprend toute l'importance. L'uniformité de régime a été établie sur tous les points où cela était praticable. Il a la bonne volonté d'accroître les impôts existants et d'en créer de nouveaux; mais, ce que le parlement accorde souvent sans marchander, les populations rurales le rejettent sans récriminer. Elles se contentent de ne pas payer, et le gouvernement doit subir cette silencieuse opposition; car il est convaincu que, s'il les pressurait trop, leur apathie politique se changerait aussitôt en hostilité.

» Et d'ailleurs, quels sacrifices peut-on exiger de populations dont le salaire journalier moyen est de 60 centimes et même de 40 et 35 centimes, comme cela existe dans certaines localités du royaume de Naples?

» Cela pourra changer avec le temps; mais les hommes les plus éclairés, tout en faisant des vœux pour l'accomplissement futur de la richesse publique, pensent que, de longtemps encore, il ne faut pas espérer un accroissement notable du revenu.

» La situation peut se résumer en peu de mots: Impossibilité d'accroître le revenu dans le présent. Pas d'économies. Continuation d'une politique à outrance qui mènera droit à la ruine.

» La catastrophe est facile à prévoir. Elle pourra être retardée par des emprunts ou d'autres combinaisons d'une moralité au moins douteuse, qui, du reste, ne semblent pas effrayer ces gens-ci, puisque M. Sella, en se préoccupant de tirer 55 millions de l'impôt sur le revenu, y cherchait plus encore à se créer des bases pour les emprunts forcés de l'avenir.

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» Espérons que M. Minghetti, moins capable, sera plus scrupuleux.

» Quels sont, d'ailleurs, les moyens d'éviter les emprunts?

» En dehors de l'émission épuisée des bons du Trésor, n'y en a pas d'autres que la vente des chemins de fer de l'État, dont on espère obtenir 150 millions, et celle des biens nationaux, dont le revenu est évalué à 12 millions et demi.

» Cela suffira à peine aux dépenses de 1862.

» On parle aussi de vendre les biens de la Caisse ecclésiastique, ceux de main-morte et des communes. Mais si la vente des biens nationaux profite tout entière au Trésor, il n'en sera pas de même de la vente de ceux-ci. Elle ne pourra se faire qu'à un titre onéreux, c'est-à-dire en appliquant de nouvelles renies aux possesseurs de ces biens. On grèverait de la sorte l'avenir au profit du présent, et la catastrophe, ainsi retardée, n'en retomberait que plus lourde.

» Et quelles seraient d'ailleurs les Compagnies foncières assez osées pour aborder une pareille entreprise? L'exemple de l'Espagne et du Portugal n'est-il pas là pour nous laisser entrevoir les résultats probables* d'une semblable opération?

» Quoi qu'il en soit, bonne ou mauvaise, cette combinaison nécessiterait une avance considérable de fonds, et c'est sur la place de Paris que l'on compte, soit directement, soit indirectement, pour se les procurer.

» On parle tout haut de former des cadres, de se préparer contre l'Autriche, de créer une puissante marine, et on se flatte tout bas qu'un jour l'Italie avec ses quatre cent mille soldats, pourra s'imposer comme médiatrice armée,

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sinon comme arbitre, à la première rupture entre les grandes puissances. Ce sont là des rêves de cerveaux malades, mais les folles idées peuvent conduire aux folles actions, et les hallucinations malsaines sont moins à craindre ailleurs qu'ici, ou les populations ont du bon sens, mais en même temps une profonde indifférence pour tout ce qui ne touche pas ostensiblement à leurs intérêts matériels.

» Il serait outrecuidant, monsieur le Ministre, de vouloir vous signaler les dangers d'une pareille situation; permettez-moi cependant d'en dire quelques mots.

» Avant les annexions, les fonds du royaume de Naples étaient tellement élevés que les petits capitaux français ne les recherchaient même pas. Les fonds piémontais, émis dans de sages proportions, étaient également d'une circulation restreinte. Mais, à partir de l'emprunt Bastogi, notamment, les fonds italiens furent tellement recherchés en France, en raison de leur "bas prix, que je n'hésite pas à dire qu'au moins les huit dixièmes de cet emprunt sont entre les mains de nos nationaux.

» Le prix des petites coupures indique assez dans quelles mains elles se trouvent placées.

» Si la situation doit aboutir infailliblement à une liquidation désastreuse, que nous ne pouvons prévenir, tâchons du moins qu'elle ne retombe pas tout entière à notre charge.

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Les gros capitaux savent se défendre; mais il n'en est pas de même des petits, dont l'État a la tutelle; et il conviendrait, je crois, comme mesure efficace, que Je gouvernement de l'Empereur fermât dorénavant les marchés français à toutes les valeurs italiennes, tant de ses Compagnies de chemins de fer que de ses Compagnies foncières et de ses emprunts, dont un, quoi qu'eu dise M. Minghetti, me paraît imminent.»

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ARMÉE

Tout Italien est un héros à son heure!

Joseph Garibaldi.

I

On a le tort grave de croire que ce qu'on est convenu d'appeler l'armée italienne soit animé des mêmes sentiments de fidélité et de loyauté que l'ancienne armée piémontaise. Avant qu'un dualisme déplorable, et dont tous les effets ne se sont pas encore produits, n'eût éclaté entre le drapeau de la maison de Savoie et le drapeau des chemises rouges, l'armée piémontaise peu nombreuse, mais fortement disciplinée, pouvait prétendre en Europe à l'un des premiers rangs dans l'honneur.

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A la suite de brutales annexions opérés par une soldatesque cosmopolite, on a vu de plus en plus s'éclipser l'élément national et s'oblitérer dans l'armée les vieux principes qui l'illustraient naguère. On fomenta la trahison, on l'encensa, on la récompensa, on la couvrit de broderies et de crachats; aux épées vendues on noua des dragonnes d'honneur; on déguisa sous les dorures l'ignobilité des traîtres et des renégats. Le soldat croit bien faire en suivant l'exemple du chef que le roi lui donne. Si ce chef est un Nunziante, que surnagera-t-il du serment de fidélité inviolable, à l'heure où la guerre sera franchement déclarée entre les monarchistes unitaires et les héritiers de la Jeune-Italie? Ce n'est pas une armée, ces cohortes commandées par Judas ou par un bourreau, habituées à piller comme à fusiller, rongées intimement par la funeste et puissante camorra, et devant lesquelles l'argent piémontais forçait les consciences et les portes, comme pour entacher d'infamie jusqu'à la victoire même. Vous avez semé la désertion et le parjure, croyez-vous recueillir l'honneur et la fidélité? Parce que vous avez rencontré des porte-épaulettes infâmes, traîtres à leur roi et à leur patrie, croyez-vous avoir tué dans un peuple de dix millions d'âmes le sentiment national, et je dirai plus, le sens commun?

Sous prétexte d'apporter la liberté, il n'y a pas un impôt que le Piémont n'ait doublé, triplé, décuplé; l'impôt du sang même, cette négation première de la liberté individuelle, est plus despotique que jamais, et renouvelle annuellement dans la partie robuste des populations la

haine de l'invasion étrangère et du douloureux piémontisme.

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Ainsi, sous les tyrans, le recrutement ne dépassait jamais le chiffre de dix-huit mille hommes; sous le règne des libérateurs il dépasse trente-six mille. Sous les tyrans, l'exemption du service militaire coûtait environ mille francs; sous les libérateurs, elle en coûte trois mille. Sons les tyrans, les lauréats universitaires et les fils uniques étaient exemptés de la conscription; sous les libérateurs, la réquisition n'a pas d'exception.

Enfin, que sont donc venus apporter les Piémontais à ceux qu'ils prétendaient régénérer? l'éloge de la trahison, la vénération du déshonneur, de fabuleux impôts, la faim, la ruine, des massacres, des incendies, l'anarchie et, comme couronnement du nouvel édifice politique et social, un statut informe, plus informe encore quand il se compare au Code napolitain.

On a créé des gardes nationales, on les a créées de force en les affublant du harnais turinois; aussi ne se passe-t-il de jour sans que la Gazette officielle n'enregistre des licenciements de gardes nationales napolitaines, ou que les feuilles indépendantes nous donnent le détail de quelque fraternel banquet entre gardes-nationaux et brigands. Et cependant il s'est trouvé un ministre de l'intérieur pour oser écrire, dans une véhémente circulaire au sujet des désertions militaires, ces mots qui peuvent offrir la juste appréciation du ballotage anarchique où vague le royaume d'Italie: «Les gardes nationales, avec leur actif concours, ont à surveiller l'armée régulière.»

Je ne nierai pas qu'il n'existe dans le royaume de Naples quelques gardes nationales convaincues de la super excellence du régime piémontais,

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ou du moins chez lesquelles la majorité est enchantée d'être annexée et de porter le plumet sarde; mais toute révolution produit plus d'imbéciles que de traîtres; à Naples comme à Moscou, à New-York comme à Pékin, l'humanité aime le changement; mais combien j'en ai vu là-bas, de ces pauvres diables illusionnés d'un jour ou d'un an, revenus du piémontisme, de ses œuvres et de ses pompes, et demandant pardon à Dieu et aux hommes d'avoir coopéré au meurtre de quelques paysans ou de quelques brigands '

Eh bien! en regard de cette armée d'annexion dont l'avant-garde était la lie des rebuts européens, je veux placer le tableau de cette armée royale napolitaine, non vaiucue, mais trahie, qui, deux ans après l'écroulement de Gaëte, tient encore le drapeau blanc planté sur les montagnes, combat et meurt pour l'indépendance nationale, pour la souveraineté nationale, pour ce jeune roi qui, calme et pur au-dessus de tant d'orages et de hontes, personnifie en Italie la foi, la vaillance, l'honneur!

La presse piémontiste a raconté souvent avec d'enthousiastes accents la fusion fraternelle de l'ancienne armée royale napolitaine avec les cohortes subalpines. Au sein du sénat piémontais (1), le général della Rovere, ministre de la guerre, interpellé sur l'ancienne armée napolitaine, a formulé cet aveu presque naïf: «De cette ancienne armée, quatre-vingt mille soldats ont refusé de servir sous les drapeaux du roi Victor-Emmanuel.» C'est le chiffre total des soldats napolitains à l'époque de l'irruption piémontaise.

Et maintenant il ne me reste qu'à fustiger les misérables

(1) Séance du 1" février 1862.

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renégats, usuriers changeant de cocarde, acteurs au prologue de la sanglante comédie du Nord, Brennus impudents qu'on vit mettre leurs épées dans la balance et les vendre au poids des écus.

Ils allèrent jusqu'à oser se plaindre un jour au parlement piémontais (1) de n'avoir pas été traités convenablement dans l'opération de fusion des deux armées napolitaine et sarde. A ce propos, le député Nicotera prit la parole et déclara que ces parjures s'étaient vendus à l'avance au comité révolutionnaire de Basilicate. Un autre député, le général Cugia, révéla: «Que les réclamants avaient eu assez peu de modestie pour s'arroger de leur propre autorité un avancement de trois grades; ainsi les sergents s'étaient faits capitaines, de même que les capitaines s'étaient faits colonels; et de plus ces hommes aussi lâches que traîtres n'avaient jamais pris part à aucun combat.»

II

Les paysans évitent de donner des renseignements ou les donnent faux aux troupes piémontaises qui font la chasse aux brigands. Tout dernièrement encore dans les bois de Santa-Croce di Magliano, une compagnie entière commandée par le capitaine Rota est tombée et a péri dans l'embuscade où l'avaient amenée les faux rapports des paysans.

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Au mois d'août, un officier, un fourrier et deux caporaux piémontais partis de Palerme

(1) Séance du 27 mars 1861.

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en voiture essuient près de Termini une décharge de mousqueterie qui tue l'un et blesse grièvement les autres (1).

Deux officiers piémontais allant de Bari à Naples, aux environs du Val-de-Bovino, sont faits prisonniers par un détachement de réactionnaires et fusillés sur-le-champ (2).

Près de Lucera, le détachement piémontais commandé par le capitaine Richard, est entouré et massacré par un détachement napolitain (3).

Le 14 décembre, entre Castellamare et Agerola, on trouve deux gendarmes assassinés.

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Ou lit dans la Stampa (4), de Turin, au sujet des pouvoirs arbitraires déférés à l'autorité militaire dans les provinces napolitaines: «Le soldat n'écoute d'autre code que le sien; il ne lui vient pas à l'esprit qu'en dehors de son code il en soit d'autres également sacrés et plus précieux à l'intérêt social. Dites-lui qu'un tel est un coquin, il vous répondra: Pourquoi vous appesantir sur ce drôle? fusillez-le, il n'en sera plus question. Nous savions trop bien tous les malheurs que devait attirer sur les provinces napolitaines la prépotence souveraine du soldat. Nous les avons annoncés, mais nos amis n'en ont pas soufflé mot au parlement, soit par charité patriotique, soit parce qu'il ne servirait à rien d'en parler.»

(t) Gazzetta del Popolo.

(2) Gazzetta di Napoli, 28 mars.

(3) Il Pungolo, 26 mars.

(4) 29 décembre.

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Lettre d'un soldat piémontais détaché dan les provinces napolitaines (1): «Nous nous trouvons dans le royaume des Deux-Siciles sur le même pied que les Autrichiens à Novare en mai 1859, tant nous sommes odieux aux habitants qui nous dénoncent à l'autorité à propos de rien. Ainsi le ministère vient de destituer de cette manière un excellent capitaine; le seul bataillon du 47e de ligne, dans l'Abruzze extérieure, a vu porter quinze réclamations contre ses officiers, que l'on hait et qui risquent ainsi non-seulement leur vie, mais encore leur position sociale. En résumé, ces barbares ne veulent pas être Italiens, et n'ont pas honte de répéter à qui veut l'entendre, et à nous-mêmes, qu'ils voudraient être encore Napolitains comme devant.»

Les journaux indépendants des Deux-Siciles reprochent aux militaires piémontais leur dureté systématique, leur insupportable orgueil et leurs airs de conquérants, qui leur ont valu d'être odieux à tous; on les exile et on les isole, et l'on a vu jusqu'à des jeunes filles du plus humble rang refuser d'épouser des officiers par haine des destructeurs de leur patrie.

Des derniers jours de 1861 au mois de mars 1862, quatre mille six cent trente-trois déserteurs Italiens sont passés en Vénétie, tandis que dans la même période de temps le Piémont ne reçut que cent vingt-un déserteurs autrichiens.

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Le baron Ricasoli, président du conseil des ministres, trouve le courage de dire dans une circulaire diplomatique (2): «Une nombreuse levée est ordonnée dans

(1) Cette lettre a été publiée par la plupart des journaux.

(2) 3 janvier 1862.

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les provinces méridionales, et aussitôt les recrues s'empressent d'accourir avec enthousiasme sons la bannière italienne.» Nous savons bien qu'en Italie on croit ne pouvoir gouverner sans mentir; mais le mensonge même a des bornes à son audace. Les faits qui suivent réfutent d'eux-mêmes la circulaire du baron Ricasoli.

A Castellamare de Stabia, on choisit un jour de fête pour les opérations de la levée. Toutes les recrues avaient pris la fuite, moins deux (1). A Pausilippe, près de Naples, de cinquante-trois inscrits les gendarmes ne parviennent à en arrêter que deux. Les autres ont disparu. A Bénévent, où sous le tyrannique gouvernement pontifical on ne savait ce que c'était que le recrutement, le i \ janvier, jour du tirage au sort, il ne se présente pas un seul conscrit (2). Dans les îles Eoliennes, qui, sous le despotisme des Bourbons avaient toujours été% exemptes du recrutement, il ne se présente également pas un conscrit, le jour du tirage au sort.

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Le major Caimi, à la tête d'un cent de gendarmes, du 21" bataillon de bersaglieri et de plusieurs compagnies du 31e de ligne, est envoyé dans les îles Eoliennes pour faire la chasse aux réfractaires. Ses troupes cernent inopinément et successivement les villages de Lipari, Stromboli, Alicuri, Folicuri, Panaria et des Salines; on empoigne les réfractaires qu'on parvient à découvrir, et on les envoie sous escorte, attachés comme des malfaiteurs, au 5e dépôt, à Messine (3).

(1) Le journal le Veritiera, U janvier.

(2) Le Veritiera, 15 janvier.

(3) Journal officiel de Sicile, mars 1862.

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Des troubles fort graves éclatent à Castellamare del Golfo, en Sicile, le 1er janvier, à l'occasion du recrutement. Le peuple prend les armes, s'insurge et parcourt le pays en criant: A bas la levée! mort aux Piémontais! vive la République! On menace de mort le chef de la sûreté publique, son fils et le syndic de la ville. Les gendarmes et le juge de paix sont chassés à coups de fusil. Le commandant de la garde nationale et sa fille sont massacrés, on met le feu aux maisons des piémontistes, et à toutes les administrations publiques. Un détachement de cavalerie accourt d'Alcamo; le commandant Varvaro et sept de ses hommes perdent la vie dans le combat. Le Piémont a peur, peur que l'insurrection ne s'étende, et résout d'écraser Castellamare. Attaquée par terre et par mer la ville se défend vaillamment avec deux obusiers, et cause aux assaillants des pertes sensibles; mais un bombardement régulier la force à capituler. L'infanterie piémontaise opère son débarquement, fusille sur la plage vingt-sept individus dont on ne savait pas même les noms, et vingt-sept insurgés sont envoyés au bagne; quant au noyau de l'insurrection,'il s'est jeté dans les montagnes (1).

L'Opinione, organe semi-officiel de Turin, publie (2) une correspondance de Palerme qui affirme que «l'insurrection de Castellamare mérite d'attirer toute l'attention du gouvernement et du pays, parce qu'elle avait des ramifications sur tout le littoral de la Sicile.»

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Le député Crispi interpelle le ministère (3) sur les faits tragiques de Castellamare:

(1) Le Diritto, journal de Turin, 5 janvier.

(2) 13 janvier.

(3) }1 janvier.

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«Ces faits ont une importance plus grande que ne le peuvent faire croire les réticences de la Gazette officielle, les autorités locales en ayant été informées vingt jours à l'avance... Le mécontentement en Sicile est très-grave, surtout contre le recrutement.»

Le député d'Ondes-Reggio (1) censure gravement «le massacre instantané des individus qu'on a fusillés sans aucune forme de jugement ou de légalité,» et s'élève contre cet acte de barbarie frappant des citoyens «qui, de plus, pouvaient être innocents.»

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Un grand nombre de Siciliens s'enfuient à Malte; dans la dernière semaine du mois d'octobre, il en arrive jusqu'à soixante; un seul jour en vit débarquer vingt-six. Tous ces hommes fuient le recrutement piémontais (2). o L'ordre de recrutement a irrité la Sicile; pour y échapper, les recrues se jettent dans les montagnes ou émigrent; à Malte il en arrive journellement un grand nombre (3).» «Quarante conscrits de Lecce, se rendant au conseil général de recrutement siègeant à Bari, arrivés à Mola, prennent la fuite et s'embarquent secrètement pour la Dalmatie, où ils arrivent après une traversée de deux jours et sont bien accueillis parles autorités civiles (4).» A Monte-di-Procida, près de Naples, l'annonce du recrutement produit un soulèvement; le syndic est maltraité, et le peuple incendie la maison d'un pharmacien piémontiste.

(1) 18 janvier.

(2) Le journal le Malta-Times, novembre 1862.

(3) Le journal la Stampa napolitana, 22 novembre.

(4) Le journal L' Osservatore napolitano, 15 mai.

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III

Au sein du Parlement même (1), les députés Pace, Ricciardi et Minervini rendirent justice au paternel système de recrutement pratiqué sous les Bourbons «qui avait donné une armée de bons soldats, système paternel, économique, efficace plus que partout ailleurs, bien supérieur au système nouveau introduit par le Piémont, qui est dispendieux et d'origine allemande.»

Les feuilles napolitaines s'élèvent unanimement contre le mode indigne et inusité dont le gouvernement opère la levée. Les recrues sont escortées par des gendarmes, qui les conduisent publiquement par les villes, les mains liées comme des malfaiteurs (2).

Les conscrits de Castelbuono, en Sicile, dirigés sur Cefala, vers la fin de décembre, désertent tous en route. «En Sicile, au premier appel de la dernière levée, plus de la moitié des inscrits se sont rendus contumaces (3). Le journal le Precursore annonce que, «dans la nuit du 31 décembre, trente-six réfractaires se sont évadés du lazaret de Palerme et se sont enfuis par mer.

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Un journal ministériel (4) laisse échapper l'aveu suivant: «En Capitanate, la topographie du pays est favorable aux manœuvres; la température y est douce, et les propriétaires peu résolus à combattre la réaction:

(1) Séances des 14 juin et 11 juillet 1861.

(2) Voir les journaux des Deux-Siciles des mois de novembre et décembre.

(3) Il Carriere siciliano, feuille ministérielle.

(4) Le National, décembre 1861

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telles sont les causes qui font que le brigandage se maintient victorieux par l'augmentation quotidienne des bandes, qui se multiplient par l'adjonction de nombreux réfractaires. Les opérations de la levée sont sans résultat pour le recrutement de l'armée; car, de trente-six mille hommes demandés, quatre cents soldats ont pu à peine être dirigés sur Gênes par le vapeur le Volturno.»

A Parco, le peuple envahit la mairie, déchire les listes des conscrits et brise les écussons aux armes de Savoie.

Aucune des communes du district de Patti ne fournit le contingent demandé. A Tortorici, sur cent vingt-huit jeunes gens tombés au sort, cent vingt-quatre ont manqué à l'appel. A Castellamare del Golfo, quand le conseil de recrutement put fonctionner, après le bombardement de la ville, il ne se présenta, en fait de conscrits, à trois exceptions près, que tous les bossus, borgnes, boiteux, manchots, estropiés, aveugles, sourds-muets, etc., de la classe de 1842. Sur la fin de l'année, des troupes bloquent les communes d'Aderno, Paterno et Biancavilla, jusqu'à ce qu'on ait procédé à l'arrestation des conscrits; aucun habitant ne put sortir de la commune tant que dura l'opération.

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Les conscrits sont transportés en Piémont d'une manière si barbare et si inhumaine que, dans la traversée de Naples à Gênes, sur le pyroscaphe Général Garibaldi, il en meurt deux de froid, et environ deux cents autres sont débarqués dans un déplorable état (1).

(1) Ce fait a été relaté par tous les journaux italiens.

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Une circulaire secrète du ministère de la guerre (1) recommande aux commandants de corps d'exercer la plus active surveillance, non-seulement pour réprimer, mais encore pour prévenir les désertions, dont le nombre s'accroît scandaleusement tous les jours.

Huit soldats napolitains, du 15e régiment de ligne, désertent de Saluces, au commencement du mois de janvier. Dans la soirée du 2 janvier, vingt-six soldats napolitains, appartenant au 56" de ligne, désertent du dépôt de Fano. Quatorze soldats sont jugés par le tribunal militaire de Turin, devant lequel ils comparaissent sous l'inculpation de désertion avec complot. Ils faisaient partie des quatre-vingts et quelques Napolitains qui désertèrent ensemble de Savigliano, le 20 novembre 1861 (2). Vers la fin du mois de février, neuf soldats de la garnison de Crémone désertent (3). Dans la première quinzaine de mars, cinquante et un déserteurs abandonnent le 8" de ligne, qui n'était déjà plus que l'ombre d'un régiment. En mars, arrestation de vingt-neuf déserteurs napolitains, appartenant au régiment Royal-Piémont, en garnison à Cremone (4). En avril, treize Napolitains désertent de Casalmaggiore (5). A la fin du même mois, on découvre un complot de désertion formé par des recrues, sur lesquelles on saisit des poignards (6).

(1) Janvier 1862.

(2) Gazzette de Turin, janvier 1862

(3) Carriere cremonese, 1er mars.

(4) Le journal II Pungolo, 18 avril.

(5) Carriere cremonese, 20 avril.

(6) Le journal la Politiea del Popolo, de Milan, 27 avril.

60

En un seul jour, cent soixante-treize soldats désertent de Castellamare de Naples (1). Non-seulement les soldats, mais encore les conscrits désertent en grand nombre, au dire du Diritto, journal de Turin (2); ainsi, le 25 mars, il en est déserté huit du quartier San-Potito, à Naples, et, du quartier de Sainte-Lucie de Caserte, plus de deux cents, qui ont pris le chemin des montagnes avec armes et bagages.

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On écrit de Momo, province de Novare, que les désertions continuent à être très-fréquentes. Le 25 avril encore, sept déserteurs à cheval ont été arrêtés par les gendarmes piémontais (3). Seize soldats du 9e de ligne désertent de Monza et passent en Suisse; ils sont tous napolitains (4). Le 29 avril, le général commandant la division de Modène eut vent d'un vaste complot de désertion tramé par d'anciens soldats de l'armée royale napolitaine. Cinq hommes du 59e de ligne et deux bersaillers furent mis aux fers. Le soir même, les gendarmes purent opérer l'arrestation des déserteurs (a). Dans l'arrondissement de Montepulciano et à Colle, on arrête un certain nombre de déserteurs. A San Quirico, les gendarmes arrêtent un militaire sicilien, qui avait déserté de Gênes (6). Cinq déserteurs napolitains entrent à Milan, escortés par la garde nationale de Rossano (7).Dans la nuit du 18 mai, sur la grande route du Tiglio, près Vico Pisano, dix déserteurs napolitains,

(1) Le journal l'Epoca, 25 avril.

(2) 31 mars.

(3) L'Opinione, journal de Turin, 28 avril.

(4) Gazette de Milan, 30 avril.

(5) Gazette de Modène, 30 avril.

(6) Le journal II Fora, 18 mai.

(7) Le journal Il Lombardo, de Milan, 21 mai.

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de la garnison de Lucques, sont arrêtés par les gendarmes (1).

Dans la nuit du 23 juin, un grand nombre de soldats napolitains désertent des quartiers militaires de Naples (2). Un journal libéral de Naples, la Patria, du 1er juillet, déplorant l'esprit de désertion qui infeste l'armée, rapporte que 19 nouveaux déserteurs, du 36e de ligne, se sont enfuis de Campobasso. La Gazette de Milan annonce que la garde nationale de Sabbio vient d'arrêter onze déserteurs de la garnison de Crema, dont un seul est milanais, et les dix autres, napolitains, et que, le 8 août, les gendarmes ont ramené à Gênes 50 déserteurs. Douze napolitains désertent du fort de Fenestrelle, dans la soirée du -10 octobre (3). Une demicompagnie d'infanterie piémontaise, composée presque entièrement de napolitains, déserte et passe en Suis?e avec un officier et un gendarme (4). Le journal L'Echo dell'Alpi Cozie, du 15 octobre, contient les lignes suivantes: «Dans la soirée du 8 courant, onze soldats des chasseurs ont déserté du fort de Fenestrelle. La semaine dernière, deux sous-officiers ont déserté de l'école de cavalerie. Un soldat du même corps avait déserté quelques jours plus tôt. Le dimanche, 12, deux soldats ont déserté du dépôt de Pignerol et gagné la frontière française.»

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Les désertions prennent une telle extension que la Gazette du peuple même (5) ne peut s'empêcher de s'écrier:

(1) Carrière delle Marche, 20 mai.

(2) L'Epoca, 24 juin.

(3) Gazette de Milan.

(4) Gazelle de Cotre, 19 octobre.

(5) 23 avril.

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«Les désertions ont lieu non-seulement parmi les soldats napolitains, comme on le di-ait d'abord, mais aussi parmi ceux des autres provinces, et malheureusement trop parmi les Vénitiens mêmes.» A la date du 6 mai, le même journal ajoutait: «Il est inutile de le dissimuler, la plaie des désertions prend les proportions d'un véritable péril.» La Gazette du peuple portait de là pour proposer une loi spéciale contre les fauteurs de désertions, oubliant que c'est à ces sortes de gens que le Piémont doit l'usurpation de Naples et des duchés.

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Vers la fin de l'année, L' Indipendente, organe de M. Alexandre Dumas, la Discussions, et autres feuilles piémontistes, se déclarent heureux de pouvoir dire que les désertions sont réduites de 120 à 25 ou 30 par semaine.

IV

Le 17 février, un soulèvement éclate parmi les soldats dans la forteresse de Fenestrelle. Un grand nombre de gendarmes et d'agents de police s'empressent d'accourir, pendant que la garde nationale prend les armes. Les soldats napolitains sont rigoureusement fouillés, et l'on trouve sur eux les portraits de LL. MM. le roi et la reine des Deux-Siciles.

Toutes les nuit*, des rixes sanglantes éclatent entre les garibaldiens et les officiers piémontais; les hôpitaux sont encombrés de blessés (1).

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Le 6 janvier, jour des Rois, un soldat napolitain crie dans les rues de Milan: Vive Bourbon! vive François II!

(1) Le Moniteur de Naples, 17 février.

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et ne cesse de le crier malgré les brutalités dont l'accablent les soudards piémontistes.

Vers la fin du mois d'avril, on découvre un grave complot militaire réactionnaire, dont s'entretiennent tous les journaux de Milan; les soldats napolitains casernés à l'hôpital Saint-Ambroise et au grand monastère voulaient provoquer l'insubordination parmi leurs compagnons d'armes. Le général Durando, le colonel de la gendarmerie et plusieurs officiers d'état-major accoururent au milieu de la nuit et firent arrêter quarante des meneurs. Dans le tumulte, un sergent avait été tué (1).

Dans la soirée du 23 février, un caporal piémontais du 13e de ligne en garnison à Milan, caserné à Saint-Philippe, assassine son fourrier pour lui voler les fonds de la compagnie (2).

Dans les prisons de Crémone, peuplées de déserteurs napolitains, une révolte éclate et ne fait que leur attirer de nouvelles rigueurs. On fouille leurs effets et l'on y trouve des portraits de S. M. le roi François II, avec l'épigraphe: roi d'Italie I (3)

Le 13 juillet, à Turin, une rixe éclate entre des artilleurs et des soldats du 47° de ligne; trois des combattants sont grièvement blessés. Le même jour, quatre duels politiques entre soldats ont lieu dans Turin et font deux morts.

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Le 9 juillet, à Naples, des militaires dégainent et se

(1) Le journal la Lombardîa, 28 avril.

(2) Le Pungolo, journal de Milan, 24 février.

(3) Le Carriere çremonese, 16 octobre.

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sabrent dans la rue en criant: Vive la République! (1)

Le 10 août, un capitaine de l'armée piémontaise se présente chez le député Crispi et promet de déserter de son régiment et de rejoindre Gàribaldi, le tout moyennant finances (2).

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Le ministre de la guerre adresse aux chefs de corps une circulaire secrète leur enjoignant de surveiller les soldats sous leurs ordres et d'empêcher que la camorra n'y fasse de plus dangereux progrès (3). A Turin, le 17 août, dix soldats piémontais sont pris en flagrant délit de complot camorriste, sont arrêtés, enchaînés, mis au pilori avec l'écriteau «Camorriste» et envoyés ensuite aux compagnies de discipline. Le 19 du même mois, un ordre du jour du major-général Boyl donne des instructions sévères pour purger l'armée do la race des camorristes. On sait ce que le royaume d'Italie entend par celte qualification: c'est à cette franc-maçonnerie de la trahison et du pillage, conspirant contre l'ordre légitime, que le Piémont doit la rapidité de son succès dans l'infortuné royaume des Deux-Siciles. Une fois l'annexion conclue, on voulut mettre un frein aux débordements des camorristes, mais en vain; alors on les traqua comme des bêtes fauves, parce qu'ils semaient la désertion dans l'armée piémontaise, comme naguère dans l'armée napolitaine; on en fit d'énormes razzias et on alla jusqu'à les déporter. On profita même de la circonstance pour traiter sur le même pied, et sous le prétexte de camorra, les pauvres soldats napolitains qu'on suspectait de n'avoir pas oublié l'héroïsme du roi de Gaëte.

(1) Le journal L' Osservatore napolitano, numéro 48.

(2) Lettre de M. Crispi. Voir le Diritto du 2 septembre,

(3) Octobre 1862

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Le 9 décembre, on met en jugement le soldat calabrais Pantaléon Serviddio, du 15e bataillon des bersaillers, accusé du crime de lèse-majesté pour avoir jeté ses armes à terre avec rage en revenant de la manœuvre, et avoir crié à plusieurs reprises: Maudite soit l'âme de Victor-Emmanuel! on nous traite comme des chiens et des chevaux, périsse l'Italie! maudits bersaillers, etc.

Le 14 décembre, à Manfredonia, dans les Fouilles, le sergent de marine Spina assassine M. de Franciscis, capitaine du port.

Les journaux de Gênes racontent qu'un soldat napolitain avait déserté et s'était retiré dans sa famille, à Garofali de Roccamonflna, près de Gaète, ou il vivait tranquillement et sans nuire à personne; on le découvre, on le traîne sur la place de Roccamonfina et on le fusille incontinent; sa mère accourait pour demander pitié, on la garrotte et on la jette en prison.

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Le député de Cesare (1) parle de l'état déplorable des troupes employées dans les provinces méridionales, des marches forcées qu'on en exige journellement, des maladies qui les déciment, des trop sévères punitions qui les frappent, des pertes que leur font subir les batailles réactionnaires, et en donne l'exemple suivant: «En Capitanate, il y a trois régiments, dont un de cavalerie qui n'a pas plus de soixante-dix chevaux; les deux régiments d'infanterie, dont, selon les lois et règlements militaires, les compagnies devraient être de quatre-vingts à cent vingt hommes,

(1) Séance parlementaire du 22 novembre.

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ne sont au contraire formés que de compagnies de quarante-cinq à cinquante hommes. Or, on sait que dans les provinces méridionales les troupes sont sur le pied de guerre, et l'excessive diminution de leur effectif ne peut être l'effet d'une organisation vicieuse, mais bien des pertes essuyées.»

La Monarchie nationale, journal de Turin (1), contient une observation curieuse à plus d'un égard: «Convenons que notre code militaire est dicté pour une armée qui fut un modèle de discipline et d'honneur militaire; mais au milieu des circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons, il ne peut plus avoir aucune efficacité.

Ne sachant plus sur qui rejeter la faute des désertions quotidiennes, le gouvernement et le parlement s'en prennent au clergé, et créent contre lui une nouvelle loi qui punit sévèrement les déserteurs et leurs complices, mais frappe surtout les ecclésiastiques.

Peu de lois sauraient être plus sévères, plus arbitraires, plus partiales et violer plus essentiellement le principe législatif de l'égalité devant la justice et dans le châti^ ment. Le 2 juillet le député Massari propose l'amendement suivant: «En tout cas, quand la provocation à la désertion provient de ministres des cultes, la peine est augmentée pour eux de deux degrés supérieurs à celle qui punit la désertion.» L'article 9 du projet de loi était ainsi conçu: «Seront déférées à la juridiction militaire les personnes même étrangères à l'armée qui auront provoqué, conseillé ou favorisé d'une manière quel conque le crime de désertion,

(1) 24 avril.

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ou qui auront donné assistance, abri ou asile à des déserteurs.» Les députés Crispi et d'Ondès-Reggio s'opposent énergiquement à l'adoption de l'article précédent, démontrant qu'il est évidemment contraire au droit de tout citoyen de n'être pas privé de sou juge naturel, et qu'il détruit un des principes fondamentaux de toute liberté. Le député Brofferio (1), proclame qu'il viole les principes de la justice et de l'humanité, et demande au ministre Pepoli qui est en face de lui: «Auriez-vous le cœur de fermer votre porte à un pauvre déserteur jeune, brisé par la lassitude, la faim, la fièvre, qui vous demanderait asile pour une seule nuit? Non certainement. Eh bien, le lendemain, en vertu de l'article 9 de la présente loi, le ministre Pepoli serait déféré au tribunal militaire Je ne voterai jamais une loi aussi injuste et aussi scélérate que celle-ci, et si la chambre vote cet article, un jour comme Pilate devant le Juste, elle voudra s'en laver les mains, mais elle les trouvera teintes du sang de beaucoup d'innocents.» Injuste et scélérate! ainsi un Brofferio a défini cette loi. De quatre cent cinquante députés, il n'en est venu que deux cent dix-huit; cent quatre-vingt-quatre votent pour, trente-trois contre, et un des députés italiens trouve plus commode de s'abstenir.

V

Nous avons vu un ministre de l'intérieur déclarer que le rôle des gardes nationales est de surveiller activement l'armée régulière.

(1) Séance du 3 juillet.

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L'Italie redoute-t-elle donc toujours les prétoriens, mais n'est-ce pas bien le cas de rappeler la spirituelle interrogation du poète: «Quis custodet ipsos custodes?» La Gazette officielle ne cesse d'enregistrer des décrets de licenciement des gardes nationales, et les feuilles italianissimes ont fréquemment l'indiscrétion de nous révéler que ces mesures sont la conséquence d'un refus de marcher contre les brigands. Il suffit de parcourir ces journaux, du mois d'avril 1862 au mois de mars 1863, pour être édifié sur les sentiments unitaristes qui animent ces gardiens des défenseurs de la patrie.

A Tramutola, en Basilicate, des mains inconnues ravissent un enfant de l'opulente maison Falvella, et l'enfant n'est rendu qu'après une rançon de quarante mille francs. Les recherches judiciaires font découvrir enfin les auteurs de ce grave attentat, qui ne sont autres que le maire et le capitaine de la garde nationale de la commune voisine de Buonabitacolo!

Dans la soirée du 7 septembre, le lieutenant de la garde nationale de Fragneto-Monforte, principauté de Bénévent, M. François Jannelli, est tué à coups de fusil par ses hommes au moment où il sortait du poste.

Le 29 décembre, dans la rue Saint-Nicolas de Caserti, à Naples, l'avocat Sébastien de Nicolaïs est tué d'un coup de fusil que lui tire à l'improviste un garde national. La balle fait deux victimes encore, un chevrier et une chèvre qui passaient dans le voisinage.

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Plusieurs charretiers, sur la route de Girgenti, sont assaillis et massacrés par quatre soldats à cheval qui leur volent une somme de quinze cents francs,

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et puis se rendent chez le juge le plus rapproché, et dénoncent ce quadruple crime en en chargeant des auteurs inconnus; mais la providence voulut que la justice ne tardât pas à découvrir les vrais coupables (1).

«Voleurs de terre et de mer 1 entre le cap San Gallo et le cap San-Vito, nous avons les pirates; chaque jour les barques sont assaillies et dévalisées; ensuite les malfaiteurs descendent à terre pour y faire orgie et fraternisent avec nos soldats (2).»

Le 28 avril, un officier de garde nationale est lapidé a la croix Santa-Maria di Gesu par des chevriers qui l'accusent d'espionnage piémontiste (3).

A Peschici, deux gardes nationaux en uniforme sont surpris chez un pauvre horloger en flagrant délit de vol d'une montre. L'autorité municipale s'empresse d'étouffer cette scandaleuse affaire.

Le 2 juin, la lieutenance générale de Naples a vent d'une conspiration importante et s'empresse de dissoudre une des légions de la garde nationale.

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Le 20 mai, une imposante manifestation anti-piémontaise se produit à Naples dans la rue de Tolède; quelques patrouilles de garde nationale tentent de la dissoudre avec de brutales menaces. Trois jours après, les officiers, sous-officiers et soldats de la garde nationale font circuler une protestation fort vive contre ces blâmables procédés et contre tout acte d'arbitraire tendant à dissoudre les manifestations populaires.

(1) Le journal la Campana della Gancia

(2) Journal le Precurtore, 28 avril.

(3) Le journal le Carrière siciliano, 30 avril.

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Du 1er août 1862 au 1er avril 1863, trois cent douze gardes nationales ont été licenciées.

Dans le quartier des Granili, à Naples, un soldat piémontais, Trocchio, d'Asti, étant en état d'ivresse, reçoit quelques reproches da lieutenant Scarlini; Trocchio, se jetant sur lui, le mord au visage et lui arrache avec les dents la moitié de la joue, et l'oreille gauche.

Le 29 octobre, dans la rue de Chiaio, une des plus fréquentées de Naples, en plein jour, un capitaine de la garde nationale tue un de ses collègues.

«Dans la garde nationale sont compris les scélérats autrefois surveillés comme voleurs sous le gouvernement déchu (1).»

Les gardes nationales et les municipes de Solmona, de Castana de Sicile, de Caivano, d'Âfragola, du Nomero, d'Arenella, près Naples, de Pimonte, province de Salerne, et des centaines d'autres sont dissous pour intelligences avec les brigands.

Au mois d'octobre, la garde nationale de Foggia est dissoute avec ordre de consigner, dans les quarante-huit heures, ses armes et ses munitions. Les mêmes ordres sont envoyés conjointement dans diverses villes et communes. Plusieurs maires et plusieurs commandants de garde nationale sont mis en prison, prévenus de mettre peu de zèle dans la chasse aux brigands, et suspects d'entente avec eux.

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Un soir du mois de mars, le poste de garde nationale de la commune de Paterno met en pièces la statue de Victor-Emmanuel, celle de Garibaldi et le drapeau piémontais.

(1) Le Crivello journal d'Avellino n. 12.

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Dans la nuit du 4 novembre, un détachement de la garde nationale de Cardito, sous les ordres du lieutenant Joseph Castaldo, se rencontre et engage un combat meurtrier avec un autre détachement de la même garde nationale, commandé par le caporal François Nicola.

«Dans la matinée du 12 mars, environ cinq cents gardes nationaux sont arrivés en armes à Foggia jusqu'aux portes de la caserne des gendarmes en poussant les cris de: Mort aux Piémontais! à bas les gendarmes! Les assaillants étaient sur le point de commencer le feu, quand le commandant de place Materazzo et le capitaine Antoine Cubeddu s'élancèrent impétueusement au devant des révoltés, et firent tant, qu'ils retardèrent l'assaut de ces forcenés jusqu'à l'arrivée des troupes régulières qui les dispersa après en avoir arrêté bon nombre, entre autres le chef de la bande (1).

La garde nationale de la commune de Cerva est dissoute comme obéissant aux ordres du chef de brigands Muraca, leur compatriote.

Le chef de brigands Lo Zambro réunit sous ses ordres les bandes du Gargano et celles de Dragonara, et marche sur Arricena où il trouve le drapeau blanc arboré et la population en fête. Arricena est une ville de neuf mille âmes: les réactionnaires fraternisent avec la garde nationale.

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On nous écrit d'Avellino, en date du 22 mai: «Ce matin le préfet partira avec trois cents hommes pour Ariano.

(I) Gazzetta del Popolo, mars 1862.

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La raison de ce départ inattendu est le triste événement de Campo-Reale, où, par la lâcheté de quelques gardes nationaux mobiles, un peleton de brigands a pu massacrer quatre gendarmes. Nous demandons ce que font les dix mille hommes échelonnés entre Ariano et la Capitanate, s'il ne peuvent réussir à détruire quelques centaines de brigands (1).»

On nous écrit de Naples, en date du 1er juin: «La dissolution de la 4e légion de la garde nationale s'est opérée aux cris frénétiques de: Vive François H! à bas le Piémont! vive Garibaldi! dehors l'étranger!»

En plein jour, à Partinico, sur la place publique, M. Paola est assassiné. Les gardes nationaux et leur chef, quoique témoins du crime, ne s'inquiétèrent que d'emporter le cadavre (2).

On trouvera dans un chapitre ultérieur (3) une proclamation du général comte Mazé de la Roche, établissant, mieux que je ne le saurais faire, de quelle façon les soldats piémontais entendent protéger les campagnes et les fermes.

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Le Vésuve menaçait la ville de Torre del Greco, et les habitants s'étaient empressés de l'abandonner. Quelques compagnies de soldats avaient été envoyées pour garder la ville en l'absence des habitants. Quand ces derniers revinrent, ils trouvèrent les maisons entièrement dévalisées par les soldats de la régénération. Deux cent douze de ces misérables furent mis en prison;

(1) Popolo d'Italia, 23 mai.

(2) Campana della Gancia, mai 1862.

(3) Au chapitre des Lieutenants subalpini.

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mais le gouvernement ne persévéra pas dans les poursuites, répétant sa coupable indulgence envers les troupes qui étaient revenues des Abruzzes et de la Terre de Labour chargées d'argenterie, de bijoux et de riches tentures qu'ils vendirent ostensiblement dans Naples à vil prix.

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JUSTICE

... Nom avons des juges à Berlin.

I

C'est Dieu qui fera justice un jour, justice de tant de douleurs et de hontes! Le peuple s'aide, Dieu l'aidera! Les juges iniques, les bourreaux féroces reprendront le chemin de leur patrie maudite, et le calme heureux renaîtra pour ce royaume si cruellement éprouvé, si cruellement puni.

Qu'on nous permette de tracer un tableau succinct des procédés employés par les justiciers subalpins envers le peuple conquis des Deux-Siciles.

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Il suffît d'être suspect ou odieux au dernier des mouchards, il suffît d'une dénonciation anonyme, il suffît de déplaire à quelque traîneur de sabre ou à quelque valet de sous-préfet, pour qu'aussitôt l'on subisse de violentes perquisitions domiciliaires, où le vol a souvent part, et qu'on vous jette préventivement en prison, sans qu'il soit possible de prévoir quand vous en sortirez. Dans les prisons il n'y a ni registre d'écrou, ni parfois même un seul geôlier qui connaisse vos noms et qualités, encore moins le motif de votre détention. Épuisé par la faim, rongé de vermine, respirant un air méphitique, couchant suivie sol semé d'immondices, vous n'êtes bientôt plus que le spectre de vous-même; mais souvenez-vous que les régénérateurs interdisent jusqu'à la plainte, et la calment avec le bâton.

On parle de la Pologne et du knout; Naples et la bastonata viendront à l'ordre du jour.

Enfin, après deux ans de détention préventive, si Dieu vous a prêté vie, les prisons n'étant plus assez vastes pour contenir les prisonniers de chaque jour, et d'ailleurs les piémontiseurs vous supposant suffisamment refroidi, on s'occupe de vous mettre en jugement. Mais encore faut-il qu'on sache quel fut votre délit ou votre crime; on le cherche sans le trouver, on vous le demande, comment le sauriez-vous? On vous offre la liberté au prix du silence; acceptez-la sans demander des juges et une réparation; car les juges ne répareraient l'erreur qu'en vous condamnant.

Vous suppose-t-on quelque peu favorable à la maison de Bourbon, ne fût-ce que par voie de comparaison,

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des sbires vous impliquent dans quelque conspiration imaginaire, déposent contre vous, hurlent et injurient dans l'enceinte du tribunal quand vous tentez de vous disculper, et terrorisent la conscience des débiles magistrats. Avant l'audience, vos juges ont reçu des lettres anonymes les menaçant de mort s'ils vous acquittent; pendant l'audience, ils reçoivent des ordres signés du lieutenant-général commandant, et apportés par un aide-de-camp, qui entre, le tricorne en tête, tout botté et tout éperonné, jusque dans le prétoire.

Lisez plutôt la relation du procès de M. le comte de Christen et de son noble ami Achille Caracciolo,

On est-elle donc la justice? Si elle n'est pas dans les prisons, si elle n'est pas dans la conscience des magistrats, si elle n'est pas dans le sanctuaire des lois, oh est-elle enfin? Dans ces fusillades peut-être, ces horribles massacres, ces meurtres dont on ne sauve même pas les apparences, sans forme de procès, sans défense, sans jugement.... C'est navrant! Comparez, comparez toujours: L'Europe civilisée s'émouvait, s'indignait de voir le gouvernement légitime retenir en prison des conspirateurs assassins, fils de la Jeune-Italie et frères du Milano.... Mais a-t-elle dépensé toute son indignation contre les justes répressions du passé, qu'elle se taise en face des fusillades sans jugement qui déshonorent le Piémont à Naples? Condamne-t-elle les juges naturels pour absoudre et protéger les bourreaux de rencontre? Ajoutons enfin qu'après la répression du soulèvement du 15 mai 1848 et la défaite de l'invasion de Sapri, en 1857, le gouvernement napolitain soumit tous les prisonniers à la juridiction ordinaire établie par les lois,

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et commua toutes les condamnations à mort, répugnant à verser le sang pour des crimes politiques.

Il est pourtant impossible de comparer le passé et le présent, sans condamner l'administration piémontaise. La vérité est souvent arrachée aux complices mêmes de l'anti-nationale annexion. Je n'en veux pour preuves que les paroles prononcées par le député Nicotera dans la séance parlementaire du 25 novembre: «Naples reconnaissait quelque chose de bon dans le gouvernement bourbonnien, et savez-vous ce qu'elle reconnaissait de bon? C'est que la propriété et la vie étaient garanties. Mais l'administration d'aujourd'hui, parmi tant de maux dont elle a chargé les provinces méridionales, n'a pas seulement eu la force de garantir la propriété et la vie.» Un officier garibaldien, il n'y a pas longtemps encore, se pendait à Naples, ne laissant que ces mots pour expliquer son suicide: «Je me suis battu pour détruire des abus; je me détruis pour n'en pas voir de plus grands.»

II

Dans la province de Naples, une des vingt-trois provinces du royaume des Deux-Siciles, la statistique criminelle de l'année 1861 atteignait le chiffre de quatre mille trois cents meurtres ou tentatives de meurtres. Sous les Bourbons, ce chiffre était cinq fois moins élevé.

-

Le député sicilien Crispi (1) rapporte qu'à Palerme, du commencement de mars an milieu de mai,

(1) Séance du 28 juin.

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il s'est commis 262 crimes, et, qu'à l'exception de 87, les auteurs en sont restés inconnus. Du 1" juin au 15 octobre, dans le district de Palerme, il s'est commis 6,745 crimes (1).

Dans le cours du mois d'octobre 1862, 160 méfaits des plus graves se sont commis dans Naples, et 98 homicides en vingt jours (2).

La ville d'Avellino, près Naples, est désolée par des vols audacieux qui ne reculent pas devant le sacrilège (3). A ce propos, la presse du pays insinue que la sûreté publique est aux mains de gens incapables ou complices des ribauds. Le Crivello déclare que «le gouvernement n'observe pas la justice, et rapporte différents actes de prévarication de la magistrature judiciaire qui a favorisé les coupables moyennant finances. Le même journal ajoute que «le gouvernement piémontais, à l'inertie du gouvernement passé, joint le vice d'incapacité et de despotisme.»

Dans la nuit du 26 janvier, le feu éclate à l'hôtel des postes de Naples, dans les bureaux de la conservation des hypothèques, dont la destruction eût anéanti les titres de nombreuses fortunes. Le sinistre est attribué à la malveillance.

-

A la même époque, on falsifie des billets de banque, des actes de l'autorité, des congés militaires, des actes de l'état civil, des timbres, des actes notariés, etc.

(1) La Discussione, 10 novembre.

(2) Le journal L' Indipendente, 16 novembre.

(3) Le journal le Crivello, numéro 12.

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Il existe une véritable fabrique de falsificateurs sous la direction d'Henri Igli et d'Eugène Pani, autrefois condamnés aux galères sous le gouvernement des Bourbons et admis depuis l'annexion dans les hautes sphères du gouvernement subalpin,qui ne peut cependant faire moins que d'emprisonner ses deux amis.

Aux portes de la préfecture de police, à Naples, des malfaiteurs percent le mur de deux magasins et les mettent au pillage (1). La police ne parvient pas à découvrir les coupables.

Le nombre des attentats s'accroît à ce point que le journal la Democrazia (2) s'en exprime comme il suit: «Il ne s'écoule pas de nuit qui ne soit marquée par des vols, des agressions à main armée, des blessures et des homicides; chaque matin l'on entend parler de portes enfoncées, de murs percés, de boutiques pillées, de maisons dévalisées, d'attentats de toute sorte contre les personnes et les propriétés. Vivons-nous dans un pays sauvage ou dans une ville civilisée, alors que, dès la nuit, regagnant nos demeures, nous devons soupçonner un ennemi dans toul individu qui vient à notre rencontre ou qui nous suit! Dans les petites rues désertes, il faut avoir à la main le poignard ou le revolver pour n'être pas attaqué, volé, assommé: en somme, il n'y a plus de sécurité pour nos jours et pour nos biens.»

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Avec une audace incroyable, des voleurs dévalisent le magasin d'orfèvrerie du sieur Kiecer, non loin du palais du général La Marmora. Les malfaiteurs avaient à la porte

(1) Fin mars 1861

(2) Journal de Naples, 3 avril.

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de leur victime une charrelle qu'ils chargeaient de tout leur butin. Ils sont encore à découvrir.

«Les voleurs, qui repullulent à Naples dans de très grandes proportions, ont entièrement dévalisé sans le moindre respect la maison du député Mancini (1).»

La multiplicité des crimes jointe à la décadence de toute moralité administrative ne peut étonner, quand on sait à quelles gens sont confiés les hauts postes de la sûreté publique à Naples. On se souvient de qui nous fut envoyé de Turin avec pleins pouvoirs en qualité d'inspecteur général et organisateur de la police: c'était ce Philippe Curletti, complice de Luigi Gerbasi, convaincu de vol et d'assassinat et exécuté à Turin, le 14 janvier 1862.

La sécurité existe si peu, même sur les routes les plus voisines de Naples, qu'il fallut faire parcourir par deux bataillons le court trajet de la capitale au Vésuve, lorsque les princes de Prusse et d'Angleterre allèrent visiter le volcan. On prête à ce sujet le propos suivant au prince royal de Prusse. «Je vins à Naples sous le feu roi Ferdinand; il me donna deux gentilshommes de sa suite pour m'accompagner au volcan; le général la Marmora me donne deux bataillons: la comparaison n'est pas flatteuse.»

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«A Marsala, près de la porte de Trapani, nous avons vu de nos propres yeux le chef de la sûreté publique bâtonner un citoyen qui voulait reprendre des mains d'un voleur le manteau qu'on venait de lui dérober, ce qui permit au larron de s'esquiver (2).»

(1) Le journal l' Indipendente, 16 octobre.

(2) Les journaux Il Popolo, de Naples, Il Tribuno, de Turin 2 janvier.

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On comprend qu'il nous soit impossible de relater tous les meurtres ou toutes les tentatives de meurtre dont les journaux de chaque jour nous offrent le récit; ce que nous tenons seulement à établir, c'est la complicité, par indifférence ou par profit, des agents de la sûreté publique. Dans la soirée du 15 avril, à trois pas du poste de ces agenls, un chapelier est assassiné après une longue lutte. Des passants le trouvèrent baigné dans son sang après être accourus à ses cris; mais la sûreté publique n'interrompit pas son sommeil pour si peu (1).

Le député Bruno s'élève contre l'anarchie administrative et contre l'épouvantable accroissement des crimes en Sicile, et donne lecture à la Chambre (2) d'une dépêche qu'il vient de recevoir: «Ici, les vols, les agressions, les homicides se commettent jour et nuit; le commerce est intercepté; des bandes armées parcourent et agitent les campagnes, etc.»

Le 24 septembre, on écrit de Palerme au Diritto de Turin: «Notre situation ne peut se prolonger: La sûreté publique, qu'on prétendait assurée, est dans de pires conditions qu'autrefois; ce sont des rixes, des homicides, des vols et des bandes armées, mais tels qu'on ne vit jamais rien de semblable sous le gouvernement déchu... On redoute encore plus les vengeances particulières que les lois exceptionnelles et les baïonnettes du gouvernement.»

-

Dans la piana de' Colli, en six semaines, on a cent vingt homicides à déplorer. Un sieur Onofrio Napoli, par

(1) Le journal le Precursore, de Palerme.

(2) Séance parlementaire du 5 août.

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vengeance personnelle, vit raser ses arbres, incendier sa maison, égorger ses troupeaux, assassiner sa mère et ses deux flls; lui-même n'échappa que par miracle à la mort. Les auteurs de ces atrocités sont toujours inconnus.

III

L'indignation est générale à Palerme contre l'acte d'arbitraire dont, le 18 décembre, a été victime la paisible famille de Pietro Ruisi. Une bande de gendarmes et d'agents de police défoncèrent les portes de la maison, envahirent l'intérieur, injuriant, pillant, menaçant de mort quiconque parlait de protester, et finalement emmenèrent en prison M. Ruisi et deux de ses locataires. Le lendemain le directeur de la police les remit en liberté, disant que ses agents s'étaient trompés.

Les agents de la police de Castrovillari (Calabre), n'ayant pas louché leurs appointements, se révoltent, le 12 mars, et refusent de continuer leur service. La Questure les fait tous emprisonner par la troupe régulière.

Les représentants de la force publique, soit par faiblesse, soit par connivence, n'inspirent plus aucun respect. Un des jours du mois de novembre, trois malheureux paysans que les gendarmes conduisaient aux prisons de Catanzaro, sont arrachés à leurs gardes et massacrés sur place par le peuple qui les prenait pour des assassins.

-

Paroles du député Nicotera (1): «Le préfet n'ayant pu arrêter le maire de Canicatti

(1) Séance parlementaire du 25 novembre.

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qu'on supposait passé à Garibaldi, fit arrêter son père, bien qu'il fût âgé de soixante-quatorze ans.»

On lit dans la plupart des journaux napolitains sous la date du 8 décembre: «Le mois dernier, dans les rues de Naples, mendiait une malheureuse femme en haillons, au visage amaigri, accompagnée de six malheureux petits enfants dont le plus âgé n'avait pas sept ans; c'était la veuve et les fils de Pasquale Bugito, d'Afragola (1), barbarement fusillé sans aucune forme de jugement, sans avoir été pris les armes à la^main, sans avoir fait jamais partie d'aucune bande. Nous avons voulu prendre d'exactes informations pour savoir la vérité; voici ce que nous avons vérifié: Bugito ne trouvant plus à exercer le métier de domestique se fit commissionnaire, et souvent il se rendait à Bénévent pour y porter un peu de tabac. Une fois, au delà de Canalles, apercevant la troupe, il se cacha derrière des planches où on le trouva. Les raisons qu'il donna avec l'indication de sa demeure furent inutiles; en vain demanda-t-il d'être traduit en jugement: dix balles l'étendirent sans vie... Il laissait une femme enceinte et six enfants en bas âge.»

Les journaux napolitains du 6 décembre rapportent l'horrible fait que voici:

«Un chef de police en voulait à l'honneur d'une chaste fille d'un village de la province de Cosenza; celle-ci repoussant d'injurieux, ses propositions, le chef de police la fait arrêter ainsi que son vieux père qui l'adjurait de garder l'honneur, et les fait fusiller tous les deux à quelques pas de leur habitation, comme complices des brigands.»

(1) Gros bourg presque aux portes de Naples.

85

Dans les Abruzzes, un pauvre curé de campagne faillit être fusillé pour avoir racheté quelque bétail que les brigands venaient de mettre en réquisition. Il en fut quitte pour quarante jours de carcere dura à Aquila.

Sur les soixante-dix mille pétitions présentées au roi de Sardaigne, lors de son voyage à Naples, cinquante-cinq mille portaient ce seul mot pour épigraphe:

Justice!

«La police ti'ayant pas procédé à l'arrestation des frères Speciale, de Baglieria, accusés de l'assassinat de Puglisi, un d'entre eux a été tué. L'action de la loi fait complétement défaut (1).»

«Dimanche, aux Quatre-Cantons, c'est-à-dire à l'endroit le plus central et le plus fréquenté de Palerme, M. Mariano Diaz a été poignardé au bras d'un de ses amis (2).»

«La nouvelle loi sur l'enregistrement, dont on avait déjà dit qu'elle serait trop onéreuse pour ces provinces, a produit de l'agitation parmi nos propriétaires. Les réactionnaires profitent de cette agitation, et il y à quelques jours une lettre ainsi conçue a été adressée aux avocats et aux magistrats de la ville:

«Monsieur,

» Vous êtes prié de vouloir bien vous abstenir d'aller» aux tribunaux dès le premier jour de la mise à exécution de la nouvelle loi

(1) Campana della Gancia, mai 1861.

(2) Precursore, mai 1862.

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» sur l'enregistrement, car pour chaque magistrat, avocat ou huissier, un assassin sera destiné.»

» La camorra des avocats.»

Il existe donc une camorra des avocats, et elle ne peut être composée que de réactionnaire? La police devrait les chercher et les punir. Ceci pour les camorristi. Quant à la cause de l'agitation, nous rappelons que si le gouvernement avait voulu écouter les conseils de la presse de l'opposition, aujourd'hui les choses n'en seraient pas là. La nouvelle loi doit être exécutée lundi 2 juin. Nous savons que plusieurs avocats n'iront pas au Palais de Justice, et qu'ils se réuniront lundi pour rédiger une protestation contre la nouvelle loi (1).»

IV

On blâme généralement M. de Monale, préfet de Palerme, qui, depuis son arrivée de Turin, c'est-à-dire depuis quatre mois, n'a pas accordé un regard aux prisons de la ville, où gémissent environ deux mille individus, couchant sur la terre, rongés de vermine, la plupart prisonniers par simple mesure de prévention. Un d'eux, depuis deux ans, n'a pas vu la lumière du jour et n'a pu voir la face d'un juge; il ignore même la cause de son arrestation. M. de Monale n'a pas le temps de penser à tant d'infortunés, pas plus qu'aux enfants trouvés, qui, dans leur hospice, meurent par centaines. Le préfet subalpin a bien d'autres soucis en tête;

(1] Le Popolo d'Italia, 21 mai.

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il passe les heures à banqueter joyeusement, non avec des fonctionnaires publics, des diplomates, des étrangers de distinction ou des citoyens de mérite, mais avec les actrices du théâtre Bellini (1).

On pousse jusqu'à la rage la manie des arrestations violentes; la presse est unanime à reconnaître que «les provinces de Naples sont régies par la loi de la terreur. D «Ces jours derniers, nous avons vu conduire dans les prisons centrales un grand nombre de familles et de correspondants des brigands, heureux, dans leur malheur, que Fumel n'ait pas tout fusillé (2)!»

«On continue sur une grande échelle les razzias de camorristes, d'enrôleurs, de complices et d'amis des brigands; rien que dans les provinces, le chiffre des arrestations dépasse quatre mille; dans un seul jour, quarante-six de ces individus ont été arrêtés dans la petite commune d'Alfano, sous-préfecture de Vallo (3).»

A Vasto, dans les Abruzzes, pendant l'état de siège, on incarcère soixante personnes, sur le sort desquelles le pouvoir militaire décide à son caprice, sans se préoccuper le moindrement de l'autorité judiciaire (4).

-

Cinq cents réactionnaires sont entassés avec leurs chefs dans les prisons de Chieti; le gouvernement, redoutant une évasion,

(1) Déclaration de Michel-Ange Cammineci, fournisseur des prison) de Palerme.

(2) Il Calabrese, journal de Cosenza, 23 octobre.

(3) L'Italie, journal de Turin, 25 octobre.

(4) La Stampa, journal de Turin, 4 décembre.

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décrète leur envoi dans les bagnes de Pescara, sans attendre le jugement, qu'il trouve trop lent à venir (1).

A Brindisi, dans les Fouilles, le fort de mer est rempli des habitants les plus distingués de la province, et surtout de prêtres arrêtés par ordre du préfet Gemelli ou de l'autorité militaire.

A Avellino, les prisons regorgent; ce sont des centaines de vieillards, de femmes, d'enfants: trois générations de parents des brigands emprisonnés pour le seul et unique crime de parenté (2).

-

Les journaux de Naples appellent l'attention du gouvernement sur le mode brutal avec lequel on transporte les détenus, et rapportent le fait suivant: «Au commencement de novembre, dans la rue Montoliveto, le public fut témoin d'un barbare spectacle: Un soldat à cheval traînait derrière lui un individu qui avait les menottes et un collier de fer auquel était attachée une corde que le cavalier tenait en main. Peu de jours après, dans la même rue, passaient des charrettes de déserteurs et autres prisonniers, parmi lesquels on remarquait deux religieuses du Sacré-Cœur. Les moribonds meule sont portés en prison, et parfois ils meurent pendant le trajet. On a été jusqu'à fouiller les maisons des agonisants. A Cosenza, les hommes les plus respectables ont été mis en prison et traînés d'un pays dans l'autre. La sécurité et la garantie des lois n'existent plus; il ne suffit pas d'être honnête et d'avoir la conscience pure pour échapper aux dénonciations anonymes.»

(1) L'indipendente, 3 septembre.

(2) Le journal la Democrazia, 13 décembre.

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La lenteur que mettent les cours d'assises à juger les détenus est particulièrement cause de l'encombrement des prisons. A Salerne, dix-huit cents détenus devaient être jugés dans le courant de l'année. Combien l'ont été? Quatre-vingt-dix-huit.

Le député Ricciardi, déplorant l'arbitraire qui régit les provinces méridionales, s'écrie: «Je veux être sûr qu'en sortant du Parlement je ne serai pas arrêté par un gendarme et conduit abusivement en prison.» Dans la séance parlementaire du la décembre, le même député prononce ces remarquables paroles: «La dernière fois que je vous entretins de la misérable situation des provinces méridionales, le 27 juin, l'honorable ministre Conforti taxa d'exagération le chiffre de quinze mille prisonniers affirmé par moi. Eh bien, Messieurs, j'ai acquis la conviction qu'au lieu d'exagérer, je suis resté en deçà de la vérité. Nos prisons sont pleines, et souvent pleines d'innocents En un mot, la liberté et la vie des citoyens tiennent au caprice d'un capitaine, d'un lieutenant, d'un sergent, d'un caporal. Il faut rappeler de Naples le proconsul militaire La Marmora, dont la mission est une insulte à la civilisation, une insulte à la première cité d'Italie.»

-

Le député de Cesare s'écrie: «Un nombre infini de détenus gisent dans les prisons sans aucune imputation clairement établie, victimes de dénonciations vagues, soupçonnés d'être partisans des brigands, sans que l'autorité ait aucune donnée qui prouve leur culpabilité.» Le député Massari signale avec effroi l'abus des arrestations opérées sur des dénonciations anonymes, et raconte qu'à Bari, il faillit être emprisonné comme suspect d'être peu favorable à l'ordre de choses actuel.

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Le député Ferrari demande qui se trouvera en sûreté si le gouvernement a acquis le droit de sonder jusqu'au cœur des citoyens (1).

Le député Ferrari (2) parle de citoyens arrêtés par mesure de «police, déclarés innocents par les juges, et cependant retenus en prison de par l'état de siège qui dure toujours, bien qu'il soit abrogé sur le papier.»

-

Une circulaire ministérielle du garde-des-sceaux, signée du directeur ministériel Robecci et adressée de Turin à tous les collèges judiciaires des provinces méridionales, «enjoint aux procureurs généraux, en ce qui concerne beaucoup de coupables, et principalement les coupables politiques, avant de les mettre en liberté, de consulter la police, à laquelle on accorde la suprématie sur le pouvoir judiciaire et toute faculté de détention.»

V

Extrait d'une lettre du député napolitain Ricciardi, adressée au président du conseil des ministres, Rattazzi, et publiée par la Nuova Europa, journal de Florence: «Les choses en sont venues à ce point dans cette partie de l'Italie (royaume des Deux-Siciles), que le plus grand nombre n'a pas foi dans la durée du nouveau gouvernement, qui, je ne craindrais pas de l'affirmer, y est généralement abhorré. J'ajoute que la justice et la loi y sont de vains noms,

(1) Séance parlementaire du 15 décembre.

(2) Séance parlementaire du 22 novembre.

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la magistrature ne faisant son devoir une très-imparfaitement, et, dans tous les lieux infestés par le brigandage, la vie des citoyens dépendant du caprice de l'autorité militaire, dont les excès sont à faire frémir. Depuis un an, des milliers de personnes ont été passées par les armes sans jugement d'aucune sorte, et sur l'ordre d'un simple capitaine ou d'un lieutenant; c'est ainsi qu'ont péri misérablement un grand nombre d'innocents. Je pourrais vous en citer d'horribles exemples en rappelant les dates, les noms et les lieux, n

Un décret en date du 6 avril, dit d'épuration de la magistrature des provinces méridionales, destitue en masse cent cinquante magistrats. «Malheur à ce gouvernement si, pour se maintenir, il croit nécessaire une telle hécatombe d'administrateurs de la justice... Et pourtant aujourd'hui la corruption parmi les juges est telle que, pour cent ducats, on peut obtenir l'acquittement d'un prisonnier, à moins qu'il ne soit trop fameux, et, pour la même somme, une favorable sentence dans un procès, et aussi un excellent emploi (1).»

-

Il paraît à Naples, au mois de novembre, une critique fort appréciée de la nouvelle organisation judiciaire, que l'on déclare «fausse, grandement inférieure à l'ancienne et quatre fois plus coûteuse. On a si malheureusement remplacé les magistrats éliminés par le décret d'épuration, que, de l'aveu des avocats et des clients, les plus habiles et les plus honorables parmi les magistrats qui composent actuellement les tribunaux, à peu d'exceptions près, sont ceux qu'a épargnés le fameux décret.

(1) La Stampa, journal de Turin.

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Nous avons souvent entendu dire que, dans les procès politiques, les anciens tribunaux faisaient preuve de plus d'indépendance que les nouveaux.»

Le gouvernement né se fait faute de peser sur les décisions de la magistrature; ainsi il ordonne à la cour de cassation de Naples, au mois d'août, de déclarer incompétents les tribunaux de Calabre pour juger les rebelles d'Aspromonte.

Le député Nicotera prononce ces paroles instructives dans la séance parlementaire du 25 novembre: «Le gouvernement bourbonnien voulait maintenir une certaine apparence de légalité et de respect de la magistrature. Il n'y a pas d'exemple que les tribunaux aient reçu directement et ouvertement, sans aucun égard, l'ordre dejuger dans un sens plutôt que dans l'autre. Cet exemple, messieurs, le ministère de Turin nous le doane avec son télégramme à la cour suprême de Naples.»

Si l'on veut une idée des mesures arbitraires pratiquées par le gouvernement régénérateur, il suffit de lire la Gazette officielle du royaume d'Italie du 4 novembre: «Le 12 octobre, plusieurs commerçants de la province de Salerne furent dévalisés par huit malandrins de la commune de Senerchia; le gouvernement a forcé le maire et la garde nationale à indemniser les victimes.»

-

Au commencement du mois d'avril, peu de jours avant l'arrivée du roi Victor-Emmanuel, le préfet de police de Naples donne sa démission; mais en trois mois il avait fait exécuter quinze cent onze visites domiciliaires. La presse officieuse même s'alarme de ce despotique état do choses, et le Nomade, entre autres journaux, conseille au gouvernement d'ouvrir les yeux «sur cette plaie sociale qu'à Naples on nomme sûreté publique.»

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Le député Crispi déclare que la Constitution est indignement foulée aux pieds par l'état de siège, la suppression de la liberté de la presse et les ordres du jour de certains généraux, bien plus horribles que ceux des généraux bourbonniens, puisqu'ils contiennent des menaces de fusillade sommaire (1).

«Après onze mois et huit jours d'emprisonnement illégal et sans procès, M. Dominique Majetta a été mis en liberté. Il avait été arrêté comme bourbonnien, tandis qu'il n'est en réalité qu'an notaire de Rotondo (2).»

M. del Giudice, préfet de la Capitanate, adresse cette lettre à M. Raphaël Conforti, ministre de la police à Naples:

«Monsieur le Ministre,

» Par sa lettre ministérielle du 19 courant, Votre Excellence m'ordonne de retenir en prison à la disposition du ministère, les détenus politiques, même après la déclaration de leur innocence rendue par les tribunaux. Tant que je serai à la direction des affaires de cette province, je n'obéirai pas à une pareille disposition.»

Foggia, 20 octobre 1861.»

-

On écrit de Naples, 5 avril, au Messager du Midi: «Un vol d'une grande audace s'est accompli hier a Naples; des malfaiteurs se sont rendus en plein jour au domicile d'un prêtre fort riche,

(1) Séance parlementaire du 20 novembre.

(2) Il Difensore, journal de Naples, 13 mars.

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lui déclarant qu'ils appartenaient à la police secrète et qu'ils avaient ordre de faire chez lui une perquisition politique. La sœur, le frère et le domestique du prêtre furent bâillonnés et garrottés, et le prêtre lui-même fut enfermé dans un cabinet noir. Les voleurs prirent de l'argenterie et des objets précieux pour une valeur de douze mille ducats et se retirèrent sans être inquiétés.»

On lit dans un journal de Naples (1): « Au nom de l'humanité, nous prions le gouvernement de prendre en pitié les individus entassés dans les prisons de Castel-Capuano, et qui gémissent depuis un an sans procès d'aucune sorte. S'ils sont coupables, qu'on les juge au plus tôt, ou au moins qu'on les fasse interroger par le magistrat. S'ils sont innocents, pourquoi prolonger une situation qui est une atteinte aux droits de l'humanité?»

-

A propos de l'épuration de la magistrature napolitaine, M. Ratazzi, président du conseil des ministres, prononce au parlement les paroles suivantes (2): «Quant aux réformes qui ont été opérées dans la magistrature, elles l'ont été autant que possible avec justice; mais si quelque injustice a été commise, ce qui ne peut certainement pas être affirmé, ces injustices sont excusables, car les modifications ont porté sur un nombre de plus de quinze cents magistrats, et ont dû être terminées en six jours de temps. Ces réformes ne pouvaient pas, d'ailleurs, être retardées; il y avait six mois que l'administration judiciaire ne fonctionnait plus dans les provinces napolitaines, et il était plus qu'urgent de mettre fin à un état de choses qui ne pouvait continuer sans les plus graves inconvénients.

(1) Le Difensore, avril 1863.

(2) Séance extraordinaire du 10 avril.

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Il m'a semblé, ajoute M. le président du conseil, qu'il valait mieux risquer de commettre quelques injustices qui pourront être réparées, que de retarder encore l'exécution de ces réformes.»

VI

Extrait de la motion d'enquête parlementaire présentée par le député de Casoria, duc de Maddaloni-Proto, le 20 novembre 1861.

«Qu'elle est donc belle, cette unification d'un pays crucifié sur un lit de douleur, étouffé dans une mer de sang! Et voilà pourtant le crime qu'ont consommé les hommes qui nous gouvernent; ces hommes enlèvent à nos populations jusqu'aux douces illusions de la liberté, et leur font voir comment un régime constitutionnel peut devenir synonyme de despotique; comment, à l'ombre d'un drapeau tricolore, on peut violer impunément le domicile, le secret des lettres, la liberté personnelle et jusqu'aux formes de la justice; comment on peut retenir longtemps en prison et sans jugement les prévenus, les faire exécuter sans procédure, par la simple volonté d'un caporal, sur un soupçon, ou par la délation d'un scélérat Le corpus juris napolitain, surtout dans les lois pénales et dans celles de procédure pénale, est, d'après l'avis de tous les jurisconsultes de l'Europe, bien supérieur à celui des Etats-Sardes.

96

Changer ce qui est bon pour ce qui est médiocre peut paraître une belle chose aux yeux des ministres piémontais, mais ne sera jamais jugé une chose prudente et opportune par ces hommes d'État qui veulent examiner d'une manière réfléchie les maux et les nécessités de l'unification d'une province. n

En regard de tant de procédés odieux et de barbares traitements par lesquels on se leurre peut-être de piémontiser les Deux-Siciles, nous croyons devoir placer un extrait de la proclamation adressée à son peuple par le roi Ferdinand II, le jour de son avènement au trône:

«Considérant qu'il ne peut y avoir dans le monde aucune société bien ordonnée sans une juste et impartiale administration de la justice, ce sera le second objet sur lequel nous tournerons notre ardente sollicitude. Nous voulons que nos tribunaux soient autant de sanctuaires qui ne puissent jamais être profanés par les intrigues, les protections injustes, ni par aucun égard ou intérêt humain. Aux yeux de la loi, tous nos sujets sont égaux, et nous ferons en sorte que la justice soit impartialement rendue à tous (1).»

Et pour mettre le dernier trait à ce parallèle dégradant pour le piémontisme et les calomniateurs des Bourbons, j'emprunte à M. Jules Gondon les révélations qui suivent (2):

«On peut donc affirmer, sans craindre d'être démenti, qu'il n'y a pas, dans le royaume de Naples, une seule personne retenue en prison après un acquittement définitif de la cour devant laquelle elle a comparu.

(1) Albert de Dalmas, le Roi de Naples, page 14.

(2) De l'étal des choses à Naples et en Italie, lettres à un membre du parlement britannique, pages 99 et 100.

97

» En étendant même mes investigations jusqu'à la Sicile, sur laquelle se sont repliés les dénonciateurs du gouvernement napolitain, dans l'espoir d'y trouver les prisonniers qu'on leur a démontré n'avoir jamais existé dans les États de Naples, j'ai appris les faits suivants:

» Au 1er avril 1852, il y avait, dans les prisons de l'île, soixante-cinq détenus appartenant à la catégorie dont je m'occupe, qui étaient ainsi répartis: à Palerme, vingt-trois; à Messine, trente; à Catane, deux; à Girgenti, deux; à Noto, six; à Caltanizetta, deux. Je puis ajouter qu'à la même époque les autres catégories de prisonniers politiques (pour toute l'île) donnaient un total de soixante et un, y compris ceux qui avaient été condamnés et ceux qui devaient être jugés. En additionnant ces chiffres, nous avons seulement cent vingt-six prisonniers politiques, comprenant toutes les catégories de détenus.

» La haute police napolitaine elle-même n'use qu'avec une extrême réserve des facultés dont la police jouit dans tous les pays de l'Europe; car, le 1er mars 1852, il n'y avait à Naples que quatre personnes en prison par mesure de haute police.

» Ces quelques chiffres, recueillis sur les lieux mêmes, après les investigations les plus minutieuses, montrent à quoi se réduisent les exagérations qui ont couru le monde sur l'arbitraire qui préside, dans les États napolitains, aux actes de la magistrature.»

99

PRISONS

…..........................................

Silvio Pellico.

I

Je ne saurais mieux dédier ce douloureux chapitre qu'an très-honorable M. Gladstone, à, l'homme qui, faisant en politique les commissions de la vindicative Angleterre, a trouvé tant de chaleureux accents pour des prisons fantastiques et des martyrs d'occasion.

Je dis que M. Gladstone ne fut rien que le commissionnaire des rancunes anglaises. Il suffit, pour l'établi^ de relire une page de l'histoire des Deux-Siciles sous le règne patriotique de Ferdinand II, page qui démontre à l'évidence que la race des marchands n'est pas moins irritable que celle des poètes.

100

Nous tiendrons compte, d'ailleurs, en temps et lieu, au très-honorable commissionnaire de son poème dantesque, sinon pédantesque, sur les prisons napolitaines.

La Sicile possède d'immenses richesses souterraines. Son sol est percé de nombreuses solfatares, qui donnent naissance à un commerce important avec l'Europe. Lorsqu'on découvrit ces solfatares, l'argent manquait pour leur exploitation. Des Anglais vinrent s'établir dans l'ile, et peu à peu accaparèrent le monopole du commerce des soufres, sans solliciter ni obtenir aucune autorisation du gouvernement des Deux-Siciles. En 1838, une société française traita avec le gouvernement de Naples et s'engagea à acheter tous les ans le soufre produit par les solfatares de la Sicile. L'Angleterre, quoiqu'elle n'eût aucun droit, protesta contre ce traité, qui, prétendait-elle, était une violation flagrante des traités de 1816, et devait porter préjudice aux exploitants anglais établis en Sicile, et fit dépendre la ratification du traité de commerce que le gouvernement de Naples voulait conclure avec elle de la résiliation du traité passé avec la société française. Le roi Ferdinand, porté par les intérêts commerciaux de son royaume à se ménager l'alliance de l'Angleterre, proposa à la compagnie française de rompre le contrat moyennant de larges indemnités; mais l'impatience du cabinet britannique lui fit brusquer les négociations. Il somma le gouvernement napolitain, en lui adressant des menaces de guerre, de rompre immédiatement le contrat des soufres, et d'accorder des indemnités pécuniaires aux Anglais, qui, selon lui, avaient éprouvé des préjudices par la conclusion du traité.

101

Le roi ne céda pas, et sa réponse fut empreinte d'une grande dignité.

«Le traité de 1816, dit Sa Majesté, n'est évidemment pas violé par le contrat des soufres. Au lieu d'avoir éprouvé des dommages, les sujets anglais ont réalisé des bénéfices considérables. J'ai donc pour moi Dieu et la justice, et j'ai plus de confiance dans LA FORCE DU DROIT QUE DANS LE DROIT DE LA FORCE.»

Immédiatement après avoir fait cette réponse, le roi donna des ordres pour armer les côtes de Sicile, et y envoya des troupes. L'Angleterre, peu soucieuse de sa réputation, n'a jamais trahi ses intérêts, lors même qu'elle a dû sacrifier sa dignité pour les soutenir. Elle rassembla une forte escadre dans le golfe de Naples et s'empara de quelques navires de commerce siciliens. La lutte ainsi entamée semblait devoir prendre des proportions plus grandes, lorsque le roi Louis-Philippe fit offrir la médiation de la France. Le roi Ferdinand l'accepta le 20 avril 1840, et l'Angleterre l'accepta quelques jours après. Les négociations amenèrent l'arrangement du différend que le roi de Naples accepta par déférence pour le médiateur, mais il ne modifia pas ses premières résolutions, qui consistaient à rompre le contrat en indemnisant la compagnie française et un petit nombre d'industriels anglais établis en Sicile. C'est ce qui fut fait. Ainsi que le roi l'avait pensé, la force du droit l'emporta sur le droit de la force, et l'Angleterre dut abaisser ses injustes et violentes prétentions devant la ferme et noble conduite de Ferdinand (1).

(1) Albert de Dalmas, le Roi de Naples, p. 35, 36 et 37.

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Comprend-on maintenant quels sentiments haineux dictèrent les odieuses philippiques du très-honorable Gladstone et les observations approbatives de son complice Palmerston! Le roi Ferdinand II était Bourbon; tout Bourbon est Français; Ferdinand ne l'oubliait pas et savait concilier avec l'amour de la patrie, l'amour du berceau de sa royale maison. Il favorisait la France contre l'Angleterre: faut-il s'étonner après cela des injures et des calomnies des Gladstone et des mercenaires démocratiques qui, pour de l'or, jetteraient de la boue sur les plus fermes champions de la France même.

Je dédie à M. Gladstone ce chapitre des prisons piémontaises, bien sûr qu'il va trouver pour la vérité des accents encore plus énergiques et plus virulents qu'autrefois pour la peinture de chimériques horreurs;et pour lui prouver ma bonne foi, je tiens à lui donner acte de la sienne et à reproduire ces lignes curieuses où il revient humblement sur ses assertions premières:

«Je n'ai rien appris confirmant l'assertion par moi rapportée comme probable que Settembrini avait été torturé. Je crois donc de mon devoir de la retirer.

» J'avais commis une grave erreur en disant qu'il avait été condamné aux doubles fers pour la vie. Les fers ne font pas partie de l'ergastolo, qu'il a dû subir par suite de la commutation de la première peine.

» J'ai dit que six juges avaient été révoqués à Reggio pour avoir acquitté des prisonniers politiques. C'est une erreur: trois d'entre eux ont été seulement changés de poste.

» J'ai dit que dix-sept malades avaient été massacrés à Procida, lors de la révolte de cette prison. Je crois aussi que c'est une erreur.

103

» J'ai prétendu que certains prisonniers, acquittés dans le procès de L' Unita, italiana, étaient encore en prison. Cette assertion pourrait faire croire qu'ils ont été retenus en prison un temps considérable après leur acquittement, ce qui est inexact (1).»

II

Les journaux ont établi qu'à la fin de 1861 les prisons du royaume des Deux-Siciles contenaient quarante-sept mille sept cents individus, et que quinze mille six cent soixante-cinq autres avaient été fusillés. Nous croyons ce dernier chiffre exagéré d'environ un tiers; mais quant à celui des prisonniers, nous le tenons pour vrai et certain. Pour les seules provinces de la Terre de Labour, de Salerne et de Naples, trois provinces sur vingt-trois, la fourniture des prisons a établi officiellement qu'il s'y trouvait détenues vingt-deux mille sept cents personnes. A ce compte, le total ci-dessus indiqué serait plutôt au dessous de la vérité.

-

Le député Ricciardi déclare (2) que le roi Victor Emmanuel, au mois d'avril 1862, reçut à Naples, en vingt-cinq jours, plus de soixante-dix mille suppliques, et que, dans les seules prisons de la ville de Naples, languissent seize mille citoyens. Quelques députés faisant des signes de dénégation, M. Ricciardi réplique: «Le nombre des gens enfermés comme suspects de bourbonnisme est d'environ seize mille.

(1) Examination, p. 10.

(2) Séance parlementaire, du 17 juin.

104

Et qu'on ne me dise pas non, parce que je ne suis pas un homme léger, et que, quand je dis une chose, je la dis parce que j'en suis certain. Je possède l'état des détenus politiques dans les diverses provinces; rien qu'en Basilicate, ils sont douze cents; le plus grand nombre ont été arrêtés illégalement, quelques-uns même sur les plus légers indices.»

Le marquis de Normanby appelle l'attention de la Chambre des lords (1) sur le traitement infligé à tant de malheureux prisonniers. «On sait, ajoute-t-il, que, sur la population de huit millions d'individus que contient le royaume de Naples, vingt-cinq mille à peine prirent part au vote d'annexion; et voilà seize mille personnes jetées en prison parce qu'elles résistent à la volonté du peuple, représenté par ces vingt-cinq mille.» Déjà, dans une séance précédente (2), le marquis de Normanby avait parlé des restrictions arbitraires introduites par les Piémontais dans les prisons napolitaines, défendant aux détenus de recevoir les visites de leurs parents et même de conférer avec leurs défenseurs. Ces mesures arbitraires donnèrent lieu à une solennelle protestation signée des soixante premiers avocats du barreau napolitain contre «les abus et les illégalités administratives dans le traitement des prisonniers.»

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Au mois de novembre 1862, dans les prisons de Palerme, deux mille individus sont enfermés sous la prévention d'être suspects de bourbonnisme. Le préfet ayant en vue d'autres arrestations, demande l'autorisation de convertir en prisons les couvents des Franciscains et des Capucins, les anciens locaux n'étant plus suffisants.

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Un détenu est assassiné dans une des prisons de Palerme, et son frère est grièvement blessé; les camorristes, qui étaient les coupables, forcent le blessé à se déclarer fratricide, ce qu'il fait devant l'autorité sous le coup de menaces de mort; mais la vérité se découvre providentiellement.

Dans la prison de la Vicaria de Naples, le fameux camorriste Antonio Lubrano est tué pendant la nuit par ses propres complices. Voici ce que disait de cet homme, à la date du 10 octobre, un journal de Turin (1): «Quand le roi Victor-Emmanuel vint pour la première fois à Naples, Lubrano fut un de ceux qui s'attelèrent au carrosse royal pour le conduire au palais; fort de ce service rendu à la cause, comme il disait, il se présenta à la police et dit qu'on ne pouvait plus l'emprisonner pour ses antécédents, consistant en plusieurs homicides, puisqu'il avait eu l'honneur de se tenir aux côtés de Sa Majesté et d'en toucher la voiture.»

Les journaux siciliens déclament contre la mauvaise qualité du pain fourni aux prisonniers de Palerme, qui, ne pouvant pas le manger, en forment une sorte de tabac qu'ils montrent aux curieux qui les visitent.

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Quatre cents individus ont été envoyés en prison dans le cours de "année par la police de Palerme, qui ignore jusqu'à leurs noms, si bien que, pour les savoir, on s'est vu contraint de s'adresser au procureur du roi et au directeur des prisons, qui ne les connaissaient pas tous.

(1) Gazzetta di Torino.

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On lit dans un journal de Naples(l): t Les justes plaintes des détenus ne cessent pas depuis huit ou dix mois qu'ils sont enfermés sans procès, sans espoir, sans décision aucune sur leur sort. Il n'y a que les mauvais traitements qu'on ne leur ménage pas.»

La discipline intérieure des prisons est nulle; les geôliers sont sans courage et sans force, et souvent même on les trouve complices des tumultes, des meurtres et des évasions. Le journal le Pungolo annonce l'évasion de six cents galériens du bagne de Brindisi. Six cents!

«Les agents de la sûreté publique arrêtent des malfaiteurs, et, quelques jours après, les juges les mettent en liberté. Le crime est presque sûr de l'impunité, et des milliers de condamnés évadés ou amnistiés parcourent les rues de Palerme en groupes nombreux, se pavanant dans leurs vestes de galériens, et riant au n-ez des agents de la force publique (2).»

Un très-grave désordre se produit dans les prisons de Castelcapuano, à Naples; la sentinelle décharge son fusil contre un prisonnier en contravention; ce fait est suivi d'une révolte de tous les détenus; les guichetiers s'interposent en vain, plusieurs d'entre eux sont blessés et l'un y laisse la vie (3).

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Plusieurs journaux déplorent les monstruosités que, dans quelques prisons, les détenus robustes coin mettent contre les plus faibles.

(1) Gazzetta di Napoli, fin décembre.

(2) Le Diritto, journal de Turin, n. 93.

(2) Le journal il Pungolo, 28 novembre.

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Il y a là des jeunes gens sans aucune expérience que la prison pervertit Mais jetons

un voile sur ces horreurs (1).

Dans un ordre du jour confidentiel que l'on trouvera au chapitre des Lieutenants subalpins, le général comte Mazé de la Roche confesse ouvertement que «les prisons sont pleines d'innocents.»

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Le garde-des-sceaux Pisanelli (2) avoue que, dans les prisons de Naples, gisent, depuis deux ans, quatre mariniers, sans qu'on sache encore par quel tribunal ils doivent être jugés.»

III

Dans le but de fermer la plaie du paupérisme, la police de Naples emprisonne sans pitié toute sorte de mendiants, qu'elle oublie parfois dans les cachots, de sorte qu'un malheureux du nom de Luigi Creolla, arrêté le 15 janvier, incarcéré et oublié pendant plusieurs jours, fut trouvé mort de faim dans sa prison.

Le journal le Popolo d'Italia du 21 janvier, rapportant ce fait si douloureux, en fait mieux ressortir l'horreur en rapportant que le préfet de police de Naples, Santaniello, touche annuellement 50,000 francs pour le soulagement de la mendicité.

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Dans la nuit du H au 12 juillet, quarante-quatre galériens s'évadent du bagne de Granatello.

(1) Colpo d'Occhio, p. 72.

(2) Séance parlementaire du 12 décembre.

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Trente détenus, dans la soirée du 30 septembre, s'échappent de la prison de Castelcapuano, à Naples, et trois condamnés pour crime qualifié, des prisons d'Aquila, dans la nuit du 17 au \S du même mois.

Dans la soirée du 9 décembre, huit condamnés pour crimes qualifiés s'évadent des prisons de Naples, entre autres le fameux Raphaël Pepoli, ancien galérien, coupable de treize homicides. A ce propos, un journal écrit ce qui suit (1): «Notre pauvre pays est destiné à posséder un triste privilège. Il n'y a pas d'exemple dans l'histoire d'un malheur aussi persistant dans la garde des prisonniers.»

Le 27 décembre, cent trente-sept galériens s'évadent des prisons de Girgenti, en Sicile, avec tout leur bagage. Cette évasion se produit le jour même où l'administration se défiant des anciens gardes-chiourmes siciliens les avait remplacés par des Piémontais.

Le Movimento de Gênes publie la lettre d'un détenu de San-Stefano, près Gaëte; en voici un extrait: «La chaîne qui nous serre la taille et le pied est attachée aux murs de nos chambres, qui rappellent les fosses de l'Enfer de Dante. Traités comme les plus abjects malfaiteurs, sais-tu ce qui nous réconforte? l'espoir que, dans ces derniers jours de l'année, quelque cœur généreux aura pitié de nos douleurs.»

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«J'ai vu gisants sur la terre vingt-deux jeunes gens presque nus, condamnés comme déserteurs, couverts de plaies et de vermine, pendant que six cents vestes de laine appartenant au gouvernement, sont la pâture des vers dans un magasin de la prison.

(1) Le Pungolo, 10 décembre.

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Dans une autre chambre verrouillée gémissent beaucoup de malheureux à moitié ou tout à fait nus, qui n'en sont pas sortis depuis quatre mois. On vante le système cellulaire, mais on n'en pratique que les rigueurs; on supprime les deux heures de promenade par jour et l'on défend de fumer; l'herbe croît dans les cours, ou les employés s'en font des jardins. Treize cents autres prisonniers ne sont guère mieux traités; il y a quelques jours, aux. barreaux extérieurs de la prison, on voyait se suspendre une foule de femmes portant dans leurs bras des enfants, demandant des nouvelles de leur mari, de leurs frères, de leur père, de leurs fils, ne les voyant pas depuis des mois entiers, et ne sachant pas s'ils sont morts ou vivants. Le sous-directeur de la prison disait à une sentinelle: «Éloignez ces femmes à coups de crosse de fusil.» Alors je vis le soldat passer l'arme à un de ses compagnons, eu disant: «Je ne sais pas me servir d'un fusil contre de malheureuses femmes et contre des créatures à la mamelle.» Je pleurais en embrassant ce brave jeune homme qui pleurait aussi. Le détenu qui soupire est mis au pain et à l'eau. Je suis prêta témoigner de ce que j'ai dit devant qui que ce soit (1).»

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Le guichetier Luigi Prialia profite de la détention d'un nommé Camille Ganci pour lui voler un petit bien estimé deux mille cinq cents francs, et ravir sa femme avec violence (2).

(1) Déclaration de Michel-Ange Cammineci chargé officiellement de la fourniture des vivres des prisons de Palerme, publiée par la plupart des journaux siciliens.

(2) Idem.

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La déclaration du fournisseur Cammineci impressionne profondément le pays. Le député Crispi visite les prisons et en sort attéré (1).

On emprisonne en Italie depuis la cime des Alpes jusqu'au bout de la Sicile; les prisons regorgent; la honte me force à n'en pas dire plus (2)!

On nous écrit de Catanzaro: «Nos prisons regorgent; les prisonniers n'ont pas de lits, point de paille, pas même de couvertures; aussi deux cent quatre-vingts d'entre eux sont-ils atteints du typhus. Il en meurt journellement beaucoup, et les autorités ne pensent pas à soulager le sort de tant de malheureux (3).»

A Foggia, les anciennes prisons n'étant plus suffisantes vu le grand nombre des prisonniers cellulaires, on les place dans des corridors fermés hermétiquement avec des planches, si bien que les mauvaises conditions de l'atmosphère font craindre le développement du typhus.

Dans les prisons de Palerme, les détenus sont soumis à toutes les vexations et à toutes les extorsions; ils n'obtiennent ni papier, ni livres, ni encriers, ni sucre, ni café, ni vin, ni tabac, à moins de donner de grosses sommes aux geôliers (4).

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Les régénérateurs vont plus loin; ce n'est pas encore assez de tortures, il faut raffiner le châtiment inique. Le gouvernement piémontais traite avec le Portugal de la cession d'une île lointaine de l'Océan,

(1) Le Precursore, journal de Palerme.

(2) La Patrie, de Paris, octobre 1862.

(3) Le Diritto, journal de Turin, 8 avril.

(4) Aspromonte, journal de Palerme, 18 décembre.

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dans laquelle il projette de déporter en masse la majeure partie de ses prisonniers politiques. Cette nouvelle produit dans le public un sentiment d'horreur tel, que le gouvernement se voit forcé d'abandonner son odieux projet, et de démentir qu'il y ait jamais pensé.

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«...Les députés Fabrizi, Mordiniet Calvini ont été arrêtés d'une manière monstrueusement inconstitutionnelle et renfermés au Château de l'Œuf, sans que notre pacha, le général la Marmora, ait jamais voulu concéder à aucun de nous la permission de les visiter; tandis que moi, pendant huit mois que j'ai passés au fort Saint-Elme (1834-1835), sous le sceptre de Ferdinand II, et au temps du célèbre del Carretto, n'étant pas député, j'eus la faculté, quoique prévenu de conspiration, de voir souvent mes parents et mes amis. Et puisque j'ai parlé du gouvernement bourbonnien, je rappellerai que le roi Ferdinand, vainqueur du soulèvement du 15 mai 1848, n'osa faire arrêter aucun des députés parmi lesquels j'avais l'honneur de me trouver, quoique un comité révolutionnaire ait été élu dans le sein de la chambre, et que plusieurs députés eussent ouvertement conspiré contre la puissance royale. Les arrestations des députés ne commencèrent qu'après le 14 mai 1849, jour de la dissolution de la chambre. Elle était donc réservée au gouvernement du roi d'Italie, à son ministère, la gloire de faire ce que Ferdinand II n'osa pas en 1848 (1)!»

(1) Lettre du député Riccianli, en date du 23 septembre, publiée par le Movimento, journal de Gênes.

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IV

A Palerme, quelques jours après le retrait de l'état de siège, un homme est jeté en prison pour avoir tenu des propos contraires au gouvernement (1).

L'état de siège a restreint le libre transit, multiplié les perquisitions, les saisies de lettres, les arrestations, les déportations d'une province dans l'autre; la rigueur a été poussée jusqu'à la cruauté; les femmes ne pouvaient parler à leur mari prisonnier qu'en présence de deux gardiens, et les vivres qui venaient du dehors étaient d'abord hachés par les geôliers. Or les détenus n'étaient coupables que d'être suspects de connivence avec les brigands (2).

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Mademoiselle Francesca Patrella, fille d'un ancien capitaine de vaisseau, uniquement occupée de bonnes œuvres de tout genre, et se consacrant surtout à la visite des malades, est arrêtée à la suite dela saisie d'une lettre dans laquelle elle envoyait de l'argent à son confesseur; elle lui donnait en même temps note des différentes sommes qu'elle avait reçues pour les pauvres. Le gouvernement y voit une souscription en faveur des brigands, et fait enfermer mademoiselle Patrella dans une prison habituée à ne recevoir que les femmes les plus dégradées. En vain tous ses parents et son père lui-même demandent la permission de la voir, et rien ne peut faire prévoir le terme de cette abominable incarcération.

(1) Le Precursore, journal de Palerme, 10 décembre.

(2) Colpo d'Occhio, p. 140.

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On écrit de Campo-Basso, province de Molise: «Le typhus le plus meurtrier s'est déclaré dans les prisons où sont enfermés d'innombrables suspects. Les détenus n'ont pour lit qu'un peu de paille disséminée sur le sol. L'épidémie commence à envahir la ville.»

Dans les derniers jours du mois de février, le Siècle, organe de M. Havin, publiait les lignes suivantes:

«... Nous n'avions pas besoin de ce nouvel exemple pour être convaincus que les cléricaux ne sauraient parler de l'Italie sans qu'il n'y ait à en rabattre les trois quarts sur leurs discours. Les récits des feuilles bourbonniennes sur la situation des prisons de Naples et sur les traitements infligés aux prisonniers leur ont valu de nombreux démentis, etc.»

Le 25 février, M. Crispi, député italianissime, prononçait au parlement un discours qui semblait être une réfutation immédiate de l'incrédulité de M. Havin, et dont nous extrayons ce qui suit:

«... Dans ces derniers temps, il plut une nuée de directeurs et sous-directeurs des prisons dans les provinces méridionales. A Girgenti, à Teramo et à Lecce, vous savez commentées directeurs ont gardé leurs prisonniers. De quelle façon se fait le service des prisons, comment on traite la nombreuse et malheureuse famille qui y est enfermée; je vous le décrirai très-brièvement, ayant visité en personne les prisons centrales de Palerme. Pendant les vacances parlementaires, j'entendis parler du mauvais traitement que subissaient les détenus, je m'en émus et je voulus aller voir ces infortunés de mes propres yeux. Je trouvai les condamnés confondus avec les détenus sous prévention ou par mesure de police; je constatai l'absence des registres donnant des renseignements sur eux.

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Sans lit, sans lumière la nuit, ils avaient la misère dans tout son luxe. J'ai vu le sol des corridors, dans lesquels l'ordure était tellement invétérée, qu'il était impossible de reconnaître s'il était de briques ou de pierres.» Au troisième étage de la première section de ces prisons, pendant que je les visitais, tout d'un coup, du sein d'une masse d'hommes entassés confusément, sortit un individu qui n'avait plus forme humaine, nu, couvert d'ordures, les cheveux hérissés, les yeux en larmes, à jeun depuis plusieurs jours, gémissant pour les mauvais traitements qu'on lui avait fait souffrir. Le sous-directeur qui me suivait, interdit à cette vue, ne sut me répondre autre chose, sinon que cette scène avait été apostée là et machinée de façon à faire impression sur mon esprit. Mais il oubliait que la scène eût été impossible si ces malheureux n'avaient pas été maltraités, et que la faute tout entière en retombait sur lui.... Et pourtant, messieurs, cette branche du service public, coûte 2,821,100 fr.! A vous de tirer les conséquences (1)!»

A Potenza, cent quatre-vingt-deux prisonniers meurent du typhus dans l'espace de douze jours.

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Nous avons eu plusieurs fois déjà l'occasion de citer la Déclaration de M. Michel-Ange Cammîneci, fournisseur des prisons de Palerme. Ce document, daté du 5 janvier, mérite l'attention de tous les gens de cœur, de tous les hommes impartiaux et charitables, qui savent compatir à la souffrance, en quelque parti qu'ils la trouvent.

(1) Gazette officielle du royaume d'Italie, séance du 25 février 1861, feuille 1043 , p. 4055, colonnes une et deux.

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Le fournisseur des prisons siciliennes s'adresse «au roi Victor-Emmanuel, au parlement et aux ministres.»

«...Le Spielberg pâlit en comparaison! Invité par mon noble ami, le sous-préfet de la province de Palerme, à me charger du service et de la nourriture des prisons judiciaires de la ville, depuis le 1er janvier 1863 jusqu'à ce qu'il fût possible de passer un contrat de fournitures, j'ai accepté par sentiment d'humanité ce genre d'occupation, qui est tout à fait en dehors de mes habitudes.

» En me portant dans ce lieu, j'ai vu, chose incroyable, mais vraie! que Silvio Pellico et Maroncetti étaient dans un palais doré en comparaison de cette prison et de l'état de ces malheureux que la loi seule devrait avoir le droit de punir.

» Les chefs de cette direction sont N... et H..., hommes qu'on serait loin de croire originaires de la douce Toscane. Le bras droit des directeurs, d'abord pick-pocket, puis geôlier sous le maudit régime bourbonnien, persécuté par la colère du peuple, puis déporté à Ustique, en est revenu pour être nommé sous-chef des prisons... Ayant en son pouvoir ces hommes qui l'ont persécuté, qu'on s'imagine, s'il est possible, les tortures que cette hyène fait souffrir à ces malheureux!... J'en vis pâlir un excellent jeune homme, fils du directeur de la police, et j'entendis M. Solera, de Brescia, chef du secrétariat de la police, s'écrier: «Je n'ai jamais rien vu de pareil en Autriche!»

» Puisque j'appartiens au parti qui seul devrait exister, celui de l'unité de l'Italie, j'attends prompte justice de l'intelligence supérieure du commissaire du roi, et si le directeur doit éprouver du dommage par suite de cette révélation, comme il est père de six enfants,

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j'offre de l'indemniser de ce qu'il perdra, jusqu'à ce qu'il soit employé avec des honoraires correspondants. J'en dis autant pour le sous-directeur... Mais je ne puis pas transiger avec l'humanité souffrante.

» Les treize cents prisonniers ont, eux aussi, plusieurs milliers d'enfants innocents; là, on meurt tous les jours de privations et de misère. Sons le héros Victor-Emmanuel II, en plein 1863, cela ne devrait pas arriver dans la libre Italie.»

Une telle déclaration, faite et signée par un partisan du Piémont, serait amoindrie par les commentaires.

V

Nous croyons être agréable à nos lecteurs en plaçant ici sous leurs yeux le journal du comte de Christen, Quinze jours au bagne. Il y a plus d'éloquence vraie dans ces notes courantes tracées par la victime même, que dans un volume de dissertations.

«Je n'ai pas songé à écrire des notes sur les tribulations que j'ai souffertes depuis mon incarcération à Naples. C'est un tort; j'aurais pu raconter bien des choses navrantes dont j'ai été le témoin quand je n'en étais pas le patient. Arrêté à Naples par la police piémontaise, le 17 septembre 18<M, parce que j'avais eu l'imprudence de me munir d'un passe-port étranger, détenu préventivement onze mois, condamné sans témoignage, abandonné de mes protecteurs naturels, voilà un an et demi que je suis privé de ma liberté; et si l'arrêt de mes juges est exécuté, dix autres années se passeront,'avant qu'il me soit donné de revoir la France, ma famille et mes amis.

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» Que de faits j'aurais pu et dû même enregistrer, pour mieux faire connaître quelle sorte de libérateurs sont ceux qui ont peuplé les cachots du royaume des Deux-Siciles! Je regrette j que la pensée ne me soit pas venue plus tôt d'écrire un journal de ce qui se passe sous mes yeux et de ce qui me concerne.

» Je veux du moins tracer un récit des incidents qui ont accompagné ma translation de Santa-Maria-Apparente aux bagnes de Pouzzoles et de Nasida, mon séjour parmi les galériens et mon retour au fort Saint-Elme. Je n'ai pas la prétention de poser eu martyr: les honnêtes gens n'ont pas besoin de recourir au charlatanisme. Ce que je vais écrire est pour mes amis, et rien ne m'assure même que ces lignes puissent leur parvenir.»

Jeudi, 18 janvier.

«Le gardien chef de la prison de Santa-Maria-Apparente est venu nous réveiller et nous faire lever; il nous a avertis que les gendarmes nous attendaient pour nous conduire au bague. J'ai demandé à voir le consul de France; cette joie m'a été refusée; j'ai fait observer que l'élève consul, M. de Bellègue, avait prévenu que, dans le cas de notre départ, il désirait être informé d'avance; on m'a répondu que le consul français et la France n'avaient rien à voir dans cette affaire.

» MM. Caracciolo, de Luca et moi sommes descendus dans la salle d'attente où nous avons trouvé un maréchal-des-logis de gendarmerie qui nous a lié les mains avec des menottes. Il nous a serrés tellement, que le sang sortait de nos poignets.

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» Il nous a conduits à pied et liés tous les trois sur la route de Pouzzoles. A une certaine distance, le marechaldes-logis nous a permis de prendre une voiture à nos frais, et il nous a fait accompagner par des gendarmes à cheval. Quand nous avons traversé le village de Fuorigrotta, la population s'est pressée sur notre passage et nous a témoigné des marques de sympathie. A la sortie du village, l'escorte a été renforcée de deux autres gendarmes, et, de distance en distance, la route était gardée par des vedettes à cheval, ce qui n'empêchait pas les paysans de nous saluer.

» Arrivés à Pouzzoles, on nous a fait entrer dans la cour du bagne. Un galérien a apporté trois immenses chaînes, en nous disant que nous devions nous faire ferrer. M. Carracciolo passa le premier, puis mois, ensuite de Luca. On nous a rivé des chaînes pesant 80 livres chacune. Dans le ferrement, de Luca a failli avoir le pied brisé par un coup de marteau qui a porté à faux.

» Nous avons été dépouillés de tous nos vêtements, fouillés d'une manière ignoble (réglementaire, du reste), et conduits dans les cellules placées au dernier étage du bagne.»

Vendredi, 16 janvier,

«Nous avons une nuit affreuse.

» Le comptable nous a fait descendre ce matin, individuellement, pour procéder à la toilette. J'ai été appelé le premier. On m'a coupé les moustaches, on m'a fait endosser complétement lé costume des galériens, qui se compose d'une veste et d'un bonnet rouges,

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d'un pantalon et d'une capote couleur chocolat. On a procédé de même pour Caracciolo et de Luca.

» Dans ce moment, est arrivé le père de M. Caracciolo: sa vue nous a causé une forte impression; M. Caracciolo père n'a pu retenir ses larmes, et nous avons avec peine comprimé les nôtres. Après une demi-heure, M. Caracciolo a dû s'en aller, et nous avons été ramenés à nos cellules.»

Samedi, 17 janvier.

«Cinq heures du matin, les gardiens sont venus nous prendre, en nous disant que c'était pour nous conduire au bagne de Nisida; on m'a déferré, puis on m'a referré à la même chaîne que Caracciolo. Pendant l'opération, qui se faisait à la clarté d'une mauvaise lampe, j'ai failli avoir la jambe cassée. De Luca a été aussi attaché à notre chaîne, ce qui triple le poids de nos fers.

» Nous avons demandé une voiture à nos frais, ce qu'on nous a refusé. Nous avons donc fait la route de Pouzzoles à Nisida à pied, enchaînés; l'anneau rivé à nos jambes nous blessait cruellement. Aux Bagnoli, nous nous sommes embarqués pour l'Ile. En mettant le pied à Nisida, nous avons rencontré une couvée de galériens allant au travail; ils nous ont appelés «frères, amis, camarades, etc.» Ces mots ont fait pâlir Caracciolo.

» Dans l'établissement des forçats, des sous-officiers nous ont accordé une salle séparée des voleurs et dus assassins. Des marques de sympathie nous sont données par les employés du bagne, mais à leurs risques et périls, car les autorités ont recommandé beaucoup de sévérité à notre égard.

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Nous restons enchaînés deux à deux, Caracciolo et moi liés à une chaîne de 50 livres; de Luca a été ferré avec un Calabrais, appelé Callarico, condamné pour crime de réaction.»

«Dimanche, 18 janvier.

«Ce matin, à sept heures, on nous fait descendre dans la cour où est bâtie la chapelle; nous avons entendu la messe, mêlés avec tous les pensionnaires du bagne, qui sont au nombre de neuf cents. Nous avons appris que, depuis notre arrivée, le commandant avait reçu l'ordre de doubler les postes.

» On a immatriculé nos personnes; je porte le n° 16,658, M. Caracciolo 16,657, et de Luca 16,659. Ainsi, dans les seuls bagnes des provinces napolitaines, la Sicile non comprise, il y a près de dix-sept mille galériens. Les sous-officiers gardiens, dont plusieurs ont servi sous mes ordres dans les Abruzzes, m'ont raconté qu'on avait reçu l'ordre, à Pouzzoles, où est la direction générale, de se tenir prêt à vêtir quinze mille autres condamnés pour réaction. Je ne saurais trop faire remarquer que les bagnes de la Sicile ne sont pas compris dans cette statistique. Si on ajoute à ces chiffres celui de trente mille individus emprisonnés sans procès, sans compter ceux qui sont détenus après condamnation, dans les maisons de réclusion, de relégation, etc., nous aurons un bilan qui honorera le régime des libérateurs.»

Lundi, 19 janvier.

«Tous les galériens viennent à tour de rôle nous voir dans notre chambre;

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mais ils ne nous adressent aucune insulte; au contraire, ils se montrent très-respectueux et affectés de notre position. Vraiment, c'est à croire que ces gens-là ont plus de sentiments que ceux qui nous ont envoyés ici.

» A quatre heures du soir, nous avons reçu la visite de lord Lennox. En nous apercevant, il a reculé comme épouvanté. Après quelques hésitations, il s'est approché de nous et s'est efforcé de trouver des paroles de consolation. Lord Lennox m'a exprimé son étonnement de ce que le consulat français avait permis que je fusse ainsi traité. Je lui ai répondu: Je suis légitimiste...

» Lord Lennox m'a dit que M. Bishop, qui se trouve dans les mêmes conditions légales, ou plutôt illégales, que moi, ne serait certainement pas traité de celte façon, que l'Angleterre ne le permettrait jamais. L'agent de police qui accompagnait Sa Seigneurie la voyant très-émue, s'est empressé de lui rappeler qu'il se faisait tard et qu'il était temps de se retirer.»

Mardi, 20 janvier.

» A dix heures, Caracciolo a été appelé à l'audience. Comme c'est mon inséparable compagnon de chaîne, je suis forcément descendu'avec lui. Nous avons trouvé ses deux jeunes sœurs et son père, qui, en le voyant, ont fondu en larmes. Nous avons cherché à les consoler, et nous nous sommes efforcés de garder le sourire sur les lèvres, pendant que nous avions la mort dans l'âme.

» J'ai appris par le père de Caracciolo que plusieurs Napolitains influens étaient allés au consulat français pour prévenir M. Solanges-Baudin de mon transfert à Nisida et le prier de s'occuper un pou de son compatriote.

….....................................................................................

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» Après être resté avec nous une demi-heure, M. Caracciolo père s'est retiré avec ses filles, et nous avons été conduits dans une autre chambre plus aérée faisant face à la mer, faveur que nous avons due aux employés seuls, agissant en dehors de leurs instructions.

» A trois heures, on nous a prévenus de l'arrivée de deux attachés au consulat de France; je suis descendu avec mon compagnon de chaîne. J'ai trouvé dans la cour M. de Bellègue, excellent jeune homme; il était avec un autre employé du consulat que je ne connais pas. M. de Bellègue paraissait très-ému de notre affreuse position...

» J'ai rappelé à M. de Bellègue qu'à Santa-Maria-Apparente se trouvait un Anglais, sir James Bishop, détenu dans les mêmes conditions que moi. Malgré l'inimitié personnelle existant entre lui et son consul, ce dernier a interposé ses bons offices, et le gouvernement de Turin a dû faire meubler la chambre du prisonnier et le traiter avec toute la considération possible. Le consul anglais a bien su empêcher que M. Bishop fût mis au bagne...

» Vraiment, je n'ai pas de chance; je suis bien l'homme le moins protégé du monde. Déjà, lorsque huit cents hommes de ma colonne étaient revenus à Naples au mois de mars 1861, garantis, je crois, par une convention passée entre la France et le ministre Cavour, ils n'en avaient ni plus ni moins, à leur débarquement à Naples, été jetés dans les prisons, où ils gémissent encore.

» M. de Bellègue m'a donné l'assurance qu'il ferait tout ce qui dépendrait de lui pour m'aider à sortir le pins promptement possible de cette position.

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Son compagnon nous a offert des livres, des journaux, etc., que nous n'avons pas acceptés, cela nous étant défendu. Ces messieurs se sont retirés passablement impressionnés. Caracciolo et moi, nous avons été ramenés à notre cellule.»

Mercredi, 21 janvier.

«Il est arrivé un groupe do dix-sept garibaldiens pris à Aspromonte. Ils viennent du bagne de San-Stefano.

» Deux Calabrais ont demandé à nous voir; ce sont deux anciens sous-officiers, dont l'un, sergent dans la garde royale, a été au siège de Gaëte. Ils sont condamnés à dix ans de travaux forcés comme réactionnaires.»

Jeudi, 2Î janvier.

«On donne l'ordre de ferrer tous les réactionnaires deux à deux; les voleurs et les assassins sont déferrés et mis à la petite chaîne.

» A quatre heures du soir, le lieutenant-colonel Zaccari, commandant les bagnes, est arrivé à Nisida. 11 a visité notre chambre et a ordonné de nous déferrer, en nous laissant seulement un anneau du poids de quatre livres environ. De Luca est mis à la petite chaîne, et Callarico est renvoyé dans une autre chambre.»

Vendredi, 23 janvier.

«On a diminué encore notre ferrure; on nous met aux pieds de petits anneaux qui ne pèsent qu'une livre.

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» On a enterré, à dix heures, un vieux galérien mort hier.

» A midi, de Luca a eu le bonheur de pouvoir embrasser des parents de sa femme.»

Samedi, 21 janvier.

«A trois heures du soir, nous avons entendu des salves d'artillerie; ce sont deux frégates portant le drapeau royal piémontais au grand mât; nous apprenons que la duchesse de Gênes est à bord.

» A six heures, nous avons eu la visite d'un médecin de Civitella-Roveto, M. Louis Rabusi, condamné à vingt ans de galères pour avoir donné du pain aux réactionnaires. Il nous a entretenus longtemps sur le malheureux état des Abruzzes.»

Dimanche, 25 janvier.

«Notre nuit a été bien pénible, nous avons été tous les trois malades.

» Nous sommes descendus dans la cour pour assistera la messe, après laquelle nous sommes remontés dans notre chambre.

» Le commandant du bagne, M. Testa, m'a apporté une lettre de la famille Stone, lettre qui m'a fait le plus grand plaisir. 11 nous a autorisés en même temps à correspondre avec nos parents, et nous a permis l'usage des livres. Une demi-heure après, il est revenu et adonné des ordres pour faire blanchir notre chambre.

» A une heure, le commandant est encore revenu, et celte fois pour nous apprendre qu'il a reçu un ordre du général La Marmora,

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lui enjoignant de nous déferrer et de retirer tous nos vêtements de galériens, car nous devons être transférés dans une forteresse de la capitale, où on nous permettra de porter des habits bourgeois.»

Lundi, 26 janvier

«A huit heures du matin, un sous-officier nous a annoncé que les gendarmes chargés de nous transporter étaient en bas. Nous sommes descendus à la chambre du sergent-major, où nous avons trouvé le même maréchaldes-logis et les mêmes gendarmes qui nous avaient accompagnés à Pouzzoles. Le maréchal-des-logis nous a prévenus que l'autorité militaire avait envoyé un fourgon d'ambulance pour nous transporter avec plus de sûreté à Naples. Nous nous sommes embarqués pour la terre ferme par une très-mauvaise mer. Eu arrivant aux Bagnoli, nous sommes montés dans le fourgon, où les gendarmes et le maréchal-des-logis ont aussi pris place.

» Arrivés à Naples, près de la prison de Santa-Maria Apparente, on nous a fait descendre, et, après nous avoir attaché et cadenassé solidement les mains, on nous a conduits au fort Saint-EIme.

» Nous sommes relégués dans une horrible cellule, ignoblement sale, froide comme une glacière. Après plusieurs heures d'attente, le commandant du fort s'est décidé à nous donner trois mauvaises chaises, une table et trois grabats; nous nous sommes couchés immédiatement, transis de froid.

» Notre cachot est disposé de façon à nous intercepter toute vue extérieure, et nous ne pouvons respirer l'air.»

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Mardi, 27 janvier.

«Nous nous sommes levés avec un froid cuisant. Il est onze heures, et personne n'est venu aérer notre cellule; nous manquons d'eau et de tous les ustensiles nécessaires.

» A onze heures et demie, on- vient voir si nous ne sommes pas encore évadés; nous nous plaignons de l'état d'abandon dans lequel on nous laisse; on nous répond qu'il n'y a pas d'ordre nous concernant, et que si nous avons eu des lits, c'est le capitaine qui a pris sur lui de nous les procurer. Quelques minutes après, le capitaine s'est présenté pour nous répéter la même chose: une lettre confidentielle lai enjoint d'attendre des instructions; cependant il a pris sur lui de nous accorder un vase de nuit.

» A deux heures et demie, le froid nous a obligés à nous réfugier sur notre infecte paillasse. A trois heures, on ouvre notre cellule, et nous voyons arriver M. de Bellègue, accompagné de la même personne qui déjà une fois était venue me voir au bagne de Nisida (je crois l'ancien correspondant du Journal des Débats). Ces messieurs m'ont témoigné beaucoup d'amitié et m'ont demandé à s'assurer du traitement que nous recevions dans notre nouvelle prison. Nous avons répondu que présentement nous nous trouvons beaucoup plus mal qu'au bagne, qu'on nous a défendu de respirer un peu d'air, de lire, d'écrire, etc., etc. A Nisida, nous avions au moins l'air frais de temps en temps, et ici la prison est une ancienne cage à lapins, dont l'humidité ne tarderait pas à nous faire tomber malades. Ces messieurs nous ont engagés à prendre patience.

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M. de Bellègue m'a montré une dépêche télégraphique de M. de Sartiges, ainsi conçue: « Sa Majesté commue la peine de dix ans de galères de M. de Christen en dix ans de détention dans une forteresse.»

» Quelle magnanimité! Quelle commutation de peine! J'ai prié ces messieurs de dire à l'ambassadeur de France à Turin de bien se garder, dans notre intérêt, de demander d'autres grâces à Victor-Emmanuel, de crainte qu'une seconde commutation ne nous fasse jeter dans quelque oubliette. Ces messieurs nous ont offert de nouveau leurs services; nous n'avons pu accepter leurs livres, par suite de la prohibition qui nous en est faite. Veuillez, ai-je dit à M. de Bellègue, raconter au consul de France l'état dans lequel vous m'avez trouvé, la stupide brutalité avec laquelle on nous traite; qu'il nous obtienne, s'il est possible, la permission de respirer l'air une demi-heure chaque jour.

» Ces messieurs se sont retirés en nous promettant de revenir et de faire tout ce qui dépendrait d'eux pour adoucir notre sort. J'allais oublier de dire qu'à leur entrée un lieutenant piémontais, au nom de son chef, les avait engagés à parler italien. Pendant toute la visite, un autre lieutenant est resté présent, faisant le.... (1).»

VI

En 1839, le gouvernement français envoya en Italie M. Cerlfbeer, inspecteur général des prisons, avec mission de visiter les établissements pénitentiaires des divers États,

(1) Le mot ne s'écrit pas et se devine.

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et de consigner ses impressions dans un rapport au ministre de l'intérieur. Ce rapport est essentiellement favorable aux anciens gouvernements italiens et détruit l'échafaudage d'impudentes calomnies que l'Angleterre n'a cessé d'élever contre les prisons de Naples et de Rome: «Les peines que l'on inflige aux détenus pour les infractions aux règlements sont: l'isolement, la privation d'une partie de la nourriture pendant un temps proportionné au délit. Dans les cas graves, on inflige des peines corporelles; mais ces punitions deviennent de plus en plus rares... Dans quelques maisons où le travail est établi, on prive aussi de travail le détenu que l'on veut punir. Du reste, les prétendues tortures auxquelles on a souvent dit que les détenus étaient soumis dans les prisons d'Italie n'existent pat; les règlements s'y opposent formellement, et les précautions prises par l'autorité les rendent IMPOSSIBLES (1).»

M. Jules Gondon déclare que c'était à Naples qu'on trouvait quelques-unes des plus belles prisons de l'Italie, sous le triple rapport de la construction; de la position et des règlements (2).

M. Cerfbeer dit encore:

«Quant à la propreté, elle ne laisse rien à désirer non plus. Chaque année, comme cela se pratique au reste dans presque toutes les prisons d'Italie, on blanchit les cellules et les corridors; et il est interdit, sous de fortes peines, de salir les murailles...

(1) Rapport à M. le comte de Montalivet, ministre secrétaire d'État de l'intérieur, par M. Cerfbeer, p. 65.

(2) De fêtai dei choses à Naples, etc., p. 107.

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» La nourriture et les vêtements sont suffisants, et je crois que, sous ce rapport, les diverses administrations de l'Italie, conciliant l'économie avec la charité, ont parfaitement saisi le point précis où cessent les droits de l'humanité et où commencent les devoirs de la justice (1). *

L'honorable Gladstone a déjà rétracté, comme on l'a vu au début de ce chapitre, une partie de ses assertions calomnieuses à l'égard des prisons napolitaines; un jour, espérons-le, cette rétractation sera suivie d'une éclatante réparation. Ce jour-là, M. Gladstone écrira un parallèle entre les anciennes prisons napolitaines et les prisons piémontaises.

Ce sera la réhabilitation des tyrans!

(1) Rapport nu comte de Montalivet, etc., p. 37.

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INSTRUCTION PUBLIQUE

Instruire, c'est rendre meilleur.

I

Les Piémontais étaient descendus à Naples sons le prétexte de régénérer; aussi l'instruction publique devait-elle avoir sa part de douleurs dans le bouleversement et les réformes révolutionnaires.

Rien ne saurait se comparer mieux à l'impudence subalpine que la folle présomption dont ils font montre dans tout ce qu'ils prétendent régénérer. Comprend-on que Turin, cette villa d'hier, sans illustration, sans passé, sans gloire,

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ose dicter ton tes ses lois à la vieille et fière Parthénope et que, malgré sa proverbiale ignorance, elle puisse blâmer et détruire le système d'instruction qui l'a dotée de tant de savants universellement estimés?

Il nous suffira de quelques pages, de l'exposé des faits les plus saillants qui dénotent ù Turin la haine de tout ce qui lient à Naples pour édifier le lecteur sur la loyauté, l'intelligence et le libéralisme piémontais. Mais qu'on nous permette avant que nous entrions dans le détail de ces faits, de citer quelques lignes de la Motion d'enquête de M. le duc de Maddaloni-Proto, et de noter qu'elles ont d'autant plus de poids que l'auteur ne semble pas bourbonnien:

«Ce furent les piémontiseurs qui désorganisèrent l'université napolitaine, car les universités se composent de professeurs et ceux-ci ont été tous destitués pour faire place à des hommes, lesquels, excepté l'illustre Robert Savarese et je ne sais plus quel autre, sont tous des hommes de parti et non des hommes de science.

» Ce furent les piémontiseurs qui affranchirent l'enseignement public de la surveillance nécessaire de l'épiscopat; ils chassèrent de l'université napolitaine la faculté de théologie, sans laquelle il n'y a point d'université, et qui est adoptée par les doctrines protestantes ou schismatiques de toutes les religions et de toutes les sectes Hélas! c'était l'université de Naples, l'école de saint Thomas d'Aquin et de Pico, qui devait la première se faire athée en Europe, et c'étaient des hommes de notre pays qui étaient destinés à donner ce grand scandale au monde civilisé.

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» Sans doute, l'enseignement supérieur n'était pas florissant sons les Bourbons, et cependant on ne donnait les chaires qu'aux hommes d'un mérite incontestable. On y comptait un Galupi, un Lanza, un Flanti, un Bernard Quaranta, un Macedonio Melloni!

» Ce dernier, surtout, quoique exilé de Parme, et ayant la réputation de libéral avancé, fut appelé ici, chargé de plusieurs affaires politiques, et pourtant il était recommandé au gouvernement bourbonnien par François Arago, très-ardent républicain. L'enseignement secondaire n'en va pas mieux: sept lycées sont en pleine dissolution, parce qu'on en a confié la direction à des hommes incapables, souvent même ignorants et immoraux.

» Quant à l'instruction élémentaire, elle n'a pas fait un seul pas. Presque toutes les communes manquent d'écoles, malgré le grand nombre d'inspecteurs, de sous-inspecteurs, d'organisateurs et de bedeaux, tous choisis parmi les piémontiseurs, et dont plusieurs sont même venus du Piémont. Ce furent les hommes du gouvernement piémontais qui donnèrent le scandale nouveau de dissoudre la célèbre Académie napolitaine des sciences et d'archéologie, et qui laissèrent abolir l'Institut des Beaux-Arts par un décret de la lieutenance. La passion politique les a inspirés, et ils peuvent se vanter d'avoir dépassé en cela la gloire des Del Carretto, des Peccheneda, des Mazza et des Ajossa, qui ne conseillèrent jamais d'expulser de la réunion des savants les hommes d'opinions opposées au régime absolu, tels que Borrelli, Capocci et Bozzelli. Il est même à remarquer que ce dernier fut nommé membre de l'Académie au moment où il revenait de l'exil, et quand il était encore surveillé par la police.

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On s'indigna de voir enlever i Capocci la direction de l'observatoire astronomique après la révolution de 1848; on disait à Naples et ailleurs: «Qu'est-ce que la politique a à faire avec l'astronomie?» Et cependant ce gouvernement craintif de la réaction permettait à Capocci de liquider sa pension de justice, et lui substituait de Gasparis, qui n'était certes pas inférieur à Capocci.

» Mais je ne veux pas établir ici la comparaison entre les hommes et les actes du gouvernement bourbonnien et ceux du nôtre; je la ferai ailleurs, s'il le faut; je vous prie seulement de remarquer que le budget du ministère de l'instruction publique montait, à Naples, sous les Bourbons, à 1,619,730 francs; que, depuis la Révolution, il monte à 2,326,156 francs, et que, malgré l'augmentation de 706,426 francs, l'instruction publique non-seulement y dépérit, mais y meurt.»

C'est un témoin oculaire qui parle, un unitariste d'un jour en qui la désillusion suscite la plus sanglante indignation. Combien d'autres hommes, éblouis un instant par le mirage de l'unité italienne, désillusionnés comme le noble député de Casoria, n'ont pas le courage de répudier hautement l'idée mensongère qui a jeté le deuil sur leur patrie!...

Mais passons aux faits.

II

L'université de Naples, à laquelle est affectée une somme de 702,591 fr., compte soixante-six professeurs et n'a plus que deux élèves inscrits.

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L'université de Messine, 148,125 fr., trente-sept professeurs, soixante-quatre élèves.

Les universités de Catane, de Palerme, sont également tombées dans une lamentable décadence; chaque jour, depuis l'invasion piémontaise, il s'opère un plus grand vide d'élèves dans ces centres intellectuels naguère si florissants. En revanche, le nombre des professeurs et le chiffre des dépenses ne cessent de s'accroître. Quand le gouvernement piémontais ne sait quel emploi donner à un unitariste affamé, il le nomme professeur dans une des universités napolitaines.

Dans les lycées de Sicile, les scandales deviennent tels que le secours des gendarmes devient nécessaire pour expulser quelques lycéens révoltés (1).

-

La situation de l'instruction publique est ainsi décrite par un journal napolitain (2): «Notre université royale est aujourd'hui un sujet de sarcasme et de dérision, comme autrefois elle fut pour le pays un sujet d'illustration et d'espérance pour nos pères qui tenaient à laisser des descendants remarquables par leur science et leur moralité. L'université compte soixante professeurs; les deux tiers ont des noms inconnus, ou plutôt connus seulement du gouvernement de Turin, non par leur mérite mais par les pressantes recommandations d'amis politiques. A Naples, où dans tous les temps l'on cultiva passionnément le droit pénal, où le droit romain forma toujours l'une des plus incessantes et des plus heureuses études de la jeunesse, la faculté de droit languit, repousse, dépérit.

(1) L'Ordine, journal de Caltagirone, 2 mai.

(2) Le Popolo d'Italia, 29 novembre, n. 216.

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Ce qu'il y a de plus déplorable, c'est de voir professer des hommes qui, si par hasard il entre quelque lettré qui les écoute, rougissent et perdent le 01 de la pensée et la parole... Comment se sont faits les concours et quel en a été le résultat? Le ministère, se moquant des examinateurs et des examinés, a donné la chaire d'examen au professeur à qui le public pensait le moins, mais qui sut faire son chemin sans concours. Quand une chaire reste vide parce que le titulaire est élu député, alors, ou la jeunesse studieuse est privée d'enseignement parce qu'on conserve ce poste pour le cher député, ou on le remplace par un suppléant tel, qu'il est bientôt le sujet des caricatures et le jouet de la population. C'est une ronde d'enfer que notre université, et malheur au professeur qui possède un mérite réel et reconnu. La coalition des intrus se forme soudain contre lui; on l'exclut de toutes les académies; on lui destine un enseignement que ne suit pas la jeunesse, déjà fatiguée ou occupée à d'autres cours. Si nous voulions dévoiler toutes les plaies de notre université, plusieurs numéros de ce journal ne suffiraient pas. Que dire du collège Victor-Emmanuel? des directeurs sans force morale, renouvelés mensuellement comme des garçons d'auberge, des professeurs nommés sans discernement, entrant aujourd'hui et sortant demain, n'est-ce pas la meilleure preuve que le système d'instruction satisfait peu les parents? Où sont les écoles polytechniques, les écoles des arts et métiers, les écoles pour les adultes des deux sexes, les crèches publiques? Nous n'en entendons plus parler, et depuis trois ans nous ne voyons rien s'organiser définitivement.»

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Le collège de Maddaloni comptait autrefois cent pensionnaires; il n'y en a plus que deux pour lesquels l'État entretient quatorze ou quinze professeurs. Ces deux malheureux jeunes gens sont impitoyablement forcés d'assister à tous les cour» et d'entendre tous les professeurs à tour de rôle pour que le proviseur ait le droit de dire que le collège est en plein exercice.

On reconnaît à Naples que les piémontiseurs, en interdisant l'enseignement privé, si libre et si prospère sous les Bourbons, ont mis des entraves à la liberté de la pensée au nom de la liberté politique. Qu'ont-ils fait encore? Ils ont supprimé la faculté de théologie et introduit dans la catholique université de Naples des professeurs qui enseignent des doctrines protestantes. Il semble qu'on veuille inculquer le scepticisme à la jeunesse. 11 eût été plus logique alors de destituer tous les professeurs catholiques et de faire de l'université une chaire d'athéisme (1).

-

Le député napolitain Mandoi-Albanese affirme «que dans l'Université de Naples les deux tiers des professeurs perçoivent leurs honoraires mensuels et ne donnent aucune leçon.» Il cite un conseiller de la lieutenance sur lequel il a personnellement pris des informations et peut certifier qu'il est dans le cas précité. Le même député ajoute qu'il connaît des professeurs qui cumulent jusqu'à six chaires diverses, séparément rétribuées; quatre autres professeurs, en dépit des termes de la loi, ont été nommés sans concours. Comme on voulait employer un favori, on mit en retraite, en lui confirmant la totalité de ses honoraires,

(1) Colpo d'Occhio, p. 93.

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le professeur titulaire de mathématiques nommé depuis quatre mois à peine; ainsi le budget s'est chargé d'appointements doubles, puisqu'il paye intégralement et le retraité et le favori, qui, d'ailleurs, ne se contentant pas d'une chaire qui lui rapportait 250 fr. par mois, en a obtenu deux autres en trois mois (1).

«Il y a des projets d'écoles normales, des projets de réforme de tel ou tel règlement universitaire, des circulaires académiques à celui-ci ou à celui-là, mais, hélas I messieurs, je ne vois pas qu'on fasse ce qu'on devrait faire, et le peuple est plus ignorant qu'autrefois (2).»

M. Scavia, envoyé de Turin à Naples comme organisateur des maîtrises, a su fort bien faire ses affaires, en imposant l'usage de ses livres à tous les collèges, écoles et maisons de son ressort. C'est ainsi qu'un autre professeur, récemment nommé chevalier des Saints-Maurice et Lazare, et qui pèse lourdement d'ailleurs sur l'université de Naples, envoie dans toutes les provinces d'énormes ballots d'un ouvrage de lui et gagne une fortune à l'aide du poste qu'il occupe (3).

De fréquentes agitations se produisent à Naples parmi les étudiants irrités des abus que nous venons de signaler; ils font circuler de vives protestations contre les professeurs Pisanelli, Piria, Thommasi, Imbriani, de Luca, qui ne donnent jamais de leçons, et contre le veuvage de la chaire de droit international.

(1) Séance parlementaire du 27 janvier.

(2) Le député napolitain Lazzaro, séance parlementaire du 2 1 janvier.

(3) Le Diritto do Turin, 22 janvier.

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-

La matinée du 12 mars est signalée par une imposante démonstration des étudiants de l'université de Palerme. Ils parcourent les rues un drapeau en tête, portant au chapeau de' menaçantes inscriptions et poussant les cris de: «A bas les professeurs ineptes! à bas la loi Casatti! les chaires vides au concours! à bas le recteur!» En passant devant la maison du recteur, les étudiants en brisent les vitres à coups de pierre. Le gouvernement ordonne la fermeture provisoire de l'université.

III

Le ministre de l'instruction publique propose la création, à l'université royale, d'une chaire de l'histoire de la prostitution; la Gazette officielle en publie le règlement et dans le même temps, les feuilles officieuses annoncent l'apparition prochaine d'une Histoire de la Prostitution chez tous les peuples du monde, depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours, et en recommandent vivement l'achat.

Un journal napolitain (1) parlant des établissements publics de bienfaisance dit que l'enseignement y est déplorable, que les professeurs, mesquinement rétribués ne font leur service qu'avec répugnance, et que d'ailleurs ils ne peuvent certainement, ne fût-ce que pour cette dernière raison, être les meilleurs professeurs du monde.

-

Les maitresses de l'institution des Miracles et de Saint-Marcellin, refusant de prêter serinent au gouvernement subalpin,

(1) Le Popolo d'Italia, 5 mai,

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le 7 janvier, sont brutalement expulsées par vingt gendarmes. Un des membres du conseil de direction, le chevalier Ferdinand Cenni, indigné du mauvais traitement infligé à ces respectables femmes, donne sa démission le jour même.

Le 14 janvier, fête du roi Victor-Emmanuel, les élèves de l'institut des Miracles et de Saint-Marcellin refusant d'aller à l'église chanter le Te Deum et entonnent au contraire dans leurs salles des hymnes en l'honneur du roi François II. Interpellé sur ce fait par le député Mandoi-Albanese (1 ), le ministre Mancini répond que les 28 élèves rebelles et réactionnaires, comme filles de bourbonniens, ont été punies et renvoyées à leurs parents.

- Ces mesures de rigueur n'intimident pas les autres élèves; au mois d'octobre, elles se révoltent contre leurs nouvelles institutrices piémontaises et refusent de leur obéir.

Au commencement du mois de janvier, les étudiants de Naples font une grande manifestation contre les professeurs piémontais qui ont remplacé ceux qu'on accusait d'être bourbonniens. On crie: «A bas les ignorants! à bas les ânes! à la porte, le directeur de l'instruction!» Le directeur en question n'est autre que le trop fameux Settembrini, martyr à trois sous la ligne, homme d'une ineptie proverbiale et d'une suffisance plus grande encore. Tels sont les hommes à qui les régénérateurs confient la direction suprême de l'instruction publique.

-

Si l'on pouvait douter de l'esprit qui, grâce à l'aveuglement, à l'incurie ou à la complicité de nos gouvernants, travaille et envahit l'université napolitaine,

(1) Séance parlementaire du 18 mars.

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il suffirait de jeter les yeux sur la lettre suivante, adressée de Londres, le 3 mai, par l'agitateur Joseph Mazzini à l'association universitaire de Naples:

«Mes frères,

» J'ai reçu par l'entremise du général Hang votre lettre du 15 mars. La nomination dont la jeunesse de l'Université de Naples a bien voulu m'honorer (1), je accepte avec reconnaissance. Elle est un témoignage d'affection qui me dédommage complétement des basses accusations et de l'ingratitude; elle est la promesse d'une vie italienne qui doit naître et qui soulage mon âme fatiguée et découragée par les misères du temps présent.

» En effet, moi qui me rends bien compte du peu que j'ai fait, je ne puis nullement recevoir comme un éloge l'adresse des étudiants de Naples. Je l'accepte plutôt avec le frémissement de l'espérance qui agitait mes jeunes années; je l'accepte comme une garantie de la communauté de nos idées, comme un gage de l'homogénéité de nos pensées et de la volonté qu'ils ont de consacrer leur esprit, leurs bras et leur cœur à changer la pensée en action.

» Au moment où personne ne comprenait les hautes destinées de l'Italie, où les uns mendiaient une fraction de liberté dans les antichambres des puissants de la terre, où d'autresceux-là même qui nous gouvernent aujourd'hui organisaient des ligues de rois et des transactions de toute espèce, afin d'obtenir en s'humiliant quelque réforme administrative ou municipale, à ce moment même je pensais que notre patrie

(1) Président honoraire de l'association.

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se lèverait un jour comme un géant et qu'elle atteindrait, avec la démarche du Neptune d'Homère, un idéal jusqu'à présent inconnu à toutes les autres nations. Je pensais que le peuple, dont deux fois la vie fut la vie du monde, écouterait dans son tombeau fermé depuis plus de trois siècles, la voix de son passé, et qu'au jour ou il briserait la pierre qui scelle ce tombeau, il renaîtrait aune troisième vie qui ajouterait une nouvelle grandeur à celle des deux périodes précédentes.

» Je voyais bien un vide immense en Europe, où il n'y a ni foi, ni croyances communes, et où manquent par conséquent l'initiative, le culte du devoir, les principes solennels de la morale, les grandes idées et l'action puissante en faveur des classes qui produisent davantage, et qui pourtant senties plus pauvres. Ce spectacle me faisait penser que l'Italie, renaissant pour sauver l'Europe, aurait dit, de» les premiers battements de sa nouvelle vie, à elle-même et aux autres: Je vais remplir ce vide!

» Je pensais aussi que Dieu, que l'histoire, que les conditions de l'Italie devaient lui imposer une double mission: celle d'expliquer à l'Europe le dogme sacré de l'inviolabilité de la pensée et de la liberté de conscience, en substituant la foi dans l'humanité, interprète de la loi de Dieu, à ce mensonge d'autorité individuelle et despotique qu'on nomme la papauté; et l'autre, de proclamer devant l'Europe entière le grand principe de l'inviolabilité de la vie des peuples et des nationalités (1), en substituant la volonté de chaque famille européenne

(1) Cet mots sont pour le moins maladroits en face de: Napolitains.

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à l'arbitraire des traités et des prétendus droits de telle ou telle autre famille royale. Rome et Venise étaient et sont toujours pour moi. non-seulement deux lambeaux du sol italien, mais aussi deux grandes idées, dont la conquête doit assurer à l'Italie la primauté morale de toute une époque.

» Les pygmées qui se moquent, comme tous ceux qui ne comprennent pas, des grandes idées; qui font de l'Italie une colonie de la France impériale; qui n'osent pas dire publiquement à l'Europe un mot de protestation solennelle contre l'occupation de Bome par l'étranger; qui ne savent demander au pape l'abdication de son pouvoir temporel qu'en se prosternant en hypocrites devant une autorité spirituelle qui depuis plus de quatre siècles n'est plus qu'un mensonge, et où l'humanité a cessé de puiser sa vie; qui n'osent pas ouvrir en Vénétie la guerre d'émancipation de tous les peuples; qui, avec un homme tel que Garibaldi, avec un parti brave et prodigue de sacrifices comme le parti d'action, avec un peuple comme les Italiens, ne sont pas capables de parler et d'agir avec dignité; qui soumettent les émigrés de Rome et de Venise aux lois des suspects de Louis-Philippe; qui accordent au peuple le droit de voter pour proclamer un roi, et qui le lui reprennent dès qu'il s'agit de la vie sociale et politique de la nation; qui vous refusent Garibaldi parce qu'ils tremblent de votre enthousiasme, et qui me ferment les portes de la patrie parce qu'ils ont peur de la colère impériale; ces hommes, dis-je, ne seront jamais à la hauteur des deux missions que j'ai mentionnées.

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» Cependant elles s'accompliront malgré eux, qui

croyaient tous que l'unité était une utopie impossible à réaliser; mais elles s'accompliront par l'action du peuple et par la vôtre.

» J'espère en vous et dans le peuple. Il est impossible que votre âme, connaissant les destinées qui attendent l'Italie, ne s'enorgueillisse un jour; il est impossible que la conscience de la force de vingt-deux millions d'hommes, et des devoirs qu'elle vous impose, ne parvienne pas à soulever votre cœur; il est impossible qu'une parole libre et digne de la patrie, de son illustre passé et de l'avenir, ne sorte un jour toute puissante de vos lèvres pour condamner le langage diplomatique, tremblant et hypocrite de la coterie qui gouverne aujourd'hui. Vous aimez réellement et fortement l'Italie, et vous ne souffrirez pas qu'elle soit profanée dès le jour de sa naissance par les lâches hésitations des nations qui se meurent.

» Unissez-vous étroitement et activement à la jeunesse de toutes les Universités italiennes; fraternisez avec les associations ouvrières; enchaînez-vous, pour tout ce qui concerne les devoirs généraux de tous les Italiens, à l'Association d'émancipation, dont le centre est à Gênes; contribuez, autant que vous pourrez, à fonder la Caisse centrale d'émancipation; apprenez le maniement des armes; armez-vous et organisez-vous militairement; affirmez toujours votre droit sur Rome; proclamez, au nom de Venise, la nécessité de la guerre contre l'empire d'Autriche; honorez notre patrie et vous-mêmes par la franchise immuable et intrépide de la parole, par la haine du mensonge et de toute transaction entre la vérité et l'erreur; et n'oubliez jamais que la moralité et le courage civil font les grandes nations.

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» Veuillez dire tout cela de ma part aux étudiants de Naples, et dites-leur en même temps que sur le chemin de l'unité, de l'indépendance, de la liberté, de la fraternité active des peuples, de la vérité, de l'honneur et de la dignité de l'Italie, ils m'auront avec eux tant que je vivrai.

» Tout à vous.»

Cette lettre fait rire et pitié; c'est grotesque et navrant. Voilà donc les régénérateurs de la noble terre des Deux-Siciles: un ramas d'assassins et de béotiens. Mais empressons-nous de dire que cette association universitaire de Naples, qui met à sa tête ce héros du régicide, ne représente heureusement qu'une infime et misérable minorité. La jeunesse de Naples ne veut pas de l'unité, qu'elle s'appelle Mazzini ou Turin; elle est nationale, c'est-à-dire napolitaine, et elle brise les vitres des ignorants suppôts du piémontisme.

Partout où la jeunesse proteste, les idées d'honneur et de patrie ne sont pas mortes!

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PRESSE

Nul n'aura d'esprit que nous et nos amis.

I

La liberté de la presse, à Naples, n'est qu'un leurre, comme toutes les libertés que le Piémont prétend y avoir inaugurées. Les feuilles gouvernementales ont le droit de tout dire, tout ce qui encense le ministre qui les solde; elles ont droit d'injure et de calomnie; mais les organes catholiques sont loin de jouir d'excessives prérogatives: on intimide leurs imprimeurs, on les menace, on les ruine, on bâtonne leurs rédacteurs, on met au ruisseau les caractères typographiques et dans la boue le tirage de chaque jour; on pousse la brutalité jusqu'au cynisme,

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jusqu'à ce que, ruinés ou estropiés par les sbires, les écrivains indépendants soient réduits au silence.

La presse de tous les pays et de tous les partis a été unanime à flétrir avec indignation les odieux traitements infligés, il n'y a pas bien longtemps encore, aux rédacteurs de certaines feuilles napolitaines.

On veut faire l'unité et la parfaire; elle n'existe même pas dans la justice. Des journaux de Naples sont poursuivis et condamnés pour avoir reproduit des articles publiés originairement par des journaux de Milan ou de Gênes, sans que la magistrature de ces villes s'en fût inquiétée.

La presse gouvernementale a sa part dans le déficit de deux milliards que révèle l'exposé financier de M. Minghetti; à peu d'exceptions près, exceptions connues, les journaux de l'unité piémontiste sont tous subventionnés largement, et l'enthousiasme stipendié de leurs rédacteurs vomit quotidiennement l'irréligion et le mensonge.

Il semble qu'on ne s'arme d'une plume, là-bas, que pour être député... ou vendu

La liberté de la presse n'existe donc pas, puisqu'elle n'existe que pour une fraction de la presse, la fraction servile. Nous avons vu jusqu'à vingt-neuf saisies de journaux indépendants en moins de dix jours; une seule feuille catholique, en deux ans, a dû subir environ vingt-cinq saisies, c'est-à-dire plus d'une par mois. En un mot, toutes les rigueurs des justiciers et des sbires sont pour ceux qui ne trouvent pas que tout soit pour le mieux dans le royaume des Deux-Siciles.

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Il suffit d'un mot d'apparence hostile à l'unité italienne sous le sceptre du chef de la maison de Savoie, pour que le gérant soit décrété de prise de corps, emprisonné, mis au pain et à l'eau, jugé et condamné à deux ans de prison et 7,000 fr. d'amende. Ça été le sort du gérant de l'Eco.

D'ailleurs, si l'on veut se rendre compte de la situation de la presse en Italie, il ne faut que lire la circulaire adressée dernièrement, par M. Peruzzi, ministre de l'intérieur, aux préfets du royaume.

«Turin, 21 janvier 1863.

» Monsieur le préfet,

* Plusieurs circonstances révèlent l'existence d'un accord évident entre les adversaires de l'unité italienne, notamment ceux qui sont étrangers à notre pays, dans le but d'activer avec une ardeur extraordinaire une propagande dans le sens fédératif, en s'adressant aux sentiments municipaux et en exploitant toutes les occasions d'un mécontentement passager, conséquence naturelle des transformations politiques et du défaut d'organisation nationale dans les diverses branches de l'administration, défaut auquel le ministère et le parlement se proposent de porter un prompt remède.

» Cette propagande, inaugurée et énergiquement favorisée par le parti qui a pour organe, à Paris, le journal la France, a établi à Naples et à Florence des journaux qui portent précisément les noms de ces deux ex-capitales. Ces journaux, ainsi que d'autres, se rencontrent, dans les points essentiels de leur polémique,

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avec les journaux cléricaux et avec certains organes du parti d'action pour combattre l'unité que ces derniers, comme, par exemple, la Nuova Europa de Florence, déclarent ouvertement incompatible avec la monarchie constitutionnelle.

» Ces excès ne sauraient être tolérés sans amener la déchéance de l'autorité morale du gouvernement, qui doit se montrer toujours l'adversaire énergique et constant de toute idée contraire à l'unité, sans faire naître des défiances au sein du grand parti national, sans s'exposer aux intolérables excès du genre de ceux dont le journal Napoli a donné récemment le signal.

» C'est pourquoi le soussigné, tout en jugeant convenable de laisser la plus grande liberté de discussion, regarde comme indispensable, sous le rapport indiqué tout à l'heure, une surveillance active et une répression énergique et constante, dans les limites de la loi, à l'égard de celte portion de la presse qui cherche à combattre l'unité et la monarchie constitutionnelle de la dynastie de Savoie, et à amoindrir la foi dans l'accomplissement des destinées de la nation, conformément au vœu du parlement. Le soussigné est convaincu qu'en agissant ainsi contre les journaux de n'importe quelle couleur, il obtiendra l'assentiment de l'opinion publique.

» Quoique la tâche de la surveillance et de la répression soit confiée par la loi spécialement à l'autorité judiciaire, néanmoins l'autorité politique ne doit pas rester entièrement inactive; il importe au contraire que l'une et l'autre se prêtent un appui mutuel, chacune dans la sphère de ses attributions.

» Dans ce but, le soussigné invite MM. les préfets à porter leur attention sur les excès de la presse dont il est question et à s'empresser

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de faire les communications officieuses aux représentants du ministère public chaque fois qu'ils verront dans ces excès les éléments nécessaires d'une poursuite.

» Grâce à ces dispositions, qui seront communiquées par le garde-des-sceaux aux fonctionnaires du ministère public, le soussigné espère que la surveillance et la répression seront promptes et efficaces, et attend un accusé de réception de la présente circulaire.

» Le ministre, U. Peruzzi. »

Il résulte de ce document, ainsi que l'a fait observer un publiciste distingué:

1° Que le ministre piémontais établit diverses catégories de journaux, c'est-à-dire diverses catégories de citoyens, envers lesquels l'autorité doit user de mesures différentes, et partant violer la loi qui est une;

2° Qu'au lieu de blâmer, ne fût-ce que pour la forme, les excès commis contre la liberté de la presse, notamment contre le journal Napoli pillé, dévasté, le ministère renchérit encore sur le journal officiel de Naples qui avait osé approuver ces violences scandaleuses;

3° Que le ministre autorise et prescrit même des immixtions de l'autorité politique dans les attributions exclusives de l'autorité judiciaire.

En un mot, cette circulaire de M. Peruzzi est une raillerie des lois.

Qu'on se rappelle enfin que le Piémont ne s'est fait le coryphée de la révolution italienne, n'est entré sans déclaration de guerre chez ses voisins, et ne les a dépouillés que sous le prétexte hypocrite de permettre aux populations d'exprimer librement leurs vœux! C'était le premier acte de la comédie.

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La comédie ayant réussi, le Piémont a jeté le masque, et i! interdit aujourd'hui ce qu'il prônait hier: la libre expression des vœux des citoyens. L'Italie ne saurait être longtemps dupe de ce grossier manége; on ne tire pas des coups de fusil aux idées, mais on les traque, on les bâillonne, on essaie de les étouffer..,. L'idée de nationalité ne s'étouffe jamais, et quand, à bout de compression, elle s'éveille, c'est elle alors qui tire des coups de fusil, et triomphe.

II

Las de saisir et de condamner sans cesse, le gouvernement adopte des moyens plus expéditifs et plus sûrs. Un ramas de sbires saccage successivement les typographies et les bureaux des journaux dont les noms suivent (1):

L'Aurore.

L'Araldo.

L'Alba.

La Croix Rouge.

Le Courrier du Midi.

Le Catholique.

L'Equateur.

L'Expérience.

Le Flavio Gioia.

La Gazette du Midi.

(1) Colpo d'Occhio, page 58

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La Semaine.

L'Etoile de Naplcs.

La Presse méridionale.

La Tragi-comédie.

L'Unité catholique.

Napoli, et plusieurs autres feuilles dont les noms nous échappent.

Le 7 avril, une tourbe de policiers envahit l'imprimerie du journal l'Etoile du Sud, dont les rédacteurs étaient prévenus, depuis la veille même, du sort qu'on lui réservait. Conduits et dirigés par un loueur de chaises, Biaise Turchi, capitaine de la garde nationale, ces misérables mettent l'imprimerie à sac. L'imprimeur envoie quérir les gardes de sûreté, qui accourent et s'empressent de se retirer sur un signe d'intelligence du chef des malfaiteurs.

On lit dans le Tribuno, journal de Turin, du 21 avril: «Une réunion de jeunes gens a décidé à l'unanimité de détruire à Naples toutes les typographies des journaux conservateurs. Alors que cette décision du parlement de la place publique est annoncée, et qu'elle a eu déjà son commencement d'exécution, les typographes qui ne s'y soumettront pas n'auront pas le droit de se plaindre.» Voilà ce qu'on peut appeler l'impudence du despotisme populacier!

Le journal le Correspondant paraît, pour la première fois, le 27 janvier; à son seizième numéro, il a déjà subi sept saisies; de plus, le procureur général le met en police correctionnelle pour retard d'une heure dans l'envoi des épreuves, et le fait condamner à 250 fr. d'amende et aux dépens.

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Le gérant, quoique à moitié paralytique, est arrêté et tenu en prison pendant six jours. Le directeur du journal reçoit à deux reprises des menaces de mort et est journellement insulté dans les rues par des agents de police.

Le journal L' Osservatore napolitano, dirigé par un Français, M. du Barry, imprimé par un Français, M. Pélard, géré par un Espagnol, à la suite de brutales menaces et de vexations de toute sorte, pour échapper à la destruction générale qui attend les organes conservateurs, se voit contraint de se réfugier sous la protection du gouvernement français.

Le journal Il Cattolico est plusieurs fois saisi. Il a ordre, sous peine de suppression, d'envoyer chaque jour au chef de la police de Naples l'épreuve du journal deux heures avant le tirage.

Le journal libéral le Nomade, dans la matinée du 16 octobre, en l'absence des rédacteurs et des employés, est envahi par des agents de police, qui forcent les portes, les bureaux et les étagères pour procéder à la saisie d'un numéro déjà ancien.

Le général Topputi, commandant de la garde nationale de Naples, écrit, le 2 février, au procureur général près la cour criminelle «pour lui recommander de redoubler de sévérité à l'égard des journaux de l'opposition.»

-

Le marquis de Normanby dit à la Chambre des lords (1) que, «malgré toutes ces persécutions, de nouveaux journaux paraissent chaque jour et sont lus par le public avec la plus grande avidité; la conduite sans foi ni loi

(1) Séance du 17 mars.

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des Piémontais ne se limite d'ailleurs pas aux seuls États napolitains et à l'Italie, mais elle s'étend encore plus loin.»

La Gazelle de Naples, journal officiel, se lamente de ce que, «dans la capitale des provinces napolitaines, autour des boutiques des marchands de journaux, on ne voit la foule se presser que pour acheter les feuilles cléricales et réactionnaires.» Cet aveu officiel mérite de n'être pas oublié.

On persécute la presse indépendante, mais on achète celle qui est à vendre. La Gazelle officielle, de Turin, reçoit 20,000 francs par an; la Gazelle de Modène, 15,000; la Gazelle de Naples, 22,000, etc. La presse étrangère même est largement, beaucoup plus largement salariée; on cite tel journal français qui aurait reçu jusqu'à 240,000 francs par an pour soutenir la politique piémontaise. C'est à faire rougir de honte tous ceux qui, en France, ont l'honneur d'être journalistes.

Dans une lettre publiée par le Diritto du 23 octobre, le député Ricciardi blâme amèrement le gouvernement d'avoir traité la presse comme une esclave pendant tout l'état de siège; on allait jusqu'à intercepter les journaux étrangers! M. Ricciardi écrivit au ministre de l'intérieur et se plaignit de cet état de choses; le ministre répondit que c le devoir du gouvernement de Turin était de s'en rapporter au jugement de l'autorité napolitaine.»

-

Un journal italianissime de Palerme publie (1) un long article intitulé: Guerre aux bourbonniens. L'article se termine par une sorte de défi sauvage à la liberté et à la civilisation:

(1) Au commencement du mois de janvier.

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«Guerre donc aux bourbonniens! Oui, faisons-leur une guerre sans merci, tant qu'un seul d'entre eux souillera de sa présence le sol de notre pays. Alerte! alerte! ayons sans cesse les yeux sur eux, et, s'il le faut, qu'ils soient tous le point de mire de nos fusils!»

-

Le député Nicotera dénonce au parlement (1) l'horrible fait que voici: «A Noto, un jeune écrivain de talent, Mariano-Salvo La Rosa, directeur du Democratico, pour avoir écrit un article contre le préfet, fut arrêté et jeté dans un cachot si affreux que, quelques jours après, on l'y trouva mort.»

(1) Séance du 26 novembre.

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L'UNITÉ ITALIENNE

La Société est instituée pour la destruction indispensable de tous les gouvernements de la Péninsule, et pour former un seul État de l'Italie sous la forme républicaine.»

(Art. 1er des Statuts de la Jeune-Italie)

I

On parle do l'unité italienne, mais on oublie de noter qu'elle n'existe pas plus dans les esprits qu'en fait. L'Italie est peut-être le pays du monde qui compte le plus de partis politiques; aussi passe-t-elle par toutes les douleurs et toutes les humiliations.

Les Autrichiens à Venise, Pie IX à Rome, les réactionnaires armés dans les Deux-Siciles, voilà qui prouve surabondamment que l'unité n'existe pas en fait.

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Il nous reste à prouver qu'elle est encore moins dans les esprits, et nous ne saurions le faire mieux qu'en énumérant les différents partis politiques qui s'agitent dans la Péninsule:

Les légitimistes;

Les unitaristes républicains;

Les républicains catholiques, qui veulent que Rome ne soit qu'au pape;

Les fédéralistes qui veulent le rétablissement et la confédération de toutes les anciennes souverainetés;

Les semi-italiens qui rêvent un royaume du Nord et un royaume du Sud, avec la papauté au centre, comme l'arbre d'une balance;

Les unitaristes piémontais, qui veulent l'Italie une sous le sceptre de Victor-Emmanuel;

Les catholiques sincères, qui rêvent Pie IX et Victor Emmanuel, siègeant côte à côte dans la Ville Eternelle, tous deux également souverains;

Les autonomistes, qui veulent faire de l'Italie une vaste confédération à l'instar de la Suisse, en étendant à l'infini les privilèges municipaux, en rendant l'autonomie et l'indépendance absolues à toute ville jadis souveraine, comme Gênes, Mantoue, Milan, Ferrare, Ravenne, Pise, Florence, Parme, etc.

Voilà donc huit partis qui vivent et s'agitent en Italie, et encore se subdivisent-ils tous en une multitude de fractions et de sous-fractions. Croit-on après cela que l'unité soit dans les esprits et qu'elle serait parachevée le jour on la maison de Savoie entrerait au Capitule?

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Le Piémont aurait dû s'efforcer, depuis la première heure, d'homogénéiser ces divers partis; sans doute ses efforts se fussent brisés tout d'abord contre la fidélité légitimiste et la ténacité démocratique; mais peut-être pouvait-il, sinon anéantir, du moins adoucir la plupart de ses adversaires politiques. Il est vrai que pour accomplir cette lourde tâche, il avait besoin d'un homme de génie, d'un grand homme; mais la cause piémontaise n'est pas assez bonne pour susciter de grands hommes. Tout au plus voyons-nous apparaître un pauvre diable en chemise rouge, qui n'a jamais gagné que des batailles de portes ouvertes; Tyrtée bouffon qui lance des lettres en style de carnaval triste et dont on photographie la botte percée; Achille de parade que ses complices blessent au pied, et puis qui se réfugie piteusement dans son Ilot comme l'autre sous sa tente.

On ne peut comprendre mieux la misère et la débilité de la révolution italienne, la petitesse et l'étroitesse de ses hommes, qu'en examinant ce Garibaldi qu'elle appelle pompeusement le héros des Italiens, ce qui prouverait au moins que la révolution donne des titres pour rien. Mais je ne veux parler du vaincu d'Aspromonte que dans un volume ultérieur.

On ne saurait également mieux voir le but où tend persévéramment l'unitarisme qu'en relisant l'article premier des statuts de la société secrète dite de la Jeune-Italie: «Instituée pour la destruction indispensable de TOUS les gouvernements de la péninsule, et pour former un seul État de toute l'Italie sous la forme républicaine.»

Le gouvernement piémontais sait-il qu'il n'est que le successeur ou plutôt l'homme d'affaires de cette société secrète, société de poignardeurs et de régicides;

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et s'il a lu et compris cet article premier, comment a-t-il osé se lancer dans l'abîme révolutionnaire? On voit des États, comme des hommes, se suicider dans une heure de démence!

Mais pour comprendre quelle infranchissable distance, quelle implacable haine divise les hommes de la Jeune-Italie et ceux du piémontisme, il faut lire encore ces quelque? articles des statuts précités:

«ART. 2. En raison des maux dérivant du régime absolu, et ceux plus grands encore des monarchies constitutionnelles, nous devons réunir tous nos efforts pour constituer une république une et indivisible.

» Art. 30. Les membres qui n'obéiront pas aux. ordres de la société secrète, et ceux qui en dévoileront les mystères, seront poignardés sans rémission.

» ART. 31. Le tribunal secret prononcera la sentence, en désignant un ou deux affidés pour son exécution immédiate.

» Art. 32. L'affidé qui refusera d'exécuter la sentence prononcée, sera reconnu parjure et comme tel mis à mort sur-le-champ.

» ART. 33. Si la victime condamnée parvient à s'échapper, elle sera poursuivie sans relâche, en tout lieu, et le coupable sera frappé par une main invisible, se fût-il réfugié sur le sein de sa mère ou dans le tabernacle du Christ.

» Art. 34. Chaque tribunal secret sera compétent, non-seulement pour juger les adeptes coupables, mais encore pour faire mettre à mort toutes les personnes qu'il aura vouées à la mort.»

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Voilà l'unité italienne, c'est-à-dire le meurtre, le régicide, le sacrilège, et voilà les principes atroces dont le Piémont s'est déclaré le champion et qu'il ose vouloir faire triompher..

L'unité est donc jugée, et la juger c'est la condamner. Ainsi s'explique cette formidable abstention des quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la population italienne dans le vote de l'annexion, et leur abstention continue dans tout ce qui constitue les actes de la vie politique. C'est la conspiration du silence, organisée par tout un peuple contre ses gouvernants égarés par une minorité plus infime encore qu'audacieuse. Cependant non? disions que le but du Piémont eût dû être d'homogénéiser les différentes sectes politiques de la Péninsule; or, rien ne pouvait l'amener plus sûrement à ce résultat qu'un gouvernement constamment honnête et bon, respectant toutes les libertés pour que l'autorité fût respectée, ménageant les deniers publics, évitant le scandale d'incroyables dilapidations, diminuant les impôts, améliorant les codes, encourageant l'agriculture et l'industrie, moralisant l'instruction tout en la libéralisant, protégeant l'Église au lieu de la dépouiller, expulsant les saltimbanques, les escrocs et les bourreaux politiques, en un mot, apprenant au peuple à mieux connaître et peut-être à supporter cette unité qu'il avait d'abord repoussée de toutes ses forces.

La condamnation du gouvernement piémontais est tout entière dans les lignes qu'on vient de lire; l'unité était difficile: le Piémont l'a rendue impossible.

II

M. Gladstone, dans un pamphlet trop fameux, appelait

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le gouvernement des Bourbons: «le gouvernement de la négation de Dieu.» Tout dernièrement un publiciste français appelait le gouvernement piémontais: «le gouvernement de la négation de Dieu et de l'homme.»

Le 24 août, dans le quartier populeux de Porta-Capuana, une rixe sanglante éclate entre des citoyens et des soldats et dégénère en émeute. Des centaines d'individus y prennent part; les gendarmes accourent, on les maltraite et on les repousse. Surviennent d'autres soldats qui, dans leur exaspération, font usage de leurs armes contre les ouvriers. Quatorze d'entre eux sont plus ou moins grièvement blessés dans le tumulte que dominent les cris: «Dehors les Piémontais! nous ne voulons pas des Piémontais!»

Dans la soirée du 26 août, d'autres tumultes se produisent au Café d'Italie, dans la rue de Tolède. La police accourt, fait fermer le café et arrête cinq personnes. Le même jour, l'officier de police Metitieri menait en prison un individu arrêté en vertu d'un mandat légal; près du café de la Croix de Savoie, il est assailli par une troupe de gens du peuple qui voulaient délivrer le prisonnier; Metitieri les met en fuite à coups de révolver.

-

Le député sicilien Ferrari (1) décrit en ces termes l'état déplorable de la Sicile, qu'il vient de visiter: «Ici, dominent le poignardeur, l'assassin mystérieux que nul ne découvre, le traître pour qui le cours de la justice semble suspendu; là, la répression militaire, la proclamation de lois terribles, les fusillades sans procès. Les populations sont vivement mécontentes de cet état de choses, et dans Palerme je n'ai pas vu un seul portrait de Victor-Emmanuel.»

(1) Séance parlementaire du 29 novembre.

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Le même député s'occupe du nombre effrayant des meurtres commis en Sicile du milieu de septembre au commencement d'octobre. Le premier octobre, en plein jour, treize personnes ont été poignardées à Palerme. Un journal de Turin (1) cite parmi les victimes un sieur Francesco Vassallo, et rapporte les menaces publiques d'extermination prononcées contre tous les modérés, dénomination qui désigne les piémontistes.

-

Un des organes les plus populaires des États napolitains (2) s'exprime en ces termes: «La Consorteria raccole dans son cénacle tout ce qui vécut en Piémont, tous les gens qui se posent en martyrs sans avoir subi une seule heure de martyre, serviteurs de la faction piémontaise qu'ils ont aidée à tout détruire chez nous, et qui, par soif de pouvoir et de richesses, ont trahi les intérêts de leur pays natal. Zélés à soumettre au Piémont les provinces méridionales, à placer Naples sous le joug de Turin, ils appellent travail d'unification la destruction des administrations séculaires, la ruine des familles d'employés, la misère universelle. Un petit nombre de Napolitains ont vendu leur patrie pour de l'or comme Judas, ont offert au Piémont la plus belle partie de l'Italie, abaissé Naples, et ont pu s'écrier avec joie: «Nous l'avons anéantie!» Et de fait on peut la dire anéantie, la ville de Parthénope, l'amour de Filangieri et de Vico. La Consorteria et la faction piémontaise ont triomphé et triomphent, elles ont gouverné et elles gouvernent.»

(1) La Discussione, 5 octobre.

(2) La Democrazia, 19 décembre.,

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Sur un ordre du préfet de Naples, en date du 2 janvier, les admirables fabriques et magasins d'armes créés avec tant de peine par le gouvernement napolitain, sont transférés dans les salles du Castello-Nuovo; puis on abat les bâtiments primitifs pour vendre le terrain à des particuliers.

Le 2 décembre, des agents de police escaladent par les fenêtres le palais de la nonciature apostolique à Naples, s'y introduisent de force sous la sauvegarde d'un ordre préfectoral, et s'emparent de toutes les archives relatives à la commission du concordat, et les emportent par les fenêtres, le concierge du palais ayant refusé de se faire le complice de cette brutale violation en leur ouvrant les portes.

Quinze députés des provinces méridionales présentent au ministère piémontais un mémoire (1) où se fait la peinture des déplorables conditions dans lesquelles se trouve le pays: «effet d'un gouvernement mauvais dans toutes ses branches, qui a produit le mécontentement universel, les rébellions dans les villes, les journaux clandestins, les assassinats quotidiens, les folles souscriptions en faveur des prétendants, l'ébullition de projets liberticides, que favorise la fiévreuse inquiétude qui a succédé à l'enthousiasme des premiers temps.»

-

La Democrazia du 25 novembre, passant en revue les abus du gouvernement, signale: «les arrestations préventives, la violation de toute loi, le droit du sabre proclamé par des proconsuls uniquement occupés à grossir leur part de butin,

(1) Avril 1862.

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et par des bureaucrates aussi imbéciles qu'avides, qui n'ont que du dédain pour tout et tous... La pensée de l'unité est un songe d'esprit malade, entrevu et caressé en exil, en prison et en face des supplices, pendant trente ans; et en attendant, sous le prétexte d'unifier, on a détruit et on détruit chaque jour administrations et directions, on a ouvert la porte de la misère à des milliers de familles, on a mis sur le pavé de vieux serviteurs de l'État qui avaient nsé leur vie à son service. Aujourd'hui ils demandent du pain; les orphelins et les veuves demandent du pain, et Turin ne répond pas, ou Turin répond d'attendre. Nos finances détruites, le trésor dépouillé, des tribunaux à l'image du chaos, des lois en faveur du fisc, puis des impôts et toujours des impôts, voilà ce que nous a rapporté le plébiscite; voilà ce que nous ont apporté les Farini, les Nigra, les San Martino, les La Marmora et les Rattazzi.»

On sent un cœur ulcéré dans ces lignes tombées hier de la plume d'un polémiste napolitain: «On ne connaissait rien aux choses de l'État, et l'on a voulu tout détruire, mettre tout à neuf, sans respecter aucune des conditions réelles du royaume de Naples, avec l'incroyable furie aujourd'hui proverbiale de créer des lois. L'administration civile dans toutes ses branches diverses, les finances, les douanes, l'instruction publique, la juridiction ecclésiastique, la magistrature, la garde nationale, tout en un mot est devenu matière à exercer la féconde imagination des nouveaux hommes d'État. Leurs ventrées (loro portati) ont si peu de vitalité, qu'en peu de temps ou a vu abroger d'anciennes lois qui étaient cependant excellentes, et qu'on a remplacées par de nouvelles lois de beaucoup inférieures, qui elles-mêmes ont dû céder la place à des lois plus nouvelles et plus mauvaises encore...

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Il est de mode officielle de dire que les peuples des Deux-Siciles étaient tyrannisés, abrutis, barbares, et l'on définit comme un moyen de civilisation l'incessante aggravation des octrois et des impôts. Et cependant ces peuples avaient les meilleurs codes de l'Europe, des institutions plus sages, une parfaite organisation judiciaire, elle secrétaire Nigra lui même, dans son Rapport au comte Cavour (\), a dit: «Que, dans les provinces méridionales, il y a abondance et profusion d'intelligence et de science;» et Sacchi, autre homme d'État piémontais, affirme «que les employés publics des Deux-Siciles sont non-seulement habiles et intelligents, mais même supérieurs en science économique aux employés des divers autres États d'Italie.»

-

Comme pour accroître encore la haine des populations siciliennes, la Gazette officielle de Turin, en publiant le nouveau règlement douanier, annonce que, par décret royal, Messine cessera d'être port franc à partir du 1" janvier 1866.

III

Le 2 avril, le consul anglais résidant à Naples, écrit à son gouvernement: «Le mécontement et la jalousie continuent à Naples contre les Italiens septentrionaux ( les Piémontais); ils ont fait augmenter les loyers et les denrées de toutes sortes; la terreur règne dans les provinces; le brigandage est toujours très-étendu dans les Fouilles; il n'a pas encore été efficacement dompté.»

(1) Page 41.

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Un journal de Naples, le Nomade, dans un long article, attribue «au gouvernement piémontais les maux infinis qui accablent les pauvres pays de l'Italie méridionale. L'unité s'est faite; en attendant, cette partie de l'Italie n'en a recueilli aucun avantage, mais, au contraire, de très-graves dommages; l'administration du gouvernement subalpin n'a produit qu'une confusion générale, le brigandage, la misère dans les provinces et le découragement à Naples.»

-

Le républicain Francesco Calicchio, arrêté comme suspect, blessé par les sbires d'un coup de pistolet sans qu'il eût opposé la moindre résistance, emprisonné pendant plusieurs mois, puis reconnu innocent, adresse au roi Victor-Emmanuel un Mémoire dont voici des extraits: «...Le pays a fait une triste expérience du mauvais gouvernement de Farini, qui ne s'entourait que de la consorteria ambitieuse de gouverner et non de faire le bien de la patrie. Le désordre administratif débordant de toute part, on expédia Nigra qui, en public aussi bien qu'en particulier et à moi-même, ne dissimulait pas que la lieutenance Farini avait été réprouvable et que lui, Nigra, avait été choisi pour cicatriser les plaies faites par son prédécesseur... Mais Nigra promit beaucoup et ne tint rien; le peuple se vit trompé, le mécontentement s'accrut, et une hostilité déclarée accueillit tout acte du gouvernement Moi, homme du peuple, j'ai promis au peuple monts et merveilles pour renverser le pouvoir bourbonnien; mais, aujourd'hui, je suis découragé en voyant que nous marchons à reculons, qu'on néglige le peuple et que cet infortuné pays est courbé sous un pire despotisme avec plus d'impôts et plus de maux.»

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Le député Nicotera (1) dit que le gouvernement piémontais «viole le statut constitutionnel et viole la liberté des peuples qui l'ont créé, et qu'il entend fonder l'Italie avec un système de répressions arbitraires et son hypocrite et lâche politique extérieure. Les garanties du Statut, la liberté individuelle, l'inviolabilité du domicile, la liberté de la presse n'existent pas pour ce gouvernement, et il pousse le mépris de la loi jusqu'à dépasser en cela le gouvernement bourbonnien. Il est douloureux d'avoir à rappeler certains faits: Le 15 mai 1848, dans la chambre napolitaine, mon ami, le député Stefano Romeo, eut le courage de proposer à la chambre de se changer en Constituante.pour déclarer la déchéance du roi Ferdinand II. Eh bien! messieurs, tant que le Statut ne fut pas suspendu, Stefano Romeo ne fut pas inquiété.»

-

Paroles du député Ricciardi (2): «J'avais l'honneur d'être député au parlement napolitain en 1848; constitutionnellement parlant nous étions des rebelles, puisque avant que le parlement ne fût constitué selon la lettre du statut, nous nous étions constitués en assemblée délibérante, et qu'ensuite, sur ma proposition, un comité de salut public fut élu dans notre sein, un comité dont tous les actes furent révolutionnaires. Eh bien! le Bourbon, vainqueur le soir du \ 5 mai, ne fit arrêter aucun député. Il était réservé au général La Marmora, au lieutenant d'un gouvernement constitutionnel, de faire ce que n'avait pas osé un roi absolu!

(1) Séance parlementaire du 25 novembre.

(2) Séance parlementaire du 15 décembre

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Vous voyez donc qu'aujourd'hui ce n'est pas un, mais deux rois qui existent en Italie, l'un constitutionnel à Turin, l'autre despotique à Naples, l'un institué pour le bien, l'autre institué pour le mal.»

-

Un journal napolitain (1) parlant de l'administration des établissements publics de bienfaisance, dit qu'elle est si déplorable, qu'un haut personnage en a pu dire en présence de députés: u Je crois que la moitié des revenus de ces pieux établissements napolitains passe aux mains des fripon?.» Le même journal parle en ces termes d'une visite faite au mois d'avril par le roi Victor-Emmanuel: «Le roi et le ministre Rattazzi ont visité le plus grand établissement de charité que nous ayons, l'Hôtel des Pauvres, qui est aussi le plus mal administré, et qui ainsi pour l'esprit et pour le corps est devenu l'hôtel de la mort. Mais prévenus de cette visite, les directeurs, qui sont à genoux devant le nouveau ministère, étouffèrent les gémissements des pauvres sous les fanfares des troupes de musiciens. Les pauvres gens de cet établissement, plus que toutes autres créatures humaines ressemblent à des bêtes tant on les traite brutalement; ils dorment sur une litière vieille et malpropre; leurs vêtements journaliers sont des haillons inutiles; sans bas et sans chaussures, leurs chemises et leur linge sont d'une étoffe dure et brune et fourmillent d'insectes à la honte de l'humanité; leur nourriture se compose uniquement d'une pâte noire et acide, sans aucun assaisonnement... La morale est nulle dans ces établissements, les femmes n'y sont qu'un jouet; plus de trois cents jeunes filles ont été peupler les mauvais lieux en sortant de ces maisons de bienfaisance»

(1) Le Popolo d'Italia, 6 mai.

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Les journaux napolitains du mois de mars publient cette nouvelle: «Jeudi 6 courant, par ordre du gouvernement, les jeunes pensionnaires les plus jolies de l'Hôtel royal des Pauvres ont été condamnées à se laisser photographier dans l'hospice même, pouj que leurs portraits soient expédiés à Turin. Le reste s'entend sans qu'on le dise!...»

-

Un journal politico-populaire publie le 10 décembre celte lettre au préfet de Naples:

«Monsieur le général La Marmora,

» Envoyez-moi chercher, si vous avez les entrailles charitables, et je vous montrerai la lettre que m'a remise une malheureuse pensionnaire de l'Hôtel des Pauvres de Naples... Là sont des jeunes garçons et des jeunes filles! l'administration est une camorra... Aussitôt après m'avoir lu, allez-y ou envoyez quelques personnes de confiance, avec ordre de visiter le local, tout le local, même les souterrains, on sont entassés ceux qu'on nomme les misérables. Vous y trouverez des jeunes garçons et des petites filles nus, parce que les haillons ne couvrent pas ces pauvres chairs! Vous les trouverez rongés de vermine sur de la paille pourrie, blêmes, épuisés par la faim, parce que le peu de polenta qu'on leur accorde est souvent enlevé à cinq cents de ces infortunés dans un seul jour sous prétexte de punitions! Vous verrez que ces créatures dans cette rigoureuse saison n'ont pas un drap, une couverture, et sont accroupies comme des animaux sur le sol des chambres humides et malsaines. Interrogez ces malheureux en leur promettant de les garantir des sévices et des tortures...

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Surtout, général, demandez à ces infortunées jeunes filles qui n'ont de. bouclier que leurs larmes, comment on respecte leur innocence!... Allez là, et puis vous me direz si les Napolitains ont raison de maudire Turin!»

Les pensionnaires de l'Hôtel-des-Pauvres, dans une pétition adressée au député Ricciardi (1) pour qu'il la présente au parlement, énumèrent les sévices, les mauvais traitements et les iniquités des administrateurs à la tête desquels se trouve le surintendant de Blazio.

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Sous les Bourbons, les directeurs des établissements de bienfaisance prêtaient gratuitement leur concours; aussi le public napolitain est-il péniblement impressionné de voir les directeurs piémontais s'adjuger de gros traitements. Les revenus étant donc diminués d'environ deux cent mille francs, on saisit ce prétexte pour expulser brusquement une foule d'employé?, pauvres pères de famille qui comptent de nombreuses années de services.

IV

La province de Girgenti est profondément irritée contre le préfet Falconcini qui pousse jusqu'à l'excès les violences et les mesures arbitraires (2).

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A Catane, un soir du mois de mars, près de Leonforte, des gendarmes piémontais en tournée

(1) Gazzetta di Napoli, 5 décembre.

(2) Il Precursore, journal de Palerme

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reçoivent une décharge de coups de fusil qui tue l'un et blesse les trois autres (1).

«L'impôt sur le sel et le tabac a produit dans le peuple une sorte d'ouragan suivi d'un calme mortel à Naples et dans les provinces. Dans les communes de Squillace, Cardinale, Palermiti, Curinga et dans beaucoup d'autres pays, la population se soulève en criant: «A bas les impôts!» et en poussant toute espèce de cris de haine contre le gouvernement piémontais. A Chiaravalle, un terrible soulèvement a eu lieu parmi les paysans armés de haches, de faux et de fusils; Tarante est dans une fermentation qui fait pressentir une émeute; à Quisisana, le peuple a lancé des pierres contre le poste de la garde nationale (2).»

Un député piémontais est bâtonné à Naples, dans la rue de Tolède, et le bruit court qu'un autre a été poignardé pour avoir trahi son mandat. «Disons que ces messieurs ont joué une vilaine partie en jetant la patrie dans le deuil et dans le désespoir: aussi, à l'infamie qu'emporte avec soi la trahison s'ajoutent les vengeances aveugles du peuple (3).

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«L'aversion contre la nouvelle de l'enregistrement et du timbre se développe, dans la province de Salerne, avec une pétition recouverte d'un très-grand nombre de signatures, dans laquelle on prie le roi de ne pas sanctionner ces nouvelles taxes très-lourdes

(1) Journal la Tribuna.

(2) L'Indipendente, journal de Naples, 23 juillet.

(3) Gazzetta di Napoli, juillet 1862.

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pour les provinces méridionales, inutiles et ne servant qu'à fomenter et accroître le mécontentement général (1).»

Le député de Luca démontre au parlement la dureté, la fiscalité, l'injustice de cette loi essentiellement contraire à l'administration de la justice surtout dans les procès de peu d'importance qui sont dans le royaume les plus nombreux et intéressent davantage le menu peuple. La chambre de discipline des avocats napolitains, dans une sorte de protestation publique, expose les désordres inhérents à cette loi, entre autres celui de «faire payer pour la même et seule créance quatre fois la taxe dans le cours d'un procès civil, depuis le jour de la sentence de condamnation jusqu'à l'accomplissement du jugement d'expropriation.

Dans la commune de Squillace, le 27 août, éclate un nouveau soulèvement contre le gouvernement, qui s'en venge en procédant à de nombreuses arrestations.

Dans les premiers jours de novembre, le peuple se soulève à Ururi, commune du comté de Molise, et ne s'apaise que devant les régiments piémontais accourus de Foggia avec de la cavalerie et deux pièces de canon (2).

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La substitution de la monnaie piémontaise à l'ancienne monnaie napolitaine donne lieu journellement aux murmures et aux récriminations du peuple, qui refuse généralement les pièces à l'effigie du roi Victor-Emmanuel. Le gouvernement se voit donc forcé de modifier son décret du premier novembre qui abolissait le cours des anciennes monnaies et d'adopter un moyen-terme par rapport aux monnaies de cuivre.

(1) Le Popolo d'Italia, 13 mai.

(2) Le Nomade, novembre 1862.

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Dans une émotion populaire, le fameux Odoardo Pancrazi, capitaine de la garde nationale, ordonne à ses hommes de faire feu contre la foule. Cet acte odieux provoque l'indignation générale contre Paucrazi et d'autres officiers qui ne s'étaient guère plus noblement conduits. Le député Nicotera en profite pour renvoyer son fusil et sa dague au major du quatrième bataillon de la garde nationale, avec une lettre énonçant les motifs de sa retraite: «la compagnie dudit Pancrazi ayant consommé le plus honteux des crimes, celui de charger à la baïonnette un peuple sans armes.»

Les fils du roi Victor-Emmanuel arrivent à Naples venant de Sicile, et, le 10 juillet, visitent la cathédrale qu'ils trouvent déserte. Un journal napolitain, la Pierre infernale, décrit en ces termes le sentiment public: «Les princes sont arrivés. Le peuple les a regardés. Il a vu, dans l'un d'eux, le futur maître des destinées de la nation. Et le peuple a secoué la tête! Il est resté sombre, inerte, apathique. Un peuple trahi ne chante pas l'hosannah. Oui, prince, ce peuple fut trahi, bassement, honteusement, lâchement trahi. Et les traîtres furent ceux-là mêmes qui prétendent le gouverner au nom de Victor Emmanuel, et qui en trahissant le peuple trahissent Victor-Emmanuel lui-même et l'Italie. On nous promettait d'améliorer le sort du peuple, on nous disait qu'on voulait le moraliser. Ce fut un blasphème: nous l'entendîmes et le sang bouillonna dans nos veines! Cette parole nous fit frémir; les faits qui la suivirent, comme d'autres Ugolins, nous rendirent tous muets!

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On nous insulta d'abord, et puis on nous dépouilla, on nous abandonna, on nous avilit, on nous réduisit à l'état d'un peuple sur qui pèse la malédiction de Dieu.»

Les Piémontais sentent qu'ils ne tiennent que par leurs baïonnettes et leurs canons à la terre des Deux Siciles. Le général La Marmora a fait consigner dans tous les postes militaires de Naples des plis cachetés qui devront être ouverts à la moindre insurrection.

Le ministre de la guerre déclare au parlement (1) que pour contenir les provinces méridionales, ce n'est pas assez d'une garnison de cent vingt mille soldats.

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Au mois de novembre les princes d'Angleterre et de Prusse débarquent à Naples, et peuvent entendre les cris de douleur de la population qui, le lendemain, a l'honneur de leur présenter une adresse où se remarque ce passage: «0 magnanime héritier de la couronne de Prusse, ne vous attristez pas à la vue de nos calamités, à la vue des maux que des sectes infernales ont versés sur cette contrée naguère florissante. Mais quand vous retournerez près de votre auguste père, souvenez-vous de notre désolation, souvenez-vous de nous! Vous lui direz que Naples est bouleversée de fond en comble, opprimée par une féroce domination, avilie, déserte! Vous lui direz que le royaume est gouverné avec une verge de fer par d'infâmes bourreaux en habit de soldats! Vous lui direz qu'elles fument encore, les ruines de vingt-sept de nos villes brûlées par la fureur piémontaise! Vous lui dépeindrez ces Opulentes contrées brutalisées et englouties, ces campagnes blanches des ossements des milliers d'innocents qu'on a fusillés, ces prisons où gémissent cent mille infortunés, ce royaume désert, épuisé, où des multitude»

(1) Séance du 22 novembre.

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de malheureux, dépouillés de leurs emplois, sans abri, sans repos, demandent du pain, et n'ont pas de pain! Vous lui direz que le Piémont, pour la liberté, nous a donné la servitude, pour la loi l'arbitraire, pour la prospérité la misère, pour le bien-être social toutes les calamités! Vous lui direz, en un mot, que nous sommes des orphelins, des citoyens sans patrie, des malheureux sans espoir....»

V

Au sujet des élections parlementaires, on a crié beaucoup contre la corruption des électeurs et des élus; non content de trafiquer pour soi-même, on trafiquait pour autrui; l'on s'est plaint aussi du privilège abusif qu'ont les députés de voyager gratuitement. Une œuvre récente expose en ces termes le sentiment du public napolitain: «C'était assez pour enlever tout crédit au parlement de voir la chambre se changer en une sorte d'arène ou de cirque, où les gladiateurs politiques se disputent le pouvoir au grand scandale de la nation, et d'observer le peu de sérieux des discussions qui ont parfois dégénéré en scènes indignes, nous ne disons pas d'hommes politiques, mais d'hommes bien élevés... Dans mille occasions, on a publiquement, au sein du parlement, foulé aux pieds le nom napolitain, et il ne s'est pas élevé une voix pour défendre ce noble peuple! On a lancé des philippiques plus mensongères encore que violentes contre la corruption, l'ignorance, l'intempérance et l'incapacité civile des Napolitains, et il ne s'est pas levé un homme pour ramasser le gant et réfuter ces indignes calomnies...

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On a attaqué, discrédité, ridiculisé nos meilleures institutions, et nos députés les ont laissé détruire sans conteste. Quoi encore? On a ouvertement outragé la religion de nos pères, et pas une langue ne s'est déliée pour repousser l'offense! Sont ce là, en 1862, les représentants du peuple napolitain, du peuple catholique napolitain (1)».

Le député Ferrari jette ces mots à la face du gouvernement: «Vous avez voulu gagner des villes et des contrées: vous avez perdu en dignité ce que vous avez gagné en territoire (2).» «Nous avons un parlement, des journaux et tout l'attirail qui fait ressembler la liberté à un vain bavardage (3).»

Un journal anglais parlant de la chute du ministère Rattazzi et de la haine qu'il inspirait aux Italiens, l'explique ainsi: «Il commença par encourager Garibaldi, puis il le combattit; toute l'Italie lui reproche cette double trahison.»

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«La défiance et l'apathie ont succédé à de joyeuses espérances; le commerce dépérit, la sûreté publique est détruite, les brigands sont nombreux et vont où il leur plaît, les finances sont épuisées, l'organisation intérieure est incomplète; les sectes s'agitent et conspirent contre le roi et le statut; le gouvernement est sans vigueur. Ajoutez à ce désastre l'immoralité de l'administration intérieure, le mépris des droits mêmes le plus sacrés, le déficit de plus de sept cent millions, et dites si un Farini, même en le voulant, pourra préserver le pays de la terrible catastrophe qui le menace.»

(1) E. Cenni, Delle presenti condizioni d'Italia, p. 266.

(2) Séance parlementaire du 29 novembre.

(3) Séance du 50 novembre.

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Nous avons signalé l'abstention presque unanime de la population des Deux-Siciles dans tous les actes qui constituent la vie publique; sous un gouvernement de suffrage universel, tel député est envoyé an parlement par soixante-seize électeurs ({), et encore la majeure partie de ces électeurs se compose-t-elle d'employés piémontais. II serait trop long d'énumérer tous les cas d'abstention de ce genre, mais pour l'instruction de nos lecteurs, nous tenons à dire qu'au mois de décembre, à Naples, pour la section du Marché, qui compte près de deux cent mille habitants, M. Paolo Cortese fut élu député au parlement italien par quarante-trois voix contre quarante et une données à son compétiteur.

Le parlement décide, en séance extraordinaire (2), qu'une commission élue dans son sein devra se rendre dans les provinces méridionales examiner la situation du brigandage^ et exposer dans un rapport au parlement les remèdes qu'on pourrait appliquer à cette plaie politique. A Bari, la commission des brigands pose ces trois questions à l'un des hommes les plus considérés de la Ville:

1° Quelle est la cause du malaise général?

2° Quelle est la cause de l'abstention politique?

(1) Comme, par exemple, le général Medici:

(2) Décembre 1861.

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3' Quel serait le remède le plus efficace au déplorable état des choses?

Réponses:

1° L'invasion des Piémontais.

2° La haine des Piémontais.

3° Le départ des Piémontais.

Le député Ricciardi écrit au journal génois, le Movimento (1), une lettre qui contient ces lignes «Je voudrais que les hommes d'État de Turin fussent bien persuadés d'une chose par dessus toutes autres, c'est qu'ils ont tout à fait perdu le cœur des vingt-trois provinces italiennes qui constituent l'ex-royaume des Deux-Sicile», en leur causant d'immenses dommages et ne leur apportant aucune sorte de bienfaits.»

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«Un journalisme dévergondé pervertit l'esprit public; les sociétés émancipatrices, comme des plantes parasites, étendent leurs racines des villes aux villages; les hommes du parti d'action prédominent, triomphent dans les élections, sont de préférence élevés aux postes lucratifs, aux charges qui comportent le plus de responsabilité; les hommes du gouvernement les caressent et en sont soutenus dans les luttes parlementaires; c'est un échange de faveurs, mais aussi c'est une confusion d'idées... Il y a anarchie dans les idées, anarchie dans les actes, anarchie en haut, anarchie en bas, pendant que du palais à la chaumière, au bivouac des réactionnaires comme dans la boutique de l'artisan, on ne conspire que pour une seule œuvre: l'œuvre de désordre et de destruction.

(1) 23 septembre.

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Au fond de cette mêlée orageuse grouille., comme une lie infecte. la Camorra... (1)»

A Bénévent, au mois de janvier, la déclaration d'un décret créant de nouveaux impôts, produit dans le peuple une violente agitation; la troupe piémontaise intervient, blesse les uns et arrête les autres.

La subordination des agents inférieurs vis-à-vis du ministère de Turin ressort d'une protestation du municipe de Marsala, dont le syndic était menacé de destitution pour avoir publié un discours de Garibaldi au mois d'août. Le conseil municipal, après délibération, «proteste contre l'arbitraire et l'inconstitutionnalité de la menace, déclarant avec une égale solennité qu'aucun de ses membres n'acceptera les fonctions syndicales, et qu'il s'opposera à toute opération tendante limiter les suffrages du pays et les droits acquis au prix du sang et des sacrifices.»

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On lit dans un journal de Naples: «Dites-moi où est l'unité de l'Italie? Qui rend à tant de mères, à tant de pères, à tant d'épouses, le fils et le mari qui sont morts? Qui nous reconstruit nos villes détruites! Qui sèche les larmes de tant d'orphelins? Qui lave les mains rouges du plus funeste fratricide? Qui rend la richesse à nos campagnes dévastées? Qui rend à notre pays les inépuisables sources d'Or, où se sont plongés ces avides envahisseurs, qui nous ont régénérés en nous en dépouillant et en nous mettant le pied sur la gorge? Où sont nos savantes institutions législatives, nos codes nationaux, fruits de la sagesse et des études des premiers génies napolitains, ces codes qu'admirait l'Europe? (2)»

(1) Gazzetta di Torino, septembre 1862.

(2) Colpo d'occhio pag. 118 et 119.

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VI

Le gouvernement subalpin, menacé de mort dans les provinces méridionales et ne trouvant plus en soi ni dans la loi, ainsi que l'avoue la Gazette de Turin, l'énergie nécessaire au salut, la cherche en dehors de la loi, suspend les garanties constitutionnelles, délègue au sabre des pouvoirs absolus et ose appeler l'état de siège une efficace mesure: arrière dérision qui couronne dignement ^deux années de sacrifices, d'anarchie et de guerre civile.

«.... Blâmons hautement et condamnons le ministère qui ne sut prévoir ni pourvoir à temps, et qui a laissé les choses s'aggraver à ce point que l'état de siège est devenu une nécessité et la seule ancre de salut dans les provinces travaillées par les plus sérieuses agitations (1).»

«Les mécontentements, qui couvaient depuis longtemps, se sont déchaînés à la première occasion; mais le drapeau de tous est le même, la guerre sociale, la guerre du pauvre contre le riche! Sur tous les points, des colonnes mobiles parcourent les provinces siciliennes, et chaque jour est marqué par de nouvelles fusillades (2).»

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L'alarme publique est si grande en Sicile, qu'un journal de Palerme (3) s'écrie dans le même temps: «Sire, on vous a trompé! Sire, vous êtes trahi! L'Italie est trahie!

(1) L'Opinione, journal de Turin, 23 septembre.

(2) L'Indipendente, journal de Naples, 14 septembre.

(3) La M ola.

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vos ministres ne savent ce qu'ils font; loin de vous faire aimer, loin d'entretenir le feu sacro-saint de la concorde, ils agitent la torche de la discorde, dont la flamme allumera la guerre civile qui brûlera et détruira la patrie!»

Le 17 août, le roi Victor-Emmanuel signe le décret suivant:

«1° La ville de Palerme et toutes les provinces de la Sicile sont déclarées en état de siège;

»2° Le général Efisio Cugia, préfet de Palerme, commandant militaire de l'île de Sicile, est nommé notre commissaire extraordinaire avec les plus amples pouvoirs; toutes les autorités, civiles et militaires, sont placées sous sa dépendance immédiate.»

Le comité national secret, dans les premiers jours d'octobre, lance de violentes proclamations dont voici des extraits (1):

«.... C'est vous qui êtes vils, hommes du gouvernement, et non le peuple de Palerme, qui, par juste vengeance, a recours contre vous au poignard. L'état de siège est infligé pour étouffer les justes plaintes de la presse libre et pour persécuter de toutes les manières et par tons les moyens. Pour gouverner despotiquement, la loi ne vous suffit pas: vous recourez à l'état de siège!... vous recourez aux baïonnettes, aux arbitraires et sauvages fusillades!... Tout prouve que la Sicile a été trahie... Au jour de la lutte, qui n'est pas loin, n'oublions pas nos ennemis, traitons-les comme ils le méritent avant qu'ils ne fuient. Le comité voit approcher le temps où il pourra dire: Aux armes! l'heure de la juste et sainte vengeance est sonnée!...»

(1) Voir, pour ces proclamations, L' Opiniime, de Turin, n. 232

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Extrait d'une lettre du député Ricciardi (1): «Avec l'état de siège, et principalement à cause de l'état de siège, le brigandage s'est tellement accru que les populations sont réduites au désespoir; si bien que malheur à l'Italie, si la guerre venait à éclater sur le Mincio, et qu'un prétendant se présentât dans ces pays avec quelques troupes bien organisées!»

Pendant l'état de siège, il arrive à Turin des télégrammes alarmants sur les progrès du soulèvement dans les provinces méridionales. Une démonstration a lieu à Palerme dans la soirée du 30 août; différents points de la ville sont occupés par la troupe. Le 3 septembre, sur de nouveaux désordres, l'autorité procède à de nombreuses arrestations politiques, suivies de protestations et de placards séditieux. Les gendarmes, accourus pour les déchirer, sont insultés par le peuple, et, dans la mêlée, plusieurs d'entre eux sont blessés. A Canicatti, des troubles éclatent à la même date (2).

De sérieux désordres éclatent à Collebuono, à Trapani, à Girgenti et dans l'île d'Ustique. On abaisse et on brise les écussons-piémontais, on incendie les archives, on brûle les correspondances postales, et, près d'Ustique, il s'organise une sorte de piraterie (3).

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Les arrestations augmentent journellement à Naples. Les députés Nicotera, Miceli, Missori, craignant d'être emprisonnés, se cachent et font courir le bruit qu'ils se sont embarqués pour Malte.

(1) Le Diritto. journal de Turin, 29 octobre.

(2) La Perseveranza, journal de Milan.

(3) Le journal la Politica del Popolo, 9 septembre

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L'arbitraire militaire règne partout. Le maire de Vasto est menacé du bâton par un officier du 42e de ligne. A la suite de cet acte brutal, le maire et le conseil municipal donnent leur démission en masse. Les maires des diverses communes du Gargano sont tenus au pain et à l'eau par la troupe. Le maire de Serracapriolo est frappé. Le maire et le capitaine de la garde nationale de San-Paolo, en Capitanate, sont garrottés par des gendarmes et conduits en prison.

Le député de Cesare, blâmant avec énergie le gouvernement, ajoute (1): «L'état de siègea suscité dans les provinces méridionales des accusations, des dénonciations et des calomnies contre les honnêtes citoyens qui, restant désarmés, sont devenus victimes de la vengeance des méchants.»

Le député Nicotera: «Avec l'état-de siège, Reggio de Calabre fut menacé de bombardement, et vit braquer les canons contre ses murs. Catanzaro, Cosenza, toutes les autres provinces méridionales mises en état de siège, et Naples même, furent menacés d'être traités comme une autre ville (2), en 1849(3)».

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La société générale ouvrière de Naples, dans une adresse publiée, le 23 janvier, par le journal la Democrazia, remercie les députés de- l'opposition, et principalement le député Ferrari «d'avoir défendu les droits des ouvriers, droits méconnus dans un parlement où ne peu.

(1) Séance parlementaire du 22 novembre.

(2) Gènes.

(3) Séance parlementaire du 85 novembre.

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vent entrer que les privilégiés du cens, pendant qu'à Naples et en Sicile l'opinion publique juge et condamne ces hommes qui ont conservé le pouvoir malgré la défiance universelle.»

M. Crispi, prend la parole après M. Mordini, qui a déclaré qu'«une grande partie des provinces italiennes sont mécontentes de l'ordre de choses actuel». «Plusieurs fois, dit M. Crispi, ici et dans les journaux, on a dit et répété que quelques provinces de royaume sont moins imposées que d'autres. C'est vrai; mais ces populations peuvent à leur tour vous répondre que notre gouvernement coûte, plus cher que celui qu'elles avaient avant (Interruptions). Notre gouvernement, je le répète, coûte plus cher que celui qu'elles avaient précédemment. Or, je crois que c'est tout le contraire qui devrait arriver; le gouvernement libre doit coûter moins que le gouvernement absolu (Oh! oh! Signes de dénégation). Le gouvernement libre doit coûter moins que le gouvernement absolu. (Rumeurs. Conversations animées.)

BROGLIO. Où avez-vous vu cela?

CRISPI. Je vous le prouverai. Messieurs, plus les peuples sont libres, moins sont grandes les attributions du gouvernement central. Il en résulte donc qu'il ne peut coûter beaucoup. Savez-vous d'où dérive ce phénomène que les cinq gouvernements réunis que nous avons supprimés (sic) et desquels a surgi le royaume d'Italie dépensaient moins que nous? (Mouvements. Interruptions.) (1)»

(1) Séance parlementaire du 25 février 1863.

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VII

Le 29 juin, à Messine, quatre cents portefaix se rassemblent pour demander impérieusement une augmentation de salaire. Le 3 juillet, une centaine de cigarières de la fabrique de Naples font une manifestation tumultueuse pour obtenir le même salaire que les cigarières piémontaises, qui sont favorisées sous ce rapport; l'intervention de la garde nationale devient nécessaire. Le même jour, seize cents ouvriers de l'arsenal de Naples se soulèvent sur le bruit que toutes les manufactures allaient être transférées en Piémont; la force armée intervient. Plus tard, ces mêmes ouvriers, réunis à ceux de la fabrique d'armes de Pietrarsa, vont faire du tumulte sur la place du Castel-Nuovo; la garde nationale arrête les meneurs et disperse le reste.

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Le 14 août, dégoûtés de leur nouveau règlement, les balayeurs de Naples se mutinent, et, pour faire pièce au gouvernement, parcourent les rues en criant: Vive Garibaldi! Mort au bombardeur de Gênes (1)1 On déchire les proclamations affichées par ordre du préfet La Marmora, qui s'empresse de déployer de grandes forces militaires, avec accompagnement d'artillerie, qui campent snr différents points de la ville, depuis le matin jusqu'au milieu de la nuit. Pendant plusieurs jours, à la suite de ces démonstrations, quatre canons et trois compagnies d'artilleurs gardent le Palais royal qui, on le sait, est l'habitation du général La Marmora.

(1) S. M. le roi Victor-Emmanuel II.

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Dans la soirée du 2 septembre, une patrouille de garde nationale du village de Gorga, principauté de Salerne, est assaillie et maltraitée par ses propres concitoyens. Dans le conflit, il y a des morts de part et d'autre.

A Naples, des placards séditieux poussent continuellement la population à l'anarchie. Dans la matinée du 25 novembre, on en trouve un, à tous les coins de rues, dont la conclusion est de se débarrasser de tous les rois et de leur sordide cortège... «A bas les monarchies! vive la république!» Des placards du même genre se produisent dans la journée du 28.

Au théâtre San Carlo, à Naples, dans la soirée du 13 décembre, éclatent de violents désordres dans le sens garibaldien, bien que le gouvernement, averti la veille, eût garni le parterre et les couloirs des loges de piquets de gendarmes et d'agents de police. La représentation cesse à cause du tumulte, et les policiers chassent du théâtre la foule qui se répand dans les rues en criant: «Vive Garibaldi! à bas La Marmora! à bas Victor-Emmanuel!» L'autorité menace de fermer le théâtre si pareil tumulte s'y reproduit.

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Le député Ricciardi (1) se félicite de voir sièger au banc des ministres plusieurs de ses anciens camarades de conspiration, et se plaint qu'aucun d'eux n'ait encore parlé de l'anarchie qui désole les Deux-Siciles «qui se trouvent aujourd'hui dans de bien plus mauvaises conditions que sous le gouvernement bourbonnien.» Il raconte «qu'un citoyen s'étant présenté au préfet La Marmora pour obtenir justice, il lui répondit qu'il avait les mains liées et qu'il fallait s'adresser à Turin.

(1) Séance parlementaire du 15 décembre.

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C'est ainsi quand le préfet doit faire le bien: il a les mains liées; mais pour le mal il les a très-libres, et peut faire fusiller qui bon lui semble.»

Le comte de Derby (1) parlant de la proclamation sauvage du lieutenant-colonel Fantoni, datée de Lucera, 9 février, dit entre autres choses: «Je vous présente, à vous et au monde, dans toute sa nue atrocité, cette proclamation émanée d'un gouvernement qui se vante d'avoir été accepté à l'unanimité du suffrage universel par le pays à qui il applique de telles mesures, qui se vante d'être un gouvernement ennemi de l'oppression, et qui, depuis nombre de mois n'est occupé qu'à réprimer sanguinairement les manifestations d'insubordination et de rébellion dans ce même pays. Je n'examinerai pas la nature de ces rébellions, ni si elles dépendent d'un attachement des populations pour la dynastie exilée... Mais des mesures de ce genre sont une offense à l'humanité; on ne pense point sans frémir à un système qui dévaste, détruit, lue, etc.» Le ministre Russel répond à lord Derby: «J'avoue que je suis pleinement d'accord avec le noble préopinant; je pense que rien ne saurait être plus cruel et plus barbare que cette proclamation, qui confond les innocents avec les coupables, sème la désolation sur un vaste territoire, met des entraves à l'industrie et fait du gouvernement un objet de terreur pour tous... Une telle proclamation n'est pas inspirée par une saine politique, et ne réconcilie pas les habitants avec le gouvernement.»

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«Le gouvernement de Turin répand le sang en masse, et souvent le -sang innocent;

(1) Chambre des lords, 27 février.

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il a fini par mettre ce pays dans la terrible situation de craindre et d'avoir en horreur les agents du pouvoir plus que les brigands. L'arbitraire et l'impuissance sont les seules armes du gouvernement, et ce n'est pas ainsi qu'il pourra jamais détruire le brigandage] par contre il perdra l'affection des populations (1).»

Dans le courant du mois de février, les murs de Naples sont fréquemment couverts d'affiches sur lesquelles se lit alternativement: «Vive François II! Vive Mazzini! A bas le Piémont! (2)»

Le 28 décembre, la garde nationale de Messine se voit dans la nécessité de charger le peuple à la baïonnette et de tirer sur la foule, qui s'agite tumultueusement sous prétexte de faire jouer l'hymne garibaldien par la mu-ique de la garde nationale, qui s'y refuse. Plusieurs citoyens sont emportés avec des coups de baïonnettes, et plusieurs autres sont arrêtés.

Au commencement du mois de janvier, le général préfet La Marmora écrit à Turin qu'il ne croit pouvoir tenir à Naples sans l'état de siège. Sur la fin du mois de décembre, le général Bixio réclame l'état de siège pour la terre de Naples, jusqu'à ce que l'ordre y règne.

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«Le ministère a traité nos populations comme une horde de barbares, ef, aujourd'hui même, il pense que nous devons être conduits comme les Romains conduisaient les étrangers (3).»

(1) Le Monitore, la Patria, 20 février.

(2) Le journal le Popolo d'Italia, 21 novembre.

(3) Lettre adresses de Naples au journal de Turin Les Nationalités, janvier 1862.

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Le 26 août, le roi Victor-Emmanuel part pour l'Italie méridionale. Les ministres et les généraux s'opposent à ce qu'il prenne la route de terre, qui est infestée de brigands, et le font voyager par mer avec une escorte de cinq frégates à hélices et un aviso à vapeur. Le peuple de Naples est miné par la misère, qu'il n'avait jamais connue sous les tyrans: le conseil municipal de Naples vote une somme de deux cent mille francs pour fêter l'arrivée du roi. Victor-Emmanuel étant au bal au palais de Vasto, une bombe formidable éclate sous les fenêtres, aux cris de: «Vive François II!! Vive les Bourbons!» ou de: «Vive Mazzini! A bas les Piémontais! A bas Victor-Emmanuel! Vive Garibaldi! Vive la République!» La police procède à de nombreuses arrestations.

On écrit de Palerme, le 16 mars, au Messager du Midi:

«Il règne en Sicile une mauvaise humeur générale.... Le gouvernement italien, qui devait s'occuper immédiatement des provinces méridionales, dont nous faisons bien certainement partie, semble avoir oublié ses promesses, et les luttes seules de la chambre paraissent absorber toute sou attention. Après l'expulsion des Bourbons par Garibaldi, nous avons sacrifié nos aspirations, nos désirs, notre autonomie, à cette unité italienne prêchée par le libérateur; nous avons eu confiance et patience surtout; mais le moment est venu où nous demandons des actes et non plus des paroles.

» Les officiers et soldats piémontais, au lieu de chercher à prouver qu'ils sont Italiens, s'expriment toujours entre eux dans leur idiome ou en français, et l'on murmure déjà ces mots: «Nous traite-t-on en pays conquis?»

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Cette idée, si on la laisse se propager, suscitera de graves embarras au gouvernement, et les résistances ne manqueront pas dans un pays où les sociétés de Provedimento sont nombreuses et puissantes.

» Le 14, jour de la fête du roi, le mauvais temps et la pluie ont pu être un empêchement à des démonstrations publiques; mais, pour être juste, il faut avouer qu'on a boudé généralement.»

-

Que dire enfin pour prouver l'inanité de cette douloureuse unité, pour la montrer maudite de Dieu comme des hommes? Où sont-ils les promoteurs de cette hypocrite et sanguinaire révolution? Où est Cavour? Où est Caputo, l'évêque apostat? Où sont les renégats, le comte de Syracuse et le prince de Capoue? Est-ce une balle ennemie qui a donné le coup de la mort lente à ce pauvre homme de Garibaldi? Châtiment plus terrible encore! Où est la raison du médecin Farini? Quant au gouvernement piémontais, qu'on se souvienne seulement des paroles de son représentant au Congrès de 1856: «Les princes italiens sont haïs parce qu'ils sont des tyrans, et que leurs gouvernements sont condamnables sous tout aspect.» Ces calomnies unitaristes forment un puissant et instructif contraste avec l'histoire de la domination piémontaise dans les duchés et dans les Deux-Siciles. Conservez à chaque État italien son organisation personnelle; «car il est impossible de les réunir en un seul État, parce que les hommes tiennent à leurs habitudes; ni le temps, ni les bienfaits ne peuvent jamais» leur faire oublier leur ancienne organisation (1).»

(1) Machiavel.

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LES BRIGANDS

Ils fusillait, fusillait, Fusillait!....

I

Le Piémont s'est annexé un royaume de dix millions d'individus derrière 25,000 votes affirmatifs; il n'y a pas de cola trois ans, et pour garder sa conquête il a dû, de l'aveu de ses commissaires, fusiller près de dix mille hommes, en emprisonner plus de quarante mille, et perdre lui-même quinze mille soldats environ (1).

(1) Séance secrète du parlement italien, décembre 1862.

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D'ailleurs le Piémont ne manque pas de lieutenants intelligents; on voit ses généraux se déguiser en bourreaux; on voit un Pinelli décréter que tout manque de respect au drapeau de Savoie sera puni de mort; on voit un Cialdini annoncer entre deux coq-à-1'âne qu'il fera fusiller tout paysan suspect, et qu'il a déjà commencé; on voit des Fumel et des Fantoni fusiller le paysan qu'ils trouvent porteur de plus d'une livre de pain. Pinelli, Fumel, Fantoni, sont récompensés par de l'avancement, et l'on met le collier au cou de Cialdini, le collier de l'Annonciade.

Est-il étonnant que la population des Deux-Siciles professe aujourd'hui tant de haine pour le joug subalpin, et qu'elle regrette le calme heureux dont elle jouissait sous les tyrans?

Nous sommes tous brigands! me disait un paysan napolitain.

Et, entr'ouvrant sa chemise, il montrait sur sa poitrine une médaille de cuivre aux effigies de François II et de Marie-Sophie; puis il ajoutait, avec un sourire de fiel et de haine:

Dire que, s'ils me voyaient cela, ils me fusilleraient!

Je le dis, je le répète et je l'affirme avec toute la hauteur, toute l'énergie de l'homme d'honneur convaincu: Le peuple des Deux-Siciles ne veut pas de l'unité, ne veut pas des Piémontais et veut le roi bourbon.

La, tout le monde est brigand, c'est-à-dire anti-subalpin, c'est-à-dire bourbonnien; le conquis n'accepte pas la conquête; chaque jour accroît son horreur du joug piémontais; et si les conquérants jouissent vite, c'est qu'ils pressentent qu'au calme sinistre, un jour, succéderont d'autres vêpres!...

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Ils affectent d'injurier de sobriquets infamants les vaillants Napolitains qui luttent, les armes à la main, pour se rendre une patrie, et pour lui rendre l'indépendance et le bonheur qu'on lui a volés. Un de ces hommes d'État bouffons, que la révolution italienne a jetés sur le pavois, avait l'impudence de tracer ces mots dans une circulaire diplomatique aux agents piémontais à l'étranger: «Les galériens qui font officiellement la guerre à la société, sont au nombre de douze mille.» Quoi! douze mille Napolitains protestent en soldats contre la déchéance de leur patrie! L'aveu ne manque pas d'ingénuité, et c'est même un des plus ingénus qui ait échappé aux laquais du Piémont. Douze mille galériens! s'agit-il du passé, ou n'est-ce qu'une espérance? On sait ce que Turin fait des soldats qui l'ont combattu: le comte de Christen, le chevalier de Caracciolo, M. de Luca et tant d'autres nobles et vaillants soldais sont-ils ailleurs qu'aux galères, avec la chaîne et le boulet au pied?

Le boulet est l'ami du Piémont: il le lance contre les villes et le rive à ses ennemis.

On se rappelle ce burlesque rapport du proconsul La Marmora, accusant l'existence d'environ quatre cents brigands. Que signifiait donc cette circulaire du préfet de la province de Lecce, en date du 6 novembre 1862, déclarant que «la force militaire qui s'y trouve (1) ne suffit pas pour comprimer le brigandage et que les caisses publiques ne peuvent couvrir les dépenses de la guerre;

(1) Vingt mille hommes el au delà.

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c'est pourquoi il ordonne à tous les maires de recueillir des souscriptions volontaires pour organiser et mettre sur pied un corps de volontaires à cheval.» Le rapport La Marmora, lu au parlement le 11 décembre suivant, réduit à soixante-dix le nombre des brigands de la province de Lecce. Ainsi vingt mille baïonnettes piémontaises, avec tous les deniers publics, ne parviennent pas à détruire soixante-dix brigand». C'est ridicule...

Le député Massari disait au parlement le 21 novembre:

«Non, ce ne sont pas des exagérations; ce sont des faits, des faits positifs, douloureux, indubitables. Je puis vous l'assurer, quand j'étais en province et que je lisais les télégrammes de la Gazette officielle, concernant le brigandage napolitain, qu'ils représentent comme détruit ou dompté, je vous le dis franchement, messieurs, je croyais rêver, parce que je voyais la réalité dans une contradiction si flagrante, si palpable, avec les assertions des télégrammes, que vraiment je ne pouvais m'expliquer dans quel but se publiaient de telles nouvelles.»

Le correspondant napolitain du Times lui écrit en date du 25 janvier:

«Dans la Terre de Labour, de petites bandes se sont organisées. Jeudi dernier , la poste qui va à CampoBasso a été arrêtée près de Cancello, et le courrier a été porté à Naples mortellement blessé. La bande de Crescenzo continue à défier les troupes dans les montagnes de Sarno. On a pris deux ou trois brigands; mais, en revanche, un homme, soupçonné d'être un espion, a été pris par les brigands, lié à un arbre et fusillé.

» Dans la Molise et la Capifanate, il y a des bandes considérables de brigands qui fatiguent les troupes piémontaises.

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On doit augmenter la force, et une nouvelle tactique doit être adoptée par le gouvernement; car il n'y a pas de doute que les autorités locales et la population, soit par sympathie, soit par peur, viennent à l'aide de ces brigands. Comme ces bandes sont principalement composées de laboureurs, ils se dispersent quand la troupe arrive, et aussitôt qu'elle est partie, ils prennent les armes qu'ils ont cachées et recommencent leurs exploits.»

On écrit de Turin au Morning-Herald, le 14 mai:

«.........Je vous affirme aussi et d'une manière bien positive, que ce qu'on appelle le brigandage n'est ni plus ni moins que la guerre civile sur une échelle beaucoup plus vaste qu'on ne le pourrait imaginer, la guerre civile soutenue et encouragée par les habitants.»

«Le mouvement populaire que la faction appelle par mépris le brigandage , est dans l'opinion publique le mouvement régénérateur de l'Italie (1).»

Nous ne voulons pas multiplier davantage les citations établissant la noble complicité du pays avec les brigands, elle nous semble déjà manifeste. Mais il est un autre point sur lequel nous demandons la permission d'insister, celui des massacres, des incendies, des horreurs de toutes sortes qu'a produits l'invasion piémontaise. L'humanité frémit devant cette hypocrisie nauséabonde qui égorge et pille au nom de la liberté.

Le député Ferrari disait (2):

«La répression du brigandage devient un véritable chaos de guerre civile et produit de nouvelles répressions exceptionnelles.

(1) Colpo d'occhio, p. 155.

(2) Séance parlementaire du 29 novembre.

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Vous vouliez à peine me croire, je me le rappelle, quand je vous dis que j'avais visité les provinces méridionales, et que j'avais vu une ville de cinq mille habitants détruite... Et par qui?... Peut-être par les brigands? Non! Maintenant, messieurs, sachez qu'on fusille, qu'on arrête les familles, qu'on emprisonne en masse

On a introduit un droit nouveau sur lequel les déclarations du ministre n'ont laissé aucun doute: le droit de fusiller un homme pris les armes à la main. C'est une guerre de barbarie, une guerre sans quartier.... Je ne sais comment m'expliquer si le sens moral ne vous dit pas que vous marchez dans le sang.»

Au mois de mars, M. d'Israëli, au sein du parlement anglais, interpellait le ministère sur les proclamations sanguinaires des chefs de corps piémontais dans l'Italie méridionale et stigmatisait ces monstrueuses énormités (1).

Un journal napolitain (2) dit, à propos de la commission anglaise qui doit visiter les prisons des Deux-Siciles:

«Nous faisons des vœux pour que cette commission se transporte dans chaque commune de nos provinces désolées: elle se convaincra qu'il n'est de syndic, de juge subalterne, de caporal ou de président de bande libérale qui ne commette chaque jour des actes qui feraient pâlir les monstruosités consignées dans l'histoire de l'invasion des Barbares.»

«Partout ceux qu'on appelle les réactionnaires et même les suspects, et aussi parfois ceux qui ne peuvent

(1) Voir plus loin le chapitre des Lieutenant subalpins.

(2) La Epoca, avril 1862.

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justifier d'un itinéraire quand ils tombent dans des détachements subalpins, sont fusillés sur-le-champ. Dans divers endroits on voit des sacrifices humains de trente à quarante prisonniers.... (1).» On a vu fusiller des enfants et des femmes!

Un journal de Marseille (2) rapporte cet horrible fait:

«Un de me» amis se trouvant, il y a dix-huit mois en mission, était un jour devant la porte d'un café avec d'autres personnes. 11 était deux heures de l'après-midi. Survient un quidam, le fusil sur l'épaule, II jette un regard dans le café, il prie les personnes qui étaient là de se déranger un instant, il épaule, ajuste et tue un individu assis dans le café; puis il met son fusil sur l'épaule et s'en va en disant:

» Voilà un brigand de moins!...»

La sanguinaire anarchie des Deux-Siciles, la cruauté piémontaise, les atrocités et les abominations, hier encore, émouvaient la vieille et généreuse Europe. Cédant à un légitime mouvement d'indignation, l'empereur des Français adressait au général Fleury, alors de passage à Turin, une dépêche devenue fameuse:

«Vichy, 31 juillet, 10 h. 35 m.

» J'ai écrit à Turin pour faire des remontrances. Les détails qui arrivent sont de nature à aliéner contre la cause italienne tous les cœurs honnêtes. Non-seulement la misère et l'anarchie sont à leur apogée, mais les plus coupables indignités sont à l'ordre du jour.

(1) Colpo d'Occhio, p. 126.

(2) Le Semaphore, janvier 1862.

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Un général, dont j'ai oublié le nom, ayant défendu que les paysans emportassent avec eux des provisions quand ils vont aux travaux des champs, a décidé qu'on fusillerait ceux sur lesquels on trouverait un morceau de pain. Les Bourbons n'ont jamais fait quelque chose comme cela.»

A bout de larmes et de sang, le peuple des Deux-Siciles se lèvera tout entier contre ses féroces oppresseurs: la victoire des brigands sera le salut de Naples et de l'Italie! Quoi! ce que naguère n'ont pu faire des soldais français, des Piémontais auraient l'espoir de l'accomplir?... Vain espoir! les conquérants subalpins tomberont sous un effort suprême des soldats de Cliiavone et de Cipriani....

«Ce sont des brigands, oui, mais ils ont un drapeau; ce sont des brigands, mais ils sont formidables dans leurs surprises, inaccessibles dans leurs retraites; oui, ce sont des brigands, mais les pères de ces brigands ont remis deux fois sur le trône les Bourbons do Naples en 1799 et en 1814(0.»

Et maintenant, il ne nous reste plus qu'à tracer, mois par mois, jour par jour, le douloureux martyrologe napolitain de l'année 1862...

Prions pour les morts!

JANVIER.

Du 1er au 3. Escarmouches à Trentinara (Abruzzes). Le chef de bande Daniel Cicchetti est pris et fusillé. Il arrive de Basilicate la nouvelle de petits engagements entre les troupes et les brigands.

(1) Le député Ferrari.

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La bande du champ de Palo, province de Palerme, est défaite, laissant six morts et dix-sept prisonniers. Soixante-neuf brigands de Cipriani font leur soumission à Nola.

2. Attaque des troupes piémontaises par une bande de réactionnaires aux environs de Sora. Domenico Feri est pris et fusillé.

4. Près d'Auletta, commune sise entre les provinces de Salerne et de Basilicate, les réactionnaires soutiennent un longetacbarné combat; les Piémontais perdent beaucoup de monde, mais ils tuent vingt-six brigands, eu font prisonniers dix-huit et mettent les autres en fuile.

5. Le Journal officiel de Naples annonce que le commandant militaire de Capilanale ayant envoyé en tournée un fort peloton de lanciers, sous les ordres du comle Fossati, ce peloton a été massacré dans une embuscade de brigands, au pont de la Sassela, non loin de Foggia. Le journal le Popolo d'Italia annonce qu'un engagement a eu lieu près de Rotello, comté de Molise, entre les brigands et les chevau-légers de Montebello. Les Piémontais perdent cinq hommes et les brigands seize. Près de San-Severo (Pouilles), combat d'un jour entier entre les troupes régulières et de grosses bandes de réactionnaires; résultat indécis; beaucoup de victimes des deux côtés.

6. On écrit de Catanzaro (Calabre), que la bande de Carbone a été détruite dans un combat. Adresse de la garde nationale de Naples à celle de Pietragalla (Basilicate),

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la félicitant de la valeureuse défense qu'elle a soutenue contre les brigands. Les Piémontais jettent des bombes dans Castellamare do Sicile, qui capitule. Ils débarquent et fusillent vingt-sept individus sur la plage.

Du 7 au 16. A Ripacandida, district de Melfl, combat où est tué le chef de bande Michel de Biase. Un autre chef de bande, André de Masi, surnommé Il Miseria, et cinq de ses hommes, près de Bénévent, se rendent au capitaine Capanna, du 18e bataillon de bersaillers. Deux brigands de l'ancienne bande de Masi, après une héroïque résistance, sont pris par la garde nationale et les gendarmes de Colle et fusillés. La garde nationale de Calabritto jointe à celle de Senerchia, province d'Avellino, fait prisonniers douze brigands d'Oliveto, dont quatre blessés. A Angellara, province de Salerne, combat entre la troupe et sept brigands, dont deux sont tués.

Du 17 au 23. Des télégrammes officiels apprennent qu'une bande de cent cinquante réactionnaires à cheval sur les bords du Fortore, fleuve qui sépare les Pouilles de la province de Campo-Basso, attaqqe un détachement piémontais qui se défend à la baïonnette, tue six brigands et met le reste en fuite. Les fugitifs tombent dans un autre détachement qui leur fait subir d'autres pertes. Les télégrammes affirment que les Piémontais n'ont perdu qu'un seul homme. Attaque de la-métairie Lauria, territoire de Serracapriola (Capitanate). Le major Sommani, à la tête d'un bataillon piémontais, engage avec cent brigands à cheval une lutte acharnée, en tue douze et met les autres en fuite.

Du 24 au 31. Une forte bande de réactionnaires occupant le vaste bois de Petacciato, qui s'étend de Larino jusqu'à Vasto,

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est attaquée par la troupe et repoussée dans le bois contigu de Ramitelli, près Termoli. La garde nationale mobile de Molise attaque et disperse, en lui faisant subir despertes sensibles, la bande de brigands commandée par Nicolas d'Alessandro.

FÉVRIER.

2. A Lesina (Capitanale), deux réactionnaires blessés sont pris dans un pailler, où ils s'étaient réfugiés, et sont fusillés.

3. Plusieurs gardes nationales réunies des communes de la province de Campo-Basso, rencontrent un peloton de réactionnaires à cheval, qui s'enfuit dans le bois de Sant'-Agata, sis aux confins des Pouilles, en abandonnant trente-quatre chevaux et divers objets. Près de Mola de Gaëte, on trouve le crâne du maire, François Spina, autrefois fort dévoué aux Bourbons, depuis chaud partisan des Piémontais.

On lit dans un journal napolitain:

«Les postes avancés des volontaires bourbonniens se concentrent dans le bois de Monticchio, près Melfi, s'étendent jusqu'à Toppo de Scilla, et sont commandés par Coppo; d'autres bandes sont à cheval. Dans le Cilento, des manœuvres hardies sont accomplies par la bande que commande le jeune Joseph Tardia, qui, dans plusieurs petites communes, sans causer aucun dommage à qui que ce soit, a rétabli les enseignes et le gouvernement du roi François II, aux acclamations populaires. Dans le comté de Molise, les réactionnaires armés se sont emparés de seize fourgons appartenant au gouvernement.

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Au marché de Caserte, les paysans se soulagent le cœur en - poussant des vivais au roi François II. De Sicile, il arrive des nouvelles fort graves; à tous les coins de rues, on lit des placards excitant le peuple à la révolte; une catastrophe semble imminente.

Du 4 au 5. Près Bovino, une bande de brigands arrête deux officiers piémontais qui se rendaient à Naples par les messageries et les emmènent. On ignore quel a été le sort de ces deux hommes. A Reggio de Calabre, le gouvernement alarmé procèdfi à de nombreuses arrestations, à la suite de la découverte d'un complot légitimiste. Une nouvelle bande de trente brigands se présente en Basilicate et attaque un bourg situé près de Castelvetere. Un peloton de douze brigands est surpris dans les chaumières, sur le territoire de Muro; trois parviennent à s'échapper; les neuf autres sont faits prisonniers.

Du 6 au 26. Une bande d'environ cent soldais bourbonniens, commmandée par Cipriani la Gala, parcourt la Terre de Labour et s'avance jusqu'aux portes de Naples où elle engage plusieurs combats avec la troupe. Une autre bande aussi nombreuse, à pied et à cheval, commandée par de Croce et venant de la Basilicate, renforce la réaction dans la province de Bari.

Le lieutenant-colonel Fantoni fait afficher dans Trani un ordre du jour sanguinaire qu'on trouvera plus loin au chapitre des Lieutenants subalpins. Le lendemain, le commandant piémontais mande le capitaine de la garde nationale de Trani et lui dit d'un air menaçant:

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Il me faut trois brigands au moins pour les faire fusiller, afin que l'ordre du jour affiché ne soit pris pour une vaine menace.

Le capitaine refuse d'obéir à cette injonction; mais le commandant piémontais trouve bientôt des officiers plus complaisants, et trois pauvres paysans, surpris dans les champs avec du pain dans leur bissac, sont fusillés comme suspects de connivence avec les brigand?.

Dans la nuit du 19, le courrier de Girgenti est assailli et dépouillé par quelques brigands à Porlella di Mare; le postillon est blessé, ainsi qu'un soldat de l'escorte et deux autres individus.

«Deux femmes ont été fusillées sur le Gargano, parce qu'elles avaient communiqué avec les ennemis de l'ordre. Une d'elles, se trouvant près d'accoucher, on a eu l'humanité d'attendre qu'elle fût délivrée, et peu de minutes après elle a été fusillée. Comment avaient-elles communiqué 1 on ne le sait. Qu'avaient-elles fait 1 on l'ignore. Ce qui est certain, c'est que c'étaient deux femmes (1).»

27. Dans la nuit, une bande de vingt réactionnaires attaquée par la garde nationale de la commune de SanFelice près la métairie de Castagneto, territoire de Pietra Vairano, district de Caserte, selon la stratégie habituelle des brigands, s'égaille après une courte escarmouche.

(1) Le journal Napoli e Torino, 6 mars, correspondance de Manfredonia.

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29. Aux portes d'Ordona, à quelques lieues d'Ascoli, une bande de cinquante réactionnaires attaque deux compagnies de bersagliers, leur met dix-sept hommes hors de combat et disparaît dans la montagne.

MARS.

2. Le lieutenant Gianini et le sergent-fourrier Verdura, de la garde nationale de San-Giorgio-la-Molara, province d'Avellino, sont attaqués par trois réactionnaires sur la route d'Arpaia à Montesarchio.

4. Non loin des bords du Bradano, fleuve qui sépare la Basilicate de la Pouille, une bande de réactionnaires engage un vif combat avec la troupe, qui a deux hommes tués et six blessés. Les brigands ont vingt-six morts, un certain nombre de blessés, et abandonnent quatre chevaux tout équipés (1).

Du 4 au 7. Dans le bois de San-Vito, la bande de Crocco attaque une compagnie du 50S de ligne et perd vingt-cinq hommes dans le combat, du moins au dire du journal officieux le Nationale, de Naples, qui ne relate pas les pertes des Piéinontais. A Pescolanciano, province de Campo-Basso, dans le bois de Collemelucci, se tient un peloton de brigands à cheval qui, protégés par l'étendue du bois, défient toute attaque des troupes régulières.

A Palma, district de Nola, on signale l'apparition de diverses petites bandes de réactionnaires.

(1) Nous répétons que nous ne prenons la majeure partie de nos renseignements qu'aux sources piémontaises.

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Le territoire d'Avella est parcouru par la bande du Zappatore. Sur les montagnes de Sarno et de Siano, province de Salerne, le chef de bande Gavino, réapparaît avec une quinzaine d'hommes. Une bande d'environ cent réactionnaire?, qui compte deux femmes parmi ses chefs, propage l'agitation dans la province de Bari. Les gardes mobiles de San-Severo capturent et fusillent deux brigands.

11. Télégramme publié par le Journal officiel de Naples:

« Le 49e de ligne poursuit les brigands du Gargano, la plus haute montagne des Fouilles. Près de San-Marco in Lamis, cinq brigands, pris les armes à la main, ont été fusillés, entre autres le chef Vardella. On a pris des chevaux, des munitions et antres objets.»

Du 12 au 14. Un jeune paysan de Bajano, près Nola (Terre de Labour), est fusillé parce que, du haut d'un châtaignier qu'il taillait, il avait signalé aux brigands l'approche de la troupe piémontaise. Antonio Colucci n'avait pas seize ans. Dans le court interrogatoire que lui font subir les Piémontais, il répond ingénument:

J'ai fait signe aux réactionnaires parce que j'avais peur d'un combat où je me serais trouvé entre deux feux.

Le jeune Colucci n'en est pas moins traîné A Bajano et condamné à être fusillé; mais, de crainte que les gardes nationaux, qui connaissaient parfaitement sa simplicité, refusassent d'accomplir cette barbare exécution, on tira au sort à qui assassinerait cet enfant. Huit gardes nationaux furent désignés, entre autres le parrain d'Antonio.

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On obligea son père et sa mère à se trouver présents, et le signal de mort fut donné; et huit coups de fusil partirent, mais aucun n'atteignit l'innocente victime. Alors, pour ne pas prolonger cette scène hideuse, on fit venir quatre soldats piémontais, et, un instant après, Colucci n'était plus. Les bourreaux ramassèrent le chapeau de l'enfant et le mirent en riant sur la tête du père. Le pauvre père riait aussi: il était devenu fou, ce qui n'empêcha pas les Piémontais de l'envoyer en prison.

Quatre femmes sont arrêtées dans les Pouilles sous l'accusation de connivence avec les brigands; en exécution de l'ordre du jour du Fantoni, on en fusille trois, et la quatrième est épargnée sur sa déclaration qu'elle est enceinte.

Dans la campagne de Corato, grosse commune de la province de Bari, soixante gardes nationaux sont massacrés par une bande de réactionnaires.

15. Aux environs de Lacedonia, province d'Avellino, un détachement d'agents de police est massacré par les brigands. Un bataillon piémontais accourt, mais ceux-ci s'étaient repliés sur Biccari, dans les Pouilles, et se trouvaient hors d'atteinte.

Le sieur Louis Franco, capitaine de la garde nationale mobile de Montescaglioso, district de Matera, province de Basilicate, en fouillant le bois de Bernalda, rencontre douze bergers qui gardent leurs troupeaux et leur demande des nouvelles des brigands; ceux-ci répondent qu'ils ne savent rien, n'étant pas du pays. A quelque distance, les gardes nationaux rencontrent les brigands et le combat s'engage.

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Peu de jours après, le capitaine Franco retourne au bois de Bernalda pour se venger des bergers qu'il soupçonne de l'avoir trompé; les bergers n'y sont plus, mais il trouve à leur place dix ou douze paysans et leurs familles, les arrête, leur fait lier les pieds et les mains et les fait enfermer dans une grange; ensuite il donne l'ordre de mettre le feu à la grange, de manière que ces infortunés furent brûlés vifs sous les yeux de leurs mères, de leurs femmes et de leurs enfants. Plusieurs de ces innocentes victimes cherchant à s'échapper du sein des flammes, elles y furent refoulées à coups de fusil.

A la suite d'un ordre du jour du commandant Pumel (1), quatre paysans porteurs chacun d'un demi-pain pour se nourrir en chemin, se rendaient de Policastro à Cotrone, ^leur pays. A peine avaient-ils quitté la première de ces villes qu'ils rencontrèrent un peloton de gardes nationaux qui les fouillèrent, et, ne leur trouvant rien de suspect, leur permirent de continuer la route. Un peu plus loin, les quatre paysans tombèrent dans un détachement piémontais, qui, les trouvant porteurs de ces quelques morceaux de pain, les fusilla sur-le-champ.

Du 16 au 20. Sur le territoire d'Avella, à Montecorvo, plusieurs compagnies piémontaises, dans un combat contre une bande de 150 réactionnaires, perdent deux morts, ont quatre blessés, font des prisonniers et les fusillent.

De nombreux télégrammes annoncent que la réaction grandit dans les Pouilles,

(1) Voir aux Lieutenants subalpins.

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que parcourent en tous sens de petites bandes de guérillos composées la plupart de soldats de l'ancienne armée royale des Deux-Siciles. Ces bandes varient de cinquante à cent cinquante hommes, presque tous montés, et sont commandées par des chefs bien connus: Parise, Pirozzi, Lo Zambro, Chiavone, Peluso, il Turco, Crocco, etc. Deux bandes sont commandées par de hardies amazones. Les troupes piémontaises battent sans relâche les campagnes et sont épuisées par cette guerre, pour laquelle elles ne sont pas faites. Au pied des montagnes de la Fouille appelées les Murge, quatre cents Piémontais, soutenus par un gros détachement de gardes nationaux, font tomber dans une embuscade une bande de deux cents brigands, qui ne leur font pas moins subir des pertes considérables. Les Piémontais s'en vengent en fusillant plusieurs paysans comme suspects de complicité avec les brigands. 11 est juste de dire que la population des Fouilles, en général, favorise le brigandage.

Sur le territoire de Minervino, les troupes essuient de nouvelles pertes dans une rencontre avec un détachement de réactionnaires. Le 17, à San-Giorgio d'Avellino, les Piémontais et la garde nationale perdent beaucoup de monde, tandis que les brigands ne laissent qu'un mort sur le terrain. Les Piémontais, après le combat, fusillent un paysan suspect d'espionnage. Dans les montagnes de la Rocca, près Nola, le Zappatore, n'ayant avec lui que sept hommes, est surpris par plusieurs gardes nationales des pays circonvoisins. Trois des brigands sont pris et fusillés.

Un détachement de troupes se rendant à Bénévent, est attaqué par les brigands, qui le déciment et font prisonnier le commandant piémontais,

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qu'ils entraînent avec eux dans la 'montagne. Sur les larges versants du Matese, l'un des plus hauts Apennins, à égale distance de la Terre de Labour et de la province de Campo-Basso, campent de nombreuses bandes réactionnaires, dont l'une de deux cents hommes, qu'accroît journellement l'arrivée de paysans qui bravent les féroces rigueurs des autorités civiles et militaires. Il faut dire que non loin de là, se trouvent les ruines de Pontelandolfo et de Casalduni, saccagés et brûlés par les piémontais. De fréquentes escarmouches ont lieu dans les montagnes, avec pertes de part et d'autre.

21. Le capitaine Richard, à la tête d'un détachement du 8e de ligne, attaque, près de Bovino, une bande de réactionnaires, qui le tuent, lui et dix-neuf de ses hommes.

22. Sur la route de San-Marco in Lamis, combat acharné qui dure toute la journée et cause, des deux parts, des pertes sensibles. La nuit sépare les combattants, et le succès de la lutte reste indécis.

Un corps de troupes est envoyé à Bisaccia, province d'Avellino, pour détruire la forte bande qui occupe le bois de Castiglione. Les Piémontais passent par Calitri, pour tourner les brigands, et tombent dans une embuscade dressée dans un sentier étroit et ardu. Le combat est long et sanglant; mais la victoire demeure aux brigands, à qui sont venus se joindre beaucoup de paysans des environs.

Du 23 au 27. M. Brieazi, colonel du 8e de ligne, est mis en disponibilité, pour n'avoir pas montré assez de férocité dans la répression du brigandage.

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Le conseil général de la Terre de Labour, institue un fonds destiné à secourir les veuves et les orphelins des nombreux gardes nationaux tués dans les dernières rencontres avec les réactionnaires.

Le gouvernement encourage par tous les moyens la répression de la réaction napolitaine. Les préfets, les conseils généraux et municipaux, les généraux, les plus puissante: et les plus humbles autorités reçoivent de Turin l'ordre de promettre des croix (1) et des gratifications importantes à ceux qui se distingueront dans la chasse aux brigands.

La garde nationale de Caserte rencontre une bande de réactionnaires, l'attaque et fait quatre prisonniers. Sont arrêtés, le brigand Pascarella et tous les brigands de Cervino. La garde nationale de Santa-Maria de Vico arrête Janvier de Lucia, compagnon du chef Cipriani La Gala, et le fusille.

Entre les Pouilles et la Basilicate, les bandes de Crocco el de Ciiiavone opérèrent leur jonction. La presse les représente organisées par bataillons, et aussi par escadrons, avec clairons et tambours. Dans les montagnes de Sant'Angelo, campe régulièrement une bande de cent cinquante hommes, avec drapeau tricolore fleurdelysé, clairons et tambours, dont!e son parvient jusqu'aux habitants des environs.

Chaque jour amène de nouvelles rencontres entre les petites bandes disséminées du Gargano et les troupes piémontaises.

(1) Si l'on veut apprécier la générosité du Piémont, il faut savoir qu'en une seule année il a distribue neuf mille croix des saint Maurice et Lazare.

213

Ces bandes se réunissent à l'occasion et forment un noyau de plus de quatre cents hommes bien équipés.

Deux charrettes arrivent des Pouilles, chargées de vêtements militaires et d'armes. Le bruit court qu'ils appartenaient à des soldats tombés dans divers combats contre les réactionnaires.

Dans le bois de Monticchio (Basilicate), dans une seule rencontre, les Piémontais perdent soixante hommes.

Du 28 au 31. Le commandant Pilone, qui occupait les gorges du Vésuve, entre, avec vingt hommes, dans la commune de Terzigno, près Ottajano, à quelques kilomètres de Naples, et désarme la garde nationale. Dans le tumulte, un caporal est tué et deux officiers sont blessés. Pilone reprend ensuite le chemin du Vésuve.

Sur la limite des Abruzzes et du comté de Molise, apparaît une bande nouvelle de soixante-dix cavaliers. Les communes des environs leur fournissent abondamment des vivres et des fourrages.

Les paysans des Pouilles fraternisent avec les brigands.

«Avant-hier, les Landes réunies de Crocco, de Chiavone, de Coppa et Caruso, se trouvaient à Pietratagliata. Le général Franzini, commandant militaire de la province d'Avellino etdes districts de Nola (Terre de Labour), de Melf i (Basilicate), et de Bovino (Capitanate), a commencé des opérations militaires contre le brigandage. Nous verrons le résultat (1).»

(1) Popolo d'Italia , 30 mars.

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A Mezzanone, près San-Severo des Pouilles, deux cents réactionnaires, attaqués par un bataillon d'infanterie, ont d'abord le dessus; mais ils s'égaillent bientôt à l'approche d'un gros renfort de cavalerie.

A Vitulano, province d'Avellino, dans la montagne, les Piémontais ont huit blessés dans une courte rencontre.

Aux bords du Calore, ils éprouvent des pertes considérables dans un combat que leur livrent les brigands, commandés par le vaillant chef François Bottisani.

Près du mont Gargano, une compagnie du 49e de ligne et deux compagnies de gardes nationaux attaquent plusieurs petites bandes retranchées dans de fortes positions. Les Piémontais se retirent, non sans avoir essuyé de grosses perles.

Le lendemain, la bande de Bottisani, revenant d'une excursion sur le territoire de Pontelandolfo, met en déroute plusieurs gardes nationales des environs, qui avaient fait leur jonction pour lui tendre une embuscade.

Les Piémontais sont battus dans les gorges du Macerone, entre Isernia et les Abruzzes.

Un certain nombre de gardes nationaux rentrent blessés à Nola, à la suite d'un engagement avec les hommes de Cipriani La Gala.

Un détachement de gardes nationaux mobiles rencontre, dans les bois de Montemale, près Montecalvo, la bande commandée par Masaniello, tire en l'air quelques innocents coups de fusil, et se retire en toute hâte.

Les bandes de Rozzi et de Crescenzi se séparent. L'une reste dans les montagnes de Palma, district de Nola; l'autre passe dans les montagnes de Prato, près Sarno, principauté de Salerne, et soutient avec avantage deux attaques des Piémontais.

215

Entre Ottajano et Boscoreale, la bande de Cozzino force un détachement d'infanterie à rebrousser chemin et à aller en toute hâte chercher du renfort à Naples.

Les brigands du Taburno, district de Caserte, passent pour posséder une petite artillerie de montagne.

Le syndic de Saviano, à la tête de la garde nationale, attaque un peloton de dix réactionnaires, en prend un et le fait fusiller. Quelques temps auparavant, le même syndic avait pris et fait fusiller également le brigand Pascal Strozza.

Les bandes de Nicolas de la Guancia de Pietraroia, de Guitto et de Mastrôfllippo campent dans le district de Piedimonte, Terre de Labour, où n'osent s'aventurer les gardes nationales circonvoisines, qui savent par expérience ce qu'il leur en coûterait. Ces trois bandes sont pourvues par les paysans de vivres qu'elles payent fort exactement.

Entre Altamura et Gravina (Fouilles), une poignée de brigands attaque un détachement piémontais. Le feu dure, avec un acharnement égal des deux parts, depuis le matin jusqu'à la nuit. On compte beaucoup de blessés et une douzaine de morts, dont quatre brigands.

Un détachement de gardes mobiles est mis en pleine déroute, près de Minervino, par la bande d'Orlando Fraccacreta, ancien sous-officier de l'armée royale napolitaine.

Deux escadrons des chevau-légers de Lucques, sous les ordres du lieutenant-colonel del Monte, et un détachement du 17e bataillon de bersaillers, se rendant en garnison à Ascoli des Pouilles; apprennent qu'aux environs se tient une bande de réactionnaires. Un peloton de cinquante chevau-légers est envoyé contre elle, et revient bientôt, ayant perdu quatorze hommes.

216

AVRIL.

Du 1° au 4. La bande de Mirto parcourt le territoire de Calvello (Basilicate), et provoque vainement au combat la garde nationale.

Dans le bois de Conversano, commune de Ceglie (Fouilles), les réactionnaires sortent vainqueurs d'un combat qui a duré presque toute la journée. Les Piémontais essuient des pertes graves.

A Policastro (Calabres), Vincent Minelli, (ils de feu Rosario,âgé de quarante ans, agriculteur, marié, père de douze enfants en bas-âge, et jouissant d'une réputation de moralité intacte, est dénoncé, en même temps que trois de ses voisins, comme ayant donné du saucisson aux brigands. A la suite de cette dénonciation verbale, deux heures après, Minelli est arrêté et fusillé avec ses trois complices:

Dominique Scandale, surnommé Colamatteo, muletier, âgé de trente-trois ans;

Dominique Le Rose, surnommé Granpillo, cordonnier, âgé de vingt-deux ans;

François Critozzo, marchand, âgé de soixante ans.

L'exécution se fit sur la colline de San Francesco de Policastro. Les prières de la population, demandant au moins un sursis de vingt-quatre heures pour démontrer l'innocence des victimes, furent vaines aussi bien que les larmes de leurs mères, de leurs femmes et de leurs enfants. A la suite de cette féroce exécution, la plupart des habitants abandonnèrent Policastro.

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Le quadruple crime était ordonné par un sieur Bigotti, capitaine au 17° de ligne, qui tint à cœur d'assister à ce douloureux spectacle. Les décharges n'ayant pas tué raide les quatre infortunés, le capitaine piémontais fit l'office de bourreau, et, s'approchant de Vincent Minelli, il lui fendit le crâne d'un coup de sabre. Après ce noble exploit, Bigotti s'installa à Policastro avec une certaine Maria Sante, surnommée la Polissonne, femme aussi féroce que dépravée. C'est à ce couple bien assorti que Bernard Bevilacqua, Octave Paco, les fils de Pascal Codetta, et quelques autres, durent d'être dépouillés d'une partie de leurs biens.

De nombreuses bandes armées parcourent les routes de la Basilicate et des Pouilles. Une d'elles attaque et met en fuite la garde nationale mobile de Vogliano-Nuovo, qui laisse ses armes sur le terrain. Deux gardes nationaux sont pris et pendus.

Au pas de Gualeta, commune de Montemilone, province d'Avellino, dans un engagement de quelques heures avec les Piémontais, les brigands perdent cinq hommes et un blessé, et se retirent dans la montagne. La troupe a sept morts et sept blessés.

Entre Lavello et Cerignola, la bande de Crocco perd vingt-cinq hommes et est mise en fuite. '

A Montecarafa, la bande de Caruso perd son chef et un brigand.

Du 5 au 7. La réaction grandit de plus en plus dans dans la province de Lecce, et des conflits partiels se produisent chaque jour. Combat de six heures sur la route de Brindisi.

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Comhats en Capitanate, au pont de Candelaro, et au pas de Civitate, près le lac de Lesina. La presse affirme que les troupes n'ont pas un instant de trêve, et que, malgré les nouveaux renforts envoyés de Turin, elles sont encore insuffisantes pour faire face aux besoins de la guerre.

Une bande de brigands attaque Luco, village des Abruzzes, gardé par une vingtaine de soldats piémontais, qui résistent courageusement jusqu'à l'arrivée d'imposants renforts amenés par le capitaine Galli. Les réactionnaires sont mis en fuite, laissant trois morts et un prisonnier, que les Piémontais s'empressent de fusiller.

Une bande à cheval fait son apparition aux environs de Bovino; mais poursuivie du côté de San Marco, elle arrive à Camerelle. La légion hongroise, casernée à Lavello, lui barre le passage; alors elle s'engage dans les bois, en longeant la rive gauche de l'Ofanto, qu'elle passe à gué à Ponte-Venere, en perdant trois chevaux. Le lendemain, la bande de Crocco attaque les Hongrois entre Lavello et Venosa, et leur fait subir un sanglant échec.

La garde nationale de Rocca d'Arce attaque un détachement de réactionnaires, et est battue.

A Carbonara, province d'Avellino, les brigands de Crescenzo Gravina soutiennent bravement le feu des gardes nationales et des gardes mobiles, qui perdent quinze hommes et comptent de nombreux blessés. Les brigands perdent trois hommes et emportent quelques blessés.

8. Le major piémontais Muniechi et deux escadrons de lanciers, près de Torre-Fiorentina, territoire de Lucera, Fouilles, attaquent et battent une bande de deux cents brigands, qui perdent trente des leurs.

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Les lanciers ont quatre morts et trois blessés, dont un lieutenant.

Les journaux officieux disent qu'à Montalbano, province de Lecce, les bandes à cheval connaissant les moindres détours et les moindres sentiers dans les montagnes, font éprouver aux Piémontais des pertes importantes. A peine le bruit se répand-il de la présence de quelqu'une de ces bandes, les paysans deviennent «plus réactionnaires que les brigands mêmes,» courent les rues et les champs en criant: «Vive notre roi Bourbon! Vive François le désiré! Vive notre cher François!» et forcent tous les passants à répéter ces cris.

Du 9 au 11. La troupe et la garde nationale attaquent la bande du bois de Lagopesole, près Potenza, qui perd neuf hommes,.tandis que les Piémontais n'ont à déplorer que quatre morts.

La bande de Bottisani livre un nouveau combat dans les bois de Paupisi, territoire de Vitnlano, avec l'appui de deux autres petites bandes commandées l'une par Giannuzzi, surnommé le Bossu, l'autre par François de Cristofaro, ancien sous-officier de l'armée royale napolitaine. Les Piémontais se replient, abandonnant leurs blessés.

A Paola (Calabre citérieure), dans un combat acharné, les Piémontais, malgré le plus brillant courage, sont battus par une bande de réactionnaires et perdent quelque inonde.

Les diverses bandes du Gargano se fusionnent et deviennent assez imposantes pour que deux compagnies d'infanterie, se trouvant en face d'elles, évitent le combat.

220

Le commandant piémontais écrit en termes pressants au généra], résidant à Foggia, pour obtenir de prompts renforts, qui lui sont aussitôt expédiés.

Du 12 au 13. A Saracena, le major Fumel fait arrêter neuf individus, les fait lier à des poteaux et les fait fusiller. Les cadavres des victimes restent exposés en cet état pendant sept jours, afin d'inspirer à la population une salutaire terreur.

Vingt brigands à cheval attaquent le poste de Torre-Rivoli (Fouilles), enfoncent la porte du télégraphe et bâtonnent un douanier piémontiste; puis, ils vont rejoindre le gros de leur bande dans le bois de Maresca, territoire de Serracapriola.

Les environs de Naples sont infestés de petites bandes, qui poussent leurs excursions jusque sous les murs de la capitale. Une d'elles, rencontrant un piémontiste aux portes de la ville, le somme de crier: «Vive François II!» et, sur son refus, le blesse grièvement.

Dans la soirée du 13, deux voitures pleines d'hommes criant: «Vive François II!» arrivent à l'entrée de Naples, devant le poste de la rue del Campo. Ces hommes veulent forcer le poste à crier comme eux; une lutte s'engage; les policiers surviennent, bâtonnent les uns, arrêtent les autres, et l'ordre est rétabli.

14. Des détachements d'infanterie et de cavalerie piémontaises soutiennent un sanglant combat avec une grosse bande de réactionnaires, entre le Val de Bovino et Ariano des Pouilles.

221

Pré; d'Apricena, campe une bande d'environ deux cents hommes, commandée par Jean Coppola, ancien officier de l'armée royale napolitaine, et grossie des débris de la bande récemment battue dans le bois de Dragonara. Surprise par un détachement du 49e de ligne, elle est mise en fuite, laissant d-eux morts sur le terrain.

Du 11 au 17. Au Pas de Cerasale (Basilicate), quarante-cinq brigands à cheval eu viennent aux mains avec une patrouille de gardes nationaux et de bersaiilers qui parcourait la route de Melfl, et leur tuent quatre hommes, mais en en perdant sept ou huit, dont les cadavres sont emportés, et, comme d'habitude, brûlés par leurs compagnons (i).

Dans le district de Castrovillari, à Bisignano, Fume] fait fusiller neuf brigands, qui s'étaient rendus spontanément.

Dans la commune d'Acri, Fumel fait fusiller deux individus suspects de brigandage.

A Corigliano, Fumel fait fusiller une femme qui n'avait pu lui amener sa fille, laquelle était aux bandes avec son mari.

Fumel fusille quatre suspects à Longobucco et six à Crucolo. Non content de ses assassinats quotidiens, Fumel brûle et jette bas les maisons des champs, les cabanes, les étables, et multiplie les arrestations. La terreur règne dans les Calabres.

(1) Les brigands n'enterrent pas leurs morts, de peur que les Piémontais ne les déterrent, ne les reconnaissent et ne molestent les parents des morts.

222

Le Popolo d'Italia, du l.ï, annonce que le courrier des Fouilles à Naples a été assailli au pont Incoronata, c'est-â dire à sept milles en deçà de Foggia. Les brigands ont brûlé les dépêches gouvernementales et blessé grièvement le courrier François Monelti et un chef de police, que le postillon désignait à leur fureur.

Le journal La Tribuna, du 18, raconte que le courrier, parti de Palerme le 16, arrivé au pont Altavilla, a été assailli par des brigands qui ont blessé à coups de fusil les deux soldats d'escorte, François Azzaro, et Philippe Restiva, tué les chevaux et détruit les dépêches.

Dans les bois de Monticchio (Basilicate), sur les Coste de Gralli, les brigands, tournés et surpris par les bersaillers, en garnison à Rionero, perdent quatre des leurs, ont plusieurs blessés, et prennent la fuite, abandonnant des chevaux, dos armes, des munitions, du bétail, et même une femme de leur bande.

Combat de deux heures aux environs de Venosa les réactionnaires ont cinquante des leurs tués et plusieurs blessés; la troupe a trois morts et sept blessés.

17. Des détachements piémontais de Trentinara, de Roccaviva, Sora, Balzorano, parcourent les positions de Monte-Macchialunga et de Faggiogrosso, occupées par les réactionnaires, qui, dans diverses escarmouches, ont un mort et quatre blessés.

M. Sommati, chef de bataillon au 36e de ligne, en garnison à Larino, comté de Molise, en huit jours fait fusiller vingt-sept individus suspects de bourbonnisme.

18. La bande de Pilone, descend des montagnes de Castellamare, près Naples, dans la commune de Pimonte, et parcourt le pays aux cris de «Vive François II!».

223

Le capitaine de la garde nationale prend la fuite, et son fils court au chef-lieu d'arrondissement pour demander des renforts qui arrivent trop tard. Les réactionnaires avaient déjà pris plus de 3,000 francs dans la caisse du trésor, brûlé les archives de la nouvelle administration communale, et s'étaient retirés paisiblement sur les montagnes voisines entre Gragnano et Lettere.

19. Combat à Salcito, province de Cumpo Basso. Deux réactionnaires et trois chevaux sont pris par les Piémontais.

Combat à Caccavone, dans lequel périssent quatre gardes nationaux.

20. Les brigands envahissent la commune de Lettere, près Naples, que défendent avec furie un détachement piémontais et une poignée de gardes nationaux. Le capitaine piémontais et quinze de ses hommes sont tués et le reste est mis en fuite. Les brigands se retirent après avoir mis le feu à la mairie.

Un détachement de Piémontais et de gardes mobiles, fouillant le bois de Carbonara, province d'Avellino, est repoussé par une bande de brigands qui lui tue un lieutenant, un sergent et sept soldats, et s'enhardit jusqu'à s'approcher de la ville, oïl le gros des Piémontais et toute la garde nationale sont sous les armes. La bande victorieuse se retire ensuite dans les montagnes, sans avoir été inquiétée.

Combat au bois de Montrone; les gardes mobiles de Fragneto, principauté de Bénévent, ont plusieurs blessés.

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21. A Corbara, district de Salerne, un combat s'engage entre une forte bande de réactionnaires et un détachement de Piémontais et de gardes nationaux. Les Piémontais, battus, se retirent, abandonnant les gardes nationaux, qui sont bientôt cernés et faits prisonniers tous sans exception.

Allez, leur disent les brigands, nous n'avons aucun compte à régler avec vous, parce que vous êtes nos frère.'; ce sont les Piémontais qui sont nos ennemis; nous vous épargnons donc la vie; laissez-nous vos armes, et adieu.

Petit combat sur le territoire de Sora.

22. Le courrier de Lecce est assailli pour la troisième fois et dépouillé de la correspondance. Les brigands se contentent d'emmener les chevaux, sans maltraiter les hommes.

Un détachement du 1er régiment de ligne, parcourant la province de Campo Basso, rencontre à Collemeluccio un peloton de réactionnaires, fait deux prisonniers et les fusille.

Combat à Montelongo, territoire de Salcito; douze gardes nationaux de Caccavone et quatre de Salcito, avec leur capitaine, M. Pascal Antenucci, sont tués par les brigands.

Le major Fumel est envoyé dans les Calabres, pour purger du brigandage les vastes forêts de la Sila.

23. Des télégrammes annoncent que les brigands combattent contre les troupes dans les Abruzzes, près île Campo di Giove et près d'Oisogna, et que beaucoup d'entre eux ont battu en retraite du côté de Morrone et d'Ascoli.

225

Combats dans les Pouilles, à Incoronata, et sur les bords du Fortore. Quatre mille Piémontais sont massés dans le pays; mais leur rôle y est nul, les bandes s'étant fractionnées et subdivisées pour adopter la guerre d'embuscades et d'escarmouches (1).

Près de Sepino, province de Campo Basso, une bande do brigands attaque et met en déroute un corps piémontais, en lui tuant et blessant un certain nombre d'hommes.

La garde nationale de Viggiano (Basilicate), fusille trois brigands, dont l'un était l'ex-gendarme napolitain Angevano.

Une bande de réactionnaires, en cherchant à passer des Pouilles dans les Abruzzes, est surprise par une compagnie du 35* de ligne, dans le bois de Cantalupo, entre Palena et Rivisondoli, et, après une longue résistance, s'égaille, laissant dix morts et quelques blessés.

A Montuori, province d'Avellino, combat où les brigands ont le dessus.

Aux environs de Foggia, la bande de Coppola, grossie des réfractaires et des mécontente, attaque un détachement de chevau-légers de Lucques et de bersaillers, lui tue quelque monde et le met en fuite.

Les montagnes de Monteforte, province d'Avellino, sont réoccupées par les réactionnaires.

La bande de Crescenzio Gravina réapparaît dans les montagnes de Palma, près Nola.

Voir les journaux napolitains du mois d'avril.

226

Du 24 au 26. La bande de Parise bat la garde nationale de Carleto (Basilicate), et se dirige sur Viggiano.

Les réactionnaires désarment la garde nationale de San Giorgio, et mettent en pièces les fils télégraphiques sur une longueur de huit kilomètres. Le même fait se produit sur la ligne de Chieti aux Pouilles.

Le courrier de Foggia est assailli et dévalisé. Les brigands maltraitent les agents de police qui l'escortent.

A Liveri, combat acharné; les réactionnaires perdent beaucoup de monde; leurs blessés s'achèvent mutuellement à coups de pistolet, pour ne pas tomber vivants entre les mains des Piémontais.

27. M. Gaétan del Giudice, préfet de Foggia, fait fusiller vingt-sept brigands, parmi lesquels des enfante. On fête à Naples l'arrivée du roi Victor-Emmanuel (1).

28. Les Piémontais décident d'attaquer la bande de Codipietro, campée sur le Gargano dans une position avantageuse, et de la cerner tout entière. Ils ouvrent le feu un peu avant l'aube, et resserrent de plus en plus leur cercle meurtrier. Les brigands cèdent le terrain et battent en retraite du côté d'un bois voisin. Les Piémontais poussent déjà des cris de joie; mais, avec le lever du soleil, ils aperçoivent au-dessus d'eux de grosses bandes à pied et à cheval, commandées par Codipietro en personne, qui ne tardent pas à les charger furieusement à la baïonnette. Les Piémontais sont contraints de se replier sur Manfredonia, non sans avoir essuyé des pertes sensibles.

Entre Foggia et Cerignola, le général piémontais Regis et son corps de troupes tombent dans une embuscade;

227

le général faillit être fait prisonnier par les brigands; il ne dut son salut qu'à la valeur de ses soldats.

29. La garde mobile de Calvello (Basilicate), se lance à la poursuite de la bande Mirto, qui entretient l'agitation dans le pays. A la vue des gardes mobiles, les brigands s'enfuient en désordre; ceux-ci, se croyant aussi facilement vainqueurs, se précipitent, et tombent dans une embuscade. De quarante gardes mobiles, il en revint neuf.

A Lagopesole, les bersaillers sont battus par les brigands. Le préfet de Potenza s'empresse, à raison de cet échec, de mobiliser cent gardes nationaux d'Avigliano, pour faire face immédiatement aux réactionnaires.

30. Une cinquantaine de réactionnaires, en cherchant à passer, par les montagnes, des Fouilles dans les Abruzzes, rencontre, près de Capracotta, comté de Molise, une trentaine de gardes nationaux, dont la moitié sont tués et le reste mis en fuite. A la nouvelle de cet échec, toutes les forces militaires sont mises sur pied et lancées sur les traces de la bande victorieuse, qui fut rejointe et battue le lendemain.

MAI.

1°. Une patrouille du détachement de Terzigno, arrondissement d'Ottajano, soutient une légère escarmouche contre une fraction de la bande de Pilone, qui, à la faveur de la nuit, se retire dans le bois de Mauro. Le commandant militaire de Castellamare y envoie deux cents gardes nationaux, qui fouillent le bois sans résultat.

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2. La bande de Crescenzo se bat pendant cinq heures dans les champs, entre Mola et Pal ma. 11 y a des morts de part et d'autre.

Un détachement piémontais, allant d'Eboli à Salerne, rencontre dans la campagne un paysan qu'il prend pour un brigand, et le fusille sans rien entendre.

Une bande de réactionnaires occupe quelques points de l'arrondissement de Campagna, à peu de distance d'Eboli; elle fait ses provisions dans les villages voisins, et les paie toujours intégralement.

3.A Francavilla, province de Lecce, on fusille un soldat débanda de l'ancienne armée royale des Deux Siciles, à seule fin (^imprimer la terreur, et aussi pour qu'il serve d'exemple aux autres soldats débandés.

Combat de six heures, dans les gorges du Matese, entre la bande Guitto et la garde nationale de Sepino, qui, vers le coucher du soleil, bat en retraite pour n'être pas surprise parla nuit dansées impraticables forêts, emportant plusieurs blessé?.

Aux environs de Cerignola, les brigands forcent un corps piémontais à rebrousser chemin.

Dans les bois de la Grotta, entre les Fouilles et le comté de Molise, on signale une nouvelle bande, commandée par un certain Guglielmi, que les gardes nationaux sont impuissants à détruire.

A Ceglie d'Ostuni, province de Lecce, les assassinats se multiplient d'une manière effrayante. C'est ainsi que les paysans se vengent des persécutions dont les accablent les lieutenants subalpins.

Une bande de brigands désarme la garde nationale de Campodimele, arrondissement de Gaète.

229

Le général piémontais Govone lance vainement à la poursuite des brigands deux cents bersaillers et de l'artillerie.

Pico et Civila-Pontino sont menacés par de petites bandes. Les hauteurs du Taburno sont occupées par quatre détachements réactionnaires, qui ne cessent d'entonner des chants bourbonniens, et que n'osent aller attaquer les gardes mobiles et les bataillons piémontais.

Au mont Caruso, combat entre les Piémontais et les brigands; pertes graves de part et d'autre.

4. Une bande de réactionnaires s'enhardit jusqu'à venir s'approvisionner aux portes de Catanzaro.

A Vico, village de la Terre de Labour, canton de Tricola, près Santa-Maria, des femmes étaient occupées, selon la coutume, à arracher l'ivraie dans les champs de blé. Les soldats piémontais surviennent, prennent ces femmes pour des brigands cachés dans les blés, font feu, sur l'ordre de l'officier commandant le détachement, et tuent huit de ces malheureuses.

Du 5 au 8. Une bande de quatre cents brigands à cheval se présente aux portes de Savigliano, arrondissement d'Ariano, et envoie un parlementaire au capitaine de la garde nationale, exigeant qu'on livre sur-le-champ vingt fusils, des munitions, des comestibles, du blé et de l'avoine pour les chevaux.

Les brigands, commandés par Lo Zambro, soutiennent trois combats en quatre jours: le premier au bois d'Ururi, comté de Molise; le second sur le territoire de San Nicandro et de San-Marco in Lamis (Pouilles), et le dernier le pluns important, sur la route de Foggia à Manfredonia.

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Dana ce dernier combat, la bande était commandée par un certain Gabrielli, et quatorze lanciers piémontais y périrent.

Les nombreuses bandes réactionnaires effrayent tellement la Basilicate que le major Petruccelli court jusqu'à Turin pour implorer l'assistance du ministre Ratazzi. A Montemale, la garde mobile se bat pendant cinq heures contre les brigands de Maziello qui, observant une tactique tonte militaire, formant le carré ou se déployant en tirailleurs, mettent hors de combat un certain nombre de Piémontais, et ne perdent que deux hommes.

De fortes bandes armées infestent les territoires de. Pontelandolfo, Casalduni, Circello et Cerreto, comté de Molise, de Vaglio, de Pietragalla, Cancellara et du cheflieu même de la Basilicate. D'autres communes de cette vaste province sont également parcourues par les brigands. Aucune route n'est sûre, et l'audace des bandes jette l'épouvante parmi les piémontistes.

Du 9 au 13. Près de Ripacandida (Basilicate), un détachement de Hongrois attaque un peloton de réactionnaires à cheval. L'avantage est d'abord à ces derniers; mais ils cèdent le terrain, abandonnant plusieurs chevaux, à l'arrivée d'un renfort de cavalerie piémontaise.

Dans les montagnes d'Avitulano, province d'Avellino, une grosse bande de réactionnaires met en fuite les gardes nationaux et les gardes mobiles.

A Torello, près Bénévent, la garde nationale rencontre une quinzaine de brigands contre qui elle ouvre le feu. Ceux-ci résistent avec valeur, et, renforcés du gros de leur bande, parviennent à vaincre et à rester maîtres du terrain.

231

Le territoire de Frasso est le théâtre d'incursions de bandes réactionnaires.

Plusieurs engagements aux environs d'Aquila; combat au bois de Dragonara; combat de Ruvo; les réactionnaires perdent cinq hommes, et les gardes mobiles à cheval, commandés par David Mennuni, douze.

Du 14 au 24, A Sant'Angelo, district de Caserte, une compagnie de Piémontais tombe dans une embuscade; les brigands, qui sont militairement organisés et marchent au son du clairon, lui tuent six hommes et lui en blessent quinze.

Du côté de Pizzoferrato (Abruzze citérieure), on signale de nouvelles bandes, outre celle qui, depuis quelque temps, campe aux bords du Sangro.

A la suite des proclamations infâmes de Fumel, le brigandage augmente considérablement dans les Calabres. La province d'Avellino compte plus de brigands que l'autre année, malgré les sanguinaires répressions du préfet N. de Luca (1).

A Ricigliano, combat entre les brigands et la garde nationale.

A la vue des gardes nationales réunies de Sansossio, de Flumeri, Sannicola, Castelbaronia, Sant'Agata, Anzano et Trevico, une bande de brigands s'arrête, pour déjeuner et faire manger les chevaux, sur la colline de Molara, entre Zugoli et Monteleone. Cette bande, qui se compose de quarante-deux cavaliers, est attaquée, un peu plus tard, par cinquante-sept Piémontais, et elle en tue vingt-deux.

(1) La Stampa, de Turin.

232

Une bande de soixante brigands à cheval, aux serre de Pietragalla (Basilicate), arrête la musique de la garde nationale de Caposele, la force a jouer des airs bourbonniens, des marches militaires et des danses; la plupart des brigands, enthousiasmés, chantent et dansent gaiement sur la route.

Combat d'Escalonga, près Avigliano; combat de Grottole, arrondissement de Matera, meurtrier pour les Piémontais et la bande Serra-Valle; combat du bois de Monticchio; les Piémontais perdent sept hommes, et les brigands onze. Escalonga, Grottole et Monticchio sont en Basilicate.

Dans les Pouilles, le territoire d'Ariano est le théâtre d'un combat acharné dont le succès est pour les réactionnaires, qui ne perdent que six hommes et douze chevaux, tandis qu'ils font perdre à l'ennemi cinq gendarmes, quarante gardes mobiles, trente gardes nationaux et quatre agents de police.

Combat dans la plaine de Bovino, meurtrier de part et d'autre.

Trente-six brigands font leur soumission au sous-préfet d'Avezzano (Abruzzes).

Le chef de bande Pezzi, déjà blessé, se présente volontairement au maire de Catanzaro.

25. Les bandes réactionnaires parcourent le comté de Molise, à la grande terreur des piémontistes. Une bande de deux cent vingt hommes occupe les montagnes d'Atessa, arrondissement de Vasto (Abruzze citérieure).

233

Un chef de police est pris par les brigands entre Cervinara et San-Martino d'Avellino. On lui fait grâce de la vie moyennant une rançon de 4,000 fr.

Les réactionnaires de Cellico, Serra, Spezzanopiccolo et Longobucco (Calabre citérieure), se fondent en une seule bande qui parcourt audacieusement la Sila et les bois environnants.

La bande de Santa-Croce di Magliano, comté de Molise, commandée par Vulpiano, s'étend jusqu'à la Capitanate.

20. A Salerne, un pauvre vieillard épuisé par l'âge et la fatigue tombe en face du couvent des Capucins. Un soldat piémontais le prend pour un brigand et le tue d'un coup de fusil.

27. Combat aux environs de Gragnano, province de Naples, où les réactionnaires ont le dessus.

28. Dans l'arrondissement de Matera (Basilicate), trois brigands arrêtent deux maîtres maçons allant à leurs affaires, et leur laissent la vie sauve sur leur déclaration qu'ils sont d'anciens soldats bourbonniens; de plus, les brigands les invitent à les;uivre jusqu'à la chaumière voisine. Survient la garde nationale: les trois brigands prennent la fuite; mais, sûrs de leur innocence personnelle, les maçons restent et racontent ce qui leur est arrivé. La garde nationale les croit, et, au lieu de les fusiller sur-le-champ, elle les conduit à Matera, où elle les remet entre les mains des Piémontais. Malgré les preuves d'innocence les plus palpables, les Piémontais fusillent ces deux infortunés, coupables seulement de ne pas s'être fait massacrer dans leur rencontre avec les brigands.

234

A Potenza, un pauvre homme, qui parcourait les campagnes en vendant des clous, des fers de cheval et autres objets, est fusillé sur la simple déposition d'un ennemi qui le dénonce comme espion des brigands.

29. Dans les gorges du Vésuve, la bande de Pilone soutient pendant deux heures le feu des Piémontais et s'égaille sans avoir perdu un seul homme,

Combat de Cerretto (Terre de Labour); deux réactionnaires pris et fusillés sur-le-champ.

Récapitulation des faits d'armes les plus importants du mois de mai, d'après les indications des journaux napolitains (1).

Province de Naples. Combats du Vésuve, de Gragnano, aux environs de Castellamare, et de Sant' Anastasia.

Abruzzes. Combats du Taburno et aux environs d'Aquila.

Provinces d'Avellino. Combats de Montemale, Savignano, Vitulano, Cusano, Torre-Cuso.

Terre de Labour. Combats de Sora, du Garigliano, de Cerretto, sur le Matese, de Caserte, Aima, Pastena, Lenola, Campo di Melle, Pico, Nola et encore de Cerretto.

(1) Le Nomade, la Patria, L'Osservatore napolitano, L'Eco di Napoli le Difensore, etc.

235

Comté de Molise. Larino, Sepino, Castellone, Cicello.

Basilicate. Montalbano, Melfi, Calvello, Pietragalla, Cancellara, Vaglio, Brindisi di Potenza, Venosa, Monticcio, Lavello.

Pouilles. Manfredonia, Casamassima, Incoronata, aux bords du Fortore, Torremaggiore, Castellanetta, Bovino, aux environs de Foggia, Corato, Martina, Minervino.

Principauté de Salerne. Angri, Laviano, Campagna et Sarno.

JUIN.

Du 1er au 12. Une bande de réactionnaires à pied et à cheval occupe la commune de Morra, à une lieue de Sant'Angelo de Lombard!, chef-lieu d'arrondissement de la province d'Avellino, et est amicalement fournie de vivres et de fourrage par les officiers de la garde nationale.

Les courriers des Abruzzes et des Calabres sont journellement arrêtés.

13. Revenant d'une tournée dans la commune de San Bartolomeo in Galdo (Fouilles), un détachement de onze gardes mobiles et de quatre gendarmes est massacré tout entier, à l'exception d'un seul homme, par une bandn de quarante réactionnaires.

Le courrier des Fouilles est arrêté près de Troja, et tontes les correspondances sont brûlées sur la route.

Du 14 au 30. Les bandes réactionnaires augmentent et grossissent partout, mais principalement dans les Fouilles et dans la Basilicate.

236

Les gardes mobiles-sont effrayées, et les troupes ne suffisent pas à courir sur tous les points menacés; chaque jour amène des escarmouches terminées par une fuite simulée des réactionnaires, qui ne s'égaillent que pour reparaître à ('improviste sur d'autres points.

Le comté de Molise, les arrondissements de Sora et de Gaëte sont sillonnés par de fortes masses de brigands. Les journaux sont remplis de nouvelles décourageantes pour les piémontistes.

JUILLET.

1er. Un détachement de Piémontais attaque la ferme de Joseph Casella, qu'occupe un piquet de gardes nationaux de Rapolla que les soldats prennent pour des brigands. Le garde national Biaise Casca est tué.

2. Une compagnie de bersagliers arrivant en bateau pour cerner les brigands sur la plage de Sapri, principauté de Salerne, fait feu sur la foule qui encombre la plage, c'est-à-dire sur les gardes nationaux qu'ils ont pris pour des brigands.

4. Télégramme officiel:

«Un certain nombre de brigands débarquent aujourd'hui près de Futani, principauté de Salerne. Immédiatement la bande, grossie d'autres brigands du pays, occupe la commune de Camerata, où elle se fortifie. Elle sera attaquée par le cinquième bataillon de bersagliers et par deux compagnie» de grenadiers parties de Naples.»

D'autres bandes se dirigent d'abord sur San Giovanui a Piro, puis sur Celle, Montano, Saurito, et enfin sur Alfano.

237

5. Sur les confins de la Basilicate et des Fouilles, dans l'arrondissement de Melfl, Crocco massacre presque en entier dans une embuscade une colonne composée d'environ deux cents soldats et gardes mobiles. L'ardeur des brigands est telle que plusieurs d'eux poursuivent et tuent sous les murs de Melfi même trois gardes mobiles qui s'enfuyaient.

Du 6 au 10.Combat dans les Fouilles entre les brigands et la 6a compagnie du 8° de ligne, à qui son ignorance des lieux fait perdre beaucoup de monde.

A Celenza Valfortore (Capitanate), un détachement de Piémontais est à moitié détruit parles brigands.

Combat sanglant au Volturne.

La bande à cheval, commandée par Cavalcanti, ancien officier de l'armée royale napolitaine, parcourt librement les environs de Stigliano (Basilicate).

Les eûtes d'Amalfi sont au pouvoir des bandes armées. Une d'elles entre dans Agerola, désarme la garde nationale, délivre les prisonniers et menace de donner l'assaut à Amalfi même.

Combat sanglant près de Foggia; les brigands battent une compagnie du 48e de ligne.

Du 11 au 20. Une bande de cinquante réactionnaires livre le combat aux troupes et aux gardes nationaux d'Alessa (Abruzzes).

238

Les courriers des Calabres et des Fouilles sont assaillis et dévalisés (1).

Les bandes de Crocco, de Coppa, de Ninco-Nanco, Serravalle, Cavalcanti et autres valeureux chefs de brigands commandent complétement la Basilicate. Les montagnes de Corbara, Tramomti, Ravello, Positano, Agerola, dans la principauté de Salerne, sont militairement occupées par les bandes.

L'effroi est si grand parmi les piémontistes, le long des côtes d'Amalfi que les maires de Furore, de Praiano, de Tramonti et Conca abandonnent leur poste en toute précipitation.

21. Cent cinquante réactionnaires occupent Scanzano et sont reçus par les habitants avec la plus parfaite cordialité. A Solopaca, principauté de Bénévent, combat à l'avantage des réactionnaires.

22. Les piémontistes d'Andria sont consternés du départ des troupes qui vont repousser une invasion de brigands. En marche, six soldats désertent avec armes et bagage?.

Un détachement de soixante hommes, formé de gardes mobiles de Lucera et Volturara et de gendarmes, en parcourant le territoire de Lucera, aperçoit quatre brigands fuyant à son approche. Vingt gardes sont lancés à leur poursuite, tuent l'un des fuyards, mais tombent presque aussitôt dans une embuscade où ils sont tous massacrés.

(1) Le Moniteur de Naples, 18 juillet.

239

Du 23 an 31. Télégramme officiel:

«La légion hongroise a valeureusement battu la bande de Tortora, et lui a tué douze hommes.»

La commune de Ginestra (Basilicate), est envahie par une bande de cent cinquante réactionnaires. Le capitaine de la garde nationale fait sonner le tocsin, mais il ne réunit pas quinze hommes; il envoie demander du secours à Castelfranco; mais la troupe répond qu'elle s'y trouve bien. Les brigands se rendent à l'église et veulent faire chanter le Te Deum par l'archiprêtre et son vicaire, qui s'y refusent, sans doute par peur du lendemain. Les brigands les arrêtent, ainsi qu'un officier de la garde nationale du nom de Martucci; mais, à leur départ de Ginestra, ils les relâchent sans leur avoir fait subir ni dommages ni outrages (1).

Combats d'Ariano, de Piazzano, près de Bénévent, près de Potenza, de Pietragalla, de Valva, de Nola, d'Amalfi, de Carpineto, de San Marco-la-Catola, de Macchiagodena et de Pietrapertosa.

A Campomaggiore (Basilicate), une bande de quatre-vingts brigands désarme les gardes nationaux qui, dans leur frayeur, se sont retirés et barricadés dans leurs maisons et rendent leurs armes par les fenêtres. Les statues de Victor-Emmanuel et de Garibaldi sont mises en pièces.

AOUT.

1er. Dans les cantons de Montalbano, province de Lecce et de San-Lupo, comté de Molise, les maisons des champs sont toutes occupées par les réactionnaires.

(1) Voir au chapitre Religion comment les Piémontais traitent les prêtres qui refusent de chanter le Te Deum en leur honneur.

240

Une petite bande parcourt les environs de Piaggine Soprana. Les brigands envahissent la commune de Gesualdo. La garde nationale de Matera, dans un vif engagement, tue quinze brigands et en blesse un grand nombre.

2. L»s Piémontais fusillent un paysan comme espion des brigands. Aux environs de Felitto, les Piémontais fusillent comme brigand un paysan qui cherchait dans les champs un vase qu'il avait perdu.

Les Piémontais fusillent à Orsogna un âne chargé de foin qui s'avançait sur la route sans répondre aux sommations des sentinelles.

L'arrondissement d'Ariano est parcouru par quatre-cents brigands à cheval.

3. Deux cents réactionnaires entrent dans Guglielmi (1), petite ville de 3,000 âmes, désarment la garde nationale, brûlent les archives municipales, et, d'accord avec un certain nombre des habitants, mettent le pays en état de siège. Le maire Jean Ruggiero, son père et ses deux fils sont mis à mort, comme traîtres à l'indépendance nationale; Nicolas Bisio et Alexandre Lancia, officiers de la garde nationale, qui avaient envoyé demander du renfort à Atessa et avaient tiré du haut du clocher sur les brigands, sont fusillés. Les réactionnaires passent ensuite à Villa-Alfonsina, où ils brûlent la maison d'un piémontiste, et parcourent successivement les communes de Roio, de Colledimezzo et de Pennadomo.

(1) Arrondissement de Vasto (Abruzzes).

241

D'autres bandes occupent les gorges du mont Majella, sur les versants duquel se trouvent les grosses communes de Palena, Lama, Faro San Martino et Palombara, naguère enrichies par de florissantes manufactures d'étoffes de laine, maintenant réduites i la mendicité parles libérateurs piémontais.

a. Dans l'après-midi, au milieu de la place publique de Vallo, principauté de Salerne, en présence de toutes les autorités civiles et judiciaires, qui restent indifférentes, un jeune garde national de San Biase, Vincent Gatto, est fusillé parce qu'on l'avait trouvé hors de la ville avec deux cartouches dans la poche, cartouches qu'il avait oublié de rendre la veille, qu'il avait été de service. Les bersagliers piémontais qui arrêtèrent l'infortuné jeune homme ne répondaient autre chose à ses protestations d'innocence que: «Allons, tourne les épaules!» Et huit coups de fusil l'étendirent sur le sol.

A Casalnuovo de Capitanate, dans l'après-midi, plusieurs bandes de réactionnaires en viennent aux mains entre elles. Les gardes nationaux accourent avec les gendarmes pour mettre à profit la discorde. Mais les brigands cessant instantanément leurs querelles, qui n'étaient évidemment qu'une ruse de guerre, se réunissent contre les gardes nationaux, se battent pendant cinq heures et eussent remporté un éclatant succès sans l'arrivée de la 11a compagnie du 8e de ligne.

6. Une bande envahit les communes d'Altino et de Roccascalegna (Abruzzes), et fait des réquisitions d'armes.

242

7. Combat près de Sora. Combat sur le territoire d'Acerenza (Basilicate), à l'avantage du chef de bande Agatiello.

La bande qui parcourt la campagne de Montesarchio, province d'Avellino, est attaquée sur le Taburno avec furie, et après un combat acharné réussit à garder ses positions.

Dans la campagne d'Ostuni, province de Lecce, on signale divers crimes politiques. Le garde national Riccardo Tanzarella qui, plusieurs jours auparavant, avait arrêté un soldat débandé, est tué de cinq coups de fusil, et MM. Mirancilo sont assassinés comme piémontistes.

Combat de la Pianella, près Martino, entre les Piémontais et une poignée de brigands à cheval.

Une grande quantité de brigands sont fusillés à Cerignola, à Guardia-Lombarda et à Ripalda, arrondissement de Sora.

Du 8 au 10,, Des bandes apparaissent pour la première fois dans l'arrondissement de Penne (Abruzzes), arrêtent le secrétaire de la commune, et le relâchent aussitôt -sur les instances généreuses d'un brigand. Les réactionnaires consignent entre les mains du secrétaire une certaine somme destinée au curé du pays, afin qu'il dise une messe des morts. Ils se retirent ensuite du côté de Céliera, rencontrent les Piémontais et leur tuent sept hommes.

Du 11 au 16. Une bande dis deux cents brigands fait, à Foggia, une réquisition de cent chevaux, le nombre de ses hommes s'étant doublé en deux jours.

243

La garde nationale de San Giorgio-la-Montagna, province d'Avellino, se tient sous les armes nuit et jour, parce que la nombreuse bande, qui campe sur le Montemale, a fait savoir qu'avant peu elle envahira le pays; elle compte d'ailleurs ne trouver aucune résistance, puisqu'elle ne passera par San Giorgio que pour opérer des mouvements stratégiques combinés simultanément avec d'autres bandes, afin de tenter nn grand coup.

Combats acharnés aux environs de Teora, province d'Avellino, de Miglierina et d'Amato, près Catanzaro, de la Castellana di Cafarelli, près Manfredonia, et dans les arrondissements de Gaële et de Sora.

A Rotondella (Basilicate), les Piémontais trouvent dans une cabane un réactionnaire blessé et le fusillent.

Le chef de bande Agatiello et deux de ses hommes sont pris les armes à la main et fusillés.

Un brigand de la bande du Vésuve (1) est arrêté à Boscotrecase, et fusillé.

Quatre brigands, pris dans un fourré sur les indications d'un espion, sont fusillas une demi-heure après à Montesarchio (2).

Quatre soldats du 34e de-ligne, natifs des Romagnes, désertent pour passer aux brigands; mais arrêtés en vue de Frigento, ils sont immédiatement fusillés.

Dans le canton de Cannitello, près Capoue, les Piémontais surprennent, dans les gerbes on ils s'étaient cachés, les cinq brigands Pascal Capozzo, Pierre Panella, Louis de Lauro, Pascal Cipolla, et Vincent Mola. Les deux derniers «ont jetés en prison, et le? trois premiers fusillés.

(1) La bande de Pilone.

(2) Les journaux l'Omnibus et L' Indipendente

244

A Rocchella, un brigand est fusillé; le soir même, un habitant lie la commune passait aux bandes armées.

A Sant'Agata, les Piémontais fusillent deux brigands; le lendemain, un habitant de la commune allait s'enrôler dans les bandes.

L'atrocité des Piémontais et l'exaspération des brigands pallient les représailles de ces derniers contre les Piémontais et les espions.

A Santa-Sofia (Calabre), Raphaël Molito et Basile Cardamone, connus pour annexionnistes, sont pris par les brigands, qui coupent au premier une oreille et exigent de l'autre une forte rançon. Cinq cent cinquante bœufs sont égorgés dans les fermes d'un sieur Vara, canton de Cerreto; seize, à M. Amato, au Tufo-de-Pietraroja; trente, à M. Achille del Giudice, frère du préfet de Foggia (1); un autre frère du même préfet, Alexandre del Giudice, voit incendier un de ses bois sur le Matese; les étables du capitaine de la garde nationale de Rotello sont saccagées.

La commune de Campodigiove (Abruzzes), est envahie par soixante réactionnaires à cheval, dont les deux chefs sont tués, et qui emportent plusieurs blessés.

La seizième compagnie du 34e de ligne, capitaine Berardi, à Scampitella, près Anzano, attaque cinquante réactionnaires à cheval, qui disparaissent dans le bois de San Pietro.

17. Dans la province de Foggia, apparaît une bande nouvelle, commandée par Michel Azzarone, dit le Casso naro. Une bande de cent quatre-vingts hommes occupe le vaste bois de Dragonara.

(1) Voir le chapitre des Lieutenants subalpin.

245

De nouvelles bandes sont signalées dans les Abruzzes et dans la principauté de Bénévent, en même temps que des engagements journaliers entre les brigands et les Piémontais.

A Penna-Piedimonte (Abruzzes), pendant la fêle de Sainte-Brigitte, une bande réactionnaire est attaquée dans le voisin bois de Catania, par un détachement de gardes mobiles, qui perdent quatre hommes, dont un jeune lieutenant, et ont plusieurs blessés.

18. Dans le canton de Ruvo (Pouilles), un détachement de bersaillers et de gardes nationaux attaque une vingtaine de réactionnaires, qui perdent trois hommes dans le torrent du Lianto et en tuent un aux Piémontais.

A Bitonto, province de Bari, on affiche une proclamation promettant comme certaine la restauration du roi légitime, et appelant le peuple à se soulever contre les envahisseurs.

19. Combat de Tiriolo (Calabre); un brigand tué, un autre fusillé.

Les gendarmes et la garde nationale de Scanno (Abruzzes), fusillent un brigand pris dans une embuscade.

Le fameux chef Daniel Hordant-Cichelti, le même qui en 1860 tira sur le général piémontais Pinelli, est pris à Pizzoli (Abruzzes), et fusillé.

Combats du bois de Migliano, près Sanl?Angelo de Lombardi; les Piémontais ont quatre morts et quelques blessés, dont un sergent.

Le capitaine de la garde nationale de Bisaccia, province d'Avellino,

246

arrête un brigand et le consigne aux mains du commandant du 33e de ligne, qui, sans autre formalité, le fait fusiller.

20. Une petite bande désarme, dans la nuit, le poste de garde nationale de Fragagnano (Terre de Bari), et emporte seize fusils.

21. Le poste de la garde nationale de Montaquila, arrondissement d'Isernia, est désarmé par les brigands.

22. A Visciglito, entre Foggia et Lucera, combat entre un détachement de bersaillers et les bandes réunies de Pirro, Varanelli, Petrozzi et Chiavone.

23. Un détachement sorti d'Apricena attaque dix brigands à cheval, en tue un, en blesse trois, et leur prend quatre chevaux.

Près de la ferme du Reggente, combat entre les Piémontais sortis de Lucera et les brigands, qui perdent trois hommes et deux chevaux.

A Pavoni, propriété du marquis Nicaslro,les Piémontais attaquent une cinquantaine de brigands, en tuent et en blessent un certain nombre, et poursuivent le reste de la bande jusqu'à Montearatro.

Le capitaine Baralis, du 8e de ligne, embusqué avec sa compagnie aux environs de la ferme du marquis de Luca, arrête, dans la nuit, le chef de brigands Antonio Campanossi, et le fusille à Serracapriola.

Une bande de quatre-vingts réactionnaires entre dans le village de Zapponeto (Capitanate), désarme la garde nationale, lève des contributions énormes sur les piémontistes, et établit un gouvernement provisoire.

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24. Dans la nuit, cent trente brigands envahissent Castelluccio (Terre de Labour), et y encouragent les vengeances politiques. La garde nationale, retranchée dans la tour, tire au hasard pendant quatre heures.

25. Le capitaine des bersaillers en garnison à Carbonara, province d'Avellino, va au devant d'une petite bande de brigands, l'attaque et la met en fuite; il n'y a que quelques blessés de part et d'autre.

Aux environs de Cosenza (Calabre), et dans les populeuses communes de Celico et de Spezzano, éclatent des complots réactionnaires à main armée.

26. Une bande de quatre-vingt-dix brigands tente d'envahir Motta, mais est repoussée.

A Latronico (Basilicate), escarmouche entre les brigands et les gendarmes.

Vito Angelini, de Noci, est pris par les brigands et fusillé comme piémontiste.

Combat de Castelfranco; le capitaine Mondino, du 45* de ligne, attaque et met en déroute une bande de soixante-dix hommes.

27. André Mondella, de Bojano, est pris par les brigands et fusillé comme piémontiste.

Entre Marsiconuovo et Marsicovetere (Basilicate), combat entre les gardes nationaux et la petite bande d'Angelantonio Masini, qui est blessé, lui et un de ses hommes.

28. A Cervinara, Pascal Valente est pris par les brigands et fusillé comme piémontiste.

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A Ricigliano, Michel de Nicola est tué par les brigands comme piémontiste.

Les brigands enlèvent quatre cents têtes de bétail appartenant au capitaine de la garde nationale de San-Massimo, comté do Molise, et menacent d'envahir le pays; mais les gardes nationales réunies de Bojano et de RoccamandoIQ les repoussent en leur reprenant tout le bétail.

Un détachement du 21e de ligne et les gendarmes de Bovino attaquent et mettent en fuite, à Facto, une bande de quatre-vingts brigands, et procèdent à l'arrestation de beaucoup de suspects.

29. Combat du pont de Melito, entre la 9e compagnie du 22° de ligne, capitaine Borgogna, appuyée de la garde nationale de Grottaminarda, et la Lande d'Andreozzi, qui, après une lutte acharnée, est tué avec quatre de ses compagnons.

30. Le lieutenant Benevelli, avec un détachement du 22e de ligne, attaque, sur le territoire d'Ariane, uue bande de cinquante réactionnaires qui, informés à temps, se retirent en lieu sûr. Les Piémontais exaspérés arrêtent et fusillent sur place plusieurs paysans suspects d'avoir donné des informations aux brigands.

31. Une bande de quatre-vingts réactionnaires tente de surprendre le détachement de bersaillers, caserné à Castronuovo, près Avezzano (Abruzzes); mais elle est repoussée par une vive fusillade. Le bersailler Josejih Pelimonte est tué.

La fête de Montefusco, province d'Avellino, est troublée par l'arrivée d'une vingtaine de brigand?, qui se donnent

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comme l'avant-garde d'une l'or te bande. Les gardes nationaux épouvantés s'enfuient du pays, et les brigands prennent paisiblement part à la fête.

SEPTEMBRE.

1. Hue compagnie du 18e bataillon de bersaillers, capitaine Philippe Carlocci, à deux milles d'Apice, attaque et met en fuite quarante-cinq brigands, qui laissent sur le terrain quatorze morts, un cheval, onze fusils et quatre pistolets.

Dans les Abruzzes, attaque d'un fourgon du trésor, escorté par les Piémontais; les brigands sont repoussés.

Le capitaine Mangiaracina met en fuite une bande de cent cinquante brigands, en lui causant de graves dommages (1).

Cavalcanti et cent hommes envahissent Castelsaraceno (Basilicate), désarment la garde nationale, molestent les piémontistes, et se retirent paisiblement.

La garde nationale de Lauria, redoutant une invasion, reste toute la nuit sous les armes.

2. Les réactionnaires attaquent San-Sossio, Calabre, et sont repoussés par la garde nationale; mais ils n'en campent pas moins à une demi-lieue du village.

Quatre brigands sont fusillés à Avellino. Trente-huit ducats, trouvés sur eux, sont partagés entre leurs bourreaux.

(1) Giornale di Napoli.

250

Combat de San-Fele (Basilicate); les gendarmes et les bersaillers attaquent la petite bande de Coppa, lui blessent quatre hommes et prennent deux chevaux.

A Biccari, un brigand est pris dans la nuit et fusillé par les gendarmes.

3. Une forte bande menace Flumeri; mais elle est tenue en respect par les bersaillers de Roccaminarda.

Dans les villages de Cave et de Catailli, près Conca, arrondissement de Gaële, le poste de la garde nationale est désarmé, et la maison du piémontiste Ange Masi, dévastée. Les gendarmes arrêtent comme complice de ces faits le lieutenant Antonio Galdieri.

A Serrastretta (Calabre), trois gendarmes prennent et fusillent un brigand.

La garde nationale de Serrastretta arrête et fusille quatre brigands.

A Monteleone (Calabre), sont fusillés comme suspects de brigandage, les soldats débandés Benedict et Raphaël Scalese, de Castagna, Vincent Ponlieri et Dominique Ceranda, de Carpenzana.

5. La bande commandée par Néron saccage et désarme les villages de San Pietro, de Polocia et de Campinola, principauté de Salerne.

La garde nationale de San Martino (Basilicale), et les gendarmes poursuivent une bande de soixante réactionnaires, en tuent un et en blessent deux.

Dans l'après-midi, à un kilomètre de San Severo, une bande de cent brigands fait une razzia de chevaux. Une compagnie d'infanterie est envoyée contre elle, mais arrive trop tard.

251

6.Dans une escarmouche de nuit, Sébastien Caliendo, sergent de la garde nationale de Cicciano (Terre de Labour), est tué par les brigands.

7. Deux cents réactionnaires sont attaqués aux Canestrelle, canton de Candela (Pouilles), par le colonel piémontais Balzani, à la tète d'un détachement de bersaillers et de chevau-légers de Lucques. Les brigands s'égaillent, emportant leurs blessés, et laissant sur le terrain quinze des leurs, dix-neuf chevaux et des armes.

Près de San-Paolo (Pouilles), soixante gardes nationaux de San-Severo, commandés par le lieutenant Thomas La Cicilia, se battent pendant cinq heures contre une bande de quatre-vingt-dix réactionnaires, et se retirent avec plusieurs blessés, dont le lieutenant lui-même. Le lendemain, d'ordre du commandant militaire des Pouilles, les gendarmes arrêtent le maire et le capitaine de la garde nationale de San-Paolo, et les traînent en prison, comme prévenus d'avoir empêché leurs concitoyens de marcher contre les réactionnaire?, qui se battaient à cent pas du pays.

Le courrier de Piedimonte à Capriati est dévalisé par les brigands.

Combat du Mont Cesina (1); un brigand est pris et fusillé.

A Scamso, un brigand est pris et fusillé par les Piémontais.

8. La bande qui occupe les montagnes de San Muro et do San-Gregorio (Basilicate), exerce des représailles contre les piémontistes.

(1) Terre de Labour.

252

Le courrier de Lanciano est attaqué; un des brigands est pris et fusillé à Roccaraso.

9. Un détachement du 4fie attaque les brigands, non loin de Sora. en tue un et en blesse un petit nombre.

Combat de Rendinara; Tristan! bat un détachement de bersaillers, blesse leur commandant et tue un sergent; deux brigands blessés vont se faire soigner à Pollepario.

Un gendarme est grièvement blessé sur la route de Torchiara à Salerne.

L'arrondissement de Vasto est occupé par une audacieuse bande de deux cents réactionnaires, que grossit chaque jour l'arrivée des jeunes gens des environ?. Des représailles sont exercées contre les piémontistes.

10.Nicolas d'Ulisse, brigand, ex-soldat au 55e, est pris par les troupes de Torricella, après une résistance terrible, et fusillé sur-le-champ.

Dans l'après-midi, une bande menace Casalbore; la garde nationale résiste et blesse deux brigand?. Le capitaine Gloag accourt d'Ariano, dans la nuit, avec de la troupe et du canon; mais les réactionnaires se retirent après l'échange de quelques coups de fusils, ayant tué un artilleur.

Combat du pont de San Venère, près Lacedonia; un détachement de vingt bersaillers, commandé par le jeune sous-lieutenant Paul Pizzi, est massacré tout entier par les brigands.

11. Combat des Corcelle, près Agerola; aux environs île Melfi, Basilicate; sur les liauleurs de Torciero; de Montecalvo; de San Gregorio; de Taverna San Felice, et de Roccarasa, Abruzzes.

253

12. Combat de San Bartoloineo in Galdo; les brigands occupent et défendent pendant quatre heures cette petite ville.

Les brigands occupent pendant deux jours la commune de Montefalcione, où toutes les sympathies sont pour eux, malgré les atrocités commises, l'année dernière par les Hongrois et le préfet de Lnca, pour réprimer le brigandage. Les écussons de Savoie et les statues de Victor-Emmanuel et de Garibaldi sont mises en pièces dans la boue.

Du 13 au 14. De petites bandes se montrent aux environs de Naples; une d'elles entre à Chiaiano, village de la banlieue de la capitale. L'alarme est excessive parmi les piémontistes. Les cinquième, sixième, septième et huitième bataillons de la garde nationale et quarante gendarmes, sous les ordres du général Carrano, sont envoyés à Capodimonte contre une forte bande de réactionnaires.

15. Au pont de San Tommaso, le courrier est dévalisé; deux personnes sont tuée;.

Du 16 au 22. Depuis quatre mois, la principauté de Bénévent et la province d'Avellino font parcourues par une bande de cinquante réactionnaires à cheval, qui lèvent de grosses impositions sur les propriétaires piémontistes, comme à Buonalbergo, San Giorgio, Ginestra, Montecalvo, etc.

Le courrier de Foggia est arrêté, et les correspondances sont brûlées sur la route.

Le courrier de Naples à San Severo (Fouilles), est arrêté et dépouillé.

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23.A Pescopagano, chef-lieu de canton de Basilicate, les brigands exercent des représailles contre les propriétés des piémontistes et des députés.

Au bois de Rocca-Rainola, près Nola, sont fusillés Antonio Gasparo, de Conca, Nicolas Martelli, de Vico, et un inconnu, arrêtés par les bersaillers et suspects d'espionnage.

Un détachement de gendarmes et de soldats du 12e de ligne arrête a Campoli trois individus et les fusille (1).

24. Le brigand Michel Notarangelo est pris et passé par les armes.

Crocco et ses cinq cents hommes occupent les bois de Monticchio, où les populations envoient des vivres en abondance,

25. Jean de Martino, déserteur, Augustin Jamsotta et deux femmes sont arrêtés et fusillés à Sant'Agata de'Goti.

Du 26 au 30. Les bandes deviennent journellement plus audacieuses. Les Piémontais soutiennent de nombreux combats, mais sans résultat aucun; car, selon l'expression des journaux officiels et officieux, «les brigands n'engagent jamais de sérieux combat, et fuient avec la plus grande agilité; ils ont la connaissance des pays et les sympathies des populations.»

(1) Journal officiel de Naples.

255

OCTOBRE.

1. Rapport officiel du général piémontais comte Mazé de la Roche, commandant dans les Fouilles (1):

«Dans la seule province de Foggia, pendant ces onze derniers jours, il y a eu treize combats entre les troupes et les réactionnaires, et quatre de ces derniers ont été fusillés sans procès.»

2. M. Vincent Caferro, de Siculiana, chassait dans les champs; la troupe survient; le chasseur, craignant quelque mâle aventure, se réfugie chez un paysan, à qui il remet son fusil. Les Piémontais arrivent après le départ de M. Caferro, trouvent un fusil chez le paysan, et, d'ordre du préfet, le fusillent (2).

Du 4 au 12.Le journal de Turin, le Diritto (3), publie les lettres de quelques députés qui représentent l'état des provinces méridionales comme plus que déplorable: les récoltes sont brûlées, les paysans ne travaillent plus, les propriétaires sont ruinés, et les brigands s'avancent jusque sous les murs des villes. Il y a des bandes de deux cents réactionnaires à cheval.

(1) Ce rapport a été publié par la plupart des journaux de Turin,

(2) Discours du député Nicotera, séance parlementaire du 25 novembre.

(3) Numéro 310.

256

La liberté et la vie tiennent au caprice d'un général, d'un caporal ou d'un simple soldat. On persécute les honnêtes gens, et on protège la canaille. On croirait que les agents du gouvernement ne cherchent qu'à le rendre odieux et impossible.

5. Les troupes d'Andretta, province d'Avellino, escortant un certain nombre de prisonniers, sont attaquées par vingt brigands près de Guardia Lombarda. Les brigands sont repoussés et abandonnent un cheval.

13. Fumel se rend à San Fili (Calabre), pour opérer contre les brigands. Le journal de la province, le Calabrese, « attend en toute sécurité les faits qui seront dignes comme toujours de l'illustre commandant Fumel.»

Du 14 au 26. Le brigandage se rit de l'état de siège; le canton de Toricilla est parcouru par la bande de Dominique Fanii. M. Emidio Sambuco vient d'être massacré comme piémontiste. M. Garzia Pelliciotti vient de se brûler la cervelle pour pour ne pas payer aux brigands une forte rançon.

Trente-sept réactionnaires débarquent sans être inquiétés sur la plage de Lesina, sans armes et «ans munitions; mais, arrivés à Apricena, ils se trouvent fournis de tout ce qui leur manquait, et vont grossir les diverses bandes des Fouilles (1).

Une bande de réactionnaires réapparaît dans les montagnes d'Amalfl, et, le 26, entre dans Ravello, où elle célèbre 1° fête de Saint-Bonaventure

(1) Lettre du député Ricciardi, publiée par le Diritto.

257

et prend part a un somptueux banquet. La garde nationale d'Amalfi arrive à Ravello, mais trop tard.

27. Onofrio Santoro, Thomas Sciortino, Gaëtan et Onofrio Scardina sont pris les armes à la main au pas de Torremuzza et fusillés le lendemain à Baghcria (1).

NOVEMBRE.

Le capitaine Rota et le lieutenant Perrino, avec un détachement du 36e de ligne, attaquent la bande des bois de Santa Croce d'Imagliano, qui séparent le comté de Molise et les Pouilles. Les deux officiers et vingt soldats sont tués dans le combat; onze soldats disparaissent; cinq hommes seulement parviennent à se sauver. Un détachement d'infanterie et de cavalerie est envoyé de Caserte sous les ordres du capitaine Berti; une première rencontre avec les réactionnaires a lieu dans le bois de Petacciato; trois brigands sont pris et fusillés à Termoli.

A San Fele, des bersagliers et des gardes nationaux arrêtent et fusillent le brigand Carlo la Rossa.

Dix paysans des Abruzzes, selon l'ancienne coutume du pays vont travailler aux champs sur la frontière pontificale. Après le travail, ils s'étendent sur-la terre et s'endorment. Un détachement de Piémontais, violant le territoire romain, arrête sept de ces laboureurs, les emmène et les fusille comme brigands.

(1) Journal officielle Sicile, 2 7 octobre.

258

6. Aux environs de Foggia, les lanciers de Montebello, attaqués par les brigands, en tuent vingt et mettent les autres en fuite (1).

7. Le commandant piémontais Aychelburg prend et fusille, près de Melfi, le brigand Frecina de Bisaccia.

Un détachement de 50 gardes mobiles fusille quatre porchers de Pedace (Calahre), coupables d'avoir donné de fausses informations sur les brigands.

8. Le capitaine Rossi, à la tête d'un détachement de soldats du 5oe, de gardes nationaux et de gendarmes, rencontre aux environs de San Severo (Pouilles), une grosse bande de réactionnaires à cheval, tous anciens soldats de l'armée royale napolitaine; quatre gardes nationaux et un gendarme sont tués. A la tombée de la nuit, les brigands s'égaillent et disparaissent.

Du 9 au 10. Les bandes Pio et Andreotti sont attaquées dans le bois de Monticchio par la brigade du général Franzini, nn escadron de chevau-légers de Lucques, la 1" compagnie du 13e bersagliers, une compagnie du 33e de ligne, et un bataillon du même régiment commandé par le major Brera. Les brigands perdent vingt-trois chevaux équipés et beaucoup de vivres, de munitions et d'ustensiles de cuisine.

11. Un détachement piémontais surprend, endormi dans une ferme près de Celliano, principauté de Salerne,

(1) Gazzetta di 'Farina

259

un vieillard de soixante-douze ans, nommé Joseph Vecchi, le conduit en prison et le fusille le lendemain, comme coupable d'avoir voulu embrasser son fils qui fait partie des bandes réactionnaires.

On lit dans le Journal officiel de Naples: «Nous annonçons avec plaisir que le colonel Fumel a déjà commencé ses opérations contre le brigandage. Nous pouvons encore annoncer qu'à San Fele on a déjà commencé à fusiller les voleurs occultes et les correspondants des brigands.»

13. Les environs de Tarente sont parcourus par des bandes armées; Staiti et Crispiani sont complétement en leur pouvoir.

Du 14 au 15.On lit dans le Journal officiel de Naples: «Outre les réactionnaires tombés dans les rencontres avec les troupes, du mois de septembre au mois de novembre, quatre-vingt-dix brigands ou suspects ont été fusillés.»

17. Une bande de réactionnaires envahit la commune de Grottaglie aux cris de: Vive François II! s'empare des armes de la garde nationale qui s'est enfuie, délivre les prisonniers et saccage les maisons des piémontistes épouvantés. La population est favorable aux brigands qui restent à Grottaglie jusqu'au lendemain. Les troupes arrivent avec les autorités de Tarente, mais trop tard. Le maire est arrêté comme suspect d'avoir favorisé le mouvement réactionnaire. Il faut dire en effet que les brigands avaient été reçus avec force illuminations, et que le maire et les adjoints étalent venus au devant d'eux en tète de la population.

260

18. La garde nationale de Francavilla se tient sous les armes pour éviter le sort de Grottaglie, et pour imposer au peuple qui semble prêt à acclamer les brigands, qu'on peut apercevoir à une demi-lieue de la commuue.

10. Antoine de Lucu, capitaine de la garde nationale de Sant'Anastasia, près Naples, promet 400 francs au paysan Xavier Sbaretella, s'il veut lui livrer trois soldats débandés de l'armée royale napolitaine, cachés dans les environs. Le paysan accep'e, et feignant comme d'habitude de porter à ces malheureux les vivres que leur envoyait leur famille, il en tue deux et traîne leurs cadavres jusque sur la place de Saut' Anastasia, où ils restent exposés jusque dans la soirée du 20. Le lendemain, le misérable touche le prix du sang et le dépense en orgies avec des soldats piémontais.

21. Dans la nuit, les réactionnaires, commandés par Enrico Romano de Gioia et par la Veneziana, entrent dans Carovigno au milieu des acclamations et des illuminations; on n'entend que les cris de: Vive François II! Les bustes de Victor-Emmanuel et de Garibaldi sont brisés, et les gardes nationaux désarmés; mais les brigands ne molestent en rien ceux des habitants mêmes qu'on leur signale comme piémontistes. Dans la matinée, la bande entière, suivie de la population, sort de Carovigno, et va prendre part aux fêtes religieuses dans l'église de la Madone du Belvédère.

La garde nationale de Melito. commandée par le çapitaine Catunio, se bat pendant trois heures contre une bande de vingt réactionnaires, en blesse un, et lui prend trois chevaux.

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22. Combat entre les réactionnaires et la garde nationale de Villa-Nova, province d'Avellino.

Le député Castro-Médiano (1)dit au parlement qu'il a vu des gardes nationaux de la commune de Cellino, à qui les brigands ont outrageusement coupé les oreilles.

Le député Massari ajoute que, dans l'arrondissement de Tarente, les brigands assistent paisiblement aux feux d'artifice qu'on tire dans les campagnes les jours de fêle. Le député Ara dit que les habitants sont désarmés, mais que s'ils ne sont pas brigands, ils sont pour le moins les amis des brigands.

Combat de San Pietro a Bevagna, entre la garde nationale de Manduria et cinquante réactionnaires à cheval.

Une autre bande de cent cinquante réactionnaires à cheval menace Manduria; un escadron des chevau-légers de Lucques est envoyé contre elle, mais n'ose l'attaquer (2).

23. Le général Franzini, à la tête de soixante-quinze chevau-légers de Lucques, poursuit sans relâche pendant douze lieues une bande de réactionnaires à cheval, qui perd dix-huit hommes et quatre chevaux.

25. La route de Naples à Lecce est au pouvoir de nombreuses bandes de brigands; les cou.-riers soat eu retard d'une semaine.

(1) Député des Fouilles.

(2) Il Cittadino, journal do Lecce, lettre du député Nicolas Schiavone.

262

Fumel fait fusiller quatre paysans suspects de connivence avec les brigands.

Le vieux brigand Dominique Andreoli, après une résistance acharnée, e-t blessé et pris par le chef de la police de Lanciano (Abruzzes), et fusillé deux heures après sur la place publique.

Un détachement de la garde nationale de Rionero et. de gendarmes attaque les brigands dans les bois de Monticchio, en tue un, en blesse plusieurs et prend quatre chevaux et des vivres.

26. Dans la séance parlementaire d'aujourd'hui, le député Ricciardi déclare que le député napolitain Cannavina n'a pu quitter Campo-Basso pour venir à Turin, malgré son escorte de cent cinquante soldats, parce que, à une lieue à peine de Campo-Basso, ils ont dû reculer devant une bande de plus de trois cents brigands.

Dans la même séance parlementaire, le président du conseil des ministres, Ralazzi, dit qu'une grosse bande de brigands des Pouilles avait promis de se rendre à condition d'avoir la vie sauve, et que celte grâce avait été promise à ces brigands, mais qu'ils changèrent d'avis et la refusèrent.

27. Dix-huit cents gendarmes de renfort sont envoyés dans les provinces méridionales.

Deux soldats débandés se présentent spontanément à l'officier piémontais qui commande à San Germano, se fiant à là double amnistie royale qui a été proclamée; le jour même on les fusille, et comme l'un d'eux, quoique criblé de balles, résistait encore à ses bourreaux, l'officier piémontais l'achève à coups de revolver.

263

Une forte bande de réactionnaires menace San Vito, province de Lecce.

28. Trente fourgons piémontais, allant de Naples dans les Pouilles, sont arrêtés et dévalisés par les brigands.

29. Quarante fourgons sont arrêtés sur la méme roule et confisqués par les réactionnaires armés.

30. Le général Franzini écrit an maire de Flumeri, que le brigandage relève la tête, et qu'il va prendre dès mesures énergiques de répression.

Un télégramme officiel, en date de Sant'Angelo de Lombardi rapporte que le général Franzini, i la tôle de sa brigade, à Vallo, à Bovino, Formicoso et Matera, dans divers engagement avec les brigands, en a tué vingt-lrois, leur a fait beaucoup de prLonniers et leur a pi is des armes et des munitions.

A Sferracavallo, près Palerme, aux portes d'un poste de police, quarante fourgons sont dévalisés pendant lu nuit.

DÉCEMBRE.

1. On lit dans la Gazette officielle de Turin: «Environ cent cinquante brigands, commandés par leur chef, le sergent Romano, s'étaient fortifiés dans la ferme des Dominicains, entre Alberobello et Noci, arrondissement d'Altamura (Terre de Bari).

264

La 16e compagnie du 10" régiment les a attaqués aujourd'hui à trois heures de l'après-midi, et a pris la ferme d'assaut, tuant quatre brigands et en prenant un certain nombre. Soixante-dix chevaux équipés sont tombés au pouvoir de la troupe; dix autres chevaux sont blessés ou morts; les brigands ont abandonné des armes et autres objets; la bande est dispersée et en fuite. Parmi les blessés sont deux chefs de brigands, Valente et Pizzichicchio. Du côté de la troupe, deux hommes ont été blessés (1).»

Les journaux napolitains ajoutent que dix brigands faits prisonniers ont été fusillés sur-le-champ, et que le reste de la bande, s'étant immédiatement reconstitué, a envoyé un défi aux troupes; puis elle s'est partagée en deux bandes, dont l'une, commandée par Capraro, parcourt la Basilicate, et l'autre, par Gioja, la province de Bari, sans que les gardes nationales réussissent à les atteindre.

2. Le courrier d'Avellino est arrêté et dépouillé de la correspondance officielle par une bande de réactionnaires à cheval.

Une bande de brigands s'arrête à peu de distance de Montrone,

(1) Nous avons dit que nous empruntions les détails de cette guerre douloureuse aux organes rie l'annexion. Rien ne dévoile plus clairement, à notre avis, l'esprit de fanfaronnade et de mensonge qui dicte les bulletins piémontais que cet impudent récit de la Gazelle officielle du royaume d'Italie. L'atroce et l'absurde remplissent simultanément la lugubre histoire de l'invasion subalpine. Nous ne ferons pas à nos lecteurs l'injure de relever les ridicules assertions de pareils bulletins.

265

province de Bari, et envoie en éclaireurs quatre de ses hommes qui, assurés des dispositions sympathiques de la garde nationale, continuent paisiblement leur étape jusqu'à Mangiavacche, tout près de Bari.

3. M. Januarelli, capitaine de la garde mobile de Potenza, attaque sur le mont Pallino la bande d'Antonio Frauco, la met en fuite, fait un prisonnier et le fusille.

4. La bande commandée par d'Elia, poursuivie pendant deux jours par les troupes d'Ariano, de Campo-Reale et d'Orsara, accepte le combat dans le bois de Magliano, et perd trois hommes, six.chevaux, des armes, des munitions et des vêtements.

Combat près de Canosa (Fouilles), à l'avantage des réactionnaires.

7. La garde nationale de Bonefro, comté de Molise, fusille Dominique Antoine Vèrna, de Sant'Elia, pris les armes à la main dans le bois de Ficarola,

8. La garde nationale de Bojano arrête deux brigands et les fusille.

A Lanciano (Abruzzes), les Piémontais fusillent un vieillard de quatre-vingt-six ans, suspect de connivence avec ses deux fils qui font partie des bandes réactionnaires.

9. Une partie de la bande Caruso enlève vingt-huit bœufs appartenant au piémontiste Paolucci.

266

10. Dans la province de Cosenza, Fumel tue cinq brigands dans différents engagements, fait cinquante-deux prisonniers et en fusille dix-sept.

13. A Gioja (Calabre), un inconnu, suspect de faire partie de la bande d'Antoine Pellegrino, est pris et fusillé.

14.Les bersaillers de Pal ma fusillent Biaise Simonetti, surnommé Capotiello, ancien soldat de l'armée royale napolitaine.

La garde nationale de Faëlo fusille deux brigands de la bande de Carlo Addosio.

17. Pilone fait fusiller deux de ses brigands, convaincus de vol au préjudice d'un paysan de Torricello.

A Conca, près Amalfi, une bande de seize réactionnaires désarme le poste de la garde nationale et emporte trente fusils et des munitions.

Combat aux environs de Palata, comté de Molise; le capitaine Fersa, avec un détachement du 26e bataillon de bersaillers et de gardes mobiles, bat la bande Giorgi et lui tue cinq hommes.

Du 18 au 20. Séances secrètes du parlement de Turin. Les rapports officiels établissent que, depuis l'invasion, le royaume des Deux-Siciles a coûté déjà au royaume de Piémont quinze mille hommes, tués ou mis hors de combat. Le brigandage prend des proportions telles, que le parlement décide l'envoi, dans les provinces méridionales, d'une commission choisie dans son sein et chargée d'étudier la situation de l'État napolitain.

267

Quelque temps après, la commission parlementaire du brigandage part pour le Midi, et, malgré son escorte de deux escadrons de chevau-légers, il s'en faut de peu, à plusieurs reprises, qu'elle ne tombe au pouvoir des bandes. Elle eût pu étudier ainsi la question d'après nature. Celte commission était d'ailleurs morte sons le ridicule avant son départ même. A- Bari, le peuple l'a reçue à coups de pierres; à Foggia à coups de siffles, etc.

La garde nationale de Mignano (Terre de Labour), arrête et fusille Alexis Puoco, brigand de la bande du mont Cesima.

Le commissaire de recrutement et le secrétaire du conseil, Gaétan Giampietro, escortés par quatre-vingts bersaillers piémontais, sortent de Torre-Maggiore (Fouilles), et. tombent, à un kilomètre de la ville, dans une forte bande de réactionnaires à cheval. Aux premiers coups de fusil, le capitaine piémontais est tué raide; un sous-lieutenant prend le commandement du détachement; le combat se prolonge; le secrétaire du conseil de reclutement, à moitié mort de peur, se jette et se cache dans un fossé; puis il en sort à plat ventre, et court demander du renfort. La garde nationale arrive bientôt, en même temps que cent soldais piémontais, qui venaient de couper le pont de Civitate, pour barrer la retraite aux brigands; mais ceux-ci se retirent en bon ordre, sans avoir perdu un seul des leurs.

Les brigands égorgent dix-sept buffles et vingt-six vaches appartenant au piémontiste Paolucci, pour qui c'est une nouvelle perle de 3(1,000 francs.

La garde nationale de Vallata rencontre, sur le Formicoso, la bande Andreotti, prend un brigand et le fusille sur place.

268

Divers chefs de bandes, entre autres Galardi, se présentent spontanément aux autorités piémontaises, promettant de guider les troupes jusqu'aux campements des brigands. On s'aperçoit bientôt que ces prétendues soumissions ne sont que des stratagèmes, à l'aide desquels les bandes se grossissent de nouvelles recrues.

Du 21 au 23. Un détachement de cavalerie et de garde nationale atlaque et brûle la ferme de Barcana, près Venosa (Basilicate), où s'est réfugiés la bande de Carbone. Quatre brigands sont tombés dans le combat, et quinze sont brûlés dans la ferme. Onze chevaux tombent au pouvoir des Piémontais, qui ne perdent qu'un homme et n'ont qu'un blessé.

Une forte bande envahit la ferme de Nicastro, territoire de Lucera, et y fait une réquisition de cinquante chevaux.

Dans le bois de Brienza (Basilicate), les gendarmes piémontais et les gardes nationaux rencontrent quatre brigands, dont trois sont tués en se défendant, et l'autre, pris et fusillé.

24. Aux environs de Vallo, principauté de Salerne, court engagement à l'avantage des brigands; plusieurs gendarmes sont tués.

Combat d'Ariano, entre les brigands de la bande Petrozzi et les gardes mobiles.

25. A Ceglie (Rouilles), un bon nombre de réactionnaires armés se réunissent, arborent le drapeau royal napolitain, et défient les troupes piémontaises.

269

Chaque jour amène de nouveaux combats sur le territoire de Bari.

26. Combat d'Orsara.

Les réactionnaires exercent, aux environs de Foggia, de terribles représailles contre les piémontistes.

Le rapport du général La Marmora sur le brigandage ne signalait l'existence que d'environ quatre cents brigands dans le royaume des Deux-Siciles. Le préfet de Foggia publie le tableau nominatif de cinq cent neuf individus, de sa seule province, appartenant aux bandes réactionnaires.

Le préfet de Lecce, par un avis public, promet une récompense de cinq cents francs à quiconque arrêtera un chef de brigands, et deux cents francs à qui arrêtera un simple brigand, un soldat débandé ou un déserteur.

27. Nicolas de Morni est fusillé, à Grottaglie, comma brigand.

Combat de Finelli, près Chieti; un détachement du 48e de ligne bat une petite bande de réactionnaires, lui tue deux hommes, lui prend quatorze chevaux, et fait cinq prisonniers, qui sont fusillés sur place.

28. Cinq fourgons de marée, envoyés de Lesina à Naples, sont confisqués par les brigands, qui prennent aussi les chevaux.

29. Circulaire du ministre de l'intérieur, donnant aux préfets des provinces napolitaines la faculté de dissoudre tous les municipes et toutes les gardes nationales qui refusent de concourir à la destruction des bandes armées.

270

LES LIEUTENANTS SUBALPINS

«... Ici nous voulons établir un gouvernement en donne les garanties d'une vie libre aux peuples, et de probité sévère a l'opinion publique. Je compte sur le concours efficace de tous les honnêtes gens. Partout où la loi met un frein au pouvoir et garantit! liberté, le gouvernement peut autant pour le bien public que le peuple pour la vertu Nous devons démontrer a l'Europe que, si la force irrésistible des événements a surmonté les traités établis pour le malheur séculaire de l'Italie, nous savons restaurer dans la nation unie l'empire de ces dogmes immuables sans lesquels toute société est malade, sans lesquels toute autorité combattue est incertaine....

( Proclamation du roi Victor-Emmanuel aux peuple des Deux-Siciles.)


Ordre du jour du général piémontais Cugia, préfet de Palerme.

Palerme, 20 août 1862.

ARTICLE 1°

Le territoire de l'île de Sicile est mis en état de siège.

ARTICLE 2.

Les généraux commandant les troupes de la division de Palerme et des subdivisions de Messine et de Syracuse, réuniront, dans les limites de leurs circonscriptions respectives, les pouvoirs militaires et civils.

272

ARTICLE 3.

Toute bande armée et toute réunion tumultueuse seront dissoutes par la force.

ARTICLE 4.

Les mêmes pouvoirs sont conférés au général commandant les troupes d'opération, sur le territoire occupé par elles.

ARTICLE 5..

La liberté de la presse est suspendue pour les journaux et autres feuilles volantes. La police procédera à l'arrestation de quiconque imprimera ou distribuera tie semblables feuilles.

Ordre du jour du général piémontais Brignone.

Messine, 22 août 1862.

ARTICLE 1°

Il sera procédé à un désarmement général immédiat dans les provinces de Palerme et dans toute la Sicile.

ARTICLE 2.

Sont prohibées l'exposition et la vente de toute espèce d'armes offensives.

273

ARTICLE 3.

Toutes les armes seront consignées, dans les trois jours, entre les mains de l'autorité.

ARTICLE 4.

Les contrevenants seront arrêtés, et, selon le cas, fusillés.

Ordre du jour du général piémontais

de La Marmora, préfet de Naples.

Naples, 85 août 1862

ARTICLE 1°

Le territoire des seize provinces napolitaines et des Iles qui en dépendent est mis en état de siège.

ARTICLE 2.

Les généraux commandants de divisions ou de zones militaires réuniront les pouvoirs politiques et militaires, dans les limites de leurs circonscriptions territoriales respectives.

ARTICLE 3.

Tout attroupement factieux et toute réunion tumultueuse seront dissous par la force.

274

ARTICLE 4.

Le port ou la détention non autorisée d'armes de toutes sortes est défendu, sous peine d'arrestation. Les détenteurs d'armes devront donc les consigner, dans les trois jours qui suivront la publication de cet arrêté, entre les mains de l'autorité militaire dont ils dépendant.

ARTICLE 5°.

Nulle impression typographique, publication ou distribution de journal, feuilles volantes ou semblables, ne peut avoir lieu sans une autorisation spéciale de l'autorité politique du lieu, laquelle aura en outre la faculté de saisir, suspendre ou supprimer quelque publication que ce soit.

Ordre du jour du député Gaetan del Giudice, préfet de la Capitanate.

Foggia. 18 avril 1862.

Pour hâter l'extinction du brigandage, le préfet est dans l'intention ds recourir à la coopération des garde? à cheval des propriétés privées. Désunis, ils ne peuvent rien, ni pour eux-mêmes, ni pour ceux qu'ils servent; et d'ailleurs, devant le nombre toujours croissant des voleurs, ils ont été forcés d'abandonner les campagnes et de se renfermer dans les villes.

275

J'ai pensé à en former des escouades, qui pourront rendre d'importants services à la sécurité publique, vu la pratique qu'ont ces hommes des sentiers les plus écartés. Les propriétaires, j'en suis sûr, ne manqueront pas de'se rendre à cette invitation du gouvernement. J'ai engagé le commandant de la province, colonel Materazzo, à recueillir les noms de ceux qui se présenteront et à les organiser par escouades. Les gardes doivent avoir des armes et un cheval.

Les premiers citoyens ont volontairement ouvert une souscription pour subvenir aux frais de cette nouvelle milice, et, en deux jours, dans la seule ville de Foggia, elle a atteint le chiffre de 5,000 ducats. Les autres villes suivront ce patriotique exemple. Ainsi les forces vives du pays en se réunissant pourront nous rendre promptement la sécurité intérieure que nous avons perdue (1).

(1) On sait que le gouvernement subalpin a décrété des souscriptions volontaires en faveur des victimes du brigandage. Cet ordre du jour préfectoral et ce décret ministériel ne sont-ils pas d'irréfutables aveux d'impuissance?

275

Ordre du jour du directeur de la police

de Païenne, Achille Basile.

Palerme, 4 janvier 1862, 8 h. du matin.

Citoyens,

Un officier de l'armée royale, venant de Castellammare, apporte les nouvelles suivantes:

«Les troupes commandées par le major-général Quintini, débarquées à Castellammare, ont attaqué les insurgés qu'ils ont mis en fuite. D'autres troupes ont été expédiées, ce matin, pour achever de détruire entièrement tout vestige de rébellion. Déjà on procède à de rigoureuses exécutions à Castellammare.

» Continuez à garder votre calme habituel, et comptez sur la sollicitude et l'énergie du gouvernement.»

Ordre du jour du lieutenant-colonel piémontais Fantoni, commandant les troupes de Lucera.

Lucera, 9 février 1862.

État-major du détachement du 8e régiment de ligne eu garnison à Lucera.

En exécution des ordres de M. le préfet de la Capitanate, ayant pour but d'arriver par les moyens les plus efficaces à la prompte destruction du brigandage.

Le soussigné arrête:

277

ARTICLE 1° .

Dorénavant personne ne pourra entrer dans les bois de Dragonara, de Sant'Agata, de Selvanera, du Gargano, de Santa Maria, de Pietra, de Motta, de Volturara, de Volturino, de Sammarco La Catola, de Celenza, de Carlentino, de Biccari, de Vetruscelle et de Caserotte (1).

ARTICLE 2.

Chaque propriétaire, intendant ou fermier sera tenu, immédiatement après la publication du présent avis, de faire retirer desdites forêts tous les travailleurs, bergers, chevriers, etc., qui s'y pourraient trouver, ainsi que les troupeaux; ils seront tenus également d'abattre toutes les bergeries et les cabanes qui y ont été dressées.

ARTICLE 3.

Dorénavant personne ne pourra importer des pays voisins aucun comestible à l'usage des paysans, et les paysans ne pourront avoir en leur possession que la quantité de vivres nécessaire à la nourriture d'une journée pour chaque personne de leur famille.

(1) Il faut connaître la situation topographique des bois ci-désignés pour comprendre toute l'horreur de cet ordre du jour féroce. Des millions d'habitants, appartenant aux Abruzzes, aux Fouilles et au comté de Molise, vivent littéralement du rapport de ces bois. La défense d'y pénétrer équivaut à un arrêt de mort, de mort par inanition, puisque, en outre, ces bois barrent presque entièrement la terre de Naples.

278

ARTICLE 4.

Les contrevenants an présent ordre, exécutoire deux jours après la publication, seront, sans exception de temps, de lieu ou de personne, traités comme des brigands, et comme tels, fusillés (1).

En publiant le présent ordre, le soussigné invite les propriétaires à en donner promptement connaissance aux personnes qu'ils emploient, afin qu'elles puissent se mettre en mesure d'éviter les rigueurs dont elles sont menacées, les avertissant en même temps que le gouvernement sera inexorable dans leur application.

Ordre du jour du commandant piémontais Fumel.

Ciro, 12 février 1862.

Le soussigné, chargé de la destruction du brigandage, annonce que quiconque donnera asile ou des moyens de subsistance ou de défense aux brigands sera instantanément fusillé, ainsi que ceux qui, voyant les brigands ou sachant l'endroit de leur demeure, n'en donneront pas connaissance à la force publique, ou aux autorités civiles et militaires.

(1) Un ministre piémontais disait en riant à un diplomate anglais qui blâmait sévèrement les ordres du jour des lieutenants subalpin»: «Le» Deux-Siciles, ce sont nos Indes, a nous!»

279

Il est bon que, pour la garde des animaux, on établisse plusieurs centres avec une force armée suffisante; car le cas de force majeure ne sera pas considéré comme une excuse valable.

Toutes les chaumières doivent être brûlées; les tours et les maisons de campagne, qui ne sont pas habitées ou occupées par la force, doivent être découvertes en trois jours, ou l'on doit en murer toutes les portes. Après ce terme elles seront brûlées, et seront tués tous les animaux qui ne seront pas gardés par une force suffisante.

Il est aussi défendu de porter du pain ou des vivres hors des murs de la commune, et quiconque contreviendra à cet ordre sera considéré comme complice des brigands. Provisoirement, et pour cette circonstance, les maires sont autorisés à accorder des ports d'armes sous la responsabilité des propriétaires qui en feront la demande.

La chasse aussi est provisoirement interdite, et l'on ne pourra faire f*eu que pour donner avis aux postes armés de la présence ou de la fuite des brigands.

La garde nationale est responsable du territoire de sa propre commune. Plusieurs propriétaires de Longobucco ont fixé une récompense de six cents ducats pour la destruction de la bande Palmo.

Le soussigné ne reconnaît aujourd'hui que deux partis: brigands et contre-brigands. Ceux qui veulent rester indifférents seront considérés comme brigands, et des mesures énergiques seront prises contre eux, car c'est un crime de se tenir à l'écart dans les cas d'urgence.

280

Ordre du jour du commandant piémontais Fumel.

Celico, 1" mars 1862.

Le soussigné, chargé de la destruction du brigandage, promet une récompense de cent francs par brigand qu'on lui amènera mort ou vif.

Pareille récompense, en outre de la vie sauve, sera donnée au brigand qui aura tué un de ses compagnons.

Le soussigné notifie qu'il fera immédiatement fusiller quiconque donnera aux brigands soit un asile, soit un moyen quelconque de subsistance ou de défense. Sera fusillé immédiatement quiconque, ayant vu des brigands ou connaissant le lieu de leur retraite, n'en aura pas donné sans retard avis à la force publique et aux autorités civiles et militaires.

Toutes les meules de paille doivent être brûlées. Les tours et les maisons de campagne qui sont habitées et gardées doivent être découvertes dans les trois jours, et avoir leurs ouvertures murées. Passé ce délai, elles seront brûlées, de même que seront abattus tous les animaux que ne protégera pas la force publique.

Il reste interdit de porter hors du village du pain et quelques vivres que ce soient; le contrevenant sera considéré comme complice des brigands.

L'exercice de la chasse est prohibé.

La garde nationale est responsable sur le territoire de sa commune.

281

Le soussigné n'entend voir en cette circonstance que des brigands et des contre-brigands. Aussi considèrera-t-il comme brigands tous ceux qui resteront indifférents et prendra-t-il contre eux d'énergiques mesures.

Seront considérés comme brigands les soldats débandés qui ne se seront pas présentés dans un délai de quatre jours (1).

Ordre du jour du général piémontais Bojolo (2), commandant des troupes actives dans la province de Capitanate.

Foggia, 29 août 1862.

Par suite de la déclaration de l'état de siège, j'assume dans cette province les pouvoirs politiques et militaires, et me prévalant des pouvoirs à moi conférés par la susdite proclamation, j'ordonne ce qui suit:

ARTICLE 1er,

Il est défendu à qui que ce soit de vendre des armes et des munitions de guerre d'aucune sorte.

(1) Un membre du Parlement anglais a qualifié ces ordres du jour de chefs-d'œuvre d'inhumanité.

(2) Le nom de ce lieutenant subalpin a pour étymologie Bnja, qui veut dire bourreau.

282

ARTICLE 2.

Le port et la détention non autorisés d'armes et munitions de toutes sortes sont défendus sous peine d'arrestation.

ARTICLE 3.

Sera considéré comme complice du brigandage et puni comme tel (c'est-à-dire fusillé), quiconque sera trouvé porteur d'armes, ou de munitions, ou de vivres, ou de vêtements, enfin de tontes choses destinées à être données en rançon aux brigands.

ARTICLE 4.

Dans chaque ville ou village, de onze heures du soir jusqu'à quatre heures du matin, il est défendu de parcourir les rues et les routes sans une permission spéciale de l'autorité militaire, ou sans de graves motifs parfaitement justifiables. Dans les pays où il n'y a pas de troupes, cee permissions seront données par les maires.

ARTICLE 5.

Toute personne en voyage devra être munie d'une carto de circulation, sans quoi elle sera arrêtée. Les boulangeries éparses dans les campagnes seront fermées à partir du premier septembre, et, à partir de ce jour, les ustensiles qu'on y trouvera seront saisis, et les personnes qui y servent seront mises en état d'arrestation.

283

J'espère que les gardes nationales joindront leurs efforts 'à ceux de la troupe pour parvenir dans le plus bref délai au but si désiré par tous (1).

Ordre du jour du commandant piémontais Martini.

Montesantangelo (2), 16 septembre 180-2.

Tous les propriétaires, fermiers, laboureurs, bergers, abandonneront leurs propriétés, leurs bestiaux, leur? champs, leurs industries, tout enfin, et se retireront dans les vingt-quatre heures, dans les pays où ils ont domicile.

Ceux qui ne se conformeront pas au présent ordre seront arrêtés et conduits en prison.

Ordre du jour du commandeur Nicolas de Luca, préfet de la province d'Avellino.

Avellino, 11 octobre rca.

Dans le but de mettre un terme au brigandage, et aussi afin d'empêcher qu'il ne reçoive ultérieurement

(1) On comprend l'excès de zèle de la plupart des lieutenants subalpins, quand on sait que le général della Chiesa, commandant les provinces du Salerne et Basilicale, et le général Doda, commandant la Capitanate, ont été mis en disponibilité pour n'avoir pas montré assez if énergie dans la destruction du brigandage. Pour les mêmes raisons, le colonel Brienzi, commandant militaire des Fouilles,»st également mis en disponibilité. Mars 1862.

(2) Pouilles.

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des secours d'hommes, d'armes, de vivres et d'argent, le soussigné invite les maires à observer et faire observer les suivantes dispositions, en leur donnant la plus grande publicité.

ARTICLE 1er.

Les maires et les commandants des gardes nationales sont tenus, sous la plus sévère responsabilité, de désigner dans un délai de six jours, au préfet de la province, tous ceux qui sont en connivence ou en correspondance avec les brigands de leur commune. La faculté de les désigner est également attribuée à tout honnête citoyen, quand toutefois il pourra irréfragablement prouver qu'il appartient à la classe de ceux qui auraient le devoir de dénoncer les susdits.

ARTICLE 2.

Est remise en vigueur la circulaire préfectorale enjoignant aux maires de dresser le tableau de tous les absents, en indiquant le lieu de leur séjour et le motif de leur absence. Ce tab'eau devra être dressé dans les cinq jours, et copie en sera envoyée au préfet, aux sous-préfets, et. aux commandants militaires de l'a province. Une colonne sera laissée en blanc, pour ajouter les noms des individus qui s'absenteraient après la formation de celte liste, dans lequel cas ils devraient être immédiatement dénoncés aux autorités susdites. Cette liste comprendra aussi les noms des brigands connus.

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ARTICLE 3.

Les autorités locales devront procéder promptement à l'arrestation ou à l'interrogatoire des brigands et des individus qui, après une absence non justifiée, reviendront dans leur commune.

ARTICLE 4.

Les mêmes autorités devront encore procéder indistinctement à l'arrestation des parents des brigands et voleurs occultes, jusqu'au troisième degré civil, à moins qu'il ne donnent des indications utiles pour découvrir et arrêter leur parent brigand, et que quatre bons citoyens ne garantissent personnellement leur conduite (1).

ARTICLE 5.

Les troupes en tournée fouilleront minutieusement toutes les maisons de campagne, et arrêteront ceux qui détiendraient des objets criminels ou des armes sans autorisation.

ARTICLE 6.

Tout laboureur, qui ira travailler aux champs, devra se munir d'un certificat signé de son maire, où seront indiqués de la façon la plus claire son signalement, l'endroit où est situé le champ qu'il cultive, et le genre de travail qu'il accomplit, afln que les brigands, arrêtés par la force légitime, ne puissent impunément mentir en se déclarant laboureurs.

Tout paysan est responsable pour ses enfants mineurs, pour les femmes et pour les domestiques qui porteraient des vivres ou des munitions aux malfaiteurs.

(1) A première lecture, on n'en croit pas ses yeux.

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ARTICLE 7.

Seront sévèrement punis les laboureurs qui, allant travailler aux champs, emporteraient avec eux plus de vivres qu'il n'en faut pour un seul repas. Les mêmes peines (1) seront appliquées aux paysans qui, avant do semer des céréales quelconques, ne les enduiront pas Je chaux, pour empêcher qu'elles servent do nourriture aux brigands.

ARTICLE 8.

Toutes les maisons de campagne devront être closes et murées dans le délai absolu de quinze jours; les paysans qui les habitent actuellement devront rentrer dans leur commune, oïl, par les soins et sous la responsabilité du conseil municipal, ils seront pourvus d'un logement s'ils n'en ont pas.

Dans lu même délai, ces paysans transporteront dans leur nouvelle habitation tous li urs effets, fourrages, récolte?, et aussi leurs bestiaux qui, en raison de l'espèce et du nombre, seront enfermés dan.3 l'enceinte de la commune, ou dans un endroit assez rapproché pour qu'ils soient en sûreté et ne servent pas de proie et nourriture aux brigands. Tout propriétaire de bestiaux se conformera strictement à cette prescription.

ARTICLE 9.

Les maires, les officiers et soldats de la garde nationale, seront tenus de rembourser les dommages causés par un nombre moindre de dix brigands, ou quand ils ne seront pas accourus à temps pouf les prévenir, ou que ces dommages se seront produits dans le voisinage des habitations,

(1) Lesquelles?.., Cela ne se dit pas, hélas! et se devine!..

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ou qu'avertis ils ne se seront pas empressés de purger leur territoire d'un nombre si restreint de malfaiteurs.

Toute exagération du nombre susdit, tendant à excuser l'inobservation de cette disposition, sera sévèrement punie.

ARTICLE 10.

Seront immédiatement arrêtés, désarmés, rayés des registres de la garde nationale, et destitués de tout emploi public, civil ou ecclésiastique, tous ceux qui refuseront de se rendre aux réquisitions des autorités militaires, aussi bien que des autorités politiques et municipales.

ARTICLE 11.

Des mesures rigoureuses et exceptionnelles (1) seront adoptées contre les espions, recéleurs et correspondants des brigands, ou contre ceux qui seront en possession d'objets incriminés.

ARTICLE 12.

Ceux qui, sans preuves irréfutables, seront néanmoins suspects d'être correspondant?, recéleurs ou espions des brigands, devront être attentivement surveillés.

La même surveillance devra se porter sur le clergé, sur l'attitude duquel il sera hebdomadairement adressé un rapport au préfet, aux sous-préfets et commandants militaires, et des rapports extraordinaires dans les cas graves qui appellent de promptes mesures.

(1) Lesquelles?...

288

En même temps, seront signalés à la reconnaissance publique, les prêtres qui, dans l'exercice de leur pieux ministère, prêcheront d'exemple et de conseils l'obéissance au gouvernement, et combattront par la parole les excès de toute sorte qui peuvent troubler la tranquillité publique et privée.

Ordre du jour de M. G. Gemelli, préfet de la province d'Otrante.

Lecce, 23 octobre. 1863.

Il est urgent d'en finir avec les brigands. Dans ce but les suivantes dispositions devront être observées:

ARTICLE 1ER.

Dans chaque commune, et dans le délai de cinq jours, il sera dressé par les maires et les commandants des gardes nationales deux tableaux, l'un de tous ceux qui firent partie des bandes de brigands, ou en furent les fauteurs, les complices, les recéleurs et les correspondants d'une manière quelconque; l'autre de toutes les personnes absentes de leur commune sans un but connu.

ARTICLE 2.

Ces tableaux seront immédiatement transmis au préfet, aux sous-préfets, au commandant militaire de la province et au major commandant la gendarmerie à Lecce.

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ARTICLE 3.

Après cette transmission, toutes les gardes nationales seront immédiatement mises en mouvement. De forts détachements parcoureront, sans autre formalité, le territoire de chaque commune, donnant la chasse aux brigands et se tenant en communication directe entre elles et avec le colonel Marcheti, commandant les colonnes mobiles d'infanterie à Tarente; ainsi que le prescrit la circulaire du 21 courant.

ARTICLE 4.

Les gardes nationales en tournée pourront passer du territoire d'une commune sur une autre sans autorisation préalable du préfet, et les administrations municipales des communes les plus menacées pourront, soit de leur propre ressource, soit en faisant contribuer les propriétaires à l'aide de souscriptions volontaires (1), soit par tout autre moyen, venir en aide aux soldats fatigués ou pauvres.

ARTICLE 5.

Outre le service de tournées, il y aura le service de détachement, qui sera ordonné par le préfet ou le souspréfet, et rémunéré par l'État.

ARTICLE 6.

S'il arrive que plusieurs détachements ou colonnes aient à agir de concert, le commandement appartiendra a l'officier le plus élevé en grade, et en cas d'égalité de grade, au plus âgé.

(1) Voilà de l'impudence poussée jusqu'à la démence! On peut apprécier après cela quel enthousiasme préside, dans le royaume d'Italie, à la libre expression de toute volonté.

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ARTICLE 7.

En même temps, il sera procédé à l'arrestation ou à la recherche:

1° Des complices des brigands et des vagabonds de toute sorte;

2° De ceux qui auront donné asile aux brigands;

3° Des réfractaires et des soldats débandés;

4° Des porteurs et détenteurs d'armes sans autorisation;

5° Des parents des brigands jusqu'au troisième degré, à moins que quatre citoyens recommandables n'en certifient la bonne conduite;

6° Des propagateurs de fausses alarmes et de fausses nouvelles;

7° De ceux qui, s'étant absentés de leur commune, y reviendraient sans justifier du motif de leur absence.

ARTICLE 8.

Pourront également être arrêtés ou recherchés tous ceux qui, sans être évidemment fauteurs ou espions du brigandage, seraient néanmoins réputés tels par l'opinion; ou qui susciteraient et conseilleraient occultement la désobéissance aux ordres émanés de l'autorité pour la répression du brigandage. Dans de tels cas, cependant, l'arrestation devra être directement ordonnée par le préfet, ou délibérée entre le maire, le commandant de la garde nationale et le commandant de la gendarmerie.

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ARTICLE 9.

Le clergé régulier ou séculier pourra également être sujet à l'arrestation comme aux perquisitions, et il sera activement surveillé.

ARTICLE 10.

Les mesures suivantes seront adoptées dans les communes les plus menacées:

1° Défense aux propriétaires, fermiers, laboureur.?, serviteurs à gage et autres, d'aller dans les champs ou d'y travailler sans être munis d'une carte de sûreté délivrée par le maire, portant tous les signalements accoutumés;

2° Fermer et murer, au frais des propriétaires, les fermes et les maisons de campagne, après en avoir enlevé toute récolte, comestible?, fourrage, et avoir transféré les bestiaux dans des lieux où ils soient moins exposés à être volés;

3° Forcer la main aux propriétaires qui s'y refuseraient par des moyens administratifs et expéditifs.

Il est donné ample faculté aux commandants des gardes nationales d'infliger, en dehors des conseils de discipline, aux officiers et soldats qui refuseraient d'obéir à leur appel, les peines portées par l'article 118 de la loi du 4 mai 1848, outre la privation de grade, le désarmement et l'expulsion du corps.

De telles mesures répugnent peut-être (1) à la civilisation actuelle; mais aux grands maux les grands remèdes!

(1) Peut-être!...

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Ordre du jour du député Gaétan del Giudice, préfet de la Capitanate.

Foggia, 28 avril 1862, 6 h. du soir.

Hier, la colonne expéditionnaire commandée par le général Ferrero s'est rencontrée avec le gros de la bande de Nunzio Tamburini, près de la ferme de Barretta. Tamburini s'était séparé de sa bande, quelques jours avant, avec cinq de ses hommes. Il en restait dix-huit. Chargés par un peloton de lanciers de Montebello que commandait le lieutenant Mussi, les brigands se dispersèrent laissant trois morts et six prisonniers. Quatre de ces derniers ont été passés par les armes ce matin, à San Leonardo, les deux autres dans l'après-midi, à Foggia. Parmi les morts, la garde nationale de Manfredonia a reconnu Gabriel Calasso et Pascal Gioffreda, surnommé Giordaniello. La troupe continuera à battre les campagnes jusqu'à l'extermination complète des malfaiteurs.

Voici maintenant la liste des brigands fusillés à Ascoli des Fouilles, le 23 de ce mois d'avril:

1° Thomas Melcangi, empailleur, âgé de 19 ans, natif de Cerignola;

2° Fidèle Festo, réfractaire, âgé de 22 ans, de Montecalvo;

3° Michel Marinaccio, réfractaire, âgé de 22 ans, de Savignano;

4° Matteo Conti, réfractaire, âgé de 22 ans, de Deliceto;

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5° Antoine Santarelli, réfractaire, àgé de 21 ans, de Casaltrinita ;

6° Gaétan Macone, àgé de 24 ans, de Montagnto ;

7° Gaétan d'Amato, àgé de 26 ans, de Montaguto;

8° Francois Lena, àgé de 10 ans, d'Andretta, près Avellino;

9° Laurent Saporito, ago de 25 ans, de Pratola, près Ave! lino;

10° Jacques Giliberti, àgé de 33 ans, de Trani;

11° Ruggiero Cappeggia, àgé de 40 ans, de Barletta;

12° Felix Barucci, àgé de 24 ans, de Trani ;

13° Donato Volpi, agé de 25 ans, de Castiglione, près Chieti;

14° Angelo Valentino, àgé de 29 ans, de Zapponeto;

15° Vito Ciottariello, àgé de 27 ans, de Laviano;

16° Pascal Rafìno, àgé de 26 ans, de Barletta;

17° Ruggiero Boraccino, àgé de 27 ans, de Barletta;

18° Bernardino de Simone, àgé de 19 ans, de Mirabella;

19° Benjamin Spinelli, àgé de 21 ans, deCaposele;

20° Joseph Defurio, àgé de 26 ans, d'Ariano;

21° Francois Luiso, àgé de 24 ans, de San Giorgio.

Ce qui, ajouté aux six premiers, forme un total de vingt-sept hommes fusillés.

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Circulaire du général piémontais comte Mazé de la Roche, commandant en chef des troupes actives de la Capitanate et de l'état de siège.

(Confidentielle)

A Messieurs les commandants de corps et de détachements.

Foggia, 1er octobre 1861.

Le soussigné a quelques raisons de croire que tous les militaires placés sous ses ordres ne sont pas pénétrés de la mission de l'armée dans ces provinces; s'il est 'vrai que cette mission exige malheureusement trop l'application de mesures de rigueur, elle n'exclut pas toutefois les moyens propres à relever l'esprit des populations, et spécialement de la classe la plus misérable et considérée comme la plus abjecte, c'est-à-dire des cultivateurs et des bergers. La mission civilisatrice du soldat d'un gouvernement libre est de montrer, môme à la classe infime, par la cordialité des rapports, comme un reflet du soin paternel que l'État a de tous les citoyens indistinctement. Cela, je le répète, n'exclut pas la plus ferme altitude quand elle est nécessaire pour obtenir tout ce qui a rapport aux soldats, ou tout ce qui peut être utile aux opérations exigées pour la sûreté publique. Cela n'exclut point, comme j'ai dit p^us haut, l'application des plus. Lévères mesures et je dirai même des mesures extrêmes de rigueur.

295

Mais cependant il ne faut jamais s'abandonner à d'injurieuses et dégradantes qualifications se rapportant à une population entière, ou à une catégorie de citoyens, pas plus qu'à de mauvais traitements provoqués souvent par cela seul qu'on ne comprend pas le dialecte des habitants, quand eux-mêmes, à plus forte raison, ne comprennent pas le nôtre, et entendent à peine la langue italienne (1).

Les commandants des corps placés sous mes ordres sont donc invités à faire en sorte que leurs inférieurs do tout grade se conforment scrupuleusement aux intentions du soussigné, qui, en quelque sorte, les en rendra responsables, et qu'ils comprennent que ce qu'on attend d'eux n'est pas une attitude de mansuétude poussée jusqu'à la. faiblesse, mais que l'on veut exclure d'inutiles et insultantes duretés.

Dans les prisons gisent un grand nombre d'individus à l'égard desquels on ne sait quelle mesure prendre, parce que l'on n'a absolument aucune donnée sur leur incarcération, si ce n'est 1 imputation vague de connivence avec le brigandage. Souvent même il se voit que des individus ainsi arrêtés démontrent jusqu'à l'évidence qu'eux mêmes, au contraire, ont été victimes des brigands d'abord, et ensuite de dénonciateurs par vengeance particulière.

(1) Ces mois, dans la bouche d'un jargonneur subalpin, provoquent lu fou rire chez tous ceux qui ont visité les Deux-Siciles, ou qui seulement ont pu comparer la langue italienne avec le patois piémontais.

296

Outre l'affront que reçoit l'autorité en les mettant en liberté, à moins de s'obstiner dans un évident déni de justice, ces individus augmentent le nombre des ennemis du gouvernement par lequel ils sont traités si arbitrairement. Ensuite l'autorité supérieure elle-même fait triste figure, n'ayant aucune donnée en main pour prouver leur culpabilité, et parfois ignorant pendant longtemps le motif de leur arrestation, qu'il soit ou non fondé.

Les commandants de corps ou de détachements sont donc invités à joindre toujours au procès-verbal des arrestations qu'ils opèrent, un rapport succinct sur les faits qui donnent au moins la possibilité de prouver la culpabilité du détenu.

Bien entendu qu'à l'égard des brigands pris les armes à la main ou en flagrant délit de rançonnement, d'espionnage ou d'asile donné aux malfaiteurs, on continuera toujours, comme par le passé à se servir de mesures extrêmes, le commandant de la force qui aura opéré l'arrestation on la capture en assumant la responsabilité sans qu'il ait besoin d'aucune autorisation.

Enfin, le soussigné sait que, dans les tournées ou dans l'occupation militaire des fermes, les soldats se permettent de s'approprier furtivement des volailles et autres comestibles, donnant ainsi mauvaise opinion d'eux-mêmes aux habitants, qui, dans de tels actes d'arbitraire, peuvent reconnaître la répétition des rapines que nous sommes au contraire appelés à réprimer.

Sur ce point aussi, j'appelle l'attention des commandants de corps, de détachements ou de colonnes mobiles que je rendrai d'ailleurs pécuniairement responsables des dommages justement signalés.

297

Il est évident que quand la troupe a besoin de vivres, elle doit en prendre où elle en trouve; mais c'est le commandant qui doit faire régulièrement les réquisitions, et jamais le soldat arbitrairement.

Ordre du jour de M. de Ferraris, préfet de la Capitauate.

Foggia, 14 mars 1863.

A partir de demain , la guerre aux malfaiteurs sera reprise de plus belle sur tous les points de la province. Les gardes nationales parcourront le territoire de leurs communes; les carabiniers et les troupes les soutiendront vivement au besoin.

Tous les animaux qui sont dans la campagne seront de suite concentrés en un petit nombre de localités pour être protégés plus facilement; toutes les petites fermes seront abandonnées sans vivres, sans fourrages et solidement closes.

Personne ne pourra aller dans la campagne?ans un permis signé du maire et légalisé par le commandant des carabiniers.

Personne ne pou»ra emporter des vivres, des provisions, des armes on des munitions sans l'autorisation écrite du maire et sans une escorte suffisante.

Quiconque contreviendra à ces dispositions sera aussitôt arrêté comme fauteur du brigandage, et mis en prison à ma disposition.

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Syndics et délégué» tiendront exactement informées la préfecture et les sous-préfectures de l'exécution de la guerre sainte qui, grâce aux efforts de tous, sera courte et définitive.

Nous ne ferons suivre ce rare amas d'audacieuses monstruosités que de quelques mots empruntés à un italianissime, le député Crispi, séance parlementaire du 20 novembre:

-

«Je répète que les ordres du jour des généraux piémontais rappellent ceux des généraux autrichiens et surpassent ceux des généraux bourbonniens.»

299

FRANÇOIS II

Il y avait une fois un roi et une reine....

Ordre du jour du Roi aux troupes de la citadelle de Messine.

Gaëte, 14 septembre 1860.

Soldats,

Loin de vous et des braves et loyaux officiers qui vous commandent, j'éprouve le plus vif désir de vous exprimer la satisfaction que me causent la bonne tenue et le zèle de la garnison au milieu des circonstances actuelles.

300

Les privations et les fatigues que vous avez endurées, celles que vous supporterez probablement encore dans l'avenir augmenteront votre gloire et feront la réputation des armées napolitaines.

Obéissez toujours aux ordres de vos supérieurs, c'est la première condition pour obtenir la victoire. Souvenez-vous que, roi-soldat, j'ai été élevé au milieu de vous, et que mon cœur palpite de joie à la seule pensée de vos succès. Sachez, en outre, que vous êtes appelés à défendre une forteresse historique.

Toutes mes pensées sont pour vous. Courage! le ciel bénira vos armes, et, un jour, vous pourrez dire avec orgueil: J'étais, en 1 860, un des défenseurs de Messine.

Signé, FRANÇOIS.

Proclamation du Roi à ses peuples.

Naples, 6 septembre 1860.

De tous les devoirs d'un Roi, ceux des jours de revers sont les plus grands et les plus solennels. Je compte remplir avec une résignation exempte de faiblesse, avec un esprit calme et confiant, ceux qui sont imposés au descendant de tant de monarchies.

A cette fin, j'élève encore une fois la voix pour parler au peuple de cette ville, dont je dois m'éloigner avec regret.

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Une guerre injuste, contraire au droit des gens, a envahi nos États, quoique je fusse en paix avec toutes les puissances de l'Europe.

Mes réformes gouvernementales, mon adhésion aux grands principes nationaux et italiens n'ont pu l'éloigner; de plus la nécessité de défendre l'intégrité de l'État a entraîné avec elle des événements que j'ai toujours déplorés. Je proteste solennellement contre ces hostilités inqualifiables, sur lesquelles l'âge présent et l'avenir prononceront leur sévère jugement.

Le corps diplomatique résidant auprès de moi sait, depuis le commencement de cette invasion, de quels sentiments mon esprit était animé pour mes peuples et pour cette illustre cité que j'aurais voulu garantir de la ruine et de la guerre; j'aurais voulu de même sauver les habitants et leurs propriétés, les temples sacrés, les établissements publics, les musées, tout enfin ce qui forme le patrimoine de sa civilisation, de sa grandeur, et qui appartient aux générations futures, dominant les passions d'un moment.

302

J'ai parlé; maintenant, il faut agir; la guerre approche des murs de cette ville, dont je m'éloigne avec douleur pour me transporter, avec une partie de mon armée, où la défense de mes droits réclame ma présence.

L'autre partie restera ici pour veiller, de concert avec l'honorable garde nationale, à la sécurité et à l'inviolabilité de la capitale, que je recommande comme un palladium au zèle du ministère. Je confie à l'honneur et au civisme du syndic de Naples et du commandant de cette même garde nationale le soin d'éviter à cette chère patrie les horreurs des désordres intérieurs et les désastres de la guerre voisine; à cette fin je leur donne les pouvoirs les plus étendus.. Descendant d'une dynastie qui, pendant cent vingt-six ans, régna sur ces contrées après les avoir délivrées d'un long gouvernement vice-royal, mes affections sont ici. Je suis Napolitain, et je ne puis sans douleur adresser des paroles d'adieu à mes peuples bien-aimés, à mes chers compatriotes.

Quel que soit mon destin, prospère ou adverse, je conserverai toujours d'eux un souvenir ineffaçable. Je leur recommande l'union, la paix et l'accomplissement de leurs devoirs de citoyens.

303

Qu'un dévouement excessif à ma couronne ne devienne pas une cause de troubles. Si le sort de la présente guerre me ramène au milieu de vous, si, dans un temps plus éloigné qu'il plaira à la justice divine de fixer, je reprends le trône de mes ancêtres devenu plus illustre par les libres institutions dont je l'ai entouré, je n'ai qu'un désir, c'est de retrouver mon peuple uni, puissant et heureux.

Signé, FRANÇOIS.

MANIFESTE DU ROI A SES PEUPLES

Gaëte, s décembre 1860.

Peuples des Deux-Siciles,

De cette place où je défends plus que ma couronne, l'indépendance de la patrie commune, votre souverain élève la voix pour vous consoler dans vos misères et vous promettre des temps plus heureux. Trahis également, également dépouillés, nous nous relèverons ensemble de nos infortunes. L'œuvre de l'iniquité n'a jamais duré longtemps et les usurpations ne sont pas éternelles.

J'ai laissé tomber dans le mépris les calomnies, j'ai regardé avec dédain les trahisons, tant que trahisons

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et calomnies se sont attaquées seulement à ma personne. J'ai combattu non pour moi, mais pour l'honneur du nom que nous portons. Mais quand je vois mes sujets bien-aimés en proie à tous les maux de la domination étrangère, quand je les vois, peuples conquis, porter leur sang et leurs biens en d'autres pays, foulés aux pieds par un peuple étranger, mon cœur napolitain bat d'indignation dans ma poitrine, et je suis consolé seulement par la loyauté de ma brave armée, par le spectacle des nobles protestations qui, de tous les points du royaume, s'élèvent contre le triomphe de la violence et de la fourberie.

Je suis Napolitain; né parmi vous, je n'ai pas respiré un autre air, je n'ai pas vu d'autres pays, je ne connais pas d'autre sol que le sol natal. Toutes mes affections sont dans le royaume; vos coutumes sont mes coutumes, votre langue est ma langue, vos ambitions sont mes ambitions. Héritier d'une antique dynastie qui, pendant longues années, régna sur ces belles contrées après en avoir reconstitué l'indépendance et l'autonomie, je ne viens pas, après avoir dépouillé les orphelins de leur patrimoine et l'Église de ses biens, m'emparer parla force étrangère la plus délicieuse partie de l'Italie.

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Je suis un prince qui est votre, et qui a tout sacrifié à son désir de conserver parmi ses sujets la paix, la concorde et la prospérité.

Le monde entier l'a vu: pour ne point verser le sang, j'ai préféré risquer ma couronne. Les traîtres, payés par l'ennemi étranger, s'asseyaient dans mon conseil, à côté des fidèles serviteurs; dans la sincérité de mon cœur, je ne pouvais croire à la trahison. Il m'en coûtait trop de punir; je souffrais d'ouvrir après tant de malheurs une ère de persécutions; et ainsi la déloyauté de quelques-urs et ma clémence ont facilité l'invasion, qui s'est opérée par le moyen des aventuriers, paralysant la fidélité de mes peuples et la valeur de nos soldats.

En butte à de continuelles conspirations, je n'ai pas fait verser une goutte de sang; et l'on a accusé ma conduite de faiblesse. Si l'amour le plus tendre pour mes peuples, si l'horreur instinctive du sang méritent ce nom, oui, certes, j'ai été faible. Au moment où la ruine de mes ennemis était sûre, j'ai arrêté le bras de mes généraux pour ne pas consommer la destruction de Palerme. J'ai préféré abandonner Naples, ma maison, ma capitale chérie, sans être chassé par vous,

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pour ne pas l'exposer aux horreurs d'un bombardement comme ceux qui ont eu lieu plus tard à Capoue et à Ancône. J'ai cru de bonne foi que le roi de Piémont, qui se disait mon frère et mon ami, qui me protestait qu'il désapprouvait l'invasion de Garibaldi, qui négociait avec mon gouvernement une alliance intime pour les vrais intérêts de l'Italie, n'aurait pas rompu tous les traités et violé toutes les lois pour envahir mes États en pleine paix, sans motifs ni déclaration de guerre. Ce sont là mes torts; je préfère mon infortune aux triomphes de mes adversaires.

J'avais donné une amnistie, j'avais ouvert les portes de la patrie à tous les exilés, j'avais accordé à mes peuples une constitution; je n'ai certes point manqué à mes promesses. Je me préparais à garantir à la Sicile des institutions libres qui auraient consacré, avec un parlement séparé, son indépendance administrative et économique, et écarté d'un seul coup tous les motifs de défiance et de mécontentement. J'avais appelé dans mes conseils les hommes qui me semblaient les plus acceptables par l'opinion publique en ces circonstances, et autant que me l'a permis l'incessante agression dont je suis devenu la victime, j'ai travaillé avec ardeur aux réformes, au progrès,

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à la prospérité de notre commun pays.

Ce ne sont pas les discordes intestines qui m'arrachent mon royaume, mais je suis vaincu par l'injustifiable invasion d'un ennemi étranger. Les Deux Siciles, à l'exception de Gaète et de Messine, ces derniers asiles de leur indépendance, se trouvent aux mains du Piémont. Qu'est-ce que cette révolution a procuré aux peuples de Naples et de Sicile? Voyez la situation que présente le pays. Les finances, naguère si florissantes, sont complétement ruinées, l'administration est un chaos, la sécurité individuelle n'existe pas. Les prisons sont pleines de suspects; au lieu de la liberté, l'état de siège règne dans les provinces, et un général publie la loi martiale, décrète la fusillade instantanée pour tous ceux de mes sujets qui ne s'inclinent pas devant le drapeau de la Sardaigne. L'assassinat est récompensé, le régicide obtient une apothéose; le respect au culte de nos pères est appelé fanatisme; les promoteurs de la guerre civile, les traîtres à leur pays reçoivent des pensions que paye le pacifique contribuable. L'anarchie est partout. Des aventuriers étrangers ont mis la main sur tout pour satisfaire l'avidité ou les passions de leurs compagnons.

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Des hommes qui n'ont jamais vu cette partie de l'Italie, ou qui dans une longue absence en ont oublié les besoins, constituent notre gouvernement. Au lieu des libres institutions que je vous ai données et que je désirais développer, vous avez eu la dictature la plus effrénée, et la loi martiale remplace maintenant la constitution. Sous les coups de vos dominateurs disparaît l'antique monarchie de Roger et de Charles III, et les Deux-Siciles ont été déclarées provinces d'un royaume lointain. Naples et Palerme seront gouvernées par des préfets venus de Turin.

Il y a un remède à ces maux et aux calamités plus grandes encore que je prévois: la concorde, la résolution, la foi dans l'avenir. Unissez-vous autour du trône de vos pères. Que l'oubli couvre pour toujours les erreurs de tous; que le passé ne soit jamais un prétexte de vengeance, mais une leçon salutaire pour l'avenir. J'ai confiance dans la justice de la Providence, et, quel que soit mon sort, je resterai fidèle à mes peuples comme aux institutions que je leur ai accordées. Indépendance administrative et économique entre les Deux-Siciles, avec des parlements séparés, amnistie complète pour tous les faits politiques, tel est mon programme.

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Hors de ces bases, il ne restera pour le pays que despotisme et anarchie.

Défenseur de l'indépendance de la patrie, je demeure et combats ici pour ne point abandonner un dépôt si saint et si cher. Si l'autorité retourne dans mes mains, ce sera pour protéger tous les droits, respecter toutes les propriétés, garantir les personnes et les biens de mes sujets contre toute sorte d'oppression et de pillage. Si la Providence, dans ses profonds desseins, permet que le dernier boulevard de la monarchie tombe sous les coups d'un ennemi étranger, je me retirerai avec la conscience sans reproche,

avec une résolution immuable, et, en attendant l'heure véritable 'de la justice, je ferai les vœux les' plus fervents pour la prospérité de ma patrie, pour la félicité de ces peuples qui forment la plus grande et la plus chère portion de ma famille.

Le Dieu tout-puissant, la Vierge immaculée et invincible, protectrice de notre pays, soutiendront notre cause commune.

Signé, FRANÇOIS.

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ORDRE DU JOUR DU ROI

Gaëte, U. février 1861.

Généraux, officiers et soldats de l'armée de Gaëte,

La fortune de la guerre nous sépare. Après cinq mois de souffrance pour l'indépendance de la patrie, pendant lesquels nous avons partagé les mêmes fatigues et les mêmes privations, le moment est venu pour moi de mettre un terme à vos héroïques sacrifices. La résistance était devenue impossible, et si d'un côté mon devoir de soldat était de défendre avec vous le dernier boulevard de la monarchie, mon devoir de roi, mon amour de père, me commandent aujourd'hui d'épargner l'effusion d'un sang qui, dans les circonstances actuelles, ne serait que la manifestation d'un héroïsme inutile.

Pour vous, mes fidèles compagnons d'armes, par égard pour votre avenir, par considération pour votre loyauté, votre bravoure et votre constance, je renonce à l'ambition de repousser les derniers assauts d'un ennemi qui, pour s'emparer d'une place défendue par de tels soldats, eût été obligé de semer des cadavres sur son chemin.

Soldats de l'armée de Gaëte, depuis dix mois vous avez combattu avec un courage sans pareil!

311

La trahison intérieure, l'attaque des bandes révolutionnaires, l'agression d'une puissance se disant amie, rien n'a pu arrêter votre bravoure, ébranler votre constance.

Au milieu des souffrances de tout genre, traversant les champs de bataille et affrontant les trahisons, plus terribles que le fer et le plomb, vous êtes venus à Capoue et à Gaëte. Vous avez laissé sur les rives du Volturne et du Garigliano les traces de votre héroïsme, et vous avez défié pendant plus de trois mois. dans ces murs, les efforts d'un ennemi qui dispose de toutes les forces de l'Italie. Grâce à vous, l'honneur de l'armée des Deux-Siciles est intact; grâce à vous, votre souverain pourra lever la tête avec orgueil, et, sur la terre d'exil où il attendra la justice du ciel, le souvenir de l'héroïque fidélité de ses soldats sera la plus douce consolation de ses malheurs.

Une médaille spéciale vous sera distribuée en mémoire du siège, et, quand mes chers soldats rentreront dans leurs familles, tous les hommes d'honneur courberont la tête à leur passage; les mères montreront à leurs fils pour modèles les braves défenseurs de Gaëte.

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Généraux, officiers et soldats, je vous remercie tous; je vous serre la main avec effusion d'affection et de reconnaissance. Je ne vous dis pas adieu, mais au revoir. Conservez toujours intacte votre loyauté, comme se conservera la gratitude et l'affection de votre Roi.

Signé, FRANÇOIS.

LETTRE DU ROI AU MARÉCHAL FERGOLA

Rome, 10 mars 1861.

Le porteur de la présente sera le général Thomas Clary.

L'intérêt que je ressens pour cette brave garnison m'a fait penser à lui procurer un avenir moins dur; j'ai fait proposer pour elle et pour beaucoup d'autres, qui jusqu'aujourd'hui ont combattu sous mon étendard, les conditions dont vous trouverez ici copie.

Je ne crois pas qu'elles seront toutes consenties, mais je ne pouvais faire mieux; si toutes ne sont pas acceptées, ce ne sera pas ma faute. Vous devrez, en premier Heu, chercher à sauver l'honneur militaire, et à obtenir ensuite les meilleures conditions possibles.

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Faites en sorte que ce que je fais demander soit bien connu de tous, afin que chacun voie que, jusqu'au dernier moment, je n'ai eu qu'un seul et unique désir, celui de rechercher, autant que les circonstances l'ont permis, l'avantage et le bien de tous.

Signé, FRANÇOIS.

P. S. Sous ce pli vous trouverez l'ordre que j'ai donné pour la cessation des hostilités et l'ordre du jour à la garnison.

ORDRE DU JOUR DU ROI AUX TROUPES DE LA CITADELLE DE MESSINE

Rome, lu mars 1861.

Généraux, officiers et soldats de la garnison de Messine,

Pour épargner votre généreux sang, pour vous assurer les honorables et avantageuses conditions que méritent votre courage et votre constance, j'ai auto

risé votre général en chef à fixer les conditions de la capitulation. Je sais qu'avec la fermeté, la loyauté, dont vous avez donné un si long et remarquable exemple, vous étiez décidés à défendre notre drapeau tant qu'il vous resterait un pouce de terrain pour y poser les pieds; mais, dans les circonstances actuelles,

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ce serait un sacrifice inutile, comme père et comme roi, je sens qu'il est de mon devoir d'éviter un péril qui mettrait en danger la vie de mes sujets sans donner des espérances de succès.

Le monde a admiré votre persévérance à toute épreuve. Mon plus grand regret est de ne pouvoir vous remercier tous personnellement; mais il viendra un jour où les tristes événements qui m'éloignent de mon royaume ayant changé, je pourrai appeler autour de moi mes braves vétérans, pour reconquérir l'indépendance de la patrie et secouer le joug de l'envahisseur. Alors je n'oublierai pas mes braves soldats de Messine, dont l'héroïque fidélité m'inspire des sentiments d'éternelle reconnaissance.

Signé, FRANÇOIS.

ORDRE DE S. M. LE ROI AU MARÉCHAL FERGOLA

Rome, 10 mars 1861.

Mon sieur le Maréchal,

L'honneur des armes napolitaines se trouvant sauvegardé par l'héroïque défense de Gaëte et par la conduite de la garnison de Messine, je crois inutile de prolonger la défense de cette citadelle;

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car elle pourrait causer de grands dommages à la ville, en sacrifiant inutilement la vie de ces braves soldats, qui ont soutenu avec tant de constance mon drapeau dans cette partie du Phare.

Fidèle au sentiment qui me fit arrêter le bombardement de Palerme et abandonner la ville de Naples, je crois de mon devoir de préserver à tout prix l'entrepôt de la Sicile.

Quant à vous, général Pergola, qui avez donné un aussi noble exemple d'attachement, de courage et de fermeté, je vous confie le soin de traiter avec l'ennemi à des conditions honorables et avantageuses pour la garnison. Je veux conserver le sang de mes soldats, mais je veux en même temps sauver leur honneur et assurer leur avenir.

Signé, FRANÇOIS.

LETTRE DU ROI A S. E. LE CARDINAL DE RIARIO-SFORZA

ARCHEVÊQUE DE NAPLES

Éminence,

Comme pasteur du diocèse dont Torre del Greco fait partie, je transmets à Votre Éminence une somme de huit cents scudi, tant en mon nom qu'en celui de la Reine,

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pour venir en aide aux malheureuses victimes des dernières calamités. Il n'y a pas une larme de mes sujets qui ne retombe sur mon cœur, et je ne pense à ma pauvreté que dans les circonstances comme celle-ci, parce qu'elle m'empêche de faire tout le bien auquel je me sens naturellement porté.

Cette nouvelle calamité, qui est venue se joindre à toutes celles qui affligent mes peuples, me montre les habitants d'une ville, voisine de ma capitale, souffrant de la rigueur de l'hiver autour de leurs foyers détruits. Torre del Greco peut être comparé à Pontelandolfo et à Casalduni, moins à plaindre peut-être, en ce sens qu'elles ne peuvent rejeter sur les hommes les désastres dont elles sont victimes.

Votre Éminence sait déjà ce que l'iniquité et la trahison ont fait de ma couronne. Souverain exilé, je ne puis m'élancer au milieu de mes enfants pour soulager leurs maux. La puissance du roi des Deux-Siciles est paralysée, et ses ressources sont celles d'un monarque déchu qui n'a emporté avec lui, loin du sol où reposent ses aïeux, que son impérissable amour pour la patrie absente.

Mais quelque grande que soit ma ruine, et si faibles que soient mes ressources, je suis roi, et, comme tel,

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je dois la dernière goutte de mon sang et mon dernier écu à mes peuples. L'obole du pauvre que je leur offre aujourd'hui aura certainement plus de prix à leurs yeux que tout ce que, dans des temps plus prospères qui renaîtront un jour, je pourrais leur offrir dans la nécessité où ils se trouvent.

De Votre Eminence, etc.,

Signé, FRANÇOIS.

Rome, 11 janvier 1862.

DISCOURS DE FRANÇOIS II

Aux délégués des villes de Naples et de Palerme, des provinces continentales et insulaires du royaume (1).

Messieurs,

Au moment où de tous les coins du territoire napolitain et sicilien me parviennent des adresses couvertes de milliers de signatures, témoignage flatteur de confiance et d'attachement, je suis on ne peut plus sensible aux expressions d'affection et de fidélité, qu'au nom des vingt-deux provinces du royaume, vous venez me présenter à l'occasion du jour de l'an, et ces vœux de souhait et d'espoir sont d'autant plus chers à mon cœur

319

qu'ils manifestent les sentiments de nos loyales et malheureuses populations.

Je vous remercie avec toute l'effusion de mon âme, et je vous prie de transmettre à ceux qui vous ont faits les organes de leurs vœux les témoignages de ma plus vive reconnaissance.

Exilé du trône et de la patrie, tous mes sentiments et les pensées constantes de mes jours se tournent vers mes sujets bien-aimés et malheureux, vers la terre paisible où je suis né et où reposent les cendres de mes aïeux. Ce n'est pas la perte du trône ni les misères inhérentes à l'exil qui attristent le plus mon âme. Au milieu des malheurs personnels, je sens que mon cœur resterait fort et serein si je ne devais assister avec une angoisse inexprimable au spectacle de l'oppression, de la désolation et de l'esclavage de mon peuple. Le vent qui souffle de mon pays, si agréable pour tout exilé, ne m'apporte que l'écho des fusillades qui, tous les jours, atteignent d'obscures et fidèles victimes, les étincelles des villes brûlées par l'envahisseur, les cris de douleur des malheureux entassés dans les prisons, ou les plaintes des agriculteurs dont les champs sont dévastés, grâce aux proclamations féroces des préfets piémontais.

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Ayons confiance en Dieu. Vous voyez que, comme toutes les œuvres de l'iniquité humaine, l'œuvre piémontaise est atteinte de stérilité, preuve évidente de décadence et de mort. Tant de décrets, tant de règlements, tant de changements de régime dans les Deux Siciles, une fois la dictature, une fois la lieutenance, maintenant la préfecture, tous ces essais faits en deux ans, à quoi ont-ils servi? A quoi ont abouti les flatteries, les calomnies et la terreur? A quoi ont servi l'incendie de pays désarmés, les hécatombes humaines renouvelées sans cesse dans nos provinces? Les pri sons sont littéralement remplies de prisonniers, et l'on se plaint qu'on conspire encore. L'état de siège a été, pendant plusieurs mois, le seul moyen pour gouverner, et les maux et les dangers qu'il devait extirper ont au contraire augmenté. La vie des malheureuses populations se trouve à la merci du dernier caporal commandant un détachement; les ordonnances des autorités nouvelles, les lois inhumaines des suspects, soumettent à la passion et au caprice la vie et la fortune des propriétaires et des paysans, et cependant les milices royalistes s'étendent et combattent tous les jours avec plus d'ardeur et d'acharnement. Les contributions ont été multipliées,

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les biens de l'Église usurpés et vendus; toutes les richesses réunies au moyen d'un sage système d'économie, ont été dilapidées, et le trésor de l'usurpation est toujours à sec. Son budget présente un déficit normal épouvantable, et la rente est cotée à peine un peu plus que la moitié du prix auquel était cotée la nôtre dans les dernières années de notre monarchie.

Attendons avec douleur, mais avec calme. Laissez ceux qui ne croient pas en Dieu compter sur le triomphe de l'iniquité; laissez ceux qui ne croient pas aux leçons de l'histoire croire à l'annexion violente de la plus importante monarchie italienne; à la mort d'un royaume qui, pendant tant de siècles et tant de dominations étrangères, a soutenu toujours son autonomie, et a conservé ses frontières, tracées par ses fondateurs; de ce royaume qui a vu passer tant de changements et de conquêtes, marchant toujours dans l'œuvre de l'indépendance nationale; laissez-leur croire qu'un accident purement révolutionnaire puisse établir le sort d'un grand royaume; laissez-leur rêver qu'on puisse déraciner si facilement des dynasties et tuer des nations.

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Ainsi que vous, je ne doute pas et je n'ai jamais douté de mon retour. Je n'en ai pas douté lorsque, au milieu des trahisons et des malheurs, j'abandonnais Naples, ma patrie et ma capitale, ainsi que ma fortune privée et les ressources du gouvernement, pour préserver ma bien-aimée métropole. Je n'en ai pas douté lorsque, défenseur de l'indépendance nationale, je combattais pour l'honneur de mon nom et de mon drapeau sur le Volturno et sur les murs de Gaëte.

Cette confiance entière dans la justice de ma cause, cette résolution de reconquérir absolument l'indépendance de mon pays me soutiennent et me consolent dans mon exil.

Comment, en effet, en douterais-je, lorsque plus de deux ans se sont écoulés depuis mon départ et que de tous les côtés me parviennent des témoignages d'amour et de respect, de confiance et de souvenir de mes sujets; quand je vois que la plus grande partie de la noblesse du royaume s'est condamnée volontairement à l'exil pour suivre ma cause; quand, sauf de très-rares exceptions, l'aristocratie qui n'a pas quitté le pays s'abstient de faire cause commune avec l'usurpateur; quand, de toutes les communes du royaume,

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les propriétaires et les paysans mettent à ma disposition leur vie et leurs services; quand je vois ce noble peuple abandonné de tout le monde, sans appui, sans qu'il soit poussé par moi (et vous le savez bien), combattre contre l'oppression étrangère et accourir, en prononçant mon nom, je me dis à moi-même qu'une cause soutenue par la justice, et enracinée dans un si grand nombre de cœurs loyaux, ne peut pas succomber, et que l'avenir lui appartient.

Mais lorsque arrivera le moment inévitable de la Restauration, ne nous y méprenons pas, messieurs, rendre la paix et la prospérité à un pays ruiné sera une rude et grande tâche. J'aurai besoin des lumières et du concours de tous. Dites à ceux qui vous ont envoyés que mes principes sont inaltérables, et mes intentions immuables. L'amnistie et le pardon pour les faits politiques sont les sentiments de mon cœur, et la règle principale de ma politique. Sous la sauvegarde d'un régime franchement représentatif, le pays pourra prendre part efficacement à son administration et à son gouvernement, appliquant toutes nos forces à la grande œuvre de la régénération politique.

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La Sicile, de son côté, aura l'indépendance autonomique, administrative et parlementaire, et Palerme partagera avec Naples l'honneur de la résidence des rois.

Inculquez et répandez partout ces idées. Dissipez les craintes que la révolution cherche à insinuer de réactions personnelles, de châtiments et de vengeances. Mon cœur ne permettrait rien de tout cela.

Recommandez de ma part à tous l'union et la paix. Répétez à tous que je ne veux pas voir d'ennemis parmi ceux qui sont nés au delà du Trente. Je ne verrai en eux que. des fils et des compatriotes dont l'union est indispensable pour guérir les plaies de notre pauvre pays.

Rappelez à toutes les forces indigènes qu'elles ont été instituées pour sauvegarder la propriété et la sûreté des citoyens, et non pour combattre leurs aspirations de patriotisme et d'indépendance; qu'elles se rappellent qu'elles sont napolitaines et siciliennes, et que bientôt arrivera le jour où le pays aura besoin de leur dévouement: alors elles mériteront bien de la patrie, et je serai heureux de leur manifester mon estime et ma reconnaissance.

» Que les peuples des Deux-Siciles considèrent leur puissance, leur population,

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l'extension de leur territoire par rapport au reste de l'Italie; qu'ils se rappellent leur histoire, et ils y puiseront de nobles exemples. Qu'ils n'espèrent pas obtenir de l'étranger seulement leur rédemption. Lorsque le moment sera arrivé, la justice de Dieu et l'équité des peuples seront pour eux. Qu'ils sachent faire par eux-mêmes; et le monde entier applaudira et approuvera leurs efforts.

» Je vous remercie encore une fois, Napolitains et Siciliens, de votre attachement et de vos souhaits, et de cet asile où je suis comblé des plus affectueuses démonstrations et de la paternelle hospitalité de celui qui représente sur la terre la justice éternelle et à qui la Providence a confié la défense de la vertu opprimée; j'espère sous peu me rendre au milieu de vous, vous revoir autour de moi tranquilles, forts et heureux, lorsque, donnant une main amie et fraternelle aux autres Etats de l'Italie, je serai heureux et fier d'ouvrir les portes de parlements vraiment nationaux dans les deux grandes capitales du continent et de la Sicile.

Palais Farnèse, 19 janvier 1863.

FRANÇOIS.

327

TABLE DES MATIÈRES


INTRODUCTION


I — Religion

1

II — Finances

25

III — Armée

47

IV - Justice

75

V — Prisons

89

VI — Instruction Publique

131

VII — Presse

147

VIII — L'UNITÉ ITALIENNE

157

IX — Les Brigands

163

X — Les Lieutenants Subalpins

171

XI - FRANÇOIS II

299

1 — Ordre du jour du Roi aux Troupes de la citadelle de Messine

299

2 — Proclamation du Roi à ses peuples

300

3 — Manifeste du Roi à ses peuples

303

4 — Ordre du jour du Roi

309


5. — Lettre du Roi au maréchal Pergola

312

6 — Ordre du jour du Roi aux troupes de la citadelle de Messine

313

7 — Ordre de S. M. le Roi au maréchal Fergola

315

8 — Lettre du Roi à S. Em. le cardinal de Riario-Sforza, archevêque de Naples

316

9 — Discours de François II aux délégués des villes de Naples et de Palerme, des provinces continentales et insulaires du royaume

318












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